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 Article publié le 10 avril 2011.

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Le banc lui échappa comme au moment où quand il était petit, elle laissait tomber la cuillère qu’elle tenait entre ses mains avant qu’il ne commence à manger. Sans qu’il y soit préparé, sa mère ferma la porte sur elle, scîrbita. Les murs de sa chambre à coucher se refermèrent sur lui. Allongé sur son lit, il fixait la plaque de contreplaqué blanche avec laquelle on monta les plafonds. Les réveils en syncope des nuits avortées par les longueurs des journées se terminaient attablé devant sa cuisinière, fumant patiemment cigarette après cigarette.

Penché sur lui-même, il arrima ses pensées à la salle de l’ANPE, vide à midi, qui enferma ses pensées et le renvoya sur lui-même en vase clos. Au large, puis pénétrant les interstices de ses pensées, la copine aux côtés de son actuel amant qui lui coupait l’herbe sous les pieds en poussant des hurlements ponctués de cris sexuels aux notes aiguës, ondoyants tels des queues des cochons, elle, animal empaillé à la gueule ouverte au plaisir le bourrant d’attitudes illustrant ses failles. Il mit son corps en quarantaine, strabatut de mots vides. On lui fit signe que l’ANPE fermait, il s’apprêtait à faire une ballade dans le parc voisin du magasin d’alimentation où il s’arrêta le temps de faire quelques courses, une trentaine de minutes pour étudier et comparer les prix avant de rentrer et allumer la télé.

Il passait et repassait dans le couloir dont le volume était supérieur à la pièce principale, reliant la cuisine à la salle à manger en cherchant à se trouver une place dans laquelle, une fois logé, il puisse prévoir les faits et gestes qui allaient alcatui ses prochains jours : les dépenses urgentes concernant le loyer, qu’il devait glisser dans la boîte à lettres de son propriétaire le cinq de chaque mois de peur de recevoir sa visite inopinée, rafale de mots qui récupère la honte des gens et la justifie par le crachat de mépris…, ponctuée de sermons et de ses réflexions sur l’inutilité des personnes qui vivaient aux dépens de gens honnêtes qui peinent à travailler pour gagner leur vie. Son cerveau desfasura à toute vitesse le passé récent dans son dernier travail, circuit fermé sur la phrase “ Allo, c’est la firme Unireva ”.

Il se faufila par l’entrebâillement de la porte de la cuisine, les genoux ramenés au menton sur la vieille caisse en bois démontable. La partie gauche du placard auquel il manquait la porte affichait un tas d’assiettes, poêles et casseroles. Il se leva, son attention accaparée par la préparation, censura sa faim et avala par petites bouchées l’une à la suite de l’autre, mâchées soigneusement, fuma une cigarette et quitta la maison pour se diriger vers le centre où il avait trouvé son dernier job.

Des panneaux montés à même le mur, au milieu d’un emplacement qui se trouvait à gauche du couloir du centre de documentation, affichait par profil les postes destinés pour la plupart à des étudiants. Il se tailla un chemin dans la cohue en tentant de s’approcher au plus près pour lire les annonces. Au bout de quelques dizaines de minutes, une vapeur de picotements diffus l’envahit et înghesuit sur place, il se mit à surveiller du coin de l’œil la cabine téléphonique où il allait décliner ses qualifications aux employeurs. Les quelques jobs qui auraient pu lui convenir avaient été pourvus. Il décida de revenir à l’heure d’ouverture. Il s’aventura sur les quais pour regarder les péniches scaldate par une fine pluie glacée, tissu înasprit par le froid, aux gouttes espacées rapides et glacées, presarate à toute allure jusqu’à la station d’après. Il s’engouffra dans la bouche du métro, fut emporté par un sir d’escaliers roulants qui l’amenèrent sur le quai. Gagné par le froid, il poussa des coudes pour entrer dans une voiture.

La chaise en bois récupérée lors de son déménagement le cueillit dès l’entrée. Ses mots, filtrés par son inconscient afin qu’il en soit conditionné s-au prins sur ses mots à lui, l’ont pêché, remonté dans la cale du bateau puis vidé. Des lettres jumelles se sont couplées dessinant un tracé effiloché et coupant, dégageant de leurs traits la puanteur de pourriture du surplus du quota des besoins du consommateur. Ses mots revêtirent ainsi la forme des siens, opérant par vagues successives des scissions mêlées d’enfermement.

Un coup de fil l’informa d’un entretien d’embauche pour un poste de professeur dans une école où il allait envoyer sa candidature. Il vérifia sa garde-robe, s’aperçut qu’il y manquait un manteau, pièce qu’il traqua cet hiver contre un blouson sport, confortable et léger. Depuis un mois, les soldes battaient leur plein, avec un peu de chance il allait trouver son bonheur, à l’aspect déformé par les mouvements désordonnés de la foule, au patron terfelit sous la pression des talpilor des gens arrimés dans leur échappée aux objets. Sortant de ses pensées, il empocha du liquide et se précipita dehors pour arriver avant la fermeture.

Assise devant lui, posée, vêtue d’un chemisier à dentelle, la peau du visage enflée, le buste rigide couvert d’un gilet noir, îndesata dans la chaise, elle tenait dans ses mains le Curriculum Vitae qu’il lui avait envoyé.

“ - Vous avez exercé dans deux écoles seulement ”, lui dit-elle, ennuyée. Nous avons besoin de quelqu’un avec de l’expérience. Ce sont les vœux du directeur. Nous avons ici quarante élèves par classe. Il nous faut un professeur qui ait de la poigne.

- Je peux faire un essai.

- Non. Ce sont les critères demandés par le directeur ”.

Il s’éloigna à pas feutrés tel un voleur du collège, ses jambes prinse dans le béton de l’asphalte, le chemin vers le métro était une rue interminable qui ne menait nulle part. Il stationna en attendant le métro, poids lourd, happé par les profondeurs urbaines dont il s’était emparé. Il esquiva le coup de déprime qui allait le frapper, décida de visiter le Musée du Louvre, dont il était tombé amoureux depuis qu’il disposait de temps libre. Le voyage à travers les siècles aboutit dans le lit de sa chambre où il s’endormit vite, à poings fermés. Au petit matin, il fit un tour par la boîte aux lettres, prit une facture, un vent frais lui glaça le nez, traversa le square vide à cette heure et muni de ses papiers, il alla s’enquérir auprès du Service Sociale des éventuelles aides allouées aux personnes sans revenus qu’on pouvait lui accorder. Un dossier épais et une demande à la réponse lointaine et incertaine lui furent soumis, il baissa les bras et sortit de là nauc, s’adossa à un banc, parcourait attentivement les renseignements requis et opta pour un détour par l’ANPE, enleva l’écharpe que ses collègues de travail lui avaient offerte pour son anniversaire et la fourra dans son sac. Des bancs vides bordaient la route qui le menait vers le bureau, l’air se concentrait en bulles qu’il aspirait à plein nez, une par une le plus possible, épurait la ligne d’horizon puis expirait ces bulles d’air lourdes qui stationnaient sur les bancs, laissant apparaître des silhouettes aux gestes incontrôlés, aux apucaturi indomptés qui formaient siruri entrelacés de signes qu’il épurait du regard.

“ - Vous pouvez consulter nos offres d’emploi sur Internet, en choisissant la rubrique désirée. ”

L’ordinateur lui indiqua une heure de grande affluence.

“ - T’es pas un être humain, comment t’as pu faire ca ? ” hurlait une bonne femme vers une autre, qui se trouvait au côté opposé de la salle.

Quelqu’un qui avait d’être leur ami, vers qui les yeux étaient tournés faisait semblant de rien, un sourire narquois, en coin, ombrageait son visage. Assis sur une chaise, il regardait fixement la table sur laquelle se trouvaient éparpillés les dossiers d’offres d’emploi. La femme quitta la salle en criant. Il se leva pour passer un coup de fil à son copain, qui en deux mots lui dit qu’il partait en week-end chez sa tante et qu’il le rappellerait une fois de retour.

Les oiseaux piaillaient, des rayons lourds et chauds s’appesantirent sur son corps, îl îndemneau de s’asseoir pour prendre un bain de soleil. L’appartement lui paraissait loin à l’autre bout de la ville, en moins d’une minute il calcula le parcours le plus long pour y parvenir. Lorsque la lumière des derniers rayons de soleil s’amenuisa, il quitta son culcus ; dospit sur une portion de terre, crengi, feuilles, morceaux d’objets.

“ - Vous voilà enfin. ”

Il leva les yeux, le poids imposant de son propriétaire ne faisait qu’un avec la porte, il perdit sa perspective et ses volumes et ce dernier se perdit dans un dédale qui transparaissait sur sa figure, descendre faire demi-tour, ne plus revenir, la vie s’évacua à travers les pores de sa peau blanche qui allait tailler une frontière dans sa manière de s’exprimer, opérant sur son contenu, moule parsemé de ramasite de sa personnalité.

“ - Restez là-bas ”.

Il savait ses allers-retours surveillés par ses yeux collés aux fibres sales des rideaux. Un sourire en coin ornait son visage.

“ - Vous avez jusqu’à la fin du mois pour débarrasser le plancher. Vous rendez l’appartement propre. Vous n’y prêtez aucune attention. ”

Il bondit de sa chair superflue et poussa un sifflement comme un soupir entre ses lèvres tordues par un rictus, laissant derrière lui un sillage de mépris et se dirigea à pas saccadés vers la porte de sa demeure. Il se concentra sur la manipulation de la clef dans la serrure, traversa à reculons le seuil de la porte, jeta d’un geste automatique les clefs sur la table, s’arrêta, tourna en rond, gaspillant des poches d’énergie crevées sur les murs, repoussées sur des rails noirs qui émergeaient dans l’épaisseur de l’air. Il éplucha une à une ses couvertures avec lesquelles il couvrit ses jambes, alluma une cigarette, s’engouffra au fond de son lit, se disant qu’il était en train de s’assoupir. Son immobilité lui parut à ce moment-là immuable.

Un sommeil prompt, glacé, le plongea dans le brouillard. Émergeant de sa fatigue, des voix parvinrent jusqu’à lui, mêlant des bouts d’histoire personnelle aux besoins de solidarité, d’aide insistante, de partage à des parcours inhumains, voix éteintes émergeant de corps fatigués et malades pulverizînd leurs sentiments dans des mots quémandeurs, articulant une attitude bienveillante et une démarche active. Le téléphone sonna :

“ - Vous avez envoyé un Curriculum Vitae. Pourrais-je vous rencontrer ? ” sirota un jus d’orange accompagné d’une cigarette, en attendant que l’eau bouille.

Il chercha des yeux un papier, se pencha vers la table, attrapa un stylo, écrivit…

 

- scîrbita : en roumain se prononce “ squîrebita ” : dégoûtée

- strabatut : en roumain se prononce “ strabatoute ” : parcouru

- alcatui : en roumain se prononce “ alequatouï ” : rythmer

- desfasura : en roumain se prononce “ dessefachoura ” : déroulait

- înghesuit : en roumain se prononce “ înneghéssouïte ” : serré

- scaldate : en roumain se prononce “ squaledaté ” : baignées

- înasprit : en roumain se prononce “ înasseprite ” : durci

- presarate : en roumain se prononce “ préssaraté ” : clairsemées

- s-au prins : en roumain se prononce “ saou prinesse ” : se sont épinglés

- terfelit : en roumain se prononce “ térfélite ” : traîné par terre

- talpilori : en roumain se prononce “ talpïlor ” : semelles

- îndesata : en roumain se prononce “ înedessata ” : tassée

- prinse : en roumain se prononce “ prinessé ” : attrapées

- nauc : en roumain se prononce “ naouque ” : hébété

- apucaturi : en roumain se prononce “ apouquatourï ” : manières

- culcus : en roumain se prononce “ coulcouche ” : abri

- siruri : en roumain se prononce “ chirouri ” : des fils

- crengi : en roumain se prononce “ crengthi ” : rameaux

- ramasite : en roumain se prononce “ ramachitzé ” : résidus

- pulverizînd : en roumain se prononce “ poulevérizînede ” : pulvérisant

 

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