Ainsi, dans cette cité inconnue, sans arme, j’avance au gré de mon intuition, attentif au moindre bruit, à la plus petite irruption de vie - qu’il s’agisse d’un insecte, d’un volatile ou de tout autre animal - je progresse sur un terrain miné par des tensions invisibles, où l’absence de toute présence, pour le moins suspecte, me conduit à penser que des troubles ont eu lieu ici ou alors ailleurs, dans les environs, des troubles dont je ne connais ni la nature ni la force. Dans ce cadre qui m’est de moins en moins étranger, auquel je m’adapte sans cesse, je continue mes balayages intrépides, ces inspections oculaires caractérisées par une franche précision, à chaque coin de rue, - chaque changement de voie ou de zone.
Puis, à l’ombre d’un bâtiment, sur les marches en hauteur proches de l’un des piliers, je décide de m’asseoir pour faire une halte. Auparavant, j’ai extrait de mon ceinturon la bouteille d’eau glissée dans un contenant rigide, au niveau de ma taille. Maintenant, le corps posé, je regarde droit devant moi, vers cette rue qui s’élargit et au bout de laquelle une vaste surface de lumière découpe l’espace, en oblique, un espace baigné par le soleil, tandis que je dévisse la bouteille et joins son goulot à ma bouche qui commençait à s’assécher. La moitié, puis les trois quarts du contenu sont absorbés, le peu d’eau qu’il me reste sera utilisé au dernier moment, le temps de trouver une source - un puits par exemple - qui doit bien exister en ces lieux. Mon corps quelque peu fatigué se détend, tout en maintenant un état de vigilance obligatoire en la circonstance, sur ce terrain inconnu où il n’y a toujours pas le moindre bruit, le moindre signe de vie. Mes yeux sur l’intersection entre l’ombre et la lumière, des images, des souvenirs de guerre apparaissent dans mon esprit, dans ma mémoire, ce sont des symboles de temps multiples qui se dessinent, accompagnés de leurs lexiques respectifs tels que factions, phalanges, sentinelles ou encore bataillons, milices, mercenaires, légions, des mots qui font référence à autant de tactiques, de stratégies militaires, à autant d’occupations des sols et de déploiements des forces, à autant de cadres différents, de la rase campagne à la mégalopole, en passant par les mers et le désert... Des bruits de fer, des pas lourds de bottes comme innombrables, des muscles au combat, des avions qui décollent de leur base, des flèches décochées, des balles qui sifflent, des déflagrations qui font voler en éclat des fortifications, ces scènes, ces séquences se suivent, et même si elles ne se ressemblent pas eu égard à leur organisation militaire propre, à la nature de l’ennemi, à l’enjeu, elles ont toutes comme dénominateur commun la volonté belliqueuse de vaincre à tout prix. Quant à moi, assis sur les marches de ce bâtiment, en train de faire une pause, je ressens finalement la même chose, je me sens également empli du même devoir, du même impératif, de la même obligation : sortir vainqueur. Dans le même temps, de nombreux éléments et non moins surprenants demeurent présents dans mon esprit, des données que je pourrais résumer de la façon suivante : désigné par une volonté puissante et indiscutable, je suis en terrain ennemi, prêt à affronter le danger sans y être préparé, dans un état de vigilance et d’adaptation permanent. Tout est possible, au bout du compte : les combats à venir, quelles que soient leur forme et leur nature, peuvent tout aussi bien être longs que brefs, prendre une tournure inattendue, des combats dont l’issue, dans tous les cas, doit m’être favorable. [...]
à paraître bientôt chez Le
chasseur abstrait