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À l'enfant qui sommeille en nous
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 Article publié le 12 mai 2010.

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Le lendemain d’une nuit tumultueuse. Tourmentée. Dérangée. Un matin comme tant d’autres. Dans une chambre d’enfant. Un lieu où dans le moindre recoin, la peur qui rêve d’être abandonnée dans le creux du silence lourd en mémoire d’amour et d’espoir, arpente l’espace dans un mouvement entrecoupé de suites d’efforts désespérés. Et au cœur de ce vaste lieu où se croisent et s’entrecroisent les sinuosités de la vie, une discussion bien étrange entre une mère et son fils. Une histoire qui se joue en deux scènes.

 

Scène I

 

La marche des Sirius sur la planète Terre

 

— Maman ! Maman ! Je les ai vus. Ils sont là. Dans notre ville. Parmi nous, crie l’enfant en s’empressant de se blottir dans les bras de sa mère.

— Mais qui donc ? répond cette dernière, l’air étonné, serrant très fort son fils dans ses bras pour le rassurer et le protéger des êtres du dedans et du dehors qui errent en quête de proies fragiles et innocentes.

— Eux. Ces grands êtres blancs qui ressemblent à des animaux domestiques. À la tête grosse comme une pastèque. Ils ont de grands, d’immenses, de gigantesques yeux blancs. Oh, qu’ils me font peur ! J’ai la chair de poule rien que d’y penser !

— Mais que racontes-tu, mon cœur ? Tu as complètement perdu la tête, ma petite vie. Ah, ces bandes dessinées japonaises qui retournent les esprits dans tous les sens de la vie et de ses impossibles chimères ! Je t’avais pourtant prévenu. Voilà que tu me pousses à réduire le rythme de tes lectures !

— Mais non, maman ! Les mangas n’ont rien à avoir avec ce que j’ai vu cette nuit. Tu ne me crois jamais. Tu ne me fais jamais confiance. Qu’avez-vous donc vous, adultes à croire que la parole des enfants n’est pas fiable ? Je t’en prie, maman, crois-moi ! Ils sont là ! Tout près de nous. Hier matin, alors que j’allais à l’école, j’en ai rencontré un à l’entrée de la ville, près du canal où nous avons l’habitude de nous promener les dimanches. Il était debout. Immobile. Il tournait le dos à la montagne qui nous protège et veille sur nous. Regarde ! Une preuve ! Une photo. Alors, je mens ? J’ai perdu la tête ? Les mangas ?

— Et je suppose que tu es le seul à l’avoir vu ?

— Non ! Non ! Deux personnes. Euh euh ???? Il y avait deux personnes. Euh… ou plutôt deux ombres fuyantes courant à toute allure. Têtes baissées. On dirait qu’elles conspiraient. L’air était bien étrange. Il y avait comme une éclipse dans le ciel. Puis une espèce de mélange de jaune et de gris. Quelque chose qui ressemblait à de la lumière et à de l’obscurité. Les nuages étaient rouge-sang. Le décor n’était pas beau à voir. Il y avait de quoi avoir des frissons. Un moment, mes cheveux se sont dressés sur ma tête. J’avais cru qu’ils s’envoleraient avec le vent. Oh, ma maman, j’ai peur ! Quelque chose va nous arriver. Quelque chose de mal. Je le sens. Oh, maman chérie, je ne veux pas me séparer de toi ! Chante-moi une chanson. Celle que tu fredonnais lorsque j’étais enfant. Tu me berçais dans tes bras et tu chantais :

Am privit-o in ochii ultima aora/Lacrimile curgeau, erau atat de amare/Ma ruga sa n-o uit, simtea ca-I ultima vara

Je regarde pour la dernière fois dans tes yeux/Les larmes coulaient, elles étaient si amères/Elle m’a demandé de ne pas l’oublier, elle sentait que c’était le dernier été1

— Que de souvenirs heureux ! L’ère de l’insouciance ! De l’innocence ! Et si j’avais pu, j’aurais arrêté le temps.

— Te voilà bien triste mon fils ! Tu m’inquiètes. Es-tu sûr que tout va bien ? Veux-tu me dire ce qui te préoccupe ? Je te promets que euh euh…

— Oh, le bruit de leurs pas ! Je les entends. Ils vont attaquer. Leur planète est trop petite. Ils se sont multipliés. Ils sont mille, deux mille, trois mille, mille, mille et… Ils projettent de nous envahir. Leur chef s’appelle Sirius. C’était un ancien terrien. Il a été chassé du paradis terrestre avant même qu’il naisse car il avait des idées diaboliques et meurtrières. Il a des ambitions expansionnistes. Dominatrices. Il veut conquérir le monde entier et même l’univers. Il est dangereux. Il tue des enfants. Des hommes. Et des femmes. Il sépare les mers des montagnes. Les poissons de l’eau. Le feu de l’air. La terre du ciel. Et sème la haine jusque dans les entrailles des cœurs. Et tout cela ? Au nom de la Démocratie ! Au nom du Bien ! Ne le crois pas ! Il dit toujours qu’il vient sauver l’humanité et apporter la lumière et la civilisation aux sans-voix et aux opprimé(e)s. Mais si tu voyais combien de malheureux il a emprisonnés. Tués ! Exterminés ! Son cœur est vidé de son sang. Plus une seule goutte ! Son regard glace et creuse les profondeurs du vide. Ses sentiments sont noircis par la laideur de son âme… Oh, ma mère ! Qu’allons-nous devenir ?

Soudain, au cœur de cette chambre d’enfant, les voix se taisent. S’arrêtent de se mouvoir. De courir. De vibrer. De gesticuler. De vivre. La vie basculée dans le néant. La mort qui éclate dans un délire au sens indéchiffrable ! La mort ? Chut ! Mystère !

Et dans l’immensité de l’espace de ce cocon protecteur. Sous les décombres des vestiges de l’amour, la sensation d’une présence humaine. La vie ! L’odeur de la mère qui aime. Aime. Aime. Et aime encore et encore d’un Amour qui ouvre les bras à la vie qui flotte entre le refus de la haine et le désir de nourrir éternellement les utopies qui se tissent de certitudes. De grandeurs. De révélations qui émerveillent. Éblouissent. Illuminent. Et transcendent.

Une main sur le visage de cet enfant qui ouvre les yeux sur les angoisses de l’existence. Une main chaude. Douce. Aimante. Une main généreuse qui laisse exploser sa tendresse. Elle caresse tendrement la peau juvénile de l’enfant qui s’apprête à affronter la vie dans toute sa beauté. Dans toute sa laideur. Dans ses deux facettes. À la fois exaltante et horrifiante. Humaine et animale. Heureuse et malheureuse.

Un rêve aux couleurs des fleurs rouges nées dans le terreau de la vie. Une mère qui aime, veille et protège. Un enfant qui se blottit dans les bras d’une histoire qui s’affranchit de sa peur de l’inconnu et laisse échapper de son antre une forte odeur d’amour et de liberté qui embaume les bas fonds des émotions qui chuchotent, susurrent et racontent une histoire qui se conjugue au passé, au présent et au futur.

Au cœur d’une dimension temporelle qui court à perdre haleine dans le retentissement des souvenirs des jours heureux : l’histoire du retour de « Rajoul Wa Imrââ »2.

 

Scène II

 

Le retour de Rajoul wa Imrââ

 

— Tu as fait un cauchemar, cette nuit ? Oh, encore un cauchemar ! Cela fait combien de fois en une semaine ? Qu’est ce qui te préoccupe mon fils ? Ça ne va pas à l’école ? Dis-moi ! Parle-moi ! Raconte-moi tout ! Viens te réfugier dans mes bras ! Viens oublier le mal et son cortège de souffrances et de douleurs !

— C’est cet homme ! Il est partout. À la télévision. Au cinéma. Dans la rue. À l’intérieur des maisons. Cette nuit, il me parlait. Il me disait qu’il te tuerait et que je resterais orphelin.

— « Sans mère ? Sans mère ? ai-je crié. Mais comment ? Comment ? Oui. Comment pourrais-je survivre ? » Il m’a alors fixé de son regard froid. Dur. Vide. Triste. Sinistre et tout en éclatant de rire, d’un rire effroyablement effrayant, il a disparu furtivement dans la pénombre de ma chambre. Cet homme aux yeux creux, trompeurs, sournois, insidieux a plusieurs visages. À l’image d’un caméléon. Tantôt chien. Tantôt humain. Tantôt dragon. Tantôt loup. Tantôt diable. Tantôt Dieu. Tantôt homme. Tantôt femme. Et dès fois, il a tous ces visages à la fois. Alors, c’est à ce moment-là qu’il devient capable des pires horreurs. En Palestine, en Irak, à Sarajevo, en Algérie, au Nigéria, au Rwanda, en Haïti…

— Palestine ? Nigéria, Haïti… ?

— Mais que sais-tu de ces pays et du monde, mon fils ? Tu es si jeune !

— Crois-moi, oh maman ! La foule l’acclame, le réclame, le déclame. Mais il nous veut du mal. Tous les soirs, il s’enferme dans le reflet de son miroir et parle à la face déformée de son visage. Et je l’entends pleurer et lui dire tendrement :

« Oah, ma face, ma belle face ! Toujours aussi malade ? Tu ne guériras donc jamais ? Condamnée disent les docteurs ! Par la faute de ces terriens, tu as épousé les contours de la laideur. Tu as pris la couleur de la mort. Du pus ! Encore du pus ! Ça coule à flot. Mais comment arrêter cet écoulement qui m’inonde au point de m’aveugler ? »

— Écoutes-moi, mon fils ! Ce visage te hante au point de t’habiter et de te posséder. Mais ne t’ai-je jamais raconté l’histoire aux reflets d’or de ce rêve que je fais depuis que je suis toute petite fille ? Dans ce monde-là, mon fils. On ne hait pas. O aime. On ne détruit pas. On construit. On ne tue pas. On donne la vie. On n’humilie pas. On valorise. Dans ce monde-là, un homme et une femme. Pas très souvent côte à côte. La plupart du temps séparés. Éloignés l’un de l’autre. Mais très proches par la force de l’amour qui les lie et les relie. Qui les unit et les réunit. Très proches, mon fils. Tu veux certainement savoir à quoi ils ressemblent ? Tiens, j’ai une photo. Regarde les ! Leur corps irradie une mosaïque de lumières : bleue, verte, rouge, violette, oranger, or, argentée. Des lumières qui fusent. Qui se donnent à la lumière de la lune qui peu à peu installe son orchestre et tout son matériel de réjouissances. Et que la fête commence ! Que les tambours battent leur plein ! Que les musiques emplissent les coeurs privés d’amour et de tendresse !

Retrouvailles ! L’image de la vie et ses infinies ouvertures sur des possibles en attente de devenir.

Retrouvailles ! La rencontre de deux êtres qui se cherchent et se recherchent. Suspendus à l’orée d’un Eden où la vie tournoie. Trébuche. Virevolte. Avance. Se fait de plus en plus imposante. Se glisse hors de son antre pour s’égarer dans l’écho du vent qui souffle aux quatre coins du monde.

Retrouvailles ! Le lieu où l’Amour court en toute liberté frapper aux portes closes afin de les ouvrir à la Lumière qui s’acharne à envahir l’espace de ses désirs expansionnistes. Bénissons cette protection contre les forces du mal ! Ce Sirius, mon fils, n’est pas tout puissant. Là-haut. En bas. Dans les cieux. Dans les nuages. Au fonds des mers et des océans, des êtres aux origines mystérieuses guettent. Et lorsque Sirius prépare un plan de destruction, ils accourent vers Rajoul wa Imrââ afin de les informer du complot. C’est alors que chacun de son côté, quitte son havre de paix et de sérénité pour revenir sur terre et ensemble, barrer la route à Sirius et compagnie. Mon fils, le savais-tu ? Rajoul wa Imrââ sont les parents de Sirius.

— Que me dis-tu là ? Sirius le fils de Rajoul wa Imrââ ? Tu es sérieuse ? Oh ! Ma petite maman ! Beaucoup d’imagination ! Tu devrais écrire un roman !

— (Rires) Je suis sérieuse. Je ne te raconte pas d’histoires. Il est leur fils aîné. Il leur a échappé avant même qu’il ne soit conçu. Au moment où le spermatozoïde et un ovule allaient faire la fête, le grand-père de Sirius connu pour ses compétences maléfiques, s’est emparé de l’œuf. Kidnapping sans rançon. En fait, il s’agit d’un vol d’enfant en pré-gestation. Il voulait remplacer l’enfant mort-né disparu dans les flots de la tempête que Dieu envoya sur l’Univers pour punir les hommes et les femmes de leur engloutissement dans le néant. Tu vois, cette photo est très récente. Elle doit dater d’hier. Oui. C’était bien hier que l’arc en ciel avait occupé le ciel pendant de très longues heures ? Hein ! Nous étions heureux. Te rappelles-tu ? Nous étions devenus multicolores. Les reflets de ces couleurs irradiaient nos visages. La présence de Rajoul wa Imrââ avait envahi mon corps, ma tête. Je savais que le mal avait été vaincu. Vaincu non pas par les armes et la violence mais par leur présence. Tout simplement. Que Dieu te protège mon fils ! « Khamsa fi aïn Sirius »3 et toute sa fratrie. « Et cinq dans les yeux » du démon qui nourrit sa haine ! Que le Saint du Saint de notre belle ville éloigne à jamais de toi tous les mauvais êtres qui avancent en rampant. Sans faire de bruit. En silence. Lentement. Insidieusement. Que la main de ma main les retienne prisonniers pour toute l’éternité. Que l’arrière main de mon père les empêche d’escalader les montagnes et de déverser sur nous leur venin empoisonné. Que ta main, mon fils, se retourne sept fois avant de tourner le dos au froid qui a envahi les cœurs et construit une baraque en bois. Question de développement durable, crie-t-il à qui veut bien l’entendre. Que la main de ton père prenne la tienne et, main dans la main, vous irez fièrement marcher sur la grande route et affronter les forces du mal qui guettent, regardent, observent, menacent au point de vouloir attaquer. Conjure le mauvais sort, mon fils ! Tiens ! Prend ! Une amulette confectionnée de la main de Rajoul wa Imrââ. Portes-la à ton cou, mon fils. Et lorsque la peur envahira ton cœur, prends la de ta main droite et pose la dans ta main gauche. Ouvres-la. Un texte dansera sous tes yeux pétillants de joie. De bonheur et d’amour. Un texte dont le Verbe résonnera en toi comme une révélation qui hantera tes sens et guidera tes pas. Ce texte, lis-le mon fils. Lis-le sept fois. Sept fois à droite. Sept fois à gauche. Il paraît que ces mots ont le pouvoir d’éloigner les esprits les plus maléfiques, les plus réfractaires, les plus rebelles. Il paraît qu’ils effacent les peurs d’un revers de la manche. Il paraît qu’ils soignent les maux les plus incurables. Il paraît qu’ils sèment la paix là où il n’y a que la guerre. Il paraît qu’ils cultivent du blé là où douze mois sur douze il ne fait que sécheresse. Là où toutes les minutes un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept huit, neuf, dix… des personnes rendent l’âme à force de ne point avoir mangé. Oui. Sans nourriture pendant toute une vie. Lis ! Lis ! Mon fils. Et lorsque tu n’auras plus de souffle, tu « agiras ». Tu « risqueras ». « Tu vivras ». Encore et encore. Éternellement, mon fils car

 

Il meurt lentement

celui qui devient esclave de l’habitude

refaisant tous les jours les mêmes chemins,

celui qui ne change jamais de repère,

ne se risque jamais à changer la couleur de ses vêtements

ou qui ne parle jamais à un inconnu.

Il meurt lentement

celui qui ne change pas de cap lorsqu’il est malheureux au travail ou en amour,

celui qui ne prend pas de risques

pour réaliser ses rêves,

celui qui, pas une seule fois dans sa vie, n’a fui les conseils sensés.

 

Vis maintenant !

Risque-toi aujourd’hui !

Agis tout de suite !

Ne te laisse pas mourir lentement !

Ne te prive pas d’être heureux !

 

— Au nom de cette belle poésie, tu liras, au nom de la Connaissance et de l’Érudition. Tu liras pour que Lumière tu sois, mon fils ! Au nom de tout ce qui nous entoure et nous fait exister, tu vivras, mon fils ! Hier. Aujourd’hui. Et demain.

— Ce qui me reste à faire, c’est grandir vite, très vite pour pouvoir comprendre le langage énigmatique et mystérieux des adultes.

 

 

Notes :

1 – Chanson du groupe Ozone (Moldavie).

2 – « Rajoul wa Imrââ », langue arabe, signifie « homme et femme ».

3 – « Khamsa », langue arabe, signifie « cinq ». « Khamsa fi aïnek » qui signifie « Cinq dans tes yeux », est une expression invoquée pour éloigner le mauvais œil et le mauvais sort.

4 – Extrait du poème Il se meurt lentement du poète chilien Pablo Neruda (1904-1973).

 

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