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Article publié le 14 avril 2010. oOo
Littérature et engagement
Stéphane Pucheu La question de l’engagement, en littérature, est une question récurrente qui varie selon les époques et leurs caractéristiques. Elle sous-tend, probablement, la visibilité de l’écrivain dans la société à laquelle il appartient. Les exemples de figures engagées abondent, le XXe siècle étant sans doute un temps paroxystique, et pour cause étant donné la solidité des idéologies, pour ne pas dire leur tyrannie. Une certaine partie du public et du lectorat est nostalgique de la figure classique de l’écrivain engagé, sans d’ailleurs avoir une définition très exacte de cette posture. Peut-être regrette-t-il cet ancien monde dominé par une pensée bipolaire - autrement dit l’affrontement américano-soviétique - en dehors de laquelle, soyons objectifs, il était fort difficile d’échapper. Tout de même, des écrivains, et non des moindres, tels que André Gide et Albert Camus n’étaient pas dupes et ont tenté de démontrer que l’on pouvait sortir du schéma idéologique sans pour autant se retirer du champ politique ... Dans le même contexte, Jean-Paul Sartre a représenté dans tout son fracas la figure de l’écrivain engagé, affichant ouvertement ses orientations politiques jusqu’à s’appuyer sur la littérature pour mettre en avant ses idées, appauvrissant du même coup l’intérêt littéraire de ses ouvrages. La fondation de l’existentialisme, par ailleurs, illustre à merveille le paradoxe particulier de ce véritable philosophe, qui n’était donc pas romancier ou, en termes encore plus clairs, un professionnel de la fiction. A l’inverse, Albert Camus était une icône qui a quelque peu modifié la figure de l’écrivain engagé, dans la mesure où ses orientations politiques, toujours éloignées des dogmes et des préjugés, n’ont jamais fait d’ombre à son talent d’écrivain, à l’originalité de ses fictions qui signifiaient un réel engagement littéraire, le moteur de son existence. Alain Robbe-Grillet, le chef de file du Nouveau roman, a tout simplement affirmé avec conviction son plein engagement dans la littérature, dans la prose, opérant une séparation constante et complète entre la politique et la littérature. L’impact des livres de ces trois derniers écrivains évoqués reflète précisément la nature de leur engagement : lorsqu’on parle de "L’Etranger" , lorsqu’on parle de "La Jalousie" , les réactions sont bien souvent plus vives et les souvenirs plus forts que lorsqu’on évoque "La Nausée", ce qui démontre le pouvoir unique de la fiction, et donc de l’engagement total dans ce registre. Si l’on fait un détour, maintenant, par la fin du XVllle siècle, l’oeuvre "Les liaisons dangereuses" de Choderlos de Laclos, alors officier de garnison et qui s’est mis à écrire lors de ses missions, a été vendue à Paris sous le manteau, quelques années avant la Révolution ... accompagnant largement celle-ci. Ainsi, une voie se détache avec évidence : l’engagement de l’écrivain doit se traduire tout entier dans son oeuvre. Et puis, de toutes les façons, une fiction finit toujours par avoir un sens politique, bâtie pour plaire et en vue d’un éventuel succès commercial - et donc sûrement lié au pouvoir établi - ou conçue sans raison apparente, si ce n’est sous l’effet d’une mystérieuse injonction ou d’une problématique invisible qui part d’une intention personnelle avant de se confronter au monde. |
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