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Article publié le 31 octobre 2009. oOo Il lui arrivait de ne pas être d’accord avec sa Muse. Elle lui inspirait alors des histoires pour la contredire, lui fouetter le sang, la faire réagir. Il se demandait toujours, écrivant en pensant intensément à elle, ce qu’elle penserait de son audace, mais il ne s’arrêtait jamais à penser qu’elle pourrait le désapprouver au point de l’abandonner pour un autre poète, aussi, c’est fort de ses désaccords avec elle qu’il écrivait non pas contre elle ni exactement pour elle, mais comme au-devant d’elle, dans l’espoir qu’elle aussi s’approcherait suffisamment de lui, pour voir que tous ses efforts d’écriture tendaient vers ce but ultime : la mieux comprendre pour ainsi se mieux comprendre lui-même dans ce désir qui l’animait de l’écouter lui révéler ce qui l’animait elle, quand elle fouillait le verbe être à la recherche d’une mesure qui leur fût commune. Il lui semblait en effet que lui seul détenait un secret qui ne pouvait se révéler qu’à elle dans l’énigme vivante qu’elle lui opposait fermement la nuit venue, énigme de l’étreinte, étreinte de l’énigme, qui ne pouvaient exister que dans le partage des vues, leur exposition solaire, leur flamboyance calme d’astres jumeaux, à cette nuance près, qu’alors elle et lui participaient pour quelques heures d’un secret impossible à saisir, mais qu’ils détenaient bel et bien, parce qu’il les tenait ensemble sous sa fascination. De cet ensemble composé d’elle et de lui sortirait-il jamais quelque brûlante vérité lancée tel un brûlot sur la foule hagarde ? C’était l’improbable même, voués qu’ils étaient tous les deux au secret le plus absolu. Ainsi, elle n’était pas l’astre du soir, cette lune sereine qui rayonnait dans la nuit, mémoire et reflet du soleil qu’il n’était pas pour elle. Dans un dernier élan qui se répétait chaque soir, il invitait sa Muse à prendre la plume à son tour, afin qu’elle écoutât elle aussi le grand murmure auquel il fallait bien qu’elle aussi participât de quelque façon. Cette muse de chair et de sang n’était pas son double d’ombre ou de lumière, l’image perfectionnée de lui-même, mais cet autre que lui-même qui, lui faisant face, l’amenait doucement, fermement vers l’accueil plein et entier d’une vérité chercheuse et errante aux multiples visages souriants ou grimaçants, peu lui importait. C’est dans le tain des eaux noires de leurs textes que se reflétait le mieux cette vérité qui prêtait à l’un le visage de l’autre devenu masque interchangeable, au point que ni lui ni elle ne savait à la tombée de la nuit qui il était. Singulier miroir qui n’acceptait de les refléter que dans la parfaite innocence de l’obscurité qu’ils devenaient l’un pour l’autre au moment de basculer dans le partage de l’énigme qui partage. Les tâches quotidiennes appelaient des décisions qui, ne concernant que l’un, ne pouvaient que toucher l’autre en plein cœur, quand elles venaient contrarier la naissance de ce cœur unique qu’ils appelaient de leurs vœux, mais dont chacun rêvait de son côté sans qu’ils parvinssent ensemble, d’un commun accord, à unir les déclinaisons de leurs efforts autrement qu’en cédant à ce branle qu’était la passion de l’écriture qui répare et qui sépare. |
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