Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Forum] [Contact e-mail]
Navigation
Les textes publiés dans les Goruriennes sont souvent extraits des livres du catalogue : brochés et ebooks chez Amazon.fr + Lecture intégrale en ligne gratuite sur le site www.patrickcintas.fr
Chanson d’Omero - [in "Cancionero español"]
I - Ode à Cézanne

[E-mail]
 Article publié le 14 septembre 2004.

oOo

I

Ode à Cézanne








L’AUTEUR - Cézanne, la question est de savoir
Comment tu as voulu qu’on se souvienne
De toi - ces chemins aujourd’hui
Disparus n’ont pas perpétué la trace
De tes pas à l’aventure du paysage.
Des touristes à la peau fragile
Ont investi les lieux et l’État
A installé ses terminaux dans une autre
Perspective - la disparition des traces
De pas affecte les photographies


Comme l’absence de voix nous habitue
À une lecture passive des vieux testaments.
Cézanne c’est à Paris, au Café Guerbois,
Que tu croisas tes contemporains mineurs,
Le promeneur infatigable Paul Guigou
Et l’inventeur de la brosse à peindre
Ce que le soleil de Provence recrée
À la surface du sol, Adolphe Monticelli.
Peu de promeneurs ont accompagné
Ton déplacement commencé chez Pissarro.


Se souvenir de toi c’est apprécier
La documentation photographique
Et les témoignages retardataires.
On voudrait savoir comment Manet
Et Courbet ont été touchés par
Tes premières toiles, l’Assassinat
Par exemple, sans doute le meilleur
Et le plus beau à la fois, cette maîtrise
Qui n’inspira pas le besogneux Zola
Mais qui te classa parmi les peintres


Par la seule force de la toile peinte.
Il n’aura pas suffi d’un roman
Peut-être triste pour te réduire
Au personnage et à l’intrigue.
Nul texte n’approchera d’assez près
Le cercle infini de tes rectangles.
Peintre de la leçon donnée à la peinture
Plus qu’à des peintres qui n’ont pas
Ta photogénie, tu ne dispensas pas
L’enseignement ni la critique, seuls


Les nez en barreaux de chaise illustraient
Ta patience de bachelier. Comment un ami
Aussi proche que Zola n’a-t-il pas
Saisi au vol l’exigence de ta langue ?
Que se passe-t-il à chaque fois qu’un enfant
Se livre à des démonstrations de différence ?
Pourquoi n’y a-t-il pas toujours un ami,
À défaut de père, pour faciliter les introductions
Dans ce monde si peu fait pour l’enfance
Et ce qu’elle invente au seuil de l’âge ?


Se souvenir de toi est un effort surnaturel.
Ton dos chargé du maigre fardeau, ton chevalet
De bambou (j’imagine), tes godasses qui sentent
Et ta chemise doublée d’aiguilles de pins,
L’arsenal complet du provençal qui a vu
Paris et les environs de Paris, les villages
Porteurs de la lumière et les toits qui témoignent
De la vie, gris ou rouges, bleus quelquefois
Comme un étang, pans plans de l’oblique
Nécessaires à tout regard porté comme l’ombre


Sur le principe de l’intersection géométrique.
Toute la peinture occidentale gisait à tes pieds
D’enfant. Beau musée des gravures qu’on tourne
Comme des pages. Il t’arrivait peut-être
De les comparer avec ce que tout le monde
Pouvait voir en même temps que toi, depuis
Le même degré, les mollets glissant
Sur la contremarche servant d’appui
À ton équilibre précaire, et des oiseaux
Que tu ne peignis jamais malgré une existence


De peuplement têtu, gravissaient la pente
En même temps. Concordance des temps vécus
À proximité du génie, pourquoi ne savent-ils
Pas reconnaître ? Pourquoi leurs reconnaissances
Se limitent-elles à l’acquisition des valeurs
Sûres ? Mais que savais-tu toi-même
De ce qui restait à franchir pour devenir
Ce que tu étais en puissance ? Cette enfance
Confiée aux édiles, point commun des français,
Est l’enfer dont il faut tirer le bonheur


Ou à défaut de bonheur la joie de l’instant
Et ta future peinture n’était que du temps
Mais pas celui qu’on passe ou qu’on retrouve
Après l’avoir cherché, - ce temps arrivait
Comme une bourrasque de juillet dans les pins,
Porteuse des agglomérats formés au sol
Par d’autres tournoiements dont il est
Raisonnable de penser que tu étais
L’origine et la conséquence. Se souvenir
De toi tel que tu aurais voulu te voir


Dans nos yeux éternels, c’est reconnaître
Le fil de ce temps qui ressemble de si près
Au paysage, à la nature morte et aux nus
Qui reconstruisent ta pensée à ta place
Maintenant que tu jouis d’une existence
De musée et de collections privées.
Au Grand Palais en 1978 j’ai pu comparer
Les versions de tes baigneuses et j’ai appris
Ce que c’était une version, promesse
De n’en plus confondre les enseignements


Avec ce que les variations camouflent
De prétentions à l’exactitude. Caressant
Tes rêves, nous étions libres de nous arrêter
Malgré l’affluence et des gens couraient
Entre les statues de Maillol pour venir
Te regarder tel que tu avais existé
Pour tes proches qui ne surent pas à temps
Devenir tes contemporains. Proximité
Des familles à l’heure de retourner
Aux travaux exemplaires qui consolident


Les liens. Mon père évoquait Xavier de Langlais
En effleurant tes toiles d’un regard
De connivence ou de circonstance, comment
Savoir ce qui se passe dans la tête
De ces admirateurs venus de loin
Pour se frotter à tes surfaces fatiguées ?
Pourtant ta pendule a conservé sa fraîcheur
Hollandaise et ton assassin est exemplaire,
De même que ta neige fondant à l’Estaque
Et tes personnages sans regard, tout en mains.


Nous nous fréquentions sans doute
Pour la première fois, empruntant les mêmes
Allées peuplées ou bornées par tes existences,
Forts de notre mémoire et capables
De reconnaître les détails révélés
Dans les musées de nos bibliothèques.
Ici un rehaut que la photocomposition
Signalait par un excès de clarté, là
L’existence d’ombres travaillées au coeur
De l’ombre elle-même. Quel savoir-faire !


Les thermomètres et les capteurs gracieux
De l’humidité ambiante composaient dans
La discrétion des objets rapportés
Pour la circonstance. Des regards
Nous suivaient avec cette autre discrétion
De rajout. La soif me torturait et le poids
Du catalogue cher payé m’imposait des haltes
Sommaires qui m’interdisaient de pénétrer
Au-delà de tes accidents polymères.
Tu ne ressemblais pas à tes musées


Mais personne ne songea à te le reprocher.
Ici, la déification est un principe
Physique d’importance. Mais tu appartenais
Aux Russes et aux Américains plus
Qu’à ta Provence conquise par la langue
Nationale. Aucune révolte sur ces visages.
Simplement le bonheur, la conscience claire
Du tourisme parisien. L’air entrait en nous
Comme dans les moulins de tes promenades.
Nous n’avions rien à dire et tout à donner


Maintenant que nous avions vu ce que personne
Ne pourrait jamais nous arracher. Je doute
Que Picasso ou Matisse n’atteignent jamais
Nos centres épileptiques avec cette précision
D’anode. Nous savons qui est qui. Dehors,
On revenait de l’expo avec des commentaires
D’enfant séduit par le sommeil réparateur
Des circonstances, à fleur des travaux
Des champs, exhibant des mains savantes
De voyeurs et des lèvres passées au fil


D’une histoire qui ne s’achève pas comme
Les régimes politiques ou les gloires
Cinématographiques. Des quais plantés
De réverbères s’allumèrent. Les péniches
De la Seine transportaient de l’uranium
Et au partage des eaux on finissait
De raconter ton histoire de dessin
Et de couleur appliquées à la surface
Dans la nette intention de changer
Le regard et les conditions de l’oeil.


Je pouvais voir l’énergie nucléaire
De la lumière tournoyante des quais
Traversés de phares. Paris bourdonnait
Comme une ruche dont on cherche la Reine.
Les gens s’attardaient sur les ponts
Pour respirer encore l’air d’une autre
Époque. J’imaginais les contrôles précis
De l’humidité et de la température
Que nous venions de changer. Le temps
Du pont Mirabeau n’était déjà plus


Le tien quand Apollinaire y pensa
En passant. L’Algérie du pétrole
N’avait pas tenu ses promesses. Fos
Non plus. Par contre les touristes
Creusaient des fosses pour leurs caravanes.
Ils pratiquaient des terrasses et plantaient
La végétation espagnole de leurs rêves.
Ils buvaient l’eau rare de nos bêtes.
Les mondes ne se mélangent pas aussi
Facilement que les teintes démontrant


L’infini de tes possibilités artistiques.
Mais ce n’est pas la nostalgie qui t’emporta.
Le vent contient les germes de notre mort.
Il érode le minéral, couche les plantes,
Change l’eau en vagues et nous emporte
D’un lieu à l’autre comme s’il s’agissait
De temps. Nos regards ne changeront pas
Les familles impériales qui t’exhibent
Comme une relique de leur propre histoire.
Nos yeux ne trouvent que le temps de les fermer.


Des hirondelles prenaient ce vent de face
Pour recommencer avec lui les tourmentes
Annoncées par la fraîcheur. Je remontais
Les chemins jaunes d’une contrée aux roches
Cassées verticalement. La maison d’Ochoa
Donne dans le canyon, vertige d’une fenêtre
Où je couche quelquefois quand la nuit
Nous surprend au bord d’un verre de trop.
Nos liquides se confondent dans les récits
Que le personnage recrée au fil du temps.


OMERO - Nous voici à Polopos, sous une façade de marbre
Blanc qu’on n’exploite plus depuis longtemps.
Une coulée menace les toits adjacents,
Griffure d’un instant, goutte de sang.
J’ai pensé à toi, Cézanne, en observant
Les blancs scorpions des oliviers.
Le miroitement est obsédant, l’ombre peuplée
D’attente, de puits, de lenteurs assouvies.
Un fruit rend une saveur chaude et l’oeil
Croise une infinité de possibilités graphiques.

Nous n’errons pas sur cette surface tangible
Comme un regard porté sur un bouquet de fleurs.
Nous avançons avec des précisons de langage
Que tu n’as pas connues. Le corps impose
D’autres contraintes. Sa beauté est en jeu.
Imagine notre existence depuis un siècle
Que tu n’es plus ce que tu deviendras.
Ces oliviers qui fréquentent des pins
Et des eucalyptus bornent encore nos rêves
D’hommes vécus avant de devenir les personnages

De nos romans de gare. Ce n’est plus
Une promenade d’un point à l’autre
De la connaissance des lieux. C’est
L’arrêt, le gisement, le creusement
Incessant, sur une échelle des points
De fuite que nous n’avons pas conçue
À cet effet. Résultat : nous visitons
Les lieux au lieu de les occuper mais
Comment occuper ne serait-ce qu’un instant
De ce qui appartient toujours à quelqu’un ?

En France les gendarmes posent des questions
Indiscrètes au dormeur des talus. Ici,
Pour l’instant, on peut encore s’endormir
Sans inquiéter les gardiens de notre sommeil
Civilisateur. Mais quelle est la limite
De cet infime pouvoir que nous possédons
Encore sur la fréquence du temps ?
Ils passent dans des 4X4 vert olive
L’oeil rivé sur les pousses de camomille.
Le berger ne soigne plus ses maux d’estomac.

En allant chez Ochoa pour acheter mon vin,
Je rencontre les promeneurs d’enfants
Étourdis par le soleil. Les fontaines
Les éblouissent quand ils s’en approchent.
Des paysans silencieux surveillent le fil
D’eau claire qui entre dans les bouteilles
De plastique. Je n’avais jamais vu autant
D’oiseaux au-dessus de nos têtes. Le chemin
Redescend derrière le cimetière où j’ai
Mes entrées génétiques, clé des songes.

Je pensais à toi en constatant l’ascendance
Du pin sur l’olivier. Leur obliquité
Les rejoint quelque part dans la complexité
Du bleu. Après la construction du barrage,
Ils ont jeté un pont par-dessus la vieille
Route aujourd’hui envahie de fenouil
Et de blancs cailloux de la taille d’un oeuf.
De l’autre côté, une hacienda s’entoure
De noirs palmiers immobiles et des murs roses
Renvoient leur ombre agitée d’animaux.

Le pont est inachevé, un pont en arc
Aux équerres touffues, et les traces
Des chevaux forment un 8 autour d’un pilier
Où les oiseaux se posent pour se chamailler.
Ayant trempé mes bras jusqu’à l’épaule
Dans l’eau d’une fontaine, je remonte
Et un instant m’égare au seuil de l’ombre
Que les adelphes illuminent de roses
Et de blanc. La pierre exhibe ses blessures
Nocturnes, crachat d’ocre et coulures

Du fer dans des vases de granit vert.
Glissement d’un être dans les roseaux,
Sa cassure aux angles, son cri retenu,
Sa discrétion de survivant, sa dimension.
Des enfants m’observaient en guetteurs
Fatigués des découvertes de l’enfance
Sur les traces de l’âge, regard d’un visage
Réduit à sa couleur. On entendait
Le commentaire fleuve des pilotes.
Quelle enfance voyage au bout de la vie,

O barcasse de papier ? Leurs petits chiens
Sentent le drap de lit et le parquet
Des bahuts. Un jour, un homme furieux
Balança son père hors de la maison.
Arrête ! cria le vieux. Arrête ! Moi
Je n’ai jamais balancé mon père plus loin que cet arbre !
Écrit Gertrude Stein pour commencer
D’écrire. Je n’ai jamais vu cet arbre
Mais nous n’avions pas de jardin, pas
De terre où hériter des arbres, rien

D’aussi précis que le décor romanesque
De cette anecdote. Ces enfants me regardaient
Avec des yeux d’habitants des seuils,
Ils vivaient avec des chats tranquilles
Et le chien menaçait de ne plus retrouver
Son chemin si on allait trop loin. Enfants
Sommaires du Code Civil et des arrangements
Bibliques. Leurs gouaches ne valaient pas
Tripette mais ils avaient "compris" la leçon.
O maîtres de nos profondeurs psychologiques,

Que ne devons-nous à vos applications d’encre
Violette et à la bille fantasque de vos plumes !
Il fallait que vous leviez la tête au passage
Des arbres pour vérifier que nous n’y étions pas.
Nous étions plus haut, dans les niches des falaises,
Avec des traces préhistoriques sous la main
Et des histoires de marin dans l’imagination.
Vous n’avez rien deviné de cette attente.
Vous vous attendiez à changer le destin
Et vous auriez faibli s’il avait changé.

Nous avons guetté ces signes de faiblesse
Mais la vie n’a pas changé non plus
Et nous sommes de nouveau l’enfant
Que nous croisons dans un autre voyage,
Celui du recroquevillement poétique,
Le voyage de la surface aux profondeurs
Verbales, océan des mythes revisités
Et de la fable qui s’impose comme une passante
À l’attention de ceux qui se sont arrêtés
Pour attendre ce qui va se passer d’inattendu

Et d’arable. Poursuivant mon chemin,
Je rencontre de vieux monstres d’acier
Couchés ou encore dressés comme des vivants
Au travail de la terre blessée. Les poulies
Et les treuils, les engrenages, les paliers
Sont arrêtés aux angles morts des poutres
Composant les habitants du décor, carrière
D’argile aux fossiles brisés et des insectes
Tournoient dans cette rouille et ces éclats
De peinture. Plus haut la concasseuse

Impose une ombre blanche à la pente
Et la route s’achève en cassure d’os.
Un vieil Anglais remonte à grand peine
Des ébauches de visages endormis
Comme des dieux fatigués d’avoir vécu
Aux limites de l’imagination des peuples.
Salut à l’Anglais aux mains calleuses
Et à son odeur de gin et de citron.
Demain ses statues recomposées
Se multiplieront dans les miroirs des murs.

Des chenilles surgies de la terre jaune abritent
Les petits animaux de l’attente. Un chapeau
De tôle jette de l’ombre sur des caisses vidées.
Cette accumulation De détails n’est pas la profondeur
Ni la surface. S’agit-il de l’attente ? Les museaux
Gris paraissent aux créneaux et s’agitent.
Une photographie trouverait les plans
Successifs et les retiendrait tous
Au lieu des deux ou trois qui fondent
La perspective des tableaux de peinture.

C’est l’attente tout simplement,
La vigilance croissante de l’homme moderne,
Sa circularité mentale, la vitesse acquise
À force de mouvement linéaire courbe.
L’acier ne contient pas le soleil
Et ses écailles de rouille et de peinture
Rejoignent la terre concassée sans histoire,
Sans cette infime parcelle de temps
Qui trompe l’attente pour donner l’écriture.
L’AUTEUR - Nous sommes à Polopos, à l’équerre

De la montagne Sainte-Geneviève
Et du chemin de bois du Château-Noir
(1895-1900). Ta lenteur légendaire
Trouve ici aussi sa justification.
Les mêmes touristes s’abandonnent ensemble
À l’inconsistance de la réalité comparée
À tes incursions. Des arrachements crispent
La roche descendant dans le lit déserté
De la rivière. On hésite entre la géologie
Du regard et les désirs de paysage.


La langue même s’en prend aux descriptions
À la fois de l’imprimerie où des protes
De la couleur et des rehauts agissent
En pédagogues de l’histoire et du destin,
Et des salles climatisées où tes pigments
Luttent contre la polymérisation interminable
Et les abus de matière volatile. Langue du feu
Appliquée à des existences si transparentes
Que le reflet est impensable. Langue
Des retrouvailles et non pas de la rencontre.


En 1978 tes aquarelles bornaient ta pensée
Heureusement. Ma propre pensée n’a plus à lutter
Avec les arrangements héliographiques.
Depuis, je sais où tu allais et comment
Cela t’est arrivé : entre le vernis
De ton gigot de 1865-67, cette présence
De l’Espagne de Goya et de la Hollande
De Rembrandt, et les aquarelles du début
Du XXe siècle : rien de mesurable, l’infini,
Son contraire et son point zéro sur la ligne.


Infini pur, celui du regard parce que la parole
Est silence et que la musique est une approche
Des circonstances exactes de ton rendez-vous
Avec l’enfant. Zola aima-t-il ta pendule
De copal ? Que reste-t-il de ce qui fut
Sans doute la pire des attentes comparée
À ce qui dut passer sans rien attendre
Que le désir, ce père d’à côté, cette présence
Qui rendait possible ou impossible
Mais qui n’empêcha pas, qui ne détruisit rien ?


Qui apprécia le fait que tu étais peintre
Et que tu étais destiné à le rester malgré
Les injures du temps ? Comment notre pensée
Est-elle à ce point capable de renoncer
Aux exigences du prote ? Pas tout le monde,
Certes, mais un nombre croissant de spectateurs
Arrêtés comme tu aurais détesté qu’on s’arrêtât
Derrière toi pour lire par-dessus ton épaule
L’ébauche infinie et la lenteur tachycardiaque
De ton corps en posture d’exigence absolue.


Pudeur, secret jalousement gardé ou simplement
Irritation causée par la présence d’un autre
Qui ne peut-être qu’un passant, une trace
D’escargot causant la désynchronisation
Durable de tes rythmes biologiques ?
Nous ne savons rien de tes oscillateurs.
Et pourtant nous recréons le personnage
Comme si nos connaissances de l’esprit
Relevaient d’une science de l’homme
Nettement distincte des croyances.


Que savais-tu toi-même de Dieu, donateur
Du fond de tes poches ? Quelle influence
Avait-il sur ton idée de la nature ?
Sur quel chemin rejoins-tu pourtant
Le marquis de Sade ? Ce n’est donc pas
Sur ce fond de pensée que croissent
Les nouvelles formes, les formes trouvées
Par l’exploration systématique des formes.
Face à l’oeuvre en cours d’achèvement,
Il ne serait plus question de philosopher


Et donc d’apprendre à mourir ? Il s’agirait
D’exister comme nous n’avons jamais existé.
L’art est devenu alors si proche de la vie
Que la matière, écriture tangible jusqu’à
La souffrance, se propose à des exigences
De l’attente, l’attente que je cherchais
Sur ces visages rayonnants d’admiration
À Paris, un jour d’expo au Grand-palais,
(1978) sous l’oeil lointain et caressant
Des femmes rondes et lisses de Maillol.


Nous étions enclins à des injections
Dont nous ne connaissions pas toutes
Les hypothèses. Comment ne pas enfin
Absorber les cristaux liquides
De nos découvertes tangentes à l’art ?
Comment, disions-nous, et non pas pourquoi ?
Comment ne pas s’arrêter pour ne plus attendre
Ce qui n’arrive pas aussi facilement
Que la date prévue ? Aux terrasses des cafés,
J’observais ce bonheur, le discours


Au bonheur, le fil de la conversation
Dans la clarté sommaire des liquides
Et des coulées de sucre, les fragrances
Qui reviennent au temps comme le vent
Retourne aux sommets après avoir tourmenté
Les toitures tranquilles de nos vallées.
Un photographe pourchassait un animal
Inattendu dans cette intrication
D’arrêts. Un portraitiste commençait
Par l’oeil puis trouvait le contour


D’un visage par noircissement appliqué
De la surface l’entourant théoriquement
Sur le papier tenu obliquement dans la lumière
Blanche. Comment ne pas penser alors
Que tout a commencé par cette lumière ?
Il y avait belle lurette que les musiciens
Savaient tout de la résonance naturelle.
Peintres, vous ne connaissiez que le théâtre
De votre art, de la perspective à l’effet
De trou. Rien sur la nature même de cet art


Si universel, si pratiqué, si partagé.
Il a fallu que le monde change pour que
L’expérience pousse les hommes à s’observer
De nuit comme de jour. La division
De la lumière était probable par affinité
Avec la résonance. L’alchimiste Chevreul
Donna une couleur à la lumière de la matière
Et par conséquent à l’ombre de vos visions.
Et voici la peinture en harmonie avec la musique,
Voilà ce qui a changé les temps modernes


Et non pas cette accumulation d’hypothèses
Qui toutes se rejoignent dans le rite
Et par conséquent dans l’imitation aveugle.
L’arbitraire est le propre des sentences.
Rien ici ne coupe à cette évidence
Et nos connaissances sont entachées
De valeurs morales qui favorisent
Le retour des religions sur la scène
Et nos actions périssent lamentablement
Dans des constructions esthétiques


Difficilement contestables sinon moralement.
Ton intuition et ta connaissance du dessin
Ont approché les mécanismes de la jouissance
Avec une précision qui vérifie le jeu
Des perceptions et des inhibitions.
Quel musicien, sinon par tempérament,
A exécuté ce saut périlleux dans l’air
Que nous respirons en même temps que la langue ?
Quel poète, dépourvu de théorie et surtout
D’instrument de mesure appliqué au désir,


A atteint ce pouvoir de description
Qui rend l’achèvement non pas impossible
Mais inutile même comme perspective.
Même le temps en prend pour son aile.
C’est l’attente, le nourrissement
Interminable, la posture définitive
De l’esprit bourgeoisement enclin
À des sorties parallèles et les chemins
Ressemblent aux chemins comme les mains
Ne se distinguent que par leur actes.


Nous n’avons rien trouvé sur la langue.
Il n’y a peut-être rien sur la langue
Aux usages si divers et si dissemblables,
Jusqu’à l’étrangeté du propos des poètes,
En commençant par les intimes convictions
Et les usages indiscutables de nos protes.
Pas étonnant que la littérature t’atteigne
En plein coeur ! Mais de la part d’un ami,
Est-ce bien de la littérature, ce roman ?
Dire qu’il n’y a rien sur le génie de l’enfant !


Se souvenir de toi c’est te voir debout
Devant un chevalet dressé dans la nature.
Peinture d’homme à la surface de la femme.
Quelle femme eût pu aimer un homme
De ta vigueur ? Même ton fils dénaturé
Ne te ressemblait pas. Quel génie
Eût éclairé les petits chemins rapides
D’une enfance vouée à l’admiration
De ton propre père ? Je ne veux pas me mêler
De ce qui ne me regarde pas mais enfin,


Comme tu t’es accroché à cette ténuité !
Et me voici une fois de plus sous le soleil
De Polopos, montant pour aller chercher
Le vin de mon ennui, pensant à toi
Comme si je n’avais jamais réussi
À te faire exister en biographe zélé.
Les lauriers roses sont blancs comme
Les neiges du mont Mulhacén et des traces
De lièvres m’ont un peu égaré dans ce lit
De roches et de terre craquelée comme


La moindre de tes peintures. Des enfants
Buvaient comme des chevreaux ne voyant pas
Le crapaud discret des roseaux et le merle
Des branches calcinées. Comment voir
Ce qui n’existe qu’à la condition
De lui accorder toute l’importance
D’un personnage enclin à l’écriture ?
Que voyais-tu que Zola ne voyait pas ?
Des filles invitaient au repos
Comme sur ces berges déchirées


Par l’accroissement des orages après l’été.
Des filles qu’on habille pour les dénuder
Sans qu’il soit question d’amour
Mais de chair ou plus exactement de corps.
À moins d’en peindre les pures apparences,
D’en recueillir la géométrie sexuelle
Par soumission aux données du tableau.
Elle filait comme la seule existence,
En l’absence totale de lit à la place de l’herbe
Empruntée à la tradition de la pose.


Se souvenir d’Hortense en croisant les femmes
De ce pays qui ressemble à ta culture.

OMERO - Une hirondelle brise les lois chimiques
De l’air saturé de cris d’enfants et l’eau
Éclabousse le visage de la fille rieuse
Qui se mouille comme le ciel se grise
D’appartenances chaudes. Des petits cailloux
Ont perdu l’équilibre et les rejoignent
Au bord de la fontaine dont les briques
Absorbent tandis que l’émail autorise

Les coulures. La femme est penchée
Sur la chevelure qui s’amenuise
Et l’homme consent à rire au bord
Du même angle d’ocre calciné. Clinkers
Des yeux. Les oiseaux reculent encore
Et l’âne retourne dans l’aire de battage.
Je m’éloignais d’eux comme on s’active
Au contact de l’animal indésirable
En ce moment d’observation immobile
L’AUTEUR - Comme tes tableaux que je pensais,

En 1978, à Paris, oublier comme le pain
Des après-midi passées avec la femme.
Je n’expliquais pas mon retour aux visages
Autrement que par la nécessité de finir
L’infini des possibilités au lieu d’achever
L’oeuvre ou ce qui est une approche des travaux
Que l’esprit s’est proposé de donner
En exemple d’exemple. Visages dialoguant
Au fil des terrasses sur le même plan
Que le fleuve qu’on vient de souhaiter


Aux noyés. Une péniche grouillait comme
Un chalutier à la levée. Ils aiment les lampions
Et les tournoiements que l’homme implique
À la femme comme s’il devait s’en différencier.
Je n’entendais pas l’orchestre ni la voix
Qui charmait en marge du rythme. L’eau
Décrivait le voyage entrepris à l’aube
Des temps modernes, revenant sous la robe
D’un pont où des barques noires dissimulaient
Les véritables intentions du citadin.


De quoi revient-on quand on revient inquiet ?
Monet trouvait des apparences d’infini
À l’endroit même où tu renouais avec
Le fonctionnement des mécanismes sensoriels.
Degrés des couleurs, limites des formes,
Succession des plans, tu facilitais
Le chemin qui encercle les voyages
De l’homme au bout du monde que l’homme
A déjà atteint sans explication convaincante
De la part des chercheurs du voyage.


Tu flattais la science des physiciens
Avec des appétits d’homme cultivé dans le Sud.
Pendant ce temps l’alchimiste Chevreul
Se donnait à Nadar et à l’éternité,
Mauvais visage de la vieillesse encline
À des postérités nationales. Que jamais
Nos protes ne songent à vous soumettre
À l’omniprésence de ce coeur fossile
Qui nous hante comme langue morte
Et terre de l’échec prosodique.


Rue Saint-Jacques je piaillais du Verlaine
Aux murs répercutant d’autres circulations,
Mais en vitesse parce que le temps me pressait
De me rendre à un sommeil bien mérité,
Le sommeil des visiteurs marqués à jamais
Par cette nécessité de se demander comment
Tu eus souhaité qu’on se souvienne de toi.
Était-ce seulement le temps comme il passe
Sous le pont Mirabeau ou dans les veines
Des personnages de Proust ? Temps bien fragile


En comparaison de ton immobilité de chose
Définitive. Avec le temps va tout s’en va
Chante Ferré à l’autre bout de la poésie
Nationale - comme si l’éternité pouvait
Affecter les monuments nationaux ou qu’elle fût
Presque dérangée par la netteté indiscutable
D’une pensée qui n’a rien donné aux simplifications
Et moins encore aux choses simples qu’on goûte
Quelquefois avec une hâte de passant
Qui n’a pas compris la leçon du promeneur.


Se souvenir du personnage qui n’a pas connu
La faim, qu’on n’a pas pourchassé ni
Enfermé le temps de s’imprégner d’autres
Cavales moins justifiées et l’esprit
Se retourne comme un corps à la recherche
De ce qu’il vient juste de quitter,
Cette fraîcheur de classique véritable
Que tu partages, en ce siècle des fées,
Avec le seul écrivain qui eût apprécié
Ta petite attente de fils à papa : Sade.


Te servis-tu un jour de tes poings
À l’occasion d’une rencontre fortuite ?
As-tu jamais corrigé l’enfant qui hantait
Ta ressemblance ? Hortense comprit-elle
Les données de sa présence parmi tes objets
Du regard ? Comment se souvenir de toi
Si tu cesses d’imposer ta minutie légendaire ?
Rue Soufflot je crachais dans la rigole
Avec l’accent rimbaldien de la décennie.

OMERO - D’un cri, me voici à Polopos avec des enfants

Que je n’ai pas donnés à cette terre ingrate.
Ils jouaient avec l’eau de nos bêtes, l’eau
Chère à nos attentes de gardiens de troupeaux.
Ma houlette accroche la lumière comme le strass.
Je suis ce personnage agile, sac à vin
Et masturbateur intranquille, Omero
L’innommable, l’homme inqualifiable,
Suppôt de l’attente et bertsulari vacant
Au pays des jarchas et du cante jondo.
Toutes les femmes ont assisté à mon érection

Et aucune n’a voulu de mon sommeil agité.
Les vignes d’Ochoa ont inspiré ma chanson
Comme le pain s’accroît de l’enfance.
Ici je me souviens que j’ai connu Cézanne
À une époque où Paris était à la portée
De ma voix. Plus pauvre et carrément seul,
Je suis revenu pour ne plus repartir
Et me voici à Polopos en plein soleil
Bleu des murs et ocre de la terre des jardins
Où l’homme partage son eau avec ses bêtes

Tandis que les familles amènent des enfants
Et les nourrissent de reliques si vieilles
Qu’elles n’ont plus de nom à donner à l’homme
Ou à la femme qui en hérita. Se souvenir de toi,
Avec ou sans l’aide de l’assonance,
Est un exercice de la voix en plein soleil,
Et mon vin donne à ma peau l’odeur de l’attente
Qui sent un peu l’ail comme la mort.
Me voici victime du premier ravissement
Que la vie accorde quelquefois au praticien.

Nous n’allons jamais bien loin quand
Nous n’allons nulle part et c’est ce qui m’arrive
Comme cela n’arrivera jamais à ces enfants
Que je reconnais comme si la femme avait été mienne
Avant de n’appartenir qu’à elle-même.
L’homme désigne ma gourde, proximité
Sommaire que je ne citerai pas en exemple
Si on me demande d’être moi-même une fois
De plus sur la scène des représentations
Territoriales. Gourde vide et phallus prospère,

Facilité aussi pour l’improvisation qui me vaut
La gratuité du vin et le bas prix de l’hygiène.
Les femmes reconnaissent facilement l’homme seul.
L’AUTEUR - Et sur la trace d’un lièvre plus rapide que moi,
Je retrouve les sensations de l’enfant
S’éloignant du château d’Abadie d’Arrast
À Hendaye (Eskual Herria). La mer ravageait
La roche jusqu’à ces effondrements de verre
Dont personne ne fut jamais le témoin
Pas même moi et pourtant j’ai attendu


Devant les signes annonciateurs, brèches
Revisitées en rappel, les pieds au mur
Et l’oeil attentif aux différences
Toujours révélatrices d’un fossile.
Ces spirales nous fascinaient et l’éclat
Incontestable d’une pointe de flèche
Comparée au mirage bien compréhensible
Provoqué par les gisements en ruban
De la pyrite. Ascension et descente
Suggéraient une égale montée en puissance.


Voici les premiers murs de Polopos
La bien nommée. L’herbe signale l’asperge
Ou l’escargot endormi. Des scarabées
Surgissent du néant, déployant des signaux
De forge. Un oiseau se tait dans le bleu
Des murs et des poutres mesurent en paix
Le degré d’effondrement atteint
Par cette absence d’homme. Les enfants
Finissent de boire et je les vois monter
Vers les grenadiers dont Ochoa le mal nommé


N’est pas jaloux. Les voici au plaisir
De la chair végétale, la connaissant
Aujourd’hui pour l’oublier demain
Et l’oeil de leurs pilotes scrute
Des ombres improbables. L’âne d’Ochoa
Porte des lunettes. Riez en le voyant
Vous voir. Riez comme les petits enfants
Que vous êtes encore avant de n’être
Plus en mesure de retrouver l’enfance
Par le simple jeu de la tache et des contours.


Omero le gardien de troupeau, agneau
Entre les agneaux, montait vers la maison
D’Ochoa pour y trouver le vin de son repos.

OMERO - Pas de repos sans vin et pas de vin
Sans une Ode au vin et mon Ode à Cézanne
N’intéresse personne quand j’ai soif.
Je trouvais les mots à fleur de la terre.
L’AUTEUR - La palabra es sangre. En quelle année
Ai-je vu Caroline Carlson dans l’improvisation
De la femme aux prises avec la vie


Terrestre ? Ses pantalons décrivaient
Les graphes d’une attente cézannienne.
Belles mains dans les complexités
De l’espace chorégraphique. Nous buvions
Déjà. Nous retrouvions des rues si lentes
Que l’esprit y perdait ces chemins
De hallage. Lourds chevaux à l’aurore
D’une vie propice aux égarements
Sentimentaux. La Seine miroitait
Sous les ponts. Nous attendions peut-être.


Mais le temps n’était plus aux recherches
Facilement poétiques et psychologiques.
Nous avancions sans l’argent nécessaire
À la relative tranquillité de l’employé.
Le prix du papier avait doublé.
Nos efforts n’avaient plus de sens.
Je commençais l’Ode à Cézanne en ces temps
De ralentissement. Seule la dette
S’accroissait de l’attente. Es-tu
À ce point pauvre que personne ne te lit ?


Carlson creusait sa tombe et Michaux
Se promenait dans les fossés de Vincennes.
Comment finit-on mal ? Avec la mort
Qu’il est difficile d’imaginer en détail
Ou avec la vie qui annonce ses lendemains
Sous l’influence de la nuit ? La douleur
Est une habitude contractée dans la vitesse
D’exécution. Prévoyez la paralysie
Avant l’âge où les hommes ne seront plus
Des femmes et où les femmes n’enfanteront


Plus. Prévoyez une existence anthologique.
Vous aurez trop écrit ou vous n’aurez rien
Écrit du tout. Vous étiez ce personnage
Têtu ou cet autre qui s’abandonne au vin
Faute de femme pour accepter les raisons
D’une pareille situation littéraire.
Vous n’écrivez plus ? Vous écrivez toujours ?
OMERO - Je suis Omero et je bois le vin d’Ochoa
Le loup. Les femmes d’Ovidio connaissent
Ma chair comme si la chair de l’homme

Était à ce point facile à comprendre.
Je veux dire que jamais je ne parlerai
À la place des femmes pour me dire
L’AUTEUR - Ce que je ne veux pas entendre, Omero
Dont la parole est le sang même
Qu’il retrouve en quittant Paris
Un été de la décennie 70. Polopos
Est un paysage, une possibilité
D’attente, une croissance apparente
De ma connaissance des lieux et des hommes.


Vin innombrable des points communs
Avec ces vacances interminables ! Omero
Gardait les troupeaux en attendant
L’inspiration devenue la seule responsable
OMERO - De ce désastre existentiel. Je vous parle
D’une terre que j’extrais directement
De moi-même, sans ces intermédiaires
Conjugaux qui faussent les perspectives
Jusqu’à la profondeur. Je reproche à la vie
Ces détails accrocheurs du meilleur

Éclairage et voilà que je parle comme
Un photographe ! Omero photographie
Ce qu’il est venu peindre à l’imitation
De Paul Cézanne comme Paul Cézanne
Imita Poussin en des temps plus favorables
À la création poétique. Et Omero écrit
L’Ode au vin comme s’il s’agissait
D’une véritable improvisation et non pas
D’un calcul inspiré par la nuit.
Il n’y aura jamais d’Ode à Cézanne

Dans ce coeur fatigué au niveau de l’aorte.
Mes tableaux, je les peins aussi la nuit,
Quand vous dormez et les bêtes dorment
Du même sommeil biologique. Omero écrit
Et peint la nuit quand le vin devient
Moins exigeant. Omero connaît ces moments
Précis de l’exécution de l’oeuvre. Lantier
Fils de Gervaise, qui étais-tu exactement ?
Cézanne ou ce que Cézanne menaçait d’être
À force d’opiniâtreté ? La raison de Cézanne ?

On n’écrit pas impunément sur les autres.
On ne sort pas indemne de l’arbitraire
De la prose et moins encore des techniques
De narration. Si l’Ode au vin survit
À mon existence, je serais le vin des mots
Mais la palabra es sangre, sangre, sangre !
Je sais tout ce qu’il faut savoir avant
L’AUTEUR - D’écrire. Je ne sais rien du vin, Omero
Ne sait rien de ce qu’il boit avant
De donner à l’improvisation ce qu’elle mérite


De négligences et d’approximations, Omero
N’a jamais rien écrit sans l’influence
Du sang et des voyages, Omero écrirait
Une Ode à Cézanne si la femme le désirait
Mais la femme retenait ses enfants
En attendant que les bêtes s’écartent
De son chemin. L’homme observait les chiens
Et paraissait apprécier leur science.

OMERO - Dans ces moments, je deviens obséquieux
Sans inspirer aucune docilité de circonstance.

Les femmes peuvent alors mesurer les rugosités
De mes surfaces. Je me donne à leur regard
Sans aucune altération de l’apparence.
Mes yeux noirs sont cernés de noirs
Et ma lèvre est surmontée du noir
De mes poils. Peau creusée de noirceurs
Qui se déploient en griffures précises
Sur les joues. Le front bas comme Gauguin,
Équerre des yeux qui s’embroussaillent
Et réclament le peu d’attention que la bouche

Voudrait exprimer plus simplement mais
La palabra es sangre. La palabra brota
Como el tiempo de los relojes. Viene
De lejos y no dice nada del futuro.
Palabra de sangre, palabra de mujer
Y ¡yo ! con mi vino y mis textos
Escondidos. La femme ne s’écartait pas
De mon chemin et l’homme semblait fuir
L’instant à venir comme s’il en connaissait
Les tenants et les aboutissants, homme

De paille comme les chevaux qu’on renvoyait
Au combat en des temps moins discutables.
La fillette atteignit la toison recherchée.
Le garçon surveillait le bouc, Torpedo
El Grande fils de Torpedo el Buscón.
La femme me remercia pour mes explications.
Sa main accompagnait les joues de la fillette
À proximité de la toison couleur de bois
Calciné d’un chevreau qui cherchait un sein.
GISÈLE - Ils n’ont pas l’habitude, dit la femme.

OMERO - Moi non plus je n’ai pas l’habitude
Malgré des années de fréquentation
Des lieux privilégiés du tourisme.
Pas l’habitude qu’on se demande
Si je suis bien l’auteur de ces
Charmants paysages si pittoresques
Et si représentatifs de la tendance
Que nous avons nous gens de la terre
À proposer ce que nous possédons
Pour en être finalement dépossédés.

Nous ne vendons pas notre peau,
Elle ne nous est pas arrachée.
Nous n’en changeons même pas.
Nous assistons à la dépouille
En spectateurs tranquilles.
Il n’a jamais été question
De bonheur et de durée du bonheur.
La question n’était pas posée
En termes de possession, question
À ne pas poser aux plus anciens.

Oui, elle m’a vu sur le Paseo
Avec ma petite enfilade d’images
Peintes, sous les lampes au néon
Qui pose la question de l’éclairage.
Elle se souvient de l’explication,
De ma tendance à revenir sans cesse
À l’Histoire pour justifier un rehaut
Ou un cerne, éclairage et Histoire
Elle ne se souvient de rien d’autre,
De mon visage peut-être, que je porte

Comme un masque, comme une métaphore
De Vigny aux prises avec la modernité,
Comme une réponse à toutes les questions
Que nous n’avons pas pu poser aux vieux
Qui nous conseillaient de voyager un peu
Avant de décider ce qui était bon pour nous.
Visage aux angles viscéraux, mémoire
Des forceps et de la malnutrition, visage
Qui provoque encore des réminiscences
Quand je suis en conversation avec ceux

Qui ont un peu vite oublié d’où ils venaient.
L’homme se présente : Je suis Fabrice de Vermort
Et il révèle le nom de la femme : Gisèle
Sans les deux L si romantiques qui ont marqué
Sa rencontre avec l’Élégie. Néron porte
Le nom de son grand-père maternel, héros
De la Guerre. Aliz est coquette en prévision
D’une vie consacrée à son petit bonheur
De femme résolument conquise par le monde
Qu’elle ne laissera pas faire à sa guise

FABRICE - De monde trop méchamment masculin. - Vous
Êtes le peintre que nous rencontrons chaque soir
Au fil de notre promenade rafraîchissante.
Vous êtes aussi ce gardien de troupeau
Qu’on ne s’attendait pas à rencontrer.
Je veux dire que les gardiens de troupeaux
Sont rarement des peintres. Des musiciens
Peut-être, encore que le pipeau m’agace
OMERO - Un peu. - Et adepte prolixe du bertsu.
Je ne passe pas un été sans améliorer

Les angles encore trop austères de mon Ode
Au vin. Pourquoi écrire ce qu’il est plus facile
GISÈLE - D’improviser ? - Les enfants ne comprennent pas
OMERO - Ces subtilités, dit la femme que le soleil
Me renvoie comme le plus intense des reflets
Que l’ombre porte en soi dès le berceau.
Je ne cherche pas à éviter ces rencontres
Avec l’inconnue qui garde son secret
Sans le protéger. Démesure des descriptions.
Elle scrutait mes noirceurs. Mes ongles blancs

Comme la neige éternelle de la Sierra, le blanc
De l’oeil que je connais par ses figurations
Dans le miroir, mes dents héritées de la patience
Légendaire des femmes qui ont peuplé cette terre.
FABRICE - Vous parlez notre langue comme si elle vous
OMERO - Appartenait, constate l’homme qui recherche
L’approbation de la femme et les enfants
Ne comprennent toujours pas ce qui est en jeu
Ici. Comment les enfants trouvent-ils leur place
Quand il ne leur vient même pas à l’idée

De poser la question du bonheur ? Comment
Cette question se pose-t-elle enfin un jour ?
Et quel jour plus atroce que le temps passé
À regarder les vieux mourir comme si la mort
Était la réponse à toutes nos questions ?
Il y avait des filles destinées à rester.
Tu sais parfaitement ce qu’elles sont devenues.
GISÈLE - Nous avons du sang espagnol, dit la femme.
OMERO - Du sang ? Des mots qui coulent comme de source.
Le soleil l’embellissait tragiquement. Sangre

D’une seule parole prononcée pour l’émerveiller.
En comparaison, nos filles sont passagères.
Ensuite, si je me souviens bien, elle remonte
La pente au-dessus de la fontaine et rejoint
Néron qui a trouvé le moyen d’en finir
FABRICE - Avec la chair d’une grenade. - Castelpu
OMERO - Est aussi rempli de réminiscences, dit l’homme.
FABRICE - Nous y vivons quand nous ne voyageons plus.
OMERO - C’était du sang qui sortait de sa bouche.
Y a-t-il un seul instant de voyage dans la vie

Que je consacre à mon existence ? Du sang
Sortait de cette bouche encline à l’hypocrisie.
Moi j’avais le vertige des somnambules
Qui rencontrent des miroirs. Ma gourde
Était vide comme mon lit à l’heure
De m’y vautrer avec l’imagination.
Dans ces moments de remise en question
De ma présence parmi les autres, le vertige
Me traverse comme le fer, je me roule
Par terre et je mords la poussière.

Les animaux reviennent, le silence s’impose
Et je revis la lenteur du manque, son entropie.
Mais je n’ai pas le dos mouillé ! Je ne viens pas
De si loin ou de si différemment semblable
Que l’Afrique dont la complexité nous fonde.
Je viens de la mère enracinée et du père
Propulsé sur d’autres trajectoires. Ne pas
Poser de questions aux vieux qui savent
Parce que la mort est une question plus
L’AUTEUR - Facile. "Vous chantez tous par ma propre bouche."

Se souvenir de toi, Cézanne, dans le canyon
Du rio Jauto que des promeneurs infatigables
Parcourent comme un territoire romanesque
Et que le témoignage de mes interminables
Séjours réduit à l’Ode faute d’atteindre
Les degrés du Poème et cette femme m’inspire
L’Élégie ou peu s’en faut ! Se souvenir
Que tout homme n’a pas la chance de posséder
À la fois les moyens d’existence et le génie
Du travail à faire sous peine d’inexistence.


Se souvenir avec amertume que les gardiens
De troupeaux ont commencé par le voyage
Conseillé par les vieux et que je suis le seul
À être allé aussi loin que possible.
Vivre d’une tâche à accomplir chaque jour
Et ne pas revivre ce que le voyage
A enraciné dans la complexité géométrique
Du corps un instant promis à l’aventure
Et à des séjours moins pathétiques.
OMERO - Je me souvenais du moindre détail

Avec cette application qui fit de moi
Un enfant prometteur. Mais je n’avais rien dit.
Ils écoutaient leurs propres circonstances.
Vieillards conseillés par des vieilles.
L’arpenteur allemand ne désignait pas
Les émigrés sans rechercher leur avis.
Ils dirent : Non, lui, il ira à Paris.
L’arpenteur me toisa. J’avais l’oeil
De l’oiseau parallèle. Il ratura mon nom.
Rien de moins que cette présence assise

Sous la vigne, un jour de juillet, l’autocar
Ronflait dans l’ombre, répandant sa fumée.
L’alignement des hommes jouxtait celui
Des femmes et des enfants. Des enfants ?
Demandai-je aux vieux. Ils se turent.
À Paris, les menaces de guerre atomique
Étaient réelles. Quel vertige ces souvenirs
En vrac ! Cette vie qui revient au point de départ
À un âge où on s’attend à transmettre
Le flambeau des exigences et de la minutie !

Maintenant les maisons sont ouvertes
Comme des fruits. Le feu a calciné les arbres.
La broussaille menace de flamber à tout instant.
L’aqueduc a cédé à des pressions d’équerre.
Seule la fontaine a conservé le charme
De nos anciennes pauvretés. Le champ
De patates d’Ochoa forme une langue verte
Entre les roseaux et le lit craquelé
Comme une poterie. On ne se couche plus
Sous les oliviers maintenant que le temps

Ne se mesure plus en conditions d’existence.
Vendez tout ce que vous possédez avant
D’en être lepropriétaire ! Vendez votre âme
À des amateurs de traces laissées pour mortes
Par ceux qui n’ont pas franchi les limites
De la récence. Ils pratiquaient la mortification
Sur l’autel de notre chair d’enfant. Vendez
Les momifications inattendues de l’enfance
Prise en flagrant délit d’héritage culturel.
Rien ne vous sera arraché sans ce consentement

Du bout des lèvres, rien d’aussi important
Que les racines de votre explication, rien
Qui n’entre pas dans le cadre de ces recherches
D’objets à contempler comme si nous n’en
Connaissions pas les véritables tourments.
Mais ne vous en prenez pas à la femme
Qui vous inspire des passions lamartiniennes
Au bord des reflets que le bassin propage
Sur son visage enclin aux pires prétextes.
Elle mouillait les joues de l’enfant rieuse

Comme une mouette. Comme elle paraît flotter
Quand elle descend un escalier, écrit Eudora
Welty. Comme il est facile de s’interposer
Entre sa persistance de jaune et les bleus
De l’ombre qui limite nos approches de l’eau.
L’enfant minaudait sous les gouttes précises
Et couleur d’éphélides. J’avais fini de souffrir.
Maintenant les roses de l’air tournoient
Comme des insectes. L’eau est ralentie
Par l’attente. L’enfant s’immobilise

Et je la peins, comme Cézanne depuis le talus
Voyant passer des saltimbanques ou des hommes
À cheval, comme Welty et ses acrobates passants.
Je peins des rencontres fortuites et faciles
À mémoriser. Je ne vais pas plus loin
Que la surface mise en perspective bleue.
Les témoins de ma prescience me renvoient
Au travail de l’instant. Pendant ce temps,
Torpedo el Grande poursuit le comte de Vermort
Parmi les roseaux de la berge et nous rions

Pour mettre fin à notre entente visuelle.
Les cris du comte nous apprivoisaient.
Une tourterelle se détacha des cimes
Et se posa parmi les hirondelles des fils.
ALIZ - Sommes-nous à Polopos ou à Castelpu ?
GISÈLE - Le comte avait une fâcheuse habitude
De l’animal rencontré fortuitement
Au détour d’une clôture ou en plein
Chemin. Un comte facilement désarçonné
Par le débucher. Il s’était fêlé le crâne

Sur la pierre même des trois seigneurs
De la légende de Rabat. Les coups de fusil
Agitaient ses couilles comme des nymphes.
Il n’avait pas le sens de l’orientation
Et s’était perdu dans un palais cambodgien.
OMERO - En attendant les roseaux frémissaient
D’un autre combat que celui de la bête
Taraudée contre la bête postée. Rire
De l’autre quand il se montre à la hauteur
De sa véritable nature. Mais que savais-je


Moi-même de cet homme distant qui saluait
Avec le bord de son chapeau de paille
Qu’elle lui reprochait de porter la nuit
Quand ils se promenaient en famille
Sur le paseo ? Je riais pour l’accompagner.
J’accompagnais aussi l’enfant gracile
Qui se colorait comme un poisson.
Le petit-fils de Néron était juché
Sur les restes du vieux moulin à vent
Et se grattait les tempes des deux mains.


Le comte ne sortit pas vainqueur de la joute.
Torpedo el Grande l’avait vaincu
Grâce à sa connaissance profonde des lieux
Et particulièrement de cette géographie
Des berges où l’oeil ne distingue pas
La profondeur de la distance. Le comte
Se calma en nous voyant euphoriques.
Un chien ramena l’irascible Torpedo.
Elle avait oublié de me dire que le comte
Poursuivait encore un amour de jeunesse


Et sa bouche se posa sur mon oreille
Comme la coquille vide sur le sable.
J’attendais sa langue, o impatience !
FABRICE - Vous a-t-elle dit que j’ai aimé
Un homme et que je n’en rougis pas ?
OMERO - Il toisait ma gourde et je la secouais.
Des hommes j’en ai aimé moi aussi
Comme on aime les femmes. Quelle différence
Entre cet homme que sa femme décrit
Sans que je ne lui aie rien demandé


Et cet homme que je ne suis plus maintenant
Que les baigneurs de Cézanne ont déserté
Les rives de cette rivière asséchée ?
Ochoa n’a jamais aimé les hommes croisés
Dans les cheminements revécus à la place
Des voyages promis. Ochoa le mal nommé,
Doux comme la caresse du vin sur la langue,
N’a aimé que les femmes tombées
Comme les quilles de notre enfance,
Femmes culbutées des rives tranquilles


Et de la plénitude de l’ombre. Pour que
De notre amour naisse la poésie. Rire
Avec toi est un parfait malentendu.
Et pourquoi rechercher si visiblement
Le témoignage de cette fillette rose
Comme le vent ? Nous étions assis
À l’ombre d’un olivier, sur la pierre
Qui évoquait pour elle Rabat et l’Arize
Traversée par un soleil d’hiver immobile
Comme un personnage de tableau. Le jour


Où l’homme enfantera de l’homme sera un jour
Plus déterminant que celui où viendront
La ribambelle de vos enfants saphiques.
Ma soeur, côte à côte nageant, nous fuirons
Sans repos ni trêves vers le paradis
De mes rêves ! Elle était si proche de moi
Que je pus lire dans les yeux de l’enfant
Ce qui m’attendait une fois achevée
Les présentations. L’homme exhiba
Sa blessure provoquée par la cassure


Des roseaux. Ces gouttes de sang versées
Sur la terre comme une offrande arrachée
À la femme capturée sans promesse de bonheur
Un jour d’averses successives à Vermort,
Château des comtes de Castelpu et d’Alamo.
Vous connaissez ? Ces parentés m’obsédaient.
Des Pyrénées à la Sierra Nevada, combien
De voyages avons-nous vécus sans rien changer
À nos habitudes ? Mais que savais-je moi
De la monotonie et des reproches ? Qui


Étais-je si je n’étais plus à mes yeux
Ce que j’avais implicitement promis
À mon ascendance ? Les yeux de l’enfant
Se remplissaient de mon vertige. Dit-elle.
Elle me regardait comme on s’approche
De l’instant. Vous ne comprenez pas
Ce que je veux dire de cet homme.
Mes dents sont l’héritage des femmes,
Je l’ai déjà dit. Le noir qui me cerne
A aussi une explication. Ma langue


Ne promet plus rien à qui veut l’entendre.
Voici mon Ode au vin et Cézanne n’est plus
Qu’un souvenir du Paris revisité
Avec les moyens de l’abandon à soi.
Et voici mes paysages, mes portraits
Et mes natures mortes et Cézanne n’est plus
Que la relique des promesses de l’enfant
Que j’ai été peut-être à votre place.
GISÈLE, OMERO - Ne partez pas, dit-elle, je voulais
Vous demander notre chemin. Nous perdons

Tout ce que nous trouvons. Que pensez-vous
De cette inclination ? Nous envoyons
Des cartes postales comme s’il s’agissait
De témoignages mais nous savons bien
Au fond que nous venons alors de perdre
Ce qui constituait peut-être une trouvaille.
Ne parlez pas à ma place s’il vous plaît !
Et ne me décrivez pas votre vertige d’homme
Que les yeux de cette enfant racontent si bien.
Adressez-vous à des femmes appropriées.

OMERO - Vin du landier ! Ce n’est pas en volant
Que j’atteindrai les cimes de notre horizon !
L’AUTEUR - Vin du retour à la pleine terre, Omero
N’a pas l’Ode comme Hugo, il n’a pas
Le Poème comme Vigny, ni l’Élégie
Qui jadis lui inspira quelque admiration
Pour le poète du drapeau national.
Omero ne possède que la Chanson
Et il veut écrire une Ode à Cézanne !
Mais quel sédentaire s’il n’est pas

Impotent trouve le La au fil des pages
Qui bornent sa vie de gardien de troupeau ?
OMERO - Quel homme seul et donc foutu d’avance
Revient au bercail dont le plancher
A pourri sous l’effet du manque
De lumière ? Ils visitaient les lieux
Comme si personne n’y avait jamais vécu
Et désignant les maisons vouées à l’immersion
Ils s’attardaient pour en admirer la vigne
Suspendue comme la meilleure des métaphores


Où l’insecte est roi de la statique
Et de la disparition. Ces hommes venus
D’ailleurs pour calculer les effets
Du barrage sur notre esprit mangeaient
Dans nos assiettes avec un plaisir
Qui flattait notre conscience du drame.
Descendez ou montez, mais ne restez pas là.
Et nous avions du mal à imaginer
Ce que pouvait être la vie après
Une telle somme de calculs prévisionnels.


Le río Chico ne mêlera plus ses eaux jaunes
Aux glissements bleus du río Grande.
Et le lac portera le nom du village.
Voilà comment nous changeons la géographie.
Nous changeons aussi la vie, Grands
Travaux, Pacification, Conquête, Intérêt
Supérieur, Europe, Progrès, et la vie
Devient ce petit jardin si précieux
Que la mort en héros ne concerne plus
Personne. Les vieux furent les premiers


À occuper les appartements coquets
Que l’État mettait à leur disposition.
Maintenant partagez le peuple en émigrés
Qui partent pour revenir un de ces jours
Et en condamnés à ne pas quitter cette terre
Ou plutôt à se situer en marge de la terre
Dont on n’a jamais possédé que l’aumône.
Et voici Omero qui revient dans une voiture
Et la route qui se dérobe puis s’achève
Avant même le seuil de sa maison.


Voici les traces sommaires de Quevedo
Et de Goya. Rien de vraiment profond,
Rien en comparaison des influences
Copiées avec application à l’école
Laïque. Rien de la copla ni du romance.
Rien de ces points précis de la conversation
Où la littérature rencontre ses données
Populaires. Rien de la moindre berceuse
Qu’une voix de femme donnait au soleil
Des après-midis torrides qui sentaient


L’olive et le calcaire de nos mines.
Vous avez de la chance, avait dit
L’ingénieur en vissant son oeil
Dans le théodolite. La maison pouvait
Encore exister si quelqu’un y vivait,
Quelqu’un vivant avec une femme. Sans
Femme, pas de vie accrochée aux pentes
Que les amandiers éclaboussent
De petites ratures de noir et d’or.
Sans femme, pas de reconnaissance.


L’AUTEUR - À Paris, en 1978, je portais la barbe
Des Maures. Nous n’avons pas balayé
Notre seuil avec ces poils de conquérant
Mystique. Nous en avons aussi hérité.
La barbe sentait bon comme les épaules
Des femmes légèrement vêtues. Les tableaux
Marquaient des endroits précis du voyage
Mais rien sur le temps passé à parfaire
L’outil de travail, temps de l’adolescence
Si on en juge par les premières toiles

Si définitives. Qu’en est-il de l’enfant
Que je fus au regard de ces autres aujourd’hui
Disparus ? Que possédais-je d’aussi vivace
Qu’un souvenir de transes ? Quelle Ode
Coula de source ? Je pensais à l’enfant
Qui s’arrêtait inexplicablement pour attendre
Ce que personne ne voyait venir. L’enfant
Ne devient pas bachelier. L’enfant s’arrête
Quelquefois et ce sont les autres qui agissent
À sa place. Sommes-nous l’enfant que nous avons

Été ou bien ce que les autres ont fait de nous ?
Que signifie alors la femme promise et oubliée
Et toutes les autres femmes qui participent
À cet oubli majeur ? Nous ne retrouvons rien.
Nous jouons avec ce côté évocateur des mots
Comme si la langue, comme langage, avait accès
À ce qui faute d’être de la profondeur
N’est que la marge de l’existence. Omero
N’a pas échappé au destin des plus pauvres
En esprit et il n’a pas compensé ce destin

Par une situation dans le monde du travail.
Je ne suis pas un travailleur. Je travaille.
Je ne suis pas un rebelle. J’écris tous les jours.
Je ne suis pas un génie comme le Cézanne
Du Grand-Palais. Je suis un landier de l’instant
Propice à tous les vents de bout. Je ne suis
Pas ni l’oiseau des cimes ni la fourrure
Rapide des broussailles. La terre ne connaît
Pas mon glissement. Le soleil n’éclaire
Pas mes nuits de transit. Pas de situation

Sinon cette vocation à garder les troupeaux
D’une terre qui ne me laisse rien, ni Quevedo
L’incontrôlable ni la maison aux traces
Évidentes de savoir. Voici ce que nous sommes,
Cézanne, nous qui ne sommes ni prophètes
Ni employés, nous qui buvons en cachette
Ce que nos joues révèlent à tout le monde.
Nous allons à Paris et nous revenons toujours
À l’endroit même de notre dernière conversation
OMERO - Sensée. Le porche existe encore, moins fleuri

Certes, mais il a conservé les rognures d’ongles
Et les peaux d’oignons. Aux fenêtres sans verre
S’agitent les petits rideaux de ma promiscuité.
Mes coussins contiennent le crin de nos chevaux.
Pas une femme ne dormira dedans si ce n’est celle
Qu’on me promit et qui a mystérieusement disparu.
Pas un homme ne partagera le vin de mon attente,
Pas même l’homme joueur de cartes ou de dominos
Qui me serait tellement utile. Mes bras comme
Mon esprit ont acquis une lenteur qui m’éloigne


De toute l’attente conquise sur le temps.
Vin du landier qui a voyagé jusqu’à Paris !
Vin de la rue qui sent la friture au vin
Qui a la saveur immobile de la pierre.
Nulle extase s’interpose. Je reconstruirais
Si je connaissais les principes. Je vivrais
Si je savais voir ce qui explique les apparences
Et non pas ce qu’elles dissimulent. Je mourrai
Comme un poisson, remontant doucement
Au fur et à mesure, comme un pendu !


Vous déportez et nous émigrons, ô Paradoxe !
Des villages entiers voués à la reconstruction
De l’Allemagne et à la mise à jour de la vie
Quotidienne des Français. Nous revenions
Avec le sentiment d’avoir déserté la terre
Qui nous donna le jour. Ma voiture, une Citroën,
Ne fit pas son effet. Ils étaient tous partis.
Seul Ochoa, qui était né avec une tête de loup,
Avait conservé la maison familiale
Que les eaux n’avaient jamais menacée


Comme elles avaient menacé les autres.
Et la vigne aussi fut conservée avec
La même obstination. Les hauteurs
De Polopos sont maintenant le haut lieu
De ma substance. Ochoa connaît le secret
Du vin et j’en chante les effets
Sur un esprit qui ne pouvait être
Que le mien. Qui d’autre au-dessus
De l’eau tranquille qui a tout effacé ?
Qui d’autre sinon cet autre moi-même ?


Ma gourde est vide, étrangère. Pas de souci
Pour l’homme qui t’accompagne. Il a soif
Et il boit l’eau de notre fontaine,
Pas le vin que je ne partage plus depuis
Longtemps. J’ai rendez-vous avec le diable
Chaque fois que j’en finis avec ce fini.
La fillette proposait ses joues aux embruns
Ou à la rosée, comment nommer ces gouttes
D’eau ? Maintenant courrez avec l’homme !
Tournoyez parmi les bêtes qui m’appartiennent.


Me voici seul avec la femme d’un instant
Passé à évoquer Paris et son Cézanne
Perpétuel. O mouvement ! Elle regardait
La ligne brisée de l’horizon en proie
Aux tourments de l’été et ses yeux
Ne retrouvaient pas le chemin emprunté
Il y avait une heure à peine. Sa langue
Gouttait les gouttes avec parcimonie.
Ses cheveux comme la toile d’araignée
Des matins d’hiver et ses bras comme


Ces personnages imaginés dans la paroi
Du calcaire de nos mines. Les mains
Décrivaient le voyage d’un point
À un autre du paysage. Elle se trompait
Sur les détails que l’attente me donne
Comme points de repère de mon périple.
Les mots naissaient des complexités
De la narration là où moi-même eusse
Accompli le rite de la chanson.
Bientôt elle n’aurait plus rien à dire.


Alors le silence s’accroît d’une autre
Femme et la boucle est bouclée, je le sais.
Il se passe que j’appartiens au paysage
Retrouvé. J’en extrais les scories bleues
De mon ciment verbal. Le vin coule
Entre la description et les passages flous.
Voici ma main, ma langue et l’extrémité
De mon corps. Ce qui arrive est un moment
De source que Cézanne a rencontrée enfant.
C’est l’enfant qui est le secret de tout.


À l’oeil nu, elle perdait la perspective
Du chemin de l’aller et espérait naïvement
Que je lui montrerais les prémices du retour.
Vous qui connaissez le moindre détail
De ce décor. Mais je ne connais que l’attente
Et encore je n’en dis rien pour l’exorciser.
Nous passons notre temps à trouver le temps.
Nous ne trouvons pas les lieux ni les personnages.
Et que penser de cette logorrhée qui me prend
GISÈLE - À proximité de la chair ? C’est la poésie

OMERO - Des voyageurs immobiles, dit-elle comme
Si elle se souvenait d’en avoir rencontré
D’autres au long cours de son immobilité
Relative. Nostalgie d’un temps réduit
Au pire à des photographies et au mieux
À des lettres d’amour. Croiser la femme
Accrocheuse d’étoiles est une habitude
D’enfant. Elle s’arrête un instant
Pour évoquer les lieux du bonheur
Et des personnages apparaissent entre


Les lignes. Un accompagnement d’enfants
Et d’homme fragilisé par ses infidélités
Trouble l’eau de la conversation. Je sens
Le bouc et vous vous souvenez de l’instant
Passé à prévoir la sentence suivante.
J’adapte le berstu à ma condition
De gardien de troupeau étranger à toute
Nation et Ochoa m’en veut comme une femme
S’en prend aux miettes de pain sur la table,
Celles qu’on réduit au parterre d’une main


Habituée au harcèlement des insectes.
Nous nous quittons. Chacun son chemin,
Moi en rond pour revenir et vous en ligne
Droite qui se brise finalement avant
La fin des voyages d’agrément. Les enfants
Sont des petits chevreaux et l’enfant
Qui s’en distingue est une proie facile.
Mais il arrive qu’un troisième enfant
Ne tiennent pas ses promesses et Paris
Est un enfer comme les autres. Cézanne,


Je te salue sur la crête de coq de mon mirador.
D’ici, je prends la mer et la terre me ressemble
Comme tu aurais voulu qu’elle ressemblât
Au commun des mortels. Des oiseaux reviennent
De je ne sais quelle apparence dont tu es
Le responsable. Seul parmi les hauteurs
Dont j’hérite comme le pauvre trouve de quoi
Exister encore, je donne mes mains à la couleur
Et mes entrailles au silence. La rivière
Ne coule plus comme elle nous a nourris


D’instances plus probables que la poussière
Des chemins. Les arbres s’en vont aussi
À moins qu’on ne les dresse sur leurs pieds
D’argile. Murs blancs des résidences d’été.
Ma Citroën a l’air d’un personnage.
Voici le chien à l’ergot caractéristique.
Nous te saluons à la base des points de fuite.
Nous sommes seuls comme des étoiles.
Peu d’hommes ont survécu à l’enfant.
Ici les enfants sont des petits chevreaux.


L’AUTEUR - Il n’y a pas d’enfant qui s’en distingue nettement.

 

Un commentaire, une critique...?
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides. Servez-vous de la barre d'outils ci-dessous pour la mise en forme.

Ajouter un document

 

www.patrickcintas.fr

Nouveau - La Trilogie de l'Oge - in progress >>

 

Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Contact e-mail]
2004/2024 Revue d'art et de littérature, musique

publiée par Patrick Cintas - pcintas@ral-m.com - 06 62 37 88 76

Copyrights: - Le site: © Patrick CINTAS (webmaster). - Textes, images, musiques: © Les auteurs

 

- Dépôt légal: ISSN 2274-0457 -

- Hébergement: infomaniak.ch -