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La Stpo (Romanciel) - Deuxième entretien avec Pascal Godjikian
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 Article publié le 12 mars 2023.

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Après avoir présenté sa démarche créatrice en tant que chanteur-parolier de La Stpo, Pascal Godjikian nous livre ici ses impressions et ses réflexions sur son expérience de la scène au sein du groupe.

 

Comment vois-tu ou définirais-tu le rapport que La Stpo entretient avec son public ?

 

Concernant les concerts - quand on arrive à en trouver ! - les spectateurs sont souvent surpris de nous voir jouer une telle musique. D’autant plus s’ils ne nous connaissaient pas. Et s’ils avaient déjà entendu ou écouté des versions disque, ils sont étonnés de voir que l’on peut jouer ces compositions sur scène, qu’il n’y a pas d’improvisation (ou alors de brefs passages contrôlés), que cette musique n’est pas qu’un montage studio mais qu’elle existe bien en tant que telle pour être présentée/représentée/interprétée.

 

 

Et toi, Pascal, portant les textes devant un public, quelle est ton expérience de la scène ?

 

Je vis la scène intensément -ce qui est somme toute banal, je ressens quasiment à chaque concert un vertige qui me grise et que je recherche par-dessus tout ; j’adore ce que j’appelle un triple niveau de conscience : je suis à la fois dans l’interprétation de chaque moment de chaque composition, dans l’attention à ce qu’il se passe dans la compo (compter 3 lignes d’un instrument ici, attendre le signal d’un autre instrument là, faire signe aux autres d’un événement qui va arriver, etc.), et en sus, je ressens les spectateurs, leur présence, leur attention, leur concentration. C’est une sensation très forte.

 

Et enfin, que représente la scène pour vous tous ?

 

Préparer un concert est un exercice long et fastidieux car il y a un difficile travail de mémorisation (rien n’est écrit). Mais quand nous possédons bien nos compositions et que nous sommes plus dans l’interprétation que la récitation, personnellement je ressens un très grand plaisir.

 

Jouer un set d’une heure est épuisant, physiquement et mentalement. Il faut beaucoup de concentration, beaucoup de mémorisation et pour rendre notre musique vivante, il faut être en permanence intense.

 

En tirez-vous une énergie qui relance votre goût de créer ?

 

Quand nous avons terminé la création d’une composition, il est important, avant de l’enregistrer en studio, de la confronter au live. Pendant les tournées, une compo sera améliorée, elle va devenir réellement vivante.

 

Une nouvelle compo n’est pas spécifiquement pensée pour la scène, mais toutes sont "jouables" : elle est morcelée lors du travail de composition, et lorsqu’elle prend sa forme quasi définitive, nous la jouons -dans le local de répétition- en entier, cela nous permet de voir, si la structure est équilibrée. Et plus nous la jouons en entier, plus il est important qu’elle soit confrontée à la scène.

 

 

*

 

N’ayant pour ma part aucune expérience de la scène, je ne peux qu’imaginer ce qu’il en est.

Ce que Pascal Godjikian en décrit, correspond bien à l’idée que je m’en faisais : griserie, concentration extrême et exténuante lors des concerts*, affinage de la composition en live** et enfin enregistrement.

*Oui, l’essentiel est dans l’intensité de notre interprétation ; cela exige une concentration maximale de chacun, car notre musique est un château de cartes. Si l’un de nous n’est pas au rendez-vous, l’effondrement est proche. Nous n’avons aucun filet. Lorsque tout fonctionne parfaitement, la sensation est extraordinaire. Lorsque nous sommes en danger (retours difficiles voire absents, oubli/erreur de l’un de nous, etc…), le bonheur se transforme en terrible stress.

 

**La composition n’est pas remise en cause. Par contre, ce sont les transitions qui peuvent être améliorées. Il y a un moment où l’on sent tous que la composition est arrivée à maturité.

Riche expérience !

Des phrases entendues en rêve deviennent matière à un travail d’écriture sur la base duquel la Stpo élabore collectivement une musique « ad hoc » qu’il présente ensuite sur scène, non sans avoir au préalable répété l’entièreté de la nouvelle composition, celle-ci s’enrichissant-s’affinant au contact du public en concert, avant d’être enregistrée en studio.

De l’intime à la scène.

De « l’aléa intime » - des phrases rêvées collectées au fil du temps - à une présentation totalement maîtrisée en concert, le processus créatif passe par diverses phases toutes maîtrisées-contrôlées, ce qui pose évidemment la question de l’aléa en musique.

A la base de tout le travail du groupe, on trouve un florilège d’idées qui se sont initialement présentées à l’esprit d’un rêveur sous la forme de phrases étranges déconnectées les unes les autres, puis intervient dans un second temps l’élaboration musicale qui s’inspire des paroles liées livrées par ce même rêveur, Pascal Godjikian.

Un autre aléa survient alors, c’est-à-dire cette part d’inconnu en train de naître qui excite la curiosité de tous les musiciens présents, celui de l’idée musicale en train de fleurir collectivement après avoir affleuré dans leur esprit au gré de leurs interventions musicales.

Aléa saisi au vol, individuel-collectif, progressant dans le temps selon la dialectique idée/travail de l’idée/travail de l’idée/nouvelle idée, et ainsi de suite jusqu’à saturation de l’espace mental-musical.

La saturation prend en quelque sorte le relai de l’intensité initiale qui a présidé à l’apparition onirique dont, à dire vrai, on ne saura jamais rien, que l’on peut seulement supposer.

Ne nous est donné à connaître, c’est-à-dire à entendre et à écouter que le résultat de ce travail de transsubstantiation de l’énergie créatrice qui voit un matériau linguistique brut d’abord transformé en un texte solidement charpenté puis à son tour traduit-transformé en un flux musical.

Comme dans le travail de Philippe Mion, mais avec des moyens bien différents, il semble que chaque phrase devienne une phase musicale à part entière : son et sens découplés-accouplés au plus près.

Pascal Godjikian nous fait remarquer à ce propos que le public, non seulement étonné par la teneur de la musique (et il y a de quoi !) mais aussi intrigué par le fait que cette musique soit intégralement jouable-interprétable sur scène, c’est-à-dire sans hiatus aucun entre l’enregistrement studio et le rendu en concert, qu’il n’y a pas d’improvisation (ou alors de brefs passages contrôlés), que cette musique n’est pas qu’un montage studio mais qu’elle existe bien en tant que telle pour être présentée/représentée/interprétée.

Qu’une idée musicale vous vienne sur la partition ou sous vos doigts en improvisant, toujours elle se présente à vous comme le fruit d’une activité cérébrale spontanée (dont on ignore et veut ignorer les tenants et les aboutissants neurologiques) qui, aussitôt saisie au vol, est reprise, développée ou abandonnée en fonction des fruits qu’elle donne.

L’improvisation enregistrée laisse des traces, les tâtonnements sur la partition aussi parfois (la 5ème de Beethoven par exemple !) : on y voit d’emblée un travail à l’œuvre et une œuvre au travail. Libre à chacun de s’adonner plus ou moins à l’improvisation ou au contraire de privilégier un travail fini qui ne laisse aucunement transparaître des phases et des stases intermédiaires retenues ou rejetées !

La Stpo compose, mais pas sur une partition ; elle compose en jouant des idées musicales qui se mettent progressivement en place jusqu’à pleine satisfaction des musiciens.

Improvisation partielle ou totale, composition sur partition ou bien en temps réel ou bien encore travail de transformation électro-acoustique dans la musique acousmatique, peu importe : l’idée qui jaillit n’est jamais seule, son ombre portée, c’est bien sûr l’attention qui lui est ou non portée et qui décide de sa validité, comme si, dans toute idée, veillait un malicieux génie qui oriente l’attention de son hôte en lui ouvrant d’emblée des possibilités de choix que seul l’hôte opère en tout dernier lieu !

Il est à noter que la temporalité textuelle est complexe elle aussi : des phrases « vieilles » de plusieurs années peuvent être utilisées quelques années après avoir été rêvées et être associées à d’autres plus récentes, l’opus enregistré étant pour ainsi dire le point d’orgue d’un processus créatif échelonné dans le temps.

J’ignore avec quelle intensité les phrases sont rêvées ni dans quelle ambiance onirique ni si elles sont accompagnées de scènes plus ou moins colorées, et peu importe, mais une chose est sûre : elles proviennent en droite ligne du subconscient d’un rêveur singulier qui sait partager avec les autres membres du groupe le résultat de son travail d’écriture.

Nous ne sommes ni dans un automatisme complet comparable à celui des Champs magnétiques de Soupault-Breton ni aux expériences de rêve éveillé menées par Robert Desnos en compagnie des surréalistes.

Ce work in progress dessine des boucles de plus en plus larges jusqu’au résultat final : phrases rêvées/texte élaboré, texte élaboré/travail de composition, composition/concert, concert/enregistrement.

Je retrouve là une méthode de travail textuel proche de celle de Jimi Hendrix qui avait à sa disposition une foule de notes prises à tout moment du jour et de la nuit - réflexions, bribes de chanson, intuitions - qu’il réarrangeait ensuite en fonction de l’évolution de la musique en cours d’élaboration.

Le rapprochement s’arrête là, car chez lui composition et improvisation formaient un couple indissociable, une composition n’étant jamais réellement achevée mais toujours en évolution (Il suffit d’écouter des dizaines de versions de Red House, de Hearmy Train a comin’ ou de Machine Gun pour s’en convaincre).

Texte et musique évoluaient de concert - et de concert en concert ! - au gré des idées musicales inspirées moins par un texte achevé que par une ambiance que texte et musique tentaient de capter, d’affiner, de préciser jusqu’à donner un ensemble assez satisfaisant pour être fixé sur bande, certaines compositions continuant à évoluer considérablement en concert***.

***Je comprends pour Hendrix.

Pour nous, arriver à l’enregistrement d’une composition, c’est aussi s’en libérer (comme tout est par cœur). Et s’en libérer permet d’être prêt et vierge pour créer de nouvelles compos.

Je crois pouvoir dire que tout le travail d’écriture puis de composition de La Stpo s’articule autour de la voix-pensée de Pascal Godjikian, voix-pensée qui trouve à s’iriser en passant par le prisme de la musique, pensée-voix mais pas porte-voix ni porte-faix, ni petit chef ni faire-valoir, mais la traduction sonore à donner collectivement à la pensée verbalisée de Pascal Godjikian, en d’autres termes : une intimité singulière assez courageuse pour se maintenir ouverte sur un monde intérieur volontairement partagée avec tout le groupe puis diffractée-amplifiée par le travail de tous ses membres.

Une démarche assurément riche de sens pour moi parce qu’elle permet à toutes les individualités présentes d’apporter leurs pierres à un édifice individuel-collectif. Ce qui pourrait bien être, à mes yeux en tous cas, l’idéal réalisé d’un certain anarchisme en musique !

 

Jean-Michel Guyot

9 février 2023

 

 

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