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La bête
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 Article publié le 29 janvier 2023.

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De ce cheval fougueux lancé au galop dans la plaine poudreuse n’émerge aucun cavalier digne de ce nom.

Ni éperons ni canasson. La bête au pelage gris pommelé éperonne le vent. Ses naseaux fulminent de bonheur. Ses jambes en sueur luisent au soleil.

Limailles de fer collent aux sabots de la bête étincelante ; sans peine, étincelles grésillent dans son sillage électrisant.

A la ronde, ce ne sont que falaises abruptes, failles et fossés.

La bête ailée s’en va le cul devant, sa croupe frémit, sa queue chasse les mouches infortunées.

Rectiligne, le poème s’en mêle, va zigzaguant dans les yeux humides de la bête aux abois arrivée au sommet de sa gloire.

Poème fixe du regard le regard fixe de la bête mobile. Dans ses yeux défilent les possibles infimes imprimés dans le sol argileux. Et tout se fige l’espace d’un instant.

Ici, ce ne sont que marnes bleues, et là sol étoilé. Esseulée, la bête. Le sol renâcle à s’ouvrir au ciel. Il y faut toute la lente persuasion des ceps de vigne qui lui ouvrent un passage à la hauteur de ses ambitions.

Monte le long des jambes de la bête le fin limon du fleuve Elan. Tout à l’heure encore, ses eaux luisaient dans le lointain. Tout à son élan, la bête a dévalé la colline marneuse. Oubliées ses ailes de fortune.

La Comté est rieuse en ce jour d’été.

Les bocages chanteurs s’ouvrent au vent chaud, dispersent effluves et pollens des aubépines en fleurs qui se sont trompé de saison. S’y mêlent, enivrées, les fleurs blanches de quelques prunelliers, la discrétion du nerprun et du cornouiller si rares dans nos contrées, et, toujours en retard sur la perception qu’on en peut avoir, les rayons jaunes du soleil d’été.

La lumière solaire se moque gentiment de nous, illumine de son écrin de verdure la bête au pacage. Réputés imputrescibles, les piquets de pâture jadis taillés dans du bois d’acacia, défient le temps des moissons. Tout grêlés de gui, les acacias déclinent rapidement, mornes figures à l’orée du bois. D’autres viendront, croissance rapide à l’orée du bois.

Désarticulée, la fougue de la bête mécanique tout juste bonne à peupler le carrousel de quelque foire à l’empoigne. Mais ce serait sans compter avec le paysage d’ici, sans compter avec le peigne des vignes, sans compter avec le ciel vineux au crépuscule.

Une étoile danse sur le chanfrein de la bête.

Gorgés de sève, les arbres vigoureux. Ils tutoient le sol et le ciel, dialoguent avec les brumes matinales, conversent avec la tiède brise des journées longues comme les bras du Fleuve Elan. Ceci pour le cadre qui n’en est pas un.

Le bleu du ciel s’ébroue dans les yeux de la bête.

Minuit sonne, l’heure venue, dans l’attente d’une nuit nouvelle.

A la bête les journées longues, le bruissement du vent dans les larges ramures du placide chêne poussé là au beau milieu du pré paisible et l’ombre propice au repos bien mérité.

Eclot le temps des bergers et des bergères aux bras noueux ; de solides étreintes s’y accomplissent sous les yeux engorgés de la bête apaisée.

Apeuré, un rossignol en oublie de chanter. Le bleu du ciel, en cette chaude journée d’été, devient cet écrin vide, cet écran de lumière pareil à la blondeur du crin de la bête qui s’ébroue.

Argus s’endort, devenu paysage en plein dans le pays.

Le village furieux déborde d’activités.

Une buse, vigie des temps, se juche sur le piquet de pâture de son choix. Alanguie, la bête amoureuse de toutes les frénésies présentes au banquet sans queue ni tête des dieux. 

Bourdons et abeilles innombrables s’activent, lézards gris-bleus lézardent au soleil sur le muret grisâtre qui délimite le pré fleuri où broute la gente bovine aux regards si doux, hordes de fourmis voyagent à qui mieux mieux entre les herbes drues, et ronronne au loin la moissonneuse-batteuse de quelque paysan soucieux des lieux.

Douce musique grésille et palpite, polyrythmie de vives couleurs concaténées et de brusques envolées de sémillantes odeurs pollinisées, là entre ciel et terre, en cette riante journée d’été.

La bête immobile encore savoure l’instant renouvelé, tandis qu’accourt au galop une jument appalooza de fort bel aloi.

Le bruit sourd de ses quatre sabots frappant le sol herbu ajoute à la musique des lieux un de ces charmes entêtants qui ne peut appartenir qu’à des tambours d’indienne provenance.

La flèche de son encolure s’ouvre à l’espace ainsi dégagé par sa course effrénée.

Eros, grand prince, en renonce à décocher ses flèches.

Dans les yeux de la bête éclot un monde qui tarde à devenir réalité.

La lumière, sa plus fidèle alliée, elle, ne tergiverse ni ne renonce à faire advenir l’instant fatal. Et darde ses rayons le soleil bien décidé à l’y aider, elle et lui ne faisant qu’un avec quelques microsecondes de retard, le temps d’épeler le mot lumière.

Ainsi du rêve qui précède de peu l’âpre présence d’une réalité toujours légèrement en avance sur lui.

Ainsi de la décision du poème en son élan.

Ainsi de la bête mobile-immobile qui d’instinct voyage dans les mots qui la disent au moment même où ils sont proférés. 

 

Jean-Michel Guyot

21 janvier 2022

 

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