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Choix de poèmes (Patrick Cintas)
Personne
[E-mail] Article publié le 5 juin 2022. oOo personne pourtant l’enfant à marée montante l’estuaire franchi sans effort alors qu’en sortant de la baie nos rames nous ont brisé le dos la marée avec nous pourtant et de loin les marins nous hélaient : voici la lettre bue nous ne sommes plus ces enfants
la pyrite dans les creux de la roche brisures des feux
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Commentaires :
Je voulais vous dire... par Jean-Michel Guyot
Je voulais vous dire que j’ai été profondément touché par votre poème que vous avez intitulé Personne.
C’est un grand texte, et comme tout grand texte, il interroge, par-delà l’émotion qu’il suscite et qui nous engage à le lire et le relire de nombreuses fois, sur les circonstances de sa rédaction, question à vrai dire parfaitement vaine qui restera évidemment sans réponse.
Je songe à un contre-exemple, un poème très elliptique écrit par Celan et qui « relate » un déplacement en voiture en compagnie de Heidegger en 1967 (si ma mémoire est bonne), déplacement qui eut lieu dans ce lieu magnifique qu’est la Forêt-Noire au beau milieu de laquelle Celan eut des mots très durs à l’égard de Heidegger portant sur son engagement nazi passé : dans ce poème, rien n’est jamais dit explicitement, il projette sur nous une succession d’impressions séparées par des blancs, des non-dits. Il fut écrit seulement quelques heures après cet entretien dont fut témoin une tierce personne qui le relata plus tard. On a avec ce poème un exemple parfait de travail poétique en connaissant assez bien les circonstances qui en ont motivé la rédaction, chose fort rare. Tout poème est daté, ne surgit jamais de nulle part, et c’est de Celan que m’est venu, il y a longtemps maintenant, le besoin de toujours dater mes propres textes. La chose est assez évidente aussi chez René Char que j’aime tant et dont je suis en train de dévorer l’excellente biographie écrite par Laurent Greilsamer.
Votre poème, très émouvant, ne donne à lire que ce qui importe poétiquement, tout en laissant non pas deviner – le terme est trop fort- mais disons pressentir ce qui a pu en motiver l’élan ; il y a là une belle et profonde humanité sous-jacente à votre poème tout en brisures.
C’est l’exemple même pour moi de ce que j’ai appelé « la coulée », un mode d’écrire que l’on voit à l’œuvre également chez Gilbert Bourson. Bref, votre poème, à mon sens, devrait figurer dans toute bonne anthologie de la poésie française contemporaine tant il sonne juste de bout en bout.