Chez certains auteurs, le parcours de publication est déjà un roman.

 L’oeuvre, quant à elle, se confond avec la vie, tout ou partie.

 Concernant la postérité, elle est souvent révélatrice de bien des surprises...

 C’est à l’orée de la Première Guerre mondiale que Marcel Proust décide de s’éditer lui-même, convaincu d’apporter une œuvre fondamentale à cette vaste pour ne pas dire immense discipline qu’est la littérature. Comme souvent, les critiques et les éditeurs sont en retard par rapport à l’évolution de la littérature, mais le quadragénaire n’en n’a cure, ayant essuyé tous les refus parisiens.

 L’on connaît la suite et l’adoubement du sérail sur le tard.

 Le style proustien, synonyme d’orfèvrerie, désarçonnait.

 Le volume de cet auteur – sans doute vingt mille pages – est conséquent, surtout pour un quinquagénaire.

 Proust, c’est la phrase proliférante. L’avancée immuable du lierre le long des parois.

 Son legs est totémique et l’étude de son œuvre planétaire.

 Lecteurs, étudiants, critiques, marginaux... intellectuels, universitaires... psychanalystes, scientifiques... la périphérie est nombreuse et hétéroclite autour du noyau proustien.

 Franz Kafka, trahi par son ami testamentaire, est finalement lu. Discrètement et totalement engagé dans sa littérature de son vivant, il souhaitait, pour des raisons qui lui sont propres, conserver sa prose dans la confidentialité. A Prague, aujourd’hui, il possède un musée. Et des noms de rue. L’assureur modèle - il écrivait la nuit - est reconnu comme un écrivain majeur.

 Il n’est pas le seul à jouir d’une telle postérité puisque Dostoïevski aussi, trône de manière stoïque et impériale, à Saint-Pétersbourg. Participant à la fierté de la Russie. A son patriotisme.

 C’est à l’âge de cinquante ans que Charles Bukowski parvient à s’extraire définitivement du jeu social pour se consacrer à l’écriture, soutenu par son éditeur et mécène John Martin. Des publications dans certaines revues underground, d’autres par des éditeurs passionnés aux moyens modestes... l’écriture est un instant métaphysique dont la transe est éminemment jouissive. Rien au monde ne peut remplacer ce moment unique synonyme de déflagration subjective, au sein de laquelle le rire, dans toute sa puissance, occupe une bonne place. Vingt-huit ans après sa disparition, les inédits s’enchaînent et Bukowski devient de plus en plus célèbre, contaminant les séries télévisuelles...

 Un certain Lénine a forcé l’insouciance aristocrate de Vladimir Nabokov à s’exiler.

 Le souvenir de la Russie et la liberté de l’Amérique sont d’excellents générateurs. Mais Lolita, belle enfant, va provoquer la censure au pays de la bible et du dollar. Permettre aussi à l’auteur de quitter l’enseignement universitaire pour les arcanes de la littérature. Exclusivement. Mais il faut partir, encore, et s’installer - de manière cossue cette fois-ci - en Suisse. Ou d’autres romans et non des moindres verront le jour.

 Samuel Beckett a terminé son œuvre lorsqu’il rencontre les auteurs du Nouveau roman, notamment Alain Robbe-Grillet, au début des années cinquante. Il a été le secrétaire de James Joyce, avant d’enseigner lui aussi. Ce sont les éditions de Minuit qui vont le publier, le sacre suédois intervenant en 1969. Godot a vaincu...

 Le triptyque parcours/oeuvre/postérité peut se résumer par le triptyque édition/travail/héritage, à l’intérieur duquel la mobilité des éléments est concrète, du moins pour les deux premiers.

 Tout grand écrivain accorde une importance particulière à l’un des aspects de sa trajectoire, soit les obstacles rencontrés pour la publication, soit le volume de manuscrits produits au cours d’un temps généralement long, synonyme de rythme personnel qui peut s’exonérer de toute contrainte, y compris éditoriale.

 Quant à la postérité, elle peut surprendre tout le monde, en jouant elle-même le rôle éditorial, longtemps après que l’auteur fut découvert. Ou bien résonner de l’ambition visionnaire de l’écrivain, tel Choderlos de Laclos qui avait asséné, écrivant Les liaisons dangereuses : « Faire un ouvrage qui sortît de la route ordinaire, qui fît du bruit, et qui retentît encore sur la terre quand j’y aurais passé ».