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Sound painting
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 Article publié le 23 janvier 2022.

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Thème, variations et réexposition du thème ne se peuvent dans l’ici du poème sonore.

Les variations du thème sont autant de traversées des périls surmontés.

Tu m’as donné ta mélodie et j’en ai fait de l’or.

*

Le retour au thème initial sonne comme un retour à la réalité après le tour de force que représentent les diverses variations exécutées par les solistes. Leur solidité tient tant à leur technique magistrale mise au service d’une imagination débridée qu’à leur souci de faire œuvre ensemble, c’est-à-dire front commun face à l’adversité.

Le thème initial peut être un thème populaire, une bluette de second ordre mais aussi une magnifique mélodie à la Gershwin. Toutes ont été inventée dans un monde hostile, ségrégationniste, raciste. A elles seules, elles sont un tour de force à la mesure d’une écriture déchirante dans un monde déchiré.

Les variations, quant à elles, inventent un monde en liberté sur la base d’un thème apparu dans un monde d’injustices sociales, de mépris de classe et de race. Les variations ne subliment pas le thème, ne le réhaussent en aucune manière : le thème, trivial ou sublime, est un matériau brut qui n’a rien de pur et d’innocent en dépit de sa joliesse ou de sa perfection formelle - qu’on songe à cette merveille qu’est le thème de Summertime composé par Gershwin - puisqu’il émane d’un monde injuste et cruel.

Le free jazz fera éclater ce bel et vaillant équilibre qui fait la grandeur du jazz classique ; il sera improvisation, rugissements, feulements, mélodies et bouillonnement tout à la fois. Au réalisme sublimé du jazz classique qui prenait acte et surmontait le donné par la variation, le free jazz substitue un réalisme de tous les instants voués-condamnés à la liberté. Freedom ! est son cri.

Cette démarche toute de rigueur en liberté servie par une maestria instrumentale hors pair se greffera bien vite à partir de 1967 sur les instruments rock électrifiés.

La guitare électrique recélait un potentiel expressif insoupçonné. Non moins que les claviers joués par Emerson. La rencontre Hendrix-Emerson en studio n’eut pas lieu, faute, hélas, d’opportunité. Ces deux monstres de technique s’étaient découvert une grande affinité musicale qui promettait de faire des merveilles, tant leur jeu respectif s’accordaient l’un avec l’autre.

I Don’t Live Today et Machine Gun, pour ne citer que ces deux titres illustrent bien la rencontre explosive du free jazz et d’une expression rock élargie intégrant-synthétisant tous les styles de la musique noire américaine du moment - le blues, le rhythm and blues, le funk et même la soul d’un Curtis Mayfield - et les avatars du rock n roll, rock psychédélique en tête.

Jimi Hendrix dédiait le premier titre aux american Indians, le second à toutes celles et ceux qui luttaient pour les droits civiques ainsi qu’aux soldats englués dans les jungles et les rizières du Vietnam.

Une complexité fluide, décomplexée, virtuose n’est évidemment pas à la portée de n’importe quel musicien.

Cette complexité passée de mode - passée de monde - voire reniée-rejetée au nom d’une certaine liberté d’expression accessible à tous a fait place à une brillante médiocrité : la production joue désormais un rôle essentiel dans les musiques actuelles, cette même production inventée pour une large part par les Beatles, Jimi Hendrix et Frank Zappa aidés d’ingénieurs du son de génie tels Georges Martin, Eddie Kramer, Georges Chkiantz, et tant d’autres.

La musique électro actuelle ne fait parler que l’électronique. Elle évacue le corps des musiciens. Pure abstraction sonore, sa cérébralité est compensée par le jeu des corps qui dansent, exultent et vibre à son unisson, tandis que le Hip Hop aux mille facettes met en avant la voix, le phrasé, délivrant ainsi messages et coups de colère sur des fonds sonores samplés avec brio.

Les musiques électro-acoustiques requièrent, elles, toute la personne du musicien.

Une certaine presse musicale, en son temps, a réduit Hendrix à n’être qu’un guitarhero, laissant de côté le producteur, le songwriter, le chanteur, le compositeur et l’improvisateur. Je n’aime pas les panthéons. Je préfère imaginer Hendrix jouant quelque part au côté de Charlie Parker, Dizzy Gillespie, John Coltrane, Miles Davis, Ornette Coleman, Roland Kirk et bien d’autres. 

Des esthétiques concurrentes-divergentes se sont mises en place et imposées ces cinquante dernières années. Il y en a désormais pour tous les goûts.

Mon goût va aux musiques parfaitement maîtrisées mais capables à tout instant de faire la part belle à l’aléa saisi au vol, aléa engendré par des idées jaillissant simultanément des musiciens en présence.

Ce qui n’exclue nullement les compositions ambitieuses élaborées en studio - instrument d’instruments - qu’Hendrix appelait Sound Paintings, l’exemple le plus éloquent en étant 1983, A Merman I Should Turn To Be que l’on peut entendre sur Electric Ladyland.

 

Jean-Michel Guyot

19 janvier 2022

 

 

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