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Hypocrisies - Égoïsmes *
Chapitre IV

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 Article publié le 23 janvier 2022.

oOo

Mais qui sont ces gens-là ? Des Parisiens. Nous sommes extraits du cœur de la France. Et non contents de prendre possession de nos colonies historiques, in situ et in vitro, nous voilà embarqués, avec d’autres conquérants, sur les engins qui sillonnent les meilleures routes touristiques connues du commerce et de l’espionnage industriel et politique.

— Non, vraiment… ? Juju… C’est ce que tu penses ? Je ne te croyais pas si… Quel métier exerces-tu dans la vie réelle ?

— Aucun métier… à proprement parler. Mais je travaille… je me rends utile.

— Autrement dit tu ne sais rien faire.

— Je n’ai pas appris à faire. En tout cas à bien faire. Mais j’en ai rêvé, tu peux me croire. J’ai même commencé à…

— Mais qu’est-ce qui t’as empêché… ?

— Rien ni personne. Avoir tant étudié, jusqu’aux mathématiques ! et vendre du savon à ceux qui aiment les bulles plus que la propreté. J’aurais aimé…

— Oui ! Parle-moi de toi.

 

*

 

Trouver le sommeil n’est pas donné à tout le monde. En principe, c’est lui qui finit par nous trouver. Et dans quel état ! Cette nuit-là, pour tout dire, la mer était houleuse. Et le ciel si clair que les pas se multipliaient sans précaution dans la coursive. C’était le moment d’ouvrir un livre, pour laisser la parole à quelqu’un de mieux adapté à la solitude du grand large. Encore que la mer nous emprisonne plus qu’elle ne nous donne à voyager plus loin que de raison.

En vacances, sur un bateau ou ailleurs, il n’y a que l’alcool et la danse pour nous fatiguer au moins un peu. Il paraît que l’orgasme ne coûte pas plus d’effort que de grimper un étage. Or, je n’avais pas bu au-delà de la conscience qui est la mienne quand je me méfie de ce qui m’entoure. Quant à danser, avec Hélène par exemple, qui s’étourdissait tous les soirs en compagnie des gens de son âge, ce n’était pas dans mes gènes. Je n’aime pas me donner en spectacle. Même au travail. Je suis aussi discret que la poussière tant que le soleil ne l’irise pas. Abusez de l’orgasme et vous finissez par descendre à la cave avec les vieux qui ne dorment que pour oublier qu’ils sont plus proches de la mort que du plaisir. Dehors, la musique n’était plus aussi furtive que la veille. Sortir à ce moment-là, c’était prendre le risque de participer d’une manière ou d’une autre au dérèglement rituel en cours. Jusqu’à quelle heure ? Je craignais de rencontrer la comtesse, qui n’était pas plus comtesse que moi sans doute, sachant qu’elle rôdait autour de son pot aux roses. Je n’aime pas ce type de romancière. Il faut consentir à aller chez elle pour la lire. Je n’en ai jamais rencontré dans les escaliers de nos immeubles de bons rapports intellectuels. Connaît-on amertume plus tenace ? Des hommes me cherchaient du regard. Hélène s’en amusait peut-être. Ses seins n’étaient pas plus affriolants que les miens. Cette jeunesse tintait de blanc le rouge du vin répandu ici par l’expérience acquise au travail et dans la merde. D’autres jeunes créatures erraient à la recherche d’elles-mêmes, sous le regard sceptique de la comtesse qui avait encore des choses à me dire sur ce qu’elle savait de l’existence et de ce qu’il est nécessaire de posséder pour ne pas appartenir à quelqu’un ou à un système de machines ou d’hommes. Mes yeux scrutaient maintenant la piste de parquet portant malgré tout la trace de talons aiguilles. Hélène dansait pieds nus malgré la même interdiction. Comment revenir parmi eux alors que je ne voulais qu’elle ?

 

*

 

Labastos fumait dans sa cabine. La porte était grande ouverte. Un tabouret la maintenait. Il était assis au pied de sa couchette, jambes en tailleur, et sa pipe allait et venait entre son genou et sa bouche qui ne cessait de rejeter une fumée épaisse et nauséabonde. J’étais passé une première fois pour le surprendre dans cette sorte d’extase. Il m’avait salué mais je n’avais pas répondu, passant comme si je ne l’avais pas observé le temps d’une seconde. Puis je suis revenu sur mes pas car j’avais avisé la bouteille de scotch. J’amenais un verre. Je ne bois jamais au goulot, ni dans le verre des autres. Je doutais que Labastos en possédât plus que le seul nécessaire s’il éprouvait la même aversion que moi pour le goulot. Je fis tinter mon verre contre la poignée de la porte. Il sembla sortir d’un rêve et même me remercier de lui en avoir épargné la suite.

« Tulipe me cherche, dit-il en remplissant mon verre. (Ce ne sera pas le seul, ajouta-t-il entre) Vous ne savez rien de nous. En tout cas pas grand-chose, car je sais que la comtesse ne dit jamais tout. Il vous suffira de savoir que nous nous haïssons. Ne voulez-vous pas connaître la suite de mon histoire ? Suis-je rentré chez moi ou me suis-je jeté dans la Seine ? Je ne peux absolument pas vous renseigner sur ce qui est arrivé à la petite Hélène… vous savez : dans cette grande maison de village habité par une… personne. Promesse de voyage sans doute. Cherchez la divinité par qui tout arrive. Haïssez-vous quelqu’un… ? Oh… ! Tout le monde connaît la haine. Mais ce qu’on ignore souvent, c’est le degré qui la porte vers le sommet. On a tôt fait de redescendre sans pousser plus loin nos recherches. Êtes-vous de ceux-là ? Je vous pose la question parce que je ne sais toujours pas si vous êtes un garçon ou une fille… »

Je suis… commençai-je, mais ce diable d’homme s’était endormi, recroquevillé sur la bouteille qu’il me fut impossible d’extraire de cette complication d’homme et de transe. Je renonçai à m’emparer de l’objet de mon désir. Il me restait le bar, fort peu fréquenté à cette heure, ce qui me fit soupçonner qu’Alfred Tulipe en occupait le comptoir à lui seul. Cependant, nul Alfred ni comtesse dans la place. Seuls quelques visages rougeauds, pour ne pas dire vultueux, d’hommes comme de femmes, tiquèrent à mon entrée. Pas un enfant, du moins d’un âge raisonnable. Je m’approchai du comptoir et fis signe, je ne sais comment, que j’avais soif. Le barman comprit que j’étais un adepte du scotch, peut-être à cause de mon haleine ou que j’en avais renversé sur ma chemise. Il colla sa bouche sur mon oreille :

« Ici, monsieur ou mademoiselle, on ne vomit pas. Compris ? »

Je fis un autre signe pour signifier à la fois que j’avais compris et que je n’étais pas venu pour ça. Quelque chose de particulièrement voluptueux se posa sur mon visage, mais cette fois ce n’était pas le cul d’Hélène. Il y avait un miroir au-dessus de moi. Qui donc avait prévu qu’un ivrogne s’efforcerait de lever la tête pour se voir de si haut ?

 

*

 

« Je sais, je sais. Et je comprends, dit Alfred Tulipe qui ne me connaissait pas aussi bien que le disait la comtesse à qui voulait entendre ce qu’elle savait du petit monde qu’elle pouvait encore atteindre de ses futilités. On n’en dit jamais trop qu’au lecteur. Enfin… vous le saurez bien assez tôt. Vous n’en êtes pas encore là. Concevez-vous un instant que je puisse vous raconter la suite de mon histoire en l’absence d’au moins notre chère Iris ? Elle m’en arracherait les yeux devant témoins. Et vous savez aussi bien que moi que sa famille n’attend que ce moment de douleur et de fuite éperdue. Non, jeune homme, renoncez à me faire parler dans la seule intention d’en savoir plus que les autres sur les dessous de mon récit ou en tout cas de le savoir avant eux. Finissez de vous souler avant la nuit ! »

Nous en étions loin. Hélène m’avait rejoint pour renouveler l’expérience de l’échelle. Mais cette fois ses cuisses se posèrent sur mes épaules et je sentis l’aspiration insensée qu’exerçait son con sur ma nuque. Nous étions à mi-chemin de cette échelle. Qui nous observait ? La comtesse peut-être, car le soir venu, elle évoqua ses dispositions vaginales en termes si crus que j’en rougis.

« L’alcool a cet effet sur moi, prétextai-je. Je cours me rafraîchir…

— Comme une garce ouvre la porte des toilettes pour se repoudrer ! Vous m’amusez énormément, mon Juju ! »

Elle attendit que ma rougeur s’atténuât sans le recours à l’eau fraîche du robinet.

« Ainsi, poursuivit-elle, il a eu cette attention pour moi… ?

— Puisque je vous le dis.

— Il ne m’en a rien dit cette nuit… Pourtant, nous avons baisé comme l’appelé des Aurès viole toujours la Berbère aux yeux verts. Et quand compte-t-il nous révéler la suite et la fin de cette histoire ?

— Il ne m’en a rien dit. Il m’a parlé de la haine que lui inspire Labastos.

— Je n’y suis pour rien, si c’est ce que vous voulez savoir…

— Mais on n’en sait jamais assez pour en faire un roman, madame !

— Je vois qu’il vous a fait la leçon… Appelez le steward. »

Le cul d’Hélène. Son con suceur. Ma tête prise en sandwich entre ses cuisses. Nous atteignîmes (la comtesse m’avoua qu’elle avait assisté à la scène) ce roof en même temps qu’un marin descendait une autre échelle le long m’a-t-il semblé d’une cheminée. Une poussière fine comme l’or se déposait doucement sur nos visages. Les cils d’Hélène en étaient exubérants. Je mordis ses lèvres, indifférent à la présence du marin et à celle, supposée, de la comtesse. Puis nous nous mîmes à l’ombre d’une paroi où la rouille sous-jacente formait de petits cratères hystériques.

« Je n’aime pas les filles, m’avoua Hélène en replaçant dans son endroit ma queue encore rigide.

— Ah bon… ?

— Je ne voudrais pas en avoir.

— On peut choisir…

— Je ne veux tuer personne !

— Palsambleu ! Je n’y ai pas encore réfléchi ! »

Encore deux jours de cet intolérable vertige et je me jette par-dessus bord, pensai-je en revenant sur mes pas. Je n’étais pas venu de si loin pour me prendre dans les filets du hasard et de la logique. J’aurais mille fois préféré rencontrer le peuple et son langage, ses histoires si humaines et ses rêves de bourgeoisie à l’encan des marchés internationaux, pour ne pas dire mondiaux. Mais il en est ainsi chaque fois que je quitte Paris pour aller ailleurs : j’y reviens sans le peuple que j’étais allé chercher dans un élan d’humanisme. Les peuples de la mer. Ces voyageurs de l’Histoire. Ces noblesses ferrailleuses. Et toutes ces femmes dont on exige plaisir présent et population future. Je ne pouvais pas me résoudre à demeurer cet enfant gâté jusqu’au pourrissement de sa physiologie intime.

 

 

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