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Le plain et le délié
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 Article publié le 7 février 2021.

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Il ne voyait jamais plus loin que le bout de sa plume.

Je ne faisais pas mieux, à dire vrai, et prétendant dire le vrai, enfin, vous savez, cette infime part de vérité qui luit et pétille, gazouille et gargouille en nous, en d’autres termes ou en somme, si vous préférez, cette petite, toute petite part d’humanité qui daigne briller à de certaines heures, le plus souvent au cœur de la nuit pour ma part, eh bien je dois avouer que je passais les trois quarts de mon temps de veille à courir après. Comme si ce qui est à dire, s’offre au Dire, s’exprime, sort, jaillit, surgit, explose, comme il vous plaît de le penser, n’existait pleinement qu’en avant de cette part infime d’humanité projetée sur le papier.

On conçoit aisément que dans de telles conditions prendre la tangente, avancer en faisant des zigzags, des courbes, des boucles et des méandres n’est qu’une manière de ralentir le flux et le flot, l’averse de pluie et la chute des neiges, le tout composant cet espace à deux dimensions qu’écrire sillonne sans relâche à la recherche de la profondeur requise, cette troisième dimension qu’il n’est pas donnée à tout le monde d’explorer mais que tout le monde ressent si vivement, par exemple en courant à vive allure vers un point fixe de l’espace - Est-ce le point fixe ou bien l’espace qui est intermittent ? c’est toute la question - qui se dérobe au regard, scintille, vacille, clignote, disparaît-réapparaît, comme si l’écrivant plongeait dans un tunnel kaléidoscopique dont il se voit être toutes les facettes mais tour à tour, et aussi le regard qui empoigne ce petit monde en miniature et la main qui tient fermement le kaléidoscope, peut-être l’objet de son désir, gigantesque créature, l’espace d’un instant, tout droit sortie de Niflheim.

Depuis que Max pianote sur un clavier, il se prend pour un musicien des mots, un virtuose de la frappe ultra-rapide, avec un sens du rythme certain, une maestria à couper le souffle et une générosité d’être qui laisse pantois. Certains sont les Art Tatum du clavier numérique, Max est de ceux-là mais rien n’y fait, l’objet de leur désir est toujours en avant, il leur faut courir après pour avoir une chance infime de venir à sa rencontre, ne serait-ce qu’un bref instant. Il faudrait être une sorte de diable fait homme ou d’homme possédé des feux de l’enfer pour simplement pouvoir se poser là devant les innombrables tentacules de la bête immonde qui ne cesse de se métamorphoser. La tentation est forte, jamais suffisante. Ce n’est jamais assez. Il nous faut pousser en avant comme les arbres. Ici, en terre franche, la forêt gagne sans cesse du terrain. C’est bien commode à de certaines heures.

Mais reprenons.

Tantôt c’est la pluie qui s’impose, tantôt c’est la neige qui prévaut, et tôt ou tard, ça coule et ça court dans tous les sens.

Agreste, la vie.

On n’attrape pas un paysage aussi facilement qu’une belette ou un renard ; le paysage se terre dans tous les coins et recoins ; les points de vue, les perspectives changent constamment au gré des opportunités, et si vite que c’est plus un exubérant fouillis qui nous absorbe sans relâche qu’un ramassis d’images genre feuilles et branches mortes qui s’offre à nos yeux sous nos pas qui craquent et froufroutent allègrement.

Ça vit, ça pulse, ça vit et ça meurt, ça vivote et ça capote sans que l’on puisse bien distinguer l’envers de l’endroit, l’un de l’autre et l’autre de l’autre, mais l’on distingue tout de même, armés que nous sommes d’une solide logique antérieure aux faits constatés, ce qui ne laisse pas d’être fort embarrassant, car, enfin, cette belle logique, à défaut d’être une boussole infaillible, offre tout de même un contraste saisissant qui permet de forcer le trait de tout ce qui se planque et remue, s’agite ou se tapit dans les ombres projetés par les mots en bataille dans cette chevelure de Gorgone qu’est le réel déhiscent.

En somme, il faut faire avec, comme on dit, composer avec la double postulation inhérente aux bruits qui courent, aux points de vue qui s’y émettent et s’y combattent, rendre justice au pour et au contre, à toutes ses figures récurrentes, lointaines, soudainement si proches qu’on espère enfin pouvoir les toucher du doigt, à nouveau éloignées, si éloignées que l’on se sent à des années-lumière de parvenir à les comprendre quelque peu.

Ça clignote sans cesse, comme un feu orange à un carrefour suite à une panne qui empêche le rouge et le vert de faire leur office. Passera, passera pas ? Allez, on fonce, advienne qui pourra !

Le carrefour, c’est moi, c’est toi, c’est nous et le paysage indécis qui ne cesse de se redessiner. A cette confusion des traits et des saillies, à laquelle des milliers d’artistes semblent travailler en même temps, s’ajoute la variété affolante des matériaux, fusain et gouache, mine de plomb et peinture à l’huile, charbon et ocre, hématite, goethite et limonite mêlées se jouant de nous dans un monde qui semble en-deçà des notions familières d’ordre et de chaos.

Enfant, je m’imaginais piloter un minuscule sous-marin capable de naviguer dans les veines et les artères de mon corps pour y voir de plus près la vie et la mort à l’œuvre.

Finie l’exploration sous-marine, mais ce n’est pas dans la poche pour autant ! La tâche est tout aussi immense que dérisoire, rien moins que rendre compte d’un voyage sans but en des lieux ni connus ni inconnus mais étrangement familiers. La familiarité de l’étrange n’a rien de rassurant, mais qu’importe.

C’est tout ça, les mots. Des charges explosives, des creusets, des creux et des bosses, de petits miroirs déformants concaves ou convexes en mal de croissance qui s’enchaînent et miroitent les uns dans les autres et qui ne cessent de produire une lumière diffuse ou vive, blafarde ou mortifère, aveuglante parfois.

Dans ces conditions, dès que j’en ai le loisir, je m’empresse, toutes angoisses cessantes, d’y éprouver un certain bien-être.

Et roulent les vagues qui emportent la mer au loin.

Posté sur le plain ou marchant pieds nus sur l’estran, des odeurs plein les yeux, des images plein les poumons, je vais et viens tout à mon aise.

 

Jean-Michel Guyot

11 janvier 2021

 

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