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L'exil
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 Article publié le 27 décembre 2020.

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Quelque plan fermement établi achève de constituer rétrospectivement le commencement d’une myriade de points de départ qui essaiment, germent, se ramifient, se constituent peu à peu en un réseau dense et nerveux, points de départs qui se veulent tous être en définitive l’aboutissement d’une longue réflexion préparatoire à l’élaboration d’un monde nouveau, réflexion qui longtemps s’ignora telle, avant que l’auteur, qui déclare désormais en être le seigneur et maître, acceptât de considérer que c’est dans cette nébuleuse conceptuelle qu’un embryon de projet protéiforme prit forme, élan et force disruptive propre à glisser, déraper, puis s’abîmer dans le temps long de l’exil d’écrire.

*

Décrire un tel processus reviendrait à revenir à date fixe sur les lieux improbables pour y prendre un cliché puis un autre, et ainsi de suite, afin de fixer un moment-témoin puis un autre, et ainsi de suite, d’une inexorable évolution, exubérance toujours plus clownesque ou désertification de plus en plus nette d’un espace voué au quant à soi virtuel.

La superposition des clichés ne donnerait rien à voir du chaos qui s’installe et s’instaure en dehors de toutes limites aux moments-mêmes où un ordre rigoureux prétend régner sans partage sur les lieux communs qui fixent depuis toujours les limites du royaume circonscrit.

De retour sur les côtes marines de ton enfance ou de plein pied à nouveau dans ta forêt natale, après un long exil, tu ne reconnais plus rien de familier. Personne ne t’y reconnaît ni ne t’y salue. Tu es devenu un parfait étranger au pays et à la cause que tu désirais défendre avec tant d’ardeur en faisant le pari de la solitude et de l’exil. C’est ton moment romantique par excellence qui déploie ses ailes. Te voilà mouche, libellule ou aigle royal. A toi de voir.

Homère, Virgile… En des temps obscurs, plus reculé encore, les temps homériques, et auguste chance, plus tard, un soleil impérial darde ses rayons, balaie l’obscure passé, n’y voit rien que l’ardeur de ses rayons novateurs.

Et la roue tourne, avance, s’embourbe, casse et pourrit dans les ornières du temps et la mort-résurrection des langages. Il arrive qu’un beau soleil finisse ainsi dans la boue des temps révolus, perdu dans les ornières de chemins oublieux de longue date. Fleurit alors une cohorte de lettrés et d’érudits puis d’universitaires de haute ou basse volée qui se chargent d’entretenir la flamme toujours maigre et vacillante des gloires passées.

Cette boue qui vaut de l’or, ramassis d’ordures décomposées, de roues brisées et de soleils morts, a-t-il encore quelque valeur nutritive pour les sols à venir ? Sera-t-elle le merveilleux engrais à même de favoriser la pousse de fleurs nouvelles ?

Un certain Dante relève le défi, imagine que la langue italienne née des décombres froids de l’empire est la plus pure parce que la plus proche de la source antique.

La divine comédie tourne beaucoup plus tard à la comédie humaine lors d’une banale conversation mondaine durant laquelle la tragédie humaine se voit détourner de son lit, fleuve de paroles mortes-nées. Les cris d’agonie ont peu de choses à nous apprendre, il est vrai.

Il serait vain de chercher l’origine de ce jaillissement éruptif qui se déroule au ralenti sous l’impulsion d’un homme ou d’une femme que tout entraîne vers le pire. Mieux vaut s’attacher à mesurer du regard l’étendue des pertes et du désastre. Il n’est pas pour demain, le nouveau monde que tu projettes de bâtir collectivement, ami.

Et vu ce que tu m’en dis, je ne suis guère tenté d’y aventurer ne serait-ce que le gros orteil. Ta promesse de paradis sur terre ou ton avant-goût de paradis céleste, je n’en ai cure. Je ne connais que l’enfer de vivre ici et maintenant.

Cette espèce de champ de ruines en construction que tu t’apprêtes à nous asséner comme une évidence irrécusable, aussi irrécusable qu’une tête tranchée encore sanguinolente et fièrement brandie au bout d’un pic, je la pressens dans tous les faits et gestes quotidiens des millions de merveilleux travailleurs dont tu exaltes la ferveur révolutionnaire qui s’ignore encore faute de ferment. Tu es ce levain qui, le jour venu, fera monter la pâte du gigantesque gâteau que tous et toutes rêveront de se partager le moment venu. Tu verras, ils se déchireront jusqu’aux derniers, englués qu’ils resteront dans ta pâte infernale qui n’aura jamais levé.

Le parfait pompier pyromane que tu t’apprêtes à devenir mourra dans les cendres de ses chants nocturnes que d’autres cendres encore recouvriront jusqu’à donner naissance quelque jour à ce tapis de fleurs dont le doux parfum entêtant exaltera de nouveaux esprits forts prêts à relever le défi du renouveau.

 

Jean-Michel Guyot

28 novembre 2020

 

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