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Salines de Cathy GARCIA
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 Article publié le 14 janvier 2008.

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Salines de Cathy GARCIA
Postface
Michel HOST
Prix Goncourt en 1986 pour son roman Valet de nuit (Grasset)

Il n’est pas de faux-semblants, ni dans le dire, ni dans l’image, ni dans la trajectoire chez Cathy Garcia, et moins qu’ailleurs peut-être dans SALINES. Ce beau titre assume une amplitude et un regard qui, d’emblée, nous rapprochent de la mer et du vent, de la peau chargée des odeurs chaudes de l’amour, et, pour tout dire, d’un élan vital originel, celui que Cathy Garcia sait cueillir aujourd’hui encore, avec toute son énergie, sa puissance, parmi notre monde qui se le dissimule peut-être derrière les écrans de fumée de la pollution des esprits, sous le voile d’une bienséance digne des hypocrisies bourgeoises anciennes, monde dont les échappatoires vont au « porno » pauvre qui, mis en image ou en mots, passe pour liberté.

La liberté poétique intérieure est d’une tout autre matière : c’est l’élément moteur, astral et magnétique qui, s’il déstabilise les centres émotionnels, rétablit l’âme humaine dans les beautés et les grandeurs terrestres. Le recueil s’ouvre sur une étonnante affirmation des multiples facettes de la féminité, liste quasi rabelaisienne, moins impudique que gonflée des sèves de la séduction et de son chant. Et, dans la foulée, cette ostentation de l’être féminin - totalement féminin -, entièrement soi, protéiforme et, comme dans une fierté coulant de source, ancrée dans la blancheur, la saveur et l’éclat du sel !   

 

Je suis femme

 Unique multiple

 Je suis la grande saline

 

Cela, pourtant, manquerait beaucoup de sel si ne se présentaient, comme sur l’éventail historié d’une belle madrilène, ou dans une tapisserie du paradis d’avant l’humiliation des chutes et des divins opprobres, les véritables fortunes, les bonheurs, et même les joies, de s’établir, fût-ce pour un temps limité, dans le monde des vivants. Cette fondation n’est pas une conquête, pas davantage une revanche - ce serait comme de vouloir installer les bonheurs sur les combats et les guerres, sur les obscurantismes qui, eux, ne désarment jamais - mais une position de naissance, en quelque sorte, parce qu’être femme c’est cela, ni plus ni moins, c’est être dans la germination, l’efflorescence, l’offrande et le plaisir :

 

j’aime à fleurir

clandestinement

 

m’ouvrir à des nuits étoilées de plaisir

éclater sous la brûlure d’un soleil mâle

 

Comment ne pas se sentir envahi quoique pleinement en accord, emporté par la mélodie d’un grand Pan retrouvé, revenu d’une éternelle absence, celui dont Michelet pleurait la disparition aux rivages de l’Égée après que s’y fut enraciné le moralisme judéo-chrétien ?

Quel plaisir donc - et le mot est charnu, gorgé comme fruit à la fin de l’été - de lire, de dire ces vers libres de leur pleine liberté, ces cadences brèves et longues tirées par les vents des désirs et des effrois !

Salines, avec ses poèmes, ses images, ses raccourcis parfois sauvages, par l’innocence non dépourvue de ruses et de subtilités de ses inventions, par ses assemblages verbaux inouïs, nous plonge sans crier gare dans ce qu’une pensée poétique renaissante – celle de Rabelais et de Ronsard notamment, que précédèrent des fabliaux souvent chargés d’autant de frustration que de drôlerie – cherchait et retrouvait si bien en écartant les déguisements des traditions guindées et guidées depuis les Pères de l’Église et la Rome vaticane. Dans Salines, le carpe diem, n’a plus à se signaler comme ambition et désir, car il est, désormais et explicitement, l’existence elle-même, son projet de vivre, sa réalisation la plus entière imaginable. Cela se dit dans une langue magnifique, dans l’inattendu des sensations traduites, cueillies et éprouvées à l’unisson :

 

sur mes désirs parallèles

j’ai tendu des ponts

des passerelles instinctives

pour attirer la foudre

balafrer la plénitude

de mes courbes peut-être trop

maternelles

 

Cela se dit avec plus d’instinct encore, dans la crudité fraîche du mot sensible et juste, dans la simplicité des évidences toutes acceptables, toutes acceptées :

je suis une bête de lit
miauleuse jouisseuse
une arche de tendresse
une manne une nef
je suis un souffle une fièvre
une fente à polir

 

Cela se dit de cent façons, et toujours dans une magnificence verbale qui émeut ! Cette poésie, sans aucun doute, m’émeut jusqu’à la moelle des os, et j’en jouis sans me lasser. C’est la parole de célébration de ce qui existe : de ce qui est par conséquent. Foin des subtiles et collantes barrières par lesquelles des philosophes, mais aussi des poètes en forme de poissons froids, voudraient quadriller le vivant, le changer en spectre, en pur concept, en registre cadastral… J’aime ici la saline sensualité, l’aveu sans détours de la splendeur des mouvements libérés par et à travers la puissance de vie du corps, des corps… Oui, c’est beau, et très « entreprenant » au sens où il faut se percevoir en vision totale pour entreprendre d’être. Au risque de ma banalité, je lis le chant joyeux de ces vers comme un hymne à la joie, comme la délivrance première, l’entrée dans le jour, au matin où tout commence…

 

La célébration est un registre qui s’affronte au danger du répétitif, de la solennité et de l’ennui. Cathy Garcia s’en évade comme le papillon, avec la grâce valsante de l’inspirée. Elle multiplie les points de vue, les approches, les situations ; ni l’air ni l’eau ne lui manquent et ne nous manquent, ni le ciel ni la terre, ni la nuit ni le jour, ni les frimas ni les chaleurs. Le monde créé est, de par sa nature, une totalité de nature. Tout le recueil vibre sourdement, et non moins lumineusement, de ce contraste implicite entre le jardin de la Création que nous n’avons plus que le choix de regarder en songe, et ce jardin mutilé que, sous nos yeux, salit et martyrise la modernité cupide. La poétesse – Cathy Garcia ne récuse pas ce beau titre ! - n’écarte jamais l’homme, je veux dire le mâle, le porteur de phallus immodeste ou dominateur - cet importun majeur qu’elle veut allié, compagnon non pas adouci, ni dompté, mais complice nécessaire :

 

je cours encore après toi

animal intrépide

aux mains si fines

homme rivière aux étreintes

mille fois renouvelées

homme si vaste

aux bras de sable

homme profond

de sagesse infinie

 

De cette confiance, de cette complicité amoureuse naissent des sentiments d’une autre sorte. Nous glissons soudain sur le versant périlleux et bouleversant des choses : la conscience se fait jour - aiguë comme la morsure d’une bête venimeuse - de la fragilité de toute construction ou représentation du monde et de soi. La menace, fût-elle masquée par l’attente des bonheurs, est permanente, aux aguets, prête en un instant à jeter à bas l’édifice de notre vie. Elle surgira du nœud même de l’amour :

 

l’illusion

est si belle

 

vaut bien la blessure

que tu ne manqueras pas

de me faire

 

Elle surgira de notre propre faiblesse - « et si l’on n’était pas aussi fort / que l’on croyait ?  » - comme de la puissance qu’il est besoin de déployer, jusqu’à l’épuisement de nos forces, pour se tenir en vie d’abord, puis « faire tourner le monde / à l’envers ».

Elle surgira, en dépit que l’on danse « la danse dissolue / des algues amnésiques », de notre extrême fragilité, de la fugacité du temps qui est notre loi et notre geôle ! C’est là source d’une crainte et d’un vacillement constant :

 

ne pas se prendre
le plein fouet
le versant nu de nos extrêmes
fragilités

 

Le désordre cosmique est aussi un ordre immuable qui ne peut être refusé ou nié. L’âme s’y veut au large, s’y crée son espace ensoleillé d’un moment ; mais le cœur, s’il fut un jour chasseur solitaire, eh bien, il n’en finira pas de 

 

Solitude
le cœur dans son terrier
un lapereau tremblant

 

De cette tragédie discrète qui touchera chacun de nous, dans un désamour, un recoin d’hôpital ou un lit familial, Cathy Garcia ne fait pas tout un drame ! - car, si « nos mains [ne sont] rien que des oiseaux dans la cage du temps », notre flamme de plaisir et de vie, désespérée noblesse, réside en fin de compte dans ce qui leur est propre,

 

le geste

toujours neuf

 

L’oubli dans lequel a sombré aujourd’hui la poésie rejoint le tréfonds de l’obscurantisme. Les poètes n’en ont cure, ils et elles chantent dans l’arbre, sous le ciel. De Marie de France à Louise de Vilmorin, d’Anne des Marquets à Marie Noël, en cascadant de Pernette du Guillet à Louise Labé, Marceline Desbordes-Valmore, Anna de Noailles et - bien sûr – jusqu’à Madame Colette, le long poème écrit par les femmes dans cette langue sublime encore appelée française, est comme ce ruisseau clair et courtois, tour à tour ensoleillé et ombré, sensuel et incisif comme l’esprit du monde vivant. Il coule de source ancienne et nouvelle par le sous-bois de la forêt littéraire où les hommes se sont faits chasseurs absolus, dominateurs sans partage. Cathy Garcia est de cette eau pure, de cette force infinie et lointaine des fontaines résurgentes. Elle est la perle qui fait la fortune du pêcheur de perles. Certains l’ont déjà découverte, et je suis des élus. Mon admiration est sans mesure. Je voudrais seulement la rendre à sa lignée, à cette foi confiante en l’unité, en la beauté possible, qui lui fait écrire :

 

 je cours encore après toi

homme qui sait la danse

homme loup qui me chasse

nuit après nuit

en mes forêts perdues

 

je cours encore après toi

magicien de la terre

aux savoirs de nuit

  

 Michel Host

octobre 2007

 

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