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Sans blanc
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 Article publié le 12 décembre 2007.

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Sans Blanc

 

Pour Aimée

 

Les rideaux se balançaient devant la porte, blancs et légers, faisant comme des gestes d’adieux à la jeune fille trouvée morte ce matin dans la rue d’en face. Je ne suis pas allée voir comme tout le monde. Je suis restée là à regarder le temps faire le tour de lui-même, me disant que ce n’était qu’un geste perdu de plus. Une phrase muette. Un nouveau baiser de douleur.

Marie-Jeanne a doucement ouvert la porte, s’enveloppant dans les rideaux blancs. Elle me parut soudainement très belle ainsi drapée. J’aurais voulu le lui dire. Je ne l’ai pas fait. Je n’ai jamais rien réussi à dire à Marie-Jeanne. Vingt ans qu’elle ouvrait la porte tous les matins à la même heure, entrant avec un halo de soleil et s’emmêlant dans ces rideaux qu’elle aurait voulu enlever, sous prétexte qu’ils ne cachaient rien, trop légers et trop blancs.

Elle avait du voir la morte en arrivant, elle semblait contrariée et ruminait je ne sais quoi. Je connaissais ces hochements de tête, ces invocations silencieuses, ces haussements d’épaules. Elle maudissait ce pays. Les gens avaient trop changé selon elle. Cela la contrariait depuis des jours de voir qu’on avait peint le long du mur de l’église différentes effigies, dont celles de Che Guevara, de Wyclef Jean, de Bob Marley. Tout peut arriver quand on ne respecte pas Dieu me disait-elle, avec un accent désespéré dans la voix, qui me faisait sourire.

Je voyais déjà passer à travers mes rideaux blancs les caméras des chaînes de télévisions, les journalistes, les curieux des autres quartiers. La Une était belle aujourd’hui. Elle avait vingt ans et pas un sous. Elle était belle et déchirée. Martyr à souhait. Un cadeau.

C’était la dernière fois que Marie-Jeanne la croisait. Elle avait sans doute un autre sourire aujourd’hui. Marie-jeanne aurait bien voulu en parler avec moi, mais elle connaissait ce silence obstiné, ce regard fixé sur les rideaux blancs qui devenaient comme une cloison étanche entre nous, une frontière inamicale.

Les cris se mélangeaient aux bruits de la rue. Il était huit heures du matin et le soleil avait déjà pris ses quartiers, inondant la terrasse et une partie du salon. La brise du matin continuait à faire s’agiter les rideaux, il ne fera pas très chaud sans doute. Ce sera une belle journée, comme les vivants en rêvent souvent.

Marie-Jeanne marche à pas feutrés, elle porte le deuil de ces rencontres matinales avec la petite, demain elle marchera dans un autre décor. J’entends le cliquetis des tasses, le rite du café avait commencé. J’accueille ce divertissement avec un demi sourire. J’aimais ce bruit et cette odeur de nouveau jour. Les cris continuaient à entrer, mes rideaux blancs n’y pouvaient rien contre. Les grilles, les portes, les murs, les rideaux, même s’ils sont blancs et doux n’ont jamais empêchés au malheur d’entrer, surtout quand il est arrogant comme ici.

Les cris sont devenus des exercices. Demain sera pareil. L’actualité changera seulement de quartier, les caméras tourneront vers un mort plus frais, plus mutilé. Marie-Jeanne empruntera le même chemin. Marie-Jeanne se souviendra. Personne ne demandera son avis à Marie-Jeanne. Même pas moi.

Rideaux blancs et café noir, la vie suit son cours. Marie-Jeanne retournera chez elle dans quelques heures pour revenir demain, même heure, même tremblement, même silence. Elle est anonyme jusqu’aux cheveux. Ses doigts se glissent lentement dans les rideaux blancs, sans laisser de traces. Elle ne saura jamais les maîtriser ces rideaux, elle se laisse envelopper à chaque fois qu’elle franchit la porte pour entrer ou pour sortir. Elle est si belle en blanc de rideau !

Vingt ans qui tombent en miettes, vingt ans couverts de silence sur un trottoir de fortune. Marie-Jeanne est partie en me laissant son regard et ceux qu’elle avait ramassés au hasard en venant ce matin. Je n’ai pas parlé à Marie-Jeanne. Obstinément. Je ne lui ai pas dit que je n’aurai pas assez de blanc pour panser toutes ces plaies. Je ne lui ai pas dit que le blanc c’était seulement pour faire semblant.

La terre engloutit mes pas,
J’avance vers l’absence,
Habits de brume
Seconde peau de solitude.
J’ai laissé ma mémoire
Dans un miroir,
Image hébétée sans contours.
Mon regard a froid
Sur les quais de gare,
Je mourrais pour ma dernière empreinte…

Déchirer ma fenêtre,
Mélanger les ombres,
À mes jupes de poussière.
Le vent passera au petit matin
Chercher mes mots d’amour,
Bleu soul
Tombé du ciel,
Noir susurré
Dans les entrebâillements,
J’ai des poignées de silences
Pour habiller le mauvais temps,
Des gestes vierges 
Pour nous refaire.

 

 

Couleur soir

 

Dimanche rapiécée
De vents,
De chemins lointains,
D’histoire oubliée…
Mes couloirs se rencontrent sans explications
Les fenêtres ferment les yeux
Le feu s’éteint doucement dans ma paume
Ronge la dérision jusqu’à l’os
Silence fondu,
Étalé,
Herbe douce, cheveux frissonnants
Dimanche couleur soir
Dimanche sans moi

La mer inventée de bout en bleu
Tourmente le sang,
Murmure infini qui égratigne mon âme.
Pour quelle mémoire,
Quel pays, autrefois enfance
Aujourd’hui toi et moi
Inventons distance,
Habitats sans murs
Et titres de tristesses

Mon rêve
S’est encore baigné
dans cette larme longue,
déchirée
dans la pesanteur avide,
si le chant peut vivre
jusqu’à demain
j’allumerai le souffle
des vies perdues,
entaille dans le silence mugissant de la rue
qui m’enveloppe d’absolu et de futilité

 

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