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Article publié le 23 février 2020. oOo Viel tuet die gute Stunde… Hölderlin
La luxuriance riante des prés en avril, quand cardamines et graminées toutes ensemble rivalisent de fraîcheur vive. Mots se pressent en toi, jouent des coudes, se disputent âprement tes faveurs. Au bord du vertige parfois, tu leur glisses : c’en est trop, et derechef tu les réduits au silence. L’image du pré en fleurs se représente alors à toi. Tu aimes cette riche monotonie qui s’offre à tes désirs, à ton désir de bien faire et de bien dire. Tu aimerais tant que tes dires passés coïncident avec tes faits et gestes présents et vice-versa, mais cela ne se peut. Le cycle des saisons court en toi pourtant. Fort de tout cela, il te faut poursuivre un autre but plus modeste, plus ferme aussi. Du pré encore à quelques pas, tu t’imprègnes déjà de la douce monotonie. Tu accordes tes pas, qui bientôt foulent le pré, aux senteurs qui montent en toi. Tes pas se font plus légers. Tu n’appuies pas, tu n’es pas là pour prendre possession des lieux. Toutes les herbes, folles ou sages, se ressemblent, et rassemblées ici et maintenant, les voilà qui te rappellent les mots qui parfois piaillent et t’assaillent, harcèlent ta mémoire, tiraille ton imagination. Rien n’explose, tout tire à hue et à dia. Un tout se cherche, t’appelle. Il te faut trouver le liant qui t’accordera un répit. Mais pour l’heure, tu marches au hasard dans le Même. Apaisés, les mots ne tournoient plus en toi tels des abeilles autour de leur ruche. Tous s’emploient à la même tâche, tous s’affairent dans un seul et même but, tandis que tu marches au hasard dans le pré fleuri. Tu rapportes à la maison ton butin de mots. Avec lui, plus tard dans la solitude retrouvée, tu composeras un de ces miels parfumés dont tu as le secret. Il coulera doucement dans tes proses et tes poèmes le moment venu. Le fiel de mondes hostiles et fiévreux ainsi neutralisé pour quelques jours au moins, tu pourras t’adonner le cœur tranquille aux tâches du quotidien. Entre temps, quelques poèmes auront fleuri çà et là sous tes doigts. Tu aimerais les voir essaimer aux quatre vents. Au lieu de cela, sagement tu les recueilles pour des jours meilleurs. Un jour viendra peut-être, où, modestes comme les fleurs des prés qui entourent ta maison, ils iront de bouche en bouche fleurir en beauté sur des lèvres amies.
Jean-Michel Guyot 24 janvier 2020 |
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