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Monologue d'un guéridon de salle d'attente d'un psychanalyste
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 Article publié le 26 mai 2019.

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Depuis que je trône dans la salle d’attente de mon psychanalyste, tout recouvert de revues spécialisées un peu dégoutantes d’avoir été manipulées, le plus souvent survolées plutôt que lues, je me sens le plus complexé des guéridons. Peut-être devrai-je employer le féminin de table basse, tant j’hésite à me situer dans l’un de ces genres parmi la race du mobilier à laquelle incontestablement j’appartiens. Parfois on pose un peu n’importe quoi sur ma surface déjà passablement encombrée, et ça fait rire les fauteuils libres ou étouffés sous les patients qui bordent le cabinet, et je me venge en pensant qu’ils pouffent pour les rabaisser au rang de ces petits pots à tabac qu’on trouve dans les maisons orientales et que nous appelons pouffes, ou plutôt appelions, car le terme ne s’emploie plus guère, l’objet lui-même ayant disparu de nos ameublements. Je fais amitié cependant avec le fauteuil de cuir marron qui a connu me dit-il un jour, le divan devant lequel il fut placé jadis avant d’avoir été remplacé par un confortable collègue en maroquin grenat. Relégué à la salle d’attente il couine un peu quand par hasard un patient peu regardant sur son confort, s’y installe sans percevoir ce petit souffle éreinté qui, je dois l’avouer, me rend triste, et me renvoie à ma propre condition d’objet pour lequel son propriétaire n’aura pas l’oreille, sinon attentive, mais du moins professionnelle quant au récit de ses frustrations d’affection et considérations. Mon ami Marron me confie parfois ses désirs de patients plus conscients du bien-être qu’il leur procure, et donc plus reconnaissants, ne serait-ce qu’en manifestant leur aise en flattant le cuir de ses accoudoirs, lequel est resté intact, et dont la douceur est encore celle d’un fauteuil sorti fraichement du magasin. Son plus cher souvenir est celui de la Récidiviste, il préfère ce terme à celui d’habituée. Opulente et remuante au point que son couinement habituel se répétant en un rythme régulier, laissait planer comme une ambigüité dans le décor acoustique de la salle d’attente. Ses cotillons me confia-t-il un jour, sentaient la cuisse inadaptée à l’immobilité, mais que la station assise mettait dans en état d’excitation qui lui désarticulait presque les jointures et surtout le forçait, lui, mon collègue fauteuil, à accompagner les soupirs de la dame de ses propres couinements, qui attiraient les regards des autres patients, lesquels les assimilaient, pensait-il, vu l’endroit, à des gémissements de rapports sexuels. Je prie le lecteur d’excuser cette phrase un peu longue qui rappelle la longueur par trop affluente d’un canapé-sofa. Le petit garçon blondinet qui faisait le toutou sur la moquette m’exaspérait, surtout quand il venait entre mes quatre pieds qu’il caressait de ses doigts poisseux, jusqu’à me soulever pour me laisser, à sa grande joie, retomber d’un coté, faisant glisser les magazines par terre qu’un patient ramassait en gloussant : mignon, mignon, pelotant l’enfant lui caressant les tifs sous le regard du père béat et remâchant : ça me tue cet enfant me tue ou me tuera. Marron a pour ami aussi le présentoir, où le toubib, pour l’édification des inconscients, ignorant Freud et avatars, dépose quelques ouvrages. Je suis admiratif de son maintien, je veux dire, de celui du présentoir, ce vieux renard qui spécule sur les deux tableaux, celui publicitaire et celui de l’incitation à patienter en feuilletant les dépliants, faute de magazines plus récents que ceux qui trônent depuis au moins la mort de Freud, sur mon échine. La bagnole en bois peint, pour enfants désirés ou pas par les patients, promène quelque fois Martin l’ours en peluche pour lequel j’ai un faible, qui lui aussi a connu le divan, car embarqué dans le cabinet par son tyran personnel, lequel lui a arraché le bras droit qui tient encore un peu par un fil, ce qui lui donne un peu l’air d’un fléau pour battre la campagne. La Récidiviste parle souvent fort de ses progrès en art car elle réalise des tableaux sur verre qui figurent des chiens des chats et des renards. Marron lui tend les bras me semble-t-il parfois, mais je vois qu’il fait en sorte que je ne le voie pas. Lui aussi, il a ses pudeurs. Il se prend, je le soupçonne, pour un divan, quand rarement, une dame un peu huppée vient poser son séant sur son cuir avachi avec componction et fondement serré. Il prend l’air qui écoute, et la dame marmonne un discours silencieux d’avant saint Ambroise, lisant en son livre de chair plantureuse, les dix doigts gordiens serrant les accoudoirs de Marron divagant vers son copain divan. Nous commentons parfois les photos accrochées sur le mur accrocheur, qui représentent tous de très beaux paysages avec arbres et mers plus calmes qu’un citron ou qu’un tapis persan. Peut-être ces vues font-elles partie de l’analyse en cours comme un chemin de croix fait partie de la foi en la souffrance humaine qui mène à la joie. Mais accroché à part et au dessus du radiateur, trône en vue allongée, un volcan qui érupte avec un air inquiet, comme pris de remords. Peut-être pensons nous, que le pseudo-docteur psychanalyse les volcans qui se sentent coupables, et que celui-ci est un de ses patients. Les gens sont contre les volcans et les maladies graves et seraient rassurés de les savoir en main d’une bonne analyse. Les revues, je les parcours souvent. Une princesse hindoue s’est faite Lacaniser il y a quelques temps et donc s’y est ruinée dans l’esprit de sa caste. Ruinée tout court devrais-je dire. Le toutou Malinois frétille de la queue qu’il a sous le ventre comme celle qui prolonge sa colonne vertébrale. La photo est plus floue pour la ventrale que pour la caudale, laquelle n’est pas étrangère à la danse de l’autre, qu’on voit reflétée dans un miroir concave et recouvert de crottes. Le seigneur des anneaux fait sa publicité dans tous les cabinets. Sa lecture serait-elle prônée au jeune lectorat comme étant curative ? Le gosse vient sous moi, à quatre pattes, comme s’il cherchait ma queue. Il me prend pour le Malinois ou son maitre-papa ma parole, et je vois le père grimacer un sourire béat. Un jour, juste après ma naissance, je fus installé chez un coiffeur pour dames, avec une série de mes pareils mais d’un design différent, et d’un modernisme dont je ne dirais rien. Les revues capillaires n’avaient rien à envier question format, à celles qui me couvrent céans de papier non recyclé comme si j’étais un sdf sur un trottoir. Toujours les salles d’attente se ressemblent en ce qui concerne l’ambiance qui y règne. On se prend à penser que tous ceux qui y poireautent forment un petit état dans le grand. Ceci-dit, chez le coiffeur, la salle d’attente est le cabinet où il opère, ce qui fait que les patients sont aussi spectateurs de ce qui les attend. Les odeurs parvenaient à mon absence de narines, mais je les sentais néanmoins par toutes mes fibres et linéaments divers, agréables souvent et même très souvent. Odeurs de champoing, mousse à raser, eau de Cologne et autres révulsives fragrances qu’il me fallait supporter, qui avaient provenance de dames élégantes en instance de quelque mise-en-pli ou autre crêpage ou décoloration. Pour revenir à Divan le long cours, avec Marron, nous lui lavons souvent la tête, au sens figuré bien sûr, car il se prend pour le porte-drapeau de tous les inconscients qui viennent s’allonger sur son cuir ou lapsus, soi-disant révélateur. Si bien qu’il porte bien comme on dit son nom, le van laissant passer la vérité, même celle tirée par les cheveux, ou passée au peigne fin ou aux outils d’atropos, ou au champoing aux œufs. Je reste sur les tifs du coiffeur évoqué plus haut, car pour le souvenir, ces touffes de perdition sont de merveilleuses amulettes, Marron et moi, sommes des champions pour les faire trainer dans n’importe lesquels de nos entretiens. Nous sommes plutôt les pelles que le balai, que nous fréquentions à l’époque, en nous gaussant de leur couple si bien assorti. La statuette qui ressemble à un marron d’Inde qui crèche dans le coin le plus sombre de la salle, est, au dire de Marron, amoureuse de moi. Je reste, comme je le lui ai dit, quelque peu septique. Par contre il me semble avoir vu un jour, un petit garçon, la tripoter de façon assez suspecte, d’autant qu’il clignait un regard vers son père comme pour vérifier qu’il ne le gaffait pas. Marron rectifie mon langage et me suggère, plutôt que gaffer, le mot fliquer. Rien ne menace de nous changer de place ou de secteur dans l’immédiat, car j’avoue que j’en serais fâché, justement à cause de la statuette. Je pense que ce n’est pas à cause de la statuette seule, mais du petit garçon la tripotant à chaque visite de son paternel. Sa manière de déplacer les doigts sur chaque partie de cette espèce de gnome femelle abusivement sexué, prouve que les objets dont je suis, et qu’est aussi la statuette, sont parfois les représentations de figures désirées dans le réel et parfois porteurs de ce dont Divan dirait que c’est dans le langage que ces choses se révèlent être des symboles sexuels. La patère porteuse du gnome femelle pourrait donc devenir elle aussi un symbole, et moi guéridon, en tant que symbole, je cherche ce que je pourrais devenir. Heureusement nous n’avons pas ces pulsions-là, nous, les choses, à se demander si ce ne serait pas cette absence-là, que les humains nomment paradis ou même purgatoire. Balai et pelle ne peuvent être comparés à Paolo et Francesca, car ils ne lisent pas de livres et ne courent pas le risque d’envier un baiser qui les damnerait « véniellement ». j’ai dit plus haut que je parcours parfois les revues dont j’ai plein le dos, c’est manière de dire, car un guéridon ne peut pas lire, ni aucun objet feuilleter des revues, mais en imaginer le contenu ne serait-ce qu’au poids est-ce possible aussi ? Répondre à cette question revient à interroger notre fabricateur et lui faire avouer quels matériaux non pensants il a utilisés. Pensants peut-être aussi, allez savoir, c’est lui notre pater, mais c‘est plutôt celui qui, et ici m’interrompt Marron me disant, que ce n’est pas non plus notre utilisateur, mais quelqu’un d’autre, une sorte de divinité qui s’interroge lui aussi sur son rapport à nous, et qui se met en tête une salle où les gens regardent les objets sans les voir les voyant, souffrant le poids des mots dont ils voudraient guérir, et viennent consulter pour savoir de quels matériaux sont fabriquées leurs âmes. Me souviens-je des emballages dans lesquelles on nous a débarqués ici, Marron, moi, et les multiples sièges qui hantent cette salle d’attente et avec lesquels elle constitue une sorte de sas avant la confrontation avec le Divan-dividendes menant au purgatif monologue de sourd ? Cette phrase est aussi longue que l’attente des clients elle-même. J’emploie ici le mot client peut-être improprement mais enfin leur carnet de chèques pourrait justifier ce terme commercial. De mon champ de vision, ce sont les jambes et les pieds qui conduisent mon regard vers les genoux immobiles ou agités, selon ce que leur propriétaire imagine pour faire passer le temps. Une revue est tombée à mes pieds ouverte à la page où il y a une vue du Piémont en couleurs. Parfois, la porte de Divan s’ouvre avec salutations et prochaine séance promise, qui fait qu’un léger flottement se produit dans la salle et ses gens affligés d’un subconscient bloqué, comme fut la serrure en fer d’une commode ancienne dont je fus épris comme un petit coffret, de sa belle ouverture ouvragée rococo, d’où émanait d’un coup l’odeur d’une encaustique profonde et troublante. Nos linéaments ne sont pas clôturés à ces émanations d’essences sororales venues des lupanars verdoyants et suants de la nature en bois, dont nous sommes en réalité, je veux dire en bon bois, mais sont plus composites sur le plan dirait-on des réciprocités. La langue que j’emploie est celle que j’entends (c’est bien sûr façon de parler, car entendre ne fait pas partie de notre vocabulaire n’ayant pas l’organe référent) et qui est celle de celui qui semble marmonner un message au divin ou à la dive bouteille (ici je corrige j’entends par je suppose, car la langue de bois nous est commune) Quelqu’un semble avoir pris le siège des mots pour meubler le temps long de l’attente de sa consultation avec son divan-clavier intempestif et sujet aux bévues ludiques et joyeuses. On peut l’imaginer assis sur un fauteuil assez peu style empire mais très confortable, et dit ergonomique. Marron suggère que peut-être, celui qui s’y assied est celui qui nous a menuisés, forgés, et pour lui, bourrelés. Mais c’est incertain, tout en étant quelque part vraisemblable. S’identifie-t-il à sa chaise ou fauteuil ou à la chambre où il usine meubles et patients y compris le toubib, qui reste off dans les marges de sa salle d’attente qui n’attend que sa propre venue déjà-là parmi les présentoirs et les cheveux tombés de l’époque coiffeur dont j’ai parlé plus haut, et des photographies de la Grèce ou la Crète, because la Pythie cousine de Sigmund et du trépied celle germaine du divan, trépied qui trépidait, alors que le divan est immobile et trépanant. Il nous semble à mes collègues meubles et autres objets, que nous l’avons croisé souvent ce déjà-là cet invisible bricoleur, avec son carnet rose ou bleu selon les cas, et que ce petit bruit qu’on perçoit quelque fois révèle son activité secrète, l’usinage dont meubles et objets (ne parlons pas des patients de la salle desquels, n’en doutons pas, est lui-même le patient) nous émergeons avec les paroles écrites dans son carnet ou autre petit établi qui ressemble au poster du désert de Gobi accroché dans la salle et que zieutent parfois les patients en laissant le lézard, scorpion ou le renard des sables de leur inconscient battre la campagne à la fois désertique et pleine de houris et djinns selon les cas. Fauteuils, chaises, posters tous allongés sur le divan dans la tête et le corps d’un seul qui nous utilisait dans la salle de façon consciente, et aussi inconsciente, en fantasmant sur nous en nous par nous. Par exemple, nous apprit Divan, Marron était souvent l’origine d’une fixation sexuelle sur les nonnes d’un cloitre, et votre serviteur sur la tinette des waters avec un T majuscule. Et que dire des présentoirs qui figuraient plutôt souvent de superbes genoux sur une voie ferrée, ou les genoux tout seuls ou la voie ferrée seule. Divan est le nom que je me suis donné, moi qui soudain prend ici la parole dans sa salle d’attente personnelle qui est ma chambre. Divan est le nom du corps qui prend ici la parole et celui qui lui tourne le dos mais de face, excusez la contradiction, c’est le miroir qui parle, et la buée qui prend la forme d’un divan dont le sexe transpire et se métamorphose comme chez Ovide. Ou l’âne d’Apulée et tous les magazines me mangent tout cru la laine sur le dos le texte sur la page me coupent les cheveux en quatre. La chaleur du siège et le coiffeur des âmes sont en ce moment à plein régime d’être. Celle d’âme en question dont je torche mon fonds séculier, celle que je n’ai pas, et qui me met en selle sur mon fondement, autant dire mes propres annales, me met en dialyse et je pense à dryades à l’instant même ici où le transfert opère en voie de guéridon. Guérite et rigodon. On rigole parfois dans le conscient plus un, pour couper les cheveux en quatre comme jadis. Les meubles ont aussi leur part de nostalgie et leur mélancolie s’appelle aussi design.

 

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