Athènes est là. Légitime.
Ou plutôt, elle affirme sa propre et unique légitimé.
Une stature massive déambule à l’intérieur de la Cité, le démon de l’interaction est partout. Il participe à la guerre, aussi. Ses pieds, toujours nus, affronte tous les contrastes thermiques. Sa langue peut se muer en silence, tandis que ses mains et son squelette sauvent des condisciples moins habiles au combat, ou moins héroïques, ainsi que des chevaux. Trois syllabes pour un patronyme qui navigue désormais en toute liberté dans l’espace philosophique.
Dans l’espace ... exonéré de tout adjectif.
Socrate.
Dans ce Grand siècle où l’absolutisme prend diverses formes, dont celles, classiques, du plus grand palais d’Europe, une subjectivité française s’élève. La perception sans doute nouvelle de René Descartes bouleverse la totalité de son métabolisme, puisque le rêve, un matin, s’avère aussi matériel que la réalité. C’est du moins ce que suppose le philosophe aux cheveux en désordre, comme si l’aspect de ces derniers reflétait les contradictions entre plusieurs hypothèses encore en mouvement pendant le temps nocturne. Le grand réformateur de la philosophie est dans tous ses états, il s’adresse même à la papauté pour avouer ses ambitions : révolutionner la discipline. Tradition ou coquetterie, peu importe ... Sa plume court, maintenant, elle matérialise un grand discours, un discours méthodique. Le " je " apparaît dans toute sa clarté, dans toute sa puissance. Dans toute sa netteté.
Dans cette chambre en bord de mer, à la fin du XIXe siècle, l’énergie contemplative de l’écrivain réunit des fragments de temps épars à l’intérieur desquels les personnages sont caricaturés, moqués, vilipendés, à l’intérieur desquels le concept même de personnage est sujet à caution, la modernité connaissant ainsi une grande mutation, une grande avancée. L’évocation de la première personne, la présence du narrateur est permanente, glissant d’un cortex l’autre, d’une description spatiale l’autre. Le moi est aussi léger que la brise, aussi ferme ou contondant qu’une lame, aussi rapide que la lumière. Les impressions se dressent et se répandent partout dans l’espace-temps, oui, Marcel Proust étend sa toile subjective indéfiniment, démontrant que la mémoire, le souvenir, le fantasme et la réalité se jouent les uns des autres, constituant néanmoins une matière hybride nouvelle en littérature.
Les glissements narratifs, dans les ouvrages du Nouveau romancier, sont nombreux. Très nombreux. Du roman policier parodié à une nouvelle autobiographie, l’œuvre propose, l’œuvre voyage, des départements Outre-Mer à Hong-Kong, de Berlin à New-York … du souvenir des guerres aux effondrements idéologiques, le moi traverse tout, plus régénéré que jamais, mû par une énergie fantasmatique sans cesse grandissante, participant de l’éloge de la singularité, un concept en totale opposition avec celui d’aujourd’hui, l’interchangeabilité.
Le moi avance, le moi change, le moi opère ses propres révolutions …
Et le lecteur confronte son propre moi avec celui de l’auteur, un face-à-face qui peut aboutir à un phénomène d’identification ou encore de remise en question synonyme de mutation, oui, le lecteur peut être absorbé par la singularité narrative, jusqu’à ne plus savoir véritablement à quel niveau se situe la connivence, comme si l’auteur avait procédé à un mystérieux envoûtement … Oui, les identités entre auteur et lecteur sont fortement distinctes, et cependant le mystère opère. Si le mystère est si grand, c’est que la puissance de la littérature est sans limite, rappelant à quel point elle est une science ô combien singulière, celle de la liberté.
Quant à moi, après ce constat, je m’aventure dans de nouvelles recherches narratives, poursuivant inlassablement mes investigations à l’intérieur desquelles luit un moi sans cesse mouvant, sans cesse plastique …