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Génèse des séries
Le récit ruisselant - Chantier 4
[E-mail] Article publié le 21 octobre 2018. oOo A la sorte de contention qui a présidé à l’établissement du Spectacle interdit a répondu le déferlement du Récit ruisselant. Le recueil quasi funéraire porte toutes les marques de la clôture : de la structure du fascicule qui observe un préambule et une clausule à la structure du vers, qui ne fait qu’infléchir les accents de la syntaxe pareille à une respiration lourde qui cracherait syntagme sur syntagme.
Ces pyramides, je les vois de haut traverser les nuages de ma déraison Je suis un animal polaire et je me vois de haut escalader ma frénétique rêverie
Ces pyramides, je les ai bâties J’en ai la façon désœuvrée Je n’avais que des ruines d’entières ruines désunies et j’avais le regard moqueur
Mais ci, d’où je spécule est un désirable désert
Le livre, s’il s’agit d’un livre, a ses satellites. Deux cahiers, peut-on dire, deux fascicules auquel il faudrait néanmoins ajouter un feuillet problématique, de poèmes adjacents, qui se perdent dans l’irrésolution de leur devenir. Les « journaux » s’étaient succédé, chacun avait un titre : « Mauvaises pensées », « Sortie de secours », « Terre »... Mais qu’en est-il du cahier grand format dont la couverture était de couleur fuschia ? Un cahier trouvé dans la rue, qui avait porté un titre et peut-être même la notation d’un cours, « Les caractéristiques de la couleur » ? Est-ce bien le même cahier que j’avais rebaptisé « Première page », un titre assez déplaisant à dire vrai ? Le titre « Première page » ne me plaisait pas. Il ne me plaît toujours pas. On pourrait donner au cahier ce titre alternatif, « Les caractéristiques de la couleur ». Après tout, le cahier s’ouvre sur une divagation inspirée de ce titre. Mais précisément, cette divagation se rattache à une posture qui est celle du journal comme je l’ai rédigé de novembre 1991 à avril, mai 1992. Le cahier « Première page » tourne précisément une page et met fin à une série de tergiversations et de complaintes souvent pesantes. Le cahier marque un retour à des préoccupations essentiellement poétiques et symboliques. Il enclenche un certain nombre d’opérations symboliques. Il serait souvent difficile, à ce stade, de dissocier sans équivoque ce qui relève du Spectacle interdit et ce qui irrigue le poème qui a suivi. On campe un fameux décor de tribunal, comme à chaque fois que je me suis remis à l’ouvrage, peut-être. On est « dans la pénombre d’un théâtre jusqu’au crime ». Sans doute c’est encore Le spectacle interdit qui se dessine le plus lisiblement dans ce cahier. On y décèle des poèmes complets, souvent des « poèmes pivots » comme la cruelle prière « Dans l’illusion de nos misères / nous pouvons croire en l’avenir » ou la brève narration introductive : « C’était un imbécile à se jouer les transes, dans la nuit car il avait peur, sans pour autant se l’avouer ». Mais le désordre règne. Et le désordre, c’est l’empire du Récit ruisselant. C’est pourquoi on ne cerne qu’approximativement les frontières de ce qui est à moitié livre seulement. On voit bien émerger la chose rétrospectivement dans ce cahier qui pourrait s’appeler « Première et dernière page » tant il les tourne. Mais on voit surtout un désordre d’idées plus ou moins productives, où Icare peut devenir roi et où l’assassinat de John Kennedy peut se rejouer sans fin sous les yeux de sa femme Jacqueline. Les poèmes dispersés du Récit ruisselant sont finalement répartis en deux grands cycles : « Au pied de l’arbre » et « Au bord de la falaise ». La dissociation de l’ensemble en deux volumes témoigne de la radicalisation du processus métaphorique qui conduira, en dernier lieu, à Avec l’arc noir. Il y a des recueils adjacents, comme la « Comédie du café », le cahier « Des ligaments d’été » et le recueil mal ficelé qui conclut l’expérience, Sous la cerisaie. Elle a conduit à une pratique frénétique. Quand ma main a entrepris d’écrire seule, sans l’intervention de ma conscience, j’ai mis fin à l’expérience. L’écriture automatique, c’est un peu comme les tables tournantes. Il faut savoir raison garder.
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