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Bobby et Johnny étaient couchés à poil sur un...
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 Article publié le 16 septembre 2018.

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Bobby et Johnny étaient couchés à poil sur un matelas. La fenêtre ouverte baignait leur corps de la lumière lunaire.

« Zavez pas froid, les mecs ? »

Non, ils avaient pas froid. Mais j’amenais une couverture et j’étais pas à poil. Jacky m’avait prêté sa veste de chasseur en cuir retourné. Il dormait dans le canapé. Je devrais dire de l’autre côté du canapé parce qu’il l’avait tourné vers la cheminée. Le feu gémissait depuis une heure, rougeoyant de moins en moins. Comme les deux tantes en avaient fini avec leurs rites, je pouvais me faire petite au pied de leur matelas.

« Si tu veux discuter, dit Bobby tout reluisant de muscles, tu peux te mettre là. »

Il désignait ce qui restait de place entre lui et Johnny. Je savais pas si Johnny était d’accord. Je voulais pas le faire vomir. Son visage rouge n’apparaissait pas sur le coussin dont je distinguais à peine les renflements. J’hésitais.

« Viens, dit Johnny. Je m’en fous. J’ai pas envie de discuter.

— Viens ! » répéta le noir d’ébène.

J’entrai dans la nuit. Le corps de Bobby était aussi lisse et mouvant que la surface de l’eau de la rivière où je m’étais baignée, ce qui m’avait privée de mon odeur de lavande au grand dam de Jacky. Ce qu’il pouvait m’emmerder avec sa lavande !

« Qu’est-ce que tu veux savoir ? me demanda Bobby alors que je glissais sur lui.

— Tu ferais mieux de la fermer ! grogna Johnny.

— Elle a le droit de savoir, » conclut le noir.

Il était chaud maintenant. Il sentait le foutre et la joie. Le cul de Johnny se frotta contre ma jambe. Comme ça.

« C’est des histoires anciennes, dit-il pour ajouter du sens à son conseil.

— Mais c’est qu’il veut recommencer ! murmurai-je dans l’épaule invisible.

— Si ça recommence, ça se finira de la même façon, dit Johnny.

— Je ne sais rien de rien ! »

Le bras de Bobby s’était lové autour de mon cou. Mon oreille écoutait son cœur.

« Elle a le droit de savoir, répéta-t-il.

— Alors parle, négro ! grogna Johnny.

— Sûr que je vais parler ! »

Non, il bandait pas. Je pouvais voir son bassin que la lumière effleurait. Il respirait lentement, si lentement que j’attendais.

« Tu peux refuser, dit Johnny.

— Il la battra, dit Bobby. Tu le connais. Il la battra et il s’en plaindra comme si c’était une pute.

— Il a toujours fait ça, reconnut Johnny.

— Toujours. »

Après tout qu’est-ce que ça pouvait me foutre qu’il revienne chez maman… ? J’y habitais pas, moi, chez maman. Elle faisait ce qu’elle voulait de sa baraque. J’étais de passage. Et justement Bobby voulait savoir ce qui m’amenait dans ce trou perdu. Johnny se mit à rire :

« C’est à cause du trou, dit-il tout secoué jusqu’aux fesses qui me caressaient la cuisse. On vit dans un trou, Bobby. Toi et moi on est dans un trou et on veut pas en sortir.

— Et où tu irais ? fit Bobby en expirant son air chaud.

— La question n’est pas de savoir où on va, mais jusqu’où on va…

— Et ben on est venu jusqu’ici et on s’y trouve tellement bien qu’on y reste. Et toi ô luce… explique-nous…

— J’aurais préféré qu’on parle de maman et de Jacky…

— Tout un roman ! s’écria doucement Johnny. On y passerait la nuit. Il faut se lever tôt.

— Lève-toi tôt si tu veux, rouquin !

— Mais demain on livre !

— Parle pour toi ! »

Alors Bobby s’est redressé. Comme il avait roulé un drap sous sa tête, il le déplia et, une fois debout, le jeta sur ses épaules. Je me levai à mon tour. Il rajusta la veste sur mes épaules et rejeta mes cheveux sur la fourrure.

« Sortons ! » dit-il.

Et c’est comme ça qu’on s’est retrouvé sous le porche Bobby et moi. Il avait autant envie d’en parler que moi de l’écouter.

« Ils se sont rencontrés chez Dan, dit-il. Un sacré hiver que c’était ! Je me rappelle cette neige comme si elle tombait en ce moment. D’ailleurs, elle ne va pas tarder à arriver. Il faudra se terrer dans nos appartements fournis par la Compagnie. C’est ce qu’ils ont fait. Ils sont allés chez Jacky et ils y ont passé la nuit. De ma fenêtre, je les ai vus se séparer, Johnny trottant vers l’entrée des ateliers et maman grimpant dans sa bagnole. Ça commençait. Et pendant tout l’hiver, ça a continué sans qu’on sache comment. On y allait pas, nous, chez maman. On n’avait rien à y faire. Jacky filait dans sa bagnole et il revenait le matin les yeux enfoncés comme si on les avait écrasés avec le poing. Elle le crevait, maman ! Mais c’était pas tous les jours. Elle avait ses caprices. Il en parlait pas, mais ça se savait. Comment… j’en sais rien. Ça faisait le tour. Toujours le même sans doute. Et ça tombait dans mes oreilles comme dans celles des autres. Et le temps passant, Noël, le Jour de l’an et les Rois, Jacky a donné des signes qui n’étaient plus de fatigue mais de colère. Moi je dis qu’il avait battu maman et qu’elle l’avait foutu dehors à la pointe du fusil. Un jour, il est revenu pour ne plus y retourner. Le printemps s’annonçait. Elle venait dans le coin comme d’habitude pour faire ses emplettes et bavarder avec ses commerçants. Elle en avait des tas de commerçants. Elle savait comment utiliser son temps. Et jamais plus elle n’a croisé le chemin de Jacky.

— Donc tu ne sais rien…

— C’est ce que je pense aussi ô luce…

— Après tout ça ne me regarde pas…

— Du moment qu’y a pas eu de mort ni de blessé…

— Mais qu’est-ce qui lui prend de se servir de moi pour la revoir, merde ?

— Va savoir ce qui se passe dans sa tête… Il l’aime, c’est sûr…

— Ou il veut la posséder !

— Parole de femme. Moi je crois plutôt à l’amour. Ou alors il est bizarre… »

On se tenait la main Bobby et moi. Il consentit à bander. Le drap se souleva lentement. La lumière de la lune tombait dessus. J’ai pas pu résister.

 

 

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