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 Article publié le 17 juin 2018.

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Un de mes textes disparaît à la suite d’une fausse manœuvre sur mon ordinateur ? Je n’en suis pas chagriné outre mesure.

Je me suis même surpris plusieurs fois à sourire au fait que tout ce travail dans, par et autour d’un texte se soit trouvé soudain annihilé-annulé, même s’il m’arrive aussi, bien sûr, de pester contre ma maladresse.

J’ai toujours vu la maladresse comme une défaillance, un signe avant-coureur de mort, de dégénérescence au moins, la navrante conséquence d’une attention déclinante, d’une perception émoussée.

On conçoit alors aisément que la disparition accidentelle de tout ou partie d’un texte patiemment élaboré représente pour moi le signe que la mort toujours proche rôde non seulement dans mes parages mais aussi en moi.

Je ne m’en réjouis pas, mais un doux fatalisme m’anime.

La vigie perchée en moi se rebelle un peu, comme prise de vertige, quand la toupie que je suis à mes heures se met à tourner tellement vite que je perds momentanément le contrôle de ce que je considère être mon ultime raison d’être : écrire.

Ecrire, dans l’ainsi du vertige, n’est pas un moindre bonheur, mais toujours menacé par un geste malheureux, une fausse manœuvre qui signe l’arrêt de mort du texte, son iimparable et rréparable disparition.

Je me suis surpris à tenter parfois de reconstituer de mémoire un passage perdu, mais en vain. Les idées qui flottaient dans le texte initial ne disparaissent pas si vite de ma mémoire, des phrases entières reviennent, mais impossible pour autant de me répéter à la virgule près : c’est toujours un texte nouveau en grande partie qui rejaillit.

La résurgence des idées est aisée, mais le cours pris par la nouvelle version change. La forme prise initialement par une idée est bel et bien irrémédiablement perdue.

Diable ! Il se loge toujours dans les détails celui-là. 

Le texte initial a coulé de source, j’en ai remonté le courant, non pour parvenir jusqu’à l’introuvable source, mais pour littéralement nager à contre-courant, et voilà que ce travail d’athlète se trouve réduit à néant !

Il y a de quoi rire ! Un rire nerveux, un tantinet sarcastique. Cette part de moi qui refuse de mourir en écrivant ne se berce pas d’illusion : quoi que j’entreprenne, la fin est toujours proche.

Ceci étant dit, le vertige d’écrire n’a rien de mortel.

Ce sont les écrits publiés, voire simplement colportés sous le manteau qui peuvent coûter la vie à certains écrivains dans des circonstances historiques bien particulières.

Menaces de mort sur Salman Rushdie, Ossip Mandelstam mort au goulag avec tant d’autres, Paul Celan mort bien après la guerre, mais tout de même tué à retardement par les nazis, et tant d’autres d’hier et d’aujourd’hui. 

Toutes mes fibres vibrent à l’unisson de cette maladie mortelle qu’est la maladresse à mes yeux, sans que j’en sois affecté outre mesure. L’angoisse, c’est autre chose. Elle se manifeste en moi uniquement dans le souci que j’ai des personnes que j’aime, et elles sont peu nombreuses.

Aussi, pour faire court, je le dis tout net : un texte, quelle que soit son importance à mes yeux, est toujours nul et non avenu, qu’il demeure lisible pour un temps indéfini ou bien qu’il disparaisse à tout jamais par accident ou par ma volonté ou bien encore qu’il soit détruit intentionnellement par une personne malveillante, une bande de cinglés genres nazis ou autres ou bien quelque puissance de censure historiquement déterminée.

Pourquoi cela ?

Parce que ma pratique quasi quotidienne de l’écriture m’incline à penser que, sous mes doigts - sous ma plume, aurait-dit un écrivain avant l’invention du traitement de texte - tout arrive par accident.

La nécessité intérieure, pour reprendre l’expression de Kandinsky, n’est mue que par diverses circonstances, des accidents ou incidents qui affectent ma vie psychique et ma vie quotidienne, deux réalités qui ne sont en rien bifaces mais intimement imbriquées.

Nécessité ni exactement intérieure ni toute extérieure donc…

Il est vrai que tout écrivain qui se respecte est une sorte de Janus, mais cette idée-force a depuis longtemps fait florès. Je préfère laisser en friche ce terrain miné. J’y reviendrai peut-être un jour, à la manière d’un paysan qui pratiquerait encore l’assolement triennal au milieu d’un vieux champ de bataille truffé d’engins explosifs.

Mais revenons à ce qui m’occupe présentement.

Même l’absence de pensées ou de sensations notables voire extraordinaires ou de pensées qui heurtent ma conscience au point qu’il me faut de toute urgence y aller voir de plus près, participent du mouvement général-aléatoire de tout mon être.

Je n’y peux rien, ne puis que me glisser dans l’espace ainsi fracturé, m’insinuer dans la brèche, explorer les fissures dans l’espoir de passer outre. L’espace et ses multiples fissures facettées, c’est moi tout entier dans ces moments-là.

Si hasard il y a, alors il ne peut qu’être le fond de mon être.

Ayant maille à partir avec l’être, je suis conduit à penser que le tout de tout n’est tout au plus que la conjonction-dislocation permanente d’une série peut-être infinie de hasards heureux ou malheureux.

La chance insigne d’écrire ne peut que s’insérer dans ce vaste réseau d’aléas.

Je ne développe une idée que sous la contrainte bienveillante d’une curiosité qui m’est propre. Je désire voir où tout cela me mènera, mais sans pour autant me laisser aller à quelque démarche expérimentale que ce soit.

Ce qui m’est propre m’arrive, advient par moi et passe par l’étroit défilé que je suis à mon corps défendant, en se jouant de moi parfois.

Déjouer ce jeu, tel est alors l’enjeu : il s’agit, en somme, d’écrire à contre-courant de ce qui vient naturellement « sous la plume », à la manière d’un de ces grands rapaces qui refuserait les trop faciles courants ascensionnels.

Dans ce contexte métaphorique, je me vois d’ailleurs plus en hibou qu’en aigle royal…

Insensible qu’il est aux courants sensationnels, l’écrivain, le plus souvent, n’en est pas moins ce volatile huppé qui prend des airs, genre échassier qui chasse dans les basses eaux de la société dans laquelle il survit tant bien que mal !

Finie la gloire de jadis ! Mais laissons, Blanchot a explicité dès les années 50 du siècle dernier cette perte d’auréole mise en évidence par Baudelaire dans un poème en prose devenu célèbre.

Ce qui m’est propre, disais-je…n’est en rien ma propriété, tout au plus une propriété au sens chimique du terme, mais nullement fixe et préétablie.

Tout mon corps est certes génétiquement déterminé, mon être social formaté par une certaine éducation, ma vie psychique faisant le lien entre ce que je vis de par mon corps et ce qu’il m’est donné de vivre socialement, humainement, économiquement.

Un joyeux mélange de décisions inextricables prises sur la base mouvante de réalités qui échappent à ma volonté, un pot-pourri d’influences diverses et variées de toutes natures. Comme tout le monde, je filtre, je tamise, j’ordonne et je trie, sans jamais pour autant être en mesure de faire abstraction de ce qu’il faut bien appeler le monde réel.

Et l’on voudrait dans ces conditions qu’une harmonie nouvelle se lève dans ma voix, entonne un chant nouveau ! Voilà qui est impossible.

La notion de cycles me fascine. Je vais de cycle en cycle. C’est là que je trouve mon bonheur.

Une douce obsession m’habite sans me hanter. Pendant des semaines voire des mois, je tourne autour d’un thème qui roule sa bosse en moi. Le thème élu est un nomade aguerri, une figure erratique, un ensemble de pensées et de symboles qui vont et viennent.

C’est en cela que l’originalité formelle me laisse totalement indifférent. La roue tourne en avançant, avance en tournant, ce qui ne revient pas exactement au même.

Pour mon compte personnel - tout à la fois décompte des jours, compte-rendu d’expériences intérieures, mécomptes de l’histoire en marche, temps morts et temps faibles de mon horloge biologico-historique - tout compte fait, la roue tourne, la vie avance vers je ne sais quelle issue fatale, mais dans la pratique d’écrire, c’est l’inverse qui se joue : j’avance en tournant en rond jusqu’à épuisement de la matière thématique, comme deux paires de pneus de plus en plus usée finiraient par disparaître, mais en cours de route, une route est apparue au croisement d’autres routes qu’il m’aura fallu sillonner en tous sens, comme si j’allais inlassablement de miroirs cachés en miroirs déformants à la recherche d’un impossible reflet.

Narcisse s’est noyé dans son reflet, ignorant la nymphe Echo, la pauvresse.

Je pense ne pas être de cette trempe-là. Je me fais l’écho de trop de choses et de pensées pour devoir essuyer cette critique, mais rien, ni dans les choses ni dans les pensées qu’elles relatent, ne font ma fierté. Je suis un peu hibou, d’accord, mais sûrement pas un coq de bruyère ou de basse-cour !

Dans ces conditions, sacrifier à l’impératif d’originalité équivaudrait à plier le genou devant une autorité aux multiples visages, une sorte de kaléidoscope vénéneux où viendraient se regarder en miroir diverses instances toxiques telles que la critique littéraire, la pratique universitaire du commentaire, mais aussi la vox populi, ce je ne sais quoi d’anonyme et de stérile qu’on appelle l’opinion.

L’opinion toute faite, le prêchi-prêcha de gauche ou de droite, conservateur ou progressiste, très peu pour moi. Il faut être armé d’une solide idée de l’homme, d’une vision claire de la société dans laquelle il ferait bon vivre pour pouvoir seulement tendre l’oreille aux sirènes politiques. Ce n’est pas, cela n’a jamais été mon cas. Je ne flotte pas pour autant comme un bouchon sur l’eau au gré de courants à la mode.

Dire non au péril de sa vie parfois, ça oui !

Démarche, en cela, nullement anarchique mais fiévreusement anarchisante (je n’ai pas écrit anarchiste, terme fourre-tout qui engage qui s’en réclame, et je déteste toutes les banières et tous les drapeaux, fussent-ils noirs). Je ne hiérarchise rien ni personne.

Il s’agit de n’accorder aucune préférence théorique ou pratique, tout en respectant orthographe et grammaire pour pouvoir être quelque peu compris. Au milieu de ce monde « ancien », la syntaxe danse, prend des libertés avec les rythmes habituels de la langue, ceci étant dit.

L’idéal, en apparence, serait de s’abstraire de toute règle, de tout schéma, de tout a priori, mais à ce jeu, on ne fait que tourner en rond en allant d’expérience formelle en expérience informelle. Une forme introuvable se cherche jusque dans l’informe parfois.

Il s’agit certes de ne plus se conformer aux règles de la métrique classique qui conserve tous ces charmes, tout en ne donnant pas dans des expériences formalistes dont le siècle passé a fait le tour jusqu’à l’absurde mu qu’il faut sans doute par un sérieux désir d’obscurité.

L’hermétisme, non merci ! Libre à vous d’y sacrifier, c’est à vous de voir. Tout cela est purement décisoire, même si vous aimeriez faire accroire que vous ne pouvez faire autrement, tant le flux de ce qu’il y a à dire s’impose à vous sous le coup de votre inspiration.

Si inspiration il y a, alors c’est un coup d’aile qui s’appuie sur l’air ambient, jamais un coup d’épée dans l’eau destiné à tester la soldité des éléments.

L’insipration matérialiste de cette démarche ouvre sur une imagination matérielle mise en évidence avec brio par Gaston Bachelard qui distingue nettement l’imagination matérielle de l’imagination formelle toute faite de brillants spectacles, pour ainsi dire les prodrômes inconscients de spectacles hollywodiens à la Star Wars.

Pour ma part, l’obscur n’a aucun charme. C’est la pleine lumière que j’aime, mais pas celle, océanique ou méditerranéenne, qui enchante le grand nombre. Je préfère de très loin la lumière douce des sous-bois de mon pays, ses ombres délicates, sa lumière tout en clair-osbcur qui rayonne entre les hauts fûts.

Il ne reste, en somme, que les règles arbitraires que l’on se fixe pour élaborer un texte oulipien, si l’on tient à se donner un cap formel qui va donner au texte sa cohérence interne, sans jamais pouvoir pour autant lui insuffler un sens puissant et profond qui s’enlève sur un fond de vérité infrangible.

Mais puissance et profondeur ne sont à mes yeux que des vieilles lunes, des antiennes rabâchées ad nauseam, quelles que soient les formes qu’elles prennent.

La forme et le fond, vieux débat.

M’y débattre ne me séduit guère. Si je joue quelques instants avec ces deux notions, j’obtiens ceci :

Je suis de ceux qui ressentent que le fond commande la forme, mais c’est un fond sans fond, un puits dans lequel il n’y a rien à puiser, mais où tout est à construire : la forme, dans ce jeu, c’est le fluide que je déverse dans le fond qui s’élabore au fur et à mesure que je l’y déverse. Ce n’est donc ni un tonneau des Danaïdes ni une fontaine prête à l’emploi. 

Dans cette optique, le fond ne contient pas la forme au sens d’un puits, d’une vasque, d’un bassin, d’un cratère ou d’un vase qui retient l’eau ou quelque boisson enivrante : le fond contient le fond au sens dynamique de ce terme : il l’empêche de de disperser.

La forme, c’est la dispersion entravée, canalisée que prend le fond qui se reforme sans cesse au gré des flux et reflux des innombrables matières thématiques qui s’offrent à tout un chacun : thèmes d’actualité voire faits divers, questions de société toujours historiquement déterminée, etc… mais aussi symboles, runes, légendes et contes, sagas et mythologies.

Fond et forme, en cela, ne sont pas solidaires, il ne s’agit pas non plus de deux forces extérieures l’une à l’autre qui se complèteraient ardemment ou patiemment.

Le schéma complémentarité-concurrence-antagonisme ne peut rendre compte de ce qui est en jeu. Le fond ne complète ni ne concurrence une forme en cours d’élaboration. Il n’y a pas non plus de clair antagonisme, mais un mouvement centrifuge qui disperse les idées centripètes.

L’expérience langagière qui s’engage, à chaque fois qu’un texte s’élabore au gré de l’inspiration formelle qui nous anime, met en jeu le monde cosmique et le monde humain.

C’est ma conviction, que je n’ose dire profonde, c’est ce que je vis au jour le jour en tous cas. Pour ma part, l’harmonie est un leurre, je préfère la tension des forces en présence qui me tirent à hue et à dia, sans me déchirer. Je ne me prends pas pour Orphée.

Le monde en paix dans lequel je vis en France est un monde déchiré, fracturé et lacunaire. Il y manquera toujours l’épée de la justice, le sens de l’équité, la sagesse et la force tranquille seules à même de pacifier les conflits en satisfaisant toutes les parties en présence.

Les politiques jouent des tensions, les exacerbent pour servir leur carrière et leurs intérêts de classe. Ilse peuvent se brûler à ce jeu dangereux, mais peu leur importe, car il s’agit pour eux de solder de vieux compte et d’avoir leur heure de gloire. 

Et les conflits demeurent et mutent, se multiplient, se disséminent, s’empilent, s’amplifient et s’enveniment.

Dans de telles circonstances, comment un texte pourrait-il viser je ne sais quelle paix ? Il n’est que conflits, guerres intestines. Les écrivains, même les plus discrets d’entre eux, ne sont aucunement exemplaires.

Qu’ils se jettent à corps perdu dans la bataille des idées avec plus ou moins de sincérité et plus ou moins de talent ou qu’il trône dans leur tour d’ivoire, ils restent de petits joueurs qui ne misent jamais gros.

A certains, du moins, on peut reconnaître un mérite : à l’instar des musiciens et d’autres artistes, ils font parfois de leur vie une libre entreprise à leurs risques et périls, même si les poètes serviles et stipendiés qui sont légions ont tout l’avenir devant eux, du moins tant un Etat stable les jugera utile à sa cause.

Nos poètes stipendiés ont le vent en poupe sur un rafiot à la traîne d’une histoire plus grande qu’eux qui se fout bien d’eux.

Pour ma part, je n’échappe pas à la règle d’airain qui plane depuis la nuit des temps sur tout langage qui ne se veut pas strictement utilitaire.

D’abord comptable, l’écriture se mit ensuite au service des royaumes et des empires, conta maints et mains hauts faits devenus par le fait légendaires.

Dans ce chaos, surnagent carmenslatins et Zaubersprüche germaniques, langues des mages et des sorciers, captées-détournées par les prêtres des « grandes » religions constituées.

Mais laissons ce fatras historique. Dans mon cœur, je vis ici et maintenant dans un monde farouchement pré-chrétien.

Tout cela est-il bien raisonnable ?

Douce folie. Apre aussi. C’est folie que de vouloir être aimé.

Un alcool fort assurément comme on en fait dans mon pays avec les fruits du sureau, de l’alise ou bien encore du sorbier.

 

Jean-Michel Guyot

11 juin 2018

 

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