Poissonoeil
When I look at things I only see myself. Je regarde et ne vois que mon visage. Les mots que je viens d’écrire ne sont vrais que le dimanche. Durant la semaine je vis dans le noir et ne veux rien voir. Tous les chats sont noirs dans le noir. Ou peut-être pas. Je n’ai jamais eu de chat, sauf les chats des autres. Les yeux d’un chat dans le noir brillent d’un éclat d’au-delà, mais le chat ne le sait pas. Même quand je regarde un chat, je ne vois que mon visage, mais sans corps, toujours sans corps. Est-ce que ça veut dire que lorsque je me regarde moi-même, je vois un chat ? Non, généralement non. Mais souvent, à la tombée du soir-et ça peut être à n’importe quel moment de la journée-je me regarde dans le miroir et ne me vois pas. Je ne vois que les autres. L’oeil, ce petit organe sensible. Quand je rencontre quelqu’un, je le regarde bien dans les yeux pour voir ce qu’il peut ou ne peut voir.
Dans un champ désolé, des milliers de poissons gisent par terre, l’oeil mort, mais regardant toujours. Leurs écailles reçoivent les rayons du soleil pour réfléchir leur rayonnement dans l’oeil qui ne cesse de regarder. L’odeur de poisson est accablante, mais pas entièrement désagréable, car en elle on peut encore sentir le sel de la mer. Silence. Un paysan moustachu arrive avec un panier d’osier et se met à ramasser les poissons, qu’il met dans son panier, comme du fruit. Tout d’un coup, comme dans un film muet qui deviendrait brusquement sonore, on entend le bruit des vagues. L’homme arrête son travail et écoute, attentif, et les écailles qui se sont collés à sa peau le font luire dans le soleil comme un homme-poisson mythique.