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Fer de lance
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 Article publié le 30 avril 2017.

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Je n’ai pas renié le fer, je l’ai rogné, rongé, limé.

Des limailles entre mes dents sont encore bien visibles. Elles laissent un goût amer dans la bouche, un goût de fer précisément. Je ne suis pas rouillé, loin de là, mais il m’arrive de ressembler à la planète rouge.

Personne n’habite dans mes contrées, mais je sais de source sûre qu’on projette de me visiter pour m’explorer. Peine perdue, il n’y a non seulement rien à y voir et rien à y comprendre de bien spécial, mais je l’avoue, je n’abrite aucune forme de vie, si microscopique soit-elle. Je le saurais, si c’était le cas.

Depuis que les étoiles m’observent, je serre les dents. J’attends mon heure qui sera longue. De temps à autre, je crache une dent, et je ravale ma salive.

Mars en personne a fait de moi une petite lime qui rabote doucement les bords de l’univers visible. En bordure, j’entends le souffle des anges, comme si, forclose, une atmosphère proprement irrespirable se logeait dans mes pensées les plus douces.

C’est que le diable à l’affût des moindres détails n’est jamais loin quand on entend respirer les anges. La déchéance approche.

Partout où je vais, je ne trouve que fer et limaille, copeaux et bavures sur le grand champ de bataille ouvert sur le cosmos.

Le grand concepteur en chef s’est absenté. Il me laisse les traces bien visibles de son œuvre, et l’ampleur de sa tâche m’échappe encore. Je bataille ferme dans ses parages, ignorant où porter le coup fatal à ses bordées d’injures mécréantes.

A moi tout seul, je suis le fer de lance d’une aristocratie nouvelle qui n’a pas encore fait souche. Je suis ma propre fatalité.

Fatal orgueil qui aura raison de ma raison, si je n’y prends pas garde. J’ai crocheté la serrure du grand tombeau, j’y ai recueilli les larmes de Satan qui bouillonnait dans le grand ciboire. C’est que je ne mange pas de ce pain-là, moi.

D’ailleurs, je ne me démonte pas, j’affirme ici-bas dans la crypte violée par mes soins gourmands qu’un jour viendra où j’offrirai aux hommes de ce monde la primeur d’un fer forgé par leurs soins.

Dans l’attente de jours meilleurs, je prends des bains de feu dans le désert. J’étale ma suffisance, je clame au sable envahissant qu’un grain de sable ne fait pas un sablier, qu’une immensité sablonneuse ne suffira jamais à ma peine.

Rongé de plaisirs, je lance des gerbes de sable à la gueule des étoiles.

Elle est étroite, la frontière qui sépare la rouille du minerai que j’extrais chaque jour de mes forges.

J’apprends dans le temps long de l’exil à ralentir les processus. A toutes fins utiles, il s’agit bel et bien de me forger une lance si fière et si noble qu’à sa pointe je pourrai un jour convoquer toutes les forces présentement encore absentes.

La sarabande des dieux pourra alors commencer.

Nous passerons au fil de l’épée les ombres malveillantes, nous étranglerons joyeusement les fantômes du passé. A l’arrière-garde, ma lance veillera au bon déroulement des massacres ainsi perpétrés.

Un rayon de lune passera à travers le chas de cette aiguille si fine que le soleil en tremblera d’aise dans nos voix tonitruantes. Il en sera tout déboussolé.

Et dieux que j’aimerai cette fraternité nouvelle !

 

Jean-Michel Guyot

16 avril 2017

 

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