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Les rescapés - Août 1946
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 Article publié le 5 février 2017.

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Août 1946. Camps de personnes déplacées de Pocking en Basse Bavière

 Ils sont encore des milliers, parqués dans un autre camp près de la frontière Autrichienne avec d’autres geôliers certes plus aimables, certes bien nourris, enfin presque, certains d’un lendemain où la mort n’a pas son mot prépondérant à dire. Mais la liberté se fait attendre…toujours derrière des fils de fer barbelés ! Plus de deux ans après leur première libération. Les militaires américains qui les gardent ont apparemment beaucoup de difficultés pour les considérer comme autre chose que des prisonniers. Ils sont un poids dont les alliés vainqueurs veulent se débarrasser, mais…si nombreux ! Sous le régime nazi, ils étaient classifiés selon quelques critères seulement. Les juifs, les homosexuels, les prisonniers politiques avec une prédilection pour les communistes et les prisonniers de guerre ou évadés du travail obligatoire, enfin des droits communs fortes têtes jugées dangereuses ou autres inqualifiables.

 Ici, une seule catégorie, les DP pour Displaced Persons. Dans l’ombre de ce camp, et il y en a bien d’autres répartis dans toute l’Allemagne, des négociations sordides d’états débordés par cette masse qu’il faudra bien un jour "casée quelque part".

 Depuis 1924, la loi américaine des Quotas est stricte, l’admission sur le sol yankee se fait au compte-gouttes, sur des critères bien précis et l’on craint fort que parmi ces juifs dont on ne sait que faire, s’infiltrent des espions du communisme, des nombreux collaborateurs de SS, surtout des slaves, des Roumains et des Ukrainiens. Personne ne veut de ces pauvres qui font peur, de cette racaille possible et à l’hygiène douteuse.

 Les juifs Polonais et Russes, Roumains ou Hongrois ne désirent surtout pas rejoindre leurs respectifs pays. Bien avant la guerre ils y étaient déjà victimes d’injustifiables et sanglants pogroms. On parle d’un camp, celui de Bergen-Belsen où une organisation sioniste prépare un État Israélien sur les terres promises par Dieu à son Peuple. Ils ébauchent déjà les lois qui régiront leur communauté. Des ramifications recensent, regroupent, dirigent puis déplacent des milliers d’hommes en quête d’une patrie nouvelle. Elles trouvent des bateaux en Europe et en Afrique du nord. Mais, messieurs les Anglais ne sont pas d’accort. Il faut ménager leurs amis arabes qui détiennent la clé énergétique de demain…le pétrole. Des marionnettes sont placées à la tête de pays nouveaux aux sous-sols gonflés de gaz ou de naphtes précieux ; ces richesses incalculables vont demain tomber dans l’escarcelle britannique. Et d’importants accorts d’exploitation de ce nouvel or qu’l’on appelle noir sont en voie de signatures.

 La guerre est finie, uniquement en Pologne on peut compter quatre cent mille orphelins de père et mère. Dans toute l’Europe le chiffre d’enfants recherchant un lien familial s’élève à…treize millions. Et il reste seulement dix-huit millions de DP. Seulement !

 Dont François Berheim.

  Enfin, pas tout à fait...

  Un "François" se racontant volontiers à qui veut l’entendre autour de lui. Plus question d’être Français, la langue elle-même le dégoute presque, une haine incommensurable de l’aboutissement d’une jeunesse pourtant prometteuse. Ce qui reste est un cœur où les sentiments humains seront bannis ! Souvenir de la horde hurlante qui s’est engouffrée dans la montée d’escalier. A défoncé la porte de l’appartement familiale, sous les coups et les insultes elle a emmené tout le monde sans aucune considération, ni pour maman ni pour Lise la sœur ainée qui allait se marier moins d’une semaine plus tard. Cette bande d’abjectes ne parlait pas un mot d’Allemand !

 Libéré du sinistre Dachau par les troupes Yankees, il devait être normalement récupéré par ceux de son sang. Aucune nouvelle de la famille Berheim lyonnaise, aucune envie de la revoir sur les bords de la Saône ou du Rhône. Fuir ce pays qui l’a livré à la barbarie des nazis, vite et sans en éprouver le moindre remord, jamais ! Il va être facile de contacter l’oncle Ibrahim à Boston. L’organisation juive qui va enfin l’accueillir à Paris devrait se charger de tout ; et si par la suite il apprend que ses deux frères ou sa sœur sont vivants, il ne remettra surtout pas les pieds en France. Pour les parents, peu probable que la frêle maman soit encore de ce monde. Quand à papa, le jour même de l’arrestation, il a essayé de s’enfuir dans la rue. À peine dépassé le coin de la rue, une rafale de mitraillette…

 Une identité dont il ne veut plus, une nationalité qu’il rejette, François a une petite idée derrière la tête. Pour s’en sortir, peu importe le mensonge, l’honnêteté ne sert pas à grand-chose dans ces cas-là. Les Français ont un mot pour ca…la démerde. Appliquée d’une toute autre façon que celle qui lui a permis de survivre dans l’horreur du camp. Pour peaufiner son personnage, depuis deux mois déjà il raconte son époque d’étudient en deuxième année de médecine, juste avant que les juifs ne soient exclus de l’université. Le vrai François, compagnon de misère et d’infinies souffrances, git dans un entassement macabre d´une horrible fosse commune recouverte par un tractopelle.

 Ce véritable gone des pentes de la Croix-Rousse parlait tellement de sa fac à Lyon, que le Franck d´aujourd’hui est désormais incollable sur le sujet.

 Il a appris par cœur beaucoup de dates, celles des naissances, celle du mariage de papa maman et de la mort des grands-parents, le nom des cousins cousines et quelques insignifiants détails sur leurs respectifs appartements ou maisons de Lyon et sa proche banlieue. Une ville où il n’a mis les pieds que deux fois pour visiter une lointaine famille.

 Celui qui lui a raconté toute sa vie, a dormi (parfois, quand les SS le permettaient entre deux interminables stations-debout prolongées sur la place d’appel) un an et demi à ses côtés sur la même paillasse pouilleuse avant de se pendre comme tant d’autres avec le triste mot "enlevez". C’était fin novembre 44, il aurait pu vivre cet idiot avec la protection d’un gars comme ca. Un qui s’arrangeait toujours pour chiper des miettes de bouffe aux autres décharnés. Un doué qui repérait la plus petite chose de valeur encore cachée pour la refiler aux capos contre une ration supplémentaire ou un peu d’eau non polluée. Un qui dormait sur les planches du haut en évitant ainsi de recevoir les excréments des autres, comme les cons d’en bas ! Un mec comme ca, ne s’appellera pas François, Frank est un prénom plus convenable, celui d’un gagnant. Un vrai dur de dur. En fait, un petit truand stéphanois assassin non découvert, raflé lors d’une opération de simple police, les autorités collaboratrices avaient vite vu une fausse identité prise par un gars allergique au travail obligatoire en Allemagne. Allez hop, déporté !

 Mais aussi un homme exceptionnellement observateur et doué d´une mémoire photographique hors du commun. Dans le camp maudit il savait tout sur tout le monde et sans scrupule ni pitié, monnayait habilement ses informations.

 Personne ne doit se souvenir de ton véritable passé. Une nouvelle vie commence pour un homme qui fut parricide à vingt ans, enfin d´une certaine forme. Par contre à cet âge là, il a vraiment mis trois balles dans la tête d´un homme, sans hésitation, sans regret !

 Avec en Amérique un oncle nommé Ibrahim certainement plein de pognon. Vous pensez, un juif ! Pour mieux se fondre parmi ces opulents faiseurs de merde, avec une lame minutieusement affutée, il va falloir s’auto-circoncire. Courage mon gars, serre les dents et ne tremble pas, comme tu ne l’as pas fais pour bruler ce numéro qu’un salopard d’assistant SS ukrainien t’avait tatoué sur la peau. Comme tu ne l’as pas fait pour enlever les bois où ce minable François était monté pour enfiler son maigre cou dans un semblant de corde, après avoir échangé vos vestes. Elle t’allait bien cette belle étoile jaune. Grâce à elle, tu seras riche. Tu en as appris suffisamment sur cette race, pour donner le change une vie entière.

 

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