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Article publié le 26 juin 2006. oOo Mesquineries au seuil de l’incompréhension. Je ne l’avais pas vue depuis cinq ou six ans. La vie nous emprisonne dans son quotidien et nous plie à ses lâchetés ; un peu comme quand des connaissances doivent passer le dimanche et vous inventent un empêchement de dernière minute ou une bonne raison de rester chez soi. Le temps passe, on ne fait que se croiser en ville ou au supermarché, sauf si on presse l’allure avec son caddie entre les rayons comme on appuierait sur l’accélérateur quand le feu passe à l’orange, pour éviter d’être bloqué... Il y a deux ans, le petit (encore un terme de discorde : l’appeler le petit alors qu’il se promène avec son mètre quatre-vingts et ses trente ans passés) s’est rendu chez elle pour lui dire la réalité des faits ; vérité que je connaissais mais dont je ne lui avais jamais fait part quand bien même cela aurait pu me dédouaner de ses reproches. Ce jour-là, il m’a téléphoné de chez elle pour me dire de ne pas m’inquiéter, qu’il ne rentrerait pas déjeuner. En milieu d’après-midi, j’ai tout de même appelé car je commençais à m’inquiéter justement. Elle a répondu qu’il venait de partir, qu’elle l’avait trouvé changé, plus mûr, posé dans ses remarques. Je ne me suis pas laissée attendrir et notre conversation a été des plus brèves. Je me contentais de profiter de la vérité sue, justifiant mes agissements passés et présents par l’injuste traitement dont je me considérais victime. Oui j’avais encouragé mon fils à la quitter, non je ne le regrette pas. Il m’avait avoué, quelques jours avant de faire sa demande, ne pas être certain de l’aimer comme il faut, d’être plus reconnaissant qu’amoureux. Mais moi aussi je m’étais prise d’affection pour cette petite qui l’avait aidé à devenir médecin. En six ans, je m’étais habituée à sa douceur, sa frimousse pleine de taches de rousseur et ses yeux de chatte dès que l’on parlait de l’avenir. Je me demande même si elle n’a pas davantage travaillé que lui à sa réussite : révisions à deux, interrogations des heures durant sur l’anatomie et le reste ; elle était allée jusqu’à taper sa thèse de doctorat à partir de ses brouillons et quand on connaît son écriture de cochon, ce n’est pas peu dire... Malgré mes sentiments pour elle, j’avais acquis la certitude, depuis cet aveu, que rien de solide ne pourrait se construire dans ce couple sur les branlantes fondations de la « reconnaissance » et je l’avais fait comprendre au petit qui s’était résolu un peu trop tard à la quitter, je l’admets. A la réflexion, son appel n’était rien moins qu’une une approbation rétrospective de mes agissements alors qu’elle venait d’apprendre les dessous de l’histoire. J’avais refusé la réconciliation avec calcul et froideur sans même l’excuse de la colère. Toujours est-il qu’au fil des mois, je me suis accommodée sans fierté de cette situation. « Caroline Vauclair a l’immense douleur d’annoncer le décès de sa mère, Adélaïde Vauclair, à la suite d’une d’une longue maladie . » J’ai reposé le journal. J’ai songé que la petite, fille unique, avait veillé sa mère sans moi, s’était occupée seule de l’enterrement, des formalités de la succession chez le notaire et de l’hôpital peut-être. Une longue maladie dont je n’ai rien su. La cérémonie a lieu ce matin et je suis en robe de chambre assise dans mon salon, la page des Avis d’obsèques pliée sur les genoux. Quelle pauvre petite vieille je fais. Demain, j’irai au cimetière pour lui dire au revoir. |
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