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Dictionnaire Leray
ADJECTIF

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 Article publié le 14 février 2016.

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Si l’on voit d’un côté fleurir des discours qui promeuvent la série et le sériel, de l’autre c’est un mot devenu transparent dans l’espace social tant il est omniprésent au quotidien : commerce, industrie, médias le rendent constant autour de nous.

Mais la série n’est pas le sériel et ces séries du quotidien ne sont pas le concept de série, même au sens publicitaire, ne sont pas la notion de série. La série y a la transparence d’être un pur mode de production.

La série n’est pas le sériel. C’est ce qui se vérifie encore dans l’observation des domaines discursifs de l’un et l’autre mots.

Le mot de Proudhon, auquel il tenait plus que tout (il détestait l’adjectif « sériaire » proposé par Fourier), « sériel » est resté longtemps inactif, après que la « doctrine sérielle » a eu perdu ses derniers émules, à la fin du XIXe siècle.

Sa résurgence en 1946 dans le domaine de la musique n’en a pas fait l’alter ego adjectival de « série », loin s’en faut.

Aujourd’hui encore, le mot « sériel » est un discriminant lexical en ce qu’il implique, presque toujours, un discours scientifique ou intellectuel spécialisé.

C’est très net dans le domaine des séries télévisées, alors que les séries font l’objet d’une célébration constante s’appuyant sur des magazines, des sites internet, etc.

Le mot « série » vit à travers nous des histoires séparées. Il faut penser à la coexistence de deux syntagmes, « en série » et « en série ». Apparemment identiques, ces deux locutions relèvent de deux histoires bien distinctes de la série. Le « montage en série » (électr.) reste une acception spécifique, distincte de la « fabrication en série » (du fait de son antonymie « en parallèle »).

Cette spécialisation est restée longtemps cantonnée au domaine électrique. L’informatique l’a réinvestie récemment et désormais, cette opposition singulière (qui n’a pas d’incidence sur les autres histoires de la série) investit le domaine des sciences cognitives.

S’il est un correspondant adjectival dans le langage courant d’aujourd’hui, ce n’est pas tant « sériel » qu’« en série ». Non dans le sens électrique, mais dans le sens industriel, plus tardif (la « fabrication en série » est attestée vers 1905). En témoignent notamment les expressions liées aux « tueurs en série », équivalent fr. de « serial killer ».

De façon on ne peut plus nette, l’usage a exclu « tueur sériel » du champ sémantique de ce type de manies. La criminologie en revanche s’inscrit pleinement dans une approche « sérielle » avec, en particulier, les travaux de Villerbu. Là encore, la partition entre l’usage courant et le discours académique est sensible.

Sans qu’on sache bien pourquoi, il a toujours été problématique d’adjectiver « série ». La chose aurait pu être résolue depuis très longtemps car « sérial » existe depuis la fin du XVIIIe siècle pour les sciences naturelles. Une fixation ancienne restée exclusive de la zoologie et de la botanique et qui reste productive de nos jours. Mais l’adjectif « série » n’a pas convenu à ceux qui en avaient besoin.

Il y a eu ce conflit philologique entre Proudhon et Fourier. Il est surprenant de voir l’importance qu’accorde Proudhon à la morphologie de l’adjectif, même.

Mais au fond, la question d’adjectiver « série » intéresse peu de monde. Et chacun sent bien qu’il y a une césure conceptuelle entre les choses qui se présentent à nous comme des séries, vêtements ou bandes dessinées, voitures et téléphones portables, et cette chose opaque qui est « le sériel » et qui est affaire de concept, nécessairement.

La série « du commun » n’a pas d’« -isme » à défendre. Elle se présente dans l’ordre de la consommation d’abord. Et puis révèle sa parenté avec la production industrielle. Elle n’a rien à défendre. Elle est donnée d’avance, par avance.

Ce qu’il faudrait appeler « série de l’en-série » vit une vie distincte du concept sériel, distincte même d’elle-même car si j’opte pour une voiture de série, mon adhésion va à la voiture et pas à la série. Mes « séries préférées » à la télévision sont des titres et des personnages, pas des formes ou des types de série.

La série ne saurait recevoir d’adjectif car elle n’est pas objet en soi. Si elle le devenait, il est à craindre que ce soit tout un univers discursif qui soit détruit.

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  Evolutions ultérieures par Pascal Leray

Il est à noter que l’emploi de l’adjectif a considérablement évolué depuis les années 2010, sous la pression de l’audiovisuel et des "séries télévisées" qui sont devenues à la fin des années 1990 un secteur commercial particulièrement porteur. En témoigne notamment la recrudescence des publications notamment périodiques du type "Séries magazine", "Seriemania". Il fallait une bonne décennie pour que l’adjectif entre dans la sphère audiovisuelle pourtant. Il reste relativement rare mais apparaît déjà courant dans le vocabulaire journalistique spécialisé. Cette poussée permettra-t-elle à l’adjectif de briser le plafond de verre qui le sépare du langage commun ? Même si le domaine de spécialisation (les séries télévisées) est populaire, l’alter ego adjectival de "série" implique un décentrement du point de vue que beaucoup ne sont pas prêts à franchir. Dire "sériel", c’est postuler un en-soi de la série. Or, les amateurs de séries n’ont que peu d’égard pour la structure sérielle, même s’ils en maîtrisent la terminologie (les "saisons", en somme). Or, la réception la plus commune d’une production audiovisuelle ne s’accroche pas tant à son organisation structurelle qu’à son "contenu narratif" : intrigue, personnages, vraisemblance et psychologie dominent la compréhension de la série télévisée par son amateur même chevronné. Les procédés filmiques sont surtout évoqués quand ils faillissent, par leur grossièreté ou leur répétition exagérée. Pas de quoi faire une thématique sérielle, vraiment. Il serait plus simple que les mêmes gens écoutent de la musique sérielle. Là, ils pourraient partager l’adjectif "sériel" avec leurs contemporains sans la gêne qu’on éprouve quand on lance une discussion pour laquelle on n’a aucune matière, pas de connaissance, rien... L’application de l’adjectif "sériel" à la série télévisée a été popularisé par Umberto Eco, puis par Paul Bleton, en vue de décrire les productions audiovisuels basées sur une logique industrielle de répétition programmée : format identique, récurrence des personnages et / ou du type d’intrigue, homogénéité stylistique. Chez Umberto Eco, il s’agit d’un choix délibéré de tourner le dos au modernisme dont l’esthétique sérielle est en quelque sorte un avatar. Curieusement, l’emploi de l’adjectif "sériel" est, chez lui, une attaque réfléchie d’un héritage pourtant très vivant, celui de la musique sérielle. A la série comme principe différentiel (A = 1 + 0,5 + 0,25, etc.) il substitue - assez grossièrement, qui plus est - une définition issue d’un dictionnaire indéterminé qui ramenerait, en somme, la notion de "série" à la répétition. Le sériel de la musique sérielle serait donc un échec (une "impasse, diraient d’autres) tandis que le sériel de la série télévisée (nous sommes en 1994) porterait un regard subtil, ironique même, sur des productions qui se distinguent l’une de l’autre comme le feraient deux modes d’élevage de poulet en batterie. Soit. Mais a-t-on jamais vu des amateurs de "fried chicken" discuter de leur préférence pour l’un ou l’autre de ces modes de production ? Ce n’est pas très différent, au fond. Il n’est donc pas acquis que l’adjectif "sériel" se popularise réellement sous la pression de l’univers audiovisuel qui a d’autres chats à fouetter. La question de la série ne s’y pose jamais. Dans l’univers musical, en revanche, c’est bien la question de la série qui s’est posée - et ce, de façon parfois virulente. C’est pourquoi l’adjectif "sériel" s’est imposé à René Leibowitz, vraisemblablement inspiré par Jean-Paul Sartre. Il est, certes, d’autres emplois de l’adjectif sériel. Mais en philosophie, il représente un concept daté, associé quasi exclusivement à la philosophie de Sartre. Pour la musique, c’est un héritage vivant, dont le point d’impact s’éloigne de nous et ainsi, paradoxalement peut-être, nous permet d’entrevoir le rayonnement à venir.


 

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