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Les noyés du jour au bord de la mer - pour Stéphane Pucheu qui publie un MAGNUS I aux éditions Non-31.
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 Article publié le 9 octobre 2022.

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Vous auriez connu Alfred dans notre jeunesse ! Ah l’inventeur ! Pas menteur. Attention. J’ai pas dit ça. Je dis bien inventeur. Vous n’aviez pas fini de poser une question que déjà la réponse vous tombait dessus comme l’averse en été. Et c’était pas la bonne réponse. Ça, tout le monde le savait. On s’attendait à quelque chose de nouveau. Et on était pas déçu. Je sais pas comment on appelle ça. Moi je dis invention. D’autres diront autre chose. Mais enfin, puisque c’est à moi que vous demandez un avis sur la personne d’Alfred Cossum, je vous dis invention et je sais ce que je dis.

Un exemple ? On avait pas douze ans. Julie non plus n’avait pas douze ans. Elle nous dépassait d’une tête. On jouait toujours ensemble. Vous savez ce que c’est les gosses. On invente sans arrêt. Des histoires, des personnages et même des endroits où on a jamais été. Bon je dis pas que la télé n’y est pour rien. Je reconnais l’influence. La pub, les séries, les infos, les discours moralisateurs. Jamais un seul appel à la subversion. Pas étonnant qu’une fois qu’on a du poil au cul on a envie d’autre chose. On se met à lutter et, la plupart du temps, on lutte pas longtemps, on accepte les choses et on va voter avec les autres chiens pour se donner l’illusion de la liberté et de je sais pas quoi encore. Et les Amerloques en rajoutent. Y a pas comme un Ricain pour vous flatter la fierté française. Ils savent comment s’y prendre pour qu’on change pas. Et de nos jours, y a plus de coboilles ni d’indiens. Y en avait pas non plus du temps de Julie. Dire qu’elle est morte à douze ans. Et que c’est de ma faute.

On était plus que trois ce jour-là. Tous à poil dans le bassin d’irrigation. De filles, y avait Julie et sa pote Néferkiki. C’est comme ça qu’on l’appelait. On avait de l’éducation. Et surtout on avait vu comment Toukenklamon y se servait d’elle pour avoir du plaisir. On avait étudié ça de près. Le nez collé à nos tablettes respectives. On voyait la même chose en même temps. Et chaque fois qu’on posait une question, parce que tout le monde comprenait pas, Alfred inventait une explication qui nous laissait sans voix.

Je sais pas pourquoi, peut-être à cause de mes fréquentes éjaculations, tout le monde a décidé de m’appeler Toutenklamon. Tout le monde sauf Julie qui voulait pas s’appeler Néferkiki. Du coup, c’est sa copine qu’on a appelé comme ça. Sans me demander mon avis. Entre Julie et sa copine, y avait pas de comparaison. Surtout de profil. La fausse Néferkiki avait du bide. Et un nombril que je suis sûr que si la vraie épouse de Toutenklamon en avait eu un comme ça, elle aurait eu honte de pas s’appeler autrement. Mais Julie voulait pas jouer, surtout que le dernier épisode avait été chaud. Et quand je dis chaud, je dis caliente.

Bref on se met tous à poil, même Julie qui s’en foutait qu’on la trouve belle. À douze ans, tu dresses. Et Néferkiki se marrait sans toucher parce que les mecs avaient cessé de reluquer le corps de Julie ; ils se regardaient entre eux. Et comme de juste, j’étais le mieux dressé. C’est de famille. Ma mère s’en plaignait pas, mais mon père est devenu alcolo à cause du boulot et elle a dû se contenter d’une approximation extraconjugale. L’inceste étant tabou, je suis allé voir ailleurs. Et je suis tombé sur Julie.

J’étais pas le premier. Alfred était déjà là. On aurait dit un oiseau en cage. Qu’est-ce qu’il pouvait chanter ! Comme si elle allait lui ouvrir la porte. Et rien qu’une robe légère sur la peau. Plutôt que de s’embêter à entrer dans un maillot étroit, on quittait la plage et on montait au château. Le bassin d’irrigation contenait une eau toujours bleue et limpide. Elle était même plus chaude que la mer. Et y avait pas de vagues pour interrompre les conversations. On s’accrochait au rebord de ciment et, le cul sur une sorte de bâche qui descendait vers des profondeurs jamais explorées, on se refaisait le dernier épisode. Avec Néferkiki, parce que Julie préférait nager. Elle allait même jusqu’au centre du bassin, au-dessus de la profondeur. Et Néferkiki avait beau activer mes mécanismes, c’était Julie que je voyais en reine du Nil, toute nue dans l’eau, avec des crocodiles qui n’osaient pas s’approcher d’elle. On avait une sacrée trouille de cette profondeur. Seule Julie pouvait la voir et en dire quelque chose.

Mais elle ne disait rien. C’était pas faute de l’interroger. Et Alfred inventait. Elle l’écoutait sans rien dire, les yeux à moitié fermés. Il allait au bout de son invention. Et quand il avait fini, nos regards se tournaient vers Julie pour l’entendre critiquer, dire si c’était ça oui ou non la profondeur de ce sacré bassin. Elle pliait alors ses jambes sous l’eau, prenait appui sur le bord glissant et se retrouvait en quelques brasses au milieu du bassin. Elle nous narguait pas. Ses cheveux flottaient autour d’elle. Elle en avait des blonds avec des frisettes au bout. Je sais pas si c’était naturel. On pouvait voir ses épaules et on devinait les bras qui décrivaient des cercles. Elle était si proche de la profondeur qu’on en était réduit à désirer retourner dans nos slips. Néferkiki se marrait. Elle avait la trouille elle aussi, mais c’était pas important pour elle de rejoindre Julie. Elle cabotait, pour ainsi dire, se rapprochant de chacun d’entre nous pour tenter de l’exciter. Et quand elle arrivait à la hauteur d’Alfred, il inventait quelque chose qui la laissait bête et elle s’isolait jusqu’à ce que Julie revienne au bord. Voilà comment on faisait.

On faisait ça tous les jours. C’était l’été. On avait pas tout le temps devant nous. Alfred repassait les images de l’été précédent sur son écran. On se revoyait en plus petit. Ça nous fichait le cafard. Et là, Alfred trouvait rien à inventer pour nous sortir de ce mouron.

Et c’était tous les jours pareils. On en avait vingt et quelques, ça dépendait des décisions paternelles et des caprices de la vieille. Ça passait vite quelquefois. Je sais pas pourquoi. C’était exactement les mêmes journées, mais certaines filaient comme le temps alors que les autres paressaient avec nous. Et puis on se couchait tard et on se levait tôt. Je retrouvais Julie sur la plage. Elle arrivait toujours la première. Enfin, après son vieux qui remontait la tente pour que mémère se mette à l’ombre. Elle avait aussi un frère qui lui ressemblait pas. Il était toujours à poil, à cause de son âge. Il passait son temps au bord de l’eau, dans les vaguelettes et le soir, il s’endormait sur la terrasse de l’hôtel. Je sais pas ce qu’il en faisait après. On le retrouvait le lendemain dans les vaguelettes. Julie avait déjà enfilé son maillot, un deux pièces. Elle se tenait un peu à l’écart. Elle me voyait arriver. Je me demandais alors pourquoi elle souriait jamais.

Ah si y avait pas eu Alfred pour inventer, je l’aurais mieux approchée, Julie. Et j’en aurais su, des choses. Mais Alfred existait. J’avais pas fini d’arriver qu’il était là à inventer quelque chose alors que personne ne l’avait sonné. Julie entrait dans l’eau jusqu’à mi-cuisse, elle s’aspergeait en frissonnant à peine et elle piquait une tête sous le regard inquiet de son papa qui attendait qu’elle refasse surface pour se remettre à monter la tente. La mère attendait sur le parapet, entourée de sacs et de matelas.

L’idée du bassin d’irrigation était de moi. Personne n’avait eu l’idée de monter jusqu’au château par la mer. Les visites commençaient sur la route, au niveau de la grille qui se refermait le soir. Un matin, je suis allé voir les plongeurs au pied de la falaise. D’ici, on entendait leurs tubas. Mais quand je me suis approché, j’ai vu les poissons à leurs ceintures quand ils revenaient sur la roche pour se désaltérer. Ils étaient armés de fusils. Les harpons lançaient des éclats de lumière sur les rochers. Y avait toujours une femme avec eux, vêtue d’une combinaison jaune. Elle chassait pas. Je crois qu’elle photographiait. J’ai jamais eu de conversations avec eux. On aurait dit que je les gênais. Alors je suis monté par le chemin qui les avait amenés. Et je suis arrivé en haut au bout d’un bon quart d’heure d’effort comme jamais j’en avais fait. Je suais comme s’il pleuvait. J’ai aperçu la toiture grise du château au-dessus d’un bois. Un champ sans vaches s’étendait devant moi. Et je me suis dit que ce serait marrant d’aller au château en empruntant le chemin des buissons. Ça ne m’arrivait pas si souvent de transgresser les règles.

Je suis tombé sur le bassin. Un chien buvait, en équilibre sur ses deux pattes de devant. Je lui ai fichu une telle trouille qu’il est tombé dans l’eau. C’est comme ça que j’ai sauvé un chien de la noyade. J’invente pas. J’y étais. C’est drôle, mais ce chien s’est attaché à moi. On s’est revu le lendemain et les jours suivant, mais dès que j’ai amené Alfred pour reconnaître les lieux, il a disparu de mon existence. Un peu comme si je l’avais inventé. Mais je suis pas Alfred. Je m’appelais déjà Toutenklamon. Et j’avais caressé la chatte humide de Néferkiki. Plus d’une fois. Avec le bout de ma queue. Elle adorait ça.

Quand il a vu le bassin, Alfred a tout de suite noté qu’il y avait une profondeur et qu’on finirait par avoir envie de la voir, de la mesurer. D’après lui, c’était une mise en danger inespérée. On ne pourrait pas s’empêcher d’avoir envie de nager jusqu’au milieu du bassin pour évaluer les effets de la profondeur sur notre capacité de résistance. Il avait raison. On est revenu avec quelques autres. Ils ont tous éprouvé une sorte d’angoisse à l’idée de devoir un jour nager jusqu’au milieu du bassin. C’était un défi. Il faudrait oser, un jour ou l’autre. C’était peut-être mieux si on revenait pas, suggéra quelqu’un.

On est revenu. Toujours sans les filles. On s’asseyait sur le bord de ciment gris, les genoux sous le menton, et on regardait le milieu du bassin. C’était pas facile d’évaluer cette distance. Alfred disait que c’était de l’eau non salée et qu’il est moins facile d’y flotter que dans la mer. On savait pas s’il avait raison, mais on avait une envie inexplicable d’y croire. Quelques-uns se sont risqués à perdre pied. C’était pas difficile. La paroi descendait vite. Et en plus, ça glissait. On avait vite fait de se mettre à battre des pieds et des mains pour pas couler à pic. Et pas un de nous n’a réussi à nager dans ces conditions. La théorie d’Alfred tenait debout. Pour une fois, il inventait pas. Et ça le rendait morose. Il allait pas plus loin que la longueur de son bras, avec au bout une main crispée sur l’angle du ciment, à un endroit où il avait repéré une aspérité. L’autre bras s’aventurait le plus loin possible. Et il en riait pas comme nous. Qu’est-ce qu’il allait inventer maintenant ?

Pourtant, Alfred n’était pas le moins prudent. Personnellement, j’avais essayé de plonger. Des fois, un plongeon vous met en situation d’aller plus loin que prévu et alors tout votre corps se met à l’œuvre pour éviter la noyade. On savait bien ce que c’était un noyé. On en avait vu plusieurs sur la plage. On ne prend pas ses vacances à la mer sans avoir jamais assisté, sinon à une noyade, du moins au retour du noyé sur le sable. Celui qui résiste à ce spectacle n’est pas un homme. La mort vous pénètre comme l’eau est entrée dans le mort. Vous ne pouvez pas rester insensible à cette tragédie.

Julie m’avait paru indifférente ou réfractaire, je saurais pas dire si ça ne la touchait pas ou si elle résistait à la tentation de se laisser envahir par la peur. C’était au début de l’été, celui que j’avais mis à profit pour découvrir le bassin. Disons dix jours avant. Je connaissais Julie depuis des années. Je me souvenais même pas de la première année. Et cette année-là, un noyé était couché sur le sable, les yeux grands ouverts. C’est le père de Julie qui s’était demandé ce que ce type fabriquait couché comme ça sur le dos, les bras en croix, en train de regarder le ciel sans ciller. C’était pas indécent. Le type portait un grand maillot à fleurs. Il était seul, comme s’il avait l’intention d’occuper la place. Le père de Julie commençait à ruminer, ce qui a compliqué le montage de la tente. Et Julie, qui se doutait que ce type ne vivait plus, s’était approchée pour vérifier son impression. Le regard était glauque, comme à la télé. La poitrine semblait bouger, mais c’était l’effet du ressac. Les orteils, tout blancs, ne frémissaient pas dans l’écume. Le père de Julie s’est alors approché à son tour pour s’excuser auprès de cet homme du comportement de sa fille, avec dans l’idée de se renseigner sur les intentions de l’intrus. Il a tout de suite compris qu’il était mort. Je suis arrivé à ce moment-là. La mère de Julie me retenait tout en appelant sa fille à voix basse. Julie est revenue en haussant les épaules. D’après elle, ce genre de choses arrive forcément. Il faut bien que ça arrive à quelques-uns d’entre nous, avait-elle déclaré. Ça m’a fichu un frisson de bas en haut. J’en ai presque tourné de l’œil.

Voilà pourquoi j’ai parlé du bassin à Julie. Alfred m’avait fait jurer de garder le secret et il avait promis des sanctions si jamais un d’entre nous s’avisait de le trahir. C’était ma découverte mais, d’après lui, il en était le seul inventeur. La preuve en était qu’il avait été le seul à s’approcher du centre du bassin, là où la profondeur menaçait de nous engloutir à jamais. Personne n’avait osé aller aussi loin que lui. Mais il s’était lui aussi accroché au bord et il ne l’avait pas lâché. Il appelait ça du courage. Il paraît qu’il faut en avoir pour inventer. Et j’avais, toujours d’après lui, la chance d’avoir fait une découverte. Ceux qui n’ont pas la capacité d’invention, s’ils ne découvrent rien par hasard, comme je l’avais fait, étaient voués à une existence de fonctionnaire. Et il refusait de m’entendre invoquer l’intuition. J’avais eu du pot, c’était tout. Et comme j’acceptais pas cette espèce de condamnation au silence, j’en ai parlé à Julie qui m’a demandé d’arrêter de bander, si c’était possible bien sûr.

On est allé Julie et moi au bassin, sans les autres. Et surtout pas avec Alfred. KONZ ! Elle a plongé tout de suite et en moins de temps qu’il en faut pour le dire, elle a atteint le milieu du bassin. Elle ne ressentait rien de particulier. J’étais encore debout sur le bord de ciment. Je ne lui avais posé aucune question, des fois qu’elle se mette à inventer elle aussi. Mais non, elle ne ressentait rien, et non seulement elle ne ressentait rien, mais elle ne voyait pas l’intérêt de ressentir quelque chose. Elle m’a même demandé à quoi je pensais. Et si ça me faisait bander d’y penser. Elle avait entendu dire qu’il y a des choses plus bandantes que les filles. Et qui lui avait appris cette foutaise ? Alfred. Je pouvais pas rétorquer que c’était encore une invention. Certes, la peur agissait sur mes glandes, mais je bandais pas en présence de l’inconnu. « Ah… dit-elle, c’est l’inconnu qui te fait peur… » Et elle plongea.

J’ai vu ses pieds s’élever dans le ciel, puis descendre comme le long d’un fil vertical et ils ont disparu sans bruit, sans clapotis, sans rien que je puisse exprimer maintenant pour donner une idée de mon angoisse du moment. Et pendant une bonne minute, elle a disparu. L’eau s’était refermée. La surface avait retrouvé sa stagnation, à peine frissonnant dans la brise légère qui venait de la mer.

C’est sa tête qui a crevé cette surface immobile. Une tête ensoleillée, lente. J’étais muet d’admiration. Elle a refusé la main que je tendais. Ses jambes se sont croisées au-dessus de l’eau. Un prompt rétablissement, comme disait Maman au sujet d’autre chose. Julie était devant moi. L’eau formait une flaque sous elle. Elle cherchait mon regard, mais j’avais peur de rencontrer la profondeur dans le sien. Si Alfred n’était pas intervenu à ce moment-là, je me serais humilié pour ne pas plonger à mon tour. Ma mère me cherchait. Mon père s’était foulé la cheville dans un WC public. Il en avait encore plein le pantalon quand ils l’ont ramené. Ça ne faisait pas du tout rire Julie. Alfred venait d’inventer un pas de danse qu’il se promettait d’expérimenter dès la soirée. Il y aurait un feu d’artifice.

Et puis comme ça, de fil en aiguille, on a pris l’habitude de passer nos après-midis au bord du bassin. Ou pas trop loin du bord. Seule Julie en atteignait la profondeur. Je me sentais inutile et faux. Mais Alfred, une fois que Julie était à l’eau, ne réfléchissait plus pour me tendre la perche d’une nouvelle invention. Elle l’aimait bien, Julie, si j’en jugeais par la patience qu’elle lui accordait. Et il mesurait la distance sans pouvoir évaluer la profondeur. En cela, il ne différait guère de nous. Mais ça ne me donnait pas le courage nécessaire. J’attendais dans la tiédeur de l’eau touchant le bord de ciment. Les vacances allaient bientôt se terminer.

Comme disait Papa, on avait bien de la chance de pouvoir prendre des vacances. Et à la mer en plus. Sans se priver. Parfaitement en accord avec les lieux. Ponctuels et vigilants. Luttant contre le désespoir croissant qui nous éloignait du premier jour. J’avais quelque chose à prouver. Et j’y arrivais pas. Alfred non plus ne trouvait rien. On a fini par penser que Julie nous haïssait au point de nous ridiculiser à nos propres yeux. Et les autres se sont égayés. On ne les voyait plus. On les rencontrait tous les jours, mais sans partager leurs jeux. Alfred et moi on filait au bassin pour recommencer. Et Julie était déjà en son centre, la tête ensoleillée, faisant bruire l’eau autour d’elle. Je m’étais mis dans la tête que je devais vaincre Alfred avant de me jeter à l’eau. Alors je le traînais avec moi. Il en avait marre du bassin. Il préférait les vagues à la profondeur. Et ses inventions à Julie. Pourtant, j’avais besoin de lui pour approcher cette fille quand elle nageait dans la profondeur. Mais chaque fois que je le poussais dans l’eau, elle l’en sortait et c’était moi qui le hissait sur le bord du bassin pour le réconforter, m’excusant d’être stupide au point de ne pas trouver autre chose pour attirer Julie à l’endroit où je l’attendais. Il grognait un peu. Il ne pouvait pas inventer à ma place.

Ce jour-là (le jour où Julie a cessé d’être Julie), Alfred était en excursion avec le club Mickey. Je suis donc monté au bassin avec Néferkiki, histoire de passer du bon temps et d’éjaculer un peu. Julie nous avait suivis du regard. Elle était assise dans la tente de mes parents et tricotait avec ma mère. Néferkiki se gondolait sur le sable. Elle avait conscience que sa chair pouvait la mener loin si j’en faisais la pub. Elle m’avait promis une fellation d’enfer. Pour ce, elle avait piqué une mignonette à l’hôtel. Je me demandais quel effet produirait cet alcool sur mon gland habitué aux confitures. Mais j’avais pas de souci à me faire. Elle avait lu ça dans un magazine et l’avait essayé avec Alfred qui n’avait rien trouvé à redire. Il s’était même évanoui. Elle l’avait cru mort. J’ai donc décidé de pas tomber dans les pommes. On mettrait la mignonette au frais dans le jet d’eau qui alimentait le bassin. C’était meilleur frais, d’après elle. Et elle m’assurait qu’Alfred n’était pas l’inventeur de ce procédé. J’étais pas un sujet d’expérience. Elle en avait déjà. Bref, elle m’a convaincu et on est allé au bassin, on a mis la mignonette au frais, on s’est mis dans l’eau, bien accroché au bord de ciment et on s’est frotté l’un contre l’autre pour s’exciter. Au bout d’un moment, je me suis senti en état de me soumettre à l’expérience prévue. Et voilà que Néferkiki siffle entre ses mains en portevoix.

Et qui je vois sortir des profondeurs si c’est pas Julie en personne ! J’avais la queue hors de l’eau, bien dressée, et la main grassouillette de Néferkiki faisait le papillon dans la lanterne. C’est alors que Julie a levé le bras très au-dessus de l’eau, un peu comme s’il ne lui appartenait pas. Et au bout de ce bras touchant le soleil, la mignonette rutilait vert. Elle en avait dévissé le bouchon et le tenait entre ses dents. Ça lui soulevait les lèvres, de telle façon que je pouvais pas savoir si elle souriait ou si c’était l’effet que ça fait quand une fille de cette classe se met un bouchon dans la bouche. J’ai compris qu’elle ne plongerait pas cette fois. Sinon la mignonette perdait son contenu et elle était venue pour rien. Voilà ce que j’ai compris. Elle était là pour moi. Elle avait dû courir pour arriver avant nous et se cacher dans la profondeur du bassin en attendant qu’on arrive Néferkiki et moi. « Voilà, me dit cette dernière, il te reste plus qu’à y aller. Elle t’attend. Si ça vous dérange pas, je vais rester pour regarder. »

Et là, en plein milieu du bassin, à l’endroit exact où se trouvait la profondeur, Julie m’attendait, élevant la mignonette à bout de bras dans la lumière du soleil. Et Alfred qui n’était pas là pour inventer quelque chose ! Néferkiki ne me tenait plus. Je m’étais enfoncé dans l’eau. Mes orteils s’agitaient sur un fond glissant qui m’entraînait vers le centre. J’allais perdre pied, moi qui ne savais pas nager. Néferkiki consentit à me tenir par la queue. Elle soufflait comme une bête à l’effort du soc. « Je peux plus ! » grognait-elle. Et ça coulissait dans sa main. J’allais me noyer !

Que nenni ! J’étais pas désigné pour être le noyé du jour. À peine extrait de la main de Néferkiki, le doigt de Julie s’enfonça dans mon cul. Elle me tenait la tête hors de l’eau, à bout de bras. Je lui tournais donc le dos. Et j’avançais. Je ne me débattais plus. Elle était douée d’une force surhumaine. Je voyais Néferkiki qui était remontée sur le bord, secouant sa peau grasse et dorée dans le soleil, riant de toutes ses dents. Ma queue était caressée par l’eau circulant en rond autour de moi. Julie gémissait. Je croyais rêver. Ou subir encore une des inventions loufoques d’Alfred. Aux anges que j’étais. J’avais jamais pensé à ça. Et Alfred n’en était pas l’inventeur. C’était Julie qui était aux manettes.

Je ne sais pas combien de temps s’écoula. Comme ma queue exigeait une dernière caresse avant éjaculation, j’ai cherché l’autre main de Julie. Et je l’ai trouvée. Elle se laissa conduire et se mit au travail. Je crois que j’ai pensé à ce truc une fraction de seconde avant de décharger : si j’avais le doigt d’une main de Julie dans le cul et l’autre à fleur de mon braquemart, où était passée la mignonette ? J’ai coulé à pic avant d’avoir eu le temps d’ébaucher une réponse cohérente.

J’ai retrouvé mes esprits, paraît-il, dix minutes plus tard. Y avait du monde autour du bassin. J’étais couché sur le ventre dans l’herbe sèche. Un type que je connaissais pas ânonnait dans mon dos. Je voyais pas Néferkiki. Et le type avait posé un pied sur mes reins. Je me suis contorsionné pour voir ce qu’il foutait. Et je l’ai vu baver comme un chirurgien en tirant sur la mignonette qui voulait pas venir. Soit je serrais les fesses, soit c’était à cause d’une dépression dans l’anus. Mais quoiqu’il en fût, elle était coincée. Et ça me faisait un bien fou que ce type tire dessus comme un damné. C’était pas du plaisir qui inondait son visage contracté par l’effort. J’ai reconnu la colère. Celle d’un père qui vient de perdre sa fille et qui s’est demandé comment j’expliquais cette mignonette dans le cul. Julie était la noyée du jour. Il en faut une. Et bien ce jour-là, c’était pas moi. Voilà comment elle me l’avait mis dans le cul, Julie.

 

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