Il fut un temps où, fort de mes seuls mots, je me faisais fort de tenir à distance toute espèce de désagrément, et ce en toute modestie et discrétion, sans forfanterie aucune. On ne combat évidemment pas une rage de temps avec un slogan, un adage, une formule toute faite, une citation consolante, fût-elle d’origine stoïcienne.
Par désagrément, j’entends essentiellement tout ce qui relève de la vie en société.
La société, la mienne, la vôtre, toute société de par le monde est à la fois un microcosme constitué d’un nombre fini de personnes et une réalité mouvante faite d’innombrables connexions et interactions : des rapports de force, des rapports hiérarchiques, des rapports de domination.
Ce qui s’impose à nous cherche à en imposer.
Or, écrire exige la fraternité, l’appel à la bonne volonté du lecteur lambda inconnu et inaccessible par la parole nue. Il ne s’agit nullement d’imposer ses vues, de contraindre : on ne produit pas un texte performatif du type de ceux que l’Education Nationale impose à ses personnels sommés de faire passer dans les faits la parole venue d’en haut.
La littérature est ce mode de communication distanciée qui permet la plus large liberté d’expression, quels que soient le propos tenu, la forme choisie et l’audience acquise.
On dialogue beaucoup avec les auteurs sur les plateaux de télévision pour donner envie au lecteur de lire, comme si l’écrit ne suffisait plus, devait toujours être accompagné par une parole.
Or, moi, si j’ai choisi d’écrire, c’est précisément pour ne pas avoir à parler à tort et à travers, et pour pouvoir me concentrer sur l’essentiel en approfondissant ce qui me vient aussi spontanément que dans une conversation.
Expliciter, commenter, c’est-à-dire donner des clés de compréhension, ouvrir la porte du jardin secret, de la forge ou de l’atelier, et mettre à nu son cœur au travail, pas pour moi tout ça. Est-ce à dire que j’aime à cultiver le mystère ?
Non, simplement, rien ne se trame dans les coulisses, tout est à voir et à entendre dans le texte proposé qui parle de lui-même au double sens de ce terme ouvert sur l’inconnu.
La distance qui sépare l’auteur du lecteur n’est pas manipulaire, elle est infinie : c’est celle qu’engendre l’infini d’une parole pour tous ceux qui veulent bien l’entendre en acceptant pour un temps de faire silence, d’écouter, non pour obéir à quelque ordre ou injonction que ce soit, mais pour, le moment venu, prendre la parole, dialoguer, et pourquoi pas écrire en retour.
Jean-Michel Guyot
26 novembre 2015