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 Article publié le 13 décembre 2015.

oOo

Je venais d’en prendre plein la gueule au boulot. La route défilait dans la bruine et la grisaille. Dans mon transistor résonnait au moins de la belle musique, quelques préludes.
Il me fallait oublier un peu. Aussi je m’arrêtais dans une de ces petites villes, afin d’y boire un verre.
Théâtre obligé de toute misère. Plage de zinc où reflue toute la frustration de la société. Les bars sont toujours inspirants à qui sait observer. On n’échappe pas aisément à leur prestige spécial. Je songeais à Hemingway, à tout ce qu’il s’était enfilé. Cela ne l’avait pas empêché de produire son œuvre. Une œuvre tranchante. Étincelante. Aussi efficace que tous les grands épisodes de la vie, charriés par son plus savant désordre, ses plus savantes occasions. Mais Ernest n’aurait pas aimé cette dernière phrase. Trop lyrique, tape à l’œil à son avis. En tous les cas il me fallait pénétrer dans ce troquet.
Certains clients étaient au bout du bar, déjà pleinement imprégnés de ressassement. Des chômeurs. Des mecs qui avaient vu leur vie leur échapper, sans rémission, dans le caniveau des jours et l’indifférence du trottoir. Ils respiraient la lassitude, et usaient de leurs dernières forces ce jour là pour balancer des sous-entendus obscènes à la serveuse, 45 balais bien conservés, qui se prêtait à leur jeu mais sans y mettre plus d’entrain que cela, malgré qu’ils soient des clients fidèles.
De mon côté je demandais à un des tenanciers si ce fleuve en face allait une nouvelle fois déborder.
Le bougre se tenait bien sobre derrière son comptoir, et, comme il m’avait déjà vu entrer dans son établissement à une autre époque, il se mit à me conter ses derniers ennuis avec son établissement. La canalisation principale en avait été obstruée il n’y avait pas si longtemps par une espèce de champignon blanc. Il se demandait si cela ne venait pas de la bière. Une fermentation. Comme si la moisissure devenait solide, par en dessous, à force de recevoir toute cette pluie de boisson continuelle. Il me dit même que le champignon devait conserver des sortes de circonvolutions à la manière de celles du cerveau.
Enfin, j’écoutais ces curiosités, en étant déjà de la pensée totalement concentré sur cette pause que m’accordait tout de même ce mauvais travail. J’allais pouvoir songer. Oublier. Me remettre à élire d’autres formes d’expectatives.
La bière s’écoulait dans ma gorge. Elle moussait doucement, ainsi que la parole des vierges au confessionnal. J’avais eu grand besoin de cette boisson, pour me ressourcer, me remettre l’âme à poste. C’était bien délectable. Et la pluie dehors recommençait sa rengaine. Les gens s’en rentraient de travail. Je me dis que je n’aurais pas grand chose à faire, pour simplement m’enfuir. Me faire oublier un an ou deux. Reprendre où je l’avais laissé mon grand projet. Ma tapisserie créative.
Ne plus surtout m’éparpiller en des impasses mornes et sans objectif autre que d’en sortir un peu plus désespéré à chaque nouvel épisode. À passer le tourniquet des faillites coutumières on finit par se lasser d’essayer de resquiller les ans, si trompeurs sur leurs promesses.
Ça n’était pas, c’était certain, un milieu bien fréquentable.

Pour tout un tas de raisons, je songeais à la dangerosité des meutes, des foules, à leur sale mentalité née du nombre. Toutes ces tares pourries qui n’allaient pas tarder à croître en eux. Ces foules insupportables, intolérables de nocivité. Ils haïssaient la solitude, honnissant tout ce qui leur échappait au moins pour un temps. Je finissais par jubiler de leur peine, par me sentir solidaire de leurs bourreaux. Par me délecter de les savoir souffrants. Étouffés par leur propre connerie.
Ainsi que les baleines s’échouent sous leur propre poids, asphyxiées qu’elles sont sous la charge de tonnes pourtant insensibles au cœur de l’océan. Une vaste sensation, cueillie ce soir comme par exception, dans un troquet sans âme ni musique seulement valable.
Ils continuaient à courir un peu partout, à tenir à leur emploi inepte et sans intérêt, à se démener comme des sauvages afin d’obtenir de quoi se nourrir, et qui saurait bien les trahir.
Toute cette machine infernale, aussitôt destructrice de toute passion véritable, la société, continuait au loin de brouiller l’horizon, de meurtrir ou de martyriser toute conscience délicate, de faire suer à point toute âme éprise de repos et de soleils saignants sur de terribles esquifs.
Là aussi, je serais trop lyrique, cela n’irait pas. Je me laisserais aller à trop de facilité. La facilité du sang, continuant de chanter en mes veines. Mais je me laisserais aller à apprécier ma solitude encore une fois. Parmi l’écume, la violence des chants lointains.
Loin de cette prison que l’on est chargé de chérir. Ils sont tous partis au loin se faire reluire. Je ne comprenais guère ce qu’ils me voulaient. Ils devaient inconsciemment souhaiter voir ma dépouille, et la flairer, avec la curiosité des chacals essayant leurs crocs sur leur première charogne.

Mais au dernier moment, avant qu’ils se saisissent de moi, il s’agirait de bondir. D’échapper à leur emprise. De ne plus figurer parmi leur troupe. De me débarrasser de leur uniforme spirituel.
D’esquiver comme il faudrait leur emprise pernicieuse.
De ne plus être captif de leur poigne si solide, intraitable, toujours ferme à vous faire épouser leurs raisons, leurs décisions.
Mais pour l’instant je resterais là, dans cette taverne, à voir autour de moi circuler les années. A ne pas trop piger que j’avais affaire, et directement, sans mise en scène, au théâtre le plus fatal ou éclatant qu’il soit possible de rêver voir de près.
Ils restaient tous bien courtois autour de moi, à chercher à sortir de ce troquet.
Il me faudrait repartir. Et dans ma voiture, il me venait des envies d’acquérir assez de force pour leur échapper, pour ne point trop subir l’assaut corrosif de leurs apparences ou vieilles indiscrétions.
Il me faudrait posséder la puissance de gros travailleurs, fondre mes bras grêle dans l’épaisseur des branches robustes avec lesquelles ils travaillaient toute la nuit, sous la bruine et par tout temps.
Mais je voyais tous ces travailleurs circuler autour de moi, rentrer à la soupe.
Avec ces véhicules qui me dépassaient, nous formions une espèce de noria, toujours avide de distance. Creusant tous ensemble l’écorce de la nuit naissante.
Détachés dans l’habitacle de tout rapport humain, je laissais libre cours à ma rêverie reposant sur la vitesse. M’apparaissaient une nouvelle fois tous ces chemins, ces patelins où j’étais sensé me trouver de quoi nicher tout mon bonheur.
Mais pour l’instant, j’étais comme tous les autre affreux, ingrat, sans sympathie pour personne, heureux seulement de sentir cette vitesse m’emporter au loin, au delà de ce que toute cette nuit des jours nous imposait d’obscurité.
Ils avaient cru m’atteindre. Me posséder. Faire de moi le dès d’ivoire avec lequel jouer sur une épaisse table en bois lorsqu’elle le crépuscule étend sur toutes ces âmes endolories son voile de gaze et stupéfiant. Et j’allais rentrer, comblé de lassitudes, les nerfs incendiés par endroit, long tapis de braise. Il allait falloir retourner dans la nuit. Se coucher à nouveau dans ses profondeurs. Oublier une bonne fois toute cette emprise des actes et des fonctions. Se faire une bonne fête incendiaire de toutes ces faces d’épouvantails. Trouver enfin un repos sans contrepartie.

Des types étaient en train de subir les nuisances de leur métier, sans sourciller, en redemandant même, jamais repus, et devant tenir bien ferme à gagner leur croûte, pour continuer ainsi à pointer tous les matins dans des endroits hideux, histoire de dire qu’ils étaient vraiment méritant après tout, et guère décevants puisqu’ils arrivaient comme ça à tenir jusqu’au bout. Cependant cela ne peut tenir comme cela des années. Au bout d’un certain temps on ne peut plus se mentir. Et elle paraît enfin comme ce qu’elle est, cette douce existence, sans doute méritant en un sens, mais sans vous offrir aucune satisfaction tenable.
J’approchais de chez moi. Certains chemins, bien familiers de ma conduite, serpentaient toujours, faisant se suivre les paysages, dont certains me paraissaient bien défraîchis par l’automne naissant.
J’allais m’enterrer quelques mois. Enfin, ça allait être fini de toute cette rengaine des jours livrés à un travail sans perspective. Je leur échapperais un temps au moins. J’avais du reste un recueil de nouvelles à finir. Lorsqu’on n’a plus trop de fréquentation, on peut encore croire réussir à enchaîner les paragraphes. A noircir le papier. A sculpter la page. La neige de l’expression. La présence de la mer non loin allait m’aider à trouver les bons enchaînements.
J’allais être en verve. Ça n’allait, je le sentais, pas tarder à crépiter sur mon papier, les scènes allaient se suivre. Former un tout enfin accessible, et culminant. La présence de la mer.
Je voudrais voir enfin mes phrases chalouper ainsi que le pantalon blanc des marins en bordée.
Enfin tenir au vrai charme. Au contraire de ces chemins, ces sentiers vaseux tout couverts de bouillasse.
 Au travers de cette fausseté, de cette confusion, je tendrais enfin à une expression de pureté. A une pureté qu’il s’agirait d’être capable de tenir en sa paume.
Mais avant cela, il allait, je le savais, devoir tourner en rond sans rien oser écrire d’un temps soi peu juste. La proximité de la mer. Les chants assourdis des marins traversant l’obscurité.
Enfin la faillite de toute cette espérance à l’unisson de ces sonorités d’accordéon lointain, cela n’allait pas tarder à me communiquer une certaine épaisseur de mélancolie.
Il m’allait falloir boire une ou deux bières encore avant d’écrire. J’avais côtoyé assez de personnages la bas, et comptais bien me servir des accents de leurs lassitudes afin de tisser à mon tour une tapisserie assez expressive et colorée. Patience encore. Les feux parsemant la nuit du bourg voisin continueraient encore un moment d’étoiler mon avancée dans ces histoires de confins lactescents vers les mamelles du ciel.

Se remettre à écrire. La contemplation de l’océan empêche pourtant de plus clairement s’y mettre.
Quand on a affaire à du définitif tel que ce balancement de l’élément sauveur, on n’en a pas autant pour griffonner sur du papelard ses précieux états d’âme.
On trouve cela bien vain. C’est pourquoi, à force d’écouter des surprenantes musiques, on comprend que ces harmonies fabuleuses sont de fait parcourues, et comme tissées d’un silence plus éloquent.
On aimerait faire cela. Ne pas avoir à s’embarrasser d’avantage du gâchis des intentions. Ni du dégueulis des fausses romances, mal terminées, mal commencées. Ni faites ni à faire. Quoi qu’on puisse tisser aussi de belles formes de tapisseries. Avec la merde ou les joyaux. Les petites histoires. Les commérages du néant, ou des ombres complices un temps, puis disparues. Mais on ne s’emballe pas si facilement, même par son propre naufrage. Aussi parfois désire-on y assister en spectateur détaché. Comme si on laissait le soin à notre double, par anticipation, d’accomplir les tâches du lendemain, tandis que nous aurons tout loisir de nous plonger dans le sommeil. Réparateur. Miséricordieux. Cela s’appelle une transposition. Aussi difficile à saisir parfois qu’un courant d’air. Mais si on a le point de vue adéquat, on peut en faire une forme de mirage en poudre, à répandre au grand vélin, qu’il en éclaire encore un peu mieux les enluminures.
Celui avec lequel on ne triche pas. Celui de sa vérité, sans détours, à savoir infliger au papier, avec toutes ses enluminures, son complet déroulé de grotesques criant dans les coins, tandis qu’on les roue.

Je me retrouve devant mon écran. Il ne me paraît pas souhaiter coopérer avec mon désir d’expression. Je suis en train d’essayer de tracer quelque chose de valable. Rien à faire. Rien ne fleurit. C’est encore la même impasse. Impossibilité expressive. Rien ne ressort. Cet écran refuse de se laisser tatouer au moyen d’inscriptions définitives. Il est impassible. Il demeurera muet. Ainsi que la peau morte des êtres face auxquels on se retrouve, et qui, si froids, sans odeurs, vous paraissent être comme votre antimatière. Des êtres avec lesquels il vous est impossible de communiquer.
Tous ces endroits sans intérêt où j’avais déjà tellement perdu mon temps.
Cela n’avait pas grande importance. La mer au moins n’était pas loin. Elle n’est jamais longue à bercer nos tourments. Être enchaîné à un boulot qui vous détruit en est un fameux, de tourment. Il fallait constamment faire semblant de se plaire dans sa charge. Apprécier de se voir projeté dans un métier inepte et exténuant. On vous prenait, bien volontaire, parfaitement couillon dans votre redingote et vos souliers vernis. On vous vidait de votre sang. Et ensuite il fallait se montrer bien content d’avoir participé à toute la farce. Cela ne pouvait tenir de fait encore longtemps. Arrivé à bout de lassitude, on sent que quelque chose de définitif doit finir par survenir pour nous sauver la mise. On ne doit pas rester coincé dans tout cet ennui plus longtemps. On n’avait pas la bonne mise, cela n’était pas assez sérieux. On a beau vouloir les voir disparaître et ne plus vous pomper l’air, tous ces tocards sont toujours là. Rien à faire. Ils continuent de vous empuantir l’air de leurs paroles incessantes. De blesser votre repos. A coup de de dards. D’épées. De cure dents. De tout ce qu’ils ont à disposition. Pour trouer. Pour trancher. Je n’en menais pas large dans mon grand lit froid.
Ça met tournait. Le grand vertige aux souvenirs. Je les voyais se rapprocher de moi. Ils allaient tenter de me faire la peau. Comme à leur accoutumée de cauchemars fiers d’avancer toujours bien fermes.
Mais cette fois sans rien négliger. Plus définitifs. Sans pitié aucune. Ne négligeant aucun indice. Leurs rires de tordus allaient reprendre sous peu. L’horizon imaginaire s’épaississait. Je voyais même Hemingway au dessus du lot de ces paillards, voguer avec sa barbe. Il n’allait pas tarder à m’asséner quelques conseils. Je le voyais venir. Ça tanguait toujours sévèrement. Il y avait des harpies au dessus. En jupons. Elles me montraient leur chose. Se l’écartaient de leurs doigts repeints. Mais elles avaient la festivité agressive.
Cependant, bien malade dans mon plumard, il me fallait me vider de mon trop plein. Toute la rancœur en moi allait devoir disparaître. Me libérer enfin de cette pression. Des jolies couleurs, jaillies de ma glotte. J’envoyais un bon morceau tout au fond de la bassine. Les restes de la cantine.
A me venait à foison, comme une inspiration. Toutes ces jolies couleurs. J’en envoyais pas mal alourdir le récipient. C’était un peu spongieux, comme un beau château de sable gorgé de couleurs avec lequel des gosses auraient joué sans faire de façons.
J’éberluais des croupes et des culs partout à frétiller par dessus. Une tentation !L’ensemble à frétiller sans arrêt devant mon agonie. Ils s’en donnaient tous à cœur joie au dessus de mon supplice. Dans ma fièvre je les sentais tous en train de verser dans les partouzes.
C’est qu’ils devaient déjà me flairer charogne, à tant s’activer au dessus de tout ce malaise.
Ça fleurissait de ma bouche, et sans arrêt, en flaque lourde aussitôt recueillies, tout ce dégoût qu’ils m’inspiraient. La fête était bien lancée pour eux, pas à dire. Je devais savoir nettement organiser les choses, par l’esprit !
Ils allaient me forcer à revenir parmi eux. Et là ça ne serait pas juste pour de rire. Il faudrait les pleurer, toutes ses larmes de sang. Ils devaient me vouloir dans leur troupe depuis longtemps. On allait jouer un drame élisabéthain, quelque chose de vaste. Mais ils n’avaient pas à s’en faire. Je restais là, blotti dans ma fièvre. A tanguer sauvagement. C’était une vraie barque, mon plumard.
Je la croyais toute environnée de nénuphars à reluire parmi des cierges.
J’étais entraîné dans les rapides. Les flots du souvenir. Hemingway lui-même était reparti.
Avec sa casquette de marin pêcheur. Pour composer ses chefs d’œuvre, bien à son aise, tandis que je crèverais ici, dans le vide, le manque, étouffé sous un silence entravant toute expression.
Céline quant à lui tournait en rond, n’osant plus se mettre au travail à sa table. Agonir l’univers, après tout quelle idée. La littérature était bien loin, perdue de vue. Je bringuebalais, me retrouvant à voguer sur le crâne de million de cancres qui me mordaient la coque, en piranhas acharnés. Avides de me faire sombrer. Avec des bruits de clapets vicelards. De jolis mouflets !
Et par dessus ce grand mirage des jours des nuits, se multipliaient, intolérables, toutes ces ces gueules de patrons suffisants.
Ces planches, ces effigies grotesques.
Mais je la voyais encore, au dessus, mon idéal, ma grande almée, la somptueuse, au dessus de tous les affreux. Elle ondulait pour moi la peau de son ventre mystique.
Ça faisait des étincelles. Un vrai déluge de reflets qui me pleuvait littéralement dessus.
J’empoignais encore le seau, que je me vide là dessus encore un fameux coup.
Oui, il fallait que je me vide. Ça revenait toujours plus. En sourdine à ma débâcle, j’entendais bien encore des sermons s’élever à mon intention dans la nuit. Tels qu’émanés d’une bouche baveuse et suffisante. Discoureuse. Ronronnante. Politique. De sermons qui me reprenaient, histoire de souligner toutes les variations d’humeur de mon existence. Surtout bien mettre en lumière ma sale conduite.
Ne pas me faire de cadeau. Me repeindre tout entier en crapule parfaitement salace.
Dans ma confusion, ma fièvre, j’avais encore assez de lucidité pour trouver ça mieux, ce déballage agressif à mon endroit, puisque cette fois ci ils n’agonisaient bien sincèrement, bien en face.
Enfin je n’étais plus celui qu’on maudissait en son absence Cela commençai à avoir de la gueule.
Mais j’en remettais pourtant encore un fameux jet. De bonne gerbe à leur verser sur la bonne conscience. À tous ces démons. Toutes ces trognes académiques de nullités défraîchies. Une très belle nuit chargée d’astres reluisait par la croisée.

Je la tenais, la cause de ma nausée. Des faces hargneuses de frustrés qui voulaient faire un fameux coup. Quitte à piétiner un vagabond qui n’en demandait pas tant. Je m’étais retrouvé sur leur chemin par erreur. Problème d’aiguillage quelconque.
Dehors, dans ma berlue, les nuages me parurent musicaux. Ils venaient verser sur moi l’harmonie des sphères. C’est que je n’avais plus rien à vomir. Ils m’avaient ces démons pleinement vidé de mes impuretés. À force de vexations ou de petites fêlures. Tous ces faux jetons. Ces gueules de faux témoins. L’oreille à votre porte pour mieux vous fignoler avec amour la réputation. Tous ces saligauds à l’âme de matons salaces hantant la prison sans fin du monde. Après ce grand soulagement dans la bassine. Il était grand temps pour moi de mordre un grand coup au soulagement charnu du sommeil. Ainsi je sombrais bientôt sous l’œil austère d’une aïeule portraiturée.
Au matin, une gueule défraîchie. Avec mes cheveux en désordre, la peinture sur le bout de mes tifs.
Je devais vite sortir. Essayer de me diriger dans ces rues inopportunes. Toujours rigides ces rues. Toujours en noir et blanc. Je devais retrouver une certaine connaissance aussi. Retrouver ces gueules de raie autour de moi. Ils ne paraissaient pas si excités autour de moi, à trépigner. A peine me parurent-ils nuisibles, mais sans en rajouter dans le salace. Il me fallait me procurer du pain, de quoi boire un verre. Ne pas surtout avoir envie de dormir de suite. Mordre à du concret. Mais le dégoût nous tordait encore les tripes. Je sentais encore les vestiges de cette nuit m’empoisonner les fibres. M’incendier avec la même douceur rude qu’autrefois.
Toujours une de ces villes où rien ne se passerait. Ils ne me poursuivraient pas aujourd’hui. Chacun devait être pris dans ses démarches. Pouvoir souffler tout de même un peu. Le parc avoisinant était bien charmant aussi. Je m’y laissais conduire par des allées blanchies.
Cette atmosphère respirait les regrets. La perte ou le fiasco des choses qui ne menaient à rien. Un transistor voisin nous le surinait lui-même. Que cela n’était voué qu’au vide. A l’absence. Les fleurs des bosquets embaumaient des parfums. Le jardin touchait au funèbre.
 Des parfums de vide. L’odeur même du néant. On devait rester là sans en bouger. Avec la lumière du soir à nous verser un peu partout ses trésors dans l’obscurité, ça et là, inaccessibles aux cambrioleurs. La bande d’affreux n’allait pas tarder à rappliquer, pour me faire sentir qu’il fallait payer l’addition. Que je ne pouvais pas m’en tirer à si bon compte. Je voyais même les ourlets de la robe de l’autre assassin, à se dessiner avec douceur dans cette obscurité. Comme si la nuit se repeignait à gros badigeons de merde. Que cette nuit devenait bien caca, imprenable. Imbuvable. Impossible à sentir. De l’enceinte compacte en place de vertige aux confins.
Et que tous ces nuisibles ressortaient du fond obscur du gouffre. Nombreux, vivaces, aussi virulents que des charognes emplies de vers. Ineptes en temps normal, mais tout disposés, une fois que ça les prenait, à concevoir avec génie des saloperies assez inventives, des crosses révélant la plus belle adresse.
Je sentais que je faisais mieux de disparaître sans trop demeurer dans ce secteur.
Me terrer dans ma piaule. Ne plus voir personne. Rester pur. Me remettre loin de leurs sollicitations corrosives. Puis prêter l’oreille à la musique émanant de la rue. Provenue de je ne savais quel instrument invisible. Une flûte croisée d’un accordéon plus lointain.

Ils se repointaient à nouveau dans la piaule. Histoire de me répéter encore un bon coup à quel point j’étais infect. Lâche. Irrécupérable. Même dans le sommeil ils ne me laisseraient nulle trêve où enfouir un vieux songe.
C’est toujours une fausse sortie, le sommeil. On s’y attend, tout naïf qu’on est, à se trouver libérés de l’emprise puante et continuelle des autres. De leur influence. Mais ils continuent d’agir, voir de se coucher sur nous ainsi que des carpes dans l’ombre de la vase. Ils se saisissent de nous. Nous transbahutent dans le marasme qu’ils nous ont peaufiné. C’était la fête. Un festin de toutes mes anciennes fautes. Ils s’en firent toute la nuit un véritable festival de volupté. Bien rude. A sen gorger le ciel d’apothéose, mieux que le cul d’une communiante à rebondir sous l’étoffe noire de sa robe de tristesse. Mais, dégagé comme j’étais, j’en étais bien content pour eux. Je leur semblais d’ailleurs inépuisable. Ils n’en auraient jamais terminé de me succuber. De trouver de nouveaux motifs en forant mon esprit. Moi et ma sale gueule d’épuisé aux yeux caves, ils m’avaient bien pompé l’air, tari la vitalité, à force de me solliciter sans arrêt. Il fallait voir jusqu’où ils me feraient descendre comme cela. A devait avoir eu lieu dans les fréquentations, les explications qu’on n’avait pas eu au bon moment.
On n’en finirait pas aisément. Je voyais par l’embrasure se précipiter les trognes de tous ces faux jetons. Se pointer, en se palpant, se faisant des langues. Une pelletée de gueules bien crédibles pour l’enfer. Ils décoraient tout l’espace. J’avais, c’était sûr, droit à out le carnaval des complices, des faux jetons. Ceux qui s’en venaient, semblait-il, pleurer un mourant, mais qui au contraire, et intérieurement, comptaient, soupesaient, estimaient à sa bourse pesante, à quel point devait s’élever le magot. Ils étaient vraiment bons dans le genre, excellents dans leur composition. On en redemandait de leur prouesse d’acteur. C’était digne de faire passer une audition, tout leur précieux numéro. Même l’Angèle était là, la grosse vicelarde, vêtue de pourpre et de soie, elle s’en était donné à cœur joie pour me souiller de fiente, elle aussi, rapiécer ce qui me restait de réputation.
On sentait qu’au travers de ses larmes faciles, de toute la feinte de son apitoiement, dardaient, plus intéressants, ses seins jadis fermes et bien tentants. Ça me rendait songeur, cette grande dépense d’énergie. J’avais bien envie de la frapper cette roulure. Pour voir, en me saisissant de ses cheveux, si elle était plus consistante, ne s’envolerait pas façon spectre d’opérette jusqu’aux derniers fauteuils.
Au moins histoire de profiter un moment de cette réputation de violence et de crapulerie qu’ils m’avaient fignolée, depuis l’hiver dernier, du même rythme appliqué avec lequel on achève son tricot, bleu et blanc. A l’attention du petit dernier de la famille. Ou bien du cousin retour d’Amérique que l’on ne verra pas le porter de toutes façons.

N’importe. J’étais allé dans ce bar encore. Je sais, c’est bien répétitif tout ça. Mais lorsqu’on n’a pas grand chose à dire de nouveau sur tous les sujets, on revient aux fondamentaux. Aussi, lassé de mes textes, lassé de ce que j’aurais dû trouver de bien nouveau à dire ou à écrire, je me laissais aller. Loin de ces gueules tordues qui m’avaient tant gâché l’existence autrefois.
Le bourg de toutes façons voyait ses débits de boisson fermer un à un. Il ne devait pas être trop facile d’en vivre dans le secteur, malgré la grande présence de poivrots... mais ceux là devaient préférer picoler chez eux, loin des emmerdeurs et du tapage imposé.
En un sens je comprenais ces épaves. On avait dû leur faire, tout comme à moi, le numéro du devoir et du travail bien fait. On avait du vouloir leur acheter leur temps à eux aussi. Mais cela purement en vain, sans que cela à aucun moment ne fasse sens pour eux. Ceux qui devaient travailler dans les bureaux, de même que ceux qui bossaient sur les chantiers, par tous les temps, tous ces gens devaient se lever tôt le matin, sans jamais piger au juste quel sens cela avait au fond, de se démener comme cela, tous les jours, par tous les temps... Mais il fallait bien nourrir les siens, ne pas faire tant de manières, et s’y résoudre. Une conscience ingénieuse et carrée, en boîte de sardines.
Et pour les solitaires, de trouver une gentille femme. Lui faire des gosses. Se montrer bien responsable, et les nourrir. Se démener pour ça. En baver des ronds de chapeau. Se trouver toujours content au moins de ne pas être à la rue et de pouvoir se le savourer, tout ce bonheur permis, entre deux fêtes annuelles, ou deux dates électorales.
Et la suer encore, à foison, toute sa peine, ne pas lésiner, histoire d’avoir de quoi justifier de se montrer ingrat, peu intéressant, sans âme ni gentillesse, puisqu’on travaillait et qu’on s’était bien montré méritant, à force d’enchaîner les heures, de se farcir des migraines dans un métier qui ne nous plaisait pas du tout, mais auquel il fallait bien se résoudre, faute de mieux, et parce qu’on était bien élevé. On n’allait pas se montrer en spectacle. On allait bien l’accomplir, son existence professionnelle. Peaufinée, et jusqu’au sang imposée à nos fibres, notre contenance de cadavres se méconnaissant. Pantins souffreteux perdus tout de bon dans les affaires.
De quoi dans la nuit fomenter bien des fuites ou de fortes révoltes.

Mais il fallait gagner sa croûte. Mânes de Gorki et de tous les russes qui en ont chié, secondez moi, offrez moi, sinon l’inspiration, du moins cette facilité.
Il faut gagner son pain. J’essaye d’agripper ce papier. De tracer des termes éloquents. De trouver la façon la plus percutante. Faire rendre à ce papier tout son jus. Trouver la meilleure façon de faire sonner ce papier cymbale à mes tripes. Loin des hargneux pourris la gueule en furie prête à vociférer. Je ne trouve rien à dire de valable. Pas le choix. M’enfiler deux ou trois bières. Me figurer d’impossibles et chastes romances. Où je pourrais me fondre. M’introduire. Ainsi qu’en un paradis d’inaccessibles obstacles. Le corps impossible à pétrir. Le corps de l’inspiration qui vous échappe. Malgré que vous tentiez de l’approcher. Une inspiration qui ferait autant de cas de vous qu’une putain ayant effectué sur votre corps son entier numéro réglementaire.
Mais je ne pouvais me contenter de noter sur du papelard ces songeries d’extase frelatée. Ça n’aurait pas sonné crédible aux oreilles des comités de lecture.
A ce propos la fièvre me reprenait, secouant mes os. Les succubes de ma nuit s’en étaient revenues, avec les renards de la nuit. Pour me chopper. Se saisir de moi. Bien me faire sentir leur pouvoir de séduction. Des bribes de roman tout ça. A peine des fulgurances capables de me faire tenir debout mettons un mois.
Aucune inspiration. Qu’elles n’approchent pas leur gros cul, ces bougresses, ces muses, en attendant. Écartelé entre la perspective d’un boulot pénible, et la volonté de me tirer à l’anglaise.
Le maquillage. Les culottes de velours et la dentelle. Les saintes que l’on prit, à la croisée, et qui maudissent doucement. On n’échappe pas à ses hantises. Mais j’étais encore bien malade. La convalescence s’éloignait de moi à toute berzingue. Toutes mes saintes. Leur poitrine rousse inspirant de tièdes miséricorde. Mais, dans ma misère, pas de quoi me payer une simple boîte de conserve. Pas de quoi me régaler davantage.
Raclant la moelle de mes os. Pour y trouver assez de sève.
En attendant me sentir voguer.
La fenêtre était toujours obscure face à moi. M’offrant l’étendue de la ville. Ses quartiers riches en occasions d’esquive.
Ils ne m’y trouveraient plus. Si je trouvais le moyen de fuir ce désert peuplé de ma chambre.
Tous mes morts y secouaient sans arrêt les rideaux.
Les époques qui m’avaient usé avant l’heure. En d’autres champs d’expérience. Prêt de types inspirant par leur seule présence une menace animale. On n’échappait pas aisément à leur influence.
C’étaient des brutaux. Il fallait filer droit pour certains. Et pourtant c’étaient des vagabonds, tout comme moi en principe, seulement eux avaient osé franchir le pas. Assumer leur état d’intraitables brutes incompatibles avec la moindre case pratique des fonctions assignées. C’était cela. Assumer, s’assumer soi seul, astre à nul autre comparaison. Aldébaran humain vêtu de blanc dans la nuit, et filant sous son veston son explosion de lumière sourde.

 

 
 

Mon écriture. Pondre encore un beau texte. Mais tout ça en couleurs. Je tenais à piéger le sortilège.
Me le rendre enfin palpable. A force de bière je croyais me rapprocher d’une forme de vérité.
Des couleurs. De l’azur, de l’or, quelque chose de saisissant sur l’horizon.
À la façon de chroniqueurs vénérables d’autrefois. Des tapisseries de rêve. Des écritures aux accents persuasifs. Aux antipodes d’une existence si terne.
Cependant je ne voyais pas trop comment me l’arranger, mon historiette traversée de souffle épique.
Plutôt cette envie, qui me travaillait, de fuir dehors ce lieu, de ne plus avoir à jamais revenir dans le secteur. Quitter cette bicoque. Un de mes rêves, connaître ce souffle intime de qui fout le camp une bonne fois d’une ville qui l’avait jusque là retenu captif.
Il n’a plus aucune espèce de considération pour les usages du lieu, déjà en partance pour l’ailleurs.
Je voulais me sentir ainsi clandestin, rattaché par rien à toute l’histoire commune.
Et la Lisette ou l’Henriette, évanouis papillons du plus clair passé. Disparues aux tournants des années.
N’importe, la solitude peut donner bien du cran, lorsqu’on est seul face au monde. On ose plus aisément trancher les faits. Les décisions se suivent comme autant de changement voie avant la prochaine gare.
Je voulais, à présent, quitter une bonne fois cet endroit, cette perdition de toutes mes forces. La trop longue fréquentation des autres me rendait décidément atroce. N’avoir au moins que sa seule misère à devoir trimbaler d’un point à un autre.
On se sentait isolé de leur sale penchant.
Mais mon récit n’avançait guère. Ma grande histoire de féerie merveilleuse, loin des impuretés, des rumeurs qui vous souillent d’un bon jet de pisse.
Ma grande histoire dans les choux, tous ses actes. Tous ses rebondissements.
Grotesque histoire. Bien morte. Pantelante dans ses parties. Son développement, interrompu au milieu d’une phrase. Ou dans le suspens d’une phrase. Le sortilège. Il me fallait me documenter encore un coup dans les chroniqueur. Me rendre pour cela dans les bibliothèques.
Mes propres personnages finissaient de pas mal me soûler. D’ailleurs, le meilleur avait du être emporté. Bien loin du branlottage plus ou moins prospère des auteurs actuels, dégoulinant de bon sentiment, comme du courant d’air des intentions faciles.

Un certain nombre de balèzes puissants s’étaient procuré la part du lion depuis longtemps.
Il ne me restait plus qu’à décrire plus ou moins fidèlement ce que j’avais vécu, mais en transposant avec le talent adéquat. Mais là, rien à faire pour l’instant, avec cette campagne détrempée, sans intérêt. Ces coups de vent sournois, cette fausseté des rapports humains (mais ça encore je m’en foutais...).
J’avais beau essayer de secouer de moi, de m’ébrouer comme un chien, pour sortir tout mon érotisme ou ma poésie. Rien à faire, je ne sortais plus rien de moi. Je me devenais muet à moi même, tel un saint de pierre au croyant désespéré ne sachant plus à quel saint... justement.
A sec, échoué, souhaitant m’enfuir de la citadelle, de la prison à ciel ouvert où l’on est chargé de se composer un bonheur comme on peut, quitte à soudoyer les matons.

Plus qu’à s’enrouler dans son plumard, incapable même de trouver en soi assez d’enthousiasme pour s’enivrer. Comme une masse. Et mes vieux, peu regardant sur mon découragement, comprendraient, puisqu’il s’agissait de « vacances ». Les fleurette du jardin, trempées de pluie, embaumaient doucement l’air émané de la fenêtre.

D’affreux drôles. La gueule convulsée. Fiers de n’avoir rien à dire d’original. Secondés par leurs papas mamans. Fiers de leur nullité. D’éructer des horreurs dans les couloirs.
De n’avoir rien à dire d’intéressant jamais. D’être bien vides.
D’être mauvais. Nuls en tout. De venir brailler. Faire nombre. De se tenir bien chaud. De nuire, et de bruire, et de pomper l’air de l’adulte en face d’eux, tentant de parler malgré tout ce gros débraillement insupportable des adolescents n’ayant rien d’intéressant à dire.
Grosses nullités, gosses mal élevés, revendicatifs, chiards insupportables, gueulards et arrogants. Du néant maquillé petits bonshommes sautillant, et toujours réclamant les latrines.

Mais oublions cette engeance de charognes. Ici nous sommes à nouveau loin du superficiel, près de la mer. Ils ne m’auront pas de sitôt. Ils ne vont pas se saisir de moi. A présent que je puis me sortir d’ici. M’enfouir. Le prochain train. En attendant je reste dans la soupente. Marre de me faire manipuler. De me la faire passer au cirage, mine de rien, de servir de serpillière pratique à cette bande hypocrite. Cette fois je compte bien leur échapper. Ne plus faire de vieux os dans le secteur.
Ma réputation sera bien fignolée. Ils me la sculptent déjà, mon effigie. Je ne risque pas de leur échapper.
Mais le train arrive, fume au loin dans la lumière d’aube. Il faut que je me taille. Ils me rendraient atroce, sinon, dans leur joli village. A force de me contraindre. A force de me rendre hideux. Moi qui finissais pas faire vœux de silence. Par souhaiter me tailler définitif de ce sale secteur sans horizon. Le train quant à lui s’avançait. Il allait emporter ma carcasse. Me faire disparaître de cet endroit.
Me traîner loin de cette tasse où croupir avec un bon lot d’insectes malchanceux.
Peu importait tout ce gâchis des ans. Cela ne devait plus compter à présent.
Ces amis charognes, qui voulaient m’entraîner dans leur mouise habituelle. Des conventions. Toute la lyre.
Je préférais être bien détesté. Être l’affreux précédant sa malédiction.
Au moins comme cela je ne risquais pas de me faire avoir, estourbir au tournant, puisque mon rôle de paria me couronnait déjà de pureté intouchable. Ainsi que des criminels ayant estourbi plus fort qu’eux, repartent, sans honte, vers l’entrée du prochain bagne, j’étais libre de m’éloigner de ce secteur pour moi sans attrait autre que de fleurer ferme la tentation du suicide. Je m’en souviendrais comme d’un endroit où j’avais croupi sans fin. A ne plus me connaître. A sentir la moelle de mes os roussir sous les jets d’angoisse.
Mais là j’étais dans le train. C’est bien pratique les trains. On n’est plus si atroce dans le regard des autres. On est comme en suspend. Il y a bien encore quelques braillards parfois que l’on souhaite de pouvoir étouffer. Cette future charogne. Mais c’est humain. La plupart du temps ce serait un coucher de soleil brunissant sur la vitre ainsi qu’une bière avide de dévaler le gosier d’un souffrant réprouvé.

Je me disais qu’au moins les vieux attendaient à la prochaine gare. Au moins je pourrais rêver d’y arriver seul. De me poser pour le sommeil. Enfouir ma gueule sous un édredon. Pouvoir m’y oublier. Le con dans le sommeil, c’est que l’on ne sent pas qu’on y vogue. On est bientôt réveillé par la nécessité, telle que le geôlier vous secouant d’une semelle rude de votre bon lit de paille.
Même par une bougresse à étreindre. Je n’avais pas dû savoir trouver les bonnes phrases. Su employer la bonne rhétorique. Ainsi qu’on imprègne la rondelle d’assez de vaseline pour pouvoir y faire glisser son vit fébrile. Car il faut savoir aussi baiser notre propre histoire, lui faire rendre ses hauts cris, à cette splendeur bien en chair. Savoir se soumettre sa propre existence. Puisqu’on n’en a après tout pas spécialement voulu, de ce laideron, puisque notre âme, qui jusque là voguait bien peinarde en plein champ des possibilités, s’est vue imposer ce mariage forcé avec ce corps, cette époque, cette histoire dont on n’a après tout pas à connaître les manèges, puisqu’ils sentent le réchauffé pour nous depuis quelques bons gros lots d’éternité.

On m’a pas posé de questions, au retour, on m’a laissé bien tranquille, sans me cuisiner sur le pourquoi de mon départ, le comment de ma fuite. Au moins je n’aurais plus à voir leur face.
Ils m’avaient bien pollué l’esprit, mais cette fois je leur échappais.
Je pouvais revenir dans ces rues, foulées autrefois. Retrouver Bernage. Cette vieille connaissance. On avait traînaillé dans ces rues pas mal. On avait perdu notre temps dans des fonctions ineptes, des rôles ingrats. Mais surtout on aurait apprécié la vie étudiante. C’avait été une vie étrange. On ne fut pas loin des masses de truands de la rade. Des types dangereux, hors de tout, et qui se retournaient dans leur grande ombre criminelle. Mais, comme en vivant à ces époques dans des villes populeuses, pleines de brume, brumasses violettes ou rousses, gorgée de très jolis effets, on tachait d’éviter comme on pouvait ces compagnies. Comme dans un troquet, vers le minuit, où nombre de chants obscènes ont déjà été proféré par une bougresse vers le minuit, son accordéon s’éreintant sur ses cuisses nues, on sent alors qu’il est bien temps de se tailler sans faire de bruit. Même aussi bourrés qu’on soit. Mais, pour moi couronné de fleurs, Bernage arrivait.
Piégés qu’on est dans un boulot inepte. Refrain. On se retrouve bien piégé dans l’immense ville couverte de brume close à nos pas. A devoir se trouver bien content d’être là, avant qu’on nous vire une bonne fois.
Ils n’allaient pas tarder à me foutre dehors. Il faudrait que j’en bave des ronds de chapeau.
Et dehors ce serait toujours la rue. A perte de vue. Il me faudrait en fuir la perspective.
Ne pas demeurer dans ce secteur.
J’avais donné. Je conçois qu’on soit poussé par le besoin, à s’établir à tel endroit, à faire semblant de se satisfaire de sa condition, à faire le beau au bras d’une fille guère trop névrosée, comparée à d’autres, et aux jambes passables, cependant, il est des fois où l’on préfère leur dire à tous d’essayer de se démerder sans nous. On en perdra sans doute en légitimité. On ne nous regardera plus avec la même bienveillance, c’est forcé. Mais quelle liberté, en tous les cas acquise...
On n’aura plus à faire le pitre dans leurs histoires, pour si peu de rétribution au final.
Il ne réussiront pas à me détruire. Ils ne m’auront pas plus longtemps.
S’enfermer dans une salle avec des adolescents. Il faut vraiment être malade.
On vient vous chercher si ça se passe mal. On vous la fait passer, toute votre motivation. Celle là, elle a déjà pris sa balle dans la nuque, et ne se relèvera plus. Professeur pour des nèfles.
Et on réclame de vous que vous soyez encore parfait dans votre rôle. Demandeur de précisions. Vous qui n’avez plus aucune vie à dédier au rêve en dehors de ça.
Vous êtes bien l’imposteur, la crapule et l’assassin. Ah, mais les choses sont graves. On en veut plus de vous. Il va vous falloir vous amender. On ne s’évade pas si facilement. Cela, vous auriez dû le comprendre, depuis le moment que vous tournez en rond dans une vie qui ne vous convient pas.
On ne s’évade pas comme ça. Ça se saurait, depuis le temps que des âmes délicates et isolées souffrent sans pouvoir en rien faire dévier leur marasme de la bouche d’égout qui lui sert de destination.

On ne va pas en remettre sur les romances et les jolies histoires, mais on a parfois besoin d’oseille.
Il me fallait donc au plus vite trousser une histoire valable, sans cela j’allais rapidement perdre le fruit du petit succès que j’avais obtenu voici plusieurs années en me raclant comme j’avais pu l’inspiration. Même si je savais qu’elle était inépuisable au fond, je sentais bien que mon inspiration pouvait justement celle-là aussi bien me lâcher, ne plus m’être si docile. Alors je ramerais pendant des mois à la recherche de cette étincelle de vie sans quoi tout le bastringue ne peut tenir en place, quoi qu’on fasse.

Ne jamais rien eu à voir avec la meute. Toujours s’être senti seul dans certaines situations. A chaque fois à deux doigts de déguerpir, ce dont les autres n’avaient pas toujours conscience, à force de me croire à leur merci, moi qui du moins avait ce pouvoir de fuir, fusse avec sur l’épaule le baluchon de l’imagerie. On ne m’aurait pas facilement. Mais lorsqu’on est coincé, il est parfois ardu d’en prendre son parti, et de ne plus geindre.
On ne va pas vous laisser longtemps tranquille. Vous vous croyez un peu peinard, mais on ne sera plus très long à tomber sur vous, pour vous faire passer le goût de vous plaire aux sérénités. Il veulent vous soumettre. Ne pas leur fournir les armes pour ce faire. Ne pas être complice de sa propre réclusion. Il y faut déployer bien des efforts. Pour se mettre à l’abri. Pour ne plus avoir à faire avec leur système. Car lorsqu’on est épris de l’ombre et du mystère, on est définitivement perdu pour ces automatismes, ces antiques façons de voir. Un bon bain de solitude sans contrepartie. Ils vous l’auront annihilée, c’est au moins un service qu’ils vous auront rendu, cette contrepartie de remords de ne pas s’être adapté à leur système. Un acquis au moins. Savoir le prix de sa solitude. L’en apprécier davantage. Un totem déterré.
Ils sont partis. Dans la brumasse. Il n’y a plus rien à en dire. Le port non loin de là continue de résonner de sons cruels. Le soir tombe sur la rade. On sentait bien l’obscurité prendre comme une épaisseur d’étoffe. Il ne va pas s’agir de trop traîner dans le secteur. Sinon on se ferait rattraper vite fait, par des rôdeurs. Par toute cette menace de la nuit à s’accroître toujours davantage autour de nous. Il serait temps de la distancer. Cette vieille, cette antique menace. Tandis que rougissent dans les interstices des murs, derrière les branchages obscurs, des regards que l’on sent pointés vers nous sans bienveillance aucune.
On ne se sort pas de l’obsession d’un être. On peut comme on peut le croire essayer de la travestir cette obsession, au travers d’autres yeux, d’autres couleurs de cheveux. D’autres sensations à fermenter en soi. Malgré que l’être en face de nous soit fort différent, qu’il ne ressemble en rien au précédent. Qu’en elle ne fermentent pas ces aromates suivant les mêmes relents de légendes à lui personnels. Cette personne disparue au loin, sans avoir laissé de nouvelles.
Ce doit être cela, la leçon de toutes ces rencontres, de se sentir obligé de se retrouver soi seul, face à sa glace, à grimacer au matin... a sentir au loin tous ces êtres apparemment complices, du temps où nous les côtoyâmes, lorsqu’ils nous entraînaient vers les ultimes de la ville, la gueule tordue, le relief de la face travaillé par la lueur d’un réverbère. Leur silhouette, envolée avec tout un peuple de corbeaux dissuadés.
Ces bons retours des années précédentes, où l’on se sentait au final tout aussi brouillons inconséquent qu’à l’heure actuelle, mais où nous avions la décence de nous taire, tout en parcourant des avenues si ternes ou moches, mais comme sacrées par le soir prostré sous ses voiles affalées.
Mais en attendant nous serions bien seulâbres, à traînailler tandis que des convives conversaient un peu partout, à causer compte en banque et grasses transactions. Nous, seuls, nous avançant vers le vrai mystère, et pourtant sentant la fraîcheur nous pétrir les guibolles, sous nos futals.
Nous irions cueillir le jour, une fois rendus aux places si larges où sans un mot pouvoir en soi sentir jaillir le matin.

Se remettre au travail. Lorsqu’on se sent pris au piège, comme pétrifié dans un rôle ne nous convenant pas, et où l’on voit une légion de fonctionnaires assermentés s’emparer de nous, croire nous disséquer à coup de rapports ou de petites calomnies imposées justement par leurs fonctions, sans arrêt, sans trêve, à se demander d’où peuvent sortir ces succubes, pantins d’enfer, sans arrêt, sans trêve, aussi pressés de se ruer sur vous, mais sans conscience, sans penser à mal, à la manière dont se ruent les flots sur la face éperdue du naufragé. Et pourtant il suffit parfois de se mettre loin d’eux, de ne plus avoir présente face à soi leur face, leurs façons, leurs façons indiscrètes. Il suffit parfois d’embrayer, de démarrer, de laisser derrière soi se propulser dans sa masse le paysage ingrat de toute la campagne.
S’enfuir, ne plus se trouver obligé d’y revenir, une fois qu’on a vu sous tous ses aspects comment se lasser à mort de tout le cirque.
Cette société, où les rapports de force sont omniprésents, et où, si on a le malheur de ne pas s’être intégré au mieux dans leurs habitudes, on est évincé, et bientôt rejeté, écarté de l’endroit, prié de n’y plus revenir, de ne surtout plus faire de façons. De ne plus s’imposer. De se muer courant d’air.
Tant de nullité, de fades rancœurs, c’est à souhaiter parfois de se montrer une bonne fois sous son pire jour, de manifester sa férocité, celle qu’on cache comme on peu depuis toujours, pour leur montrer que les défauts mesquins qu’ils nous prêtent, somme toute si communs et sans imagination, ne sont rien en comparaison de l’horreur qu’ils nous inspirent.
Allez, c’était certain, on allait voir ce qu’on allait voir. Sauf que rien de tout cela ne s’est passé comme prévu. Ce qui permet de prendre du recul et de ne pas trop s’en faire sur ces sujets, c’est qu’on doit se sentir au final assez éloigné de ce qu’ils cherchèrent à nous inculquer, mine de rien.
Ne pas se perdre dans des jugements impossibles à suivre ou à tenir très longtemps.
Comme Épictète le préconise, éviter de se faire une montagne de choses qui ne peuvent nous atteindre, cela y compris lorsqu’on croit qu’elles sont pour nous de la plus haute importance. Mais cela aussi est difficile à tenir longuement. On bascule en conséquence quelquefois dans le sommeil afin d’échapper à son rôle comme à sa propre gravité.
Cependant c’est bientôt l’hiver, son cortège de blancheurs où emmitoufler à fond sa patience.
Entre deux départs précipités, deux nouvelles avancées, vers le rien, parmi un vide total et omniscient. Plus question de s’attacher personne.
S’avancer, c’est comique, sans plus tenter rien avec personne, partir, comme cela, toujours, ténébreux sans attache, ravi pourtant, autant que l’autorise en soi le vieil instinct de la plus claire solitude.

 

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