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La lutte contre la guerre n’est pas la paix

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 Article publié le 29 novembre 2015.

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Si l’on veut être pessimiste (et l’on a de quoi l’être), on peut se dire que ce pays se dirige vers la barbarie. Quand des gens prétendent défendre leur "identité" à travers des saucissons et des crèches de noël, on devine avec effroi la structure mentale qui conditionne leur faculté de langage, donc de pensée, donc d’action. On pourrait en sourire si ces représentations naïvement haineuses ne se traduisaient pas en actes.

Derrière ces symboles authentiquement guerriers (qui ont leurs victimes colatérales, puisque les Juifs et les végétariens de toutes tendances, comme les musulmans, ne mangent pas de porc) (et qu’il s’agit d’enfants, au fait), on doit deviner l’âme d’une civilisation ? Evidemment, ça craint.

On est très loin encore (et l’on doit malgré tout s’en réjouir) de la fascinante stupidité des islamistes qui commettent des meurtres pour venger un jour d’autres meurtres, d’autres jours une injure ou ce qu’ils considèrent comme tel et qui n’était qu’une caricature, ou encore ce qu’ils appellent apostasie. Il ne faut pas faire d’amalgame : nos adeptes du symbole national ne sont pas enrôlés dans une secte tueuse, ce qui est le cas des assassins islamistes. Mais il serait imprudent de ne pas signaler, dans la masse discursive contemporaine de ce pays, une tendance à la simplification qui nous permet de comprendre ce que louait René Char : "une simplicité qui ne cherche pas refuge".

Cette simplicité-là cherche refuge dans des symboles qu’elle rend abjects.

On peut être pessimistes car cette poussée identitaire partagée par un grand nombre de nos concitoyens aura des conséquences désastreuses en termes de lien social.

Dans les écoles même, dans les cantines, elle établit ses frontières. Cyniquement. Aveuglément. Elle produit du rejet.

Qui plus est, elle impose au citoyen français une identité qui n’est pas la sienne.

Car enfin, moi qui suis l’arrière-petit-fils d’un boucher d’Aubervilliers, qu’est-ce que j’ai à voir avec cette crèche ? Rien.

Pour le saucisson, c’est différent. Mais je n’en ferais pas une guerre, voyez-vous ? Ni même un objet de vexation, de ségrégation, d’humiliation.

Mais la crèche... Enfin, soyons sérieux. En quoi la crèche ferait-elle plus partie de ma vie, de mon histoire, de mon identité, que la vie de Mohamed, qu’on appelait Mahomet parce qu’on en avait francisé bizarrement le nom ?

Je les ai découverts en même temps, peu ou prou. Un ou deux ans après avoir appris qu’il y avait quelque chose qu’on appelle Dieu et à laquelle certains croient et d’autres non.

La crèche est peut-être moins humiliante que l’histoire du porc dans les cantines. Cette histoire de porc dans les cantines, c’est une pure abomination quand on y pense car elle se traduit chaque jour dans la vie d’enfants à travers le pays, de façon souvent abrupte. Après tout, la crèche n’est qu’une décoration. Il y a là-dedans quelque chose comme une usurpation d’identité mais c’est folklorique. Je comprends que d’aucuns puissent vouloir retrouver Bécassine en Bretagne, Tartarin à Tarascon, Marius à Marseille et Danny Boon à Boulogne. La réalité est plus complexe et l’on doit aujourd’hui demander à tous ceux qui, ici et là, estiment que la réalité est plus complexe de se serrer un tant soit peu les coudes car on a de ces gens qui arrivent à des fonctions structurantes de l’espace politique et que cette complexité, c’est-à-dire nous, leur est un adversaire aussi clairement établi que ce qu’ils appellent indifféremment "islamisme" ou "islam" alors que l’islamisme est un ensemble de mouvements sectaires, aliénants, qui ont autant en commun avec l’islam que Jim Jones avec le christianisme.

Il y a de quoi être pessimiste, donc, si l’on s’en tient à la tendance nette qui se dessine dans les mentalités de ce morceau de territoire. On voit se lever fièrement tous ceux qui veulent en découdre en criant : "c’est la guerre ! c’est la guerre !" comme s’ils allaient la faire eux-mêmes.

"Allez ! On va manger du saucisson."

Nous devrons nous résoudre à assister à une série indéfinie de scènes grotesques et atroces, alternativement ou de manière combinée. Nous devons à chaque instant nous poser la question de ce qui doit être préservé. De ce qui est humain. Nous devons essayer d’emprunter le regard terrible de Paul Celan sur le lac Léman à Genève, quand il voyait des boomerangs :

Strahlengang, immer, die
Spiegel, nachtweit, stehn
gegeinander, ich bin,
hingestossen au dir, eines
Sinnes mit diesem
Vorbei.

Nous savons ce qu’il y a de terreur dans ces paroles. Et nous la voyons s’ouvrir devant nous, indifféremment. Nous nous sentons impuissants devant la machinerie implacable de la bêtise la plus crasse, que la guerre réjouit. Nous ne le sommes pas complètement.

On pourrait se satisfaire en estimant que la pensée vive de ce pays (celle qui ne se borde pas à clamer des slogans, quels qu’ils soient) ressemble un peu aux "cellules dormantes" du jihad - dans des visées bien sûr inverses - mais le sommeil ne suffit pas. C’était il y a un siècle, peu ou prou : les surréalistes se levaient contre la guerre du Rif. Et l’un de leurs slogans, pas le moins, était (approximativement peut-être) :

La lutte contre la guerre n’est pas la paix.

 

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