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 Article publié le 19 avril 2015.

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Cette femme assise sur la murette du parapet, c’est la mère de Nina, celle qui m’en veut d’avoir renoncé au bonheur tel qu’elle le concevait. « Mais j’ai changé d’idée ! »

 

Elle a changé, en effet. Le corps s’est effondré des épaules à la ceinture. La tête penche en avant, mais les cheveux sont retenus par un foulard noué sur le front. Les jambes soutiennent un désastre, agréablement croisées sous une jupe voletant dans la brise. J’ai toujours aimé ces petits pieds agiles. Ils le sont toujours. Ils sont chaussés d’espadrilles jaunes sans ornement. Le jaune rature cette femme. Elle se prend pour le soleil chaque fois qu’on se voit. Le coup de griffe est horizontal, suivant la trace de mes yeux.

 

« J’ai appris pour Lucienne. Nous savons pratiquement tout par la Presse. Qui la renseigne si bien. Quelqu’un de chez vous. En tous cas c’est bien utile d’en savoir autant que vous. C’est du moins ce que nous nous imaginons. Nina sera ravie de vous revoir. Depuis ce temps ! »

 

Ce temps. J’ai bien écrit ce temps et non pas elle qui parle. J’ai conservé (sachez-le) cette petite trace laissée par mes notes. Les premières datent d’ailleurs de ces jours. Ces jours. Cette fois, c’est moi qui écrit et non pas elle qui me parle.

 

« Ces publicités ! »

 

Et ces bateaux d’un autre temps sur son foulard. Des voiles se gonflent, blanches et noires. Le fer d’un sabre traverse cet univers emprunté. Elle lit beaucoup. Par désespoir. « Plus de temps à mourir qu’à vivre maintenant… »

 

« Que vous a-t-elle dit ? Elle a aussi parlé à votre collègue. Elle ne me dit pas tout. Frank l’a adoré. Dieu sait ce qu’il fabrique maintenant. Ce Dieu qu’il n’aime pas comme je l’aime. Vous aimez Dieu, Pierre ? Je ne vous l’ai jamais demandé… »

 

Je ne l’ai jamais su aussi clairement que je l’ai quelquefois écrit.

 

« Il faut marcher, sinon le sang se fige. Pourtant, mes jambes n’ont pas changé. Je ne parle pas du reste. Ces pauvres seins ne sont plus des seins. Vue de dos, j’ai l’air d’un dinosaure. Je vous ai vu acheter les chapeaux. Cela m’a fait penser à Lucienne… »

 

Nous marchions. Elle me tenait le bras. J’ai toujours aimé ce geste simple. Un signe d’amitié.

 

« Comment se porte notre chère Elsie ? »

 

À l’autre bout de la promenade, la mer se déchaînait contre les roches bleues. Nous n’allions jamais aussi loin à cause des embruns qui dérangeaient Lucienne. Ou à cause du chapeau auquel elle semblait tenir comme à un futur souvenir indispensable.

 

« Et la poésie ? »

 

De loin Paterson nous observait, l’air de rien qui amusait les petites filles rouges épanouies sous les parasols.

 

mort mort mort

mort de tout le monde

dans cette eau

que les vagues portent

jusqu’à nous

qui fleurissons

l’ombre des parasols

de nos rêves d’enfant

 

mort secrète des vagues

une fois l’écume rendue

à son eau

 

crabes gris et verts

dansent entre les doigts

agiles d’une fleur

éclose pour plaire

à l’esprit qui l’invente

 

nous ne savons plus rien

une fois qu’elle se fane

 

mourir n’est pas un acte

quoiqu’il arrive

 

« La poésie ? Euh… »

 

Qui n’connaît pas Eugène

Qu’a des flût’ en acier

Et qui fait du vélo

Sans les rim’ à papa ?

 

Qui peut dire « Sans Eugène

On n’est sûr de gagner

Et pas des picolettes

Ah mourir sans Eugène ! »

 

Ou qui dira qu’Eugène

Il a pas son pareil

Pour fair’ rêver les filles

Et pleurer les garçons ?

 

Eugène c’est un gagnant

Qui sait parler aux vieux

Et qui fait des miracles

Quand on est vieill’ à rien !

 

Tenez, moi, j’ai vingt ans

Et du poil au menton

Pour pas raser les filles

À l’endroit de l’amour !

 

Et bien Eugèn’ j’en rêve

Et du soir au matin

Ah question poésie

Qu’est-c’ qu’il est bon Eugène !

 

Ah il m’a tout appris

Le sens et les détails

Qui font la différence

Dans les moments cruciaux.

 

Entre Eugène et les autres

On choisit pas on vote

Et tant pis pour les ploucs

Qui lis’ dans le journal !

 

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