En route (dans la nuit) je me mis à rire et je traçais dans le sable (je passai par la plage) les deux lignes obsédantes :
PATERSON / GILETTE
ELSIE / NINA
Il fallait me rendre à l’évidence de :
LUCIENNE / MOI
Est-ce qu’on pose la question : « Qui est moi ? »
Des crabes fuyaient. J’eus la tentation d’un bain. Nuit. Nudité. Seul dans la mer. Enfin.
Un cargo scintillait comme une constellation, immobile.
l’enfant fend l’eau
l’eau le lavant
vent à l’eau va
les chansons de l’enfance
n’ont pas de sens
mais elles savent
le sable mouille encore
les vieux rêves de hasard
et l’eau se retire comme un refrain
eau des rivières se jetant
écume des mers plus loquaces
distillation des idées de mort
là où croît la patience
le désert connaît le vent
et ce qu’il change des chemins
nous connaissons avant d’aimer
erreur de vision après la nuit
car c’est la nuit que nous traversons
avant de donner le jour au jour
Et ainsi errant et pourtant sachant où me conduisaient mes pas.
couteau couteau que je ne connais pas
file du sang au fil de l’eau
qui ne sait pas où il va en a parlé
qui veut témoigner de ce détail insignifiant
pas de mes pas ne sachant pas
croissance de l’infime
la douleur est un couteau
et le sang une chance
nous les raisons de tuer avec le couteau
rassemblons nos mains au travail
le mur de l’incompréhension
s’élève déjà de la hauteur du cri
couteau couteau il n’y a pas de couteau
sans que l’os n’en soit l’idée
si j’ai bien compris l’Histoire
qui est l’histoire des histoires
La lumière qui avait totalement disparu est revenue avec la promenade qui finit son trottoir dans le sable, marche après marche descendant jusqu’à moi. Le regard supporte cette ligne de fuite à peine courbe qu’empruntent les voyageurs n’allant pas plus loin. Les autres n’existent déjà plus. J’entrai dans un bar. Pas de traces de Paterson, ni de Gilette. J’étreignais ce maudit couteau. Dans la rue de Nina, j’ai hésité. Le sdf dormait sous une voiture. Sa bouteille trônait sur le bord du trottoir, vide. Vous n’allez pas me croire, mais j’ai escaladé un mur aussi facilement que vous gravissez un escalier. Envie de toit. Riez ! Riez ! Riez si le cœur y est ! Mais je montais aussi haut que je pus. Si j’ai rencontré le chat ? Il m’a peut-être rencontré. Il le dit, mais je ne me souviens pas de lui. A-t-on le droit d’oublier ce qui n’a plus d’importance ? Faut-il satisfaire votre curiosité ou revenir pour que tout cela ait un sens ? Donc, un chat si vous voulez, mais sans moi.
on perd vite l’habitude des fenêtres
quand on les voit de l’extérieur
et que le rideau est à l’abri
de ce qu’on a envie d’en faire
douce romance des nuits mortes d’ennui
le carreau étincelant de cet extérieur
qui ne rentre pas dans la danse
les glissades au fil de la nuit sont connues
pour laisser des traces dans la mémoire
et empoisonner la conversation nécessaire
avec ce qui n’a plus aucune espèce d’importance
dehors la nuit ne ressemble pas au jour
alors que de l’intérieur j’en ai l’habitude
comment ne pas voir plus loin
quand on s’approche d’aussi près
et je ne parle pas du bruit qu’occasionne la prudence
bruit du pan de chemise qui se déchire
ou du chapeau qui retombe sur ses pattes
sans aucune prévention pour la douleur
il faut sauter dans ce noir de fumée sans fond
pour revivre ce qui n’avait duré qu’une seconde
dans les circonstances d’une autre tentative
de mettre fin au partage de la femme trouvée
retrouvée — comme vous voulez la rencontrer
par l’intermédiaire de cette trace stridente comme
comme l’avertissement d’une mouette au hasard
d’un cadavre — retrouvée jusqu’à la fin de tout
Comment savez-vous que le chat était là ? M’attendait-il ? M’avait-on annoncé ? Une fenêtre s’ouvrit et le visage blanc de Nina coupa la nuit à l’endroit de mon attente. Elle semblait respirer profondément pour chasser une impression. Si j’entrais par cette fenêtre, elle ne me reconnaîtrait plus. Je crois que c’est à ce moment que le chat est apparu. Mais nous ne parlons peut-être déjà plus du même chat. Nina referma la fenêtre en prononçant des paroles que je ne compris pas. Où va-t-on quand on sait jusqu’où on est capable d’aller ? Surtout si la nuit est aussi noire que celle dont je vous parle. Folie ! Folie que tout ceci ! N’écoutez plus ! Refermez la fenêtre vous aussi ! Que je sois damné si ce chat est un chat !
LES VOISINS DE CETTE HONORABLE DAME N’ONT RIEN VU MAIS ILS ONT ENTENDU CLAIREMENT LE BRUIT QUE FAISAIT CET HOMME SOUS LA VOITURE. DANS SON SOMMEIL, IL IMITAIT LE SON QUE PRODUISENT CES FILMS OÙ ÇA TIRE DANS TOUS LES SENS SANS QU’ON SACHE TRÈS BIEN QUI EST QUI ET DE QUEL CÔTÉ DOIT PENCHER NOTRE CŒUR. ON A CRU À UN POSTE DE TÉLÉ LAISSÉ ALLUMÉ MAIS LE SEUL POSTE QUI JOUAIT ENCORE AVAIT LE SON COUPÉ. CE N’ÉTAIT ÉVIDEMMENT PAS DE CE CÔTÉ QU’IL FALLAIT CHERCHER POUR SATISFAIRE UNE CURIOSITÉ BIEN LÉGITIME À CETTE HEURE DE LA NUIT. Votre correspondant etc.