tu as la clé oui j’ai la clé et je vais m’en servir
je m’en sers j’entre je pénètre il y a des témoins
je ne toucherai à rien promis juste les yeux là
laisser la porte entrouverte car ils le veulent
si tu la fermes ils vont se douter de quelque chose
Apollinaire j’aime ta poésie car tu sais ce que tu dis
chaque fois que chante un obus tu es là plus vivant
que les morts maintenant entourés de servantes
le vin coule à flot le flot coule à vin tu es là
plus vivant que mort et plus poète que Dieu
n’entre pas avec moi dans cette scène du crime
mais ne t’éloigne pas reste avec eux derrière
la porte que je n’ai pas refermée comme le mur
elle y colle son oreille elle entend ce que je vois
Apollinaire j’aime quand tu fais les vers mieux
que les morts et même que les vivants qui ne
sont pas encore morts de cette mort qui est
injuste quand on s’appelle Apollinaire et juste
si on ne s’appelle pas
j’ai la clé je te dis
oui paterson n’y voit pas d’inconvénient il a dit
c’est drôle cette fois il n’a pas dit bizarre drôle
ça veut dire drôle et bizarre bizarre ne change
pas de conversation tu verras comme la poésie
quand elle se mêle de rendre à la vie sa mort
est un exemple de ce qu’il est possible de posséder
sans voler son prochain et sans faire la guerre
ou alors une guerre juste avec des sentiments
et surtout celui de ne pas être mortel enfin pas
pour l’instant
oui j’ai la clé et j’entre sans toi
sous le regard des témoins qui n’en savent pas
plus que toi d’ailleurs que sais-tu de ce que je sais
que sais-tu du bonheur que j’ai trouvé alors
qu’il n’en était plus question avec toi j’ai perdu
la clé elsie justine elsie juliette tu ne sauras jamais.
(Il entre finalement.)