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Choix de poèmes (Patrick Cintas)
Je vis Dieu
[E-mail] Article publié le 23 novembre 2014. oOo Je vis Dieu. Je vis un homme qui se disait tel. Il me le disait. Il se le disait. Il était seul à parler. Il parlait de Dieu. Il parlait de lui. Enfin il parla de moi.
Il me parla du mal, bien du mal, aussi bien du bien, mais je n’en juge pas ; je ne suis pas assez bien pour ça.
« Parlons du mal, de mon mal, celui dont je peux parler car j’en ai l’expérience. Est-ce une faute, ce mal ? dis-je.
— Est-ce un mal de fauter, car vous fautâtes, puisque c’est faux. Si c’était exact, il n’y aurait pas de mal. Où avez-vous mal ?
— Là, docteur.
— Appelez-moi : « mon père ».
Je vis Dieu. J’eus beaucoup de mal à le voir, mais je voyais bien que c’était lui. Il était comme je me l’imaginais quand j’étais un enfant. J’avais beaucoup d’imagination comme tous les enfants qui ont un père. J’avais moins de raison cependant que les enfants qui n’ont pas de père, et avec beaucoup d’imagination, et un peu de raison, j’ai grandi, j’ai poussé, je me suis cultivé, je me suis arraché à la terre, et Dieu m’est apparu, flattant mon imagination, consolant ma raison. Et d’un petit mal que j’avais, il en fit tout un monde, et j’en vis alors l’importance, la coupable importance.
« Que de mal, dis-je, j’ai !
— C’est un monde, dit-il, et vous ne le saviez pas. Vous avez trop donné à l’imagination, et pas assez à la raison. Tenez, vous êtes comme ces poètes...
— Mais, mon père, je suis poète.
— Alors tout s’explique, dit-il. Si vous êtes poète, ce que je crois, vous êtes normal.
— Mais c’est que j’ai très mal.
— C’est normal.
— Mais c’est anormal d’avoir mal.
— Pas pour un poète.
— Mais c’est mal et pas normal.
— La vie est ainsi faite. Je n’y peux rien. Pas même Dieu. »
J’ai vu Dieu, mais ce n’était pas Dieu. C’était un homme comme les autres. Il n’avait mal nulle part. Il n’avait pas d’imagination, et toute sa raison. |
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