Patrick Cintas

 

Mazette et Cantgetno

 

roman

 

© Patrick Cintas

La lecture de cet ouvrage est gratuite.

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Table

ACTE PREMIER

ACTE II

ACTE III

ACTE IV

ACTE V

ACTE VI

ACTE VII

ACTE VIII

ACTE IX

ACTE X

ACTE XI

ACTE XII

ACTE XIII

ACTE XIV

ACTE XV

ACTE XVI

ACTE XVII

ACTE XVIII

ACTE XIX

ACTE XX

ACTE XXI

ACTE XXII

 

 

 

 

ACTE PREMIER

Nous sommes devant la mairie de Mazères : la mairie est côté jardin et côté cour : les toilettes municipales. Un gazon semé de crottes de chiens. Une allée avec un ballon. Devant, une rue avec un trottoir. Derrière, une autre rue. Le soleil se lève (jeu de lumière). Une voiture se gare dans la rue derrière. Elle bouge sur ses amortisseurs, puis une femme en descend. Elle enfile par dessus ses vêtements une robe noire et ajuste l’hermine. La vitre de la voiture descend. Apparaît la tête d’une adolescente.

 

Scène première

La Présidente, sa fille

Fille — Maman ! Tu oublies la médaille !

Elle secoue un écrin. La Présidente revient sur ses pas

La Présidente — Ouille ! Quelle andouille je fais ! Je suis venue pour ça. Pour l’essayer. Il a l’habitude, lui. Ah ! Je ne vois pas non plus le Colonel…

Elle arrache l’écrin des mains de sa fille et jette un regard circulaire, main en visière.

Personne ! Nous ne sommes pourtant pas en avance. La porte est-elle ouverte au moins ?

Elle se dandine vers la porte de la mairie, grimpe les trois marches et pousse.

C’est fermé !

Fille — Frappe !

La Présidente — J’ai les mains prises ! Avec quoi veux-tu que je frappe ? Quand ce n’est pas l’heure, c’est l’heure ! Chez moi, la Prrrrésidente !

Elle se dresse en redescendant les marches.

Comment voulez-vous que tout le monde ait une médaille ? Et puis qu’est-ce que je fais avec cette médaille. Gourde que tu es ! C’est toi qui dois me la donner. De tes mains de fille de Prrrrésidente ! Reprends-là !

Elle revient à la voiture et jette l’écrin au visage de sa fille.

Fille — Ouille ! Quelle andouille !

La Présidente — Tu n’auras jamais de médaille si tu ne réfléchis pas.

Elle tape du pied.

Mais qu’est-ce qu’il f… fouille, ouille !

Elle considère le ballon puis le prend et l’observe attentivement.

La Présidente — Il paraît qu’on peut avoir des médailles avec ça aussi. J’aurais dû prrrrésider et jouer au foot en même temps. On ne donne pas de médailles à n’importe qui. Il faut être quelqu’un, en droit, en foot ou en autre chose. Réfléchis, ma fille. Quelqu’un !

Fille — Ça, tu l’as déjà dit…

La Présidente — Non ! Je dis : quelqu’un vient ! Coucouille ! Je suis là. Je suis la Prrrrrésidente. Je viens pour la médaille. Ma fille aussi est là. Sors de là, andouille !

La porte s’ouvre. Apparaît Marette, le maire.

 

Scène II

Marette, la Présidente, sa fille

Marette — C’est la deuxième fois qu’on me traite d’andouille ce matin !

La Présidente — Oh ! Je ne disais pas ça pour vous. C’est ma fille…

Marette — C’est votre fille l’andouille ? Nous sommes deux alors. Vous les femmes…

La Présidente — Sors de là, toi !

Fille — Avec ou sans la médaille ?

La Présidente — Mon Loulou, sort-elle avec la médaille ?

Marette — Je suis petit et moche comme un pou, alors je m’en fous.

La Présidente — Mais enfin, Loulou !

Fille — C’est con, les vieux… J’attends !

La Présidente — Pour une Prrrrésidente, une médaille, c’est comme une robe de mariée. Le marrrrié ne doit pas la voir avant de… vous savez… Ouille !

Marette — Je ne savais pas qu’il y avait un marié… Je vais chercher ma médaille. Ça donne de l’air à mon étole euh… je veux dire mon écharpe.

La Présidente — Tututu ! Monsieur mon maire ! Il n’y a pas de marié au sens propre du terme. Je suis déjà mariée. Sinon, je ne serais pas votre… Ouille !

Marette — Ma couille ? Mais enfin, je vous trouve bien…

La Présidente — Oh ! Oui, je suis bien, je suis bien dans ma peau de Prrrrésidente ! Et sur cette peau, ô mon officier ! Tu vas clouer ce symbole de ma… de ma… comment dit-on que je suis quelqu’un ?

Marette — Je le dirai tout à l’heure…

Il voit les gros genoux de la fille.

… ma… ma… mia ! Qu’elle reste dans la voiture !

La Présidente — Mais enfin, mon… mon…

Fille — Qu’est-ce que j’ai fait ?

Elle est encore assise dans la voiture, portière ouverte.

Marette — Elle a de gros genoux, ta fille !

La Présidente — Mais je suis quelqu’un !

Marette — Je ne sais pas si c’est une bonne idée…

La Présidente — Mais si c’est une trrrrès bonne idée que je sois quelqu’un !

Fille — Pas si gros ! C’est lui qui a une petite…

La Présidente — Comment le sais-tu ?

Elle ouvre sa robe pour cacher sa fille.

Couvre-toi, idiote ! Il est fâché ! C’est mauvais pour ma carrière de Prrrrésidente. Et pour la tienne.

Fille — Mais je n’ai pas de carrière ! J’ai bien le temps !

La Présidente — Il ne regarde pas. Profites-en pour couvrir ces gros genoux avec ce que tu voudras. Ouille ! Il regarde !

Marette — Le Colonel sera de mon avis.

La Présidente — Pour les genoux de ma fille ?

Marette — Pour que ce soit votre fifille qui vous accroche la médaille… Au fait, vous l’avez, la médaille ?

La Présidente — Vous pensez si je l’ai ! Je ne suis pas quelqu’un…

Fille — Mais si, maman, tu es quelqu’un.

La Présidente — Montre la médaille sans que je la voie !

Marette — J’en ai déjà vu, même dans le noir. Vous avez pris le grrrrand modèle ? Le modèle pour magistrrrrat ? Le modèle qui grrrrandit. Ah ! Que ne suis-je encore plus petit de nature ! Je leur aurais montré comme je grrrrandis quand j’en ai l’occasion.

La Présidente — Vous l’avez vue ?

Marette — Je vois ses gros genoux.

La Présidente — Je vous parle de la médaille ! Ah ! C’est quelqu’un !

Marette — Je n’en ai jamais vu d’aussi gros. De quoi j’aurais l’air là-dessus ?

Fille — Vous les avez assez vus ? Je peux refermer l’écrin ?

La Présidente — Ouille ! J’ai failli la voir ! Ça peut porter malheur. Je ne suis pas superstitieuse, mais ça me donne chaud rien que d’y penser.

Marette — La ménopause… En parlant de fin de tout, voici le Colonel.

La Présidente — Ouille !

Le Colonel arrive par la rue de devant, patte folle du polynévritique et canne en bambou.

 

Scène III

Le Colonel, Marette, la Présidente et la sa fille

Marette — Il est content, mon colonel ?

Colonel — Des fluides m’ont empêché de vous écrire, Madame !

Fille — Il fait pipi au lit !

Marette — Vous vous écrirez plus tard. Nous n’avons plus le temps. Nous avons la médaille et… la fille.

Colonel — Elle a de gros genoux.

Marette — Arrêtons les comparaisons ! Il est presque l’heure.

La Présidente — Il manque quelqu’un !

Marette — Il ne manque personne puisque vous êtes là.

La Présidente — On m’avait promis la Prrrresse !

Colonel — La Presse ! Comme du temps de la rue d’Isli ! Nous leur ferons fermer leur gueule !

La Présidente — Je suis quelqu’un qui inspirrrre. Il y aura des trrrraces après mon passage.

Fille — De la merrrrde…

Marette — On ne m’a pas parlé de Presse…

Colonel —

Avec de si gros genoux

Pour la photo c’est risqué

Mais enfin si le préfet

À deux fois n’y voit pas trop

On regardera d’ côté

En se parlant de l’honneur

Des raisons de pas douter

Et de ce qu’on fait ailleurs

Quand les mauvais détracteurs

Convoqués par le Parquet

Continuent de critiquer

Notre institution en chœur

 

Ah ! Les genoux

D’ la fill’ d’ la Présidente

Sur la photo

Ont de grand’s dimensions

En long en large

On voit bien que le ton

Dans tous les cas

Mérite le bâton

 

Avec moins de cuisse en l’air

Les genoux ont la rotule

La rotule et les bidules

Moins voyants et plus austères

L’idée de faire accrocher

La médaill’ par la fifille

Sur le tors’ de la famille

Par maman représentée

N’est bonne que dans l’esprit

Qui habite le genou

Quand on le met pas dessous

Et que ça sent le pipi

 

Ces gros genoux

Hérités de maman

Ont un air fou

On peut se voir dedans

Comme entredeux

D’ la société entière

On n’ fait pas mieux

Du moins c’est c’ qu’on espère

 

Car maman a tout fait pour

Mériter d’ la société

Jamais ell’ n’a hésité

À se donner à la Cour

Dans sa robe transparente

Elle a toujours réussi

À cacher les apparences

Ya pas d’autre thérapie

À force d’appuyer sur

Le pompon de la nature

Du gros bronze elle a coulé

Et sur la route avancé

 

Ah ! Les genoux

D’ la fill’ d’ la Pr´sidente

Ça fait beaucoup

Pour obtenir des rentes

C’est esthétique

A condition d’aimer

S’ faire secouer

Le pompon en musique !

 

La Présidente — Je ne sais pas si je dois continuer… sans la Prrrresse. Je n’ai pas l’habitude.

Fille — Heureusement que ce n’est pas du chocolat !

Colonel — Du chocolat maintenant ! Elle a tout pour me plaire, cette gamine !

Fille — Pas si gamine que ça ! Je suis peut-être un garçon…

Colonel — De gros genoux, du chocolat et un… un… Ah !

Marette — Remettez-vous, mon Colonel. La Presse fait du vélo.

Le Journaliste sort des pissotières en poussant son vélo.

 

Scène IV

Le Journaliste, le Colonel, Marette, la Présidente et sa fille

Journaliste — N’allez pas croire…

Tous — Mais nous ne croyons rien !

Journaliste — Je suis arrivé tôt…

La Présidente — En vélo ?

Marette — De Toulouse ?

Journaliste —

Elle a de gros

Genoux en vrai rotules

Mais en vélo

Je n’ viens pas de Toulouse

La Présidente — Je me disais aussi ! En vélo ! Vous pensez ! Est-ce que j’irais à la Cour d’Appel en vélo si on me le demandait ?

Tous — En vélo ?

La Présidente — Jamais de la vie ! Plutôt reconnaître que ma fille a de gros genoux et que ça plaît aux uns et pas aux autres.

Elle tend la main au journaliste.

Je suis rav… quelqu’un. Vous venez vous aussi pour la médaille ? Je ne l’ai pas vue. C’est la tradition.

Marette — Je suis très à cheval sur la tradition. Mais je ne pratique pas. J’encourage. Ça leur fait plaisir.

 

La tradition

Est une tradition

Et à cheval

Ça se monte facile

Je pratiqu’ pas

J’ai pas les ustensiles

Mais le dada

C’est fait pour les édiles

 

Les gros genoux ont leur mot à dire d’ailleurs. Je…

La Présidente — Pas maintenant le discours ! Attendez que je sois prê… quelqu’un. Vous avez de quoi immortaliser ?

Journaliste — J’immortalise tous les jours, Madame.

Marette — J’immortalise moi aussi, mais ça tombe par terre.

La Présidente — Montrez-moi comment vous faites, monsieur la Dépêche. Je peux vous appeler comme ça ? Il paraît que les journalistes adorent qu’on les appelle par le nom de leur organe.

Colonel — Autant pour moi ! Mon organe n’a pas de nom !

 

Mon organ’ n’a pas de nom

Il paraît qu’il faut un don

Pour avoir un nom dedans

Et rien sentir au dehors

 

Quand ça me prend

Je suis dedans

Et quand je sors

J’y suis encore !

 

Mon organe a de la voix

Si la voix est un organe

Et si ce n’est pas la voix

Je m’exprime comme un âne

 

Quand ça me prend

Je donne tout

Les gros genoux

Fou ça me rend

 

Mon organe a vu le feu

Lorsque je n’y pensais plus

Jamais je n’ai pu fair’ mieux

Et ell’ me l’ont bien rendu

 

Ah ! Ma fifille

Sans le drapeau

Et sans la peau

Je dégoupille

 

Journaliste — Nous adorons cela ! On vous appelle bien la Présidente…

La Présidente — La Prrrrésidente ! Je tiens à l’accent.

Journaliste — Un accent bien placé où il faut. Prrrr…

La Présidente — Prrrré…

Journaliste — Prrrré !

Marette — Vous vous y ferrrrez.

Colonel —

Il ne manque personne

Et je suis seul pourtant

Ce n’est plus comme avant

Mais avant j’étais homme

 

La Présidente — Voyons… personne, personne, personne, personne et… quelqu’un. Tout le monde est là.

Marette — Dieu est partout !

Colonel — Même où il n’est pas.

Marette grimpe les trois marches et tient la porte.

Marette — Après vous, mes amis.

La Présidente — Je suis l’amie de tout le monde. Il faut être quelqu’un pour m’apprécier. Et j’ai beaucoup d’amis.

Colonel — Des tas ! Vive la Légion !

Journaliste — Légion d’honneur. Dites Légion d’honneur, sinon cette jeune fille ne comprendra pas.

Colonel — Nous sommes des tas et on en est fier !

Fille — Je viens avec mes gros genoux ?

Ils entrent. Le ballon est resté dans l’herbe. Un gosse entre, avise le ballon, considère la situation, finit par s’en emparer, le renifle avec dégoût et le jette par dessus le mur des pissotières.

Une voix — Je suis pas seul !

Le gosse s’enfuit. Entre Bousquet.

 

Scène V

Bousquet, le Gosse

Bousquet — Jamais seul ! Tu peux sortir…

Le gosse revient prudemment.

Non ! Ne sors pas ! Il y a de la prrrrésence !

Il fait signe au gosse de le rejoindre.

Je ne suis pas méchant, mais j’ai un fusil. Approche.

Gosse — Maman m’a dit de me méfier des vieux cons qui donnent des bonbons.

Bousquet — Eh ! Je ne suis pas si vieux ! Et je ne te donne pas des bonbons ! Tu sais quoi ?

Gosse — Tu vas me demander des bonbons ?

Bousquet — Comment tu as deviné ! De quelle sorte de bonbons es-tu le voleur ?

Gosse — Mais je ne les ai pas volés ! C’est maman…

Bousquet — Tu ne veux pas m’en donner, c’est tout. Tu as peur que je devine que tu les as volés.

Gosse — J’ai rien volé !

Bousquet — Tu ne les as pas tous volés, mais tu en as volé quelques-uns… Je t’ai vu !

Gosse — C’est moi qui vous ai vu !

Bousquet — Et qu’est-ce que tu as vu ? Qu’est-ce que tu n’aurais pas dû voir ? Qu’est-ce que je ne veux pas qu’on voie ?

Gosse — Ton fusile ?

Bousquet — Je n’ai pas de fusil ! C’est quelque chose que je n’ai pas volé. Tout le monde vole, sauf moi ! Toi, tu voles les bonbons et tu les gardes pour toi tout seul comme si je n’étais pas là.

Gosse — J’ai même pas volé le ballon.

Bousquet — Ce n’est pas un ballon, c’est un oiseau. Et je l’ai reçu sur la gueule pendant que nous… que je… Ah ! Pourquoi ne te mêles-tu pas de ce qui te regarde ?

Gosse — Mais je regardais pas, monsieur ! Maman m’a dit de ne pas regarder si jamais quelqu’un montrait…

La Présidente sort de la mairie.

 

Scène VI

La Présidente, Bousquet et le gosse

La Présidente — Quelqu’un ! On m’a appelée ? On a besoin de mes connaissances en droit ? Qui est cette personne ?

Elle désigne Bousquet.

Gosse — J’en sais rien. Je lui ai jeté un oiseau mort sur la tête, mais je croyais que c’était un ballon, ce qui explique la mauvaise odeur.

La Présidente — Voilà une explication qui manque de cohérence, jeune homme ! Et vous, monsieur je ne sais qui, qu’avez-vous à dire ?

Bousquet — Mais rien. Maman m’a dit de me méfier des femmes qui ont l’air…

La Présidente — Qui ont l’air de quoi ?

Bousquet — De… de quelqu’un !

La Présidente — Votre mère a bon dos !

Bousquet — C’était un oiseau mort et il puait !

La Présidente — Et il puait quoi, je vous prie ?

Bousquet — Il puait comme quelqu’un… quelqu’un qui…

La Présidente — On ne compare pas un oiseau mort puant à quelqu’un comme moi ! Je vous condamne à la privation et au paiement. Ça vous apprendra à me traiter d’oiseau mort.

Bousquet — Mais je ne vous ai pas… ! Ah ! Et puis merde !

Au gosse :

Ça te fait marrer. Toi !

Gosse — Maman m’a dit…

La Présidente — Votre mère est une moins que rien, autrement dit personne. Elle n’aura pas de médaille. Il faut être quelqu’un…

Bousquet — Parlons-en ! Qui êtes-vous vous même ?

La Présidente — Quelqu’un ! Ma médaille le prouve. J’appartiens à l’Ordre national de…

Gosse — Si ça ne vous fait rien, je vais aller voir ailleurs…

La Présidente — Tu n’iras rien voir du tout. Tu es condamné toi aussi ! Que personne ne sorte !

Bousquet — Tu lui as donné un de tes bonbons, hein ? Heureusement que j’ai refusé !

Gosse — Tu n’as rien refusé ! Tu voulais voler…

La Présidente — On parle de voler ! Qui vole ici ?

Bousquet — Les oiseaux, madame, quand ils ne sont pas morts et quand on ne les reçoit pas sur la tête pendant qu’on est en train de… de…

Gosse —

Jouant à la Présidente :

Ce n’était donc pas l’oiseau ! C’était vous, cochon !

Bousquet — Oh ! Un tout petit oiseau de rien du tout ! Un détail… de l’histoire.

La voix — Parle pour toi !

La Présidente — Un homme !

Gosse — Oui, madame la Prrrrésidente. Deux hommes…

La Présidente — Et un oiseau ? Il en manque un !

Bousquet — Au départ, il n’y avait pas d’oiseau. J’enseignais dans un établissement…

Gosse — Il m’a demandé des bonbons.

La Présidente — Et tu lui en as donné ?

Gosse — J’ai bien failli, madame la Prrrrésidente.

La Présidente — Bien le Prrrrésidente !

Bousquet — La. Féminin singulier de l’indicatif présent avec un accent… consonantique.

Gosse — Putain !

La fille de la Présidente montre le bout de son nez à la fenêtre.

 

Scène VII

Les mêmes et la fille de la Présidente

Fille — Quelqu’un m’a appelée ?

La Présidente — Si ce n’est pas moi, c’est personne. Cache-toi !

Gosse — Elle a de gros genoux.

La Présidente — Comment le sais-tu ?

Gosse — Elle les a montrés au Colonel. On voyait aussi son…

Bousquet — Sa… pour ne pas confondre avec l’oiseau qui est du masculin singulier avec un trou entre les deux…

La Présidente — Cache-toi, te dis-je ! On t’as assez vu ! Ouille !

Bousquet — J’ai jamais vu un oiseau avec des gros genoux. Par contre je suis témoin que les gros genoux avec des oiseaux existent bel et bien.

La Présidente — Je vous crois.

Bousquet — Quelle chance ! Quelle bonne justice !

La Présidente — Je suis quelqu’un, moi. Je sais reconnaître un oiseau d’un oiseau.

Au gosse :

Qu’est-ce qu’on vous apprend à l’école ?

Gosse — À ne pas accepter les bonbons…

Bousquet —

Menaçant :

Je te leur apprendrais, moi !

La Présidente — Si nous parlions de cette voix qui vous accompagne partout où vous allez… ?

Gosse — Ouais. Parlons-en !

Bousquet — Je vais rarement où vous dites que je vais ! Et quand j’y suis, il n’y a personne, alors !

Gosse — Oh ! Le gros menteur !

Bousquet — Personne avec des bonbons dans la poche ! Si c’est quelqu’un…

La Présidente — … il mérite une médaille. Continuez.

Bousquet — Si c’est quelqu’un…

La Présidente — J’imagine que c’est personne.

Bousquet —

Ya jamais personne

Avec des bonbons

Et tous les oiseaux

Sont morts et voilà !

 

Gosse — Il pète les plombs !

Fille — Ça y est ! L’appareil photo est réparé ! Tu peux revenir, maman !

Gosse — C’est ta maman ?

Fille — Pour les bonbons…

La Présidente — Allez hop ! Une médaille pour mézigue ! Une !

Fille —

Au gosse :

Je t’expliquerai.

Elle referme la fenêtre et la Présidente retourne dans la mairie.

 

Scène VIII

Bousquet et le gosse

Bousquet — Tout ça, c’est de ta faute !

Gosse — Je croyais que c’était un ballon. Je n’aurais pas touché à un oiseau. Surtout mort ! Il faut que je me lave les mains. Maman dit…

Bousquet — Non ! Reste ici ! Je vais aller me les laver à ta place. Elles seront bien plus propres, tu verras ! Et ça ne me prendra pas autant de temps. Après, je te donnerai des bonbons.

Gosse — Maman dit…

Bousquet — Alors c’est toi qui m’en donneras. J’en aurais bien besoin !

Gosse — Voyons ce que je peux faire avec cet oiseau…

Bousquet — Je te montrerai un endroit tranquille pour l’enterrer.

Gosse — Maman dit…

La voix — Elle nous fait chier, sa mère ! Qu’il aille au diable ! Pas si mort, l’oiseau mort ! Tu veux vérifier par toi même ?

Bousquet disparaît dans les pissotières. Le gosse se hisse à la fenêtre.

 

Scène IX

Le gosse

Gosse —

J’aim’ pas les oiseaux

J’aim’ que les bonbons

J’aime aussi les ronds

Mais il est trop tôt

 

Trop tôt pour toucher au grisbi

Pour se la dorer aux pilules

Trop tôt pour apprécier les bulles

En agréable compagnie !

 

J’aime pas les leçons

J’aime pas qu’on m’mitonne

J’aime que les tétonnes

Qu’on pas froid au… zyeux

 

Je m’souhait’ du temps et des histoires

Des chos’ à dire et à donner

Des dons vraiment particuliers

Pour coucher avec le lit voire

 

Aimer sans compter

Sur le hasard et

Les chos’ d’en dessous

La gloire et les sous !

 

J’aime pas passer du temps à ré

À rêver que je suis plus seul

Mais que ça va va pas durer

Plus loin plus vit’ que ce qu’ils veulent

 

Allez môme en terre

T’es l’ fils de ton vieux

Il faut pas s’en faire

Tu feras pas mieux !

 

Venez à moi mes souvenirs

Que j’ai pas encore assumés

Fait’ des petits avec désir

Et des plus grands pour la fumée

 

La fumée aux yeux

Ça donn’ le cancer

Si on fait pas mieux

Mort qu’ vivant en terre

 

Il sort. Bousquet revient.

 

Scène X

Bousquet et la Voix

Bousquet — Il m’a ému ce gosse ! J’ai plus d’inspiration.

La voix — Plus de voix non plus ! Qu’est-ce que je fais de cet oiseau mort ?

Bousquet — Qu’est-c’ que je fais d’cet oiseau mort ?

Qu’est-c’ que je donn’ pour être en paix

Avec l’enfant que j’ai été

Quand il y avait quelqu’un encore…

 

La fenêtre s’ouvre. C’est la Présidente.

 

Scène XI

La Présidente, Bousquet

La Présidente — Quelqu’un c’est moi !

Bousquet se jette à terre.

Bousquet —

Quelqu’un c’est moi, je savais pas

Que j’étais double et que la vie

Me réservait la compagnie

D’un oiseau mort d’un vrai trépas !

La Présidente — Est-ce que les chanteurs décrochent des médailles ?

Bousquet —

J’ai pas décroché de médailles

Au bout d’ mon nez j’ai rien pendu

J’ai enseigné vaille que vaille

Les oiseaux me l’ont bien rendu !

La Présidente — Il dit qu’il va restituer l’oiseau. Quelle belle circonstance atténuante ! Aime-t-il les gros genoux ?

Bousquet —

J’ai apprécié tes gros genoux

Comme press’-livre on n’ fait pas mieux

La question des caramels mous

Ne se pos’ plus quand on est vieux.

La Présidente — Il dit qu’il est vieux. Mais ça te gêne pas, hein, fifille, de tremper ta madeleine dans son thé ?

Bousquet —

Il est temps de prendre le thé

Sans retard donner la tétée

Sans cacher d’ faut’ à la dictée

Ni de secrets dans les pâtés.

La Présidente — Il a le même talent que Nougaro. On a envie d’y croire, mais la justice c’est autre chose.

Elle sort par la fenêtre.

Pour avoir tué des oiseaux

Les avoir oubliés par terre

Et fait l’amour aux pissotières

Je vous condamne à ces jumeaux

 

Jumeaux nés de ma propre chair

Pas facile à dissimuler

Malgré l’ampleur de mon salaire

Et mon désir de tout refaire

 

Refaire encore et sans fatigue

Cet amour fou de gros genoux

Qui m’a conduite jusqu’à vous

Vous le chasseur d’oiseaux faciles

 

Vous l’oiseleur sans volatile

L’idéal en fin de carrière

Toi qui me fais danser la gigue

Alors que mon cœur est de pierre

 

Toi qui hantes les pissotières

Et leur donne voix au chapitre

Oiseau des vœux et des pupitres

Promesse et don des prépubères

 

Allons au bois tirer dedans

Je te promets de gros genoux

Allons morfler à pleines dents

À ras de terre et en dessous

 

 

Ah ! Je suis… je suis… vannée !

La fenêtre se referme.

 

Scène XII

Bousquet, la voix

La voix — Je te l’avais dit ! Ce n’est pas l’endroit qu’il faut. J’ai ma réputation.

Bousquet — On ne fait rien de mal ! Charger des cartouches ! Bon, c’est du gros calibre. Ce n’est pas autorisé. Mais ce n’est pas un crime !

La voix — Tu aurais pu trouver un autre endroit ! C’est étroit, obscur et ça sent l’oiseau mort.

Bousquet — Les oiseaux meurent en ce moment. On craint une épidémie. Marette prend la responsabilité de ce silence. Et je me tairai moi aussi !

La voix — Comme à la guerre !

Bousquet — Il a fallu qu’un oiseau vienne mourir ici. Et ce gosse qui a les poches pleines de bonbons et qui ne veut pas avouer son crime !

La voix — C’est compliqué !

Bousquet — Pourvu que Marette ne complique pas encore les choses en dépassant la mesure. Ces cérémonies le fatiguent. Cette Prrrrésidente et sa médaille ! Et les gros genoux de sa fille ! Ça va lui donner soif !

La voix — C’est à cause du sucre. Le sucre, ça donne soif. Il faut éviter les boissons sucrées. Voilà l’ennemi, le sucre ! Mieux vaut boire cul sec !

Bousquet — Je comprends mieux maintenant le sens de cette expression qui a obscurci les meilleurs moments de mon enfance… Ce cul sec m’obsédait jusqu’à me priver de sommeil. Un cul bien trempé, voilà ce qu’il faut à l’existence !

La voix — Dommage qu’il soit trop tard pour nos oiseaux. On ne va tout de même pas se mettre à la contrebande ! À notre âge !

Bousquet —

La solution nous trouverons

Par terre ou dans une poubelle

Par tout savoir nous finirons

Et on pourra se fair’ la belle !

 

Toi et moi avec l’oiseau mort

On s’en ira comme Babette

Remontés jusqu’à la braguette

Joyeux et frais de port en port !

 

Les gros genoux et les mentons

N’auront pas de secret pour nous

On en fera un’ loi pour tous

Et pour gagner les élections !

 

La voix —

Ah ! Ah ! Les élections !

On en rira bien les derniers !

Ouh ! Ouh ! Dans la passion

Le plaisir faut pas mesurer !

 

Bousquet — Si on se met toi et moi à faire des vers en le sachant, le monde est à nous ! Comme à vingt ans, marsouins !

La Présidente entre encore.

 

Scène XIII

La Présidente et Bousquet

Bousquet — Je n’ai pas dit quelqu’un !

La Présidente — Je ne suis pas sourde ! Quand on parle de moi, j’entends !

Bousquet — Vous pourriez prévenir…

La Présidente — J’ai entendu que vous faites des choses sans le savoir…

Bousquet — Des vers.

La Présidente — Comme moi je sais que je fais de la prrrrose.

Bousquet — Sans Molière, vous eussiez parlé sans le savoir. Une situation bien compromettante.

La Présidente — Vous voulez m’impliquer ?

Bousquet — Mon Dieu ! Non ! Vous impliquer dans notre… notre…

La Présidente — Ça sent la poudre !

Bousquet — Je vous assure que non ! Ces… vespasiennes sont mal entretenues.

La Présidente — On dit que les oiseaux viennent y mourir…

Bousquet — Je n’en sais pas plus que vous. Vous faites bien de l’autorité sans le savoir.

La Présidente — Je fais de la justice !

Bousquet — Vous croyez en faire ! Mais c’est de l’autorité ! Or, entre la justice et l’autorité, il y a autant de différence qu’entre les vers et la prose. Je suis professeur, moi ! Pas… autre chose.

La Présidente —

Je sais quand je fais de la prose

Et je sais quand je n’en fais pas.

 

Et je sais aussi bien que ce que je fais est de la justice et non pas de l’autorité. Vous pensez ! Si je faisais de l’autorité, je serais… je serais… un larbin !

Bousquet — Un thuriféraire des idées dominantes…

La Présidente — Un dithyrambiste de la raison majeure dite aussi d’État.

Bousquet — Un caudataire de la loi du plus fort.

La Présidente — Un raminagrobis au service de l’hypocrisie en vigueur.

Bousquet — Une carpette, un cloporte, un patelin…

La Présidente — Une… une courtisane !

Bousquet — Et bien entendu, vous n’êtes rien de tout ça.

La Présidente —

Quand je fais des vers

Je fais de la justice.

 

Et quand je ne fais pas de la prose, je ne me rends pas coupable d’exercer une autorité qui par définition n’est pas la mienne ! Voilà comment je vois les choses. Ouille ! Je suis la Prrrrésidente ! Et j’ai une médaille pour le prouver. Avant, je n’avais rien ! Et je me sentais nue !

Elle exhibe un sein percé de la médaille.

Le Colonel pratique le piercing. Ça ne m’a pas fait mal tellement j’étais fièrrrre ! Vous auriez eu mal, vous ! Parce que vous n’êtes pas fierrrr ! Il ne faut pas confondre la fierté avec l’orgueil. Quand je fais de la fierté, je ne fais pas de l’orgueil. Et quand je ne fais pas de l’orgueil, je ne crie pas parce que ça fait mal. Ils lui ont percé le membre viril, mais ce n’est pas la fierté qui lui a épargné l’orgueil. Et ceaterrrrea !

Bousquet — Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vais aller voir ailleurs si la prose a toujours l’avantage sur les vers.

La Présidente — Et les vers de cet oiseau ? Vous en faites quoi de cette mort ? Qu’est-ce que vous faites quand vous ne faites pas la vie ? La poudre, la mort d’un oiseau, cette voix qui se tait maintenant… et ces yeux pour ma fille qui a les plus beaux gros genoux que la femme ait enfantés depuis qu’elle est femme !

Bousquet — Votre imagination… Peut-être aussi un manque de clairvoyance…

La Présidente — Moi ! Dénuée de bon sens ! Alors que tout me saute aux yeux chaque fois que je les pose dessus…

Bousquet — J’ai droit à une vie privée ! Je ne vous demande pas comment vous avez fait pour devenir présidente. Moi, je ne veux pas devenir vieux. Alors je rêve. Je rêve avec des oiseaux.

La Présidente — Mais quand vous faites l’oiseau, monsieur, vous ne pouvez pas faire le chasseur. Et vice et versa. Maintenant que l’oiseau est mort, vous n’avez pas le choix : vous ne pouvez faire que le chasseur.

Bousquet — Et qu’est-ce que je chasserai si l’oiseau est mort ? Vous ne réfléchissez pas à ce que vous dites !

La Présidente — Vous êtes un chasseur abstrait !

Bousquet — Peut-être, mais je chasse du concret. Et là, je n’ai plus le temps d’approfondir notre relation. Je vous félicite pour la médaille. Vous avez bien chassé.

Il sort.

 

Scène XIV

La Présidente et la voix

La voix — Ne le laissez pas partir !

La Présidente — Vous croyez qu’il va s’en prendre à ce pauvre gosse ?

La voix — Ne l’encouragez pas à faire de la prose sans le savoir !

La Présidente — On vous retient là-dedans ou vous vous retenez ?

La voix — Je trouve pas la sortie.

La Présidente — C’est long quelquefois.

La voix — Et on est toujours seul.

La Présidente — À qui le dites-vous ! J’en sors. Heureusement que les oiseaux sont morts ! Pour les genoux de ma fille, je ne m’inquiète pas. Elle aura d’autres occasions de participer à nos cérémonies et d’en apprécier toujours plus le bien-fondé. Vous avez une médaille, vous ?

La voix — Elle me pend au cul en ce moment. Ça n’arrive pas tous les jours.

La Présidente — J’imagine. Et ça vous a fait quoi la première fois ?

La voix — Pas mal, mais j’ai crié. Ça aide.

La Présidente — Je n’ai pas eu besoin de crier. Le Colonel pense que j’en aurais une autre, pour ne pas dépareiller. Mais ce ne sera pas pour tout de suite. Il faut donner encore.

 

Ça s’ra pas pour tout de suite

Faut donner faut que ça saigne

Yen a pas pour les brehaignes

Mais yen aura pour les b… b…

Tarata tatata tarata tatata !

 

La voix — Si vous alliez donner ailleurs, je pourrais sortir d’ici incognito.

La Présidente — Vous devez avoir quelque chose à vous reprocher, vous !

La voix — Je ne me reproche rien ! Mais si on écoute les autres…

La Présidente — Ah ! Ne m’en parlez pas ! C’est la jalousie.

La voix — Moi aussi je suis jaloux, mais en ce moment, j’ai les poches vides.

La Présidente — Ça arrive quand on ne sert pas les intérêts supérrrrieurs de l’État.

La voix — Ouais, moi, c’est plutôt le dessert. J’arrive à la fin et je repars sans. Une fatalité. Un manque de cul.

La Présidente — L’expression n’est pas outrageante. Toutes celles qui n’ont que des genoux à offrir en partage en sont là. Vous avez des gros genoux ?

La voix — C’est pas les genoux que j’ai gros en ce moment ! Vous partez jamais ?

La Présidente — Ma fille est en conversation avec Marette et le Colonel. Elle grandit dans sa tête.

Entre un motard de la gendarmerie.

 

Scène XV

Le gendarme et la Présidente

La Présidente — Mais je l’ai déjà, la médaille !

Le gendarme — J’apporte à monsieur le Maire une nouvelle d’une importance capitale !

La Présidente — Il est occupé. Je suis la Prrrrésidente. De quoi s’agit-il ?

Le gendarme — Qui que vous soyez, j’ai ordre de ne transmettre qu’à monsieur le Maire.

La Présidente — Asseyez-vous près de moi et bavardons. J’adore la conversation du peuple. Vous avez la sagesse de votre côté. Mais c’est une sagesse en prose. Alors que nous, les magistrats, nous pratiquons les vers. Ce sont les vers cachés sous la loi et les pratiques judiciaires, de bon vers qui filent du bon coton et qui valent des médailles aux meilleurs d’entre nous, c’est-à-dire nous tous, car nous sommes solidaires jusque dans le sacrifice de nos personnes au service de l’avancement.

Le gendarme — Je comprends. Jusque-là, je comprends. Et j’avance.

La Présidente — Ou alors vous n’avez rien compris et vous vous sentez capable de comprendre parce que justement vous n’en êtes pas capable.

Le gendarme — Je ne serai pas dans la gendarmerie si les choses étaient simples, madame.

La Présidente — Comme il est sage ! Et comme il est utile ! Et qu’est-ce que c’est de si important que ça pour que vous ne trouviez pas dans votre petite tête le moyen de me le dire sans que personne ne sache qu’il s’est passé quelque chose entre nous ?

Le gendarme — Je suis embêté, madame la Présidente…

La Présidente — … la Prrrrésidente…

Le gendarme — … la Prrrrrrrrésidente….

La Présidente — Non ! Pas en prose ! En vers, s’il vous plaît ! Et en toute justice ! Prrrrésidente !

Le gendarme — Vous apprendrez, madame…

La Présidente — Nous sommes seuls et si nous ne le sommes pas, que celui qui se cache et qui a un bouchon dans le cul se le foute dans les oreilles !

Le gendarme — Madame !

La Présidente — Je plaisantais. Alors, cette nouvelle… ?

Le gendarme — Monsieur le Pré… Prrrrésident de la Rrrrépublique est en route pour Mazères. Il sera ici dans moins d’une heure…

La Présidente — François ! Mon bichon !

(rideau)

 

ACTE II

Même décor. La voiture de la Présidente est toujours là. Le vélo du journaliste contre le mur de la mairie. Bousquet rampe dans l’herbe crottée. Il avance sans perdre de vue la fenêtre derrière laquelle on fête la médaille de la Présidente.

 

Scène première

Bousquet et la Voix

Bousquet — Tu es toujours là ?

La voix — Si tu veux dire « toujours coincé » oui ! Hi ! Han ! Je suis TOUJOURS là !

Bousquet — Pas si fort ! J’ai les billets.

La voix — Tu ne me demandes pas pourquoi je ne sors pas alors qu’on est en train de prendre une fuite… définitive ?

Bousquet — Ma foi… non ! Je vais faire diversion.

La voix — Tu devrais au moins te poser la question ! Si je ne sors pas, c’est pour ne pas être vu et qu’on en tire des conclusions trop proches de la vérité.

Bousquet — Quelle importance maintenant que nous partons… définitivement !

La voix — Une escapade ne suffirait-elle pas à donner un sens à nos…

Bousquet — À nos amours ! Dis-le pour que je l’entende une première fois !

La voix — Hi ! Han ! Je suis coincé. Cet oiseau sent mauvais ! Mais qu’est-ce qu’il peut sentir mauvais ! S’il te plaît, mon Jeanlou, sors-moi de là !

Bousquet — Si nous partons, c’est pour toujours. Ou rien ! Nada !

La voix — Nous ne sommes pas encore partis ! Et pas seulement parce que je suis coincé et que tu es paralysé de trouille dans ton gazon ! Nous sommes coincés tous les deux. Mais il y a pire !

Bousquet — Pire que cette attente ? Que ce désir ? Cette promesse de bonheur ?

La voix — Les voilà !

Tous, sauf le gosse, entrent, descendent les trois marches tour à tour.

 

Scène II

Tous

La Présidente —

Bras en l’air, le sein garni de la médaille en piercing.

Ce… ce…

Colonel — Dites-le encore une fois ! Ça m’inspire…

La Présidente — Ce p… p…

Colonel — Ça vient ! Ça vient !

Marette — Ce putain… ce putain…

La Présidente — Ce putain de p… putain de p…

Marette — Ah ! La nouvelle !

Bousquet — La bonne ou la mauvaise ?

Journaliste — Le Président… Pré… zi… dent !

Bousquet — Oui, mais lequel ? Je suis président moi aussi !

La Présidente — Pas vous ! Pas vous !

Le gendarme — Ah ! Pour une nouvelle, c’est une nouvelle. Et je vous précise, à toutes fins utiles, qu’il n’est pas nécessaire de me faire boire pour me tirer les vers du nez. J’étais venu spécialement pour ça ! Et c’est pas de la piquette !

Bousquet — Mais enfin, Loulou ! Que se passe-t-il ?

Marette — Laissez-moi passer !

Il reprend son souffle.

Le Pré…

Bousquet — … zident…

La Présidente — Le Prrrrrrrrrrrrrésident !

Marette — … de la Ré…

Bousquet — De la raie… ?

Marette — … pubique !

Bousquet — Le Président de la raie pubique… ? Vous vous êtes bien amusés là-dedans ! À voir le sein de cette femme et les gros genoux de cette fille, on ne peut plus avoir de doute sur les mœurs qui ont… prrrrésidé à la cérémonie !

La voix — Ne les cherche pas, Jeanlou !

La Présidente — Mon Dieu ! Il y a quelqu’un dans les chiottes ! Un témoin dissimulé ! Je n’en savais rien ! Comme l’amant dans l’armoire ! On en veut à ma carrière ! Ouille ! Ouillouillouille !

Marette — Soyons solidaires, les médaillés de l’honneur ! Notre Grand-Maître sera parmi nous dans moins d’une heure.

Bousquet — Qui le dit ? Qui le dit ?

Marette — Ce gendarme l’a dit. Et il était encore frais quand il l’a dit.

Le gendarme — Je ne changerai pas un mot à ce que j’ai dit…

Bousquet — Le Président ! Celui de la Raie…

Marette — … pubique !

Journaliste — Il veut dire : plubique. J’en suis témoin.

La Présidente — Méfiez-vous de ne pas témoigner faussement, jeune homme !

Journaliste — Oh ! Mais je ne suis plus tout jeune !

La Présidente — Mais vous avez l’âge de compter fleurette à ma fillette !

Journaliste — Fleurette, oui. Et à dada sur ses gros genoux. Mais quant à l’âge, je persiste…

Le gendarme — Et je signe ! Le Président de la république sera là, à Mazères, dans moins d’une heure ! Et je ne serai plus là pour me faire souffler dans les bronches parce que j’ai fêté l’événement avec une heure d’avance !

La Présidente — Le jour où on m’accroche ma médaille méritée sur ce sein que j’ai peut-être moins mérité en y réfléchissant bien !

Le gendarme — Je dirais même qu’on vous a épinglée, si je puis me permettre cet humour de circonstance…

Marette — Nous ne sommes pas prêts. Nous n’avons rien. À part ces bouteilles. Ces verres. Quelques fleurs de pétards et un chien savant qui fait le signe de croix. Nous n’avons rien, Jeanlou !

La Présidente — J’ai ma médaille, mais je la garrrrde ! Viens, ma fille ! Retournons au palais ! On m’y attend pour les constatations. D’abord la médaille. Ensuite, les petits services à droite comme à gauche, je l’ai promis et je tiendrai parole ! Ensuite, je construirai un grrrrand palais digne de ma justice. Faites venir un sculpteur que je l’inspirrrre !

Marette —

Interloqué :

Un sculpteur… ?

Bousquet — Drôle d’idée en effet ! L’orgueil n’a pas de limite. Madame sucera-t-elle un de mes bonbons ? Un seul suffira !

Marette — Ça, c’est une idée !

La Présidente — Vous osez me voler mon idée ?

Marette — Cette idée de sculpteur… née dans le cerveau de cette écervelée… me donne des idées… Il me faut une statue ! Jeanlou ! J’ai l’idée d’une statue !

Bousquet — J’avais pensé me tirer avant ! Avant que ça tourne au vinaigre ! Qui trop boit mal éteint !

Colonel — Je n’ai pas ma statue, mais j’ai fait la demande.

Marette — C’est trop bête ! Nous n’avons plus le temps ! Moins d’une heure ! Allons en déboulonner une !

La Présidente — Nous autres magistrats nous sommes inamovibles ! Ne touchez pas à mes boulons, je vous prie !

Marette — L’idée…

Bousquet — Je crains le pire ! L’idée…

Marette — … est bonne…

Bousquet — Mais encore ?

Marette — L’idée…

Bousquet — Il n’en a pas !

Marette — C’est une idée ! Sans idée…

Bousquet — Il en a une !

Marette — … une bonne idée…

Bousquet — Encore une promesse !

Marette — Une statue ! Nous allons mettre une statue… ici !

La Présidente — Ma statue !

Bousquet — Ça m’étonnerait…

La Présidente — Eh ! Ouais, ma statue sera faite pour étonner ! Là !

Marette — Ici ! Une statue de…

Journaliste — D’Augustin Bonrepaux !

La Présidente — Ah ! Non ! Un grand palais c’est quand même autre chose qu’un tunnel !

Bousquet — Réfléchissez, madame ! Un seul sein n’attirera pas grand monde. Attendez qu’on vous épingle une seconde fois. Deux seins, c’est tout de même mieux qu’un seul ! Ne commettez pas l’erreur, irrrréparrrrable ! de vous statufier alors que vous avez encore du temps devant vous !

Colonel — Par contre, votre fifille a les deux gros genoux exigés par l’esprit de symétrie qui prrrréside nos valeurrrrs ! Voulez-vous que je la joigne à ma demande ?

Marette — Une statue du Général !

Le gendarme — Une statue du général c’est beaucoup mieux qu’une statue du particulier !

Bousquet — Je l’ai toujours dit.

Colonel — La seule statue du Général que je connaisse est sur les Champs-Élysées et elle est… indéboulonnable !

La Présidente — Comme moi !

Bousquet — Nous n’avons pas de statue du Général sous la main !

Le gendarme — Ah ! Mais j’en connais ! Je peux vous assurer de ma collaboration. Vous pouvez compter sur mon expérience de la statue.

Bousquet — Enfin, Loulou ! Réfléchis ! Nous n’avons pas de statue du Général…

Le gendarme — Nous en avons et je la trouverai !

Marette — Dédé Trigano peut tout pour moi. Il possède des œuvres d’art en nombre. Il doit bien y avoir une statue du Général dans ce musée des horreurs ! Ou une qui y ressemble…

Bousquet — Monsieur Trigano ne ressemble pas au Général. Même en tirant dessus, mais ce n’est pas un élastique.

Le gendarme — Ils ont un air de ressemblance, je trouve, moi…

Marette — Nous mettrons la statue ici… et… et…

Tous — ET ?

Marette — Il la verra !

Tous — QUI ?

Marette — Le Président ! Il… Il…

Tous — QUI ?

Marette — Le Président ! Quiqui ? Le Président !

Le gendarme — Je ne sais pas si le quiqui du Président est un sujet de conversation… républicain…

Colonel — Et les gros genoux alors ?

La Présidente — Elle en a déjà deux, cette garce ! De quoi j’ai l’air avec mon sein ?

Bousquet — Raisonne-toi, Loulou !

Marette — On écrira dessus : « Général » et il saura !

Bousquet — Il saura quoi ?

Marette — Il saura que je suis… gaulliste !

Bousquet — Sans statue adéquate, ça me semble difficile…

Marette — Je n’ai pas besoin d’une statue pour être gaulliste ! Il n’y a jamais eu de statue du Général ici…

Journaliste — À part les crottes de chien…

Colonel — Et les traces d’Augustin, dit Tintin, que je renifle comme si c’était les miennes.

Marette — N’importe quelle statue fera l’affaire. Qu’est-ce que nous avons comme statue sur la voie publique et dans le patrimoine culturel qui nous appartient ?

Bousquet — Nous avons des vierges et des fils. Nous avons aussi un soldat, mais il est inconnu. Et nous n’avons pas le temps d’en faire sculpter une qui ressemble au Général.

Marette — Nous la dresserons avec fierté, comme nos têtes !

Bousquet —

Bras en croix.

Ne rêvons pas… J’imagine un Christ sans sa croix…

Colonel — Un signe de bienvenue ! C’est bien vu, soldat !

Marette — Et à la place d’INRI, on écrira : Général !

Fille — Général qui ?

Journaliste —

Général la gégène

La gêne à quoi

La gêne à rien…

 

Marette — Déboulonnons un Christ ! Et amenez des pinceaux ! On va l’étonner, ce p… ce p…

Tous — Ce quoi ?

Marette — Ce socialiste présidentiel ! On va voir qui est le plus gaulliste de lui ou de moi !

Bousquet — Il a l’avantage d’une statue ressemblante.

Marette — Pfeu ! Elle ressemble à la photo. La mienne ressemblera à l’âme du Général.

Fille — C’est quoi une gégène ?

Colonel — Ça ressemble à des gros genoux, mais c’est pas le même plaisir. Je vous montrerais bien, mais sans raton…

Fille — Il y des ratons laveurs au Domaine des oiseaux !

Colonel — Comme elle est innocente ! J’ai ma chance ! Ouille ! Ce fluide !

Ils sortent. Le gendarme revient précipitamment avec un papier à la main.

 

Scène III

Le gendarme et la voix

Le gendarme — Putain ! Je me suis gouré. C’est pas aujourd’hui. C’est demain. C’est dans moins d’une heure, mais demain ! Oh la la ! Je vais me faire souffler dans les bronches ! Monsieur le maire ! Monsieur le maire ! Ah ! Ils ont tous filé ! Je suis joli !

La voix — Je vous trouve joli moi aussi !

Le gendarme — Qui va là ? Un geste et je tue !

La voix — Ne vous en faites pas, je suis coincé.

Le gendarme — Vous êtes coincé dans les latrines ?

La voix — Si vous pensez que ce sont les latrines qui me coincent, vous vous trompez !

Le gendarme — Je me trompe tout le temps. Ça doit être les gaz d’échappement.

 

Je me trompe tout le temps

C’est les gaz d’échappement

J’ai le cerveau un peu lent

 

À forc’ de rouler derrière

Et de donner les dernières

News d’aujourd’hui et d’hier

 

Ça fait vingt ans que je roule

J’ai les entrailles zen boule

Et les pieds comme des moules

 

Accrochés à la moto

Qui m’ fait fair’ des ronds dans l’eau

Quand j’en mets dans mon sirop

 

Je me trompe et je répare

Comm’ je peux et sans retard

Si c’est l’heure du Ricard

 

Sinon je file à l’anglaise

Et j’attends dans mon alaise

Qu’on vienne me mettre à l’aise

 

On peut difficilement

Dégrader mon avanc’ment

Vu que j’ai le cerveau lent

 

Aussi on me fait confiance

Pour foutr’ le bordel en France

Et causer maintes souffrances

 

Aux habitants qui attendent

Des médaill’ et des prébendes

Et tout ce qui contrebande

 

Pour faire la différence

Entre un bon larbin de France

Et un fou d’indépendance

 

Un accident de moto

Mettrait fin au rigolo

Que je suis dans mon cerveau

 

Avec mon cerveau ou sans

Je le dis comm’ je le sens

Je suis le trou dans la dent

 

Ça finit par faire mal

Et ça devient cérébral

Pas assez lent et banal

 

Je grille les feux au rouge

J’oublie que les gens ça bouge

Je les prends pour des Peaux-Rouges

 

Et le coup part en vadrouille

Fait des trous dans leur gidouille

Je leur inspire la trouille

 

Voilà pourquoi on me garde

Et à deux fois on regarde

Avant de me mettre en garde.

 

La voix — Vous chantez bien ! On voit tout de suite que n’êtes pas coincé.

Le gendarme — On ne coince pas un gendarme ! On le respecte ou on l’ignore. Mais le coincer, ça, jamais !

La voix — Hi ! Han !

Le gendarme —

Vous faites l’ân’ pour avoir du foin

Ou c’est un message… sibyllin ?

 

La voix — On voit que vous êtes de la graine de résistant.

Le gendarme — Si l’occasion se présente encore une fois, vous pouvez compter sur moi !

La voix — Oh ! Non ! Encore une chanson !

Le gendarme —

Si l’occasion se présente

Une fois encore à nous

Vous pouvez compter sur moi

 

Ça ne rime plus, mais ça a du sens !

La voix — Et ça vous fait oublier que vous avez fait une bêtise… peut-être irréparable.

Le gendarme —

Je me trompe et je répare

Comm’ je peux et sans retard

Si c’est l’heure du Ricard

 

La voix — C’est un peu tôt !

Le gendarme — Alors j’attends !

Entre le gosse.

 

Scène IV

Les mêmes et le gosse

Gosse — Ouille ! Un flic ! Pas de chance !

Le gendarme — Viens par ici, toi !

Gosse — Qui ? Moi ?

Le gendarme — C’est bien à toi que je m’adresse…

La voix — Ouille ! Une chanson !

Le gendarme —

C’est bien à toi que je m’adresse

Petit filou montre tes mains

Sans rechigner et à confesse

Dis-moi tout sans oublier rien

 

Je suis la Loi et la Prison

J’ai un œil sur tout ce qui bout

Faut pas me prendr’ pour un couillon

J’ai le nez pour retrouver tout

 

Je vois des poches bien garnies

Des renflements qui en dis’ long

Sur tes mauvaises zintentions

Tu n’iras pas plus loin qu’ici !

 

Laisse ma main fouiller le fond

De ce bizarre pantalon

J’ai tout le temps et j’ai raison

Des voyous j’ connais la chanson

 

Gosse — Au secours ! Au viol ! Je ne suis qu’un enfant !

La voix — Il est malin, ce petit ! Il ne se laisse pas faire !

Le gendarme —

Le plaisir en est augmenté

L’enquête avance sans délai

Il faut me montrer tes papiers

Et tes intentions décliner

 

Sinon j’en appelle à la force

Aux armes de nos citoyens

Tous des partisans de l’entorse

A la liberté et aux biens

 

À ma volonté te soumettre

Est la toute première règle

Mais j’aime aussi les jeux espiègles

Quand ma bonn’ femme n’y est pas

 

Elle est le témoin accessoire

De mes défauts inavouables

Il ne faut pas crier si fort

Elle a l’oreille délicate

 

Gosse — Ça rime plus !

Le gendarme — Mais ça chante !

 

Chut ! Chut ! Tais-toi ! L’ silence est d’or

Quand on est sur le point de faire

Une bêtise une dernière

Tentativ’ d’être jeune encore !

 

Si tu me donnes des bonbons

Sans en parler à ta maman

J’oublie que tu les as volés

Et aux copains n’a rien donné !

 

La voix — Ouh ! Le vilain maître-chanteur !

Le gendarme — Il faut vivre ! Vous les aimez pas, les bonbons, vous ?

Gosse — Voilà du monde ! Et pas du petit ! Tirons-nous, mézigue !

Il sort.

 

Scène V

Trigano (Dédé), Marette, Bousquet, le gendarme et le sculpteur

Le gendarme — Messieurs, il faut que je vous avoue quelque chose…

 

Comme vous le savez,

Les papiers militaires

Ne sont pas toujours bien faits.

Nous qui avons fait la guerre…

 

La voix — Ouille ! Une chanson !

Le gendarme — Mais non ! Je ne chante pas ! Je vous explique : en lisant on ne lit pas toujours ce qui est écrit et en écrivant on ne s’imagine pas que lire peut causer bien des problèmes, surtout quand on a mis la charrue avant les bœufs…

Marette — Ah ! La charrue, les bœufs ! Ça me plaît, ça ! Encore un verre, frère d’armes !

Le gendarme — Maintenant que les bœufs sont devant, je ne dis pas non. Car, voyez-vous, il n’y a pas une heure ils étaient derrière.

Trigano — Mais enfin, gendarme ! Où voulez-vous en venir ? Nous faisons perdre du temps à cet ami sculpteur artistique. Ce cher grand ami qui était là par hasard… artistique !

Sculpteur — Vous m’avez invité… sans intentions précises… Je le précise.

Le gendarme — Et bien. Voyez-vous, il arrive qu’en lisant, surtout si les bœufs sont derrière, il arrive que même le gendarme le plus expérimenté se… se trompe !

Marette — Vous vous êtes trompé ! Ah ! J’aurais dû lire moi-même !

Trigano — Tu fais lire les dépêches par un gendarme !

Journaliste —

De l’intérieur :

Je me dépêche !

Marette — Je n’avais pas mes lunettes ! J’ai cru bien faire !

Le gendarme — Je ne les avais pas non plus…

Trigano — Vous conduisez une moto sans vos lunettes !

Le gendarme — En tous cas, c’est bien essayé. Donc, les bœufs…

Trigano — Ah ! Cessez avec ces bœufs ! Depuis que j’ai acheté une vache…

Le gendarme — Vous avez acheté une vache ?

Journaliste —

De l’intérieur :

C’est dans la Dépêche !

Le gendarme — Et vous en faites quoi ? Excusez-moi, mais je suis curieux de nature…

La voix — … au point de fouiller les poches des enfants qui ont des poches…

Trigano — Je reconnais cette voix !

Bousquet — Venons-en aux faits, s’il vous plaît !

Le gendarme — J’y viens. Suivi de mes bœufs et précédé par la charrue. Il se trouve qu’en lisant…

Trigano — … parce que Loulou avait oublié ses lunettes sur sa table de chevet…

Le gendarme — En lisant…

Bousquet — Aux faits ! Aux faits !

Le gendarme — Et bien je me suis trompé !

Marette — On le sait que vous vous êtes trompé ! Mais où ?

Bousquet — En quoi ?

Le gendarme — Ni où, ni en quelque chose. Je me suis trompé… d’un jour. Ce n’est pas énorme.

Marette — Un jour comment ? Vous voulez dire que le p… le p… le Président est venu hier ?

Bousquet se tortille.

Le gendarme — Et bien je dirais que s’il est venu, ce sera demain…

Tous — Demain !

Le gendarme — Oui, mais attention ! À la même heure.

Marette —

Explose de joie :

Demain à la même heure ! Quel bonheur ! Approchez, gendarme, que je vous embrasse !

Le gendarme — Oui mais alors, pas sur la bouche, car je n’ai pas encore mangé de bonbon. Je suis bien tombé sur ce gosse mal léché, mais vous êtes arrivés avant que j’ai pu le… le…

Trigano —

Au sculpteur :

En effet. Ça nous laisse du temps. Vous pourrez donc la sculpter, cette sculpture. Une heure, c’était juste. Mais un jour.

Marette — Avec une nuit en plein milieu !

Sculpteur — Mais c’est que ça ne va pas du tout !

Trigano — Mais vous m’avez dit le contraire tout à l’heure ! Vous m’avez dit : « En un jour, oui ! Mais une heure, non ! » Ai-je mal entendu ?

Sculpteur — Vous avez bien entendu…

La voix — Ouille ! Une chanson !

Le gendarme — Et sur mon modèle ! 1234567 !

Tous — Une chanson ! Une chanson !

Sculpteur —

Vous avez bien entendu

L’art n’est pas un jeu d’enfant

Et rien n’est plus comme avant

Aujourd’hui il faut du temps

 

Du temps pour construire un monde

Du temps à revendre encore

Du temps avec des secondes

Du temps pour que prennent corps

 

Nos vœux de postérité

Nos idées sur ce qui compte

Notre soif de vérité

La poésie de nos contes

 

Contes à dormir debout

Allongé ou en travers

Histoire de dire tout

Tout ce qui nous donne un air

 

Un air de pas en avoir

De rêver à autre chose

De négliger ce qui cause

Tant de bien à nos avoirs

 

Alors si pour statufier

On me prive de mes mœurs

Je dis non à cette idée

Et je m’en vais voir ailleurs !

 

Un artiste a sa fierté

Ce n’est pas un joujou mou

Qui troque sa liberté

Contre un instant de …

Le colonel entre.

 

Scène VI

Les mêmes, le colonel

Colonel — Mamours !

Marette — Ça rime pas !

Colonel — Mais ça a un sens.

Marette — Contre un instant de…

Sculpteur — Devinez !

Trigano — Oh ! Il nous fait un caprice maintenant !

Sculpteur — Non ! Non ! Et non ! Je n’y arriverai pas en un jour, même en passant la nuit à réfléchir !

Colonel — Eh ! Bé ! C’est possible ça ! Et tout seul ?

Marette — Mais je la veux cette statue ! Je la veux ! Dédé ! Fais quelque chose !

Trigano — Il n’a pas le temps. Revenons à nos moutons.

Le gendarme — Revenons à nos moutons, 1234567…

Marette — Mais nous n’avons que des vierges et des Christ en croix et encore : avec des croix inamovibles.

La Présidente —

De l’intérieur.

Comme moi ! Et ne vous avisez pas de me déboulonner ! Je suis la Prrrrésidente et je ne reçois d’ordre que du Prrrrrrrrrrésident lui-même !

Bousquet — Quitte à passer pour des imbéciles, déboulonnons une vierge. Je vois mal le Général les bras en croix… en Y peut-être…

Marette — Une vierge aux pieds nus ! Elles ont toujours les pieds nus ! Vous ne voulez vraiment pas sculpter le Général en moins d’un jour ? L’heure tourne !

Sculpteur — À la limite, je peux m’occuper des pieds nus de la vierge. Quelques coups de marteau…

Trigano — Vous vous rendrez utile en effet !

Marette — Si on déménage la statue du soldat inconnu, ça ne passera pas inaperçu.

Trigano — Imaginons que le Président veuille se recueillir au monument aux morts…

 

On serait pas fin !

Mon petit Marette

Même un peu pompettes

C’est vraiment trop fin !

 

Je me vois pas commencer

À finir dès le début

Mais en allant droit au but

Ça peut finir par casser

 

On serait pas fin

Marette mon chou

Même avec les mains

Ça tient pas debout !

 

Les statues c’est pas fait pour

Servir à se resservir

Je sais bien on a vu pire

Pendant mon noble séjour

 

Marette ma mie

Je me vois d’ici

Faire des envies

Avec le Messie

 

Il faut remettre à demain

Ce qui ne se met pas au

Au jour et à l’heure enfin

Au lit faut se coucher tôt

 

Marette mon bien

Et mon petit mal

Fais avec la main

Ce qui est trop sale

 

 

Je ne sais pas si j’ai été bien clair…

Le gendarme — Avec une statue ici et pas de statue là où elle devrait être, on aurait vite fait de se compliquer les explications. À ma connaissance, les présidents de la République n’apprécient pas les complications des explications qu’on leur doit. Et ça se retrouve à tous les niveaux de la hiérarchie. Moi-même…

Sculpteur — Trouvez une meilleure idée. Je sais pas moi… comme le chat dans le film de Roger Corman… vous savez… ?

Trigano — Non. Je ne sais pas.

Le gendarme — Je l’ai vu, ce film. Il y avait des statues partout, même dans les lits !

Marette — Je ne veux pas coucher avec une statue !

Colonel — Si elle a de gros genoux et l’âge de ne pas trop comprendre ce qui lui arrive, je veux bien, moi, faire l’expérience de la statue. Je suis un bon cobaye.

Sculpteur — Dans le film de Roger Corman, l’artiste se sert de cadavres…

Le gendarme —

Un crime délictuel

En perspective horizontale

Comme intellectuel

Je me régale…

 

Trigano — Nous n’avons pas de cadavre dans la soute !

Marette — Ni sous le tapis !

Bousquet — On en a un dans les chiottes, mais c’est celui d’un oiseau.

La voix —

On en a un dans les chiottes

Mais c’est celui d’un oiseau

Et à moins d’être miraud

Ou de manquer de loupiotte

 

Le Président verra bien

Que le képi ne va pas

Aux animaux citoyens

Qui ne lui ressemblent pas

 

Le gendarme —

Un oiseau en général

C’est un peu particulier

Il faut se donner plus d’ mal

Pour François impressionner

 

J’ suis d’avis de remonter

Sur ma moto et d’aller

Me fair’ voir chez le préfet

Dans les bronch’ me fair’ souffler

 

Marette — Ah ! Non ! Vous restez ici, vous ! Vous êtes la cause de tout ! Sans vous, on n’en serait pas là.

Le gendarme — Mais je n’y connais rien, moi, en statue ! Et la moto ne m’appartient pas. Je ne peux même pas vous la proposer en échange…

Colonel — Ma foi, je n’ai jamais voulu devenir général pour cette raison !

Marette — Mais on ne parle pas du même général vous et moi !

Colonel — Ah ! Pardon ! J’étais là avant vous !

Trigano — Allons ! Allons ! Pas de querelle dans mon domaine.

Marette — C’est ma mairie !

La Présidente —

De l’intérieur.

Et mon palais est à votre disposition.

Trigano — Vous nous parliez d’un film de Roger Borman…

Sculpteur — Corman. On y voit comment…

Le gendarme — Je l’ai vu ce film !

 

Une statue se réveillait

Après avoir longtemps dormi…

 

Trigano — Laissez-le parler !

Le gendarme — Je comprends qu’un jour ne suffit pas à sculpter une statue, mais un film, messieurs, ça ne se fait pas non plus en un jour. Surtout avec des statues dedans !

Sculpteur — L’artiste tue le chat de sa voisine par accident.

Trigano — Un drame commence…

Marette — Mais on n’imagine pas la suite…

Le gendarme — Chut !

Sculpteur — Afin de cacher son crime, il enduit le cadavre avec du plâtre…

Le gendarme — … comme une jambe cassée… que c’est ce que je crains le plus en moto… mais ça n’est jamais arrivé ! Je ne veux pas donner mon corps à l’art !

Trigano — Chaque fois qu’un drame commence, il faut tenter de l’arrêter. Et bien sûr, ça ne marche pas ! Sinon ce ne serait pas un drame.

Le gendarme — On peut être riche et pas bête. La preuve ! Moi je suis bête, mais si j’étais riche, je le serais moins… bête. Il y a une relation de cause à effet de cause entre la bêtise et la richesse. Et vous et moi on en est là ! À se regarder en chiens de faïence comme s’il était possible de faire autrement ! Pas vrai ? Ah ! J’impressionne toujours quand je raisonne.

Marette — Chut !

Sculpteur — Le chat… enfin : la statue…

Le gendarme — … blanche comme une statue…

Sculpteur — La statue est sur la table de la cuisine. Et que croyez-vous qu’il arriva ?

Le gendarme — Un chien passa !

Bousquet — C’est une histoire de chasse, pas de général.

Trigano — Je vois ça d’ici : la cuisine, la table, le chat tout blanc…

Le gendarme — …mais d’un blanc de statue, hé ?

Sculpteur — Et bien pour la première fois…

Le gendarme — … il y a toujours une première fois…

Sculpteur — Cet artiste qui n’a jamais connu le succès…

Le gendarme — … ni l’amour sans doute…

Sculpteur — Et bien cette fois ça y est !

Le gendarme —

La statue tombe par terre

Et se brise en mill’ morceaux…

 

…exactement comme mes rêves d’enfant !

Trigano — Pas du tout ! Les gens admirent la statue. Ils ne savent pas que c’est une… fausse statue. Ils ne regardent que la surface. Et elle leur plaît !

Marette — Ça devient intello ! Approchez les boissons. J’ai quelque chose à noyer. Les chats, on les noie, on n’en fait pas des statues !

Trigano — Mais qu’il est bête mon dauphin ! Loulou ! Tu n’as pas compris que c’est la solution ?

Marette — Me pinter ? Une solution ? Jusqu’ici, ça ne m’a créé que des problèmes.

Bousquet — L’oiseau mort ?

Marette — Eh ! Hu !

Trigano — Nous avons donc besoin d’un cadavre.

Le gendarme — Et pas d’un cadavre d’oiseau. Vous pouvez vous le garder votre oiseau ! Et on vous le laisse pas par pitié, hé ?

Marette — Un cadavre ? En période de paix ? Sans Pétain et sans le FLN ? Mais où voulez-vous que je trouve un cadavre…

Bousquet — … de la taille du Général ?

Colonel — Je ne sais pas si l’Ordre couvrira cette action. Nuire aux citoyens à qui nous n’avons pas le bonheur de plaire est une chose, mais prendre la vie où elle se trouve pour en faire une statue comme dans le film que ce monsieur évoque, je ne sais pas… je ne sais pas !

Trigano — Avant, on avait le camp du Vernet…

Le gendarme — Et la briquèterie !

Marette — Maintenant on n’a plus rien !

Bousquet — On a le Domaine des oiseaux….

Marette — On a dit pas d’oiseau ! On peut même pas essayer, alors !

Bousquet — On a le camping !

Marette — Trucider un touriste comme un fellah ? L’idée est-elle bonne ? Avant, je réfléchissais pas, mais depuis… avec tous ces historiens révisionnistes…

Bousquet — On pourrait demander à Calléja. Il est médecin. Il doit avoir des réseaux…

Marette — Non ! Non ! Si l’oiseau ne va pas, l’idée de monsieur le sculpteur est mauvaise.

Sculpteur — Mais qui vous dit qu’on a besoin d’un cadavre ? La statue, je vous la ferai…

Trigano — Je paye !

Sculpteur — Mais il me faut du temps. Tandis qu’une statue… provisoire…

Tous — Provisoire ? Comme un statut ?

Trigano — Je suis toujours le premier à comprendre. Mais bien sûr ! Fi de l’oiseau et du cadavre !

Tous —

Fi d’ l’oiseau et du macchabée

Pour statufier le général

Du provisoire fera pas d’mal

Et amélior’ra nos idées

 

De réfléchir on aura l’ temps

Un’ fois que l’ Président aura

Un’ très haute idée de l’aura

Que notre maire a pris le temps

 

De mettre dans nos cranibus

Pour que la France rat’ pas le bus

Et qu’on n’ait pas l’air de minus

En fac’ de nos germanicus

 

Voilà la question capitale

Il a fallu deux guerres pour

Rendre possible nos amours

Et se foutre une paix royale

 

Maintenant qu’on a oublié

Maintenant qu’ les morts se sont tus

Qu’ont soit de gauch’ de droite et plus

On a besoin de statufier

 

Sculpteur — Et pour statufier on a besoin d’un volontaire !

Tous — D’un volontaire !

Marette — Vous allez emplâtrer un volontaire ? Ça peut pas être moi, puisque c’est moi qui reçoit.

Colonel — Mais ça ne peut pas être n’importe qui car le rôle est prestigieux ! Je dirais même plus : il est… honorifique ! Et bien sûr, ça ne peut pas être moi… à cause du fluide qui m’empêche d’écrire.

Marette — Une fois statufié, vous n’aurez pas besoin d’écrire.

Colonel — Oui, mais j’ai d’autres excuses…

Marette — Dans ce cas… Qui se porte volontaire ?

Le gendarme — Moi je suis d’astreinte… sur ma moto comme au lit…

Trigano — Je suis trop petit et je suis aussi…

Tous — … claustrophobe !

Tous se tournent vers Bousquet.

Bousquet — Je pars en voyage…

Tous — Mon œil !

Bousquet —

J’ai déjà fait mes bagages

Au bout du mond’ je pars seul

Pour me donner en partage

Corps et âme à tous les peuples

 

J’ai besoin d’ recommencer

De parfaire et de finir

La vie c’est fait pour partir

Et pour en avoir assez

 

J’en ai marr’ je veux pisser

Là et quand ça m’ fait du bien

Le monde est un lendemain

À l’aventur’ je suis prêt

 

Tous —

Mais avant on va plâtrer

On va reformer les formes

Et au général énorme

Enfin tu vas ressembler

 

Pour l’ bien d’ la communauté

Et des idées générales

Ho Hiss’ sur le piédestal

Gâchons ! Gâchons ! C’est gagné !

 

Tous lui sautent dessus et l’emmènent sur leurs épaules.

La voix — Mon amour !

(rideau)

 

 

ACTE III

Avant le lever de rideau, on entend un bruit d’écroulement et un cri. Le rideau levé, le même décor. Un piédestal vide. Bousquet est par terre, se tenant la tête, couvert de plâtras. Le gosse n’est pas loin. La voiture de la Présidente a disparu.

 

Scène première

Bousquet, le gosse et la voix

Gosse — C’est pas moi !

Bousquet — Aïe ! Que j’ai mal !

La voix — Qu’est-il arrivé ? Jeanlou ! Mon amour !

Gosse — Mon amour ?

Bousquet — Je me suis endormi…

La voix — Je les avais prévenus !

Gosse — Qui parle ? Je reconnais cette voix…

Bousquet — Ouille ! Je me suis cassé le fémur !

Gosse — Le fémur de la tête ?

Bousquet — Si tu avais appris ta leçon, tu saurais que le fémur n’est pas un os du crâne !

Gosse — Mais vous vous grattez la tête !

Bousquet — C’est parce que je réfléchis !

Gosse — Vous feriez mieux de vous gratter là où ça fait mal si vous voulez encore enseigner. Vous avez l’air d’avoir besoin de réfléchir. Avec un fémur cassé…

Bousquet — Tais-toi donc, petit diable ! Et puis d’abord, qu’est-ce que tu fais dehors à cette heure ? Il est un peu tôt pour les garçons de ton âge…

La voix — Ce petit voleur a un œil sur la bicyclette de la Dépêche…

Bousquet — Voleur ! C’est toi qui…

Gosse — Voilà le képi… C’est un vrai képi ! Je peux le garder ?

Bousquet — Mais comment j’ai fait pour m’endormir ?

Gosse — Patatras !

Bousquet — Me voilà joli !

Se ravisant :

Ah ! Et puis, ils l’ont bien cherché. Quelle idée, cette statue ! Loulou est mauvais quand il réfléchit seul.

Gosse — Maman dit qu’il est…

Bousquet — Tais-toi donc ! J’ai besoin de réfléchir maintenant… Je rêvais !

La voix — C’est comme ça qu’on se rend compte qu’on dormait au lieu de veiller à ne pas casser la statue…

Bousquet — Oh ! Mon Dieu ! La statue !

Gosse — Tu as cassé la statue… de l’intérieur ?

Bousquet — C’est foutu.

La voix — Si tu appelles maintenant, ils auront le temps de la refaire… Ce n’est que du plâtre.

Bousquet — Tu parles, Charles ! Le sculpteur est parti dans la nuit. Sans lui, tintin pour la ressemblance.

La voix — Oh… un képi…

Gosse —

L’agitant :

Un vrai !

La voix — … un gros nez…

Gosse — J’ai trouvé le nez ! Une patate…

La voix — … des échasses pour la taille… Cherche les échasses, mon garçon !

Gosse — Je ne vois pas d’échasses…

Bousquet — Je les ai encore sur moi, de la cheville sous les fesses, ces échasses me font un mal de chien !

Gosse — C’est pas le fémur !

La voix — C’est le cri de joie que poussa ma grand-mère quand on lui annonça que ce n’était pas le fémur mais qu’elle attendait un enfant !

Bousquet — Je ne pourrais pas courir avec ça ! Et comme je n’arrive pas à me plier à cause d’une douleur dans le dos… Quelle idée ce piédestal de deux mètres de haut !

Gosse — Ça te mettait la tête à quatre mètres ! Oh ! La douleur !

Bousquet — Ils ont un peu exagéré les dimensions pour faire encore plus vrai que nature… Comment me débarrasser de ces maudites échasses ? C’est lié avec du fil de fer ! Maintenant que je le sais, j’ai mal aux rotules !

Gosse — Il faut couper !

La voix — Mêle-toi de voler toi !

Bousquet — Il nous faut une pince coupante.

Gosse — Mais qu’il est bête, cet ancien prof ! Si tu coupes le fil de fer, les échasses ne tiendront plus. Et il faudra tout refaire ! Ils vont pas être contents. Déjà que le plâtre, c’est pas donné à tout le monde de le travailler sans le tuer au moins un peu, comme dit maman…

Bousquet — Occupe-toi de tes affaires et trouve-moi des pinces qui coupent ce genre de fil de fer !

La voix — Une pince à calter ! Parce que tu comptes t’enfuir sans moi ! Voilà ce que le sommeil t’a inspiré ! Tu m’abandonnes !

Bousquet — Comment veux-tu que je revienne après un coup pareil ? Loulou va m’en vouloir à vie d’avoir cassé la statue…

Gosse — … de l’intérieur !

Bousquet — Je n’ai pas le choix ! Même sur des échasses !

Gosse — Elles vont leur manquer…

La voix — Loulou est têtu. Il voudra refaire une statue. Même sans sculpteur. Et tant pis si ce n’est pas ressemblant !

Gosse — Du moment qu’on a le képi et la patate…

Bousquet — En tous cas ce n’est pas toi qui me remplaceras. Tu es trop petit !

Gosse — Oh… avec des échasses…

Bousquet — Je m’en fous si c’est un problème sans solution ! Je me casse !

Gosse — Le fémur !

Bousquet s’enfuit sur ses échasses.

La voix — Mon amour ! Mon amour ! Ne me quitte pas ! Oh ! Oh ! Oh ! Ouille !

Marette arrive par la rue de derrière. Il s’avance lentement, comme freiné par ce qu’il voit.

 

Scène II

Marette et le gosse

Gosse — C’est pas moi !

Marette — Et qui veux-tu que ce soit ! Petit voyou ! Ah ! Quel malheur ! Ma statue ! Ma statue du Général ! Mon projet ! Mon insolence !

La voix — Et Jeanlou alors ? Tu ne te poses pas la question ?

Marette — Ne fais pas la grosse voix !

Gosse — Elle est pas si grosse que ça ! Ils sont collés.

Marette — Je vais t’en coller une, moi ! Bandit de grand chemin ! Graine de… de… de socialiste !

Gosse — Mais j’ai rien fait, m’sieur !

Marette — Et en plus il a pas l’accent ! C’est un étranger ! Ah ! Si on ne m’avait pas confisqué mes joujoux sécuritaires, on n’en serait pas là ! J’aurais tout vu de mon lit ! Je t’aurais vu faire du mal à ma statue ! Et j’aurais attendu d’être sûr que tu n’as pas de complices pour venir moi-même te tirer, LÉGITIMEMENT, un coup de fusil dans la tête ! Pas dans le cul parce que j’aime la jeunesse !

Gosse — Ouille !

Marette — Voilà une bonne occasion de me plaindre auprès de la plus haute autorité qui soit ! Le Président de la république lui-même entendra mon discours sécuritaire et ma demande de récupérer mes caméras et mon… mon garde municipal ! Ouh ! Ouh ! Ouh !

Gosse — Il pleure à grosses larmes et elles sont chaudes !

Marette —

Jubilant :

À toute fin malheur est bon. Je n’ai plus ma statue, mais j’ai de bonnes raisons de me plaindre. Viens ici, toi, que je te mette de côté !

Gosse — Tu n’as pas le droit ! Au viol ! Je suis un enfant ! Même pas une adolescente fragile du temps de ta jeunesse ! Je suis tellement petit que c’est un crime de m’aimer de cette façon !

Marette — Il va ameuter la troupe, ce brigand ! Et puis je ne t’aime pas ! Au contraire, je te déteste !

 

Je déteste les imprévus

Mais j’ai le sens des circonstances

Tu vas morfler petit joufflu

Mort aux enfants ! Vive la France !

 

J’avais fait faire une statue

Pour améliorer ma prestance

Elle est cassée ! Je l’ai dans l’ cul !

Mort aux enfants ! Vive la France !

 

L’ mauvais sort m’a joué un tour

Je peux rien dir’ pour ma défense

Je me veng’rais un de ces jours

Mort aux enfants ! Vive la France !

 

Et je tiens une bonne preuve

Que la sécurité en France

Est une affaire de peau neuve

Mort aux enfants ! Vive la France !

 

La République est en danger

Il faut agir avec urgence

On va sans tarder m’écouter

Mort aux enfants ! Vive la France !

 

Je vous attends de mes pieds fermes

Pour abroger vos conférences

Et de la Loi changer les termes

Mort aux enfants ! Vive la France !

 

Eliminons les mauvais fils

Des filles les idées à vice

Pour vivre enfin en bon Français

Mort aux enfants des étrangers !

 

Entre le garde champêtre.

 

Scène III

Marette, le gosse et le garde champêtre

Gosse — J’ai rien fait ! C’est pas moi !

Garde — C’est qui alors ? Tu vas pas accuser monsieur le Maire… par hasard !

Marette — Ce serait un drôle de hasard ! Ya pas eu viol ! Cet enfant ment !

Garde — C’est exactement ce que je dirai au tribunal !

Marette — Au tribubu… au tribunal !

Garde —

Je suis témoin d’ la vérité

Je suis en enfant un savant

De moi on ne peut pas douter

Ya pas eu viol ! Cet enfant ment !

 

Voilà comment ça s’est passé

Monsieur le maire était encore

Un peu endormi sur les bords

Ya pas eu viol ! Cet enfant ment !

 

Il arriv’ sur les lieux du crime

Constate les dégâts patents

Causés par ce méchant minime

Ya pas eu viol ! Cet enfant ment !

 

Sur ce l’enfant qui a des dents

S’en sert contre les élections

Pour nuire à un’ réputation

Ya pas eu viol ! Cet enfant ment !

 

J’arrive alors pour constater

Que monsieur le Maire est violé

Dans son droit à la vérité

Ya pas eu viol ! Cet enfant ment !

 

Je demande au bras d’ la justice

De faire en sort’ que ce méchant

Un calvaire atroce subisse

Ya pas eu viol ! Cet enfant ment !

 

Il n’y a pas comme les tourments

Pour remettr’ les chos’ à leur place

De la Loi faut laisser la trace

Ya pas eu viol ! Cet enfant ment !

 

Marette —

Mort aux enfants ! Vive la France !

Ya pas eu viol ! Cet enfant ment !

 

Arrive la voiture de la Présidente. Elle en sort en vitesse, entrant dans sa robe.

 

Scène IV

Les mêmes, la Présidente

La Présidente —

Au secours de l’accès au Droit

J’accours sans avoir eu le temps

De m’ renseigner sur les enfants

Mais on s’en fout ! On est à Foix !

 

Viens ici petit chenapan

Que je tempère tes émois

Par la force du jugement

Nous on s’en fout ! On est à Foix !

 

Tu as cassé la statuaire

D’un héros des chemins de fer

Et ceci en dépit des lois

Mais on s’en fout ! On est à Foix !

 

Tu n’as pas l’âge d’accéder

À cette chose compliquée

Très compliquée comme autrefois

Nous on s’en fout ! On est à Foix !

 

Il faudrait pas qu’ tu t’imagines

Qu’on peut mériter des honneurs

En se foutant de nos trombines

On s’en fout pas ! On a pas peur !

 

Nous on s’en fout ! On est à Foix !

On agit en incognito

C’est bien facile avec la Loi

D’ donner raison à des salauds !

 

Gosse — Mais j’ai rien fait et il m’a violé !

La Présidente —

La preuve du viol tu n’as pas

Comment fair’ croir’ qu’un médaillé

Fais du mal aux petits bébés

Dont le quiqui n’a pas d’ papa ?

 

On pourrait t’arracher les yeux

Comm’ le permet notre bonn’ Loi

Mais on a le cœur avec Dieu

Dont le quiqui n’a pas d’ papa !

 

Si tu continues d’accuser

Les bonnes gens de te violer

Dans un trou noir on te mettra

Car sans quiqui ya pas d’ papa !

 

Et là-dedans tu auras peur

Jamais le soleil tu verras

Pas une fill’ ! Rien qu’ des voyeurs !

Sans le quiqui ya pas d’ papa !

 

On peut appeler ça l’enfer

Un enfer sans quiqui bien né

Voilà ce qui te pend au nez

Tu s’ras pas papa sur la Terre !

 

Gosse — J’m’en fous !

Marette — Tu ne sais même pas de quoi tu te fous tellement tu es bête !

Gosse — C’est quoi un viol ?

La Présidente — Ce n’est pas une question que posent les enfants ! Ils n’y répondent pas non plus ! Tu te tais et tu écoutes ce qu’on te dit ! Un point c’est tout !

Gosse — Tu es tellement bête toi-même que tu n’as pas vu que la statue est cassée !

La Présidente — Oh ! Mon Dieu ! La statue du Général !

Marette — En morceaux !

Garde — Et encore… il manque le plus gros morceau.

Gosse — Il a même emporté les échasses.

Garde — Sans échasses, on n’aura pas la hauteur.

Marette — Je peux me passer de la statue !

La Présidente — Pas moi !

Garde — Mais sans la statue, monsieur le Maire, votre discours ne vaut plus rien !

La voix — Une chanson ! Une chanson !

Garde et Présidente —

Sans la statue du Général

Votre discours ne vaut plus rien

C’est bien beau d’ trouver ça banal

Mais ce bambin est un vaurien !

 

On va pas passer pour des bêtes

Nous les représentants de l’ordre

On a une autre idée en tête

Dans cette tendre chair faut mordre !

 

Marette —

C’est justement là mon idée

Ne pas toucher aux traces fraiches

De ce sans précédent méfait

Dans l’ socialism’ creuser la brèche !

 

Nous allons de c’ pas mettre en scène

L’acte commis par ce mariole

Contre le Général de Gaulle

Du socialisme on a la Cène !

 

Du méfait nous avons l’ spectacle

Et du coupabl’ l’identité

À notre foi ya plus d’obstacle

Le socialism’ faut enterrer !

 

L’idée est bonn’ j’en suis garant

J’ai l’expérience des enfants

Quand j’en viole un en bon gaulliste

C’est toujours un fils d’ socialiste !

 

Si celui-ci n’a pas d’ papa

C’est un effet de pur hasard

Le socialisme est un bâtard

Les enfants l’ont dans le baba !

 

Ne comptez pas qu’il se confesse

Amende honorable il f’ra pas

C’est un quiqui sans son papa

C’est le socialisme en détresse !

 

Garde — Ils ont quand même gagné les élections !

Marette —

Élections ! On s’en fout !

Devant elles, s’il faut sauver la France

Nous jurons, nous debout

De gagner en toutes circonstances

Élections générales

Ell’ nous ont redonné l’espérance

Le socialisme est le Mal

Général ! Général !

Vous voilà !

 

La Présidente — Sans la statue ?

Marette — Mais qu’elle est bête ! Explique-lui, Garde !

Garde — On n’a plus la statue, mais on a l’enfant…

La Présidente — On a le coupable !

Marette — Elle a à moitié compris !

La Présidente — Et ce qui reste de la statue est la preuve que cet enfant est coupable !

Marette et le garde — Cet enfant… SO-CIA-LIS-TE !

Gosse — Je suis un peu voleur, je l’avoue, mais socialiste ? Ça va pas faire sérieux dans un tribunal…

La Présidente — C’est moi qui décide de ce qui est sérieux et de ce qui ne l’est pas dans MON tribunal ! Tu n’es qu’un enfant aux mains de la Justice. Ne l’oublie pas !

Marette — Répétons la scène. Le Président arrive par là…

La Présidente — Le Prrrrrré…

Marette — Moi, comme par un heureux hasard, je suis sur le piédestal…

Garde — Debout et fier !

Gosse —

Imitant.

Avec une loupe dans la main…

Marette —

Jouant :

Ah ! Oh ! Je suis surpris. Je vous attendais, mais je ne m’attendais pas… Ah ! Monsieur le Président ! Si vous saviez ce qui nous arrive ! Notre belle statue du général ! Voici ce qu’il en reste ! Et vous savez à cause de qui… ?

Garde — De Bousquet !

Tous — Non ! Des socialistes !

Marette — Je ne le dirai pas aussi clairement, mais je le laisserai entendre.

Garde — Et moi, je serai là avec l’enfant…

La Présidente — Non ! Moi ! Je suis plus grande !

Marette — Question de préséance.

Au garde :

Vous aurez un balai, prêt à balayer, mais vous ne balayerez pas pour conserver les preuves…

Garde — Un balai !

La Présidente — C’est ça ou rien !

Marette — Et alors là, je prononce mon discours sécuritaire !

Garde — Il croyait pas si bien faire, le Bousquet !

Marette — En toutes circonstances, c’est moi qui fais ce que les autres défont !

Garde — Comme le Maréchal ! Heu ! Comme le Général !

La Présidente — J’aurais fait un bon général moi aussi, mais les circonstances…

Gosse — Les gosses de socialistes, c’est des gosses de riches ?

Entre Trigano et le colonel.

 

Scène V

Les mêmes, Trigano et le colonel

Gosse — C’est pas moi !

Trigano — Mais qu’est-ce que c’est que ce cirque !

Colonel — Et qu’est-il arrivé à la statue ?

Garde — Bousquet…

La Présidente — On se demande… en tous cas, ya pas eu viol. Je peux l’affirmer.

Marette — Je dois une explication…

Trigano —

À tout le monde sans exception !

 

Mais j’en veux la primeur ! Car je suis riche ! Et Je n’ai jamais violé ! Je n’ai jamais rien violé. Ni personne !

Marette — Ne lâchez pas le gosse !

La Présidente — Je le tiens comme si c’était le mien !

Garde — Amusant, ça !

La Présidente — Je n’amuse jamais personne !

Garde —

Le tien… le mien… c’est amusant

Mais enfin ça ne veut rien dire…

 

Marette — Si ça voulait dire quelque chose, elle ne serait pas Présidente.

La Présidente — Prrrrésidente ! Et qu’est-ce que ça veut dire, ça ?

Garde — Oui, monsieur le Maire, qu’est-ce que ça veut dire ?

La Présidente — Ces sous-entendus que j’ai entendus comme tout le monde…

Marette — Ça veut dire qu’on a besoin de vous pour envenimer les choses… sans nous empoisonner.

Garde — Ah ! C’est bien dit, ça !

La Présidente — Je l’aurais dit moi aussi si on m’en avait laissé le temps, mais ici tout le monde est pressé…

Trigano —

Intervenant :

Que tout le monde se taise parce que je suis le plus riche !

La Présidente — Et que tout le monde soit pauvre parce que je suis la Loi !

Trigano — Ne dites pas n’importe quoi parce que je vous graisse la patte de temps en temps.

La Présidente — Que tout le monde me graisse parce que j’ai le sens de l’honneur et la direction de la Loi.

Trigano — Faites-la taire ! Je veux parler !

Un moment.

La statue… la statue est cassée… elle m’a coûté la peau du cul… personne n’a payé à ma place…

Colonel — On vous a rien demandé ! On pouvait le plâtrer sans recourir à l’art !

Trigano — Mais vous étiez censé lui faire une piqûre, colonel ! Et vous ne l’avez pas faite !

Colonel — La tentation était trop forte ! Du propofol ! J’ai pas pu résister, je l’avoue !

La Présidente — J’en ai condamné pour moins que ça !

Colonel — Mais vous êtes solidairement liée à moi par la pratique officielle de l’honneur !

La Présidente — Je le reconnais.

Trigano — Si Bousquet dormait encore, la statue serait debout comme on l’avait prévu !

Marette — Pas si sûr !

 

C’est parc’ qu’il s’est endormi

Qu’il est tombé de là-haut.

 

Gosse — Patatras !

Trigano — J’avais dit : double dose de propofol ! Et un manche à balai pour tenir le tout. Où est le manche à balai ?

Colonel — Je… je …

La Présidente — Vous n’avez pas honte ! Devant un enfant !

Colonel — Mais il était pas là quand je…

Marette — Manche à balai et propofol, vous n’y allez pas de main morte, mon colonel ! Moi, c’est l’un ou l’autre. Jamais les deux à la fois ! Vous auriez pu y laisser la peau !

Colonel — J’en ai vu d’autre ! Je lui ai fait promettre de ne pas s’endormir et il me l’a promis !

Tous — Bousquet ! Pas dormir ! Impossible !

Colonel — Je l’ai cru sur parole ! Vous ne m’aviez rien dit. Sinon…

La Présidente — Sinon vous n’auriez pas écouté. Ah ! Ces post-traumatismes !

Trigano — Vous n’espériez tout de même pas qu’il allait tenir parole ! Il vous a berné, vous et votre… votre…

Marette — S’il ne s’était pas endormi, il ne serait pas tombé. Mais, maître…

Trigano — … mmmmaître…

Marette — Mmmmaître…

Trigano — …mmmmmmaître…

Marette — MmmmmmmmmMarette… euh ! Mmmmmmmmaître !

Trigano — Continuez !

Marette — Tout cela n’a aucune importance. Et vous savez pourquoi ?

Trigano — Je crains le pire…

Marette — Parce que j’ai trouvé la solution !

Tous —

Il a trouvé la solution

A la question de la statue

C’est un esprit fort et têtu

Vive Marette ! On est moins con !

 

Si le maître veut bien s’asseoir

Écouter la démonstration

De ses yeux il va pas en croire

Vive Marette ! On est moins con !

 

C’est si intelligent et rare

De révéler les conditions

D’une incontestable victoire

Vive Marette ! On est moins con !

 

La statue n’a pas d’importance

Ce qui compt’ c’est la conception

C’est du solid’ ! Du made in France !

Vive Marette ! On est moins con !

 

Trigano — Attendez ! Attendez ! Attendez ! Est-ce que vous avez déjà expliqué la chose au public ?

Tous — En long et en large !

Trigano — Alors ce n’est pas la peine de me l’expliquer. J’ai compris !

 

Je suis comme le Général

En plus petit, je le confesse

J’ai une inspiration papale

J’ai de l’esprit et de la fesse !

 

Pas besoin de référendum

Un bon discours appris par cœur

Me renseigne sur les bonhommes

Et sur les espoirs de bonheur

 

Je sens les chos’ comm’ si j’étais

L’inspirateur de leur achat

J’ai l’intuition des langu’ au chat

J’ai le don de l’égalité

 

Alors voyons… pour la statue

Vous savez tout et pas grand’ chose

Moi j’en sais plus et je propose

La même chos’ mais en tutu

 

Allez on danse ! En on se vide

Pour me laisser l’ temps d’y penser

On boit un coup bon pour le bide

Et j’en profit’ pour vous baiser

 

Je suis comme le Général

En plus petit, je le confesse

J’ai une inspiration papale

J’ai de l’esprit et de la fesse !

 

Je vous ai compris !

Marette — Nous on n’a pas tout compris, mais on est d’accord. Hé ? Du moment qu’on ne me donne pas tort quand j’ai raison…

Trigano — Là, ya mélange de répliques… C’est moi qui dit ça ! Pas Marette !

Colonel — Et vous dites quoi si c’est pas lui qui le dit ?

La Présidente — On aimerait bien le savoir ! N’oubliez pas qu’il y a des enfants et que les enfants, ça ne comprend pas tout…

Colonel — Surtout quand ça devient compliqué !

Trigano — C’est moi qui dis que j’ai raison quand vous ne me donnez pas tort…

Marette — Et c’est moi qui dis que j’ai tort quand mon maître a raison.

Colonel — Ah ! C’est beaucoup mieux ainsi ! On comprend mieux les personnages !

 

Quand la campagne se complique

Qu’il faut réfléchir à la page

Et que Trigano se rapplique

On comprend mieux les personnages !

 

Même au plus bas d’ la hiérarchie

Quand on réfléchit au suffrage

Et que Trigano nous convie

On comprend mieux les personnages !

 

Si le discours n’est plus très clair

Que même la Dépêche nage

Faut Trigano pour avoir l’air

De comprendre les personnages !

 

Avec lui même le Marette

Qui nécessite un décrassage

A l’air d’avoir l’air d’une bête

Qui comprend tous les personnages !

 

Si une crotte fait l’oiseau

Et que l’ touriste de passage

Vous interroge à son propos

C’est qu’il comprend les personnages !

 

Tiens ! Voilà Trigano ! Voilà Trigano ! Voilà Trigano !

Pour les Mazériens, les flics et les bobos,

Pour Marette yen a plus, pour Marette yen a plus,

Marett’ le tireur au cul !

 

Trigano — Tara tata tatata ! Ratatatata !

Marette — Ouais, bon. On me comprend moins, mais j’ai du boudin !

Trigano — Trêve de plaisanterie…

La Présidente — Je ne plaisante pas, moi ! Surtout pas avec les enfants !

Gosse — Ah ? Bon. Je croyais que la médaille, c’était une blague.

La Présidente — Je ne te conseille pas de le penser, petit garnement ! Les médailles, c’est sérieux ! D’ailleurs tu n’en auras pas !

 

Les médaill’ c’est comm’ le boudin

Pour les enfants yen a pas

C’est pas fait pour les bambins

D’ailleurs tu n’en auras pas !

 

Pour mériter de l’État

Un papa n’est pas en trop

Mais si on fait pas dodo

Des médaill’ tu n’en auras pas !

 

J’ai l’expérience et le don

Ce qui expliqu’ mes beaux draps

Ma vie est une leçon

J’y veill’rai tu n’en auras pas !

 

J’aim’ pas les enfants teigneux

Les miens sont raplapla

C’est pour ça qu’ils sont heureux

En prison tu n’en auras pas !

 

Gosse — En prison ! À mon âge !

Colonel — Un petit cucul en prison ! C’est du tabac !

Trigano — On était en train de parler de moi… Les enfants c’est bien… j’en ai fait quelques-uns… tous réussis de mon point de vue… mais j’ai autre chose à faire en ce grand jour que de m’occuper d’un enfant qui n’est pas le mien…

Marette — … mais dont nous avons besoin pour témoigner de notre engagement dans le programme sécuritaire de… de…

Garde — …de l’ancien régime.

Trigano — Je ne comprends pas… Moi qui d’habitude comprends tout sans qu’on m’explique…

Garde — C’est parce qu’il est bête. Vous me comprenez parce que je suis intelligent. La preuve : je suis garde champêtre. Mais si une bête comme Marette vous explique ce qu’il ne comprend pas lui-même, ça devient compliqué même pour vous !

Trigano — Il n’est pas bête ce garde champêtre. Rappelez-moi de lui confier une arme. Rassurez-vous, mon brave…

Marette — Il n’y a qu’un brave et je suis celui-là !

La Présidente — Je suis brave moi aussi dans mon genre !

Marette — Mais ce n’est pas le même ! On ne peut pas comparrrrer.

La Présidente — Si je pouvais, je ne comparrrrerrrrais même pas !

Trigano — C’est moi le sujet ! Je veux dire : quand la conversation est reine. En conclusion, je suis d’accord avec vous.

Marette — Avec moi !

Trigano — Avec tout le monde !

Marette — Mais c’est mon idée !

Trigano — Non ! C’est la mienne !

Marette — Mais j’étais là avant vous !

Trigano —

Avant moi, il n’y avait personne.

 

Et après moi, c’est encore moi même si PHYSIQUEMENT tu ne me ressembles pas !

Colonel — J’ai du mal à suivre…

La Présidente — D’autant que c’est peut-être mon idée… Voyons, messieurs les élus, de quelle idée parlons-nous sans savoir exactement à qui elle appartient ?

Trigano — Erreur ! Nous savons à qui elle appartient ! Mais je dois reconnaître que je ne sais plus trop de quelle idée il s’agit…

Marette — Parce que c’est la mienne !

La Présidente — Et si c’était la mienne ? Hein ?

Colonel — Moi je suis trop con pour avoir les mêmes idées que les autres même si ce sont des coreligionnaires. Je ne me retire pas, mais j’exige une explication. Quelle est l’idée de Marette ?

Trigano — C’est la mienne !

Marette — Si c’est mon idée, et tout le monde en est témoin, ce n’est pas la vôtre !

Trigano — Dans ce cas, ce n’est pas une idée !

Marette — Ça peut être n’importe quoi…

La Présidente — Donnez-nous une idée…

Trigano — J’en ai. Oh ! Je n’en manque pas. Mais vous connaissez mon professionnalisme. Que Marette dise son idée qui est la mienne comme ça tout le monde sera renseigné.

Colonel —

À Marette :

Vous vous faites encore baiser…

Marette —

Je me fais encor’ baiser

C’est un’ question d’habitude

Pour personn’ c’est un secret

J’ai pas fait beaucoup d’études !

 

Sur la voie j’ai égaré

Les clés de l’exactitude

Sans le recours aux muflées

J’ai pas fait beaucoup d’études !

 

Faudrait pas croire aux on-dit

Qui font de moi le zombie

Des effets de l’hébétude

J’ai pas fait beaucoup d’études !

 

Être baisé sans baiser

C’est mon rêve le plus cher

Mais j’ai pas de certitudes

Faut’ d’avoir fait des études !

 

Quelqu’un m’a jeté un sort

Peut-être Hortense ou Gertrude

Mais promis si j’ m’en sors

Je ferai beaucoup d’études !

 

Ce n’est pas que j’en ai marre

De cette absence d’études

Mais tout seul dans mon plumard

Ya plus de béatitude !

 

Trigano — Bon ! Bon ! On verra…

Colonel — C’est ce que disait l’Empereur.

Garde — La ressemblance n’est pas frappante…

Trigano — C’est la raison pour laquelle je ne veux ressembler à personne !

Colonel — D’ailleurs qui voudrait vous imiter…

Garde — Petit, moche, pas costaud, et j’en passe…

Colonel — Oui mais alors du pognon !

Garde — Que du pognon !

Colonel — Sous tous les angles.

Marette — Ils ont bu ! Ou bien c’est moi qui suis en manque.

Trigano — Taisez-vous !

Un moment.

Puisque tout le monde est d’accord avec moi et que je suis d’accord avec tout le monde…

Colonel — Avec quoi on construit l’Histoire d’un département ?

Garde — Avec ça !

Marette — Ils ont bu, à coup sûr !

Trigano — Et bien qu’on apporte le plâtre !

Marette — Du plâtre ? Mais on en a bien assez du plâtre !

 

C’est qu’il est grand le Général !

 

Colonel —

Es-tu content, mon général?

Rataplan plan plan plan plan plan plan.

 

Marette — Il est grand même sans les échasses ! Ça fait beaucoup de plâtre !

Trigano — Il ne m’en faut pas tant ! Essuyez celui-là et apportez-en du frais !

Marette — Du plâtre frais ? Pour quoi faire ?

Trigano — Pour quoi faire ? Pour quoi faire ? C’est SON idée et il demande pour quoi faire !

Marette — Si c’était mon idée, je ne demanderai pas pour quoi faire !

Trigano — Vous voyez ! Il reconnaît que ce n’est pas son idée.

Tous —

Sauf Marette.

Mais c’est la nôtre !

Trigano — Je vous l’accorde. C’est pour ça que je vous comprends.

Tous — Par contre nous, on ne comprend pas. Un peu comme si ce n’était pas notre idée…

Trigano — Mais qu’est-ce que vous ne comprenez pas ? Est-ce que je suis là ?

Tous — On peut pas dire le contraire…

Trigano — Et bien ne le dites pas et apportez du plâtre !

Marette —

Retrouvant ses esprits :

Faites ce qu’il dit !

Trigano — Et sans plus attendre !

Tous —

Faisons ce qu’il dit et sans plus attendre

Soumettons nos cœurs à son esprit fin

Nous ne somm’ pas faits pour bien le comprendre

Mais lui sait de nous ce qu’on n’en sait rien !

 

Au plâtre citoyens !

Gâchez votre existence !

Plâtrons, plâtrons !

Que Trigano

Abreuve nos silences !

 

Marette — Je n’ai pas tout compris mais j’en prendrai le temps quand j’aurai commencé à comprendre.

Le journaliste entre poussant son vélo chargé de sacs.

 

Scène VI

Les mêmes, le journaliste

Colonel — Voilà le plâtre !

Garde — Un bel emplâtré, oui !

Colonel — Vous vous dépassez, Garde…

Garde — J’en profite pour ne plus me retenir…

Marette — On en parlera plus tard, de ces retenues…

Garde — Le plâtre est un métier et je le connais. On a besoin de moi !

Trigano — En l’absence de sculpteur, vous ferez l’affaire.

Garde — Je vous préviens clairement afin de lever toute ambiguïté qui pourrait causer un quiproquo…

Colonel — … relatif !

Garde — Et oui ! Des murs, j’en ai plâtré, mais des hommes…

Trigano — … des célébrrrrités…

Garde — Jamais !

Marette — Ça promet ! Adieu ma belle idée de revendication sécuritaire ! On passe de l’utile à l’agréable…

Colonel — … sans transition !

(rideau)

 

 

ACTE IV

Avant le lever de rideau, on entend des bruits de travaux. Puis s’élève l’hymne municipal :

 

La Mazérienne

Refrain

Au plâtre citoyens !

Gâchez votre existence !

Plâtrons, plâtrons !

Que Trigano

Abreuve nos silences !

 

Allez Marette emploie ton temps

De la mairie tambour battant

À essuyer les murs plâtreux

Avec la truelle à neuneu (bis)

Pour Trigano se mettre en quatre

À la gâche, à la main, du plâtre

Ça peut pas manquer il en faut

Pour que l’honneur soit sans défaut

 

Refrain

 

À la balle et à coups d’ truelle

Il faut du cran pour fair’ la belle

Du cran d’arrêt avec ressort

Pour supporter les coups du sort (bis)

Pour Trigano un double effort

Et sans demander de renforts

C’est du fait main sans les outils

Ça n’a pas l’air mais c’est gratis

 

Refrain

 

Ces étrangers trop prolifiques

Le sexe à la main exotiques

La race en rade emblématique

À la truell’ et sans éthique (bis)

Faut les clouer avec ou sans

Avec ou sans discernement

C’est la leçon démographique

Un axiome philosophique

 

Refrain

 

Pas besoin d’être bien malin

Pour reconnaître le chemin

Une heure au plus de renseign’ment

En dit plus long que les savants (bis)

Une statue pour Trigano

Ils l’oublieront pas de sitôt

C’est que du blanc et ça prend vite

Ça met à l’abri d’ la faillite

 

Refrain

 

Faut leur fair’ peur et payer pour

Visser dans les esprits les tours

Clouer dans les cœurs les burins

Ya pas comme un coup dans les reins (bis)

Et comme on est des bons pépères

Faut des enfants on va en faire

Avec des truell’ à la main

Et sans remettre au lendemain

 

Refrain

 

C’est maintenant que ça se passe

Faut que ça passe ou que ça casse

S’il faut gâcher gâchons ensemble

Avec le bien qui nous rassemble (bis)

Dans le soleil et sous la lune

On la mérite cette thune

Allez Marette en bon aîné

Tu peux tirer les vers du nez

 

Refrain

 

Les enfants c’est du pain béni

Sans sac de nœuds ça se pétrit

Ça sent bon et ça peut rêver

D’un peu d’Histoir’ faut les gaver (bis)

Et quand c’est grand ça fait la frime

C’est du doigt et de l’œil en prime

Allons enfants de Trigano

Collez-vous des pains dans la peau

 

Le rideau se lève.

Le même décor, mais pavoisé. Sur le piédestal, la statue de Trigano. À gauche, une autre élévation, avec un trône et sur le trône, François Hollande en effigie grossière. La voix enfermée dans les toilettes sera la sienne. Tout le monde est là, assis en rang sur des chaises dans l’herbe. Une deuxième voiture se gare. Descend Augustin Bonrepaux, dit Tintin. Son pied gauche est chaussé d’un ski. Il s’arrête et secoue la tête en regardant la statue, puis il s’incline et rampe jusqu’au pied du trône.

 

Scène unique

Gosse — Je suis un enfant de Trigano ?

La Présidente — Chut ! Tais-toi, garnement ! Voici un autre Prrrrrrésident !

Tintin s’arrête pour écouter :

 

Voici un autre Président

Parti de rien et bon à tout

Dans sa poche il a les atouts

Pour faire un bon gouvernement

 

C’est ici bas que ça se passe

De l’Assemblée il est l’écho

Il traîne encore sa carcasse

De l’Ariège il est le héros

 

Pas si vieux le vieux député

L’œil en bataille il est de gauche

Mais question cœur c’est dans la poche

C’est bien à droit’ qu’il a voté

 

Je lui rends des petits services

Oh pas gran’chose à reprocher

À mon plan de carrièr’ hochet

Que je sais secouer en vice

 

Je suis pas tombée amoureuse

J’ai pas commis cette bévue

Mais s’il faut se négocier nue

J’ai le sein d’honneur en avant

 

Bonjour monsieur le Président

Comment se portent vos pédés

Avouez qu’ j’ai les bien soignés

Et que vous m’ devez du voyant

 

Une babiol’ mais pas du toc

Un signe insigne pour l’honneur

De la gloir’ je suis amateur

Vous le savez je suis en cloque !

 

La Présidente se lève et exhibe son gros ventre.

Tintin — Faites-la taire ! Est-ce que j’ai l’âge de me reproduire avec les domestiques de la domesticité ? Asseyez-vous !

Il se courbe autant que le permet son ski.

Oh ! François ! Mon bon ami. Je ne m’attendais pas à vous trouver ici. Personne ne m’a prévenu de votre visite dans notre beau pays qui a connu la misère mais qui sait aujourd’hui, parce qu’on est de bons fonctionnaires, faire passer cette douleur d’antan dans le portefeuille du Ministère de la Tradition auquel je vous ai demandé de… penser… à moi…

Marette —

Se lève :

C’était mon idée ! Dédé et Tintin y font que me piquer mes idées ! Je SUIS la tradition ! Je l’ai inventée. J’y ai pensé toute ma vie en me faisant chier aux chemins de fer.

La voix —

On agite l’effigie de Hollande.

 

Chacun son tour monsieur Marette

Faut pas profiter d’ ma binette

Pour me faire avaler des vers

Quand de la pros’ je suis le père

Pour ce qui est du Ministère

J’en ai parlé dans mes prières

J’ai même mis le pied à bord

L’idée est bonne ! Ell’ vaut de l’or !

 

Nous avons pour vous satisfaire

Créé un sit’ sur Internet

C’est pas vraiment un ministère

Mais c’est tout comm’ si on y était

La Tradition de la misère

Est un atout pas de mystère

Pour le progrès et plus encore

L’idée est bonne ! Ell’ vaut de l’or !

 

La recette est bonne à tout faire

N’hésitez pas à l’essayer

Foire al païs Musée du fer

Le Mal appartient au passé

Maintenant que les esprits sont

Bien d’accord pour bouffer du son

Faites-les signer un accord

L’idée est bonne ! Ell’ vaut de l’or !

 

Pour ce qui est d’ la mauvais’ foi

De ceux qui ont vraiment souffert

Voyez avec le palais d’ Foix

Ce qu’il est possible de faire

On va pas s’ laisser emmerder

Par ces partisans du progrès

Employez les moyens du corps

L’idée est bonne ! Ell’ vaut de l’or !

 

La Présidente — Je n’y manquerai pas ! Ah ! Ces… progressistes ! Je les hais !

Tintin — C’est que, monsieur le Président, j’ai l’âge d’un ministère de la Tradition et vous savez que cet âge-là, monsieur le Président, ça ne dure pas ! Je n’ai rien contre un petit rappel de l’ancien au profit du moderne. Et je suis toujours de bonne foi…

Marette — Vendu !

Tintin — J’ai quand même construit un tunnel à moi tout seul, avec mes épaules !

Tous — Hou ! Hou !

Tintin — Faites taire ceux qui n’ont rien à dire ! Oh ! Que je suis seul quand personne n’est là pour me soutenir.

La voix — Remettez à monsieur Augustin Bonrepaux le deuxième ski, preuve que nous apprécions toutes ses demandes.

Un ski vole et s’écrase aux pieds de Tintin qui s’empresse de l’enfiler.

Tintin — Oh ! Merci, monsieur le Président ! Je ne vous demande pas le troisième…

La voix — Ce serait trop demander.

Tintin — C’est que je les ai montées au grenier.

Marette — Passéiste !

La voix — Mais qui est cet énergumène qui semble vous en vouloir… à mort.

Marette — Je suis le maire ÉLU de cette ville…

Tintin — … un village, tout au plus…

Marette — … qui vous accueille en mon nom… comme c’est la tradition. Sur ce point, Tintin et moi on est d’accord.

Il se lève. Son index droit est coincé dans le canon d’un fusil à un coup.

 

Tintin et moi on est d’accord

Pour siéger au gouvernement

Sur une chaise à deux pendants

De l’Ariège on est les cadors !

 

Pour vous donner un aperçu

De mon esprit fait pour penser

J’ vous propose un plan bien foutu

De l’Ariège on est les calés !

 

En France on est plutôt vieux jeu

Ce n’est un secret pour personne

On a du sel et c’est tant mieux

De l’Ariège on est les pouponnes !

 

La jeunesse a des yeux plus gros

Que nos entrailles pourtant pleines

Il faut corriger ce défaut

De l’Ariège on est les bedaines !

 

La Tradition ça a du bon

Car si on en pas souffert

On a connu des vrais couillons

De l’Ariège on est les pépères !

 

Ça fait longtemps qu’on est larbin

On a l’habitud’ de trinquer

À la santé des arnaqués

De l’Ariège on est les robins !

 

Moi j’ai pas construit de tunnel

Pas de pont pas de truc en dur

Mais j’ai l’outil pour que ça dure

De l’Ariège on est les plus belles !

 

Trigano fait des trous par terre

Pour empocher les droits d’ passage

Du coup on fait du remplissage

De l’Ariège on est les waters !

 

Alors on a pensé aux oies

Aux oiseaux qui passent dans l’air

C’est l’air du temps la mode en terre

De l’Ariège on est le kawa !

 

La voix — Un tunnel ! Des oiseaux ! Je me demande si l’Ariège n’est pas le département le plus… le plus…

Tintin et Marette — Le plus… ?

La voix —

 

Je suis d’avis c’est un précepte

Que ce département obtus

Mérite mieux que ce statut

L’Ariège a besoin d’un concept !

 

J’ai une idée et je l’accepte

J’ la soumets au gouvernement

Vous la trouverez en cherchant

L’Ariège a besoin d’un concept !

 

Tintin — Je ne dis pas non…

Marette — Je ne dis pas oui…

La voix — Oui, mais qu’en pense la statue ?

Marette — Oh ! Putain !

Tintin — Oh ! Misère !

Marette — Mais, Majesté, les statues ne parlent pas ! Ce sont des symboles qui parlent d’eux mêmes ! On n’entend rien, mais on comprend…

 

On n’entend rien mais on comprend

C’est le langage des statues

Trigano a choisi l’ tutu

Pour pouvoir le dire en plein vent !

 

Écoutez comme il est en nous

On dirait qu’il est plus vivant

Vivant que mort sur les genoux

Encor’ plus vrai d’être en plein vent !

 

C’est un poème un fair’-valoir

Durci au vent du méritoire

C’est sans effort qu’on peut le croire

Arrivé au sommet d’ la gloire

 

Je suis l’auteur de ce projet

Je n’ai aucune arrièr’-pensée

Pas un soupçon de promotion

Dans cet hommage en promotion

 

Tintin — Oui mais il est pas encore mort !

La voix — Faudrait savoir !

La Présidente — Une statue, ça a un sens ou ça n’en a pas ! Voilà !

 

Ça a un sens, ça veut rien dire

Faudrait savoir et on hésite

C’est ressemblant, il faut le dire

Et on le dit, mais le dir’ vite

Ça sert à quoi si ça veut dire

Que rien n’est dit en clair et vite ?

 

Je pose la question !

Marette — Et on n’y répond pas ! Je croyais qu’on s’était mis d’accord pour… pour…

Tintin — Pour ne rien dire ! Je vois…

La Présidente — Vous ne voyez rien ! Pfeuh ! Un tunnel ! Des oiseaux ! Moi je vise plus haut ! Et j’atteindrai ce sommet qui n’est pas un sommet de montagne, ni un sommet de bêtise. C’est déjà un sommet…

Tintin — … de l’orgueil !

La Présidente —

Un tunnel ! Des oiseaux !

Moi je vise plus haut

J’ai le sens de l’honneur

Placé en bas du cœur

Pour laisser de la place

Tout en haut d’ ma carcasse

Au vrai sens de la tra…

 

Tous — De la tra… ? Elle délire. Ce mot n’existe pas.

La Présidente — De la tri… ?

Tous — Connais pas !

La Présidente — Tru… ? Trop. Oui, c’est ça : trop !

Tous — De la trop ? C’est DU trop qu’il faut dire !

La Présidente — Dutro ! Dutrou ! Laissez-moi réfléchir à ce que je vais dire !

La voix — Enfin, bref ! Où voulez-vous en venir, madame la Présidente ?

La Présidente — Un tunnel ! Des oiseaux ! Moi… moi je vais construire un palais !

Tous — Un palais ? Un palais pas laid ?

La Présidente — Un palais en vrai !

Tous — Un palais pas faux ? Avec des défauts ?

La Présidente — Des défauts il n’y en aura pas !

Tous —

Un palais pas laid

Un palais en vrai

Un palais pas faux

Avec des défauts

Des défauts il n’y en aura pas !

 

Un palais d’justice

Pour que je subisse

Toute la sagesse

De la vengeresse

Du bon sens il n’y en aura pas !

 

Des jugements bons

Des bons sentiments

Des sentiments grands

Des faux jugements

Du bordel il n’y en aura pas !

 

Des médaill’ en vrai

Des fins dans l’honneur

Des débuts chiadés

Des ors prometteurs

Des promess’ il n’y en aura pas !

 

Des trahisons non

Des délations oui

Des compromissions

Des allégories

Yen aura et pour tous les goûts !

 

La voix — Eh ! Bé ! C’est pas encore changé ! Alors comme ça, vous allez construire…

La Présidente — … contrrrruirrrre !

La voix — Un palais… Vous n’aimez pas les tunnels ?

La Présidente —

J’aime pas les oiseaux non plus !

 

La voix — Non ! Non ! On ne vous demande pas de chanter ! Expliquez-nous ce que c’est qu’un palais…

La Présidente — Un palais…

Tous — Un palais en vrai…

La Présidente — Un palais c’est…

Tous — Un palais en faux !

La Présidente — Laissez-moi parler !

Tous — … dans le faux palais !

La Présidente — Non ! Dans le vrai palais…

Tous — … qui est sans défaut !

La voix — Laissez-la parler sinon le palais ne se construira jamais ! Alors, madame la Présidente… Puis-je voir les plans ?

La Présidente — On me les a… confisqués !

Tous — Confisqués ! Qui ? Nous ?

La Présidente — Tout le monde me les a confisqués ! Je suis victime de tout le monde…

Tous — … et pas parano !

La voix — Et pourquoi ?

La Présidente — Parce qu’ils sont jaloux !

Marette — S’il y a une chose que je n’ai jamais été c’est bien jaloux ! Ah ! Ça ! Jamais !

Tintin — Jaloux de quoi ?

La Présidente — Même Dédé m’a dit que j’étais pas faite pour ça !

La voix — Dédé Trigano ! Il a dit ça ?

Tous — On ferait peut-être bien de l’écouter, non ?

La statue frémit.

Marette — Dédé il a pas dit ça !

 

Dédé il a pas dit ça

Je suis témoin et pas faux

Les palais il ador’ ça

Dédé il a pas l’air faux !

 

Sa statue fera d’ l’effet

Dans un vrai ou faux palais

Le doigt levé à l’entrée

Pour lever à ma santé…

 

Tous — Lever quoi ?

La Présidente —

On lèv’ rien dans un palais

Ce n’est pas conçu pour ça

Du moins pas dans mon palais

Dont le principe est la tra…

 

Tous — La tra… ?

La statue s’impatiente.

Tintin —

Je creus’rai dans ce palais

Un tunnel avec mes mains

Pour enterrer les secrets

De l’enfance de Tintin

 

La Présidente —

Je vous ai pas demandé

De foutr’ le bordel chez moi

Les secrets je les connais

Je vous donn’ ma langue en bois !

 

La statue bouge.

La statue — Ce palais, c’est moi qui le construirai !

Tous — Comme ça a l’air vrai !

La statue — Parce que je suis un spécialiste en palais ! Et en vrai !

La Présidente — Mais je m’y connais moi aussi ! En palais vrai, en palais faux, j’ai le sens du palais très aiguisé, moi !

La statue — Il est peut-être aiguisé mais vous n’avez pas le pognon !

Tous — Elle n’a pas le pognon…

La Présidente — Oui, mais j’ai la Loi de mon côté ! Et je m’en servirai si vous osez…

Tous —

Tra ! Tratratra ! Elle est tra… Elle est capable de tout

Attention au pognon, dans sa robe ya un atout !

Un atout ! Toutoutou ! Dans le suaire un atout

Un toutou de l’atout et elle est un bon toutou

Un toutou de l’État tatata et tout et tout

Tratratra … Attention le pognon ce n’est pas tout !

 

Marette — Miracle ! Miracle ! La statue a bougé ! Elle est vivante ! Vive saint Hubert ! Qu’on amène les chiens !

La voix — Ma foi ! Je l’ai bien vu bouger !

Marette — Mon foie ! Je vous le dis !

Tintin — Une illusion de foire au trône !

Marette — Ya pas plus de foie au trône que de beurre en poche ! Elle a bougé et… et elle parle ! Elle parle la même langue que nous ! Quelle réussite à Mazères ! L’argent n’explique pas tout ! À genoux, mécréants ! Jetez-vous par terre : elle va marcher !

 

Quelle réussite à Mazères !

Où on fait parler les statues !

Bénis soient-ils les chiens qu’on tue

Par imperfection forestière !

Qu’ils pardonnent à nos fusils

Les confusions de point de mire

On a bien tous les bons outils

Oui mais de là à s’en servir

Pour remplacer nos bons fusils

Non ce n’est pas demain la veille

Nous sommes trop traditionnels

Et là devant cette merveille

Au bon curé on en appelle

 

Viens-y curé au cul béni

Pour jeter de l’eau à la pelle

Sur ce grandiose circoncis !

 

Ça fait des ans que je répète

Que la raison est du côté

De l’eau bénite ensemencée

En toute saison et branlette

Qui a raison c’est le Marette

Avec sa croix en bandoulière

Et à l’épaule sa musette

Avec le drapeau en travers

Des fois il est un peu pompette

Mais c’est toujours pour la bonn’ cause

Un coup dans l’ail’ c’est une chose

Mais dans l’idée ce n’est pas bête

Surtout que la faute est à elles

 

Viens-y curé au cul béni

Pour jeter de l’eau à la pelle

Sur ce grandiose circoncis !

 

Boire ou conduir’ faut pas choisir

En matière municipale

Car bon sang ne saurait mentir

Dans les urnes électorales

Ce que je dis c’est symbolique

Ne le refaites pas chez vous

Mais sur le domaine public

Un petit coup avec Loulou

Ça n’aura pas de conséquences

Sur la santé organisée

Par le gouvernement de France

Qui là-dessus a son idée

Solidaire je le rappelle

 

Viens-y curé au cul béni

Pour jeter de l’eau à la pelle

Sur ce grandiose circoncis !

 

La Résistance et les bonbons

Ça a du sens pour les honneurs

On est pas fiers de ses harpions

Mais de ce qui a d’ la valeur

Et là je deviens hermétique

Pour éviter qu’on me procède

On me connaît c’est pas la merde

Qui fait de moi l’oiseau unique

Amateur de chên’ et de gland

Jamais donneur jamais poussif

Mais j’ai attendu trop longtemps

Pour me la mettre dans le pif

Et de ce chien manquer l’appel

 

Viens-y curé au cul béni

Pour jeter de l’eau à la pelle

Sur ce grandiose circoncis !

La statue —

Du Commandeur j’ suis la statue

Ce qu’à vous dire je me tue !

Marette —

Fais attention en descendant !

Vite une échelle et un bâton

Le Commandeur est en mission

Mais pour les ail’ il est feignant !

La statue —

C’est en tutu que je me tue

Turlututu chapeau pointu !

Marette —

Le principe est sans exception

Que je suis celui qui siphonne

Que toi tu es le biberon

Ne mélangeons pas les personnes !

 

La Présidente — Il est complètement beurré, oui !

Tintin — Trigano ! Beurré ? Ah ! Je veux voir ça de près !

Marette — Qui a mis du désinfectant dans le plâtre ?

Garde — Oui, mais à sa demande. Il avait peur que la provenance de ce plâtre lui communique une maladie de la peau. J’ai fait ce qu’il a dit ! J’ai dilué au désinfectant !

Marette — Il ne faut jamais faire ce qu’il dit quand il a bu. Il a pas l’habitude… comme moi !

Garde — Mais il n’avait pas encore bu !

Marette — Oui, mais il allait le faire ! Et par votre faute. Que va penser monsieur le Président d’une statue qui prend vie dans un tel état ?

La voix —

À Mazèr’ je n’en pense rien

J’ai l’esprit en carafe et rien

Ne me vient à l’esprit si rien

Ne me distrait mine de rien

 

La Présidente — Monsieur le Président fait des vers… ironiques !

La voix — Et j’aime qu’on les apprécie à leur juste valeur.

La Présidente — Ce n’est pas parce qu’ils sont justes qu’ils ont de la valeur !

La voix — Ce n’est pas parce que ça a de la valeur que c’est juste !

Marette — Ne disputez pas le Président de la… Chose publique…

La Présidente — De la chose !

Marette — Eh ! Bé ! Oui ! Chose ! On l’appelait aussi… Tintin ! Comment on l’appelait ? J’ai un trou.

Tintin — Pour un trou, c’est un trou !

La Présidente — Tandis que moi… un trou me rendrait… comment dire… ?

Tintin — Ordinaire !

La Présidente — Voilà ! C’est ça ! Ordinaire ! Et je ne le suis pas ! Et vous savez pourquoi ?

Tintin — On croit le savoir, mais je suis sûr que c’est pour une autre raison…

La Présidente — Vous avez raison… pour une fois. Regardez ma robe…

Tintin — Pour une robe, c’est une robe ! Noire… ample… une esthétique de sac poubelle, mais à l’endroit !

La Présidente — Vous voulez dire : à l’envers ?

Tintin — Voilà ! Une robe à l’envers et un sac poubelle à l’endroit. Ou l’inverse. Je suppose que ça ne change pas le sens…

La Présidente — Mais vous ignorez tout de ce sens… creuseur de tunnel !

Tintin — Ah ! Pardon ! Je m’y connais en… revêtement institutionnel !

La Présidente — Vous n’y connaissez rien ! Les généraux taillent leurs costumes dans la bavette de leurs enfants, moi j’ai taillé le mien dans le suaire…

Marette — Dans le suaire ?

La statue —

Pour l’échell’, c’est quand vous voulez…

La Présidente — Oh ! Pas celui auquel vous pensez, qui est un faux. Moi, la Prrrrésidente, je ne taille pas dans le faux !

Marette —

Ya du vrai dans le faux du vrai

Et du faux dans le vrai du faux

Rien n’est simple et il en faut

Faut du faux du vrai de vrai.

 

La Présidente — Je ne vous permets pas de plaisanter à propos de mon suairrrre !

Marette — Oh ! Vous connaissez mon attachement aux valeurs républicaines.

Tintin — Il est très attaché à tout ce qui a de la valeur, le Marette…

Marette — Et aussi aux principes… comme la liberté de consommer de la drogue si s’est autorisé.

Tintin — Il ne faut pas en abuser. Comme de la fraternité.

Marette — Reste la question de l’égalité qui pour moi est une énigme.

La Présidente — Nous sommes égaux en droit. Et je me charrrrge de l’accès !

Tintin — Comme dans le métro. Je prenais le métro…

Marette — Mon œil !

Tintin — Tu prends bien le train à l’œil, toi !

Marette — Quelle jalousie !

La Présidente — J’aimerais bien qu’on m’écoute…

La statue — Moi aussi ! Je suis jamais monté aussi haut…

La Présidente — Le suaire…

Marette — … le sein au suaire…

La Présidente — … c’est celui…

Marette — … que j’ai dansé dans mes bras !

La Présidente — C’est celui du sauveur de la France ! Je n’en dirai pas plus…

Tintin — C’est ambigu… Je n’ai pas l’habitude. Entre les deux, ma perspicacité balance…

Marette — C’est bien un comportement de gauche !

 

Moi, je suis clair :

c’est le suaire

du Général !

 

La Présidente — Vous n’en saurez pas plus.

Tintin — Il suffit de compter les étoiles…

Marette — La différence est énorme ! 7 moins 2 ça fait…

Tintin — Ça fait neuf !

Marette — Il sait pas compter ! Un député qui sait pas compter ! Il est de gauche ! Il confond l’addition avec la soustraction ! Qu’il est con ! Qu’ils sont cons !

Tintin — C’était un jeu de mots !

Marette — Jeu de mots, jeu de conauds ! J’y joue pas, moi ! Je joue qu’avec les mains. Et attention ! Je touche mais ne prends pas, hé !

Tintin — Une légende qui s’éteint…

La Présidente — Ça ne vous imprrrressionne pas, monsieur le Président !

La voix — Ça me fait des choses, mais je sais pas quoi !

Marette —

Ça me fait des chos’

Mais je sais pas quoi

Et j’en suis tout chose

Ah ! Ça c’est tout moi

Je ne connais pas

Et je veux connaître

Je ne trouve pas

Alors je veux l’être

 

Je me demande parfois

Si je suis bien de Mazères

Si je suis fait pour vous plaire

Si je suis bien chez moi !

 

Je suis comme avant

Et comme demain

Je n’ai pas la main

Mais je suis devant

On dirait que j’ai

Du poil au menton

Mais c’est le talon

Que j’ai dans le pied !

 

Je me demande parfois

Si je suis bien de Mazères

Si je suis fait pour vous plaire

Si je suis bien chez moi !

Je me tourneboule

En buvant un coup

Et j’en perds la boule

En voyant le trou

Je ne sais plus si

C’est demain la veille

Je m’ fais du souci

En cueillant la treille

 

Je me demande parfois

Si je suis bien de Mazères

Si je suis fait pour vous plaire

Si je suis bien chez moi !

 

À la fin je coupe

J’en ai par-dessus

Le dos de la coupe

Et du pied en plus

Je sors de la niche

Avec mon nonos

Ah ! Je suis fortiche

Quand je l’ai dans l’eau

 

Je me demande parfois

Si je suis bien de Mazères

Si je suis fait pour vous plaire

Si je suis bien chez moi !

 

La statue — Pour l’échelle, il faut faire une demande écrite ? Parce que les tunnels, les gravières et les palais, je connais ! J’en ai fait plein ! Ça n’a donc plus aucun intérêt… pour moi ! J’ai des projets plus ambitieux que ça !

La Présidente — Que ça ! Mon palais serait un… ÇA !

Tintin — C’est Lacan qui le dit…

Marette — C’est là quand on le dit !

La voix — Je suppose que cette excellente statue, en l’absence de son prestigieux modèle, est animée de l’intérieur par un ingénieux mécanisme…

Marette — Pour être ingénieux, c’est ingénieux !

Tintin — On ne se moque pas d’un Président… de gôche !

Marette — Surtout qu’à l’intérieur, il doit avoir chaud, le mécanisme !

Garde — Il est à poil ! Il est pas beau, hé ! Mais avec le plâtre, on s’y fait.

La voix — Est-ce que c’est… programmé ?

Marette — Vous voulez dire avec un ordinateur… ?

Garde — Un ordinateur en chair et en os !

La voix — L’exception française ! Je vois !

Garde — Heureusement que tu ne vois pas tout, gauchiste !

La voix — Cette statue est donc capable de réagir à un événement programmé d’avance. Je n’ai jamais inauguré ce genre de statue. J’avoue que ça me fait un peu peur.

Marette — Que voulez-vous ? À Mazères, on aime la nouveauté. Et on la veut nouvelle, hé ! Du jamais vu sinon on veut pas voir. Allez ouste les choses du passé !

Tintin — Tu te contredis, Loulou ! Tu craches dans ta soupe ! J’ai besoin de toi pour le Ministère de la Tradition !

Marette — Quand j’ai bu, faut pas me donner le micro, mais comme je le prends de moi-même, il faut me supporter… avec mes petits défauts de consommateur de la drogue institutionnalisée ! Je suis bête, mais pas fou.

La voix — Je crois que la statue réclame une échelle. Est-il bien nécessaire qu’elle descende ? Je peux l’inaugurer sans la déranger.

Marette — Mon petit doigt me dit qu’elle a envie de vous serrer la main.

La voix — Elle est programmée pour ça ! Merveilleux !

Tintin — La technologie ariégeoise.

 

On a un parc où on la stocke…

 

On sait plus quoi en faire. Alors des fois, on fait.

Marette — On va quand même essayer de pas trop en faire, parce que s’il est Président de la Chose publique, c’est qu’il est pas aussi con que nous. Faut l’admettre !

La voix — Ne vous dérangez pas, monsieur Trigano ! Je peux l’appeler par son nom ? C’est programmé ?

Tintin — On a pensé à tout, même aux plus grosses conneries.

Marette — À tout, je suis pas sûr. Quand ça se met à beuguer, ces choses-là, ça beugue au-delà de toute espérance !

La voix — Ça a un air de Don Juan. À la fin. Quelque chose de sinistre ! Que ça bouge, c’est bon pour la technologie, mais pas pour l’esprit. Vous n’avez pas autre chose à inaugurer ? Elle ne parle plus…

Marette — Elle est programmée pour arrêter de faire des conneries avant que ça devienne vraiment impossible à gérer.

La voix — Quelle technologie !

Tintin — Ah ! Bé ! Oui ! Hé ! On nous a sucré le textile, les minerais, le carton, et j’en passe ! Alors on s’y est mis et voilà le résultat : de la technologie !

Garde — En chair avec des osses !

Marette — Je dirais même mieux : de la technologie… IN-VEN-TÉE !

Tintin — Heureusement que je siège plus à l’Assemblée. Ces Parisiens ont l’art de vous poser des questions que, sans technologie, on sait pas quoi répondre. Démerde-toi, ma petite… papa m’en voudra pas.

Il est passé par là lui aussi…

La Présidente — À mon avis, il… elle est bloquée. J’entends comme un bruit de dents de greffière. Il a des dents, le Dédé ?

Marette — Putain s’il a des dents !

Tintin — Des dents en or. Comme ça, quand il te mord, tu t’infectes pas. Regardez le Marette. Mordu jusqu’au sang et comme si de rien n’était. Des traces oui, mais de la fièvre, tintin ! Même avec un thermomètre dans le cul, il a l’air normal ! Heureusement qu’il peut plus tirer ! Avec un doigt dans le c… canon, il fait péter le fusil !

Marette — Qu’est-ce qu’il a dû raconter comme conneries en commission, celui-là !

La voix — En tout cas, la statue de notre héros de la Résistance ne bouge plus. Mais je ne veux pas croire à une panne. J’ai foi en Foix !

Marette — Ouais, oh ! Je me pâme à Pamiers, à Lavelanet, je me lave le nez, et à Mazères je macère ! Des comme ça, j’en pète une par jour et sans faire de tache.

Colonel — On pourrait passer au ruban…

Marette — Té ! Otro qué tal ! Qu’on ne me parle plus de ruban !

 

Celui-là, si c’était permis

Il ferait plus de poésie !

 

Vous avez les ciseaux ?

Colonel — Mais il est déjà circoncis ! Depuis tellement de temps que ça doit plus se voir.

La voix — Le colonel fera ça très bien à ma place. Donnez-lui les ciseaux.

Colonel — Je vous préviens… Je n’ai jamais circoncis ! Même sous les drapeaux.

La voix — Je vous explique…

Marette — Ne lui expliquez rien et venez couper le ruban (ah ! si on pouvait lui couper la langue !) pour qu’on se déplace enfin dans des lieux plus propices à la consommation des drogues constitutionnelles.

La voix — C’est que… voyez-vous, monsieur le Maire… j’ai mal au dos ! Je suis venu en voiture. C’est loin Paris. Vous savez que j’habite à Paris maintenant ?

Marette — Plus pour longtemps… On va vous pousser. Comme Roosevelt à Yalta. Laissez-vous faire. On a l’habitude de pousser la gauche. On fait ça très bien.

La voix — Le colonel sera déçu… Je ne voudrais pas…

Marette — Il est jamais déçu. Il a passé l’âge de se rendre compte de ce qui lui arrive. Et peut-être même qu’il est dangereux avec des ciseaux dans les mains. Vous êtes venu pour couper, coupez !

Marette s’approche du trône, hésite, froisse le papier de l’effigie, regarde autour de lui, incrédule.

Marette — J’ai bien bu, d’accord, mais de là à me tromper de président, il y a loin ! Ceci… ceci n’est pas le Président ! Je suis la dupe de quelqu’un ! De ce… ruban… !

Colonel — Le ruban se moque de vous ? Mais, mon ami, c’est un ruban ordinaire. Avec des ciseaux, je peux le couper sans difficulté. Ensuite…

Marette sort un briquet de sa poche et l’allume.

La voix — Ça devait mal se terminer.

Marette — Encore une et je passe à l’action !

La voix —

Ça devait mal se terminer

L’amour à deux ça ne dur’ pas

On croit aimer pour la durée

Mais le temps c’est pas fait exprès

Je pourrai jamais expliquer

À nos futurs aréopages

Ce qui inspira ce voyage

Au pays des au pays des

Des flocons et de l’orpaillage

 

Mais quand l’amour vous prend aux tripes

On se conduit comme des gosses

On ne sait plus si c’est la grippe

Ou le bilan d’un vain négoce

Arrivé en haut de la tour

On a des envies d’ redescendre

A la hauteur des billets tendres

Et passe un jour et passe un jour

En paillett’ un beau troubadour

 

Le temps est venu de passer

Passer du temps à comparer

Les résultats des analyses

Avant de faire la valise

Ça fait du bien de paresser

De croire encore à un roman

De mijoter de beaux projets

En attendant en attendant

Que le temps passe au blanc cadran

 

Les jours les nuits catimini

Huis-clos où marginalement

La lenteur se change en ennui

Comme les attentes d’antan

Et rien ne vient à point pourtant

À qui attendre est devenu

Un automatisme du temps

On ne sait plus on ne sait plus

Si on a satisfait l’enfant

 

Marette —

Danse et mime :

 

Tra lalala la la la la

Tru lululu lu lu lu lu

C’est de ma gueul’ qu’on s’est foutu

Et moi qui l’ai dans le baba

Une allumette sur la Terre

C’est pas grand-chose à retourner

À l’envoyeur et ses papiers

Et pourtant c’est et pourtant c’est

Exactement ce que je fais !

 

Il met le feu à l’effigie.

Colonel — Mais enfin, mon ami, ce n’est pas la Saint-Jean !

Marette — Oups ! Je croyais.

Colonel — Il s’appelait François !

Marette — Comme Premier ?

(rideau)

Au plâtre citoyens !

Gâchez votre existence !

Plâtrons, plâtrons !

Que Trigano

Abreuve nos silences !

 

 

ACTE V

Même endroit. La statue de Trigano est en place sur son piédestal, conchiée par une multitude d’oiseaux qui volent dans tous les sens (suspendus à des fils), une forêt d’oiseaux ! De la merde partout. Une fenêtre de la mairie est ouverte. En sort le gosse qui se méfie.

 

Scène première

Le journaliste et le gosse, voix du garde

Gosse —

Ô merveilleux jardin !

Moïse et Jésus sont passés par là…

Pourquoi pas Mohammed ?

 

Il descend lentement le long du mur. Arrive le journaliste avec son vélo la « Dépêche ».

Journaliste — Ah ! Maudit soit le petit voleur de bien ! Je te prends la main dans le sac !

 

C’est Marette qui va être content.

 

Gosse — C’est pas bon pour ton travail de journaliste d’arrêter les voleurs ! Et puis je n’ai rien volé, j’ai juste fait un tour…

Journaliste — Et le sac ! Il sert à rien le sac peut-être ?

Gosse — Il est vide comme ta conscience.

Journaliste — Tu diras ça aux gendarmes, voleur ! Au voleur ! Au voleur ! On assassine les biens publics et la Tradition !

Gosse — Le major Durand m’a bien précisé que chiper n’est pas voler !

Journaliste —

Il est bien bon l’ major Durand !

 

Mais l’effet est le même : quand on revient chez soi, il manque des choses ! Et pas une, parce que ton sac est grand. Ouh ! Qu’il est grand ce sac ! Jamais je n’ai vu un sac aussi grand. Et plus grand est le sac, plus grand est le voleur. J’appelle Marette qui appellera les gendarmes qui appelleront le Parquet qui appellera la Justice qui appellera la prison qui appellera la pitié ! Il n’y a pas d’autre procédure !

Il compose le numéro et attend, empêchant le gosse de s’enfuir.

 

Il n’y a pas d’autre procédure

La société a ses principes

Avec l’enfant faut être dur

Le faire payer quand il chipe

Chipe nos bons biens mérités

Fait un trou dans la maisonnée

Ce qui provoque chez l’aîné

Un traumatisme en vérité

 

Ah ! Ah ! La vérité n’appartient point

Aux enfants et aux faux témoins !

 

Quand on a mis la main dessus

Cet exempl’ de méchanceté

À tuer faut pas hésiter

La semence et le sang et plus

Pour les méchants pas de pitié

À moins qu’ils associent en eux

Sacrilège et fatalité

Ce qui peut adoucir nos nœuds

 

Ah ! Ah ! Les pendus ont bien de la veine

Qu’on soit croyant et à la peine !

 

Mais si vraiment ya rien à faire

Pour ramener les noirs moutons

Dans le bercail des bons pépères

Faut de la poigne et des prisons

Au bon Marett’ faut les confier

Il s’y connaît en volatiles

Pour avoir étudier de près

De la face le côté pile

 

Ah ! Ah ! Faut pas nous prendr’ pour des neuneus

De la morale on est les dieux !

 

Si d’aventure il arrivait

Malgré les précautions d’usage

Que votre intérieur soit pillé

N’hésitez pas à faire usage

De Marette les théories

Sur le plan d’ la sécurité

Il a travaillé le sujet

En f’sant la guerre à l’Algérie

 

Ah ! Ah ! Nos héros sont l’indication

Qu’on a raison d’avoir raison !

 

Gosse —

Oh ! Qu’il est riche ce jardin

Avec ses fruits et ses bénefs

Pourquoi ne pas y mettr’ la main

Histoir’ de donner du relief

Aux repas et aux conditions

De l’existence et de sa paix

Je saurai l’ faire avec passion

Si on me laiss’ grandir en paix

 

Ah ! Ah ! Ce n’est pas un’ question de temps

Mais il en faut beaucoup d’ l’argent !

 

On entend le bruit de décrochement du téléphone.

Garde —

Je suis bien le garde champêtre

Et ceci est mon répondeur

Parlez mais sans esprit frondeur

Je ne supporte pas les êtres

Qui trouvent qu’au fond c’est justice

De m’avoir enlevé les fonds

Pour demeurer de la police

Un garde avec de la fonction

 

Ah ! Ah ! C’est pas bon pour la mise au pas

Des enfants qui n’ont pas d’ papa !

 

Journaliste — Mais où est-il passé ce garde municipal ?

Gosse — Il est repassé du municipal au champêtre. Il a retrouvé sa véritable nature, le garde !

Journaliste — Il n’empêche que tu es un voleur et que je suis un vrai témoin !

Gosse — Tu n’as rien vu ! Tu supposes parce que j’ai la couleur de l’emploi. Tu n’es qu’un délateur ! Ce qui fait une grosse différence avec le journalisme !

Journaliste —

Tu n’as pas l’âg’ de critiquer

Les choses plus grandes que toi

T’ as pas l’âg’ prévu par la Loi

Pour de la prison mériter !

Ce que j’en sais je l’ai appris

Et comme je suis bon pioupiou

À la Dépêche je fais tout

Et dans les coins je sens l’ pipi

 

Ah ! Ah ! Un bon papier c’est bien torché

Pour les vieux cons c’est le hochet !

 

On n’a pas tous les jours l’occase

D’analyser de près les faits

Il faut de l’actualité

Pour qu’ la Dépêche ait pas l’air nase !

La vie se passe en footballeurs

En menus détails de la cuisse

Avec des fois des p’tits voleurs

Qui n’ont besoin que d’ la Justice

 

Ah ! Ah ! Entre la balle et la balance

Le cœur n’hésite pas en France !

 

Entre Bousquet en tablier, avec une pelle dans une main et un sac dans l’autre.

 

Scène II

Les mêmes, Bousquet

Gosse — Me voilà joli !

Journaliste —

Ce garnement est un voleur

Je l’ai pris la main dans le sac

C’est une grave atteinte aux mœurs

La Dépèch’ va faire un tabac

Sous ma plume ce fait notable

Va prendre une ampleur nationale

Du coup je passe du banal

À l’exemplaire véritable

 

Ah ! Ah ! Je tiens les honneurs par la queue

Moi qui l’aie toujours manquée d’ peu !

 

Bousquet — Je m’en fous ! Qu’est-ce que tu as volé ? Des sous ?

 

Des sous yen a pas

Yen a plus qu’ pour les salauds

De l’honneur non plus

On est bon pour faire le saut !

 

Des rois c’est pas moi

Et c’est pas papa non plus

Il faut s’ lever tôt

Des érections yen a plus !

 

Des oies ça manqu’ pas

Faut pas leur tirer dessus

J’ai un bon fusil

Mais les coups ça ne part plus !

 

L’été on est fou

Mais au printemps on tir’ plus

L’hiver il fait chaud

Mais le soleil n’en a plus !

 

Des sous yen aurait

Si j’ pouvais encor’ bander

Mais j’ai l’arc en berne

Et le drapeau fait des pets !

 

Quelle merde !

Tout en chantant, il ramasse la merde des oiseaux.

Journaliste — Cet enfant est tout de même un voleur !

Bousquet — Eh ! Bé ! Moi je le suis plus. Et depuis que je vole plus, je suis malheureux !

Gosse — C’est que avez cru voler, mais c’est pas si facile, même quand le jardin est merveilleux…

Bousquet — Je sais ce que je dis ! Celui qui n’a jamais volé ne peut pas comprendre ma souffrance.

Journaliste — Je n’ai jamais volé !

Gosse — Pas même un petit fait... un tout petit bout de fait de rien du tout que c’était pas un fait tellement il était petit ? Mais c’était pas ton fait ! Et tu l’as volé !

Journaliste — Oh ! Oh ! Avec des généralités, on peut croire qu’on dit vrai, mais ce qui est général n’atteint pas le particulier que je suis.

Bousquet — Vous la trouvez comment la statue, vous qui avez du nez ?

Journaliste — Eh ! Elle est pas mal.

Bousquet — Elle attire les oiseaux. Du coup, au Domaine, ils viennent plus.

Gosse — C’est plus amusant ici ! Pour voler… pour chier… etc.

Journaliste —

Exhibant un appareil photo.

Té ! Je vais faire une photo, mais sans la merde. La rédaction m’a confié ce petit bijou qui est capable de vous supprimer la merde même si il y en a beaucoup comme c’est le cas ici à la mairie de Mazères.

Bousquet — Putain ! Vous avez une sacrée confiance dans la technologie !

Gosse — Je peux être sur la photo ?

Bousquet — Comme tu es une merde…

Journaliste — Mais c’est le sujet : « Un journaliste de grande expérience locale surprend un voleur en bas âge qui ressemble à une merde mais qui n’en est pas une : la preuve ! » Et on te voit sur la photo.

Bousquet — Dans la merde d’oiseau que j’arrive pas à nettoyer. Mais qui leur donne à bouffer, à ces voleurs !

Au Domaine, on n’a plus de fonds…

 

Gosse — C’est si bon de voler…

Bousquet — Eh ! Bé ! Je vole plus. Je te laisse la place.

 

Ya plus de sous.

Tu risques rien.

 

Les socialistes, que j’ai failli en devenir un en épousant le Président de la République — un vieux rêve d’enfance ! — les socialistes nous prennent tout, même l’envie de voler !

Journaliste — Vous n’y arriverez jamais… Je veux dire… avec cette merde qui tombe du ciel…

Bousquet — Elle tombe du ciel mais sans intervention divine ! Dieu est au-dessus de tout, comme l’était François…

Journaliste — Et où il est passé celui-là ?

Gosse — Marette y a foutu le feu ! Une torche vivante !

Bousquet — Eh ! Non ! François, il était aux WC.

Journaliste — Aux WC ? Mais qu’est-ce qu’il y faisait ?

Bousquet — Du tourisme ! Quand on arrive à Mazères et qu’on est pas de là, c’est ce qu’on a envie de faire, du tourisme. Alors il en faisait…

Journaliste — Dans les WC ?

Gosse — Si j’étais vous, monsieur Bousquet, j’insisterai pas… Il écrit pour les vieux, mais pas les vieux qui en ont bavé, les vieux qui en ont fait baver aux autres et que ça les fait chier de plus avoir la force, tellement qu’ils se précipitent tous les matins sur la Dépêche gratuite qui attire du monde comme ça, avec des gouttes d’actualité locale et des gouttes d’autre chose…

Journaliste — Tu ne deviendras jamais journaliste si tu n’es pas clair ! Il faut être clair pour exercer ce métier en professionnel.

Gosse —

Mimant un vieux :

 

Gouttes de l’actualité

Gouttes tombées de la Dépêche

Allons il faut qu’on se dépêche

Le Ricard va bientôt manquer

 

Quoiqu’à notre âge les mélanges

C’est risquer de trop s’y risquer

Goutte impossible à refouler

Passe le temps passent les anges

 

Un petit voleur coloré

A fait main basse sur la ville

Dans son grand sac on a trouvé

— On vous le donne dans le mille —

 

Des preuves que c’est un voleur

Qu’il a pas l’esprit bien formé

Et qu’il est temps pour lui d’aller

Vite se faire voir ailleurs

 

Petit voleur de la Dépêche

En matière de lois anciennes

Il ne faut pas vendre la mèche

Oui avant de l’avoir fait tienne

 

Pour voler il faut être oiseau

Avoir des ailes pour tirer

Et quand il faut faire le beau

Comme un bon chien donner le pied

 

Journaliste — Ça ne suffira pas ! Des mots ! Des mots ! Des mots ! Il en faut plus pour convaincre la Justice qu’on l’a pas fait exprès ou qu’on a subi de mauvaises influences !

Entre la Présidente.

 

Scène III

Les mêmes, la Présidente

La Présidente — Il s’en passe des choses à Mazères ! C’est vous, monsieur le journaliste, qui les inventez ? Ou c’est de la vérité vraie ? On m’appelle, je viens. Et je ne viens pas pour rien !

Journaliste — C’est cet enfant ! Il cite Kateb Yacine ! Et compose des vers de son cru !

La Présidente — Et bien entendu, ce sont des vers mauvais ! Je rappelle, à toutes fins utiles, que faire des mauvais vers n’est pas interdit par la Loi, c’est même encouragé, mais que les faire mauvais, c’est un délit ! Approche !

Gosse — Mes vers sont mauvais, madame, je le reconnais…

La Présidente — … Prrrrésidente… madame la Prrrrésidente….

 

Sinon je ne garantis pas

La qualité du jugement !

 

Gosse — Madame la Prrrrésidente !

La Présidente — Ainsi tu reconnais que tes vers sont mauvais !

Gosse — Ce sont de mauvais vers…

La Présidente — Et qui dit que ce ne sont pas des vers mauvais ? C’est toi qui le dis… ou c’est moi ? Réponds à cette question difficile !

Gosse — C’est vous ! C’est vous ! Je le reconnais ! D’ailleurs ici on se fiche des vers que je fais ou ne fais pas selon votre bon vouloir. Dans ce sac…

Journaliste — Oui, le sac !

Bousquet — Délateur ! (en aparté) Avant de ne plus être un voleur, j’étais aussi un délateur. Avec des ailes, c’est facile. Je le conseillais à tout le monde. Je ne m’y aviserais pas maintenant qu’on m’a coupé les ailes et que je ne peux plus voler sans risquer de me casser la gueule…

La Présidente — Qu’est-ce qu’il y a dans ce sac ?

Gosse — Des sacs !

Bousquet — Des sous yen a pas ! Où les as-tu trouvés !

Gosse — Derrière.

Journaliste — Derrière quoi ?

Gosse —

Derrièr’ Marette ya une poche

Qu’on appelle la revolver

Pour en savoir plus on approche

En clignant d’ l’œil il faut le faire

 

En regardant d’encor’ plus près

On se demande d’où ça vient

C’est du tout bon ça ne sent rien

Et rien n’interdit d’y toucher

 

Comme il est souvent occupé

Avec le devant d’ sa personne

Mettre la main dans ce fessier

Est un p’tit jeu d’enfant en somme

 

Moi je savais pas que les grands

S’enrichissent par le derrière

Parc’ que quand on les a devant

On a l’impression d’ bons pépères

 

Ce n’est qu’une impression je sais

La différence d’âge explique

Que tous les rapports se compliquent

Quand on se côtoie de côté

 

À ce niveau de mon procès

Je n’entre pas dans les détails

Je mets la main dans ces entrailles

Et je deviens voleur de faits

 

La Présidente — Alors comme ça, tu as volé des faits !

Journaliste — Je note ! Des faits volés dans la poche revolver de Marette ! Oh ! Que c’est un beau titre ça ! Comme ça va intéresser !

 

Comme c’est un bon titre ça !

Comme ça va intéresser

Et concurrencer la télé

Ce petit voleur m’aura pas !

 

C’est pas des sous

C’est que des faits

Des faits en tout

Pour les pépés

 

Il m’aura pas avec ses sous

Des sous yen a pas pour tout l’ monde

Les faits c’est chouette et ça abonde

Quand on sait ce qu’on sait en tout !

 

Les pépés c’est

Bon pour le style

Je tombe pile

Et c’est bien fait !

 

Je vais vous mettr’ tout ça en forme

Avec une photo de genre

Je ne sortirai pas d’ la norme

Pour pas choquer les bonnes gens

 

Les bonnes gens

C’est du tout cuit

C’est de l’argent

Et du pipi !

 

J’ai le style au j’ai le style au

Style au beau fixe en ce moment

Et c’est pas un petit coco

Qui va changer cet évèn’ment

 

Vive Pétain

Vive de Gaulle

Vive l’alcool

Et le bon vin !

 

Je m’explique : l’alcool, c’est de Gaulle et le bon vin c’est Pétain. C’est de l’allégorie, comme le vin et le pain.

 

Vive Pétain

C’est du bon pain

Vive de Gaulle

C’est de l’alcool

 

Je fais aussi de la pédagogie journalistique….

La Présidente — Vous êtes prêt à écrire n’importe quoi pour vous faire mousser !

Journaliste — Je mousse, je le reconnais ! Mais vous faites quoi quand on vous mouille ?

 

Ah ! Si j’avais de bonnes couilles

J’ n’hésit’rais pas à dir’ tout

Ce que je sais sur tout surtout

Ce que vous fait’ quand on vous mouille !

 

La Présidente — Il ne pleut pas sur le palais !

Journaliste —

Il ne pleut pas sur le palais

C’est le palais qui pleut en toute

En toute occasion de parler

De ce que vous fait’ quand il goutte !

 

La Présidente — Ce ne sont pas des gouttes mais des seaux !

 

Journaliste —

Au palais des goutt’ et des seaux

J’ai mes entrées mais sans trompette

C’est pas comme le vieux Marette

Qui a la médaille qu’il faut !

 

La Présidente — Ma médaille je la donnerai à personne !

Journaliste —

Les médailles c’est personnel

Ça se prend c’est pas pour donner

Ça vous donne un air solennel

Et on le prend avec fierté

 

On peut se la mettre où on veut

Ça ne changera pas le sens

Sens du museau ou de la queue

C’est bon en toutes circonstances

 

Avec un ruban…

 

Entre Marette.

 

Scène IV

Les mêmes, Marette

Marette — Qu’on ne me parle plus de ce ruban !

La Présidente — Mais enfin, Loulou ! Sans le ruban, vous faites comment !

 

Sans le ruban

Vous fait’ comment

Pour accrocher

Dans la fierté

Tambour battant

Au tralala

L’honneur et la

La la la la ?

 

Gosse — La quoi ?

Marette — Il est bien temps que t’en soucies, petit voyou ! Rends-moi ce que tu m’as pris !

Journaliste — Mais il a pris que des faits et il me les a donnés ! Ils sont à moi maintenant !

La Présidente — On ne vous fera rien si vous les gardez et surtout si vous me demandez conseil !

Marette — Il sait bien ce qu’il m’a pris ! Et ce ne sont pas des faits ! Qu’est-ce qu’il en ferait, des faits, puisqu’ils sont couverts par la prescription !

Journaliste — La Presse scri… scri... J’en ai jamais entendu parler, et pourtant je suis au fait !

Gosse — As tu vu la capote, la capote,

As tu vu la capote au père Marette ?

Elle est faite la capot’, la capote,

Elle est faite avec des faits faux en fait.

As tu vu la capote, la capote,

As tu vu la capote' au père Marette ?

Elle est faite la capot’, la capote,

Elle est faite avec des faux faits en fait.

 

La Présidente — Alors là, attention ! Je prends la parole ! Il y a une relation de fait entre les vers et la capote. Du fait que les mauvais vers ne peuvent être confondus avec les vers mauvais, il s’ensuit que les faits faux ne sont pas des faux faits !

 

Les faits faux ne sont pas des faux faits

Par le fait que le faux c’est du vrai

Que le vrai n’est pas faux et en fait

Le faux fait fait en faux c’est du vrai !

 

Il faut en croir’ mon expérience

De l’avancement au mérite

Pour juger vrai où on habite

Faut fausser ces vrais ressemblances

Je vous conseille de me dire

Ce qui est vrai en fait et faux

Et surtout de ne rien écrire

Avant d’avoir inscrit en faux

Sur mes petits papiers brouillons

Votre vrai nom et vos faux faux

Et le nom du brave couillon

Qu’ensemble on va en vrai pas faux

Mettre dedans jusqu’aux naseaux

Les bêtes c’est comme la po

La poésie abattre faut !

Les murs de nos palais sont faux

Mais nos lois sont en vérité

Des vers mauvais si on a faux

Et des vers vrais pour les nés nés

Nés dans la bonne terr’ de France

Avec Pétain son fils de Gaulle

Le vrai le faux c’est en balance

Et justement je m’en balance

Bien que je dise le contraire

Ce n’est pas pour vous faire taire

Mais il se trouv’ que ces questions

Relèv’ de mon appréciation

Et tant pis si en vérité

J’ai donné que mon opinion

Ni vrai ni faux c’est du bidon

Vous en ferez c’ que vous voudrez !

 

Journaliste — Et lui, qu’est-ce qu’on en fait… en vrai ?

Marette — Mais c’est en faux qu’il faut le faire ! En toc !

Gosse — Moi je veux bien vous la rendre, votre capote, mais elle percée !

La Présidente — Tu as percé la capote de Marette ! Un si bel ouvrage militaire ! Et taillé sur mesure ! Du fait guerre main !

Gosse — Et qu’est-ce qu’il y mettrait dedans ?

Marette — Mais des tas de choses ! J’en ai encore, des choses à faire !

 

J’en ai encor’ des chos’ à faire !

Des tas de chos’ et pas que bien

J’ai encore les pieds sur terre

Le camping c’est pas fait pour rien !

 

Monter la tente en liberté

Se coucher dedans en terrien

Et en toute fraternité

Le camping c’est pas fait pour rien !

 

Des avantag’ il y en a bien

Faut pas non plus exagérer

Que ce soit bien ou mal géré

Le camping c’est pas fait pour rien !

 

Je m’organise en bon pays

Ya de la plac’ pour tous les chiens

Ya même un coin pour les fusils

Le camping c’est pas fait pour rien !

 

Cert’ il arriv’ que d’aventure

J’ai l’occasion de fair’ le bien

Moyennant quelque alcoolature

Le camping c’est pas fait pour rien !

 

Je les aime pas trop marquises

Je suis un trop bon citoyen

Et si le vent tourne à la bise

Le camping c’est pas fait pour rien !

 

Un grand bruit de frein. C’est le Garde.

 

Scène V

Les mêmes, le garde

Garde —

J’ai la conscience je l’avoue

En tire-moi la queue bouchon…

 

Tous — En quoi ?

Garde — C’est une expression que j’ai inventée pour passer aux aveux sans en avoir l’air.

La Présidente — Ça m’intéresse !

Gosse — Ça m’intéresse moi aussi ! Nous avons un point commun. Je me disais aussi… Il doit bien y avoir un point commun entre les magistrats et les voleurs…

Garde — Je recommence... en bon joueur qui accepte d’être interrompu… On ne sait jamais en justice…

 

J’ai la conscience je l’avoue

Qui me taquine le bouchon…

 

Tous — Et avec quoi tu le tires maintenant ?

Garde — Du moment que c’est la même rime…

Tous — Faudrait voir à ce que ça rime à quelque chose !

Garde — Je m’en charge ! Ma peine sera moins lourde à porter, si j’ai bien compris le fonctionnement de la Justice du moment qu’on a l’avantage d’un petit coup… de piston ! Taratata ! Suivez mon regard…

 

J’ai la conscience je l’avoue

Qui me fait faire des bêtises…

 

Tous — Oh ! Ça change tout le temps !

Garde — Oui, mais c’est fait dans le même esprit ! De justice si on peut dire, mais si on peut pas le dire, je retire ce que j’ai dit et je reviens à mes moutons… à ma conscience… mot formé de con et de science, ce qui en dit long sur ce qu’il veut dire. Con, c’est avec et science c’est intelligence. La conscience, c’est fait avec de l’intelligence et comme je le suis pas vraiment, intelligent, ce qui se présente à moi comme de la conscience, c’est peut-être le contraire : sans intelligence. Pris dans l’autre sens, con veut dire sans. Vous voyez que vous n’avez pas affaire avec un idiot, mais avec quelqu’un dont l’intelligence n’est pas un modèle du genre, certes, mais qui en a dans le coco question chien.

Tous — Question chien ?

Garde —

Il faut préciser pour ceux qui n’étaient pas là

Que j’ai passé toute ma vie à…

 

Tous — Au fait ! Au fait ! Vous êtes ici pour avouer, pas pour nous raconter votre vie !

Garde — Je me suis égaré. Il faut me comprendre. Ça s’est passé dans les WC…

 

Ça s’est passé dans les WC

Où je me rends quand j’ai envie

Car si je ne suis pas pressé

Je fais patienter ma vessie

 

J’ai la vessie en bon état

La prostate en ordre de marche

Le point crucial — c’est ma démarche

De soucis ne me donne pas

 

En conséquence quand j’y vais

Ce n’est pas pour me fair’ plaisir

Comme WC on a vu pire

Mais pour ce faire ils sont parfaits

 

J’en étais donc à le penser

Si j’y allais ou allais pas

Devant le besoin je suis pas

Homme à me laisser emporter

 

On peut pas dir’ que j’exagère

Et que j’abus’ de votre temps

On ne me prendra pas pépère

En train de loucher au cadran

 

J’arrive donc sur le terrain

Je me prépare à m’ sentir mieux

Quand j’entends comme un cri joyeux

Venant de l’intérieur soudain

 

Je fais un bond dans ma braguette

Aux circonstanc’ je tends l’oreille

Je me souviens que le Marette

M’a donné tous les bons conseils

 

« Si jamais en allant pisser

Tu es freiné dans ton élan

Par une sort’ de gloussement

Qui en regardant bien paraît

 

Provenir d’un louable effort

Surtout ne te mets pas en quatre

Fais comme si j’étais dehors

Ou ailleurs en train de me battre

 

Pour le bien de la République

Reviens sur tes pas et fais comme

Si rien passé ne s’est en somme

Et réfléchis aux biens publics »

 

Je suis pas amateur d’embrouilles

Je fais mon travail et j’ m’en fous

Que le Marette ait mal aux couilles

Chaque fois qu’il pense aux froufrous

 

Je connais ça mais j’ai la chance

D’être discret sur le sujet

Moi aussi je fornique en France

Et pourquoi pas dans les WC

 

Mais je reconnais pas la voix

Car le Marett’ quand il vagit

Ça lui arrive quelquefois

C’est comme un chat qu’on sacrifie

 

Il se trouv’ que quand on l’attrape

Par la queue ou par les cheveux

Il se démène comme il peut

Et redemande qu’on le frappe

 

C’est un tenant de la douleur

Et ça lui inspire des cris

Que si j’étais lui j’aurais peur

Que ça me monte dans l’esprit

 

Alors…

 

Tous — Alors !

Garde — Alors j’ouvre la porte et qu’est-ce que je vois ?

Bousquet — Je sais bien, moi, ce qu’il voit… !

Garde — Je vois…

 

Je vois François en bikini

Il a un tout petit quiqui

 

Le reste est coincé dans la chasse

Il me supplie que je le fasse !

 

Je me sens seul comme un puceau

Je me dis que je suis marteau

 

Que François le bon roi de France

Ne peut pas en ces circonstances

 

Survivre au fait que je suis là

Et que je suis déjà papa !

 

Il me confie qu’il en peut plus

Que de lui-même il est venu

 

Il peut pas dir’ qu’il est déçu

Mais il est grillé question cul

 

Mais que fait-il donc là tout seul

Il fait une drôle de gueule

 

On sent le mec qui n’en a plus

Pour longtemps à parler de cul

 

Je me jette à genoux tout nu

Car entretemps j’ai résolu

 

De me donner si c’est la France

Qui fout le camp en apparence

 

« Tirez la chasse je vous prie

Veillez à pas toucher au prix

 

Je ne veux plus payer pour ça

J’ai rencontré l’amour, papa ! »

 

Alors j’appuie ou bien je tire

Je ne sais plus dans mon délire

 

Si je suis chez moi ou ailleurs

En train de redonner mon cœur

 

Comm’ s’il ne s’était rien passé

Entre ma pomme et ces WC

 

Et l’eau en tromb’ s’ met à couler

Dedans la pissotière en grés

 

Ça fait des bull’ ça sent mauvais

Malheur je me pince le nez

 

Je vois plus rien et quand je vois

Je constate qu’il n’est plus là

 

Mais où est-il passé François ?

Pourquoi ce silence sans voix ?

 

Qui suis-je pour mériter ça ?

Je suis pourtant un bon papa

 

Depuis hier je ne tiens plus

Je suis rongé jusqu’au cucul

 

Je me flagelle en rigolant

Mais c’est du faux j’ai pas le cran

 

De me livrer à la police

Pour avouer qu’ je suis complice

 

De la disparition publique

Du Président d’ la République

 

Je me livre à toi, ô Justice !

Il se jette aux genoux de la Présidente.

La Présidente — Je ne reviens pas les mains vides ! Un voleur et un assassin ! Y a-t-il encore matière à représailles dans ces murs ?

Marette — Oh ! Misère de misère ! Moi qui fais tout, mais tout ! pour que rien n’arrive de mal à ma bonne petite ville qui me rapporte gloire et argent ! Je suis maudit ! Saint Hubert m’a refilé une maladie canine qui ne se soigne pas avec des médicaments connus ! Je vais devoir faire usage de ce qui est interdit ! Ouh ! Ouh ! Ouh !

Journaliste — Mais enfin, réfléchissons ! Que faisait François Hollande dans les WC de Mazères et depuis quand ? Et qui nous dit que ce… garde champêtre n’est pas un peu… vous voyez ? Rien ne dit en tous cas que le Président est dans les égouts de Mazères. Ce chien de garde n’apporte aucune preuve…

Bousquet — J’en ai des preuves, moi.

 

Laissez cet homme, il n’a rien fait.

Et lâchez cet enfant aussi.

 

Je suis le seul coupable.

Marette — Toi, mon amour de conseiller de droite !

Bousquet — Je ne serai plus un amour pour personne. J’ai d’abord trahi mon camp en tombant amoureux de François Hollande…

Marette — Mon Bousquet ! Un pédé ! Ah !

Bousquet — Il s’agit bien sûr d’une allégorie philosophique.

Marette — Et allez ! De l’intello maintenant !

 

Moi qui comprends mieux

Quand c’est pas codé

Au secours Dédé !

C’est pas les idées

Qui me font fair’ vieux !

 

Bousquet — J’ai voulu devenir socialiste.

Marette — Oh ! Le traitre ! Confisqués les oiseaux ! Et les petits employés pas chers ! Je te détruis pour l’éternité ! Ah ! J’enrage ! Un socialiste, mon petit Bousquet !

Bousquet — Nous avons fait ça dans les WC…

Garde — Les WC de Marette ? C’est fort !

La Présidente —

Au gosse :

Bouche-toi les oreilles, toi !

Marette — Mais dites-moi que je rêve parce que j’ai trop bu ! Il ne peut pas y avoir une autre raison ! Sinon j’y perds mon latin ! Moi qui suis d’origine franque !

Garde — Comme moi ! On est franquement con tous les deux et on a perdu le latin qu’on nous avait prêté pour qu’on n’en ait pas l’air !

Marette — Ça doit être ça ! Ouh ! Ouh ! Ouh !

Bousquet — C’est alors que François s’est coincé… il s’est coincé le… Je n’ai rien pu faire.

Marette — Bien fait ! Il était donc là depuis la veille ! Ce qui explique cette ridicule effigie qui n’a pas fait longtemps illusion. J’ai l’œil ! Au feu les socialistes et la maîtresse au milieu !

La Présidente — J’en embarque un de plus ! Ça fait trois. Suivez-moi. La Justice a du fil à retordre à vous donner. Allez hop ! Et que des mecs ! Ça va morfler !

La Présidente sort, précédée du garde, de Bousquet et du gosse.

 

Scène VI

Marette, le journaliste

Journaliste — Heureusement, il nous reste la statue. Je vais prendre une photo. Si monsieur le Maire veut bien s’en rapprocher.

Marette — Ça fait beaucoup de merde pour un seul homme…

Journaliste — Vous vous en tirez plutôt bien. Un gosse pour l’exemple à ne pas suivre quand on n’a pas l’âge de ne pas suivre les exemples. Un conseiller qui ne vous trahira plus. Et un employé municipal qu’on ne pouvait plus prendre au sérieux. À mon avis, ça mérite !

Marette — Dieu vous entende ! Mais j’ai encore des choses à faire…

Journaliste — … le… ruban…

Marette — Ce monsieur Des rubans qui me casse les pieds avec ses épigrammes ? Je lui tirerai un coup de fusil quand je serai à l’article de la mort. Je trouverai cette force. Mais pour l’instant, si vous le permettez, j’ai d’autres chats à fouetter.

Journaliste — Encore une photo et je vous laisse. Faites peur aux oiseaux pour qu’on ne voie que vous. Voilà !

Marette — C’est Tintin qui doit se marrer. Je m’attends à le voir surgir de la merde ou du trou des cabinets pour me rire au nez !

Journaliste — Vous n’avez pas vu mon vélo ?

Marette — Je ne vois plus rien depuis que ces maudits socialistes m’ont arrachés les yeux !

Journaliste — J’avais pourtant un vélo en arrivant…

La voix du gosse —

 

Ô merveilleux jardin !

Moïse et Jésus sont passés par là…

Pourquoi pas Mohammed ?

 

Le journaliste sort.

 

Scène VII

Marette

Il fait le tour de la statue.

Marette — Il doit être encore dedans. Je n’y connais rien en cadavre, mais je suppose que les gaz de putréfaction finiront par faire exploser cette trop fine carapace de plâtre. Combien de temps ai-je devant moi ? Je pourrais venir dans la nuit, retirer délicatement le corps de sa carapace et remonter celle-ci avec de la colle. J’irai enterrer le cadavre loin d’ici ou je le jetterai quelque part. Je n’ai plus le temps de me renseigner en regardant des séries américaines. Ah ! Ces oiseaux ! C’est la statue qui les a attirés. Juste pour le plaisir de chier dessus. J’espère qu’il est vraiment mort ! Il n’est pas rare que les morts se réveillent parce qu’ils n’étaient pas morts. Pourvu que je ne sois pas en train de vivre ce cauchemar ! Oiseaux de malheur ! Allez chier ailleurs ! Et voilà où j’en suis. A faire des plans comme un vulgaire entrepreneur de travaux finis ! Mes amis ne me trahiront pas. Mais que se passera-t-il quand la disparition de Dédé deviendra une évidence ? On me tombera sur le râble. Je ne résisterai pas longtemps si je ne me conditionne pas. Je n’ai plus le temps de réfléchir. Ce sera ce soir ou jamais ! Ils seront avec moi. Ceux qui savent pour la statue. D’ailleurs j’ai besoin d’un coup de main. Qui était là quand Dédé a eu cette idée stupide ? Il faut que je me concentre. Réfléchissons.

 

Scène VIII

Marette, la statue

La statue — Tu oublies ta promesse, Loulou…

Marette — Putain ! Qui a parlé ? Je perds la tête ou quoi ? On aurait dit… on aurait dit la voix de… de…

La statue — Je m’en vais ce soir, Loulou. Et je ne partirai pas sans toi. Va chercher une échelle que je descende de là. J’ai le vertige !

Marette — Tu… vous n’êtes pas mort ? Vous avez tenu le coup ? Putain ! À votre âge, il faut le faire ! Je cours chercher une échelle. On est sauvé !

La statue — Tu ne crois pas si mal dire !

Marette revient avec une échelle.

Marette — Finalement, à part la disparition… explicable de François, il n’est rien arrivé. On va vous la faire faire, cette statue. Et en marbre ! Descendez que je vous débarrasse !

La statue — Tu me donneras un coup de main. Monte jusqu’à moi.

Marette monte.

Marette — Vous devez peser lourd avec tout ce barda !

La statue — Je ne sens plus rien.

Marette — Oh ! Je comprends. Donnez-moi la main. Là. Doucement. On y est presque. Vous devez pas voir grand-chose. Je vais vous débarrasser les yeux.

La statue — Non, non. Inutile. Je vois très bien. D’ailleurs les morts ne voient pas à proprement parler.

Marette — La plaisanterie est bonne, mais là, j’ai rien bu, alors je frisonne.

La statue — Tu as froid quand il fait chaud !

La statue se met à rire. Un rire infernal. Marette s’immobilise sur l’échelle, tenant la main de la statue.

Marette — Vous êtes mort, hé ?

Rire de la statue.

Je m’en doutais un peu. Je me disais que c’était pas possible. Et on va où tous les deux ?

La statue — Au même endroit.

Marette — Nous y serons mal, je suppose.

La statue — Tu es bien renseigné.

Marette — Je lis pas beaucoup, mais ça me laisse des traces.

Rire de la statue.

Marette — Eh ! Bé ! Puisque ça sert à rien que vous descendiez et que vous êtes aussi bien mort là-haut que plus bas, essayez voir ce que ça donne en bas !

Il pousse la statue qui s’écrase et explose. Le cadavre de Trigano apparaît. Le gosse entre.

 

Scène IX

Marette, le gosse

Gosse — Je t’ai vu ! Tu l’as tué !

Marette — Il était déjà mort !

Tout le monde entre.

 

Scène X

Tous

Tous — Vous l’avez tué ! Vous avez tué notre vache à lait !

Marette — Mais pas du tout ! C’est sa faute après tout ! C’était son idée ! Il en est mort, j’y suis pour rien ! Et j’étais pas le seul au courant. Je peux parler si je veux !

Tous — Nous parlerons nous aussi.

Marette — Salauds ! Salauds ! Vous êtes tous des salauds !

Gosse — Et toi tu es un bon à rien !

(rideau)

 

 

ACTE VI

Devant la mairie de Mazères. Côté jardin, la mairie. Côté cour, les WC municipaux. Sur la porte des WC, un écriteau indique « Le musée est transporté dehors — Arrêté municipal du [illisible] ». Au-dessus, en lettres d’or, « Musée de la Mémoire ». Au milieu du gazon, une cuvette de WC blanche. Des oiseaux attendent.

 

Scène première

Oiseaux

Les oiseaux —

Ah ! Ce qu’ont est amélioré

Du haut du ciel redescendu

Quand d’un domaine on est sujet

Des questions posées par le cul.

Sous la coupe des employés

Municipaux et des factions

Nous payons pas cher le loyer

Mais on se pose des questions.

 

À Mazèr’ ya un musée

Et dans le musée d’ Mazères

Ya du bon et du mauvais

Pour tous les goûts on espère

Du mauvais c’est pas pour vous

Et du bon c’est pas pour nous !

 

Où sont passées les bonnes gens

Les habitants de ce pays

Qui il n’y a pas si longtemps

Savaient fouiller dans le fouillis ?

Que sont devenus les outils

De la pensée de tous les jours ?

On ne craint pas trop les fusils

Mais on s’interroge toujours.

 

À Mazèr’ ya un musée

Et dans le musée d’ Mazères

Ya du bon et du mauvais

Pour tous les goûts on espère

Du mauvais c’est pas pour vous

Et du bon c’est pas pour nous !

 

On est arrivé par le haut

Et vu d’en bas c’est plutôt moche.

Bien sûr on a rien dans les poches

Mais du pognon, pas trop n’en faut.

On peut pas dir’ qu’on tombe à pic

Mais dans le vif on est gros-jean.

La mémoire a ses bancs publics

Et pourtant devant c’est du flan !

 

À Mazèr’ ya un musée

Et dans le musée d’ Mazères

Ya du bon et du mauvais

Pour tous les goûts on espère

Du mauvais c’est pas pour vous

Et du bon c’est pas pour nous !

 

On a pris l’ drapeau pour un drap,

En sympathie le monument.

Les signes de bravoure en tas

Avaient plutôt l’air engageant.

Sur la table il y avait des verres

Et dans les verr’ des arguties.

On est bête quand on espère

Qu’on est les invités aussi.

 

À Mazèr’ ya un musée

Et dans le musée d’ Mazères

Ya du bon et du mauvais

Pour tous les goûts on espère

Du mauvais c’est pas pour vous

Et du bon c’est pas pour nous !

 

Mais ici-bas on fait l’objet

Plutôt de la curiosité.

Entre deux verr’ la place en fait

N’est pas conçue pour héberger.

On est là pour fair’ travailler.

On travaill’ pas mais on suscite.

On nous donne même à manger

Ce qui expliqu’ les déficits.

 

À Mazèr’ ya un musée

Et dans le musée d’ Mazères

Ya du bon et du mauvais

Pour tous les goûts on espère

Du mauvais c’est pas pour vous

Et du bon c’est pas pour nous !

 

Du coup on se demand’ pourquoi

Ici on fait ses besoins sans

Se préoccuper de l’endroit

Où finit le trop plein d’enfants !

Bâtir des musées en faïence

Pour enfermer la République

Ça ne paraît pas bien laïque

Mais à Mazèr’ on est en France !

 

À Mazèr’ ya un musée

Et dans le musée d’ Mazères

Ya du bon et du mauvais

Pour tous les goûts on espère

Le mauvais c’est fait par vous

Et le bon c’est du burnous !

 

Entre le garde qui fait fuir les oiseaux.

 

Scène II

Le garde

Le garde —

Il s’assoit sur le WC et ouvre la Dépêche.

Des nouvelles, j’en aurais !

 

Des nouvell’ j’en aurais !

Yen a plein dans ce pays idoine

Du papier c’est donné

Et torché dans le style de l’âne

Mais pas l’âne à l’école !

C’est du foin mais c’est pas pour les drôles !

La Patrie renaîtra

Des nouvelles j’en aurai et des tas !

Ra ta ta plan !

 

Non mais ! Me demander de m’empêcher de faire ce que me commande mon orgasme ! Euh ! Mon organisme ! Ils me font dire n’importe quoi ! Mais je ne suis pas pressé d’avoir raison. Allez, pousse !

On entend un plouf ! Les oiseaux se rassemblent sur le toit du musée.

« Un pneu traverse la place du village sans faire de victime. » Et on ne sait pas qui est l’auteur de ce méfait. On ne le saura jamais. Je ne suis pas doué pour retrouver le fil d’une histoire quand elle a commencé sans moi. « Un ours signe son acte. » Un ours savant, comme nous en possédons en Ariège grâce à l’effet imprévu du contact entre un chasseur et un écologiste. Il se passe toujours quelque chose entre la bêtise et le bon sens. Chez nous, c’est l’ours qui en témoigne. « On a retrouvé la piste. » Quelle piste ? Ah ! Si pour le savoir il faut me forcer à lire ce qui est en dessous du titre, on ne m’aura pas ! Je ne lis plus depuis l’école. Et encore, je ne lisais pas tout. Le professeur, qui avait l’esprit gauche et l’air de se nourrir à droite, nous incitait sournoisement à lire entre les lignes. Comme s’il y avait de quoi lire à cet endroit-là ! La Gauche se fout de nous ! « Ne lisez pas les lignes. Lisez entre ! » Et bien sûr, têtu comme je suis, je ne lisais rien, ni entre ni ailleurs. « André Trigano se remet de sa chute. » Eh ! C’est qu’il est tombé de haut. Marette a fait ôter le piédestal. Ceux qui étaient là lors de la première représentation savent de quoi je parle. Sinon, recommencez ! Heureusement qu’il ne s’est pas tué ! Ils auraient foutu le Marette en prison, lui qui ne supporte pas de fréquenter les hommes. On se demande bien ce qu’ils lui ont fait. Il est comme certaines femmes qui ont connu le don de leur personne, mais sans donner. Ça laisse des traces. « Ce n’était qu’un rideau. » Quel titre énigmatique ! Et qu’est-ce que c’était… avant qu’on sache que c’était un rideau ? Si vous lisez l’article, vous le saurez. Et ça vous rapportera quoi de le savoir ? Tandis que moi, comme j’ai du temps et pas beaucoup d’argent, j’i-ma-gi-ne ! Je m’assois sur le musée et j’imagine. Je m’aide un peu de la Dépêche, je l’avoue. Mais je ne triche pas. Vous pouvez vérifier vous-même : je-ne-lis-pas ! Je me renseigne ! Oh ! Putain !

Il se lève cul nu et s’enfuit avec le papier. Entrent Marette, Trigano et la Présidente.

 

Scène III

Marette, Trigano et la Présidente

La Présidente — Vous n’avez pas besoin de me promettre une récompense s’il est évident que vous me la devez ! À votre âge, vous devriez savoir que la magistrature se nourrit de demi-mots.

Marette — Eh ! Deux demi-mots, ça fait un mot…

Trigano — Mais au total, ça fait deux fois plus de mots ! Bonjour le bilan !

La Présidente — C’est ainsi, je n’y peux rien, et d’ailleurs je ne veux rien y pouvoir puisque cette situation me convient parfaitement. C’est pour ça que je suis devenue magistrate et c’est aussi pour ça que j’ai réussi à avoir une médaille avant les autres…

Trigano — Vous avez LA médaille parce que j’ai travaillé pour que vous l’ayez !

Marette — Ah ! Bon. C’est travailler ça aussi ? J’en apprends ! J’en apprends !

Trigano — Et comment tu crois que tu l’as eue, toi ?

Marette — Je m’insurge !

Trigano — À droite, triple idiot, on ne s’insurge pas : on est déjà insurgé !

Marette — Il faudrait que vous m’expliquiez encore parce que j’ai compris ! Si je n’avais pas compris, je comprendrais que vous n’expliquez pas. Mais comme j’ai compris, vous faites l’économie d’une explication, ce qui est bon pour le budget !

La Présidente —

Toisant Marette et s’adressant à Trigano :

Il faudra que vous m’expliquiez aussi… Alors je disais…

Marette —

Continuant :

Nous sommes ainsi faits : on nous explique des choses qu’on a comprises. Et on ne nous explique pas ce qu’on n’a pas compris ! Sinon où irait le monde ?

La Présidente — On se demande…

À Trigano :

Dites… Est-il au moins conscient de ce qu’il me doit ?

Trigano — Conscient, je le suis pour lui. Ne vous inquiétez pas…

Marette —

Regardant dans le WC :

Quelqu’un a chié dedans !

La Présidente — Sans votre autorisation !

Marette — Mais je n’autorise jamais qu’on chie dans mon musée avec ou sans mon autorisation !

Trigano — Comme je l’ai payé de mes propres deniers, je pourrais, mais qu’en penseraient les gens ? Je ne veux pas être jugé sur ce genre de critère !

Marette — C’est frais et chaud !

La Présidente — Faudrait savoir !

Tous —

C’est frais et chaud, faudrait savoir

Si c’est du lard ou du cochon

Mais nous les larbins on a l’art

De vous fair’ passer pour des cons !

 

Un musée sans WC c’est sé

C’est sérieux mais ça n’a pas d’ sens.

Un WC sans merde dedans

C’est bien le sens qu’on veut donner

À nos travaux qu’on les mérite,

Qu’on a beaucoup peiné en sus.

Veuillez asseoir votre dessus

Dans ce dedans où on habite.

 

C’est frais et chaud, faudrait savoir

Si c’est du lard ou du cochon

Mais nous les larbins on a l’art

De vous fair’ passer pour des cons !

 

C’est ici qu’il faut s’arrêter

Quand de l’esprit on se soucie.

Nous avons prévu la magie

En même temps qu’ les à-côtés

Du savoir donné et repris

Comme le veut la République.

Veuillez poser votre supplique

Sur ce couvercle sans parti !

 

C’est frais et chaud, faudrait savoir

Si c’est du lard ou du cochon

Mais nous les larbins on a l’art

De vous fair’ passer pour des cons !

 

Entrer dedans ce n’est pas dur,

On a des relations physiques

Avec les lois de la nature

Et les associations laïques.

En un tour de main on rapplique,

On vous fait faire un tour de piste

Et comme on est démocratique

On s’en prend aux abstentionnistes !

 

C’est frais et chaud, faudrait savoir

Si c’est du lard ou du cochon

Mais nous les larbins on a l’art

De vous fair’ passer pour des cons !

 

N’hésitez pas à demander

De quoi manger et le programme.

Ici c’est fait pour apprécier

De nos colons les pictogrammes.

Vous apprendrez à vous conduire

En serviteur de la Nation

Et suivre nos nobles façons

De tous ensembl’ nous reproduire.

 

C’est frais et chaud, faudrait savoir

Si c’est du lard ou du cochon

Mais nous les larbins on a l’art

De vous fair’ passer pour des cons !

 

Voyez comme c’est peu profond.

On sent qu’on peut y arriver.

On ne peut plus douter que c’est

Écrit dans la Constitution.

En sortant n’oubliez pas de

— Et surtout sans vous retourner

De jeter un sou entre deux

Souhaits qu’on vous souhaite désormais.

 

C’est frais et chaud, faudrait savoir

Si c’est du lard ou du cochon

Mais nous les larbins on a l’art

De vous fair’ passer pour des cons !

 

Nous attendrons votre retour

Dans ces dispositions louables.

Et en passant chez vous à table

N’oubliez pas sur le pourtour

Nos traces et nos coups de fourchette,

La propreté de notre foie,

Les verr’ en dur de Louis Marette

Et de Dédé les passe-droits.

 

C’est frais et chaud, faudrait savoir

Si c’est du lard ou du cochon

Mais nous les larbins on a l’art

De vous fair’ passer pour des cons !

 

Marette — On a beau dire, mais la merde d’étranger…

Trigano — De touriste…

Marette — La merde de touriste n’a pas la saveur de notre propre merde…

La Présidente — Vous voulez dire…

Trigano — Que cette merde est locale !

Marette — Je n’en serais pas surpris !

Il plonge sa main dans le WC et la renifle.

Cette odeur de revendication est la nôtre.

La Présidente — Vous voulez dire… une odeur de Gauche…

Trigano — … qui ne s’ignore pas…

Marette — … et trahi nos convictions de Droite !

La Présidente — Ça devient grave ! Si on ne peut plus compter sur ses propres subalternes !

Marette — Ce ne sera pas la première fois qu’un subalterne me fait caca dedans !

La Présidente — J’ai des moyens pour savoir de qui il s’agit…

Marette — Vous avez déjà beaucoup donné…

La Présidente — Et je donnerai encore chaque fois que ça promet !

Trigano —

Peureux :

Si ça ne vous dérange pas…

 

Si ça ne vous dérange pas,

Je vais me mettre à part et mo

M’occuper de mes aléas

En me souciant aussi de vos

De vos défauts de la cuirasse

Et de ce qu’on ne peut pas trop

Se murmurer dans cet espace

Car à trois yen a un de trop !

 

Trigano ci, Trigano là,

Je suis bon bec mais de Paris.

On peut me voir ailleurs aussi

D’ailleurs j’y suis et j’y suis pas !

 

Admettez que je suis en trop,

Qu’à deux vous allez apporter

Un’ solution en porte-à-faux

Digne de votre honnêteté.

De la mienne il n’est pas question.

Aussi en tout bien tout honneur,

Je passe la main sur l’action

À venir et c’est de tout cœur !

 

Trigano ci, Trigano là,

Je suis bon bec mais de Paris.

On peut me voir ailleurs aussi

D’ailleurs j’y suis et j’y suis pas !

 

Et comme je suis bon joueur,

Que le temps est aux solutions,

Je vous laisse aussi ma passion

Pour les choses venant du cœur.

Vous saurez en faire un usage

Selon ce qui arrive ou pas.

Des leçons je n’en donne pas

Surtout quand je suis en voyage !

 

Trigano ci, Trigano là,

Je suis bon bec mais de Paris.

On peut me voir ailleurs aussi

D’ailleurs j’y suis et j’y suis pas !

 

Té ! Justement le TGV

Vient de s’arrêter au Vernet.

Il n’attend pas, je suis pressé

Moi aussi de me retrouver

En confortable compagnie

Pour y penser et profiter

De ce qui me fait trop envie

Pour me risquer à comploter !

 

Trigano ci, Trigano là,

Je suis bon bec mais de Paris.

On peut me voir ailleurs aussi

D’ailleurs j’y suis et j’y suis pas !

 

Le risque n’est pas grand je sais

Quand on sait que — et c’est en bien !

La Loi est de notre côté.

J’ai de quoi avoir les moyens !

Allons enfants de la Patrie,

La Gloire n’est pas un vain mot.

Ne vous faites pas de souci :

Je reviendrai bien assez tôt !

 

Trigano ci, Trigano là,

Je suis bon bec mais de Paris.

On peut me voir ailleurs aussi

D’ailleurs j’y suis et j’y suis pas !

Il sort.

 

Scène IV

Marette et la Présidente

Marette —

Les mains pleines de merde :

Nous voilà seuls, vous et moi… Une fois de plus. Vous dites que vous pourriez m’aider à trouver le coupable de cette… cette…

La Présidente — Il y a quelque chose qui brille dedans !

Marette — Oh ! Une pièce de monnaie !

La Présidente — C’est une mule qui lui a pété dans le bide ! Je connais le système ! Bien fait pour lui, mais les pièces de monnaie ne représentent aucun danger pour l’humanité. Ah ! Si ça avait été de la drogue. De la drogue dure ! Bien dure ! Ah !

Marette — À mon avis, il a chié dessus sans se rendre compte.

Montrant :

Normalement, le touriste se retourne et jette la pièce par-dessus son épaule, geste pas si simple qu’on enseigne au camping pour que la pièce ne tombe pas à côté, car une ancienne tradition chinoise dit que ça porte malheur…

La Présidente — Que vient faire ce Chinois ici ?

Marette — Une fois la pièce lancée et si vous vous êtes à jour de votre dette envers la municipalité qui vous héberge, elle tombe là-dedans. C’est un modèle chinois dans le grand style de ceux qu’utilisaient nos ancêtres avant de connaître les avantages de la liberté d’expression…

La Présidente — Que vient faire ce Chinois ici ?

Marette — Une fois que vous avez constaté que la pièce est dedans et pas dehors, vous tirez la chasse et la pièce, par un dispositif lui aussi inspiré de la tradition chinoise…

La Présidente — Que vient faire ce Chinois ici ?

Marette — Ainsi, votre pièce… est à l’abri des rôdeurs malveillants qui n’ont qu’une idée en tête : vous la chiper ! Pas bêtes ces Chinois, hé !

La Présidente — Mais que vient faire ce Chinois ici ?

Marette — Je vous le demande… ?

Entre un Chinois.

 

Scène V

Marette, la Présidente et le Chinois

Chinois —

Accent du Midi :

On est toujours étonné de me voir… Mais va falloir s’y habituer. Je suis un Mazérien comme les autres. J’ai mes papiers.

La Présidente — Boudi ! J’en avais jamais vu ! Ils sont tous dans la faïence… utilitaire ?

Chinois — Je suis aussi un artiste !

Marette — Et il a ses papiers. J’ai vérifié. On les a passés au peigne fin. Pas un poux. Rien que des traces de shampoing.

Chinois — Importé de Chine.

La Présidente — Comme c’est compliqué comme histoire ! Avant, j’avais l’air intelligente. Maintenant, à force que c’est compliqué, je le suis moins. Je vais devenir chèvre si ça continue.

Marette — Revenons à nos moutons…

Chinois —

Voyant les oiseaux :

En Chine, on appelle ça des oiseaux. Mais on n’est pas compliqué. On ne veut pas vous tourner en bourrique…

La Présidente — J’ai dit « chèvre » !

Marette — Ce monsieur est un Chinois bien utile et pas seulement parce qu’il a des papiers…

Chinois — … de Gauche…

Marette — Il s’y connaît aussi en faïence.

Chinois — Je ne connais que ça ! Et j’en vis ! Ça a l’air con, mais ça marche. Ça marche pas à Paris, hé ! Me faites pas dire ce que j’ai pas dit ! J’en viens. Et je jure que c’est pas Dédé qui m’envoie. Je le connais pas.

Marette — Il est pas cher et il connaît son affaire…

Chinois — Alors comme Mazères avait besoin d’un musée et que Dédé a mis la main à la poche, j’ai construit ce musée en faïence véritable que vous voyez là avec son environnement de papier qui sent bon et de petits balais en forme de brosse à dents.

Marette — Mais c’est moi qui aie eu l’idée ! J’ai même fait les plans.

Chinois — Enfin… sur catalogue…

Marette — J’ai fait les plans sur catalogue comme j’ai fait toute ma vie à la SNCF : en le faisant ! Avec l’appréciation positive de mes supérieurs et en buvant un coup avec mes subalternes !

Chinois — Un coup négatif… suppression des contenus… Bien… Sans catalogue, il est foutu.

Marette — Pas si foutu que ça ! Il m’arrive de faire sans catalogue, mais je dirai pas quoi parce qu’on sait jamais ce que vous en penseriez…

La Présidente — Je veux bien penser sans catalogue moi aussi ! Ça n’arrive pas tous les jours !

Chinois — Vous pensez ! Pour foutre les gens dans la merde ou les en sortir, il faut un catalogue. C’est justement pour ça que nous en avons un…

La Présidente — Nous… ?

Marette — Monsieur dirige une entreprise, comme Dédé…

Chinois — Mais j’en ai pas hérité ! Je me suis fait tout seul.

La Présidente — On se doute qu’il en faut, du chemin, pour en arriver là en partant de rien !

Marette — C’est un beau musée. Ça fait chinois, je trouve, moi. Je sais pas… Peut-être la couleur. Ou le siège un peu… bridé. Vous trouvez pas, vous qui êtes neutre ?

La Présidente — J’ai envie d’y jeter ma pièce, mais j’ai pas fait le stage…

Marette — Oh ! Vous pouvez tricher un peu, allez ! Personne vous regarde. Jetez-en une en direct !

La Présidente — En direct du droit ou du gauche ? C’est la question que je me pose chaque fois qu’on me demande mon avis sur les jugements de la Presse.

Marette — Vous avez une pièce ?

La Présidente — J’en ai une et même plus si je rate.

Marette — Vous n’êtes pas venue par hasard ?

La Présidente — Et non ! Je l’avoue. Mais je suis bien intentionnée. Jamais de préméditation. Rien que des bonnes intentions. Ça fait la différence...

Chinois — Entre celui qui a droit à la différence et celui qui n’a l’air de rien…

Marette — Allez ! Jetez-en une !

La Présidente — Une grosse ?

Chinois — C’est une faïence élaborée avec la meilleure terre. Si vous en avez une grosse, n’hésitez pas. Elle sera jamais assez grosse pour provoquer une mise en examen.

Marette — Vous pouvez vous asseoir dessus. C’est fait pour. Dans votre situation, la pièce se jette entre les genoux. Comme ça, vous êtes sûre de pas vous chier… euh… de pas rater le trou.

La Présidente —

S’asseyant :

C’est un peu froid.

Chinois — J’avais recommandé le modèle avec chauffage incorporé, mais comme monsieur le Maire n’a pas froid aux yeux…

Marette — Une fois passée cette petite sensation désagréable, vous pouvez vous détendre l’anus… euh... la tête et commencer à viser. Vous avez la pièce ?

La Présidente — Je pense qu’à ça !

Marette — Écartez !

La Présidente — Je fais pas ça tous les jours, hé !

Au Chinois :

N’allez pas croire…

Chinois — Oh ! Mais je crois rien. Chez nous aussi on a des magistrats. Et ils vous ressemblent. Alors je suis pas surpris. Vous écartez bien, dites donc !

La Présidente — J’écarte quand il faut. Je me laisse pas faire, mais j’écarte. On ne m’a jamais adressé aucun reproche sur ce sujet. Je crois même, si je suis bien renseignée…

Marette — … et vous l’êtes, Madame, vous l’êtes. Et de bonne source…

La Présidente — Je devrais… je le mets au conditionnel, hé ? parce que je suis pas sûre… je devrais ma médaille à mes dispositions pour l’écartement…

Chinois — Comme en Chine ! Plus vous écartez et plus on vous médaille !

La Présidente — Que si je m’étais pas écartée au bon moment, je l’aurais pas eue, ma médaille ! Et c’est un autre qui aurait eu ce plaisir… Et je sais qui !

Chinois — Ça arrive de tomber sur des osses qui écartent mieux que nous. Mais enfin, c’est rare qu’on cherche pas à écarter encore plus devant la provocation collégiale.

Marette — Vous y êtes ! Vous avez entendu la pièce toucher le fond ?

La Présidente — J’ai rien entendu ! C’est raté alors ? Ça porte malheur ?

Marette — Jetez-en une autre pendant qu’il est encore temps !

La Présidente — Ça va me faire cher !

Chinois — On peut pas la jeter à votre place. Mais si vous n’y arrivez pas…

La Présidente — J’y arrive ! Mais c’est cher à la fin !

Chinois — Oh ! Ça ne finit jamais. Monsieur le Maire a exigé le modèle qui ne finit jamais ce qui est commencé, surtout quand on s’y prend mal…

Marette — À mon âge…

La Présidente —

Jette la pièce :

Je crois que j’ai entendu un plouf…

Marette — Il faut en être sûr. Si vous le permettez, je vais jeter un œil…

La Présidente —

Fermant la robe :

Oh ! Mais c’est que c’est… Je ne sais pas si….

Marette — Mais je ferme les yeux ! Vous me connaissez !

La Présidente — Dans ce cas, je vous permets de mettre la main là…

Marette — Non ! La tête ! C’est la tête que je mets, sinon j’y prends pas plaisir.

Chinois — Vous le connaissez ! Il a une bonne tête, le Marette !

La Présidente — Enfin… si c’est comme ça qu’on fait… J’ai jamais procédé à ce genre de rite. Et pourtant je m’y connais en rites. Mais c’est la première fois que je n’entends pas le bruit que fait la pièce en touchant le fond…

Chinois — Ça dépend sur quoi elle tombe…

La Présidente — Mais je n’ai rien fait avant de la jeter ! Pas sans votre permission !

Marette —

Plongeant la tête entre les cuisses :

Eh ! Je vois ! Ah ! C’est un beau musée. Il y a de la matière.

 

Ah ! C’est un beau musée

Il y a de la matière

Je vais m’y attarder

Prendre le temps de faire

Ce que je fais des fois

Si on me laisse faire

Et si j’ai pas le droit

Je prendrai de travers.

 

Ah ! Ah ! Dans les vitrines

Je suis comme à l’usine.

 

Ne bougez pas d’un poil

C’est moi qui met à plat

Sur ce ma bonne étoile

Marie-couche-toi-là

Envoie à pleines mains

Dans le septième ciel

Des codes sibyllins

Au sapin de Noël

 

Ah ! Ah ! Dans les latrines

Du yang je suis le yin.

 

Je ne suis pas pressé

Et vous pouvez attendre

L’amour en vérité

Toujours se laisse prendre

Aux filets du plaisir

Et des aveux en chaîne

Mesurons le désir

À l’aune de nos chiennes

 

Ah ! Ah ! Je suis en ruine

J’ai perdu la combine.

 

Tiens ! C’est curieux j’y pense

Demain j’ai rendez-vous

Avec la Présidence

Et ses petits cailloux

Poucet je l’ai poussée

En dehors des coutures

Mais ce qui s’est passé

Appartient au futur

 

Ah ! Ah ! Quand je turbine

J’en prends dans les babines.

 

Ne me demandez pas

Si j’ai encor’ des sous

Après un tel repas

Je suis sur les genoux

Je vais manquer de jus

Si vous criez trop fort

Les voisins ne sont plus

Du grain la métaphore

 

Ah ! Ah ! On me mâtine

Dans le cri je raffine.

 

Avant que ça finisse

Il faut que je vous dise

Que je vous ai comprise

Vous êtes ma complice

Bien sûr je suis pas sûr

Qu’ ça plaise à la justice

Mais je suis pas si dur

Qu’on vous croit au supplice

 

Ah ! Ah ! J’ai une épine

Je mourrai dans la ruine.

 

La Présidente — Qu’est-ce que vous chantez bien ! J’en ai même entendu la pièce toucher le fond qui était… dur !

Marette — Moi qui le croyais mou ! J’ai de la chance, elle est miraude !

 

J’ai de la chance elle est miraude

Et dans sa rue je passe en fraude

 

Nous étions à deux doigts dessus

Et pourtant on ne m’a pas vu !

 

Je suis verni comme un sabot

J’ai la peinture dans la peau

 

Je file en douce et chez l’Anglaise

Dans mon calice ya pas de mousse

 

Voyez comme le temps est bon

Si on a compris la leçon

 

Elle a le puits sans fond sans fond

Dans son giron je suis marron

 

Si Monsieur le Chinois veut bien se donner la peine, nous allons procéder à la fermeture du musée.

Chinois — Si Madame veut bien soulever son popotin, je vais donner un coup de balai.

La Présidente — Puisque j’ai de la chance, et que ça me rend toute chose, je vous permets de vous abriter dessous ma robe.

Marette — On n’a pas fait de grosses conneries, mais on sait jamais… quand Dédé n’est pas là.

 

Quand Dédé n’est pas là

Et qu’il faut qu’il soit là

Je me fais d’encre un sang

Comm’ c’est embarrassant !

Pour payer les factures

C’est pas dans ma nature

Je copie sur les en

Les enfants de mes ans

Je suis seul quand il n’est

Pas là pour animer

Les grands et les petits

J’aim’ pas qu’il soit parti

Mais Dédé il est loin

Et ya pas un voisin

Pour signer à sa place

Et leur faire la classe

Alors je perds le fil

Je me barre en péril

J’ai sommeil et je nuis

À mes rêv’ de pipi

Le chemin est bien long

Du mérite au bâton

C’est pas un virtuose

Qui va changer les choses

J’ crois plutôt au facile

À la croix au persil

Au drapeau à la mort

Je crois qu’ j’y crois encore

 

Je me demande bien qui a chié dans mon musée !

La Présidente — Vous ne pouvez pas vous empêcher de vous le demander. Comme je vous comprends ! Mais on a son ADN ! On va savoir qui c’est !

Marette —

Si Dédé était là

Pour écouter tout ça !

Mais Dédé n’est pas là

Ça me fait du tracas.

La Gauche est en progrès

Et dans mon beau musée

Fait caca sans prév’nir

En plein mon devenir

Elle a trouvé ici

Un complice un sosie

Dans la merde ell’ me met

Je la sens à plein nez

La Justic’ veut m’aider

C’est une bonne idée

Et pour ce geste ami

J’en vais soigner le pli

Car ce n’est pas ici

Où je suis né quiqui

Qu’on va me posséder

Me quitter mes idées

J’ai des oiseaux en masse

Des airs de Fantomas

Jamais on ne m’aura

Moi aussi j’ai mes rats

Et je vais m’en servir

Pour fair’ la nique au pire

Et au mieux me donner

Parc’ que je suis bien né

Si Dédé ne veut plus

Repasser mon tutu

Je dans’rai en solo

Sur le corps des zéros

 

La Présidente — Et je vais vous aider ! Ah ! J’y tiens ! Tiens ! Tout de suite ! Donnez-moi un peu de cette merde. On va l’analyser !

Marette — Mais j’y ai mis les doigts !

La Présidente — Ah ! Ouille ! On n’est pas dans une série américaine. Vos doigts, ils n’y verront que du feu, car je vais y mettre les miens aussi !

Marette —

Ah ! Nos doigts dans l’ caca

Dédé il aim’ra ça !

 

La Présidente — Mais j’aime ça moi aussi ! Regardez comme je suis douée ! Oh ! J’ai touché quelque chose de dur ! Est-ce ce à quoi je pense ?

Marette — Pas du tout !

 

C’est encore une pièce

Le bonheur à la fesse !

 

La Présidente — Qu’en pense notre ami Chinois qui me regarde comme s’il ne m’avait jamais vue alors que j’étais dans tous les journaux quand j’ai reçu ma médaille des mains propres de ma fille ?

Chinois — Le coupable doit être désigné. Il n’y a pas de raison de laisser courir un coupable.

Marette — Je suis sûr que c’est un récidiviste !

 

J’aime les mains d’une femme dans la merdouille !

Ces pièces, Madame, ce sont mes pauvres couilles !

 

La Présidente — Mais pourquoi pauvres ? Je les trouve riches au contraire !

Marette — C’est que vous n’y connaissez rien en couilles, Madame, si je puis me permettre cette critique…

La Présidente — C’est parce que ce ne sont pas des couilles ! Si c’était des couilles, je m’y connaîtrais.

Chinois — Mais ce sont des pièces ! Et nous venons, mine de rien, de trouver le moyen de capter cette fortune considérable !

Marette — Une fortune ?

Chinois — Les pièces, monsieur le Maire ! Une fortune ! Nous pourrons quitter Mazères pour aller loger dans un endroit plus serein !

Marette — Mettre la main dans la merde pour amasser une fortune, sans Dédé, je ne pourrais jamais. Je suis de la SNCF, moi !

La Présidente — Je suis bien de la Justice, moi ! Et je comprends très bien ce que veut dire monsieur le Chinois ? Mais que vient faire ce Chinois ici ?

Marette — Il est là parce que vous l’avez inventé, Madame. Sinon, il ne ferait pas des plans pour piquer le trésor du musée de Mazères qui consiste, je le rappelle, en ces milliers, ces millions de pièces que les touristes jettent dedans par une superstition que nous encourageons au moyen d’un stage de formation subventionné par l’État…

La Présidente — … en toute Justice !

Marette — À qui on demande d’en juger ! Oh ! Merde !

Chinois — Je n’étais qu’un personnage accessoire né du dialogue entre deux comploteurs de Droite qui méditent de voler un trésor qui n’appartient encore à personne et que personne ne possèdera à leur place !

Il disparaît.

 

Scène VI

Marette et la Présidente

Marette — Il faut être sûr de notre fait…

La Présidente — Mais cette merde ! Toute cette merde !

Marette — Il doit bien y avoir un moyen… Il y a toujours un moyen…

La Présidente — Je suis bien renseignée… Il y en a, mais je n’en connais pas de sûr et de parfait. Je suis magistrate, moi ! Tout ce que je sais du crime, je ne l’ai pas inventé et ça ne marche jamais ! Pauvres de nous ! Les amants de Mazères ! Nous avons pourtant passé l’âge de mourir jeunes !

Marette — Ah ! Oublions cette merde de Gauche ! S’il n’avait pas chié dedans notre musée, nous n’y aurions pas mis les mains !

La Présidente — Et nous n’aurions rien trouvé !

Marette — Non ! Madame ! Nous n’aurions pas mis les mains dans la merde ! Maudit gauchiste !

Marette s’assoit sur le WC et la Présidente sur ses genoux. Les oiseaux redescendent.

 

Scène VII

Les mêmes, les oiseaux

Oiseaux —

Nous sommes là pour ralentir

Une action par trop rapide

Et par souci d’être limpides

Nous intervenons sans plaisir

Au beau milieu de l’action

Qui du coup s’en trouve éclairée

— D’ la comédie en vérité

Nous sommes la partition

 

Faut avoir le nez en l’air

Et les yeux partout ailleurs

Si on veut vivre sur terre

Et profiter du bonheur

Avec des ail’ c’est facile

Et un bec c’est bien utile

 

Pour fair’ cuicui on peut compter

Sur nos becs et sur nos bruits d’ailes

Nous sommes nés pour actionner

Des comédiens la ribambelle

Jamais nous ne manquons d’asseoir

Le sujet sur des bases saines

Pour la conclusion il faut voir

Comme on a la tête bien pleine

 

Faut avoir le nez en l’air

Et les yeux partout ailleurs

Si on veut vivre sur terre

Et profiter du bonheur

Avec des ail’ c’est facile

Et un bec c’est bien utile

 

Ne tirez pas sur les oiseaux

Avant d’avoir compris le sens

Impératif de cett’ présence

Sur ces hauts et fameux tréteaux

Voyez d’abord si en-dessous

Des chos’ et des idées en cours

Il n’y aurait pas de l’amour

Et un plaisir qui tient debout

 

Faut avoir le nez en l’air

Et les yeux partout ailleurs

Si on veut vivre sur terre

Et profiter du bonheur

Avec des ail’ c’est facile

Et un bec c’est bien utile

 

Avec le temps on apprend tout

À voler si c’est le sujet

On se déplac’ les yeux fermés

Et sur le fil on l’air fou

L’air de ne pas y penser plus

Que l’exige notre équilibre

On y peut rien c’est dans la fibre

Si c’est des oiseaux que l’on tue

 

Faut avoir le nez en l’air

Et les yeux partout ailleurs

Si on veut vivre sur terre

Et profiter du bonheur

Avec des ail’ c’est facile

Et un bec c’est bien utile

 

Mais quand on est un oiseau rare

Et qu’on descend à tire-d’aile

Sans ménager le matériel

Qui pourtant craint le désespoir

Il arriv’ qu’on se prenne au jeu

Pour un autre oiseau de passage

Et tout s’éteint parc’ qu’on a l’âge

De ne plus pouvoir faire mieux

 

Faut avoir le nez en l’air

Et les yeux partout ailleurs

Si on veut vivre sur terre

Et profiter du bonheur

Avec des ail’ c’est facile

Et un bec c’est bien utile

 

Oiseaux de Mazèr’ et d’ailleurs

Nourris de vent et de passions

Nous nous posons en formation

Pour inspirer des jours meilleurs

Aux personnages accessoires

Qui n’ont pas eu le choix du prince

Et qui en vrai et sans histoires

Forment la lie de nos provinces

 

Faut avoir le nez en l’air

Et les yeux partout ailleurs

Si on veut vivre sur terre

Et profiter du bonheur

Avec des ail’ c’est facile

Et un bec c’est bien utile

(rideau)

 

 

ACTE VII

Même décor. Entre Roger. Les oiseaux s’enfuient comme précédemment. Apparence de touriste. Il consulte le programme sur la porte du musée, fait le tour de la cuvette de WC dans l’herbe, s’éloigne puis revient. Une fenêtre de la mairie s’ouvre.

 

Scène première

Roger, le Chinois

Chinois — C’est pas encore ouvert. Mon Dieu que vous êtes matinal ! Vous êtes au camping ou seulement de passage ?

Roger — Je couche chez l’habitant.

Chinois — C’est une bonne formule, mais ici, on encourage plutôt le camping… à cause du déficit. Vous comprenez ? Mais vous êtes peut-être de la famille…

Roger — Non. Je suis vraiment un étranger.

Chinois — Et comment vous avez trouvé ?

Roger — Par hasard…

Chinois — Non ! Je veux dire : comment vous le trouvez, notre village ? Euh ! Je veux dire : notre ville. Monsieur le Maire nous impose, à nous autres employés municipaux, cette distinction qui fait la différence.

Roger — En réalité, je suis venu voir le musée…

Chinois — Oh ! Putain ! En direct ?

Roger — Je suis là depuis hier…

Chinois — C’est que ça a fait du bruit cette disparition du Président de la République. On n’y est pour rien, bien qu’on soit une municipalité de Droite.

Roger — Je repasserai tout à l’heure… à l’ouverture.

Chinois — Je pourrais vous ouvrir maintenant. J’ai la clé. Mais Monsieur le Maire ouvre lui-même. Ensuite, il nous siffle et on s’occupe toute la journée. Il faut bien gagner son pain. Si ça ne tenait qu’à moi, je serais à la tête d’une fabrique de porcelaine.

Roger — Une tradition chinoise.

Chinois — Je vois que Monsieur connaît.

Roger — J’ai beaucoup voyagé.

Chinois — Tandis que moi, je suis né ici. Je ne suis donc pas un étranger. Et je sers à quelque chose. Vous servez à quelque chose, vous ?

Roger — Je fais de mon mieux pour ne pas nuire à mon prochain.

Chinois — Té ! Une bagnole ! C’est la Présidente. Je vous laisse.

La voiture s’arrête dans la rue de derrière. La Présidente et sa fille en descendent et entrent dans le jardin. Elles s’arrêtent près de la cuvette.

 

Scène II

Roger, la Présidente et sa fille

Fille — Alors, je ne suis qu’un personnage accessoire ?

La Présidente — Tout le monde ne peut pas être prrrrincipal ! Mais si tu travailles bien, tu le seras toi aussi quand ce sera le moment.

Fille — Mais cette représentation théâtrale ne sera plus au goût du jour…

La Présidente — Tu joueras un autre rôle dans une autre pièce. C’est la vie. Vous n’êtes pas d’accord, monsieur ?

Roger sursaute.

Je ne vous prends pas à témoin, mais à son âge, on ne se pose pas toujours les bonnes questions.

Roger — Elle a de gros genoux…

La Présidente — C’est ce que je lui dis tout le temps !

Fille — Elle ne s’en lasse pas…

Roger — Ça ne plaît pas à tout le monde…

Fille — Je plais aux vieux !

La Présidente — C’est pour les seins. Ils ne sont ni gros, ni petits. Ils tiennent dans la main, comme des fruits. Vous aimez les fruits, monsieur ?

Roger — Je les aime, madame ! Ni trop mûrs, ni trop verts.

Fille — Pourtant, vous me plaisez. Ça me chatouille…

La Présidente — L’instinct. Ce n’est que de l’instinct. Ne t’y fie pas. Je ne me suis fiée à personne pour te concevoir.

Fille — Ça ne doit pas être bien difficile de concevoir un personnage accessoire…

Le Chinois revient à la fenêtre.

 

Scène III

Les mêmes, le Chinois

Chinois — Je m’inscris en faux !

La Présidente — Et je vous condamne pour ce crime !

Chinois — Mais ce n’est pas un crime d’être un personnage secondaire !

La Présidente — Je n’ai pas dit le contraire.

Roger — Ça rime.

La Présidente — Vous dites… ?

Roger — Je dis que vous êtes sur le point de nous chanter une chanson.

La Présidente — C’est ce que je fais tous les jours travaillés dans MON tribunal !

Chinois — Vous ne vous en privez pas…

La Présidente — Jamais ! Je suis d’une constance… Ah ! Si vous saviez !

Fille —

Au Chinois :

Vous êtes un personnage accessoire vous aussi ?

Chinois — Je m’efforce de l’être… mais ce n’est pas sans risques ! Pas plus tard qu’à l’acte précédent, j’étais le bâtisseur du musée que vous avez entre les jambes.

La Présidente — Entre les jambes !

La fille soulève sa robe et la cuvette apparaît.

Fille — Quel beau musée ! C’est vous qui l’avez bâti ?

Entre Marette.

 

Scène IV

Les mêmes, Marette

Marette — Il l’a bâti, peut-être ! Mais je suis l’unique concepteur !

Roger — Je vous félicite.

Marette — Et vous êtes qui, vous, pour me féliciter sans que je vous connaisse. Je ne le reconnais même pas !

La Présidente — On est au théâtre…

Fille — Et pourtant, il lui ressemble…

Chinois —

Complice :

L’habitant qui le loge n’est pas de sa famille…

Fille — Oui, mais ils ont un air de ressemblance…

La Présidente — Qu’est-ce que tu en sais, toi ?

Marette —

Il renifle Roger :

Il a un air. Elle a raison la petite…

Roger — Si vous voulez parler de monsieur de la Rubanière qui a la bonté de m’héberger en ce moment…

Marette —

Furieux :

Il a plus qu’un air !

Il se reprend :

Alors comme ça, vous méprisez MON camping… ?

Roger — Votre camping ! Son tribunal !

Chinois — Mon musée !

Marette — Ah ! Pardon ! C’est MON musée. Je ne vous emploie pas pour dire le contraire !

Chinois — Mais vous le dites !

Fille —

Montrant :

MES genoux ! Et vous, monsieur, qu’est-ce qui vous appartient ?

Chinois — Je lui ai déjà posé la question et il n’a pas répondu…

Marette — Les étrangers ne répondent jamais quand on leur pose des questions… de principe !

Roger — Je peux répondre à toutes les questions. Tenez : si je vous dis que je suis journaliste…

Tous — Journaliste !

Le journaliste de la Dépêche entre.

 

Scène V

Tous, le journaliste

Journaliste — Monsieur ! Je ne sais pas qui vous êtes et je ne veux pas le savoir… bien que je sois journaliste et que j’ai envie de le savoir… Mais ici, Monsieur, vous ne glanerez que du local… si je puis me permettre cette restriction syntaxique…

Tous — De la syntaxe maintenant ! Syntaxe error !

Journaliste — Je veux dire que s’il faut parler de ce qui se passe ici, c’est à moi que revient cet honneur qui est en même temps un bon petit travail sans les inconvénients du travail et bien payé en sus, ce qui n’est jamais le cas quand on travaille vraiment.

Roger — Le musée de Mazères est un sujet national !

Marette — Hé ! Té ! Du local au national, voilà un chemin que je suis prêt à parcourir à la vitesse du maillot jaune. Vous m’intéressez, monsieur…

Journaliste — Il n’intéresse personne !

Marette — Oui, mais il s’intéresse à quelque chose dont je suis le maître…

Chinois — … après Dieu !

Marette — En parlant de Dieu, puisqu’il n’est pas là…

La Présidente —

Expliquant :

Il s’est défilé.

Marette — … pas un mot sur le sujet… national. On s’en tient au local.

La Présidente —

Même jeu :

Sinon il accourt.

Marette — Ainsi, monsieur, vous êtes venu pour…

Chinois — Mépriser le camping municipal au point d’aller habiter chez ce monsieur de la Rubanière qui n’est même pas d’ici. Tandis que moi, qui vous parle, j’y suis né, ici !

Roger — La disparition de François Hollande dans la cuvette des WC municipaux de Mazères a fait le tour du monde…

Tous — Le tour du monde !

Marette — Je n’en demandais pas tant ! Mais enfin, puisque c’est fait, il faut se résoudre. Et moi, quand je me résous, je crée un musée !

 

Quand je me résous

Je crée un musée

Je ne suis pas fou

J’ai de la pensée

J’ai aussi du corps

Nous en avons tous

Mais je suis encore

Sujet à secousses

 

Comme il est bon d’être élu

Pour des raisons accessoires…

 

Fille — Comme moi !

Chinois — Et moi donc !

Marette —

Tape du pied.

Je chante ! Je reprends le refrain…

Tous —

Comme il est bon d’être élu

Pour des raisons accessoires

Et profiter dans le noir

De l’essentiel du charnu

Sans devoir se justifier

Et de l’honneur mériter !

Marette —

Oui je sais bien que

Dans tous les esprits

C’est bon pour la queue

Moins pour le pays

Mais quand on n’est pas

Un héros en dur

On n’a pas le choix

Faut de la stature

Tous —

Comme il est bon d’être élu

Pour des raisons accessoires

Et profiter dans le noir

De l’essentiel du charnu

Sans devoir se justifier

Et de l’honneur mériter !

Marette —

Je vous remercie

En me remerciant

Et j’ai pas envie

Qu’on en parle tant

C’est bien de chez nous

Le donnant donnant

On se prête à tout

Quand on a le temps

Tous —

Comme il est bon d’être élu

Pour des raisons accessoires

Et profiter dans le noir

De l’essentiel du charnu

Sans devoir se justifier

Et de l’honneur mériter !

Marette —

C’est la tradition

Me reprochez pas

Ce qu’en confession

J’en fais pas des tas

Si Dieu est là-haut

Si je suis en bas

C’est pas un défaut

Et c’est bien sympa

Tous —

Comme il est bon d’être élu

Pour des raisons accessoires

Et profiter dans le noir

De l’essentiel du charnu

Sans devoir se justifier

Et de l’honneur mériter !

Marette —

Je suis dans l'excès

Mais les déficits

Sont là pour prouver

Que je le mérite

Bien sûr c’est dommage

Yen a que pour moi

Mais c’est l’avantage

D’être élu en bas

Tous —

Comme il est bon d’être élu

Pour des raisons accessoires

Et profiter dans le noir

De l’essentiel du charnu

Sans devoir se justifier

Et de l’honneur mériter !

Marette —

Quand je verrai Dieu

Avec ou sans chien

N’oubliez pas que

Je vous fais du bien

Priez pour ma pomme

Et profitez-en

Yen a pour les hommes

Et pour les enfants

Tous —

Comme il est bon d’être élu

Pour des raisons accessoires

Et profiter dans le noir

De l’essentiel du charnu

Sans devoir se justifier

Et de l’honneur mériter !

Marette —

Non pas je n’oublie

Que la femme aussi

A bien du souci

Quand elle envie

D’ailleurs je confesse

Que j’y ai pensé

Avant que la fesse

Me donne à penser

Tous —

Comme il est bon d’être élu

Pour des raisons accessoires

Et profiter dans le noir

De l’essentiel du charnu

Sans devoir se justifier

Et de l’honneur mériter !

La Présidente — Revenons à nos moutons ! Oui, monsieur le journaliste de l’étranger…

Roger — L’étranger en France…

La Présidente — Il est bon de le préciser. Monsieur, comment savez-vous que c’est ici que François Hollande a disparu dans la cuvette du WC municipal ?

Tous — Mais tout le monde le sait !

Marette — C’est même comme ça que je suis devenu célèbre !

Chinois — Monsieur de la Rubanière n’y est pas étranger, à cette célébrité…

Marette — … bien méritée !

 

La célébrité

Il faut bien le dire

Est bien méritée

Il faut le redire

Quand on est fameux

On est bien utile

Il n’y a pas mieux

Pour mes volatiles.

Tous —

Comme il est bon d’être élu

Pour des raisons accessoires

Et profiter dans le noir

De l’essentiel du charnu

Sans devoir se justifier

Et de l’honneur mériter !

 

Et pour mon camping

La célébrité

A les bons côtés

Côté galopines

Ne pas oublier

Les produits locaux

Ils ont des défauts

Mais ils sont bien nés

 

La Présidente — Revenons à nos moutons !

Fille —

Dansant au-dessus de la cuvette :

Mon petit mouton

Se sent bien ici

Mazèr’ est aussi

Le musée du …

 

La Présidente — Faites-la taire ! Et revenons à nos moutons !

Chinois — Mais que vient faire ce Chinois ici ?

La Présidente — Monsieur vient donc enquêter sur les circonstances de la disparition de François Hollande dans la cuvette…

Marette — … dans les circonstances que l’on sait ! Et en quoi consiste cette enquête ?

Journaliste — À la Dépêche…

Marette — Vous ne comptez tout de même pas le retrouver, ce Président de la République qui n’aura pas fait long feu…

Entre le garde.

 

Scène VI

Les mêmes, le garde

Garde — Sans moi, il n’y aurait pas de musée !

Roger — Qui est ce monsieur ?

Garde — Je suis celui qui a tiré la chasse !

Marette — Oui, mais c’est moi qui ai eu l’idée du musée !

Chinois — Et c’est moi qui l’ai construit !

Fille — En tant que personnage accessoire…

Chinois — On n’avait pas de fabricant de faïence sous la main. Comme je suis d’origine chinoise et qu’en Chine, c’est la tradition…

Marette — J’y ai pensé aussi ! Sans moi, il n’y aurait pas de Musée…

La Présidente — Et sans moi vous seriez en prison pour tentative d’assassinat sur la personne d’André Trigano ! Et cet individu croupirait dans la même prison pour avoir sauvagement et sans remords assassiné le Président de la République, qui préside comme moi, avec le moyen d’une chasse d’eau associée à une cuvette…

Chinois — D’origine chinoise… mais c’est avant que je devienne fabricant…

Fille — …accessoire !

Roger —

Se bouchant les oreilles :

Ouille ! J’en ai assez entendu !

Journaliste — Je vous avais prévenu. Le local, c’est une spécialité. Et c’est pas facile pour les Parisiens.

Roger — Mais je ne suis pas Parisien !

Journaliste — Vous êtes des généralistes. Vous ne comprenez rien au particulier.

La Présidente — Revenons à nos moutons !

Garde — Mais je ne suis pas un mouton, bien que la chanson de cette charmante jeune fille aux gros genoux m’ait convaincu que je peux faire partie de son troupeau sans risquer de me faire dévorer par le loup…

La Présidente — Mais il n’y a pas de loup ici !

Marette — En effet, Trigano a pris le TGV quand il a senti que ça se compliquait…

Roger — Qu’est-ce qui se complique ?

Journaliste — Attention ! Hé ! Est-ce que ça complique localement ou généralement ?

Marette — Localement ! Sinon j’aurais dis : mon général !

Journaliste —

Bousculant Roger :

C’est donc une affaire qui ne regarde pas la Nation !

Marette — Mollo, la Dépêche ! À Mazères, on est général à peine qu’on se traite !

Garde — Mon cartable est bourré comme tout le monde ici !

Marette — N’exagérons pas ! Ici, les mémés ne castagnent personne. Au contraire…

Garde —

Mimant :

Elle en veulent !

Marette —

Même jeu :

Et on leur donne !

La Présidente — Revenons à nos moutons !

Elle cligne d’un œil.

Ce monsieur veut tout savoir et on va le lui dire !

Marette —

Inquiet :

Et on va lui dire quoi ?

Garde — Pour la chasse d’eau, c’est moi…

Chinois — C’est un bon grade champêtre…

Garde — Oh ! Moquez-vous, vous ! Avec vos airs d’Attila !

Marette — Pas de noms ! On a dit pas de noms ! Rien que des faits !

Garde — J’ai tiré la chasse parce qu’il en avait marre d’être coincé à Mazères le François… ce qui n’est pas bien original, beaucoup de Mazériens vous le diront et ceux qui ne vous diront rien sur ce sujet sont presque morts ou trop feignants pour changer de métier. Et je sais de quoi je parle !

Marette — Les confidences, c’est encore moi ! Personne ne sait mieux que moi ce que pensent les Mazériens. François Hollande, ils s’en foutent !

Tous — Ils s’en foutent ? Mais alors, le musée…

Marette — … n’est pas un vrai musée… ou comme dit Dédé, le Trigano, c’est un lieu de… pèlerinage. Ça rapporte plus que les musées, le pèlerinage !

Garde — Et on s’y fait.

Marette — On n’est pas compliqué quand on est de Mazères…

 

On n’est pas compliqué

Quand on est de Mazères

On est les héritiers

De Dédé aux affaires

 

Ça, c’est le refrain…

Tous — On a compris !

Marette — Alors chantez !

Tous —

On n’est pas compliqué

Quand on est de Mazères

On est les héritiers

De Dédé aux affaires

 

La Présidente — Je suis pas de Mazères, mais j’ai l’esprrrit !

Chinois — Moi je suis de Mazères, mais c’est pas vraiment ce que j’ai envie de chanter…

Marette — L’orchestre attend…

Garde — Il attend quoi sans nous ?

Marette — Premier couplet…

 

Quand le Marette…

 

C’est moi…

Tous —

Impatients :

On le sait !

Marette — Je précise parce qu’il y a des étrangers ! J’ai quand même le droit de préciser, non !

Garde — Surtout que monsieur de la Rubanière est peut-être à l’écoute…

Marette — Vous avez branché les micros !

Garde — Comme ça, tout Mazères en profite.

Chinois — Pourquoi ? Il fallait pas ?

Marette — Bon, alors ça commence pas la même chose…

Garde — Il veut dire : de la même manière. Son français est approximatif.

Chinois — Oui, mais il manque pas de l’honneur, hé !

Marette — Je vous signale que les micros sont branchés et que vous êtes sous mes ordres !

Garde — Pas pour longtemps, va !

Marette — Gauchiste !

La Présidente — Revenons à nos moutons !

Marette — J’ai pas le la !

Tous — Il a pas quoi ?

Garde — Le la !

 

J’ai pas le la, je suis Marette

Quand j’ai le la je suis pas bête

Mais si je suis bête c’est la

La faute à ceux qui l’ont le la !

 

Marette — On a dit que c’est moi qui chante !

La Présidente — Si on ne revient pas aux moutons…

Garde — … les nôtres… parce que les moutons de Paris…

Marette —

Titube :

J’ai oublié la chanson !

Tous — Qu’il est con !

 

Il a oublié la chanson

Ah ! c’qu’il est con Ah ! c’qu’il est con

À force de bouffer du foin

Il se conduit comme un bourrin

Mais quand le vin s’ met à couler

Il ne demande qu’à tirer

À tirer les bœufs avant que

La charrue se mette devant

Il faut le prendre par la queue

Et lui donner des coups avant

Avant qu’il devienne trop con

Pour mériter une chanson

 

J’ai pas le la, je suis Marette

Quand j’ai le la je suis pas bête

Mais si je suis bête c’est la

La faute à ceux qui l’ont le la !

 

Roger — C’est mieux comme refrain.

Tous — Que quel autre refrain ?

Roger — Celui de Marette !

Sautillant :

On n’est pas compliqué

Quand on est de Mazères

On est les héritiers

De Dédé aux affaires

 

Tous — C’est bien aussi ! On peut les accoupler ! Ça va lui plaire, c’est un voyeur !

La Présidente — Revenons à nos moutons !

Garde — Elle nous fait chier avec ses moutons celle-là !

Chinois — Surtout que son seul mouton est bien seul !

Garde — Et qu’il donne pas envie !

La Présidente — Revenons à nos moutons !

Tous — Elle a raison…

 

On n’est pas compliqué

Quand on est de Mazères

On est les héritiers

De Dédé aux affaires

J’ai pas le la, je suis Marette

Quand j’ai le la je suis pas bête

Mais si je suis bête c’est la

La faute à ceux qui l’ont le la !

 

Ça sonne bien ! On continue ?

Fille —

Jouissant :

J’y suis presque !

Tous —

Ça va lui plair’ c’est un voyeur

Ya du boudin pour le Marette

Pourquoi aller chercher ailleurs

Il est trop con mais pas si bête

Dans la caisse municipale

Yen a des sous yen a en plus

Et ya personn’ que des minus

Pour faire mieux avec ces balles

C’est du boudin bien fricassé

Yen a des sous pour faire la fête

Il faudrait vraiment qu’il soit bête

Et pas Français pour s’en passer

 

Il a raison…

 

On n’est pas compliqué

Quand on est de Mazères

On est les héritiers

De Dédé aux affaires

J’ai pas le la, je suis Marette

Quand j’ai le la je suis pas bête

Mais si je suis bête c’est la

La faute à ceux qui l’ont le la !

 

Dernier couplet…

 

C’est pas le cerveau c’est devant

C’est du boudin sans les patates

Ce vieux con est servi aux pattes

On n’est pas chien même savant

Regardez-le comme il avance

À petits pas sans la musique

C’est un enfant d’ la République

Sans les instruments de la science

Ça fait des heur’ qu’il se balance

En secouant son instrument

Pour le flatter c’est le moment

Mais pas longtemps on est en France !

 

Roger et le journaliste — Et qu’est-ce que ça fait qu’on soit en France ?

Tous — Ils ont raison…

 

On n’est pas compliqué

Quand on est de Mazères

On est les héritiers

De Dédé aux affaires

J’ai pas le la, je suis Marette

Quand j’ai le la je suis pas bête

Mais si je suis bête c’est la

La faute à ceux qui l’ont le la !

 

Tout le monde sort en dansant. Farandole. Marette et la Présidente reviennent.

 

Scène VII

Marette et la Présidente

Marette —

N’oublions pas notre affaire.

 

Les chansons, ça amuse le grand public, mais il ne faut pas perdre de vue qu’on est en affaire vous et moi…

La Présidente — Ah ! Si Dédé était là !

Marette — Nous attendrons la nuit. Vous coucherez la petite. Je peux m’en occuper aussi si vous avez autre chose à faire. J’aime bien m’occuper des enfants d’un certain âge. Avant, ils me fatiguent. Et après, ce ne sont plus des enfants. En amour comme en mission, il faut un juste milieu pour apprécier la chance qu’on a.

La Présidente — Ah ! Si Dédé était là !

Marette — De nuit, on aura peut-être du mal à distinguer le pognon de la merde. Je me charge de mettre les mains dedans. Il ne faut pas hésiter à se sacrifier si l’enjeu en vaut la peine. Quand j’étais à la SNCF…

La Présidente — Ah ! Si Dédé était là !

Marette — … j’ai cherché la merde à tout le monde et ils me l’ont bien rendu. Mais c’est la tradition !

La Présidente — Ah ! Si Dédé était là !

Marette — Ça doit faire une sacrée fortune ! Je me demande si je vais pas faire un long voyage pour me faire oublier un temps et même me faire oublier définitivement en perdant la vie quelque part dans un pays où je n’aurais pas de papier.

La Présidente — Ah ! Si Dédé était là !

Marette — L’argent, ça me fait rêver. Ça me transporte dans un ailleurs que si j’y suis pas, j’y vais avec les moyens du bord. Un bon verre n’a jamais fait de mal à personne…

La Présidente — Ah ! Si Dédé était là !

Marette — … mais s’il est mauvais, s’il est de Carcassonne…

La Présidente — Ah ! Si Dédé était là !

Marette — J’en ferais bien une chanson. Vous n’êtes pas si indésirable que ça. Du temps de la briquèterie, sans jeu de mots, vous auriez fait l’affaire.

La Présidente — Ah ! Si Dédé était là !

Marette —

Un bon vin n’a jamais

Fait de mal à personne

J’ suis témoin du bien mais

S’il est de Carcassonne

Alors il faut s’ méfier

C’est du encor’ meilleur

Il faut pas avoir peur

D’avoir dans la Cité

Des visions de grandeur

À propos de soi-même

Et des choses qu’on aime

En tout bien tout honneur

 

La Présidente —

Ah ! Si Dédé était là !

Et si j’étais disposée

À donner mon tralala

Sans avoir à rien payer !

 

Marette —

Ah ! Si Dédé était

Là pour me ramener

À la maison Justice

Pour que je la subisse

Dans ce bel édifice

Une fois de plus au

Grand lit des bénéfices

Je ne suis plus puceau

Avec ou sans les draps

Comme dans les palaces

Pour conserver la trace

De nos rapports aux rats

 

La Présidente —

Ah ! Si Dédé était là !

Pour remonter le moral

De mon pauvre tralala

Atteint par le bien viral !

 

Marette —

On se sent seul en fait

Quand Dédé se casse à

Paris pour fair’ la fête

Avec des tralalas

Qui ne sont pas d’ici

Dont je n’ai pas idée

Bien que je sois bien né

Et du pays aussi

Mais si c’est un bon vin

S’il est de Carcassonne

Mêm’ s’il est de Narbonne

Je me sens Mazérien !

 

La Présidente —

Ah ! Si Dédé était là !

À la plac’ de ce conard

Qui ne s’envoie qu’ du pinard

Alors que mon tralala

Mon tout petit tralala

Ne demande qu’à passer

Un bon Noël à Toussaint

En compagnie de Dédé !

 

Marette — Vous ne trouvez pas que vous exagérez un peu ? Qu’est-ce qu’il a de plus que moi le Dédé ?

La Présidente — Du pognon !

 

Des médailles en vrai !

Et du sperme en vrac !

 

Marette — Mais du sperme, j’en ai moi aussi. Même que je m’en sers pour faire des vers !

La Présidente — Mais ça suffit à la fin ! Je sais ce que c’est la poésie ! Et je sais que c’est en prose que vous la faites. Et pas en vers comme Dédé !

Marette — Ah ! Ça ne commence pas bien notre collaboration !

La Présidente — Si j’avais su, vous seriez en prison maintenant. Et j’aurais moins peur !

Marette — Mais peur de quoi, ma fleurette !

La Présidente — Peur de cette merde ! C’est que j’ai peur de la merde, moi ! J’en cherche, oui, parce qu’il faut bien avancer. Mais la trouver ! Je n’en peux plus !

Marette — Mais ce n’est pas un crime. De toute façon, cet argent est perdu pour tout le monde, sauf pour nous si on y met du nôtre !

La Présidente — Mais je ne veux pas mettre de l’argent là-dedans ! J’ai déjà mis deux pièces. Vous êtes témoins que je les ai mises ! Et ça ne me porte pas bonheur ! Ouille !

Marette — Ça n’a jamais porté bonheur à personne de savoir qu’on peut devenir riche et de s’en empêcher parce qu’on aime pas la merde !

La Présidente — Mais je l’aime, la merde !

Marette — Faudrait savoir !

La Présidente — Je l’aime mais j’en ai peur !

Marette — Mais la merde c’est comme les morts !

 

La merde c’est comme les morts

Faut pas avoir peur d’y toucher

Et si dedans ya d’ quoi payer

Il faut y aller sans remords !

Ah ! Ah ! N’hésitons pas

À trouver ça vraiment sympa !

 

La Présidente — Plus de chanson !

 

Je ne veux plus chanter !

Nous somm’ si près du but !

J’en mouille ma culotte !

 

Et si ça continue, je vais avoir honte !

Marette — Mais honte de quoi ? La merde ça ne fait pas honte. C’est comme les morts. Ça sert à rien ! Vous avez honte vous de ce qui sert à rien ?

La Présidente — Je parlais de ma culotte !

Marette — Mais c’est parce que vous n’êtes pas au bon endroit ! Mettez-vous là !

Il place la Présidente au-dessus de la cuvette.

Allez-y ! Faites pipi ! Je ne regarde pas.

La Présidente — Vous avez bien regardé tout à l’heure !

Marette — Mais je n’ai rien vu ! Si vous voulez que je voie, il faut écarter plus.

La Présidente — Mais je ne suis pas une danseuse classique !

Marette — Dans ce domaine, je préfère le moderne.

Il met la tête.

La Présidente —

Riant :

Vous allez vous casser le cou !

Marette — Pas si vous faites pipi dessus.

La Présidente — J’aurais dû faire pipi dans ma culotte ! J’ai encore plus honte maintenant !

Marette — Mais il n’y a aucune raison d’avoir honte !

La Présidente — Que si ! On nous regarde !

Le gosse est là.

 

Scène VIII

Les mêmes, le gosse

Marette — Mais qu’est-ce que tu regardes, toi ! Petit voyou !

Gosse — Je suis pas une caméra de surveillance, moi ! Quand je regarde, je fais de mal à personne et que du bien à moi.

Marette — Et qu’est-ce que tu crois que je fais quand je regarde ? Le prix que ça m’a coûté à tout le monde ! Et j’y ferais du mal ! Non mais tu rigoles ?

Gosse — Je savais pas qu’on pouvait perdre la boule en se faisant pisser dessus par une magistrate. Je crois que je vais essayer…

La Présidente — Mais il n’est pas question que je pisse sur ce gamin ! Loulou ! Défends-lui ! Je n’ai plus la force ! Ah !

Marette — Tu vois ce que tu lui fais à la dame. Que maintenant, elle va plus pouvoir travailler sans faire des grosses conneries, surtout en matière de liberté d’expression !

Gosse — Mais je m’exprime pas, je regarde !

Marette — C’est la même chose ! Tout ce qui se fait avec les yeux se fait avec la parole.

Gosse — Il manque plus que Bousquet pour applaudir.

Apparaît Bousquet.

 

Scène IX

Les mêmes, Bousquet

Bousquet — Ça fait un moment que je suis là, mais j’osais pas…

La Présidente — Oh ! Mon Dieu ! Il a tout vu lui aussi !

Marette — À Mazères, t’as pas fini de péter que tout le monde sait déjà à quoi ça sent.

La Présidente — Vous auriez pu le dire avant que…

Marette — Avant que quoi ? On n’a pas commencé.

À Bousquet :

Alors comme ça, tu es au courant…

Bousquet — Je peux pas dire que non…

Gosse — J’ai peut-être pas tout compris, parce que j’ai pas l’âge, mais je sais et…

Marette et la Présidente — Et…

Gosse —

Espiègle :

Ça m’apprend.

Marette — Si c’est que ça…

Gosse — Et ça me donne des idées aussi…

Marette — Les idées que ça donne, c’est pas bien grave non plus… J’ai fait pire !

Gosse — Et c’est pas que des idées… que j’en ai d’autres…

Marette —

Brusque :

Autrement dit, tu vas me faire chier !

Gosse — Eh ! Oh ! J’ai jamais fait chier personne !

Bousquet — Dis pas ça !

Marette —

À Bousquet :

Il t’a déjà fait chier ?

Bousquet — Pas qu’un peu !

Gosse — Ouais mais c’est pas la même chose !

Marette — Tu fais pas toujours chier de la même manière, toi ? Il faudra que tu m’apprennes. Des fois que j’en aie besoin…

La Présidente — On ne va pas le tuer, tout de même !

Gosse — J’ai pas envie de mourir ! Je demande pas grand-chose…

Marette — Oui, mais tu demandes… Et après, qu’est-ce que tu fais ? Tu redemandes ? Je sais de quoi je parle… Je suis passé par là moi aussi !

Gosse — Oui mais moi, j’y suis jamais passé !

La Présidente — Je refuse de pisser sur un gosse qui ne m’a rien fait !

Marette — Il vous a fait quelque chose ! Il vous a vue !

La Présidente — Oui, mais il n’a encore rien fait !

Marette — Mais il le fera !

La Présidente — Mais vous avez dit que ça ne l’arrêtera pas ! Je ne vais pas ME condamner moi-même à lui pisser dessus tant que Dieu me prête vie !

Gosse — Euh ! Pas trop vieille quand même… Allez… Un petit pipi… Une giclée et je promets que je recommencerai plus.

Marette — Tu seras mort avant… !

La Présidente — Ça va mal se finir !

Marette —

À Bousquet :

Tu en veux toi aussi ? Du pipi de femme ? Maintenant que tu te mets avec des hommes ?

Bousquet — Un seul homme ! Et je l’aime !

La Présidente — Ça va mal se finir !

Gosse — Moi je n’aime ni les hommes ni les femmes. Je fais ça tout seul. Mais cette idée de se faire pisser dessus par une femme ça ne me donnera des idées que si elle me pisse dessus en vrai !

Marette — Des fantasmes. Il a raison le petit. Et je sais de quoi je parle.

La Présidente — Ça va mal se finir !

Elle s’enfuit, monte dans sa voiture et s’en va. Sa fille entre, sortant de la mairie, chemisier ouvert.

 

Scène X

Marette, Bousquet, le gosse et la fille

Fille — J’ai plus rien pour rentrer, moi !

Marette — Mais pour sortir, on peut s’arranger…

Gosse — Elle a de gros genoux.

Marette — Quand tu auras l’expérience, tu sauras que faute de merle on mange des grives.

Fille — C’est que c’est paumé, Mazères !

Marette — On le saura !

Montrant la cuvette :

Si ça vous chante…

Gosse — Je veux bien essayer, moi…

Marette — Va de retro ! Avant que je commette l’irréparable !

À la fille :

Vous pouvez le faire dans ma voiture si ça vous chante mieux…

Fille — J’ai pas envie de chanter.

Gosse — Elle est comme sa mère.

Fille —

Au gosse :

Je te demande pas de te taire, mais tu ferais mieux !

Marette — J’ai une belle voiture.

Gosse — Avec des pneus…

Marette — Moque-toi, toi ! Qu’une voiture, tu n’en auras jamais !

À la fille :

On y va ?

Fille — Puisque vous insistez et que vous êtes trop vieux pour me violer…

Marette — Hé ! Ho ! J’ai jamais violé personne ! Je le saurais.

Fille — Si vous êtes le seul à pas le savoir, je viens.

Ils sortent tous les deux.

 

Scène XI

Bousquet et le gosse

Gosse — Il te fait rêver ce chiotte…

Bousquet — Il te fait pas rêver, toi ?

Gosse — Sans une gonzesse dessus, non. Mais avec un mec dessous, peut-être…

Bousquet — Mon petit frère… socialiste.

Gosse — Mais si ça se fait, tu pourras plus rêver demain.

Bousquet — Comment tu sais ça, toi ?

Gosse — C’est Marette et cette… entremetteuse.

Bousquet — Tu en as un vocabulaire ! Mais qu’est-ce que tu sais ? Et comment je le sais pas ?

Gosse — Comment, je peux pas te dire. Mais je sais.

Bousquet — Et c’est pas gratuit…

Gosse — Si tu m’aides à piquer le vélo de la Dépêche, je te le dis.

Bousquet — Qui me dit que ça m’intéresse autant que tu dis ?

Gosse — Quand on est con, on fait confiance à personne.

Bousquet — Dis donc ! Je vais te montrer… !

Gosse — Tu feras le pet. Je me charge de m’emparer de ce bien… qui ne m’appartient pas, mais sur lequel j’ai des droits.

Bousquet — Tu as des droits sur la bicyclette de la Dépêche ?

Gosse — Je suis un bâtard, non ?

Bousquet — On peut le dire comme ça…

Gosse — Cette bicyclette, elle est un peu à moi. Je peux la lui voler pour un temps…

Bousquet — … qui reste à déterminer…

Gosse — … et ensuite, je la lui restitue. Mais ni vu ni connu. Tu connais la chanson.

Bousquet — Paul Valéry. Tu t’y connais en littérature, toi ! Yacine, Valéry… Qui encore ?

Gosse — C’est pas le moment de me draguer ! La bécane du canard contre une information que si tu la sais pas, tu meurs d’une crise sans savoir pourquoi.

Bousquet — C’est si grave que ça ? Tu me fais peur ! Mon côté féminin me conseille de t’écouter, mais comme je suis encore un peu mâle, j’ai envie de te casser la gueule et mettre fin à tes petits calculs. Tout ça pour une bicyclette…

Gosse — J’ai pas fait que ça dans ma vie et il m’en reste encore beaucoup. Alors si tu veux pas m’aider, je t’aide pas moi non plus.

Bousquet — Admettons que je t’écoute.

Gosse — Le premier pas !

Bousquet — Il en faut combien de pas ? Tu le sais même pas.

Gosse — Laisse-moi compter…

Il compte sur ses doigts.

Bousquet — Si c’est d’accord, mais je l’ai pas dit, il faudra que tu m’aides toi aussi…

Gosse — Ça va de soi !

Bousquet — Après t’avoir entendu, je me mettrai dedans.

Gosse — Eh ! Non ! J’ai pas dit que j’avais déjà décidé de ma nature profonde ! Je suis un peu jeune, non ?

Bousquet — Je te parle pas de ça, imbécile ! Laissons le socialisme de côté tant que tu n’as pas l’âge…

Gosse — Et c’est pas demain la veille… le socialisme et la question du sexe qui va avec, eh ?

Bousquet — Je me mettrai dedans…

Gosse — Tu vas pas recommencer ! On a dit non ! Pas dedans ! Dehors si tu veux, mais tout seul ! Je regarderai même pas tellement ça me dégoute !

Bousquet — Je te parle pas de ça, imbécile !

Gosse — Deux fois… Et tu me parles de quoi ?

Bousquet — Du musée…

Gosse — Du musée ? Et qu’est-ce qu’il a, le musée ? Il te plaît pas ?

Bousquet — Je vais entrer dedans !

Gosse — Dans le musée ?

Bousquet — Où veux-tu que je rentre, imbécile ?

Gosse — Et de trois. À quatre, je réagis. Alors comme ça, vous entrez dans le musée, et moi, je reste dehors ?

Bousquet — Toi, tu tires la chasse.

(rideau)

 

 

ACTE VIII

Même décor. Au milieu de l’herbe, la cuvette de WC est cassée en mille morceaux. Un petit jet d’eau sourd.

 

Scène première

Le gosse, Bousquet et le journaliste

Dans la rue de derrière surgit côté jardin le gosse monté sur le vélo. Il disparaît côté cour. Puis arrive Bousquet qui court. Il sort. Enfin, le journaliste entre, poursuivant les voleurs.

Journaliste —

Il s’arrête pour reprendre son souffle.

Ah ! Les coquins ! Une si belle bicyclette ! Mais je les ai reconnus. J’irai me plaindre. Il n’y a pas de mal à se plaindre quand on ne peut pas résoudre les problèmes soi-même. Je n’ai plus la forme. Courir après des voleurs ne m’était pas arrivé depuis longtemps. Ah ! Ce que j’aurais aimé les attraper vivants ! Ils seront peut-être morts quand les forces de l’ordre mettront la main dessus. Ou bien c’est moi qui serai mort. Qu’y pouvons-nous ? On se fait voler, agresser, assassiner et il faut se résoudre à abandonner les poursuites faute d’avoir trouvé les coupables. C’est la loi de la Loi : beaucoup d’injustice et peu de justice, à peine de quoi être fier d’appartenir à la société et d’être le serviteur de la Nation. La Justice ne fait pas son travail !

Marette sort brusquement de la mairie, comme si on le vidait. Il roule par terre.

 

Scène II

Marette, le journaliste et Bousquet

Marette —

Se relevant péniblement :

Quoi ! On critique mon système de sécurité ! Alors qu’il est prouvé par les chiffres qu’il est tellement efficace qu’on ne vole plus à Mazères où seuls les oiseaux y sont autorisés ! Ce n’est pas parce qu’on gagne les élections qu’on doit en profiter pour critiquer la Droite. J’en suis le représentant historrrrique et je ne permettrai pas qu’un organe de Gauche porte sur mes affaires un jugement qui tient à la mauvaise impression laissée par les crottes de chiens qui se répandent comme les mauvaises nouvelles dans les rues de Mazères ! Il y a chien et chien ! Et nous saurons faire la différence grâce à nos observations éclairées. Savez-vous, monsieur, qu’à mon âge, j’ai fait le stage de formation sécuritaire ?

Journaliste — Il y a belle lurette que je ne fais plus de stage ! On vient de me voler ma bicyclette. Et je sais qui c’est.

Marette — Vous savez qui sait ! Et bien faites-le parler ! Ou je m’en charge puisque je suis le magistrat de cette ville. Comme dans les Aurès ! Un bout de bois dans les oreilles n’a jamais fait de mal à personne, mais ça fait mal ! Ça fait tellement mal que même moi je parlerais ! Ah ! J’ai jamais parlé. Mais si je parle, on va en savoir des choses !

Journaliste — J’ai tout vu ! Je suis témoin de mon propre vol !

Marette — Vous vous êtes volé vous-même ?

Prenant une attitude de compassion :

Ça arrive. Et je vais vous dire : ça m’est arrivé. Et quand ça arrive, on se rend compte que quelque chose ne va pas et que c’est plus grave que ça en a l’air…

Malice :

Il faut se faire soigner !

Journaliste — Mais je n’ai pas besoin qu’on me soigne ! Je vais très bien comme ça ! Je vous dis que je sais qui c’est QUI a volé ma bicyclette. Et si je vous le dis, vous allez tomber sur le cul !

Marette — Ça m’étonnerait ! Quand je tombe… comme je viens de faire… et vous êtes témoin… ce n’est pas sur le cul ! Ouille ! Mon pauvre nez ! Ah ! Et Dédé qui n’est pas là !

Journaliste — Vous croyez que Trigano court assez vite pour rattraper un gosse qui pédale comme un fou… ?

Marette — Il en fait des prouesses, le Dédé, mais je l’ai jamais vu courir après une bicyclette montée par un gosse ! C’est de la pornographie, ça, monsieur ! Et l’Église interdit formellement qu’on se donne en spectacle dans les rues de Mazères. À part les chiens. Mais pas ceux qu’on laisse chier. Les autres… ceux qui obéissent au doigt et à l’œil. Surtout à l’œil, parce que Dédé, il a beau être plein aux as, il compte ! Et il compte bien ! Je ne vous souhaite pas de vous faire compter par Dédé ! Il en a une ! Je l’ai jamais vue, mais je l’ai sentie passer ! En tout bien tout honneur, cela va de soi…

Journaliste — Vous ne devinerez jamais qui était derrière…

Marette — À part Dédé, je vois pas, non… Ce qu’on raconte à mon propos…

Journaliste — Bousquet ! C’était Bousquet ! Té ! Regardez !

Bousquet passe dans la rue de devant, sortant du côté cour.

 

Scène III

Marette, le journaliste et le gosse

Marette — Mais quécifé ?

Journaliste — Quécifé ! Quécifé ! Il fuit !

Marette — Mais quécilfui ?

Journaliste — Quécilfui ! Quécilfui ! C’est un voleur !

Marette — Mais quécilavolé ?

Journaliste — Quécilavolé ! Quécilavolé ! Ma bicyclette !

Marette — Mais il ne vous l’a pas volée ! Il vous l’a empruntée.

Réfléchissant :

Car s’il vous l’a volée, pourquoi il était pas monté dessus ? Personnellement, quand je vole quelque chose, je monte dessus. Vous l’avez vu courir ?

Journaliste — S’il court ? Mais je vous dis qu’il m’a volé ma bicyclette !

Marette — Et il se l’est mise où, votre bicyclette ?

Journaliste — Je sais quand même ce que j’ai vu ! Je suis pas fou !

Entre côté cour le gosse sur la bicyclette. Sortie rapide.

 

Scène IV

Marette et le journaliste

 

Marette — La voilà, votre bicyclette !

Secouant la main :

Je me disais aussi… Bousquet ! Monté par une bicyclette ! Eh ! C’est la pédale qui lui monte à la tête en ce moment, mais attention : c’est politique ! Et je m’y connais moi aussi en politique. J’ai été à bonne école avec le Dédé.

Journaliste — Vous avez bien vu et constaté qu’ils m’ont volé ma bicyclette sans aucun doute !

Marette — Si vous aviez des doutes, ils ne les ont pas volés ! C’est toujours comme ça que ça se passe.

Journaliste — Et comme ça s’est passé devant la banque, on va tout voir sur la télé !

Marette — Vous allez prévenir la télé ! Dans un but de contradiction de mon système de sécurité !

Journaliste — Mais je vous parle de votre télé !

Marette — Ah ! Télé-Mazères ! Il fallait le dire !

Il montre la caméra de surveillance.

Si ça s’est passé comme vous dites, on va pouvoir le constater et personne ne pourra dire le contraire. Vous voyez comme vous avez tort de critiquer mon système de sécurité vigilant ! Maintenant, c’est vous qui en demandez !

Se pavanant.

Quand on a besoin de moi, on n’hésite pas. Mais si on critique, c’est qu’on a pas encore besoin de moi. On y vient ! On y vient ! Vous allez me suivre dans le PC du système.

Journaliste — Mais quécecéça ?

Il touche du pied les débris de la cuvette.

On dirait que c’est le musée, mais en petits morceaux…

Marette s’approche.

Marette —

Regarde autour de lui.

Hé ! Bé ! Il est où mon musée ? Vous le voyez le musée, vous ?

Journaliste — Je vous dis qu’il est là, complètement explosé.

Marette — Mais où là ? Je le vois pas.

Journaliste — Maintenant on le voit plus, mais on peut très bien l’imaginer.

Marette — Et quécecé cette fontaine ? J’ai commandé une fontaine sur le catalogue ?

Il touche le jet et recule.

C’est de l’eau ! Alors c’est pas moi qui l’ai commandée. Je ferais jamais ça à la population !

Journaliste — Vous voyez pas qu’il n’y a plus rien à voir ? Ces trucs blancs, là…

Marette — On dirait de la porcelaine… Les gens jettent n’importe quoi n’importe où ! Mais où est le civisme que j’ai appris à l’école quand j’en avais besoin ? Et le pire, c’est quand ils jettent leurs merdes que c’est pas n’importe où ! Comme des chiens non bénis par nos mains ! Je l’ai toujours dit : il faut épurer, sinon on sera plus en France !

Journaliste — C’est bien le moment de faire de la politique ! Je n’ai plus de bicyclette, les voleurs courent encore alors qu’on sait qui c’est…

Marette — Mais je sais pas, moi, qui c’est qui sait !

Journaliste — Et le musée n’existe plus !

Marette — Ah ! Pardon ! Le catalogue garantit la solidité de ce genre de musée. Vous pouvez chier du bronze, il résiste à la fissure. Il se colmate tout seul.

Journaliste — Mais vous voyez pas qu’il est détruit ! Et il n’y a pas eu d’orage cette nuit.

Marette — Mais quécecé ces trucs blancs ? On dirait des morceaux de porcelaine. Ah ! Les gens ! Ils jettent n’importe quoi n’importe où, surtout s’ils savent où ils le jettent,

Journaliste — Mais il est con ou quoi !

Marette — J’ suis pas con, j’ suis cheminot !

Journaliste — Je suis pas con non plus et je vous dis que le musée est en morceaux !

Marette — Mais vous êtes de Gauche ! Il faut tenir compte que vous êtes de Gauche. Et j’en tiens compte, moi ! D’abord vous prétendez que mon bras droit vous a volé une bicyclette et maintenant vous voyez un musée où il n’y en a jamais eu !

Journaliste — Putain ! C’est le choc !

Il flatte l’épaule de Marette.

Si on allait voir la télé ?

Marette — Mais on verra rien à la télé !

Journaliste — On verra les voleurs…

Marette — Mais on verra pas ceux qui ont jeté ces saloperies sur mon gazon !

Journaliste —

Montrant la caméra :

On est bien filmé en ce moment même…

Marette — On verra rien du tout !

Journaliste — Mais enfin ! Vous dites n’importe quoi ! Vous voulez garder pour vous les preuves qu’on m’a volé ma bicyclette et qu’on a cassé votre musée. Peut-être en même temps, mais peut-être pas !

Marette — Il n’y a rien à voir ! Circulez !

Journaliste — Mais je suis la Presse ! Et la locale !

Marette — Vous seriez la Coloniale que ce serait la même chose.

Journaliste — Eh ! Bé ! J’irai à la gendarmerie !

Entre le gendarme.

 

Scène V

Les mêmes, le gendarme

Le gendarme — J’arrive toujours quand on s’y attend le moins. En principe, je tombe bien parce qu’il n’y a rien à faire. Mais des fois, je tombe à pic. Et qu’est-ce que je constate ?

Journaliste — On m’a volé ma bicyclette…

Le gendarme — Ce que je vois est bien plus grave ! Où est passé le musée ?

Marette — Il dit qu’il l’a cassé.

Journaliste — J’ai pas dit que c’est moi ! Je suis venu pour la bicyclette !

Le gendarme — Elle est où cette bicyclette ?

Journaliste — Elle peut pas être là, on me l’a volée !

Le gendarme — Et qui a cassé le musée ?

Marette — Il dit que c’est lui.

Journaliste — Je n’ai jamais dit ça ! On ne voit jamais un homme de Gauche casser un musée. Par contre…

Marette — Vous allez dire que c’est la Droite peut-être !

Journaliste — Par contre on voit beaucoup de gens de Gauche se faire voler leur bicyclette !

Le gendarme — C’est vrai, ça ! Les statistiques le prouvent ! Statistiques que la gendarmerie met à la disposition des organismes qui peuvent en faire ce qu’ils veulent pourvu que l’honneur de notre institution ne soit jamais bafoué par la Légion d’honneur.

Journaliste — Ça, je le savais pas, mais ce que je sais, c’est que ma bicyclette sert en ce moment à autre chose qu’à me transporter.

Le gendarme — C’est ce qui arrive toujours quand on perd la propriété d’un bien. C’est un autre qui en jouit et ça nous fait bien chier.

Journaliste — Mais voler n’est pas un moyen d’acquérir du bien !

Le gendarme — Dans le Code civil, peut-être, mais en réalité, il faut bien admettre que voler, ça n’appauvrit pas, au contraire ! La personne qui a volé votre bicyclette…

Journaliste — Ils étaient deux !

Le gendarme — Pensez-vous sérieusement que ces individus sont plus pauvres maintenant qu’ils peuvent jouir de votre bicyclette ?

Journaliste — Mais ils n’en jouissent pas ! Vous vous trompez de Code !

Le gendarme — Vous voulez dire que moi, gendarme officiel, je ne sais pas ce que je dis ?

Entre le garde.

 

Scène VI

Les mêmes et le garde

Garde — On parle moi… en mauvais termes ?

Le gendarme — C’est de moi qu’on parlait !

Garde — Oh ! Mon Dieu ! Le musée !

Marette — Qué musée ?

Garde — Mais qu’est-ce qui s’est passé ?

Marette — On lui a volé sa bicyclette. Qu’il dit !

Journaliste — Un peu que je le dis ! Je sais tout de même ce que c’est une bicyclette ! Surtout que celle-là, c’est la mienne !

Marette — Maintenant, mêmes les bicyclettes savent des choses. Si c’est pas la base d’un complot, ça, c’est que j’ai travaillé pour rien.

Garde — Ah ! Bon. On travaille à la SNCF ?

Le gendarme — Ils travaillent, mais on les voit pas travailler…

Marette — Vous on vous voit, mais vous faites autre chose !

Le gendarme — Ça s’appelle travailler, ce qu’on fait. Et on le fait bien. Mieux que ces miliciens qui se prennent pour des autorités en la matière…

Garde — On n’a peut-être pas beaucoup de matière, mais on a l’autorité. Vous ne pouvez intervenir que si on le veut bien.

Marette — Et on le veut pas.

Journaliste — C’est peut-être pas le moment de mettre au point une querelle de pouvoir judiciaire… Ma bicyclette court toujours !

Marette — Eh ! Oui. Té ! Sa bicyclette court après le voleur !

Rires.

Journaliste — Vous feriez bien de vous inquiéter pour votre musée… qui n’existe plus !

Marette — Il a jeté plein de saloperies sur mon gazon et il veut pas le reconnaître !

Journaliste — Mais c’était un musée, cette saloperie !

Marette — Alors pourquoi sur mon gazon ? Pourquoi pas dans votre poubelle ? C’est toujours la même chose avec les saloperies : on les jette dans la poubelle du voisin quand on en a plus besoin !

Journaliste — Mais je n’ai jamais eu besoin de votre musée ! Personne n’a jamais eu besoin de cette saloperie !

Marette — Vous voyez que c’est de la saloperie !

Journaliste — Et comme vous dites : maintenant, vous la jetez dans MA poubelle ! Et qui c’est qui se démerde… ?

Le gendarme — Je sens que ça va être compliqué à démêler !

Orchestrant :

Alors comme ça, on vous a volé votre bicyclette et vous connaissez le voleur…

Journaliste — Les voleurs…

Le gendarme — Les voleurs qui sont deux : un qui vole et un autre qui fait le pet…

Marette — Moi je pète jamais quand je vole…

Garde — Ouais, mais toi, tu es un drôle d’oiseau !

Le gendarme — Ensuite, ou dans le même temps, le musée explose et se répand sur le gazon de la mairie. Un musée en porcelaine chinoise. Une porcelaine pourtant garantie contre les risques de fissures, petite astuce contractuelle qui ne dit rien du cas d’explosion.

Garde —

Attentif :

Tout le monde est d’accord avec vous… jusque-là.

Le gendarme — C’est compliqué, comme affaire, et pas courant, sauf s’il n’y a aucun lien entre cette bicyclette qui a disparu et ce musée qui est toujours là, mais qui ne sert plus à rien.

Journaliste — Il n’y a aucun lien !

Le gendarme — Vous êtes gendarme ? Vous avez une formation adéquate ?

Journaliste — Non, mais je sais ce que je dis…

Garde — Il se moque de vous…

Le gendarme — On ne se moque jamais d’un corps constitué : on l’insulte !

Journaliste — Ça tombe bien, je ne vous insulte pas. Je vous demande de courir après ma bicyclette pour voir s’il y a encore quelqu’un dessus.

Le gendarme — Et c’est ce que je vais faire, figurez-vous ! Je connais mon métier ! J’ai pas eu la théorie sur le coup, mais j’ai la pratique après coup. Je suis un homme de terrain.

Garde — Et sur ce terrain, le musée est en morceaux.

Le gendarme — Je suis d’accord sur cette constatation qui prouve que nous avons, vous et moi, un point commun qu’il serait judicieux de ne pas négliger. On n’a rien à voir avec la SNCF.

Marette — Et je n’ai rien à voir avec ce prétendu musée. Vous voyez pas que c’est une cuvette de WC ou plutôt de qu’il en reste ?

Le gendarme — Et quécecé ce filet d’eau ? Quand on jette un WC, on le jette avec l’eau du robinet ?

Journaliste — Ça peut faire une expression pleine de sens… caché.

Le gendarme — On ne vous demande pas votre avis, vous ! Mais faut pas jeter la cuvette avec l’eau du robinet ! Ce qui veut dire, monsieur le Maire — et je suis navré de vous contredire — que ce qu’on voit là est bien un musée. Je le connais, le catalogue ! On le reçoit à la brigade. On a nos relations nous aussi !

Marette —

Se penche :

Maintenant que vous le dites…

Le gendarme — Je ne le dis pas. Je le prouve !

Garde — Et c’est bien prouvé !

Entre la Présidente.

 

Scène VIII

Les mêmes, la Présidente

La Présidente — Une preuve ? J’arrive !

Elle court et tombe dans le musée en morceaux.

Ça fait mal !

Le gendarme — Si ça faisait pas mal, y aurait plus d’plaisir !

 

Si ça faisait pas mal

Y aurait plus de plaisir

Faut chasser le banal

Pour doubler le désir

Faut passer aux aveux

Avant qu’il soit trop tard

Avant que la mémoire

Nous sorte par les yeux

 

La Présidente —

Rien posséder à soi en dur

Pousse parfois à désirer

Plus que nous donne la nature

C’est bien naturel et inné

La loi souvent nous dépossède

C’est par instinct qu’on s’influence

Et on n’a pas toujours la chance

D’aller au bout des intermèdes

 

Le gendarme —

À jouer au plagiaire

On se retrouve au trou

Le trou c’est pas d’hier

Qu’on s’ le fait au verrou

On comprend pas toujours

Que c’est avant d’aller

Qu’il faut faire le tour

De la propriété

 

La Présidente —

C’est bon de posséder le tout

Et ne rien donner à personne

Pas un fifrelin pour les hommes

Et pour Dieu des péchés absous

Ainsi va la propriété

De mains en mains elle appartient

Ya bien des lois mais c’est en vain

Qu’on fabrique des députés

 

Le gendarme —

Je devrais pas le dire

Mais je le dis quand même

Dans la vie ya pas pire

De constater que même

Si on a bien voté

On est pas tombé pile

Dans la propriété

Qui rend la vie facile

 

La Présidente —

Faut pas le dire et profiter

Qu’on a fait le choix du sérieux

Pour posséder un bout du mieux

Et de la joie se contenter

Pour mériter d’être la poigne

Il faut des châteaux en Espagne

Dans les égouts de la castagne

On est les malades qu’on soigne

 

Le gendarme —

Non ya pas de plaisir

Sans douleur ouvragée

Quand on la santé

On la doit de servir

Et quand tombent les miettes

On se fait tout petit

Comme le vieux Marette

Quand il a bien saisi !

 

La Présidente et le gendarme —

Nous sommes les oiseaux qui passent

Pour ramasser dessous la table

Les détritus que les rapaces

Laissent tomber pour les notables

Et c’est avec ces salissures

Que nous construisons l’existence

On n’y peut rien c’est la nature

Le bien est un’ grande souffrance

 

La Présidente — Mais où est passé le musée ?

Journaliste — Où est passé ma bicyclette ?

Le gendarme — Je préviens tout le monde : ça va être compliqué.

Garde — Ya personne à tabasser !

 

Ça va être compliqué

Les affaires ne vont plus

Ya personne à tabasser

Pour le plaisir c’est foutu !

 

Au début on attend qu’ ça vienne

Et par erreur on va trop loin

On revient avec la moyenne

Et le droit de se fair’ la main

Mais en l’absence de témoin

Le désir fond dans les liquides

Et sans le fond c’est pas limpide

On recommenc’ mais sans les mains

 

Si personne est amené

Et si tout le monde fuit

On fait comment sans ennui

Notr’ métier de justicier !

 

C’est avec beaucoup d’expérience

Et des prévenus angoissés

Qu’on fait la preuve que la science

Est une bonne humanité

Un petit coup de pouce en douce

Sans la douleur on a plus rien

Inspirer aux idées la frousse

Ça vaut bien un petit coup d’ main !

 

Mais voilà on se sent nu

L’objet n’est pas le sujet

Le sujet n’est pas l’objet

À tous les temps c’est foutu !

 

Le gendarme — C’est vrai que c’est pas tous les jours marrant ! Attendre ! Attendre ! Attendre…

Journaliste — Et bien vous avez attendu qu’on me vole ma bicyclette ! Vous allez pouvoir travailler et cesser de vous ennuyer.

La Présidente — Je ne m’ennuie jamais, moi ! Et ça ne m’ennuie pas ! J’ai l’habitude ! Quelqu’un peut-il me dire où est passé le musée ?

Marette — D’après ce qu’il dit, vous êtes assise dessus…

La Présidente — Mais ça ne sent pas la merde !

Marette —

À la Présidente :

Et j’ai bien regardé : ya pas de sous dedans ! Yen aurait, ce serait le musée. Mais il n’y en a pas ! Ce n’est pas le musée. Je m’y connais en musée. Même quand on les casse, je les reconnais. Et celui-ci n’en est pas un ! Ouille !

La Présidente — Ça fait mal ! On va être beaucoup moins riche !

Marette — Vous regarderez quand même entre les fesses, des fois que les sous…

Journaliste — On m’a volé ma bicyclette ! Et je sais qui c’est !

Marette — On va le savoir !

Le gendarme — Avant, je courais. Maintenant, j’attends.

Journaliste — Et vous attendez quoi ?

Le gendarme — Le bon moment.

Marette — Bon ! Pour le musée, on en achètera un autre.

Garde — C’est facile sur catalogue !

Marette — Occupez-vous de la bicyclette de ce monsieur. Ça me laissera le temps de réfléchir.

La Présidente — Oui, mais vous ne réfléchirez pas sans moi ! On avait dit 50/50.

Marette — Mais je ne l’oublie pas. J’ai même une petite idée de qui a cassé le musée. Si c’est le musée, eh !

Journaliste — Mais qu’est-ce que vous attendez pour courir ?

Le gendarme — Ça fait longtemps que j’ai pas couru. Je sais pas si je vais me rappeler.

Garde — Vous n’avez pas la pratique ?

Le gendarme — La pratique, je l’ai. Mais en théorie…

Passe le gosse sur le vélo. Le journaliste se met à courir et le garde et le gendarme le suivent en ânonnant. Arrive alors Bousquet. Marette le prend par la manche et l’entraîne devant les débris du musée.

 

Scène IX

Marette, Bousquet et la Présidente

Marette — Il va falloir que tu m’expliques…

Bousquet — Et qu’est-ce que je vais t’expliquer ? Oh ! Le musée ! Mon pauvre musée !

Marette — Il est pas pauvre et il est à moi ! Qu’est-ce que tu lui as fait ?

Bousquet — Moi !

La Présidente — On en a une petite idée…

Bousquet — Moi aussi j’ai une idée de ce que vous en avez fait… Les sous… Il y en avait beaucoup quand j’ai mis les pieds dedans… Et on dirait que maintenant il n’y en a plus… Quelqu’un les a pris ?

Marette — Ne fais pas l’innocent ! C’est toi qui as cassé le musée !

Bousquet — Moi !

Marette — Je te vois faire depuis que le Président a disparu dedans.

Bousquet — Moi !

Marette — Je t’ai vu y mettre le pied. Tâter le terrain. Comme si un gros bonhomme comme toi pouvait entrer dans ce petit trou de rien du tout. C’est un WC pour les Chinois, qui sont petits et tout fins. Avec ton fusil sur l’épaule, tu n’entrerais pas dans un WC turc. Et pourtant ils sont grands les WC turcs. Mais quand on m’a proposé de construire un musée…

Bousquet — Moi !

Marette — Je n’ai pas hésité entre le modèle chinois et le turc. Et j’ai eu besoin de personne pour prendre ma décision. Et j’avais mes raisons !

La Présidente — Si tout le monde peut entrer tout entier dans un WC turc, il ne pouvait plus servir… pour les sous. Avec la main, c’est plus long. D’ailleurs on a pas eu le temps et maintenant c’est foutu ! On sera plus jamais riche ! Ouille ! Ouh ! Ouh ! Ouh !

Bousquet — Je sais de quoi vous parlez ! Je vous ai surpris !

La Présidente — Il nous a surpris !

Bousquet — Tu parles si je vous ai surpris ! La main dedans ! En train de fouiller pour trouver les sous de ces pauvres touristes !

Marette — Et qu’est-ce qu’il fait le François là-dedans si c’est pas pour les sous ? Seulement toi, tu es amoureux… de sa politique. Et tu t’es mis dans l’idée de le rejoindre dans les égouts de Mazères pour partager avec lui ce qu’il ne veut sans doute pas partager. Moi, si j’avais de l’argent, je le partagerai pas.

La Présidente — Je suis prévenue !

Marette — Et c’est en voulant entrer dedans que tu l’as cassé !

Bousquet — Moi !

Marette — Oui, toi !

Bousquet — Et comment j’aurais fait pour tirer la chasse. Si on tire pas la chasse, on peut pas entrer dedans.

Marette — Mais on peut le casser ! Et TU l’as cassé !

La Présidente — L’amour ! L’amour !

Marette — L’argent ! L’argent !

Bousquet — Et tu as des preuves de ce que tu dis ?

Marette — Tu aimerais bien le savoir…

La Présidente — On n’accuse pas sans preuve ou alors il faut me le demander. Je fais ça très bien sans l’aide de personne !

Marette — Vous n’allez pas l’aider, tout de même ! À cause de lui, les sous sont perdus à jamais. On restera pauvre jusqu’à la fin de notre existence !

La Présidente — Mais pas ensemble !

Marette — Tu vas rembourser ce que tu me dois !

Bousquet — Mais je te dois rien ! Je l’ai pas cassé. Il me fallait quelqu’un pour tirer la chasse et je ne l’ai pas trouvé. Et pourtant, j’ai cherché…

Marette — Et qu’est-ce que tu cherchais en courant après ce gosse ?

Bousquet — Il a volé une bicyclette. Et moi je voulais pas !

Marette — Alors il s’est mis à te courir après pour que tu le veuilles !

La Présidente — Il se moque de nous !

Bousquet — C’est parce que vous interprétez ce que vous avez vu sans en connaître le sens !

La Présidente — Il va m’apprendre mon métier maintenant !

Marette — Il y a une solution : tu as cassé le musée. Et le gosse a refusé de tirer la chasse d’un musée cassé. J’ai vu des gosses à qui s’est arrivé… moi-même…

Il devient nostalgique.

Je me souviendrai toujours du jour où j’ai refusé de tirer la chasse…

Bousquet — Mais ça n’a rien a voir !

Marette — C’était pas un musée mais il y avait une chasse d’eau ! Et j’ai refusé de la tirer !

La Présidente — Ça devient compliqué ! Et tout bien vérifié, j’ai pas un sou dans le cul.

Marette — Ça aurait pu arriver….

La Présidente — S’il y avait encore eu des sous dans le musée ! Mais il n’y en avait plus !

Marette — Suggérez-vous que quelqu’un les a…

La Présidente — Je ne suggère pas, j’accuse !

Bousquet — Et vous accusez qui ? J’ai simplement mis le pied dedans…

Marette — Tu vois ! Tu vois !

Bousquet — Mais il a pas voulu tirer la chasse !

Marette — Parce que le musée était cassé ! Tous les enfants font ça. Moi-même…

Bousquet — Mais je l’ai pas cassé ! Il était déjà cassé !

La Présidente — Vous voulez dire que c’est quelqu’un d’autre qui l’a cassé… ? Est-ce que vous pensez à la même personne que moi ?

Marette se rapetisse.

Quelqu’un qui ne partage pas… Et qui accuse les autres pour tout garder pour lui… et moi le cul dans cette merde et ces morceaux de faïence… et pas un sou entre les fesses…

Bousquet — … ce qui fait naître le doute…

La Présidente — C’est légitime !

Marette — C’est peut-être légitime, mais ce n’est pas moi qui ai volé les sous du musée.

Bousquet — Mais tu allais le faire…

Marette — Elle aussi elle allait le faire… et tu lui dis rien à elle !

La Présidente — Mais je n’ai rien fait ! J’ai des mauvaises pensées comme tout le monde. Ah ! S’il fallait enfermer tous ceux qui veulent devenir riche, il n’y aurait plus que des pauvres sur la terre !

Marette — Je dis pas le contraire…

La Présidente — Et vous imaginez un tribunal présidé par un pauvre ?

Bousquet — Les prévenus seraient quelquefois pauvres eux aussi… Même souvent !

La Présidente — Et alors ? Vous imaginez un pauvre jugeant un autre pauvre ? C’est inconcevable !

Bousquet — Je le conçois, moi… Ça me plaît cette idée.

Marette — Maintenant que tu es de Gauche…

Bousquet — Ce qui ne veut pas dire que j’ai des mœurs contre nature !

Marette — Je le dis pas, mais je le pense…

La Présidente — Les pauvres ne peuvent en aucun cas juger les autres, que ce soit des riches ou des pauvres. On était bien d’accord là-dessus quand j’ai commencé mes études. Ou alors je n’ai rien compris ! Ouh ! Ouh ! Ouh !

Bousquet — Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a plus de musée…

La Présidente — Et plus d’argent dedans !

Marette — Ce qui reste à vérifier.

La Présidente — Mais j’ai vérifié !

Marette — Nous non !

Bousquet — J’ai bien regardé dedans… Il n’y en a plus. Envolés, les sous des touristes !

Marette — Mais tu n’as pas regardé dans son cul !

La Présidente — J’y ai regardé moi ! Et je n’ai rien trouvé.

Marette — Et vous avez regardé comment ? En vous dévissant la tête ?

Mime.

J’exige de jeter un œil ! Oh ! Un regard discret sans intentions loufoques… Quand je regarde ces choses dans un esprit d’analyse, je suis presque noble.

Bousquet — Moi, je le suis tout le temps…

Marette — Sauf depuis que tu es socialiste !

La Présidente — Vous ne comptez tout de même pas que je vous montre mon… ce que j’ai dedans !

Marette — Elle a quelque chose dedans ! Qu’est-ce que je disais ?

Bousquet — Ça me gêne un peu…

Marette — Je suis gêné moi aussi ! Ça me fait même rougir !

Bousquet — Oui, mais c’est ton foie…

La Présidente — Je refuse de me laisser… violer par le regard de l’homme !

Marette —

Amusé :

Moi, quand je viole, c’est pas avec les yeux…

Bousquet —

Prudent.

Et c’est pas des femmes…

Marette — J’avais compris « violer »…

Bousquet — Et tu avais mal compris… On va peut-être arrêter de parler de ta couleur préférée…

À la Présidente :

Marette a raison. Il faut lever le doute. Je vous montre le mien pour vous encourager…

Il montre son cul.

C’est un peu serré. Mais avec le socialisme, je suis pas encore passé à la pratique.

Marette — Tu l’auras, la pratique ! Même sans la théorie, tu trouveras du boulot.

Bousquet — Vous pouvez me montrer le vôtre maintenant que je me suis humilié ?

La Présidente — Mais je ne veux pas m’humilier ! Il est plein de merde !

Marette — Ça devient intéressant…

Bousquet — Je promets de pas regarder longtemps.

Marette — Il me faut du temps à moi ! Et je suis pas sûr d’y arriver !

La Présidente — Vous promettez de pas vous moquer ?

Bousquet — Je me moquerai pas, promis !

Il tape sur les mains de Marette.

Et je ferai rien d’autre !

La Présidente — Il faut éteindre la lumière…

Marette — Et on verra comment ? En plein jour !

Bousquet — C’est exigeant, une femme ! J’ai bien fait de devenir socialiste !

Marette — T’es plus emmerdé comme ça ! C’est que, question liberté d’expression, elle est classique. Dans le noir et sans toucher ! Une idée de la justice que je souhaite pas à tout le monde !

Bousquet — On peut pas éteindre, madame…

La Présidente — Et pourquoi ?

Bousquet — Parce que c’est pas allumé…

La Présidente — Vous n’avez qu’à allumer et ensuite éteindre !

Bousquet — On peut pas allumer…

La Présidente — Et pourquoi ?

Bousquet — Parce qu’on peut pas éteindre…

La Présidente — Ça me rappelle le tribunal ! Au début c’est tout noir. Et après, on voit tout.

Bousquet — Oui, mais là, on voit rien et pourtant c’est allumé…

La Présidente —

Pleurant :

C’est trop compliqué pour moi !

Marette — J’ai une idée !

La Présidente — C’est indispensable d’avoir des idées alors que j’ai rien dans le cul ?

Bousquet — À part la merde…

La Présidente — … à part la merde… Mais c’est une merde qui sent bon.

Bousquet — N’exagérez pas…

À Marette :

Tu as une idée ? Ça m’étonne… Je me demande si tu viens pas de me la piquer…

Marette — Et j’aurais fait comment pour te la piquer ? J’ai pas bougé d’un poil !

La Présidente — Oui ! Des poils aussi ! Mais tout le monde en a !

Bousquet — Et ils sentent bon. Marette a une idée…

La Présidente — Ouille ! Ouh ! Ouh ! Ouh !

Marette — Mes idées ont toujours fait pleurer les gonzesses…

Bousquet — C’est pour ça qu’elles adorent alimenter la rumeur. C’est quoi ton idée ?

Marette — La caméra…

Bousquet — La caméra ?

Un moment. Mime.

Ah ! J’ai compris. J’y vais !

Marette — Non ! C’est moi qui y vais !

Bousquet — Je sais ce que c’est un cul !

Marette — Mais c’est un cul de femme. Maintenant que tu es socialiste, tu sais plus ce que c’est.

Bousquet — Alors je verrai rien ?

Marette — Je suis sûr que c’est toi !

Il sort.

 

Scène X

Bousquet et la Présidente

Bousquet — Je vous montre…

Il se place sous la caméra de surveillance et se déculotte. On entend le cri de Marette à l’intérieur.

C’est pour le réalisme !

À la Présidente :

Je fais rien sans réalisme…

La Présidente — Je m’y connais moi aussi en réalisme.

Bousquet — Une caméra, c’est discret. Et puis, tout ce qui est filmé ne sort pas du PC de vigilance.

La Présidente — C’est garanti ?

Bousquet — Par le gouvernement.

La Présidente — Un gouvernement socialiste… Je sais pas si je peu avoir confiance…

Bousquet — Il a bien confiance en vous !

La Présidente — Oui, mais alors, une seconde. Pas plus !

Bousquet — On prend la photo et c’est fini !

La Présidente — Vous allez prendre une photo ? Ça m’embête…

Bousquet — C’est pas écrit dessus… On vous reconnaîtra pas…

La Présidente — Le Marette sait bien que c’est moi ! Il a l’habitude.

Bousquet — Raison de plus pour ne pas vous en faire. Venez ici…

La Présidente — Là ? Comme ça ?

Bousquet — Comme ça, mais sans la culotte.

La Présidente — On entend rien…

Bousquet — Je préfère…

La Présidente — Je veux dire que si j’avais des sous dedans, on les entendrait. C’est une bonne idée, non ?

Elle secoue son derrière.

Vous entendez quelque chose ?

Bousquet —

Oreille collée :

Je peux pas dire…

La Présidente — Si c’était des sous, ça s’entendrait !

Elle secoue encore. Marette revient.

 

Scène XI

Marette, Bousquet et la Présidente

 

Marette — Mais quéce vous faites ? J’attends moi !

La Présidente — J’ai une autre idée…

Bousquet — C’est vrai que si elle avait des sous dans le cul, ça s’entendrait… Tu veux pas écouter… pour voir ?

Marette — J’aurais préféré voir avant d’écouter… Le son, moi, ça me dit rien.

Le gendarme et le garde reviennent avec la bicyclette et le gosse. Le journaliste arrive ensuite en courant.

 

Scène XII

Les mêmes, le gendarme, le garde, le gosse et le journaliste

 

Journaliste — Je vais faire une crise ! Quelle émotion !

Il montre Bousquet.

C’est lui ! Il faisait le pet !

Bousquet — Je faisais le pet ? Mais cette dame est consentante… je ne comprends pas…. Ce n’est pas interdit !

Le gendarme — Ce que vous faites avec cette grue ne m’intéresse pas…

Il lève le nez vers la caméra.

Ni l’usage… municipal… qu’on fait de ce système concurrent.

Il reconnaît la Présidente.

Oh ! Pardon, madame ! Je ne disais pas ça pour vous !

La Présidente — Ne vous laissez pas tromper par les apparences.

Le gendarme — C’est un très bon conseil que je vais suivre de ce pas….

Il tire l’oreille du gosse.

Nous avons appréhendé ce garnement en pleine possession d’un bien ne lui appartenant pas.

Journaliste — C’est ma bicyclette !

Le gendarme — Je comprends votre joie, mais il me faut admettre qu’en pratique, ce vélo n’aurait pas été bien loin. Cet enfant non plus. Et comme personne ne lui veut du mal et que tout le monde est satisfait par la tournure des évènements, je propose de restituer l’objet du délit à son propriétaire et son sujet à sa maman. Qu’en pensez-vous, madame la Présidente, puisque je vous ai sous la main ?

Journaliste —

Au gosse :

Pas une égratignure ! Bravo petit !

La Présidente —

Troublée :

On va faire comme si personne n’avait rien entendu…

Marette —

À Bousquet :

Tu as entendu quelque chose ?

Bousquet — Tu penses bien que si j’avais entendu quelque chose, je te le dirais…

Marette — Pas si sûr !

Se dressant :

L’affaire de la bicyclette de monsieur le journaliste étant résolue dans la bonne humeur, je propose à la population ici présente… de prendre note de ma décision de former séance tenante une milice de gars costauds, comme les aime Bousquet depuis qu’il est socialiste, pour résoudre l’énigme du musée de Mazères. Un individu, ou un groupe d’individus, a procédé à la destruction par le bris des murs du musée de Mazères qui du coup ne tient plus debout.

Entre Trigano.

 

Scène XIII

Les mêmes, Trigano

 

Trigano — Et je me fais un devoir de reconstruire cet édifice indispensable à la réputation culturelle de notre bonne ville de Mazères. Les moyens seront à la hauteur de la fierté que j’éprouve rien que d’y penser.

Tous — Vive Dédé ! Vive Dédé ! Vive Dédé !

Marette —

En aparté :

Encore un coup monté… Et comme d’habitude, je suis seul…

Gosse —

Discret :

Si tu a besoin de moi, n’hésite pas.

Marette — Tu es la première recrue de ma Milice !

Gosse —

Clairon :

Quand on a rien on a tout

L’avenir est le seul bien

Mais quand on a les moyens

On a tout mais c’est pas tout

 

Merde on n’a plus les Allemands

Pour nous aider à reconstruire

Les sympathiques monuments

Dont on sait nous enorgueillir

 

Quand je dis on c’est en pensant

Qu’on est pas tout seuls dans le bain

Quitte à mourir s’il le faut bien

On est gros-jean comme devant

 

Quand on a rien on a tout

L’avenir est le seul bien

Mais quand on a les moyens

On a tout mais c’est pas tout

 

On a perdu les colonies

C’est embêtant pour fair’ la guerre

Et la gagner sans faire envie

Aux partisans de la paix paire

 

La guerre impair’ c’est pas la joie

Mais ça procur’ des sensations

Dans les pays où on est roi

Mais seul’ment par procuration

 

Quand on a rien on a tout

L’avenir est le seul bien

Mais quand on a les moyens

On a tout mais c’est pas tout

 

J’irai pas loin mais j’irai droit

Dans l’amitié ya des limites

Et des solutions dans la fuite

J’aurais un fusil rien qu’ pour moi

 

Dans le désert et sous la pluie

Au couteau et malgré les coups

J’habiterai dans un grand trou

Creusé dans la chair sans ennui

 

Quand on a rien on a tout

L’avenir est le seul bien

Mais quand on a les moyens

On a tout mais c’est pas tout

 

Que je sois riche dans ma tête

Riche de voyages sans toi

Ne fais pas un héros de moi

Mais j’aime bien ma mitraillette

 

Au fond je n’ai pas de besoins

Je vais cueillir et je reviens

Un’ patte en moins c’est peu payer

Pour avoir le droit d’exister

 

Quand on a rien on a tout

L’avenir est le seul bien

Mais quand on a les moyens

On a tout mais c’est pas tout

 

Tous — Vive Marette ! Vive Marette et le bon vin !

(rideau)

 

 

ACTE IX

Même décor. Le jour se lève (jeu de lumière). Sur le trottoir, des SDF se réveillent.

 

Scène première

Des SDF

SDF —

Ya pas d’ bourgeois sans les larbins

Et pas d’ larbins sans avantages

Ça se transmet de main en main

À la plume et mise à la page

C’est une question d’équilibre

Du point de vue égalité

Pas besoin de se justifier

Ça s’ voit au pif et au calibre

 

On est pas des larbins

Des bourgeois en vadrouille

D’ la mort on a la trouille

Mais la vie c’est pas sain

 

Ya pas de frèr’ mais des copains

Des occasions de s’apprécier

Des drapeaux et des poignées d’ main

Des morts vivant à point nommé

La liberté est pour les uns

Ce qu’ell’ n’est pas pour les voisins

On remercie avec les mains

Ce que l’esprit perd en emprunts

 

On est pas des larbins

Des bourgeois en vadrouille

D’ la mort on a la trouille

Mais la vie c’est pas sain

 

Mais il n’y a pas d’ contradiction

Ça tourne rond dans la galère

Tout le monde se sent pépère

Rar’ sont les cas de dépression

En vacanc’ on les reconnaît

Autour du feu ils s’organisent

Aux alentours on les méprise

Mais ils s’en fout’ ils ont payé

 

On est pas des larbins

Des bourgeois en vadrouille

D’ la mort on a la trouille

Mais la vie c’est pas sain

 

Et leurs enfants quand ils en ont

Ne jouent pas avec les enfants

On voit bien qu’en les poursuivant

Ils n’ont pas la clé d’ la maison

C’est qu’ils sont dans l’imitation

Ils ont des peurs mais c’est pour rire

On leur a promis l’avenir

Le top de la résignation

 

On est pas des larbins

Des bourgeois en vadrouille

D’ la mort on a la trouille

Mais la vie c’est pas sain

 

À côté d’ ça on est plus rien

On a le droit au minimum

C’est à pein’ si on est des hommes

Mais on se sert jamais des mains

C’est à se demander si rien

N’est au-dessus de leur statut

Et qu’en dessous on est foutu

Si on cherche à mettre la main

 

On est pas des larbins

Des bourgeois en vadrouille

D’ la mort on a la trouille

Mais la vie c’est pas sain

 

La main à la patte et en l’air

L’air de rien et l’œil aux aguets

On s’approch’ pas mais on espère

Que du ciel ça va leur tomber

Et qu’on pourra les ramasser

Pour se construire une mémoire

Nous aussi on veut exister

Dans les couloirs faire l’Histoire

 

On est pas des larbins

Des bourgeois en vadrouille

D’ la mort on a la trouille

Mais la vie c’est pas sain

 

En attendant faut se nourrir

On a des goss’ et des devoirs

Alors on march’ sur les trottoirs

Près des vitrin’ on peut vieillir

Couler un bain avec du rêve

Se savonner dans les idées

Et entretemps faciliter

Les infortunes de la crève !

 

On est pas des larbins

Des bourgeois en vadrouille

D’ la mort on a la trouille

Mais la vie c’est pas sain

 

Entre Marette en chasseur. Treillis et fusil.

 

Scène II

Marette et les SDF

Marette —

Les menaçant avec son fusil :

Ouste ! Mais ça se croit où ! Ah ! Je tire pas, eh ! mais c’est pour ne pas commettre un tapage matinal. Dégagez ! Les femmes et les enfants d’abord ! Et que le Diable vous emporte à Calmont ! Il n’y a rien ici pour les gueux. En pleine saison ! Allez passer vos vacances ailleurs !

Les SDF sortent.

 

Scène III

Marette

Marette — Entre les chiens sans laisse et ces évadés du laxisme, je choisis pas ! Ces incivilités me donnent de la poigne. Et de bon matin ! Je commence par tuer un animal dans les règles de l’art, pan ! je me récompense, hic ! et de retour sur le terrain républicain, je m’affronte indirectement avec la fausse France par l’intermédiaire de ses produits caractéristiques : les chiens en vadrouille et les indésirables.

Il pointe le fusil dans toutes les directions.

Mais nous autres les vrais Français, attachés aux valeurs républicaines comme sur la Croix, nous sommes la Résistance aux forces du mal. Si ça se fait, ce sont eux qui ont cassé mon musée…

Il regarde furtivement autour de lui.

Cette thèse tient debout… Il faut la faire tenir debout. Accuser Bousquet n’est pas une bonne affaire. C’est qu’il me sert bien, ce larbin de larbin !

Il parle plus bas.

Il croit que je l’ai désigné pour me succéder. Je le laisse croire. Mais de là à le foutre dans la merde parce qu’il aurait cassé mon musée, non ! C’est un pas que je ne peux pas franchir sans me fouler la cheville. Nous sommes en terrain miné.

Encore plus bas, avançant dans les débris du musée.

On ménage ses amis, surtout si on en a besoin. C’est qu’il est moins con que moi ! Ah ! Évidemment, maintenant qu’il est socialiste… enfin… à mon avis, il n’est pas encore passé à l’acte. Mais dès qu’il aura goûté à cette sensation, il faudra que je me méfie… J’ai passé l’âge d’en profiter, même de loin !

Il s’accroupit, fusil en garde.

Ça pourrait être les SDF. A-t-on idée de se priver de domicile à Mazères ! Qu’ils aillent coucher ailleurs ! Mais… si l’un d’eux avait cassé le musée… pour se venger de… mais de quoi ? Il faut que j’y réfléchisse sérieusement. Il faut un mobile et… des traces ! En principe, ça suffit pour qu’on y croie. Nous sommes dans le pays de l’intime conviction, certes, mais il faut l’aider un peu, non ?

Il ramasse un morceau de faïence.

Je regarde pas trop les séries américaines, mais ça m’inspire. Comme quoi, ces incitations à la violence ont quelquefois du bon… si elles tombent entre de bonnes mains ! Parce que je suis pas un vrai délinquant, moi ! J’ai mes raisons ! Et c’est pour le bien du plus grand nombre ! Même si, momentanément, on a perdu les élections.

 

Qui c’est qui perd les élections

Dans la situation présente ?

On a bien raison dans l’attente

De s’accrocher à la fonction

On n’est pas tous à l’agonie

Mais notre raison c’est l’État

On travaill’ peu mais sur le tas

On est les rois de l’apathie

 

Être en fonction

C’est l’avantage

Mais pour l’action

On n’a pas l’âge

À droite à gauche

C’est dans la poche

T’inquiète ! T’inquiète !

Pour la retraite

 

C’est l’idéal philosophique

Enseigné dans nos rangs publics

Pas d’ sentiments évangéliques

Mais du tout cuit pour la zizique

Nous avons des dispositions

Pour associer les deux tendances

Devant derrière et en avance

On est à l’heure en prévention

 

Être en fonction

C’est l’avantage

Mais pour l’action

On n’a pas l’âge

À droite à gauche

C’est dans la poche

T’inquiète ! T’inquiète !

Pour la retraite

 

S’il faut enseigner on enseigne

Pour distribuer on s’éreinte

S’il faut qu’ ça saigne et bien qu’ ça saigne

Dans la disgrâce on est d’astreinte

Et le dimanche au bord de l’eau

On voit bien que c’est ce qu’il faut

Faire si on veut pas pourrir

D’une maladie du plaisir

 

Être en fonction

C’est l’avantage

Mais pour l’action

On n’a pas l’âge

À droite à gauche

C’est dans la poche

T’inquiète ! T’inquiète !

Pour la retraite

 

Pour jouir il faut donner des ronds

Et on se donne à qui en veut

On est pas regardant tant mieux

Quand il s’agit d’aller au fond

Du chemin de fer aux étoiles

Le temps est long mais pas de jour

Sans pain ni séjour à la bourre

On se retrouv’ jamais à poil !

 

Être en fonction

C’est l’avantage

Mais pour l’action

On n’a pas l’âge

À droite à gauche

C’est dans la poche

T’inquiète ! T’inquiète !

Pour la retraite

 

La société est ainsi faite

Les donneurs de leçons sont ceux

Qui donnent tout pour avoir peu

Mais peu à peu c’est la retraite !

Pour les petits enfants c’est chouette

Le modèle est à la mesure

Des pratiques de la nature

On sait jouer des castagnettes

 

Être en fonction

C’est l’avantage

Mais pour l’action

On n’a pas l’âge

À droite à gauche

C’est dans la poche

T’inquiète ! T’inquiète !

Pour la retraite

 

Pourquoi se priver de dessert

Quand on ne risque pas de faire

De cette collaboration

Un exemple de trahison

En parlant bien et parlant peu

C’est pas tous les jours qu’ le bon Dieu

A de l’esprit une vision

Qu’on peut comprendre sans chanson

 

Entre le gosse.

 

Scène IV

Marette et le gosse

Gosse —

On peut pas dire le contraire

Moi j’ai pas les moyens du fric

Les SDF c’est pas mes pères

Mais c’est mes cousins héroïques

Pour le courant je sais me taire

Depuis longtemps que je milite

Je suis pas fait pour les mérites

Mais j’ai le sang qui désespère

 

Être un enfant

C’est bien tentant

Mais faut du sang

Sur tous les plans

Sinon ya pas

De quoi de quoi

Sortir de là

Voilà voilà

 

On verra bien si l’avenir

Fera de moi ce que je suis

Ou si fonctionnaire à l’appui

Je s’rais celui qui tombe à pic

J’ suis pas un fan d’ la République

Mais comme aux dés j’ suis pas non plus

Un révolutionnair’ pointu

J’ préfèr’ me fier à vos désirs

 

Être un enfant

C’est bien tentant

Mais faut du sang

Sur tous les plans

Sinon ya pas

De quoi de quoi

Sortir de là

Voilà voilà

 

Si j’avais une bicyclette

Un objet à moi pour la vie

Je serais comme Louis Marette

Un enculé de l’apathie

Mais pour voler j’ suis pas fortiche

J’ai pas la main sur le tapis

Et le derrière à la bourriche

Pour se faire de faux amis

 

Être un enfant

C’est bien tentant

Mais faut du sang

Sur tous les plans

Sinon ya pas

De quoi de quoi

Sortir de là

Voilà voilà

 

Moi c’est plutôt dans les hasards

Que j’ fais mon beurre avec mes potes

Mais dans le vol à la roulotte

J’y trouve rien que le cafard

Pour pas tomber dans la déprime

J’écris sur les murs des Merah

Ça m’ donn’ la foi et pourquoi pas

J’ai rien contre le pain azyme

 

Être un enfant

C’est bien tentant

Mais faut du sang

Sur tous les plans

Sinon ya pas

De quoi de quoi

Sortir de là

Voilà voilà

 

Mais si un jour la chanc’ devait

Tourner du côté de la mort

Que ce soit dans un bel effort

Loin d’ici pour que les idées

Les idées qu’on a sur les autres

Finissent par ne plus en être

Et même si ce sont les vôtres

Que j’ tombe avec vos paramètres !

 

Être un enfant

C’est bien tentant

Mais faut du sang

Sur tous les plans

Sinon ya pas

De quoi de quoi

Sortir de là

Voilà voilà

 

Mais avant de mourir idiot

Je voudrais connaître l’amour

Un homme une femm’ rien que la peau

Il faut que ça m’arrive un jour

Faut qu’ j’ mette un bémol à ma haine

Avant d’entrer dans la fonction

Et de monnayer ma raison

Contre un peu de chaleur humaine

 

Marette — Je te le promets !

Gosse — Ne vous avancez pas trop quand même… Les promesses, c’est ce qu’on fait aux enfants en les mettant au monde.

Marette — Je n’ai qu’une parole et elle vaut de l’or. D’ailleurs j’ai eu une médaille aux Jeux Olympiques de l’honneur. Tu peux en faire autant. Pour cela, il suffit que tu veuilles !

Gosse — Que je veuille quoi !

Marette — Mettre la main sur le salopard qui a cassé mon musée !

Gosse — Mais c’est vous qui l’avez cassé ! Je vous ai vu !

Marette —

Menace d’abord avec le fusil, puis se ravise :

Chut ! Personne ne doit le savoir… C’est un secret !

Gosse — Je sais pas les garder !

Marette —

Même jeu :

Je peux t’apprendre ça aussi…

Gosse — Qu’est-ce que tu peux m’apprendre à part le déshonneur ?

Marette — Je t’apprendrai aussi à garder un secret…

Gosse — … que ça peut servir un de ces jours !

Marette — Eh ! J’en ai appris des choses ! Et je peux te les apprendre…

Gosse —

Écartant le canon :

… si tu me tues pas avant !

Marette — Mais j’ai jamais tué personne !

Gosse — Pourtant, on raconte…

Marette — Tu sais, les choses qu’on raconte, si on les savait vraiment, on les garderait pour soi…

Gosse — … que ça peut servir un de ces jours !

Marette — Eh ! Oui ! Les gens parlent trop.

Gosse — Et c’est pas pour ne rien dire…

Marette — Alors que si tu gardes les secrets, ils t’appartiennent ! Ils sont à toi ! Et tu en fais ce que tu veux !

Gosse — C’est pas comme la bicyclette, que si j’en avais fait ce que je voulais en faire, je serais en train de m’amuser. Pas de vendre ma peau pour que tu n’y touches pas…

Marette — J’ai jamais touché à la peau des enfants !

Gosse — Mais tu la vends avant de les avoir tués !

Marette — Tu n’as pas d’imagination…

Gosse — Oh ! Que si ! Que j’en ai ! Il me suffit de te regarder, même de travers, pour savoir à quoi je vais ressembler si je n’accepte pas de payer ma dette à la société.

Marette — Je te sauve ! Je t’épargne des sévices… Tu sais ce qu’on en fait, des enfants, en prison… ?

Gosse — Tu me prends vraiment pour un con ! On les mets pas en prison, les enfants. C’est une trop bonne réserve de bas pour les juges… les bleus… les roses… à Nice… à Toulouse… et même peut-être à Foix que c’est trois gonzesses moches comme des poux qui se donnent en exemple de ce qu’on pourrait être si on avait un avenir… Mais on en a pas !

Marette — Pourquoi tu pleures ?

Gosse — Je pleure pas ! Je suis en train de garder un secret. Que si je le disais, je serais plus de ce monde pour le répéter.

Marette — Les coups, ça part tout seul. Même en visant.

Gosse — Surtout si la cible ne manque pas de cul…

Marette — Tu n’as rien vu… Ou plutôt si : tu as vu comment ils ont cassé le musée…

Gosse — Je croyais que c’était Bousquet… Il était pas seul… J’étais là… mais au moment de tirer la chasse, j’ai eu peur !

Marette — Et tu as eu peur de quoi ! Ça fait rien de tirer une chasse. J’en ai beaucoup tiré, moi, et ça ne m’a jamais rien fait !

Gosse — Oui, mais à la SNCF, il vous faut pas beaucoup de temps pour apprendre à tirer la chasse sans s’en prendre plein la gueule !

Marette — Bousquet n’est pas une grosse merde. Il suffit de tirer une fois et il entre dans le trou des cabinets avec ses papiers et son fusil. Socialiste ! Petite crotte sans odeur ! S’il avait le ténia, ça se verrait même pas tellement il ressemble à un ténia !

Gosse — Eh ! Bé ! Je l’ai pas tiré et on s’est tiré ! Enfin…

Marette — Je vais tout savoir sur les mœurs de ce faux frère d’armes…

Gosse — Moi je suis revenu et c’est là que je vous ai vu et que vous avez cassé…

Marette —

Fusil :

Tais-toi ! Tu ne sais donc pas garder un secret !

Gosse — Le secret, je sais pas, mais je vais essayer le silence avant de me taire définitivement !

Marette — Tu es trop petit et trop bête pour comprendre qu’un homme de ma taille…

Gosse — Tu n’es pas bien grand… pour un héros. Tu es même petit…

Marette — Pas autant que toi ! Et moi, je suis pas bête !

Gosse — Là, vous n’êtes pas d’accord avec monsieur de la Rubanière…

Marette — Ce monsieur m’indiffère… ! D’ailleurs, je n’en parle que dans l’indifférence !

Gosse — C’est ce qui fait la différence…

Marette — Un secret, ça se garde. Et lui, il les donne ! Preuve que ça ne lui rapporte rien !

Gosse — Moi, je sais pas si je vais le garder longtemps, mon secret qui est aussi le vôtre…

Marette — On vit très bien avec des secrets… D’ailleurs, si ce n’était plus un secret, tu ne vivrais pas longtemps…

Fusil.

Le problème, c’est le mobile… J’en trouve pas.

Gosse — Le mobile, je le connais !

Marette — Je parle pas de toi ! Mais de celui qui a cassé le musée !

Gosse — Vous aviez un mobile ?

Marette — Pas moi ! Je n’ai pas de mobile tant que tu gardes le secret.

Gosse — Je suis un gardien de mobile ?

Marette — Il faut que j’en trouve un, sinon ils lui trouveront des excuses.

Jouant :

« Le pauvre ! Il avait rien à bouffer. Alors il a cru que ça se mangeait. Et il en a d’abord cassé un tout petit morceau. Et quand il s’est pété une dent, que c’est de la faïence chinoise, il a perdu la tête. Et tout le musée a volé en éclat. Il faut comprendre sa colère. Il n’y est pour rien, au fond !

Braquant le fusil dans toutes les directions :

» C’est la faute de Marette ! C’est lui qui a conçu le musée… Et il était conscient qu’il donnerait envie de le manger à quelqu’un qui n’aurait pas les moyens de payer l’entrée ! »

Se ravisant :

C’est toujours ma faute…

Le gosse s’enfuit.

Ah ! Chenapan ! Rends-moi mon secret ! C’est une question de vie ou de mort !

Ils sortent. On entend un coup de feu. Le garde entre par la rue de derrière.

 

Scène V

Le garde

Garde — Ouh ! Putain ! On attaque la banque !

Il s’apprête à s’enfuir, mais se ravise.

Des fois, on croit courir se mettre à l’abri et on se jette dans la gueule du loup ! Je suis mieux ici… Ça tire plus… Quel silence ! On dirait que quelqu’un est mort… ou qu’on attend pour l’achever. N’attendez pas trop ! Je pisse, mais je suis pas inépuisable. Qu’est-ce que je mouille ! Je sais pas ce que je ferais si j’avais une arme ! On peut pas savoir d’avance ce qu’on peut faire avec une arme dans ce genre de situation. Des fois, on se tire une balle dans le pied pour tout expliquer… clairement.

Un moment.

Un pot d’échappement peut-être… Une fenêtre qui claque… Trigano qui referme un dossier noir… Non ! C’était bien un coup de feu !

Un autre coup de feu.

Ouh ! Putain ! Ça tire dans tous les sens !

Il se jette dans l’herbe.

Putain de musée ! J’en ai plein la gueule ! Je veux pas mourir comme ça ! Au secours !

Il se ravise.

Pas trop fort quand même ! Des fois, on appelle et ce qui vient c’est encore pire ! Quelqu’un vient !

Entre Marette qui pousse devant lui un des SDF.

 

Scène VI

Marette, le SDF et le garde

Marette — Je le tiens ! C’est le démolisseur de mon musée. Il vient de tuer le témoin de son méfait !

Garde —

Toujours couché.

Et vous ne l’en avez pas empêché ! D’une pierre, deux coups !

Marette — Heureusement que vous savez garder un secret !

Garde — Je garde les secrets, mais je tue pas les enfants, même ceux qui savent parler…

Marette — Du moment qu’on tient le coupable…

Garde — Je vais finir par avoir mauvaise conscience… Je me sens moins bien que tout à l’heure.

Marette — Vous avez trouvé ma boule ?

Garde — Quelqu’un a dû la piquer… Vous avez fouillé les poches du gosse ?

Marette — Putain ! J’y ai pas pensé !

Garde — Heureusement que je suis là ! Et je suis là chaque fois qu’il perd la boule

Marette — Sinon prenez-lui une de ses boules.

Garde — Mais c’est un gosse ! Il a pas les boules à la taille adulte…

Il réfléchit.

Bon. J’ai compris… Le gosse a les bonnes boules…

Il sort.

 

Scène VII

Marette et le SDF

SDF — Vous avez des petites boules ? Je vous ai vu moi aussi. Tout le monde vous a vu.

Marette — Si tu appelles un monde cette poignée de bons à rien que vous êtes… Tu ferais mieux d’avouer !

SDF — Mais j’ai rien fait, moi ! J’ai pas cassé le musée et j’ai pas tué le gosse. Il aurait pas parlé.

Marette — Toi, tu peux parler. Personne t’écoutera. Et je parlerai à ta place.

SDF — Je peux compter là-dessus.

 

Je peux compter sur ma chance

Je fais des mauvais’ rencontres

Mais Mazères c’est en France

Au pays d’Oc on est n’est pas contre !

 

J’ai du pot dans mon jardin

La rue est mon lit douillet

Avec ses draps tout mouillés

Au pays d’Oc on a ses saints !

 

Pour la tabl’ j’ai le couvert

Les pieds d’ssous avec les chiens

J’attends pas la saint Glinglin

Au pays d’Oc on a l’ dessert !

 

Des amours j’en manque pas

Je feuillèt’ les illustrés

Pour me donner des idées

Au pays d’Oc on est baba !

 

À la banqu’ j’ai des entrées

Mais faut pas compter sur moi

Pour fair’ du mal aux mémés

Au pays d’Oc on est pas roi !

 

Dans la tomb’ j’ai les deux pieds

Mais j’ m’en sers pour en sortir

Mon halein’ sent pas mauvais

Au pays d’Oc c’est un plaisir !

 

J’ai un’ Rolls en peau de chien

Des tas d’amis dans la malle

Et j’aboie tous les matins

Au pays d’Oc ça fait pas d’ mal !

 

Quand je reviens de voyage

Je ramène des cadeaux

Yen a dans tous mes bagages

Le pays d’Oc j’ l’ai dans la peau !

 

Je m’ coltine avec des gosses

Qu’ont pas froid aux yeux non plus

Ça fait causer les élus

Au pays d’Oc c’est là qu’ je bosse !

 

Je vot’ pas mais j’ai la foi

J’ suis pas un vrai godillot

Mais j’emmerde les gogos

Au pays d’Oc je pense à toi !

 

Si jamais t’as rien à faire

Que ton mec a pas la pêche

Et que rien ne t’en empêche

Au pays d’Oc je l’ai en fer !

 

Au pays d’Oc j’ suis bien vu

J’ai des gland’ et je t’adore

N’attends pas ou c’est foutu

Frappe à ma port’ je suis dehors !

 

Le garde revient avec le cadavre du gosse dans les bras.

 

Scène VIII

Les mêmes, le garde et le gosse

Garde — Il est tombé du vélo !

Marette — Oh ! Que c’est bon, ça ! C’est le Bousquet qui va aimer ! Même lui il aurait pas pu l’inventer !

Garde —

Montre la blessure :

J’ai pris le temps de retirer les plombs… Et pas un témoin, eh ! Sauf cet exclus de la société…

Marette — Je peux pas le tuer maintenant…

Garde — Et pourquoi ? C’est vite fait et j’ai rien vu…

 

C’est vite fait et j’ai rien vu

Je connais ce métier par cœur

Servir les dieux maîtres-chanteurs

C’est dans mes cord’ c’est entendu

Je serais muet comme un puits

Je cherche pas les gros ennuis

Mais si trouver est un bon coup

Je tire au flanc de gros cailloux

 

Les gardiens de la mémoire

C’est du bronze et ça se voit

Comme cloches de l’Histoire

On fait pas mieux c’est du bois

Pour l’appel au feu du fer

Avec un doigt dans le cul

Et l’œil dans la fourragère

La trique c’est bien foutu

 

J’ai les panards en fuite quand

Les choses se compliqu’ en pire

Et quand de puiser il est temps

Dans la cave aux secrets désirs

Je n’ai rien vu s’autodétruire

Je me demande si j’existe

Quelquefois même sur la piste

Je me surprends à réfléchir

 

Les gardiens de la mémoire

C’est du bronze et ça se voit

Comme cloches de l’Histoire

On fait pas mieux c’est du bois

Pour l’appel au feu du fer

Avec un doigt dans le cul

Et l’œil dans la fourragère

La trique c’est bien foutu

 

Ma femm’ me dit que j’ai pas l’air

Mais que si je l’avais en vrai

En faux faudrait me faire faire

Pour que plus vrai encor’ j’ai l’air

Et ell’ me croit dur comme fer

À la manœuvre et au turbin

J’ai pas besoin d’un coup de main

Je fais tout seul ce qu’on m’ fait faire

 

Les gardiens de la mémoire

C’est du bronze et ça se voit

Comme cloches de l’Histoire

On fait pas mieux c’est du bois

Pour l’appel au feu du fer

Avec un doigt dans le cul

Et l’œil dans la fourragère

La trique c’est bien foutu

 

J’ suis pas sensible aux médisances

Je pass’ mon chemin en silence

Et si je réponds à l’attaque

C’est en douceur dans la barbaque

Je mets les mains dans les entrailles

Des fois qu’ la Vierge ait existé

Pour donner raison au curé

Qui fait le chien vaille que vaille

 

Les gardiens de la mémoire

C’est du bronze et ça se voit

Comme cloches de l’Histoire

On fait pas mieux c’est du bois

Pour l’appel au feu du fer

Avec un doigt dans le cul

Et l’œil dans la fourragère

La trique c’est bien foutu

 

Si c’est moi qui aboie dehors

Je me fais passer pour un chien

Dedans j’ai moins l’air labrador

Mais sans témoins ça sert à rien

J’ai pas la queue des queue leu leu

J’attends pas qu’on m’ait demandé

Je rentre et je sors comme un dieu

Mais un dieu demi enfoiré

 

Les gardiens de la mémoire

C’est du bronze et ça se voit

Comme cloches de l’Histoire

On fait pas mieux c’est du bois

Pour l’appel au feu du fer

Avec un doigt dans le cul

Et l’œil dans la fourragère

La trique c’est bien foutu

 

Au pays d’Oc je suis un roc

En plein milieu je donne à voir

Et quand en touch’ je m’ fais avoir

Je bote dans les tas cradoques

On peut compter sur mon silence

Et sur ma façon de me taire

Je suis un bon larbin de France

Et du drapeau le coin de terre

 

Marette — On va pas me croire.

Garde — Mais on vous croit tout le temps, même si on vous croit pas… On vous croit à demi… Et je mets le reste…

Marette — Eh ! Je sais ! Mais cette fois, on aura du mal à me croire.

Au SDF :

Vous voulez pas vous mettre à courir ?

Garde — Il a jamais tiré sur quelqu’un de fixe. Vous avez l’air d’un candélabre !

SDF — J’ai les chocottes !

Marette — C’est la faute des gendarmes. Quand ils lui tirent dessus, ils font exprès de le rater.

Garde — C’est plus difficile si vous courez. Il risque même de vous rater sans le faire exprès. Mais j’ai des doutes… Il a pas commencé à boire… Enfin… Il a pas encore dépassé la dose…

SDF — Dites-moi que je rêve ! C’est un cauchemar !

Marette — Il n’est pas interdit de rêver même à des cauchemars dont je suis l’assassin ! Du moment qu’une fois réveillé je suis encore innocent ! Sinon, je vous fais un procès que j’ai des relations dans la procédure, moi !

Garde — Et il dort pas tous les jours ! Des fois, il faut le frapper. Et ça lui fait rien tellement il est anesthésié. Les coups, du moment que ça l’endort pas, il s’en plaint pas.

Le coup part tout seul. Le SDF tombe.

Oh ! Putain !

Marette — Il se l’est pris là où il faut… Il a même pas eu mal.

Garde — Il est plus là pour le dire…

Marette — C’était un accident.

Garde — Ça fait deux accidents dans la matinée… ça fait beaucoup pour Mazères…

Marette — Retire-lui les plombs et mets un peu de son sang sur le guidon.

Garde — Le guidon ? Qué guidon ?

Marette — Le guidon du vélo, té !

Garde — Mais quévélo ?

Marette — Quévélo ! Quévélo ! Celui du gosse ! Enfin, celui qu’il a volé…

Garde — Mais il a pas volé le vélo !

Marette — Il a bien eu un accident, non ?

Garde — Oui, mais un accident de chasse…

Marette — Il était bien sur son vélo quand le coup est parti ?

Garde — Vous savez bien que non…

Marette —

Désespéré :

On va pas y arriver !

Garde — Le mieux, c’est de les ressusciter… On dit rien à personne et on revient à la maison…

Marette — Mais les morts ne ressuscitent pas comme ça d’un coup de baguette magique !

Garde — Je suis prêt à croire n’importe quoi pour me sortir de cette merde ! Deux cadavres, c’est pas rien. Un de plus et c’est moi qui meurs… si j’ai bien compris…

Marette — Tu as bien compris ! Et la boule ? Tu as cherché la boule ?

Garde — On finira bien par la trouver…

Marette — Mais je te parle du gosse ! On a les mêmes boules lui et moi. Maintenant, là où il est, il a plus besoin de boules.

Garde — Cette idée de jouer à la pétanque en pleine nuit !

Marette — J’y joue souvent, la nuit, ici même. Je joue tout seul.

Garde — Vous pouvez pas jouer sans cochonnet… Ça n’aurait aucun intérêt… À ce moment-là, n’importe qui peut jouer. Il suffirait de jeter les boules n’importe où…

Marette — Et c’est ce que j’ai fait ! Et cette putain de boule est allée se mettre dans le musée… qui a explosé comme si j’y étais pour rien !

Garde — Avec une petite boule de rien du tout ? Et sans cochonnet ? Putain ! Où est le plaisir ?

Marette — Je te dis pas ma surprise… Je m’attendais pas à provoquer une explosion…

Garde — Avec une boule aussi petite et sans cochonnet…

Marette —

Mimant :

Alors… je me suis immédiatement mis à la recherche de ma boule…

Garde — Le corps du délit !

Marette — Et j’ai cherché ! Et j’ai cherché !

Garde — Et elle avait explosé elle aussi !

Marette — Sans doute… Et peut-être pas ! À peine revenu chez moi, j’ai pas le temps de m’avaler un ou deux verres, peut-être trois, que je me dis qu’elle a pas explosé et qu’elle se cache quelque part sur les lieux de l’explosion…

Garde — Au milieu des crottes de chien et des débris de faïence chinoise…

Marette — Je reviens… avec de quoi m’éclairer… je passe les lieux au peigne fin… et je trouve rien… même pas des traces de boule… que je les reconnaîtrais si je tombais dessus… Ça fait tellement longtemps que je me les trimbale ! Et il ne leur est jamais rien arrivé !

Garde — C’est toujours ce qu’on dit… mais en y regardant de plus près…

Marette — Alors depuis, c’est l’angoisse… je tiens plus…

Garde — Vous devenez dangereux…

Marette — Et je sais plus quoi inventer !

Garde — On n’a pas idée d’avoir des boules aussi petites ! À votre âge !

Marette — Je t’y verrais, toi !

 

Des boules, j’en ai, une paire

Comme tout un chacun en France

Mais c’est un souvenir d’enfance

Du coup la taill’ me désespère

Je peux jouer mais pas aux boules

Aux caniqu’ j’ai pas le marteau

J’ai passé l’àg’ de fair’ carreau

À tous les coups ça m’ rend maboule

 

Ah ! Ah ! J’ai du pays

Le mal en fleur

Et les couleurs

Ah ! Ah ! Ah ! Quel ennui

J’ai mis la main

Dans le pétrin

 

Pour créer l’myth’ j’ai la manière

Les femmes gardent le silence

J’ suis pas bavard et j’ai la paire

À défaut de me fair’ violence

Le cochonnet c’est du bon bois

Je vise bien mêm’ dans le noir

Sans me cacher dans les armoires

Comme si j’avais pas la foi

 

Ah ! Ah ! J’ai du pays

Le mal en fleur

Et les couleurs

Ah ! Ah ! Ah ! Quel ennui

J’ai mis la main

Dans le pétrin

 

Faut avoir la main au métier

Et dans l’autre continuer

Comm’ si rien ne s’était passé

En l’absence de draps c’est vrai

Dans les couloirs je m’ décrépis

Je file mou sur les tapis

En douce il faut catimini

Mélanger la foire et le cri

 

Ah ! Ah ! J’ai du pays

Le mal en fleur

Et les couleurs

Ah ! Ah ! Ah ! Quel ennui

J’ai mis la main

Dans le pétrin

 

Le jeu de boul’ en minuscule

Est une affaire délicate

Ici bas la porte est étroite

Pour les minus du matricule

On peut pas dir’ que j’ai gagné

Et je n’ai pas perdu non plus

On ne mesur’ pas la fierté

À l’aulne d’un vieux cochonnet

 

Ah ! Ah ! J’ai du pays

Le mal en fleur

Et les couleurs

Ah ! Ah ! Ah ! Quel ennui

J’ai mis la main

Dans le pétrin

 

L’avenir dira si je suis

Le nom d’un’ rue ou d’une farce

Peut-être que parmi les garces

Je n’ai jamais eu de crédit

Et que je dois encore au ciel

Une limpide explication

Car les boul’ de ma communion

N’ont pas le carreau solennel

 

Ah ! Ah ! J’ai du pays

Le mal en fleur

Et les couleurs

Ah ! Ah ! Ah ! Quel ennui

J’ai mis la main

Dans le pétrin

 

Tuer l’enfant à la baballe

Sans avoir jamais rien tiré

Finalement c’est arrivé

Dans des circonstances banales

Je m’éteindrai dans une rue

Qui portera un jour mon nom

Et si ell’ s’en fout pétanquons

En petit vicelard couillu

 

Ah ! Ah ! Couillu petit

Le pays c’est

Un beau mort-né

Ah ! Ah ! Ah ! Quel ennui

Fait le clairon

En bon couillon

Entre Roger. Il tient dans la main une boule de pétanque.

 

Scène IX

Les mêmes, Roger

Roger — C’est peut-être ça que vous cherchez… ?

Marette —

Tournoyant.

Ça se complique ! Ça se complique !

Il tombe évanoui.

Garde — C’est une boule ! Je croyais que c’était…

Roger — Allons ! Allons ! Réveillez-vous !

(rideau)

 

 

ACTE X

Même lieu. Au milieu, une cuvette de WC géante en cours d’installation : échelles, boîtes à outils, compresseur, etc. Dans l’herbe, Marette, le garde, le SDF et le gosse. Roger fume la pipe sur la murette. Entrent les oiseaux par les rues. Certains descendent du ciel.

 

Scène première

Marette, le garde, le SDF, le gosse, Roger et les oiseaux

Oiseaux —

Le pays d’Oïl en pays d’Oc

Ça s’ voit comm’ les yeux au milieu

On voit nett’ment la part de Dieu

Et de Paris les trucs en toc

La maréchaussée en danseuse

Les ronds de cuir tenant la bride

La chère est bonn’ la France heureuse

Ah ! Ce qu’elle en a dans le bide !

 

Des territoir’ nous les caïds

Français d’en haut ! trouvèr’ en bas !

Faut simplifier l’État civil

Et envoyer tous les débiles

Les exempl’ de mauvais soldats

À Biribi ! À Béréchid !

 

Il y a bien des maîtres d’école

Servant la France avec grand zèle

Ce qui leur donne en plus des ailes

Pour traverser en bon marioles

Le pays pour le libérer

Soi disant de ce qui les fait

Vivre au-delà d’ nos espérances

On croit rêver qu’on est en France !

 

Des territoir’ nous les caïds

Français d’en haut ! trouvèr’ en bas !

Faut simplifier l’État civil

Et envoyer tous les débiles

Les exempl’ de mauvais soldats

À Biribi ! À Béréchid !

 

La langu’ n’est mêm’ plus familière

Et dans le genr’ savant on n’est

Même pas les intermédiaires

On peut sans foi nous rire au nez

Cert’ on a la mémoire encore

Capable de faire le tri

Entre le drapeau tricolore

Et les couleurs de nos pays

 

Des territoir’ nous les caïds

Français d’en haut ! trouvèr’ en bas !

Faut simplifier l’État civil

Et envoyer tous les débiles

Les exempl’ de mauvais soldats

À Biribi ! À Béréchid !

 

Comme il n’est pas question d’ lutter

Qu’il faut penser d’abord à vivre

On ne craint pas de s’embaucher

Dans les rangs de l’occupant libre

On donne tout pour recevoir

Et on reçoit pour redonner

La fonction publique est en fait

C’ que nos idées sont au trottoir

 

Des territoir’ nous les caïds

Français d’en haut ! trouvèr’ en bas !

Faut simplifier l’État civil

Et envoyer tous les débiles

Les exempl’ de mauvais soldats

À Biribi ! À Béréchid !

 

Quand les héros sont des Français

Nous on est victim’ de la guerre

Et quand la guerr’ se fait la paire

On tend la main aux évadés

On fait c’ qu’on peut pour recevoir

Dans nos foyers sous surveillance

Ce que les camps de la mémoire

Ont oublié de préférence

 

Des territoir’ nous les caïds

Français d’en haut ! trouvèr’ en bas !

Faut simplifier l’État civil

Et envoyer tous les débiles

Les exempl’ de mauvais soldats

À Biribi ! À Béréchid !

 

À force de nous secouer

Le vieux Pétain et le de Gaulle

Avec les dés dans le cornet

À piston du palais des rôles

On devient poète ou fuyard

Une diaspora intérieure

Avec du sang nous fait pas peur

On est taillé pour le trobar !

Ils sortent.

 

Scène II

Marette, le garde, le SDF, le gosse, Roger

Marette, le garde, le SDF et le gosse se réveillent et s’étirent.

Roger — Vous avez bien dormi, les amis ! J’en ai fumé, des pipes !

Marette — Je boirais bien quelque chose…

Gosse — Je croyais que je m’étais tué en vélo !

SDF — Je suis un oiseau d’une espèce non protégée !

Marette — Un petit verre… même s’il est pas bien plein comme je les aime…

Garde — J’ai eu peur !

Marette — Et tu as eu peur de quoi ?

Garde — Qu’on soit des assassins, vous et moi !

Marette — Ne badinons pas avec ces choses ! Je ne veux de mal à personne !

Il prend les mains du gosse et du SDF.

Je suis même accueillant avec les touristes, ce qui est rare en Ariège. Reconnaissez-le !

SDF — Mais je suis un homme !

Marette — Eh ! Je vois bien que tu es un homme !

Il se retourne et voit la cuvette.

Je dors encore ! Ou alors j’étais pas là !

Tous —

Tournés vers la cuvette :

Méquécecé ?

Roger — Ça ne vous a pas réveillés. On vous a laissé dormir. C’est arrivé de Paris dans la matinée. Il y avait un petit mot… pour monsieur le Maire. Je me suis permis de le réceptionner.

Il tend la lettre.

Ah ! Ils n’ont pas mis longtemps.

Marette —

Affolé :

Et où ils sont ?

Garde — Qui ? Qui est qui ?

Roger — Ils sont allés déjeuner sur les bords de l’Hers. Mais ils ne vont pas tarder. Car Nicolas Sarkozy en personne sera là cette après midi pour l’inauguration.

Marette —

Halluciné :

Et qu’est qu’est-ce que j’inaugure ?

Expliquant.

Des fois, au lieu de rêver que je fais quelque chose, je fais ce que je rêve.

Garde — Et voilà ce que ça donne !

Marette — C’est pas toujours aussi… exagéré !

Garde — Mais ça a toujours de la gueule…

Gosse — Ça dépend pas de ce qu’il a bu, mais de comment il l’a bu…

Garde — En regardant bien ou en fermant les yeux… Et quand il ferme les yeux, voilà ce que ça donne : du monumental !

Marette —

Réagissant :

Si j’y suis pour quelque chose !

Roger — Je crois que j’ai l’explication…

Il ouvre la lettre.

C’est d’André Trigano et ça vient de Paris…

Garde — Avec Trigano, quand ça vient, c’est toujours de Paris, et quand ça repart, c’est d’ici. Comme ça, il se sent moins pauvre… politiquement.

Marette — C’est bien le moment de parler politique ! Lisez-la donc cette lettre !

Garde — On va tout savoir…

Gosse — Comme si on le savait pas ! Le Dédé, il nous refait le coup de la statue…

Garde — Mais en plus grand… Vous croyez qu’il s’est mis dedans ? Ça lui ressemble un peu… la cuvette… la chasse… Ça ne peut pas ne pas nous rappeler qu’il est là quand il n’est pas à Paris.

Gosse — Je me demande bien à quoi il ressemble quand il est à Paris…

Garde — À la même chose, mais sur les Champs-Élysées…

Gosse — Moi je croyais que de Gaulle, c’était une grosse merde…

Garde — La merde, c’est ce qu’on met dedans… C’est le contenu… Mais les gensses comme eux, ça contient… Mais on sait pas qui s’en sert…

Gosse — En tous cas, nous on fait rien pour que ça serve pas…

Marette —

Intervenant :

Eh ! Oh ! C’est pas parce que vous avez gagné les élections que vous pouvez vous permettre de critiquer sans connaître ! C’est que je l’ai servi, moi, de Gaulle, et je lui sers encore !

Se tournant vers Roger.

Si ce monsieur que je ne connais pas et qui se fait passer pour un touriste…

Roger — Oh ! Mais j’en suis un… Vous dormiez à poings fermés. Je me suis permis… Ah ! Ils ne m’ont pas demandé mon avis…

Marette — Lisez !

Garde — Qu’on sait déjà ce qui est dedans…

Gosse — Comme si on l’avait écrite…

Garde — Mais on l’a pas écrite…

Gosse — On dormait… alors…

Garde — On se demande bien pourquoi on dormait alors qu’il se passait des choses…

Gosse — Vous dormiez, peut-être ! Mais nous on était mort !

SDF — Et bien morts !

Garde — Avec une esse parce qu’ils étaient deux et que je suis témoin !

Marette — Les accidents de chasse, ça arrive… Dieu nous pardonne de ne pas toujours avoir de la chance.

Garde — C’est bon d’être pistonné…

Garde — Mais ce Sarkozy, c’est celui qui a perdu les élections… ? Ou c’est un autre ?

Marette — Ils ont toujours été deux…

Roger — Il sera là à trois heures…

Marette —

Affolé :

Putain ! Ça laisse pas beaucoup de temps…

Se reprend :

Mais à ce que je vois, on n’a pas vraiment besoin de moi…

Garde — Eh ! Il vaut peut-être mieux… La statue, c’était déjà pas grandiose… Mais alors ça !

Marette — Dédé voit trop grand. Mon musée à moi il était pas bien grand, mais on pouvait entrer dedans sans se perdre.

Garde — C’est peut-être pas un musée… C’est du costaud ! Vous pourrez jouer aux boules sans risquer de le casser.

Mimant :

Les choses que Trigano construit, ça résiste aux boules.

Marette — Ça me servira de leçon… Alors comme ça, Sarkozy vient faire un petit tour à Mazères ?

Roger — C’est ce que dit la lettre. Je peux vous la lire…

Marette — Non. Vous pouvez la garder. Ils n’ont pas encore mis le papier.

Garde — De ce que je sais, le Nicolas, il vient se renseigner… Comme on a plus de président, il vient voir pour se rendre compte que c’est pas une blague.

Gosse — Dans la Dépêche, ça avait l’air d’une blague : « François Hollande disparaît dans les WC publics de Mazères ! » Personne n’y a cru.

Garde — Et c’était pas le premier avril…

Gosse — Et pourtant, il est venu ! On peut pas dire le contraire…

Garde — S’il est venu, il est bien quelque part…

Gosse — Et Nicolas veut le savoir.

Marette —

Triomphant :

Il le saura !

Garde — Vous feriez mieux de pas vous en mêler… La dernière fois, avec la statue, ça a failli mal tourner…

SDF — Il a une âme d’assassin !

Marette — L’âme ne fait pas le larron !

Roger — Vous n’aurez rien à faire que regarder…

Marette — J’aurai ma place dans le cortège officiel ? Je suis le maire tout de même !

Gosse — Le contenu…

Garde — Tu as compris !

Gosse — Il est dedans !

Ils rient.

 

Il est dedans le Marette

Et dehors avec Dédé

On fait des plans pas trop bêtes

Pour le pognon ramasser !

On construit des trucs en dur

Avec dans les fondations

D’autres trucs contre nature

Bientôt c’est les élections !

 

Avec Dédé

Le Marette est au frais !

 

Pour jeter la poudre aux yeux

Le Dédé il a le truc

Entre les jamb’ il a deux

Grands projets de boviducs

Un pour les vach’ en vadrouille

Dans les marchés aux bestiaux

Et l’autre pour les taureaux

Que des fois ils ont pas d’ couilles

 

Avec Dédé

Le Marette est au frais !

 

Il a pas peur le Dédé

De montrer tous ses rubans

Sur lui vous pouvez compter

C’est un ancien Résistant

Mais pour les bonbons en poche

Ya pas d’ témoins survivant

Faut vous mettr’ dans la caboche

Qu’en Histoire il est savant

 

Avec Dédé

Le Marette est au frais !

 

Le Dédé met dans ses chiottes

Du papier signé Marette

Ça peut pas servir aux fiotes

Mais faudra bien les marier

Les élections ça approche

Et ça ne sent pas la rose

Faut se les mettr’ dans la poche

Le Marette il a la pose

 

Avec Dédé

Le Marette est au frais !

 

Le Marette est sur les rails

Et Dédé fait la loco

Des fois qu’arriv’ la marmaille

Des passages à niveaux

Marette est dans le tender

Serrant le frein au prépuce

Dédé n’y voit pas d’astuce

Le train fil’ le train arrière

 

Avec Dédé

Le Marette est au frais !

 

En gar’ de Paris Paname

Dédé fait la tour de Pise

L’air des palais ça l’ dégrise

Et l’éloigne de madame

Il a faim mais c’est la fin

Monte Carlo est bien loin

Et la guerr’ n’a plus de sens

À Mazèr’ c’est plus la France !

 

Avec Dédé

Le Marette est au frais !

Entrent Trigano et le Préfet. Le gosse et le SDF s’enfuient.

 

Scène III

Marette, Roger, le garde, Trigano et le Préfet

Préfet — On parle de vous…

Trigano — J’ai l’habitude…

Préfet — Oh ! Le petit Marette ! Comme il a grandi ! Encore un peu, et je ne le reconnais plus.

Trigano — Je le nourris bien.

Préfet — Il boit bien aussi…

Trigano — Oui, mais ça, il le fait tout seul.

Marette —

Irrité :

Je n’ai pas toujours besoin de lui ! Faut pas exagérer ! La relation est certaine, mais on peut quand même se donner du mou !

Trigano — Pas trop de mou ! Pas trop de mou !

Préfet — Il en faut un peu si on veut exprimer sa personnalité…

Trigano — La personnalité, oui. Mais pas la différence.

Il se tourne majestueusement vers la cuvette géante.

Voici donc l’objet !

Garde — Pour un objet, c’est un objet. Et ça ne va pas tarder à faire un bon sujet…

 

Pour un objet c’est un objet

Veuillez n’ pas changer de sujet

 

C’est par ici qu’il faut payer

Et c’est par là qu’est le musée

 

Si vous souhaitez que l’instruction

Contienne un chouya de passion

 

Voici l’objet qu’on vous propose

Une grande leçon de choses

 

Si vous avez encor’ du temps

Tirez sur le cordon avant

 

Autant de fois que le papier

Est demandé par le fessier

 

Si vous n’avez pas envie de

Fair’ ce que vous êt’ venus faire

 

N’hésitez pas à le refaire

Il vaut mieux une fois que deux

 

Mais quand à deux on y arriv’ point

Recommencer c’est un bon joint

 

Ici le trou par où qu’ ça passe

Il faut le regarder en face

 

Et là la tirette en acier

Sans force laissez-vous tenter

 

L’ensemble a des airs familiers

Mais de profil ça a du style

 

Laissez-nous vous accompagner

Jusqu’au bout c’est pas difficile

 

C’est de la bonne eau sans alcool

On a investi dans la fiole

 

Mais ça viendra avec le temps

Avec le temps le foie attend

 

Nous avons aussi des bijoux

Bijoux en stock pas des cailloux

 

Comme les fruits ça mûrit bien

Ça fait pas d’ mal et on y vient

 

Pas de fortun’ sans les bijoux

Et pas d’ bijoux sans les genoux

 

Faut sauter là-dessus en chœur

Et pour le train mettr’ la vapeur

 

Et ça vous file à toute allure

Entre les doigts la nourriture

 

On vieillit bien mais on avance

Et on a plus le temps en France

 

Alors l’été passez le temps

À Mazèr’ on a du comptant !

 

Il s’enfuit sous les coups de Marette.

 

Scène IV

Marette, Roger, Trigano et le Préfet

Marette — Je le tiens plus !

Préfet — Ils nous échappent. Je connais ça. Mais pour l’événement d’aujourd’hui…

Roger — La visite de Nicolas Sarkozy…

Préfet — La deuxième… la première s’était mal passée… J’avais dû envoyer la troupe…

Trigano — Et moi j’ai donné pour rien, alors…

Préfet — Oh ! Je me serais bien passé de la satisfaction d’avoir fait mon devoir en tirant sur la foule…

Trigano — En faisant tirer… N’exagérons pas.

Préfet — Mais si c’était moi qui avais tiré, je les aurais pas ratés ! Tandis que ces…

Marette — Ils nous échappent !

Trigano — On ne peut plus leur faire faire n’importe quoi !

Marette — Ils ne boivent plus comme avant…

Trigano — Ça m’a coûté très cher !

Marette — Ça se voit ! J’avais jamais imaginé un musée aussi imposant à Mazères !

Trigano — Ce n’est pas un musée !

Préfet — Ça se verrait si c’était un musée…

Marette — Mais alors, quécecé ?

Trigano — Ça se voit pas ?

Déçu.

J’aurais dû faire appel à un artiste. Ces artisans, ils ne valent rien !

Préfet — Ils ne savent même pas ce qu’ils font…

Marette — Et après, quand on veut défaire, on est emmerdé… !

Trigano — J’espère que ce sera fini avant trois heures…

Préfet — Moi, en tous cas, je suis prêt.

Trigano — Prêt à tirer… C’est facile la force quand il s’agit de maintenir l’ordre. Mais moi, j’ai des élections à gagner !

Marette — Malgré votre grand âge…

Trigano —

Je fais tout ça pour rien…

J’aurais pas ma statue…

Ni à Mazèr’, ni à Pamiers…

 

Préfet — Encore moins à Foix…

Marette — Et quécecé si c’est pas une statue ?

Préfet — Vous voyez pas ce que c’est ?

Marette — Je vois bien à quoi ça sert…

Trigano — Promettez-moi de ne pas tirer sur la foule cette fois-ci. Laissez-les exprimer leur personnalité.

Marette — À Gauche, ils se font plaisir rien qu’à se sentir différents. Faut pas les détromper.

Trigano —

Amer :

Surtout que même en se trompant, ils gagnent les élections…

Préfet — Je vous promets de ne pas transformer Mazères en Bab-el-Oued. Mais je peux pas aller plus loin ! Imaginez qu’il arrive quelque chose à l’ancien Président de la République…

Trigano — Il est bien arrivé quelque chose à l’actuel…

Marette — Oui, mais il est de Gauche !

Préfet — Ah ! Si j’avais été là avec mes troupes !

Trigano — En parlant de troupeau, j’ai encore envie d’acheter une vache…

Marette — Eh ! Mais… c’est pas la foire aujourd’hui… Je n’ai pas de vaches sous la main…

Préfet — Ah ! Quand on a des envies comme ça, c’est dur de pas pouvoir…

Marette — Pas pouvoir quoi… ?

Trigano — Tirez dans la foule… ! Acheter une vache en présence du journaliste de la Dépêche…

Marette — … qu’après il se fout de notre gueule dans un article que tout Mazères découpe avec des ciseaux…

Préfet — … comme des corbeaux !

Entre le garde.

 

Scène V

Les mêmes, le garde

Garde — Les ouvriers ! Les ouvriers !

Préfet — Aux armes ! Aux armes !

Trigano — Quoi ? Les ouvriers…

Marette — Ne tirez pas avant de m’avoir entendu…

Garde — Ils ont foutu le camp !

Trigano — Ah ! Misère !

Marette — On peut pas être toujours verni… et plein aux as !

Garde — Mimant.

 

Je m’avançais

Dans le fourré

J’étais bourré

Mais ça allait

Quéce je vois

Je vois plus rien

Je mets la main

Dans mon carquois

On sait jamais

Je fais des pas

Vers le trépas…

Marette — N’exagère pas… On te suit, mais quand même…

Garde — C’était pour la rime, peut-être, mais pour le sens aussi !

Trigano — Continuez !

Je crains le pire

Tout mon empire

Est en danger !

Marette —

On a vu pire

Mais pas en mieux

Quand on délire

On en a deux

 

Ça, c’était juste pour la rime…

Préfet — Mais j’y trouve du sens, moi…

Trigano — Chut ! Ça vient ! Écoutez…

Garde — Enfin, pour le dire tout cru, les ouvriers ont foutu le camp. Et ils n’ont rien laissé. Pas une canette !

Marette — Tu as bien cherché ?

Trigano — C’est bien le moment !

Préfet — Je peux envoyer la troupe à leur poursuite…

Trigano — N’en faites rien ! On va se débrouiller tout seuls !

Marette — Comme d’habitude… Vous, vous avez les CRS. Vous en faites ce que vous voulez. Mais je voudrais bien vous y voir avec les gendarmes !

Préfet — Ils vous échappent ?

Trigano — Nous avons peu de temps pour nettoyer tout ça !

À Roger.

Ce monsieur nous aidera-t-il ?

Marette —

Menaçant :

Les touristes, ça aide personne… mais je peux l’aider, si c’est nécessaire…

Roger — Inutile de faire usage de la violence ! Je ne suis pas venu pour regarder.

Marette —

Interloqué :

Ah ! Non ? Et pourquoi alors ?

Entre le chœur des touristes.

 

Scène VI

Les mêmes, les touristes

 

Tout le monde se met au travail pour nettoyer le terrain. Sauf Marette qui boude dans un coin.

Chœur —

Sans Trigano Mazèr’ n’est plus

Un’ ville en France avec des gens

Mais quand le Marette est en rut

Les oiseaux sont les remplaçants

À Mazèr’ on joue plus gagnant

Avec ce larbin dans les buts

Pour le ballon c’est la turlute

Et dans le bain il est feignant

 

On n’a plus l’art mais on a la manière

Plus les moyens mais on fera c’ qu’il faut

Pour que les suivants soient de gros pépères

Pas des cons et surtout pas des héros

 

Dans quel camp il a froid aux yeux

Faut pas être né chez les Grecs

Pour constater qu’il a du feu

Mais que sa lumière est au sec

Il fait noir après son passage

Et ça patin’ dans les virages

« Mais où qu’il est Dédé » qu’il dit

Dédé dit qu’il a plus d’ radis

 

On n’a plus l’art mais on a la manière

Plus les moyens mais on fera c’ qu’il faut

Pour que les suivants soient de gros pépères

Pas des cons et surtout pas des héros

 

Entre un larbin qui a servi

Et qu’on peut jeter sans remords

Et un fils à papa qu’est mort

Pas sans laisser du bon grisbi

Engagé dans la voie royale

Si tu vot’ c’est sans assurance

Que t’as choisi la différence

Et qu’on t’ rembours’ le capital

 

On n’a plus l’art mais on a la manière

Plus les moyens mais on fera c’ qu’il faut

Pour que les suivants soient de gros pépères

Pas des cons et surtout pas des héros

 

Des mecs comm’ ça c’est pas brillant

Ça tient debout si c’est pas mort

Ça fait des ronds et des dedans

Et ça se tient par le dehors

Faut pas grand-chos’ pour les pousser

Mais c’est des chos’ qui n’arriv’ pas

T’as pas toujours le temps d’ voter

T’es jamais là où ils étaient

 

On n’a plus l’art mais on a la manière

Plus les moyens mais on fera c’ qu’il faut

Pour que les suivants soient de gros pépères

Pas des cons et surtout pas des héros

 

Le petit dieu et le mignon

Ça fait la paire et c’est pas rare

Après le turbin de les voir

Se mettre en deux dans le marron

C’est pas des enfants que ça fait

Mais dans les coins on est plus qu’un

Le cœur en rade à décrotter

Les effets d’ mod’ dans les communs

 

On n’a plus l’art mais on a la manière

Plus les moyens mais on fera c’ qu’il faut

Pour que les suivants soient de gros pépères

Pas des cons et surtout pas des héros

 

Un’ fois crevés y aura plus rien

Pour exister dans le futur

Qu’est pas fait pour les lendemains

Mêm’ qu’ yen aura plus du nature

Toi t’es pas rien mais tu promets

T’auras au moins une chanson

Et peut-êtr’ mêm’ d’ l’éducation

Pour dans le mêm’ trou m’enfermer

 

On n’a plus l’art mais on a bien baisé

Et on a attendu que ça vagine

Ça vaut mieux que de se faire enculer

Municipalement dans les latrines

 

Tout est propre. Le chœur sort.

 

Scène VII

Marette, le garde, Roger, Trigano et le Préfet

Trigano —

Suspendu à une échelle :

Heureusement que j’ai l’âme d’un chef. Le monde est bien fait.

Garde —

À Marette :

Il dit ça pour vous…

Marette — Il peut dire ce qu’il veut, cette idée, c’est la mienne !

Garde — Il a gardé le concèpe, mais en plus grand…

Marette — Avec du pognon, c’est facile…

Garde — On imagine très bien ce que vous auriez fait, vous, avec autant de pognon. C’est bête ces choses qui arrivent aux fils à papa. Ils sont pas tous de la même taille…

Marette — Mais je l’ai de bonne taille !

Garde — Et pas circoncis, que ça doit vous faire gagner un bon centimètre.

Marette — Au poteau, ça fait la différence !

Entre le gendarme.

 

Scène VIII

Les mêmes, le gendarme

Le gendarme — C’est encore moi !

Préfet — Merde ! Un gendarme…

Trigano — Mauvaise nouvelle…

Marette — J’attends rien, moi…

À Roger :

Vous attendez quelque chose, vous ?

Roger — Qu’il se passe quelque chose…

Le gendarme — Vous êtes un sage, monsieur… Je dis pas ça parce que vous êtes touriste et qu’on a la consigne de pas trop faire chier les étrangers de chez nous… mais la nouvelle, elle est pas bonne…

Marette — Vous avez un papier ? On aura peut-être plus vite fait de le lire…

Trigano — Dites ce que vous avez à dire ! Je suis prêt.

Garde — Avec le pognon qu’il a, il peut pas être pris au dépourvu. Au-dessus d’une certaine somme, on a plus de surprise. Ce qui arrive aurait très bien pu ne pas arriver…

Trigano — Ça dépend ce que c’est !

Préfet —

Au gendarme :

Eh ! Bien ! Expliquez-vous !

Le gendarme — Je m’explique… J’ai l’habitude de m’expliquer…

Marette — Ça vous prend du temps, mais vous y arrivez…

Le gendarme — Nous étions trois en arrivant sur les lieux…

Garde — Et ils sont plus que deux…

Le gendarme — Non ! Un seul !

Marette — Et il est où le deuxième ?

Le gendarme — Le troisième…

Trigano — Bon ! Bon ! Vous êtes le premier, je suppose…

Le gendarme — Dans l’ordre oui…

Préfet — Mais dans un tel désordre…

Trigano — Venez-en au fait ! Qu’on en finisse ! J’ai déjà renoncé…

Préfet — Il y a encore de l’espoir…

Le gendarme — Oui, mais quand il n’y en a plus…

Trigano — Bref !

Le gendarme — Ne m’embrouillez pas ! J’en suis au début…

Préfet — Non. Après…

Le gendarme — Après quoi ?

Préfet — Après que le deuxième ait quitté les lieux…

Trigano — Et pourquoi il a quitté les lieux ?

Le gendarme — On ne quitte jamais les lieux sans une bonne raison !

Préfet — On va la connaître…

Marette — Laissez-le parler ! Ça me donne soif !

Préfet — Vous aussi vous avez quitté les lieux…

Le gendarme — Puisque je suis là…

Il rit.

Elle était facile, celle-là ! Je la retiens pour le prochain stage.

Préfet — Mais on ne sait pas pourquoi vous avez quitté les lieux… Je suppose qu’il y a une raison commune à ces deux… missions ?

Le gendarme — Vous supposez bien. C’est une action coordonnée.

Préfet — Et c’est vous le coordinateur…

Le gendarme — Je ne vous le fais pas dire.

Trigano — Nous, on aimerait bien vous faire dire ce que vous avez à nous dire…

Le gendarme — J’y viens ! Dans la gendarmerie, nous avons le préambule complet.

Préfet — C’est ensuite que ça devient incomplet…

Le gendarme — Tellement incomplet que je sais pas comment vous le dire !

Entre un autre gendarme.

 

Scène IX

Les mêmes, deuxième gendarme

Gendarme II —

Surpris :

J’arrive avant lui ou quoi ?

Gendarme I — Vous courez vite ! Et vous faites bien, surtout quand il s’agit de poursuivre quelqu’un…

Trigano — Vous poursuivez quelqu’un ?

Gendarme II — Tellement que je l’ai dépassé !

Trigano — C’est absurde !

Gendarme I — Une fois arrivé à la hauteur de l’individu en fuite, le saisir au collet et l’immobiliser dans une position qui l’empêche de bouger ! C’est écrit dans le manuel ! Pour une fois que ça arrive, vous n’y arrivez pas !

Gendarme II — Mais je sais pas comment c’est arrivé…

Gendarme I — C’est arrivé que vous réfléchissez pas quand vous courez ! Vous pensez à autre chose…

Garde — Au risque de se prendre un poteau de travers… Ça m’est arrivé !

Gendarme I — Ça arrive beaucoup plus rarement dans la gendarmerie ! Mais ça arrive !

Gendarme II — On peut pas le nier…

Marette — La preuve vivante qu’il ne suffit pas de courir à point, il faut s’arrêter à temps…

Garde — Il est pas con le Marette quand il s’y met ! À force de regarder passer les trains…

Marette — Vous allez dire encore une grosse connerie et ça va pas me faire plaisir !

Trigano — On n’est pas là pour se faire plaisir, mais pour recevoir Nicolas Sarkozy dans mon mus… ma stat… Oh ! Je ne sais même plus ce que c’est que cette chose !

Garde — Il se réveille. Il a un choc. J’explique, parce que nous aussi tout à l’heure on s’est réveillé et ça nous a saisis. Monsieur est témoin…

Gendarme II —

Voyant la cuvette :

C’est quoi, ça ?

Gendarme I — On voit bien ce que c’est !

Gendarme II — Je sais ce que c’est ! Mais en plus grand…

Garde — Alors ça crée un doute…

Gendarme I — Après le choc, le doute… c’est normal, eh ! monsieur Trigano.

Trigano — À mon âge, plus rien n’est normal…

Marette — On le voit bien… Vous avez vu trop grand !

Garde — Vous auriez doublé le volume, bon… On comprendrait… Mais là, c’est de l’exagération !

Trigano — Je recommencerai pas…

Marette — Quand on est con, on est con et on le reste…

Garde — Surtout à la SNCF…

Préfet — Nous ne savons toujours pas qui vous poursuiviez… Ce qui nous frustre…

Gendarme I — Moi je poursuivais personne… Vous vous adressez au mauvais interlocuteur… mauvais dans le sens que c’est pas le bon…

Préfet — J’avais compris. Merci. Continuez…

Gendarme II — Je me demande bien à quel moment je l’ai dépassé…

Gendarme I — Et s’il vous a suivi !

Trigano — Et pourquoi l’aurait-il suivi puisqu’il était poursuivi ?

Gendarme II — Mais il ne l’était plus quand je l’ai dépassé…

Trigano — Assez ! Assez ! Assez ! Je deviens fou ! D’abord ce… cette… et maintenant… ces… ces…

Gendarme I — Dites-le ! Ça vous fera du bien.

Gendarme II — Vous devriez écouter le Chef… Il en connaît des choses sur ce qui va quand ça va pas !

 

Sur ce qui va quand ça va pas

Le Chef en connaît un morceau…

 

Préfet — Il pourrait nous renseigner sur ce qui se passe, puisqu’apparemment, ça ne va pas…

Gendarme I — Je vais très bien, merci !

Gendarme II — C’est vrai que vous allez bien depuis quelque temps, Chef. On vous sent plus présent. Et ça donne du piquant à la banalité quotidienne de l’existence du gendarme ordinaire.

Marette — C’est peut-être pas le moment de se plaindre…

Préfet — Si ce sont les syndicats qui foutent la merde, je ferai mon devoir…

Gendarme I — La merde, pour reprendre votre propre expression, ils la foutent pas… Ils l’observent en ce moment…

Gendarme II — Pour une fois, ils n’y sont pour rien…

Préfet — Vous m’étonnez…

Gendarme I — Je devrais pas… On sait bien ce que ça vous fait à vous, les étonnements…

Gendarme II — Ça se traduit par des faits que la Presse gonfle, gonfle… comme cette chose…

Trigano — Je l’ai fait sans la Presse…

Marette — Il a pas besoin de la Presse pour gonfler… Moi non plus.

Il fait tomber sa boîte de pastilles.

Préfet — Je me suis déjà illustré lors de la dernière visite de monsieur Nicolas Sarkozy qui, si je ne m’abuse, en a redemandé…

Marette — Quand c’est bon, il faut pas se gêner !

Garde — C’est comme ça qu’on gagne des médailles quand on n’est pas sportif…

Trigano — Bref !

Gendarme I —

Imitant :

Bref…

Puis :

Si le poursuivant a perdu sa cible par dépassement dû à l’intensité de l’action, je ne vois pas comment procéder à la continuation de la mission qui s’interrompt…

Gendarme II — Faute de cible en vue…

Gendarme I — La cible est devenue mobile et on ignore à quel endroit…

Trigano — Mais qui poursuiviez-vous !

Marette — Vous allez le rendre fou !

Gendarme I — Ce sera sans intention de causer un dommage…

Trigano — Mais qui ? Qui ? Par pitié !

Entre les syndicalistes.

 

Scène X

Les mêmes, les syndicalistes

Gendarme I — Vous êtes en avance vous aussi !

Gendarme II — Nous avons la réputation d’être les derniers arrivés, ce que la réalité ne vérifie pas comme vous pouvez le constater…

Gendarme I — Ils n’ont peut être pas envie de constater !

Gendarme II — Ils n’arrêtent pas de constater depuis tout à l’heure…

Préfet — Je peux m’en charger… !

Marette — C’est une question ?

Trigano — Bien. Messieurs, on vous écoute…

Syndicalistes —

Chantant :

Nous ne sommes pas là…

Gendarme II — Et si ! vous êtes là…

Syndicalistes —

Nous ne sommes pas là…

Gendarme II — Et putain ! On voit bien que vous êtes là…

Gendarme I — Ils chantent !

Gendarme II — Ils chantent qu’ils sont pas là et… ils sont là !

Trigano — Vous aussi vous êtes là. Tout le monde est là… pour assister à ma déconfiture finale ! Bouh ! Bouh ! Bouh !

Gendarme I — S’ils n’étaient pas là, je vous le dirais…

Préfet — Ah ! Oui ?

Gendarme I — Vous pensez !

Gendarme II — Mais ils sont là…

Syndicalistes —

Nous ne sommes pas là

Pour…

Gendarme I — On avance… Ils ne sont pas là et on va savoir pour quoi.

Gendarme II — Pourquoi ils ne seraient pas là ?

Gendarme I — Non ! Pour quoi ! Séparément !

Gendarme II — Ils vont pas rester ensemble ?

Trigano — Je vais mal finir et personne ne saura ce que j’ai voulu symboliser par cette… ce… Oh ! Misère !

Garde — Misère ! Une expression en usage chez les riches pour dire qu’ils sont moins pauvres…

Syndicalistes —

Nous ne sommes pas là

Pour jouer aux potiches

 

Gendarme I — Ça commence compliqué…

Gendarme II — Et ça se termine simple…

Préfet — Comme ça, tout le monde comprend…

Syndicalistes —

Nous ne sommes pas là

Pour jouer aux potiches

Et enrichir les riches

Qui riches sont déjà

 

Gendarme I — Et les autres riches, vous en faites quoi ?

Gendarme II — Ils croient que les gendarmes sont riches ! Mais de quoi ?

Syndicalistes —

On a bien regardé

Et on en a conclu

Que l’ouvrage est complet

 

Gendarme I —

Dansant :

On peut se fair’ dessus !

 

Moi, des chansons comme ça, je peux en faire même si l’ouvrage est incomplet…

Trigano — Ce qui est le cas de cette œuvre… inachevée…

Un syndicaliste — Quand on a appris que le barbare Sarkozy était ici, on n’a pas hésité à abandonner le chantier pour rejoindre les camarades sur le terrain du conflit !

Trigano — Mais quel conflit ? J’aime tout le monde moi !

Marette —

Mimant :

Je suis prêt à tout pour aimer !

Trigano — Vous auriez pu finir ! Vous ne voyez pas à quoi ça ressemble quand ce n’est pas fini ? Bouh !

Gendarme II — C’est parce que c’est pas fini ! Je me disais aussi…

Gendarme I — Je me le disais moi aussi, mais j’osais pas le dire…

Trigano — Ça ne me ressemble pas ! Vous êtes de mauvais ouvriers !

Préfet — Je n’ai pas dit que c’était ressemblant…

Garde — Je suis témoin ! Vous avez dit : « Tiens ! Un chiotte, mais en plus grand ! »

Préfet — Jamais je ne me permettrais…

Entre le troisième gendarme.

 

Scène XI

Les mêmes plus le troisième gendarme

Gendarme III — Ils sont tous partis ! Ah ! Ils sont là ! Est-ce que j’ai bien fait de quitter mon poste ?

Gendarme I — L’essentiel, c’est qu’il n’y ait pas de blessés ! Est-ce que tous les gendarmes sont là ?

Gendarmes II et III — Présents, Chef ! Et en vie !

Gendarme I — Est-ce que tous les ouvriers sont là ?

Syndicaliste II — Nous ne sommes pas tous des ouvriers… Mais nous sommes là !

Syndicalistes — Présents !

Gendarme I — Et les élus ?

Trigano et Marette — Présents ! Il n’y a pas de porte de sortie… alors…

Gendarme — Et les employés municipaux représentés par ce beau spécimen de la garde champêtre ?

Garde — Présents !

Gendarme I — Et les touristes ?

Roger — Présents !

Gendarme I — Tout le monde est là !

Préfet — Vous ne m’avez pas demandé…

Syndicats — Hou !

Gendarme I — Faites comme si vous n’étiez pas là…

Préfet — Mais je représente…

Gendarme I — Vous ne représentez plus rien car le Président de la République a disparu…

Marette — À cause des SDF !

Gendarme I — Ils ont bon dos… Et qui c’est qui nous manque ?

Tous — L’ancien président de la République !

Entre Nicolas Sarkozy.

 

Scène XII

Les mêmes, Sarkozy

Sarkozy — Je suis poursuivi par les gendarmes ! Au secours !

Trigano — Vite ! Montez !

Sarkozy s’accroche à l’échelle et monte.

Sarkozy — C’est une émeute !

Trigano — Non ! Une révolution !

Marette — Une révolution ? À Mazères ?

Trigano et Sarkozy montent, perdent l’équilibre sur le bord de la cuvette et disparaissent dans un grand plouf.

 

Scène XIII

Marette, Roger, le garde, le préfet, les gendarmes, les syndicats

Roger se lève, secoue sa pipe et regarde la cuvette.

Au travail, messieurs !

Les ouvriers se rassemblent.

Avec un peu de travail, on fera mieux que le Mont Rushmore.

Tous — Le mont Rushmore de Mazères… à Mazères !

Roger —

Il montre des endroits de la cuvette avec son rayon laser. Au fur et à mesure, les visages apparaissent.

Ici, François Hollande. Là, Nicolas Sarkozy. Et là, André Trigano.

Marette — Et moi alors ?

(rideau)

Bruits de fusillade.

 

 

ACTE XI

Avant le lever de rideau : on entend des bruits de glissements, de chocs, des ânonnements humains… Puis le rideau se lève. Nous sommes toujours devant la mairie de Mazères. Une croix est dressée dans l’herbe. Des cartons marqués « Ikéa » et des fragments de statue sont répandus autour de la croix. Trois hommes continuent de décharger un camion garé devant. Côté cour, les WC municipaux sont toujours intitulés « Musée de Mazères », mais un panneau indique que le musée a « réintégré ses locaux » et étale les horaires de visite. Les portraits de François Hollande et de Nicolas Sarkozy ornent le linteau.

 

Scène première

Les trois déménageurs

Un —

Il s’est arrêté et se gratte la tête en regardant les colis :

Je sais pas si je saurais…

Deux — Qu’est-ce que tu sais pas ?

Un — Si je saurais le monter sur la croix dans le bon sens…

Trois — Que ça vous empêche pas de travailler…

Un — Oh ! Hé ! Le Français de France ! Tu la mets en veilleuse. On est deux !

Il mime un combat.

Deux — Moi, j’ai même pas une goutte de sang français.

Trois — Qu’est-ce que tu en sais ? Les femmes du Sud ont toujours eu chaud au cul. Même avec les Arabes !

Un — Les Berbères… Nous, c’est les Berbères. Pas les Arabes !

Trois — Je vois pas la différence…

Un — La différence c’est que c’est pas des Arabes et que vous, vous êtes des Barbares. J’ai bien un peu de sang…

Deux — Berbère et Barbare… Mais moi je suis pur. Les papiers le prouvent !

Trois — Tu parles d’un loisir. Moi je sais pas de quelle race je suis, mais ce que je sais, c’est que je travaille pour pas grand-chose. Vous savez à quoi on mesure son salaire ?

Un et deux — Non !

Trois — À ce qu’on peut en donner.

Un — Moi je donne tout à ma femme et elle aime ça !

Deux — Que si tu lui donnes pas tout, elle le prend et ça te fait moins plaisir !

Trois — Finissons-en !

Un — À bas saint Dominique !

Deux — Et saint Papoul !

Trois — Et vive saint Ikéa !

Ils entrent dans le camion qui sort. Roger apparaît (jeu de lumière) sur la murette côté cour. Entre Nanette avec son petit sac à main à l’épaule. Elle essaie d’ouvrir la porte de la mairie puis se met à déambuler entre les colis autour de la croix.

 

Scène II

Roger et Nanette

Roger joue quelques accords sur sa guitare. Elle semble ne pas entendre.

Roger —

Va t’en voir va t’en voir Nanette

Si les œufs si les œufs sont clos

Hier je n’ai vu personne en haut

Et pas un gars aux oubliettes

Vois si le temps sourit aux masques

Hier ils étaient en fête quand

J’ai ouvert l’enclos aux enfants

Le vent taisait leurs bonnes frasques

 

Va t’en voir va t’en voir Nanette

Si les œufs si les œufs sont clos

S’ils sont clos s’ils sont clos Nanette

Reviens-moi je suis dans l’enclos

Et j’attends Nanette ô ma haine      

Que ton cœur enfin me surprenne

 

Pardonne aux clartés qui sommeillent

Dans l’attente des lendemains

Ils attendaient demain la veille

Tu n’es venue que ce matin

Pousse tes pieds jusqu’à l’aurore

Suivant le fil de tes pensées

La nuit en rond n’est pas encore

Sur ta mémoire retombée

 

Va t’en voir va t’en voir Nanette

Si les œufs si les œufs sont clos

S’ils sont clos s’ils sont clos Nanette

Reviens-moi je suis dans l’enclos

Et j’attends Nanette ô ma haine      

Que ton cœur enfin me surprenne

 

À l’heure essaie d’éparpiller

Ces noirs tourets qui font rêver

À peine on les voit sourciller

En fuite au vent au vent levé

Les enfants ne sont pas des anges

Tu cours si vite quand tu cours

Leurs reflets d’or te jouent des tours

Ton ombre court aussi étrange

 

Va t’en voir va t’en voir Nanette

Si les œufs si les œufs sont clos

S’ils sont clos s’ils sont clos Nanette

Reviens-moi je suis dans l’enclos

Et j’attends Nanette ô ma haine      

Que ton cœur enfin me surprenne

 

Ne descend pas à la rivière

Où t’attend le plus amoureux

Trop de témoins sont trop heureux

D’avoir tué son cœur de pierre

Il faudra bien que tu t’arrêtes

Il faudra bien que tu reviennes

Dans l’enclos les loups s’entretiennent

Au sujet de tes œufs Nanette

 

Va t’en voir va t’en voir Nanette

Si les œufs si les œufs sont clos

S’ils sont clos s’ils sont clos Nanette

Reviens-moi je suis dans l’enclos

Et j’attends Nanette ô ma haine

Que ton cœur enfin me surprenne      

 

Trop de monde a passé par là

J’ai vu le temps tourner en rond

Nanette on sait bien que parfois

Tu prends le désir sans façon

Les gens n’aiment pas que la femme

Encore enfant passe la nuit

Avec eux à souffrir d’ennui

Et caresser leurs bleus à l’âme

 

Va t’en voir va t’en voir Nanette

Si les œufs si les œufs sont clos

S’ils sont clos s’ils sont clos Nanette

Reviens-moi je suis dans l’enclos

Et j’attends Nanette ô ma haine      

Que ton cœur enfin me surprenne

 

Si dormir la nuit t’en éloigne

Que le rêve appartient au jour

De qui es-tu la vraie compagne

La mienne ou celle du faubourg

Quand le feu de saint Jean déchaîne

Sur ces murs témoins des orages

En lettres d’or la plus qu’ancienne

Haine des oiseaux de passage

 

Va t’en voir va t’en voir Nanette

Si les œufs si les œufs sont clos

S’ils sont clos s’ils sont clos Nanette

Reviens-moi je suis dans l’enclos

Et j’attends Nanette ô ma haine      

Que ton cœur enfin me surprenne

 

Une voiture s’arrête brusquement dans la rue de derrière. En descend Marette.

 

Scène III

Roger, Nanette et Marette

Marette — Hou ! Putain ! Tout le monde dort !

Il voit Roger.

Bonjour, monsieur.

Roger — Bonjour.

Marette — Vous faites de la guitare…

Il se tourne vers Nanette.

… aux jolies fleurs de Mazères.

Nanette — Je suis pas de Mazères !

Marette — Il n’y a pas de honte !

À Roger :

Vous êtes d’accord avec moi, monsieur… ?

Roger —

Joue un accord bruyant :

… Roger Russel.

Marette s’assombrit.

Marette — Ah… Oui. Vous couchez chez l’habitant. Et il vous prend des sous, le… de la Rubanière ?

Roger — Pas un ! Je suis un ami de la famille.

Marette — Ah ! Oui ? Il a des amis ce… monsieur ?

Roger —

Encore un accord.

Comme vous voyez !

Marette —

À Nanette :

S’il est venu pour foutre la merde, il va me trouver !

À Roger :

Ça vous fait de longues vacances… Vous n’avez pas l’âge d’être retraité… Vous êtes au chômage peut-être… ?

Roger — Non. Je travaille… pour la Presse.

Marette — Ouille ! Milladiou ! Je n’ai rien dit ! Ne publiez rien sans mon autorisation !

Nanette —

Moqueuse :

Il plaisante à moitié.

Marette — Oh ! Je prends le temps de plaisanter.

Il examine les colis. À Nanette :

Il faudra faire le compte pour vérifier si tout a bien été livré. Normalement, on devrait y arriver…

Nanette — Mais je connais le cas qu’ils y sont pas arrivés !

Marette — C’était des socialistes ! Ils ne savent pas faire de plans et quand on leur en donne un, ils ne savent pas le lire !

À Roger :

Je ne vous demande pas de quel bord vous êtes…

Roger — Je travaille pour la croix…

Marette —

Intéressé :

Ils ne m’ont rien dit…

Tendant la main :

Vous êtes le bienvenu !

Nanette — Il retire tout ce qu’il a dit !

Roger —

Malicieux :

Je n’ai rien entendu…

Marette — Mais moi, je vous ai entendu chanter !

À Nanette :

Si j’étais vous, je rougirai…

Nanette — Eh ! Rougir de quoi, mon Dieu !

Marette — Ce monsieur semble apprécier vos charmes…

Nanette — Oh ! Mon Dieu !

Marette — Ne faites la sainte Nitouche ! Monsieur a du goût.

Roger — Et je m’en flatte.

Nanette — On se connaît à peine… euh… je veux dire… même pas !

Marette —

À Roger :

Je la connais aussi…

Nanette — À peine…

Marette — Comment ça, à peine ?

Il se rend compte qu’il s’est laissé avoir. Il se reprend.

Mademoiselle…

Nanette — Madame…

Marette — Madame Nanette travaille chez nous depuis quelques années que nous avons mises à profit pour nous connaître mieux…

Nanette — Et je sais toujours pas si c’est du lard ou du cochon…

Marette —

De nouveau berné :

Du cochon bien sûr !

Il se reprend :

Eh ! Merde ! Qu’est-ce qui m’arrive ?

Il regarde Roger d’un air suspicieux. Brusquement :

Vous vous demandez pas ce que c’est ?

Roger — Ikéa…

Marette — Ikéa ! Ikéa ! Ça veut rien dire si on sait pas ce que ça veut dire !

Nanette —

Penchée sur un carton :

Surtout que c’est écrit en chinois.

Marette — Mais c’est pas du chinois… Ils habitent en Europe…

Cherchant :

Vous le savez bien d’où ils sont !

Nanette — Eh ! Bé ! Je sais pas d’où ils sont, mais ils écrivent en chinois…

Marette —

Vérifiant :

Putain ! C’est du chinois !

Roger — Du suédois… ce qui m’étonne…

Marette — Ça vous étonne que les Suédois écrivent en chinois !

Nanette — Moi, je m’étonne plus de rien…

Marette — Et les plans…

Roger — Un coup des socialistes…

Marette — Ils en sont capables ! Ils ont sont capables !

Nanette — On a vu pire !

Roger — Pire que des plans écrits en chinois ?

Marette —

Désespéré :

Oh ! Putain ! La croix, on l’a reçue hier en deux morceaux. Que c’était écrit en français…

Roger — … pas en socialiste…

Marette — On s’est gouré deux fois, mais à la troisième, elle tenait debout… vous savez…

Il mime :

… comme une croix.

Nanette — Mais pas dans le bon sens…

Roger — Ah ? Il y a un sens de la croix… ?

Marette — Et comment qu’il y a un sens !

Nanette — Le sens de l’éclairage…

Marette — Sinon on voit rien après…

Roger — Après quoi… ?

Marette —

Désespéré :

Après ! Quand le corps…

Il se signe.

… est monté dessus !

Nanette — Pas tout seul, hé !

Marette — C’est bien le moment de plaisanter !

Il vérifie encore :

Putain ! C’est bien du chinois… enfin… c’est pas du français…

Nanette — Ah ! Si c’était du socialisme…

Marette — On déchiffre bien le socialisme…

Nanette —

Moqueuse :

… maintenant qu’on a perdu les élections !

Marette —

À Roger :

Vous lisez pas le chinois, vous… ?

Roger — Le chinois, non. Mais le suédois, oui.

Nanette — Eh ! Bé ! C’est arrangé alors !

Marette — Il vous dit qu’il parle pas le chinois !

Nanette — Oh ! Et puis merde ! Ces hommes ! Ces hommes ! Ces hommes !

À Roger :

Je dis pas ça pour vous.

Elle sort.

 

Scène IV

Roger et Marette

Marette —

Aparté :

Maintenant que je le vois bien, je comprends ce qu’elle veut dire, mais je comprends pas ce que je comprends… Ah ! Ça me fait drôle ! Ça fait pas mal, mais j’ai mal !

Roger — Charmante ! Mais je crains qu’elle ait mal interprété mes paroles…

Marette — Mais vous n’avez rien dit !

Roger — Je parlais de ma chanson…

Marette —

Enjoué :

Elle est pas écrite en chinois ! On comprend bien !

Il se gratte l’entrejambe.

Moi, elle me fait le même effet, mais en plus rapide…

Roger — Je ne comprends pas…

Marette — Eh ! J’oubliais que vous parlez pas chinois.

Roger — En réalité, je ne disais pas Nanette… mais… Marette !

Marette — Putain !

Roger —

Va t’en voir va t’en voir Marette

Si les œufs si les œufs sont clos

S’ils sont clos s’ils sont clos Marette

Reviens-moi je suis dans l’enclos

Et j’attends Marette ô ma laine      

Que ton cœur enfin me surprenne

 

Marette —

Reculant :

Ça sonne pareil ! Vous avez raison ! Je vais peut-être comprendre le chinois maintenant !

Entre le Chinois.

 

Scène V

Roger, Marette et le Chinois

Chinois — C’est quoi ces œufs ?

Marette — Vous êtes en retard ! Lisez-nous ce qui est écrit là-dessus.

Chinois — C’est du chinois !

Marette — Et bien lisez !

Chinois — Mais je sais pas.

Désespéré :

On m’a pas appris !

Roger — C’est du suédois. Ils se sont trompés. C’est rare…

Marette —

À Roger, suspicieux :

On va avoir besoin de vous… si vous acceptez…

Roger — Je ne dis pas non…

Marette —

Complice :

Nanette appréciera… j’en suis sûr…

Roger — Ce n’est pourtant pas Nanette que je…

Chinois — Des œufs ?

Il réfléchit :

C’est une énigme !

Marette — Ne perdez pas de temps à réfléchir ! On vous paye pas pour ça !

Chinois — Mais je veux pas être payé pour réfléchir ! Ces œufs…

Marette —

Expliquant :

Des fois, ils mettent dans mon café une chose qui a le goût de l’alcool, mais qui n’est pas de l’alcool… et après, je me sens pas bien…

Chinois — À moi ils mettent rien, mais je me sens pas bien non plus…

Clin d’œil à Roger :

On va prendre la journée pour déchiffrer ce chinois suédois…

Marette — Té ! Je vais voir…

Chinois —

Imitant :

Je vais boire…

Roger — Ça va être long…

Marette — On est pas pressé…

Il sort.

 

Scène VI

Roger et le Chinois

Chinois — Bravo, monsieur Méphisto !

Roger — Oh ! C’est facile…

Chinois — C’est toujours facile… mais cette pauvre Nanette qui n’y est pour rien…

Roger — Je l’aime bien moi aussi.

Chinois — De l’amour maintenant ! En Enfer !

Roger — Nous n’y sommes pas.

Chinois — Mais c’est comme si on y était !

Marette apparaît à la fenêtre.

 

Scène VII

Les mêmes, Marette

Marette — J’ai téléphoné !

Chinois — À qui ?

Roger — À Belzébuth…

Marette — À Ikéa ! Ils disent que c’est écrit en français…

Chinois — Et bé s’ils le disent, c’est que c’est vrai.

Marette — Vérifiez encore un coup. Avec deux avis… je veux dire trois…

Il hésite :

Même Nanette sait lire le français, tout de même !

Chinois — Ça fait quatre !

Marette — Sauf si monsieur se retire…

Roger —

Diabolique :

Je suis de votre côté…

Chinois — On vous fait confiance…

Marette — Ils sont sur la route…

Chinois — Qui est sur la route ?

Marette — Les livreurs ! Ils peuvent encore faire demi-tour.

Roger — Je m’en occupe.

Marette — On ne vous en demande pas tant ! Croyez bien que…

Il est interrompu par l’entrée du camion. Les trois livreurs en sortent.

 

Scène VIII

Les mêmes, les livreurs

Marette — Putain ! Qué rapide Ikéa !

Chinois —

À Roger :

Il suffit de demander…

Un — Qu’est-ce que c’est que cette histoire de chinois ?

Il voit alors le Chinois :

Euh… je disais pas ça pour…

Chinois — Pour dire…

Il lui tire une oreille.

Qu’est-ce qui est écrit là ?

Un —

Doucement :

Vous me faites mal ! C’est qu’il fait froid ici !

Tout haut :

« Fragile ». C’est écrit « Fragile » et je le lis très bien…

Marette — En français ?

Un — Je sais pas lire autrement.

Deux — Il a qu’une langue.

Il tire la sienne qui est fourchue.

Trois —

À voix basse :

Elle est fourchue, mais il en a qu’une…

Roger montre qu’il a plusieurs langues dans la bouche.

Marette — Je sais que vous parlez plein de langues, monsieur… ?

Roger — Russel… Roger Russel…

Chinois — Rog Ru pour les amis…

Marette — Mais nous ne sommes pas amis…

Roger — Pas encore.

Chinois — Mais ça ne saurait tarder…

Marette — Je descends !

Roger — Amenez donc Nanette avec vous !

Chinois — Cochon !

Roger — Bouc !

Entrent Marette et Nanette.

 

Scène IX

Les mêmes, Nanette

Nanette — Si je sais lire le français ! Je suis secrétaire ! Et on est en France !

Marette — Eh ! Je sais bien qu’on est en France…

Deux — Et loin de France pourtant, ce qui n’est en rien un paradoxe…

Les livreurs rient.

Marette —

Continuant :

Mais des fois, je pourrais pistonner sans m’assurer que c’est la personne qui correspond au poste…

Chinois — Et c’est arrivé ! Plus d’une fois !

Marette — Vous êtes bien censé parler chinois ! Avec la tête que vous avez !

Chinois — Elle vient du Cambodge…

Un — Juste à côté…

Deux — Enfin… à notre échelle.

Trois — Parce qu’à leur échelle, là bas, ça met le barreau à… à…

Il mesure avec les mains.

Que pour monter il en faut des barreaux !

Un — Et pour descendre, je te dis pas !

Chinois — Arrêtez de déconner et admirez l’objet…

Ils entourent Nanette. Elle minaude.

Elle a rien d’écrit dessus !

Un — Mais c’est du chinois.

Marette — Vous savez lire le chinois ? Et bé lisez ! Qu’on soit fixé !

Un — Je me fixe ! Je me fixe !

Un bout de queue dépasse de sa salopette.

Marette — Et quécecé ?

Chinois — Quécecé quoi ?

Marette — Et bé… ça… cette chose… là !

Chinois — Vous voyez pas qu’elle est fourchue ? Vous avez déjà vu une queue fourchue ?

Marette —

Inquiet :

C’est la première fois que j’en vois une ! D’habitude, les bêtes que je vois, elles ont une queue…

Chinois — … qui n’est pas fourchue !

Un — Hé ! Je suis pas une bête !

Marette — Ouais, mais vous avez une queue fourchue… alors je me demandais…

Chinois — … comment on appelle une queue qui n’est pas fourchue !

Marette — Voilà !

Chinois — Et vous le saviez pas.

Marette — Voilà !

Chinois — Et vous vous êtes couché parce qu’au fond ça ne vous intéresse pas.

Marette — Voilà !

Nanette — Et je suis rentrée chez moi sans avoir rien fait.

Marette — Preuve que je sais y faire quand je fais rien !

Il roule les yeux.

Et vous avez tous une queue… même monsieur…

Nanette — Et des langues fourchues… Dites-lui que vous avez des langues fourchues !

Tous — On a la langue fourchue !

Marette — Donc, tout va bien et vous aussi vous allez bien !

Un — Et c’est écrit en français.

Marette — Donc tout va bien ?

Satisfait à demi :

Et quand tout va bien, tout va… même moi je vais bien…

Il sort.

 

Scène X

Roger, le Chinois, Nanette et les livreurs

Tous —

Queues et langues dehors, sauf Nanette, tournoyant autour de la croix. Jeu de lumière diabolique.

 

Marette et Nanette

Sont dans un bocal

Et Marette a mal

À la biroulette

Quand on en voit un

Les deux font la paire

Il faudrait se taire

On en plaint aucun

 

Ah ! les petits fonctionnaires

Qui jouent du fion et du pion

Et par devant par derrière

Se font ainsi des façons

 

Faut pas croire que

Entre les bons verres

Et les coups de queue

Nanette a le temps

Elle a l’ cœur en fer

Pour l’avancement

Elle sait y faire

C’est question de sang

 

Ah ! les petits fonctionnaires

Qui jouent du fion et du pion

Et par devant par derrière

Se font ainsi des façons

 

Si vous la croisez

Entre le bureau

Et l’heure du thé

Il sera bien tôt

De penser à elle

Et au temps qui passe

Aux saisons qui lassent

La vie éternelle

 

Ah ! les petits fonctionnaires

Qui jouent du fion et du pion

Et par devant par derrière

Se font ainsi des façons

 

Elle aussi habite

En un lieu secret

Elle a du mérite

De garder l’ secret

Si la porte s’ouvre

Ne rien dire encore

Pas tant que le corps

Secret se découvre

 

Ah ! les petits fonctionnaires

Qui jouent du fion et du pion

Et par devant par derrière

Se font ainsi des façons

 

Ah ! Si ell’ parlait

Si ell’ se laissait

Aller à trahir

Les fonds du désir

La vie en prendrait

Un’ drôl’ de tournure

Mais dans sa nature

Ya pas de secrets

 

Ah ! les petits fonctionnaires

Qui jouent du fion et du pion

Et par devant par derrière

Se font ainsi des façons

 

Nanette n’a pas

De secrets secrets

Bien intentionnée

Elle a l’ cœur en bas

Tout est clair en elle

En haut ça va bien

Elle a mis la main

Sur le bon label

 

Ah ! les petits fonctionnaires

Qui jouent du fion et du pion

Et par devant par derrière

Se font ainsi des façons

 

Ell’ le lâch’ra pas

Elle en sait bien trop

Et ell’ donnera

Des coups s’il le faut

Le Marette est cuit

Surtout qu’ son oiseau

Taillé en biseau

Ne fait plus cuicui

 

Ah ! les petits fonctionnaires

Qui jouent du fion et du pion

Et par devant par derrière

Se font ainsi des façons

 

Ell’ deviendra vieille

Ya pas d’ maladie

Tant que le soleil

Brille encore au lit

Avec la bouteille

Elle aura gagné

Sa place au soleil

Et un lit doré

 

Ah ! les petits fonctionnaires

Qui jouent du fion et du pion

Et par devant par derrière

Se font ainsi des façons

 

Les petits secrets

S’ront devenus grands

Et les morts passés

Dans les monuments

Les enfants auront

Comme elle avant eux

Compris la leçon

Pour la faire en mieux

 

Ah ! les petits fonctionnaires

Qui jouent du fion et du pion

Et par devant par derrière

Se font ainsi des façons

 

Au fil des tombeaux

La fonction publique

Du bas jusqu’en haut

Par voie hiérarchique

Produit des Nanettes

Qui font des envieux

Et des p’tits Marettes

Qui ont soif aux yeux

 

Ah ! les petits fonctionnaires

Qui jouent du fion et du pion

Et par devant par derrière

Se font ainsi des façons

 

Ils entrent tous dans le camion, sauf Nanette et Roger, et le camion sort.

 

Scène XI

Nanette et Roger

Nanette — Merci pour la chanson.

Roger — C’était sincère. Mais qui était cet homme ?

Nanette — Lequel ?

Roger —

Avec la guitare :

Va t’en voir va t’en voir Nanette

Si les œufs si les œufs sont clos

S’ils sont clos s’ils sont clos Nanette

Reviens-moi je suis dans l’enclos

Et j’attends Nanette ô ma haine

Que ton cœur enfin me surprenne

 

Nanette — Oh ! Celui-là… Il…

Roger — Il vous aimait.

Nanette — Je crois, oui. Cependant…

Roger — Il faut vivre…

Nanette — Je vis bien.

Roger — Je vous ai promis une existence agréable. Et même un peu d’argent.

Sa queue sort de son pantalon et s’agite. Elle s’en saisit et en manipule le bout presque sans y penser. Dans cette scène, de coquine elle devient inquiète.

Nanette — Je n’ai pas dit le contraire. Pour l’argent…

Roger — Voyons…

Il sort une calculette.

Un million divisé par trente… Nous avions dit trente… ?

Nanette — C’est trente en effet.

Roger — Moins deux… car c’était il y a deux ans, n’est-ce pas ?

Nanette — Je ne me plains pas ! Je vous l’ai dit…

Roger — J’avais cru comprendre…

Nanette — Non ! C’est bien comme ça.

Roger — Vous êtes heureuse ?

Nanette — Je le suis, mais…

Roger — Mais quoi ?

Nanette — Je ne sais pas… je…

Roger — L’amour ?

Nanette — Oui ! Je ne le cache pas.

Roger — Cela se voit ! Mais je n’ai rien promis sur ce sujet. Et je tiens toujours mes promesses.

Nanette — Je le sais. Je n’ai pas dit le contraire. Mais…

Roger — Ces vieux cons… ?

Nanette — Oui…

Roger — Et moi alors ?

Nanette — Ce n’est pas pareil ! Vous…

Roger — Vous ne m’aimez pas…

Nanette — Si ! Je vous aime. Vous le savez bien. Mais…

Roger — Un autre ?

Elle cache son visage dans ses mains. Il recule.

Je le connais ?

Nanette — Je ne crois pas, non…

Elle s’écrie :

Il n’est pas d’ici !

Un moment.

Vous le sauverez aussi, n’est-ce pas ? Lui et moi. Personne d’autre.

Roger — Je sauverai Marette s’il signe avec moi. Et Trigano aussi.

Nanette — Vous ne les aimez pas. Vous m’aimez, moi ?

Roger — Vous le savez bien. Aurais-je signé sinon ?

Nanette — Vous obéissez au Diable en personne…

Roger —

Offusqué :

Mais… J’ai mon indépendance ! Je vous ai choisie.

Nanette — Pour m’utiliser… Maintenant, il est trop tard, n’est-ce pas ? Je peux vivre sans cet argent…

Roger — En couchant avec Marette et Trigano…

Nanette — En couchant avec vous…

Roger — En couchant beaucoup…

Nanette — Qu’est-ce que ça peut vous faire ? Vous ne m’aimez pas.

Roger — Mais lui vous aime. Vous en êtes sûr ? Vous pensez vraiment que cet amour… ?

Nanette — C’est lui !

Entre Frank. Il embrasse Roger sur la bouche. Nanette recule, épouvantée.

 

Scène XII

Les mêmes, Frank

Nanette — Frank ! Ne me dis pas…

Frank — Mais je ne dis rien, mon amour ! Qu’est-ce que tu t’imagines ?

Nanette — Je suis prise au piège… Je ne m’en sortirai pas !

Roger — Il ne te plaît pas ? Je suis entré dans ton sommeil.

Faisant tourner Frank.

Il est… presque conforme à ce que tu rêvais…

Nanette — Mais je ne rêvais pas ! C’était…

Frank — Je suis le désir, elle a raison.

Roger — Rêve… Désir… Nous ne distinguons pas les concepts humains s’ils se ressemblent à ce point. Mettons que c’est le désir. Est-ce ce que tu voulais ?

Nanette — Je le voulais ! Mais pas comme ça ! Je…

Roger — Tu as tout ce que tu veux…

Frank — Et même plus !

Nanette — Mais je t’ai pas, toi ! Tu m’es donné. Comme tout ce que je possède depuis que…

Roger — Nous n’avons pas résolu la question du repentir. Ou plutôt oui, nous le résolvons en interdisant le repentir.

Frank — Pourquoi y penser ? Trente ans, c’est beaucoup…

Nanette — J’aurais cinquante-cinq ans… l’âge de mon père.

Roger — Mais tu n’es pas aussi pauvre que lui…

Frank — Et puis tu m’as, moi !

Nanette — Je ne t’ai pas ! Tu me possèdes. J’avais tant espéré de toi ! J’aurais dû me douter… D’ailleurs tout ce qui m’arrive de bien…

Roger — De bien ?

Nanette — Oui ! De bien ! Pourquoi nier que tout ça me semble bien ?

Elle trépigne.

Bien ! Bien ! Bien !

Frank — Elle va se rendre folle. Je ne tiens pas à passer trente ans de mon existence avec une folle…

Nanette — Frank !

Frank —

Il se met la met sur la bouche.

Ce n’est pas moi qui parle ! Tu le sais bien !

Nanette —

À Roger :

Ça vous amuse de nous tourmenter ?

Roger — Je ne vous tourmente pas. Je vous rappelle à l’ordre. Nous travaillons, ne l’oubliez pas. Une chanson, Frank ?

Nanette — Oh ! Oui ! Frank ! Chante-nous quelque chose de ta composition !

Frank — Tu sais maintenant que je ne suis pas l’auteur de ces chansons…

Nanette — C’est vous… ?

Roger — Un petit coup de pouce, pas plus. Nous travaillons. Et je veille à ce que le travail soit bien fait.

Il accorde sa guitare.

N’oubliez pas de jouer votre rôle à la perfection. Vous, Nanette, au lit ! Et vous, Frank…

Frank — Au lit aussi !

Roger — Mes oiseaux !

Il met les mains en porte-voix.

Monsieur le maire ! Monsieur le maire ! Ce n’est pas du chinois !

Entre Marette.

 

Scène XIII

Les mêmes, Marette

Marette — Et qui c’est cet homme ? Vous le connaissez ?

Roger joue les premiers accords. Nanette danse, comme envoûtée.

Frank —

Tournant autour de Marette :

Faut du Jésus dans les chaumières

Yen a pas assez pour tout l’ monde

J’ crois qu’il va être nécessaire

D’aller chercher ailleurs du monde

Faut que chacun ait sa r’ligion

Et qu’on arrêt’ de s’ taper d’ssus

Fair’ des morts c’est des coups tordus

Moi l’ premier j’ai pas la passion

 

App’lez-moi j’ai de l’amour

Je porte bonheur

Et pour tous les cœurs

J’ai un don pas commun pour

Remettre à sa place

Sans laisser de traces

 

Les mecs qui jouent mal du clairon

Des fois qu’ils aient pas le moral

Ça devient dangereux et mal

Si yen a plus qu’ pour les pistons

Faut pas pousser la religion

Dans les fossés du désespoir

Des fois qu’on soit pris dans le noir

On est pas clair pour la question

 

App’lez-moi j’ai de l’amour

Je porte bonheur

Et pour tous les cœurs

J’ai un don pas commun pour

Remettre à sa place

Sans laisser de traces

 

C’est pas la hain’ pas la passion

C’est du bon bois de bon mariole

T’as qu’à regarder mes guiboles

Ell’s ont fait l’ tour de la question

J’en ai usé jusqu’à plus soif

Que mêm’ j’ai plus le goût à ça

Je vais m’ fixer comme géographe

De tes trottoirs faire grand cas

 

App’lez-moi j’ai de l’amour

Je porte bonheur

Et pour tous les cœurs

J’ai un don pas commun pour

Remettre à sa place

Sans laisser de traces

 

Si des fois t’as de quoi piper

J’ suis pas contre un duo à trois

Mais je suis pas l’ genre à trimer

Du doigt en l’air je suis le roi

Laiss’ pas traîner tes avantages

J’ai dessous moi un bel embout

J’ suis fait en dur comm’ les voyages

Et je reviens de loin en tout

 

App’lez-moi j’ai de l’amour

Je porte bonheur

Et pour tous les cœurs

J’ai un don pas commun pour

Remettre à sa place

Sans laisser de traces

 

Pour ta porte on verra si c’est

Du en plaisir ou du en toc

Je sniffe pas mais j’ai des crocs

Et des visions d’halluciné

Laisse la clé dans la serrure

Côté dehors j’ai mes entrées

Je pique un peu c’est ma nature

Mais je rends toujours la moitié

 

App’lez-moi j’ai de l’amour

Je porte bonheur

Et pour tous les cœurs

J’ai un don pas commun pour

Remettre à sa place

Sans laisser de traces

 

Si ta gonzesse elle a des plumes

Et qu’ell’ craint pas d’avoir des ailes

J’ai ce qu’il faut et j’ai du zèle

Je suis un marrant qui assume

J’ai pas l’ souv’nir d’avoir éteint

Avant d’avoir fait la lumière

Les meufs ell’ m’aim’ j’ai le bon teint

Question couleur j’y vais en frère

 

App’lez-moi j’ai de l’amour

Je porte bonheur

Et pour tous les cœurs

J’ai un don pas commun pour

Remettre à sa place

Sans laisser de traces

 

Je pèt’ le feu depuis qu’ j’ suis mort

Mort pour que dans c’ putain d’ pays

Les mecs comm’ toi qu’est tout pourri

Arrêt’ de jouer aux cadors

De l’honneur et d’ la dignité

T’es qu’un faux-cul avec du pèze

Moi les fachos ça m’ met à l’aise

C’est du tout bon pour m’ faire du blé

 

App’lez-moi j’ai de l’amour

Je porte bonheur

Et pour tous les cœurs

J’ai un don pas commun pour

Remettre à sa place

Sans laisser de traces

 

Pour le cercueil fais ta valise

Moi j’ai des années devant moi

T’arriv’ au bout de mes surprises

Avec les trous j’ai du blabla

Si la justice en veut en plus

J’ai pas la violenc’ difficile

Sinon je bouge pas un cil

Que mêm’ j’ai des airs de minus

 

App’lez-moi j’ai de l’amour

Je porte bonheur

Et pour tous les cœurs

J’ai un don pas commun pour

Remettre à sa place

Sans laisser de traces

 

Faut du Jésus mais pas trop fort

La religion c’est fait pour moi

Sérieux en arrivant au port

J’ suis l’ premier à prier pour toi

Fais ta prière avant qu’ ça saute

T’as plus l’ temps d’ t’occuper d’ ton fion

Moi sur la terr’ j’ai pas qu’ des potes

Et ailleurs j’ suis un vrai démon

 

App’lez-moi j’ai de la haine

Je viens jamais sans

Et quand je descends

C’est pas pour fair’ de la peine

Mais dans la justice

Faut que je me hisse

 

La Présidente tombe du ciel.

 

Scène XIV

Les mêmes, la Présidente

La Présidente —

Se relevant en se tenant le dos :

On a parlé de justice ? Me voilà !

Nanette — Oh ! Non ! Vous aussi !

Marette — Tout le monde ! Il manque plus que le Juif.

Il rit.

Avec lui, on n’y coupe pas !

Trigano tombe du ciel lui aussi. Nanette ferme les yeux.

 

Scène XV

Les mêmes, Trigano

Trigano — Ah ! Je vois qu’Ikéa… Bonjour madame la Présidente… je vois qu’ils ont livré… bonjour messieurs…

Nanette —

À Roger :

Il n’a pas signé ?

Roger — Ça ne saurait tarder…

Frank — Si on a des projets, et tout le monde en a…

Entre le chinois.

 

Scène XVI

Les mêmes, le chinois

Chinois — Sauf moi !

La Présidente — Vous n’avez pas de projet ? C’est impossible. Comme dit monsieur, tout le monde en a. Pas même un projet de médaille ?

Chinois — C’est que je suis déjà de la maison.

La Présidente — C’est possible, ça ?

À Roger :

Il faudra que vous m’expliquiez…

Roger — Je n’y manquerai pas.

Frank — Cela fait partie du contrat.

Marette — Si j’avais su…

Nanette — Si vous aviez su quoi ?

Geste désespéré.

Avec quoi je couche ?

 

Avec qui avec quoi je couche

On peut pas dir’ que j’ai d’ la chance

J’aurais dû trouver ça bien louche

Mais j’ai pas beaucoup d’expérience…

 

Tous —

De l’expérience elle en a

Ya qu’à voir les résultats

Ça fait combien de papas

Ces histoir’ de tralala ?

 

Nanette —

Non j’ai pas encor’ la manière

Si je l’avais je le saurais

C’est des choses qu’on a dans l’air

Mais sans les parol’ ya pas d’mais…

 

Tous —

Des parol’ elle en a plein

Mais c’est pas demain la veille

Qu’y en aura tous les matins

Pour les mecs qui se réveillent !

Nanette —

Vous moquez pas je suis encore

Une enfant qui n’a pas compris

Ce que nous réserve la vie

Quand on lui passe sur le corps…

 

Tous —

Pour le corps elle est douée

Le bon Dieu il sait c’ qu’il fait

Mêm’ qu’il suffit d’ la prier

Pour la voir se confesser

 

Nanette —

Je n’ai pas toujours rigolé

Et je ne ris pas tous les jours

Pour l’aventur’ ça va un jour

Et pour le prix c’est mal payé…

 

Tous —

Elle en veut toujours en plus

Elle donn’ pas dans le minus

Si zavez pas de laïus

Pour vous c’est le terminus !

 

Nanette —

Hier encor’ j’ l’avais dans la peau

J’avais trouvé d’ quoi occuper

Mes loisirs et mes fins d’journées

Avec un mec qui m’ rend marteau

 

Tous —

Ya pas d’ mec à c’ point parfait

Zont tous quèqu’ chose à cacher

Suffit de les voir rêver

Pour connaîtr’ tous leurs secrets !

 

Nanette —

Et v’la qu’ je suis pas mieux lotie

Que cell’ qui ont des p’tits souliers

On peut pas dir’ qu’ j’ai mal aux pieds

Mais j’ai du mal à accepter !

 

Tous —

Il faut pas donner du mou

Surtout quand on sait pas tout

Pour écarter les genoux

Faut d’abord voir les bijoux !

 

Nanette —

Les fill’ comm’ moi c’est du bon pain

C’est beurré de chaque côté

Le côté pil’ pour le matin

Et pour la fac’ ya pas d’ pitié

Un mec c’est jamais le premier

Mais c’est pas le dernier non plus

On verra bien si c’est d’aimer

Qu’au plus offrant je m’ suis vendue !

 

La Présidente — Ya pas d’ justice !

(rideau)

 

 

ACTE XII

Même décor. La statue toujours pas déballée. On entend une musique militaire. Arrive par la rue de devant un vieil homme mal fringué qui a formé son béret à la commando. Il marche au pas, singeant la parade. Une médaille pleine de reflets brille sur sa poitrine. Et sur la musique, il se met à chanter :

 

Scène première

Le Vét

Vét —

On revient jamais de la guerre

Avec de l’honneur à revendre

Moi qui n’ai pas l’instinct grégaire

J’ai un’ médaille elle est de cendres

J’en ai connu des macchabées

Et j’ai serré leurs mains coupées

Dans leurs corps nus j’ai retrouvé

De quoi me changer les idées

 

Le piston

Ça a du bon !

 

Les héros de la dernière heure

Les typ’ en sauce militaire

J’en vois tous les jours de bon heur

Devant le monument en fer

Je les salue ils me saluent

Mais quand je salue je recrache

Les cris des morts qui ont conclu

Qu’ les médaillés c’est tous des vaches

 

Les médailles

C’est du travail !

 

Revenir de la guerre avec

Des souvenirs à partager

C’est pas des héros c’est des mecs

Qu’ont pas quitté la société

Et pendant que les morts en chient

Les avantag’ qu’on peut tirer

Pour ces zéros c’est du concret

Et ça mont’ dans la hiérarchie

 

Faut du zèle

Pour se fair’ belle !

 

Le plus souvent on est en bas

Et on y reste avec morts

Par les pieds il faut pas êtr’ fort

Pour se sortir gaiment de là

J’ai pas d’ cercueil à vous offrir

Je sais mêm’ pas si j’ suis fleuriste

La mort m’a cueilli sur la piste

Mais j’ suis pas mort ah ! Quel plaisir !

 

Ce qu’il faut

C’est des défauts !

 

Je reviens et qu’est-c’ que je vois

Des mecs tôlés aux chemins d’ fer

Dans les égouts des ministères

Et ça fonctionne aux petits pois

Ça s’est monté avec mes œufs

Des blancs en dur faits pour les caves

Je m’ doutais pas qu’ c’était si grave

Quand j’ai signé en mêm’ temps qu’eux

 

Général

Ça m’ ferait mal !

 

Mon pèr’ qu’était ouvrier noir

M’ disait pourtant de pas aller

Les fils de chien sont trop calés

Pour ce qui est de la mémoire

Ils vont t’en fair’ comme un devoir

Et chaque fois qu’ ce s’ra la fête

Il faudra bien que tu t’arrêtes

Pour saluer sans te fair’ voir

 

Le drapeau

Je l’ai en peau !

 

On a beau dir’ mais ces salauds

Ces larbins qui n’ont pas servi

Avec moi ils ont le tombeau

Pour oublier c’ que c’est le cri

J’en ai poussé pour pas crever

Et c’est tant mieux qu’ ça ait marché

Je reviens pour en vrai couillon

Qu’on me médaille aux p’tits oignons

 

Mon oignon

Il a du bon !

 

C’est vrai j’ peux pas dir’ le contraire

J’aurais pas dû ou j’aurais pu

Qu’est-c’ qu’on en sait quand on sait plus

Si c’était vrai ou bien la guerre

Au fond j’ reviens et j’ suis pas là

Pas avec tous ces fonctionnaires

Qu’ont la médaille militaire

Et qu’ont pas été d’ mauvais gars

 

Pour les gars

On verra ça !

 

Je suis témoin j’ai la têt’ dure

Un caillou à la plac’ du cœur

Et de l’esprit quand c’est pas l’heure

De donner l’assaut aux bonn’ sœurs

Compter sur moi pour fair’ la guerre

C’est assurément se gourer

Sur ce que la patrie sait faire

Avec des morts et des fumiers

 

Du fumier j’en ai aussi

Et du sang j’en fais pipi !

 

Un clairon sonne le repos. Le Vét est au garde-à-vous. Jeu de lumière sur Roger qui apparaît avec sa guitare.

 

Scène II

Le Vét et Roger

Vét — Ah ! Jeune homme, la guitare, c’est pas aussi bien que le clairon pour envoyer la jeunesse se faire marquer au fer rouge.

Roger — Je suis venu pour les femmes…

Vét — Pour toutes les femmes ou une en particulier ?

Roger — J’en aime plusieurs à la fois !

Vét — Un homme doit se respecter, mais une seule, ça donne plus d’idées.

Roger — Des idées sur quoi ?

Vét —

Sur ce qu’un homm’ peut devenir

S’il en a trop ou pas assez !

 

Roger — Et vous, vous n’en avez pas manqué…

Vét — Pour être sincère, monsieur, je n’ai pas su aimer.

Roger — Ça ne les a pas empêchés de vous accrocher une médaille sur la poitrine…

Vét — Oh ! Ce n’est pas la première fois… Je sers d’exemple… quand je suis à jeun… sinon j’ai faim et je ne trouve pas du travail parce que je n’en cherche pas.

Roger — Les voilà !

Entrent Marette, le Colonel et la Présidente visiblement éméchés.

 

Scène III

Les mêmes, Marette, le Colonel et la Présidente

Vét —

Secouant sa main :

Ils sont partis !

Marette — Recevoir une médaille est un plaisir que je place au-dessus de tous les plaisirs…

La Présidente — Même le… le…

Colonel — Je suis du même avis !

La Présidente — Bon, vous, je comprends… mais Loulou… ?

Marette — Mais il y en a un au-dessus !

La Présidente — Je me disais aussi…

Marette — C’est donner des médailles !

La Présidente — Donner des médailles, tout le monde peut le faire !

Colonel — Vous, ma chère, quand vous donnez, ça n’est jamais un cadeau…

Marette — … tandis que donner une médaille en est un.

La Présidente — Oui, mais tout le monde peut le faire !

Colonel — Vous en donnez des médailles ?

La Présidente — Jamais !

Marette — Hé ! Bé ! Té ! C’est un privilège. C’est pas donné à tout le monde. Et je sais y faire !

La Présidente — C’est pas compliqué…

Marette — Mais c’est difficile !

Colonel — N’exagérons rien…

La Présidente — Surtout que le médaillé que vous avez médaillé ce matin, c’est pas du jojo !

Le Vét fait un geste de menace retenu par Roger.

Marette — Hé ! Je l’ai pas choisi. Mais on m’a fait cet honneur. Et j’ai pas hésité. Vous avez vu comme je m’y suis bien pris. Pas un défaut.

Colonel — Vous aviez répété…

Marette — Tu parles si je répète ! C’est pas tous les jours, hé !

La Présidente — Mais ça n’est qu’un… qu’un…

Vét — SDF… Je crois que c’est le terme en usage dans vos palais.

Les trois reculent.

La Présidente — Je… je ne dis pas que vous ne la méritez pas…

Marette — Nous, on fait ce qu’on nous dit de faire…

Colonel — On nous dit de médailler et on médaille.

Vét — On peut vous demander n’importe quoi…

Marette — Té ! Si ça vient d’en haut…

La Présidente — Parce que si ça vient d’en bas…

Colonel — Moi, ça vient jamais !

Marette —

Encourageant :

Mais ça viendra.

Vét —

Dansant :

Ah ! Ça ira ! Ça ira ! Ça ira !

Marette — Enfin… Vous en êtes content de la médaille, hé ?

Aux autres :

C’est Dédé qui a insisté. Moi, j’y suis pour rien. D’ailleurs, on m’écoute jamais. Que si on m’écoutait, il y en aurait des médailles à Mazères ! Mais on me dit que c’est pas comme ça qu’on fait… Pourtant, je croyais…

Colonel — Par expérience…

Marette — Mais des fois, l’expérience, c’est pas ce qui les fait réfléchir.

Colonel — La preuve, on vous a médaillé.

Marette — Et je sais d’où ça vient.

Au Vét :

Et vous, vous savez d’où elle vous vient cette médaille ?

Vét — Je l’ai pas volée. Ça se saurait. J’ai un trou à la place du cul pour le prouver.

Colonel — Ah ! Moi je l’ai devant. Ça met moins le doute.

Marette — Le doute sur quoi ?

Colonel — Sur ce qu’on faisait quand c’est arrivé.

Marette — Et qu’est-ce que vous faisiez ?

Colonel — Je me lavais les dents… mais attention : en mission !

Marette — Oh ! Putain ! En mission !

Vét — C’est que, dans l’armée française, on a un choix de missions que les Américains ils en ont pas autant.

Marette — Et alors ça vous a fait un trou…

Colonel — Devant !

La Présidente — Mais devant quoi ?

Marette — Il veut dire : sur le devant…

Colonel — Un trou comme ça !

Vét — Ça ressemble plus à rien. Tandis que moi, ça ressemble à un trou de balle !

Il se met à rire avec Roger.

Et comment vous l’appelez votre trou ?

Roger — Un trou de vent !

Redoublement du rire. Les trois se renfrognent.

Vét — Ça vous inspire pas une chanson, monsieur le trou… badour !

Ils sortent tous les deux.

 

Scène IV

Marette, la Présidente et le Colonel

Marette — Des fois, je regrette pas, mais alors là !

Colonel — Vous regrettez…

Marette — A qui le dites-vous !

Colonel — Et surtout : comment je le dis…

La Présidente — Que ça compte…

Marette — Qu’est-ce qui compte ?

La Présidente — Comment on le dit… Il a dit…

Marette — Il a rien dit ! C’est moi qui l’ai dit.

La Présidente — Mais vous disiez…

Colonel — L’endroit n’est pas bien choisi, madame…

Marette — Surtout que votre fille…

Colonel — Celle qui a des gros genoux…

La Présidente — Ils sont pas si gros que ça !

Colonel — Je précise pour être bien compris.

Marette — Il grossit le trait. Et c’est pas interdit par la loi !

La Présidente — Oh ! À propos d’une jeune fille qui ne sait rien de ce qui arrive aux filles quand on leur demande de faire ce qu’elles ont à faire.

Colonel — Vous faites pas grand-chose pour l’en empêcher !

Marette — Même qu’on se prive pas !

Ils rient en s’embrassant.

La Présidente — Vous ne diriez pas ça si vous étiez une femme.

Marette — Mais j’en suis une !

Colonel — Ça se voit pas, mais Marette est une femme ! Il a pas la voix, mais en montant le son…

Marette —

Se reprenant :

Enfin…quand je dis une femme…

Colonel — C’est pas deux, c’est une !

Marette — Je veux dire qu’un homme politique se doit de respecter la parité. Par conséquent, sa moitié est une femme.

Colonel — Sinon c’est un pédé et on n’en veut pas !

Marette — Oh ! Vous et votre trou de devant !

La Présidente — On ferait bien de s’avaler un café bien serré. Ces médailles, moi, ça me saoule.

Ils rient. Elle est gagnée par ce rire d’ivrogne.

Ça vous saoule pas vous ?

Colonel — Même que mon trou, je le sens plus !

Marette — Moi le mien, je le sens. Mais alors il sent, hé !

Colonel —

Se bouchant le nez :

Oh ! L’odeur !

Marette — Je me fais jamais dessus au bon moment.

La Présidente — Vous auriez l’air fin si ça vous arrivait en médaillant ! Imaginez !

Elle mime.

Moi je pète.

Colonel — C’est plus difficile !

Marette — Et au moins ça s’entend ! Moi, je me chie dessus en toute discrétion…

Colonel — Mais ça sent…

Marette — Et bé c’est ça la discrétion. De l’odeur, mais en silence.

La Présidente —

Hilare :

Tandis que la Justice, ça fait les deux !

Colonel — Alors forcément c’est moins discret !

Marette — Surtout quand c’est complètement con !

La Présidente — J’ai pas pu me retenir !

Marette —

Sérieux, vengeur :

Non mais ! Me traiter de pétainiste. Moi. Un gaulliste que si j’avais connu de Gaulle, je lui aurais léché le cul…

Colonel — Avec ou sans odeur…

Marette — Et pas de bruit, hé… que je suis discret moi… quand je m’y mets…

Colonel — … à creuser…

Il fait des gestes pour s’expliquer :

Des idées… beaucoup d’idées… il en faut en politique…

Marette — Même si on les emprunte… Madame la Présidente, je vous remercie d’avoir remis à l’heure les pendules de ce monsieur de… la Rubanière…

La Présidente — Je ne badine pas avec la dignité humaine !

Colonel — Même si vous n’en avez pas…

La Présidente — Que si j’en avais, je saurais pas quoi en faire !

Ils rient en chœur.

Marette — Ah ! On est con quand on a ce qu’on veut !

La Présidente — Bien payés… en temps de guerre comme en temps de paix… jamais responsables de ce qu’on fait… une bonne retraite…

Marette — Des médailles…

Colonel — Que ça compte !

Marette — Et même que des fois, on obtient le privilège d’en donner !

Colonel — Que c’est pas donné à tout le monde !

Marette — D’ailleurs, c’est à moi qu’on l’a donné.

La Présidente — On aimerait bien savoir qui…

Les trois — … mais on le sait !

La Présidente — Et puis, je voudrais pas minimiser, mais ça dépend aussi à qui on la donne…

Colonel — Eh ouais… QUI et QUI… Tu additionnes et tu as le résultat…

La Présidente — Que c’est pas forcément jojo…

Marette — Vous êtes jalouse ! Vous en donnez jamais des médailles, vous.

La Présidente — Ah ! Pardon ! Moi-même, je l’ai reçue des mains de ma fille !

Colonel — Que c’est pas rien ! Avec ses gros genoux…

La Présidente — Ils sont pas si gros que ça ! Et vous savez qui a eu l’idée ?

Colonel — Qué idée ?

La Présidente — Hé bé ! Que ma fille me donne la médaille qu’on m’a donnée !

Colonel — C’est compliqué !

Expliquant :

Le trou que j’ai devant, ça me fait des interférences de la compréhension…

La Présidente — Donc, ma fille est montée aussi haut que vous…

Marette — Et elle est vite redescendue ! Moi, je suis resté en haut !

Colonel — Il a lu Jelinek…

Marette — Ça devient intello ! Je sais pas qui c’est, là, ce que vous dites… Que c’est peut-être une femme…

La Présidente — Et c’en est une !

Marette — Mais moi je lis pas les femmes.

Colonel — Les hommes non plus. Ce serait contre nature.

Marette — Et moi, la nature, je respecte hé ! Attentiou ! Je te la respecte comme si c’était moi.

Colonel — Mais comme c’est pas vous, vous lisez jamais. Ni hommes. Ni femmes…

Marette — Ah ! Bé ! Les femmes oui ! C’est dans la nature ! Et moi, la nature…

Colonel — Vous tirez dessus à coups de fusil que, si c’était pas le son, ce serait de l’amour !

Marette — C’est compliqué…

La Présidente — Si ça l’était pas, on serait pas là où on en est vous et moi…

Marette — Et on est où… ?

Colonel — On aimerait bien le savoir… parce qu’on s’est un peu perdu, non ?

La Présidente — Nous sommes des gens bien !

Marette — Ah ! Ça oui, hé ! On nous respecte pas…

Colonel — … mais alors pas du tout !

La Présidente — Surtout ce… de la Rubanière !

Marette — Mais on est des gens bien…

Colonel — Pas cons…

Marette — Pas autant qu’on voudrait, mais on sait ce qu’on fait et on le fait bien.

Colonel — J’ai un trou derrière aussi…

La Présidente — Comme tout le monde !

Colonel — Je disais ça parce qu’on parle toujours de celui que j’ai devant…

Marette — Que c’est un trou… agrandi…

Colonel — Et voilà ! Que le trou que j’ai derrière…

Marette — Vous aimeriez bien que quelqu’un l’agrandisse…

Colonel — … parce qu’à force de me sentir seul, voyez-vous, les médailles, ça me compense pas !

La Présidente — Ça me compense très bien à moi !

Marette — Je suis pas loin de penser comme le colonel…

Colonel — … à un trou près… que c’est peut-être pas le bon… dans celui que j’ai devant…

La Présidente — On a compris que vous manquez d’amour… C’est comme moi…

Colonel — Mais vous avez une fille capable d’accrocher une médaille sur votre poitrine… ! J’aimerais bien l’avoir moi aussi !

La Présidente — Mais vous en avez une !

Colonel — Mais elle accroche pas les médailles !

Marette — Et elle a pas de gros genoux !

Colonel — Que si elle en avait…

La Présidente —

Se bouchant les oreilles :

J’ai rien entendu !

Marette — Mais j’ai pas pété ! C’est pas moi qui pète quand ça sent mauvais.

Colonel — C’est Dédé…

La Présidente — Dédé y pète ?

Marette — Et y pète bien !

Colonel — Même qu’il se fait dessus !

Marette — À un moment donné, il y croyait tellement qu’il était ni de gauche ni de droite que l’idée lui est venue qu’il était du centre… là où on met le trou en général.

Colonel — C’est un penseur.

Marette — Avec des sous, je pense bien moi aussi…

Colonel — Enfin… avec des sous, on laisse les autres penser…

Marette — Et ça marche ! C’est Dédé qui m’a appris. Je sais y faire pour avancer.

Colonel — Heureusement que Dédé il est pas pédé…

La Présidente — Sinon il vous aurait fait reculer !

Elle rie comme une folle.

Ya personne ici pour nous faire du café ?

Marette — Ya Nanette, mais je sais pas si elle existe ou si je la vois parce qu’elle n’existe pas…

Main en porte-voix :

Nanette !

Nanette apparaît à la fenêtre.

 

Scène V

Les mêmes, Nanette

Nanette — Vous êtes bien partis !

Marette — Non, on est là.

Il secoue ses mains.

Vous nous voyez mieux maintenant ?

Nanette — Je vois que le devoir de mémoire, ça occupe…

Marette — Et encore, on se retient.

La Présidente — Surtout moi. J’ai tout de même des apparences à préserver de la critique.

Colonel — Elle en est consciente… tandis que moi, avec le trou que j’ai devant…

Marette — Vous pouvez pas freiner !

Colonel — C’est le radiateur qui a morflé…

Marette — Alors ça chauffe… mais tellement que le moteur cale !

Colonel — Cette jeune dame…

La Présidente — … qui n’a pas de gros genoux…

Marette —

Montrant une main à demi refermée :

… au contraire, ils tiennent bien là dedans…

Colonel — … n’apprécie peut-être pas notre esprit…

Nanette — … au point de me laisser convaincre. J’ai passé l’âge !

La Présidente — Vous savez faire le café ?

Nanette — Oui, et vous ? Il paraît qu’au palais, on n’en trouve pas beaucoup des gonzesses qui savent faire le café…

La Présidente — Oh ! Vous savez… ce qu’on dit… Une fois, j’ai oublié de mettre l’eau… on a attendu ! On a attendu !

Colonel — Elles ont attendu, mais pas sans réfléchir…

La Présidente — Vous étiez là ?

À Nanette :

Un petit café bien serré entre femmes…

Colonel — Elle aussi elle aime la nature…

La Présidente — Qu’est-ce que vous en savez ?

Nanette — Montez !

La Présidente sort.

 

Scène VI

Marette et le Colonel

Marette — J’aime pas trop, moi, que les femmes se fassent des réunions entre elles…

Colonel — Vous voulez dire : sans nous… ?

Marette — Non… J’ai pas voulu le dire ! Ça m’a échappé. Des fois, je dis tout haut ce que je pense.

Colonel — Moi aussi, mais quand je le dis, ya personne pour entendre.

Marette — Tandis que moi, je me méfie pas assez des micros !

Colonel — Des micros ? Vous voulez dire…

Marette — Non… ! Je le dis pas. Ça m’échappe. Vous avez pas des choses qui s’échappent de votre trou, celui que vous avez devant ?

Colonel — J’en parle pas, mais ça m’échappe…

Marette — C’est la contre-attaque…

Colonel — Eh non ! Jamais par devant ! Sinon on a pas de médailles !

Marette — Et on veut en avoir ! Je comprends. Non… je parlais…

Il baisse la voix :

… je parlais des micros… Vous avez pas vu leurs affiches… avec ce… de la Rubanière en photo… et leur slogan… « Une caméra, dix micros »… Ça fait soixante micros à l’heure actuelle… et impossible de les trouver…

Colonel — Parce qu’il n’y en a pas ! Quand on ne trouve pas quelque chose, c’est que ça n’existe pas.

Marette — Mais je reçois les enregistrements par lettres anonymes !

Colonel — Des faux !

Marette — Et bé non ! C’est du vrai !

Colonel — Pas du toc ?

Marette — Je peux pas faire écouter ça à la population !

Colonel — C’est pas poli… ?

Marette — Je suis pas parfait à ce point ! J’ai creusé partout, même dans le jardin…

Colonel — Ils ont des drones !

Il réfléchit.

Alors ils sont pas seuls…

Marette — C’est ce que je me dis…

Colonel — C’est que ça coûte du pognon, un drone !

Marette — Je peux pas soupçonner Dédé ! Il a du pognon, mais il sait ce qu’il en fait !

Colonel — Il le sait même très bien…

Un moment.

Vous vous méfiez pas assez, té !

Marette — Vous pensez que Dédé… non ! Impossible !

Colonel — Il a pas des mœurs contre-nature…

Marette — Je confirme…

Colonel — Vous avez essayé ?

Marette — Essayer quoi ?

Colonel — Et bé… de vérifier…

Marette — De vérifier quoi ?

Colonel — S’il a des mœurs…

Marette — Qui donc ?

Colonel — Et bé Dédé !

Marette — Dédé il a des mœurs ?

Colonel — Comme tout le monde…

Marette — Et bé qué ?

Colonel — Faites-lui une proposition…

Marette — Comme qué ?

Colonel — Du genre…

Marette —

Comprenant :

Du genre… comme ça ?

Colonel — Ça vous en dira plus.

Marette — Ça me dira quoi ?

Colonel — S’il est… ou pas…

Marette — J’aimerais le savoir…

Réfléchissant :

C’est vrai qu’il y a que le pognon qui les attire… il est petit et moche… Et quand il sent, il sent hé !

Colonel — Ça ne coûte rien d’essayer… Si c’est positif, vous reculez…

Marette — Je connais la chanson !

Colonel — C’est pas très risqué…

Marette — Au dernier moment, je dis que c’est une blague…

Il réfléchit :

Mais comme c’en est pas une…

Colonel — Moi, si j’étais à votre place, je n’hésiterai pas…

Marette — Et pourquoi pas vous ? Il vous connaît pas plus que ça… Ça le surprendrait pas. Tandis que moi… « Marette ? Tu es pédé ? Je m’en doutais un peu, mais je pensais pas que tu m’aimais à ce point ! » Oh ! Putain ! Je pourrais jamais ! Faites-le, vous !

Colonel — Avec le trou que j’ai devant !

Marette — Mais c’est celui de derrière qui sert !

Colonel — Mais je tiens pas à reculer ! Je recule des fois, mais jamais en arrière !

Marette — Si c’est lui qui achète des drones pour que mes adversaires s’en servent pour écouter ce qui se passe dans les micros…

Colonel — Vous pouvez répéter…

Marette — Si c’est lui…

On entend un écho.

Colonel — Vous entendez ?

Marette — J’entends. Je suis pas sourd.

Colonel — On passe à la télé…

Marette — Je passe jamais à la télé ou alors pour illustrer des propos que je tiens pas.

Colonel — À mon avis, on vous a mis un micro…

Marette — Et où ? Je sens rien. Ça fait mal, les micros, quand on vous les mets dans le cul sans vous demander ce que vous en pensez !

Colonel — On ferait bien de se taire…

Marette — À moi personne me fait taire ! C’est pas avec le cul que je m’exprime. J’ai une putain de dignité humaine que ça m’a coûté cher, et en nature ! pour que la justice s’en serve à mon avantage !

Il se dresse :

J’y suis, j’y reste !

Colonel — Et bé restez-y, parce que moi, j’y suis jamais été !

Il sort. On entend les haut-parleurs de la ville. Des accords de guitare. Roger entre en jouant. Le Vét le suit.

 

Scène VII

Marette, le Vét et Roger

Roger —

Ils étaient trois dans la chambrée

Un vieux colonel en retraite

Un cheminot aux oubliettes

Et un’ poufiasse à l’enjambée

Le colonel avait trop bu

Et souffrait du mal des ardents

Les mélanges c’est bien connu

Ça fait des fois très mal aux dents

 

Roger et le Vét —

Ya pas à dir’

Ça fait plaisir

De ramoner

La cheminée

De la nation

Avec passion

Mêm’ si des fois

C’est pas la loi

 

Roger —

Le cheminot avait beaucoup

Mouchardé au fil des manœuvres

Et arrosé toute son œuvre

Comme un salaud qu’a le truc mou

La poufiasse avait elle aussi

Une médaill’ façon rectal

Dans sa rosette on n’ voyait pas

C’ qui la distinguait du fécal

 

Roger et le Vét —

Ya pas à dir’

Ça fait plaisir

De ramoner

La cheminée

De la nation

Avec passion

Mêm’ si des fois

C’est pas la loi

 

Roger —

Torchés par l’État chaque fois

Que leur cucul faisait des siennes

Ces trois p’tits cochons à la peine

Vendaient leur merde à l’Ariégeois

À la veillée en cas d’injure

On les voyait se lécher l’ cul

Devant un public pas très sûr

D’avoir compris leurs attendus

 

Roger et le Vét —

Ya pas à dir’

Ça fait plaisir

De ramoner

La cheminée

De la nation

Avec passion

Mêm’ si des fois

C’est pas la loi

 

Roger —

Le cheminot avait beaucoup

Servi de tapis à ses huiles

Dans son slip ça faisait des trous

C’est bon pour le métier d’édile

Au conseil il votait larbin

Et chaque fois qu’il s’asseyait

Dans la caboch’ ça lui rentrait

Par l’orific’ du bas des reins

 

Roger et le Vét —

Ya pas à dir’

Ça fait plaisir

De ramoner

La cheminée

De la nation

Avec passion

Mêm’ si des fois

C’est pas la loi

 

Roger —

Le colonel n’avait plus d’ femme

De preuv’ d’amour il était pur

Du coup sans queue leu leu dans l’âme

Il s’ piquait à l’alcoolature

Ça lui donnait un air pas vrai

Pas faux non plus car c’était faux

Les faux-culs c’est des vrais défauts

De la cuirasse en cas d’apnée

 

Roger et le Vét —

Ya pas à dir’

Ça fait plaisir

De ramoner

La cheminée

De la nation

Avec passion

Mêm’ si des fois

C’est pas la loi

 

Roger —

La poufiasse en savait des choses

Ell’ qui servait les yeux fermés

Dans son métier ya pas de causes

Ya pas d’ patrie ya qu’ des effets

Elle avait le faux cul aussi

Mais un cul laid comme un faux vrai

Dans la fonction ça peut aussi

Servir dans l’ombre en cas d’apnée

 

Roger et le Vét —

Ya pas à dir’

Ça fait plaisir

De ramoner

La cheminée

De la nation

Avec passion

Mêm’ si des fois

C’est pas la loi

 

Roger —

Faut dir’ que les chefs manquent d’air

Plus ça grimpe et moins c’est monté

Les poufiass’ qu’ont pas froid aux nerfs

C’est moch’ mais ça fait respirer

On en était là quand pourquoi

Allez savoir pourquoi pas quand

Dans les journaux que c’est pas moi

On s’ met à parler d’ ces pédants

 

Roger et le Vét —

Ya pas à dir’

Ça fait plaisir

De ramoner

La cheminée

De la nation

Avec passion

Mêm’ si des fois

C’est pas la loi

 

Roger —

Pédants salauds je sais pas moi

Que j’ suis pas philosophe autant

Que j’en ai l’air si quand parfois

Je m’ laisse aller selon le cas

Paraît qu’ ces vendus au rabais

Médaill’ dans l’ cul jusqu’à brailler

Paraît qu’ils se sont associés

Pour nuire à notre liberté

 

Roger et le Vét —

Ya pas à dir’

Ça fait plaisir

De ramoner

La cheminée

De la nation

Avec passion

Mêm’ si des fois

C’est pas la loi

 

Roger —

Comme en 40 au Grand Palais

Ces fonctionnair’ étatisés

Sur les princip’ ont leur idée

Qu’ c’est rapport à la dignité

Et que j’y vais pas sans maman

Cett’ dignité elle est humaine

Que l’autre c’est mêm’ pas la même

Et que la Presse c’est du flan

 

Roger et le Vét —

Ya pas à dir’

Ça fait plaisir

De ramoner

La cheminée

De la nation

Avec passion

Mêm’ si des fois

C’est pas la loi

 

Roger —

Ah ! Merd’ mais c’est quoi ce pays

Où c’est des larbins en ribote

Qui font les lois mais sans les potes

Pour aligner des interdits

Moi j’ croyais que la société

Demandait conseil avant de

Nous mettre aux culs sa grosse queue

Pour qu’on viv’ jusqu’à cent balais

 

Roger et le Vét —

Ya pas à dir’

Ça fait plaisir

De ramoner

La cheminée

De la nation

Avec passion

Mêm’ si des fois

C’est pas la loi

 

Roger —

Des secrets j’en ai un paquet

Des amours des hain’ et du vent

J’en ai pour la confesse autant

Que c’est assez pour exister

Mais que les trois petits cochons

Poussés par les institutions

Viennent me donner des leçons

Ça m’excit’ pas le goupillon

 

Roger et le Vét —

Ya pas à dir’

Ça fait plaisir

De ramoner

La cheminée

De la nation

Avec passion

Mêm’ si des fois

C’est pas la loi

 

Roger —

Le colonel qui fait un’ tache

Sur le devant de not’ drapeau

Ça me donn’ des idées de peau

À tanner à coups de cravache

Le cheminot qui fait pan pan

Sur les cuculs de la jeunesse

Ah quel exemple en cas d’ivresse

Et surtout en cas d’accident

 

Roger et le Vét —

Ya pas à dir’

Ça fait plaisir

De ramoner

La cheminée

De la nation

Avec passion

Mêm’ si des fois

C’est pas la loi

 

Roger —

Quant à la poufiasse au balai

Qui ramone ses congénères

Au troufignon faut la refaire

Et sur le prix pas lésiner

J’ suis pas le loup j’ai un vrai souffle

Les trucs en dur ça m’ fait pas peur

En plus j’ai l’ respect à l’honneur

Et pas l’honneur dans les pantoufles

 

Roger et le Vét —

Ya pas à dir’

Ça fait plaisir

De ramoner

La cheminée

De la nation

Avec passion

Mêm’ si des fois

C’est pas la loi

 

Roger —

Tous ces minus et ces couleurs

Ça sert à rien qu’à fair’ des nœuds

Pendant que nous on est à l’heure

Aux rendez-vous du monde en mieux

Tuons sans joie ces domestiques

Autant qu’on peut pas les tuer

Avec les fers de la critique

Et le bonheur de dire vrai

 

Marette s’est jeté à terre, mains sur la tête, pendant la chanson. Roger et le Vét sortent en dansant.

Marette — Hé ! Qu’ils en sont capables, ces anarchistes !

Entre Trigano.

 

Scène VIII

Marette et Trigano

Trigano — On fait des chansons à Mazères ! C’est bien, ça !

Marette — Des chansons ? Ces ramassis d’insultes et de menaces ?

Trigano — Oh ! On s’en fiche ce que ça dit. Ce qui compte, c’est la musique.

Marette — Et vous en faites quoi des paroles ? La musique, moi, quand c’est pas de la bonne, avec bien de la mesure, ça me casse les oreilles, mais je dis rien, parce que je suis philosophe. Mais quand les paroles m’atteignent en plein cœur, je me rebelle ! Mais je me rebelle tellement que je suis capable d’en perdre l’honneur !

Trigano — On aime bien chanter en France. Et puis, tout ça ne veut rien dire puisque ça ne change rien.

Marette — Ça me change, moi ! Que ça fait marrer même mes petits enfants !

Trigano — C’est bien de les amuser un peu. Vous êtes trop sérieux. Trop… éducatif.

Marette — Mais c’est pas les vacances ! Et puis… avec ce qui s’est passé…

Trigano — Eh oui ! Notre François Hollande et ce cher Nicolas qui choisissent de disparaître à Mazères…

Marette — Et pas ailleurs. Ça nous rapporte rien ! Pas un touriste de plus ! Et même moins si on enlève les SDF.

Trigano —

Montre dans le ciel :

Oh ! Vous avez vu la cigogne ?

Marette — Des cigognes, j’en vois tous les jours au Domaine. D’ailleurs, on n’y voit que ça.

Trigano — Vous avez aussi des canards et des oies… Elle est différente, celle-là…

Marette — Elles sont toutes pareilles ! Quand elles vous chient sur la gueule, vous faites pas la différence.

Il rit.

Je suis tellement défrisé, avec toutes ces conneries qu’on raconte sur moi, que ça me rend fragile. Et quand je suis fragile, je me marre. En Algérie, que j’y étais quand j’étais petit, je me suis beaucoup marré. On me rétorquera que d’autres ne sont pas revenus et que même il en est revenu de pas sur leurs deux pieds, même mentalement. Qué ? Moi au moins, je témoigne. Je dis pas tout, mais je vais bien.

 

Je dis pas tout, mais je vais bien

J’ai fait la guerre et ça se sait

Maintenant que j’ai les moyens

Sur la jeuness’ j’ai de l’effet

Enfin j’imagin’ qu’avec l’âge

J’ai l’air moins con en second rôle

Qu’au premier plan quand j’avais l’âge

De mettr’ mon fusil à l’épaule

 

Je dis pas tout

Mais je vais bien

Même à genou

Je suis freudien

J’ai l’inconscient

Pas très conscient

Mais pour servir

J’ m’appelle Désir

Ne soyez pas

Comm’ mon papa !

 

Les jeun’ ça fait r’monter l’ moral

Pas autant qu’un coup dans les ailes

Mais un’ fois dans l’immatériel

J’ai l’inspiration coloniale

Ces p’tits cerveaux en formation

Avec leurs questions de principe

Me donn’ des idées de mission

Et je me vois en chef d’équipe

 

Je dis pas tout

Mais je vais bien

Même à genou

Je suis freudien

J’ai l’inconscient

Pas très conscient

Mais pour servir

J’ m’appelle Désir

Ne soyez pas      

Comm’ mon papa !

 

S’il faut suivre le bon exemple

Distribuer quelques taloches

Et chasser les mauvais du temple

J’ai pas la langue dans la poche

Même Adolf est un bon copain

Que si je passe j’ai la main

La dignité c’est pas humain

Mais pour la form’ ma foi j’y tiens

 

Je dis pas tout

Mais je vais bien

Même à genou      

Je suis freudien

J’ai l’inconscient

Pas très conscient

Mais pour servir

J’ m’appelle Désir

Ne soyez pas

Comm’ mon papa !

 

Que voulez-vous avec l’honneur

Les rendez-vous de la Justice

N’ont pas toujours la bonne odeur

Pour le nez j’ connais les coulisses

Faut avoir vécu en larbin

Pour apprécier les p’tits services

Entre larbins on est d’office

Enclins à jouer les Caïn

 

Je dis pas tout

Mais je vais bien

Même à genou

Je suis freudien

J’ai l’inconscient      

Pas très conscient

Mais pour servir

J’ m’appelle Désir

Ne soyez pas

Comm’ mon papa !

 

Ya pas d’ mal à fair’ le tapis

Quand on est fait de bonne laine

Avec les jeunes je m’entraîne

Et j’ai des goûts pour le pipi

Les chats c’est bien mais les minots

C’est des chatons mais sans les griffes

J’aime bien faire l’escogriffe

Malgré ma taill’ de cheminot

 

Je dis pas tout

Mais je vais bien

Même à genou

Je suis freudien

J’ai l’inconscient

Pas très conscient

Mais pour servir

J’ m’appelle Désir      

Ne soyez pas

Comm’ mon papa !

 

J’ai pas la queue en tir’-bouchon

J’ai pas un bouchon dans le cul

Je sers à tout à la maison

Même à manger l’ fruit défendu

Si jamais on a besoin d’ moi

Et que j’en ai besoin aussi

Je suis votre homme en tout’ bonn’ foi

Et pourquoi pas la femme aussi !

 

Ne soyez pas

Comm’ mon papa

Me faites pas

Me fait’ pas ça

Je n’en ai pas

Comm’ mon papa

Mon papa pas

Papa en ça

Ça que c’est pas

Bon pour le plat      

Et l’ raplapla !

Trigano — Elle n’est pas d’ici cette cigogne…

Marette — C’est une touriste, mais on peut lui expliquer !

Trigano — Elle n’a pas une bonne tête…

Marette — Putain ! Vous voyez ça d’ici, vous !

En aparté.

Il me prend pour un con ! Sa cigogne, c’est un drone. Il veut me faire passer des vessies pour des lanternes. Allez, té ! Je tente le coup…

Minaudant :

Je sais pas ce que j’ai, mais en ce moment, je supporte pas les femmes…

Trigano — Elles sont très supportables si on sait y faire.

Marette — Et vous faites comment ?

Trigano — Vous savez bien…

Marette — Mais moi j’ai pas autant de pognon que vous et surtout…

Clin d’œil au public.

… je suis pas aussi… bien fait.

Trigano — J’ai des qualités physiques que je ne montre pas à tout le monde. Mais… je n’ai pas que des qualités, je le reconnais.

Marette — Je sais pas de quels défauts vous voulez parler.

Il se colle à Trigano.

J’en vois pas. Je les sens même pas.

Trigano se pousse un peu, mais la cigogne semble occuper toute son attention pour l’instant.

Trigano — Si, si. J’en ai.

Marette — Vous êtes discret sur ce sujet…

Trigano — Ça dépend avec qui… Cette cigogne n’est pas comme les autres…

Marette — Elle a des ailes au moins ?

Trigano — J’en ai moi aussi, mais je ne m’en sers pas. Vous avez des jumelles ?

Marette — Deux, mais je suppose que tout le monde en a.

Trigano — Vous ne les avez pas sous la main ?

Marette — Ça peut se faire, mais c’est pas facile comme ça… On se connaît depuis si longtemps…

Trigano — Ne vous faites pas prier… Ça sent le café…

Marette — C’est la cigogne. Les Américains, ils en ont qui font du café. Quelle technologie !

En aparté.

Il me prend vraiment pour un con. Que mon système de vidéosurveillance a l’air d’un jeu d’enfant à côté de ce déploiement de technologie.

Trigano — Elle tourne au-dessus de nous comme si elle nous observait…

Marette — Si elle nous observe pas, qu’est-ce qu’elle fait ?

Trigano — Qu’est-ce qu’elle peut faire à votre avis, vous qui connaissez tout des oiseaux ?

Marette — Je croyais tout connaître ! Même que j’en ai tiré des rares. Mais avec celui-là, je vais avoir du mal…

Trigano — Cher ami, vous vous trompez de slip… celui-ci est le mien. Et ce que vous tenez dans votre main n’est pas un oiseau.

Marette — Pourtant, je le sens bien bouger…

Trigano — Il veut quitter la cage, mais on lui a coupé les ailes depuis longtemps… je ne dis pas que c’est désagréable…

Marette — C’est pas une cigogne ?

Trigano — Je l’ai longtemps cru, mais aujourd’hui, je me contenterai d’un moineau. Même un colibri ferait l’affaire…

Marette — Avec la miniaturisation galopante qui affecte les sociétés avancées comme la nôtre, je serais pas étonné que ce soit une vraie cigogne et que c’est plutôt du côté des moineaux qu’il faut chercher.

Trigano — Ce sont surtout les changements de mentalités qui affectent nos comportements. Je m’en aperçois maintenant… On s’aime depuis toujours et on ne le savait pas ! Ah !

Marette — Mais si, on le savait ! Mais on n’osait pas.

Trigano — La religion, la hiérarchie, l’héritage… tout ce qui nous a fait chier. Tellement qu’on se voilait la face. Ah !

Marette — N’importe quoi pour me faire avaler des couleuvres…

Trigano — Vous pouvez l’avaler si vous voulez… mais je ne sais pas si je me donnerai corps et âme… sans aucune restriction… vous comprenez ? Ah !

Marette — Je comprends à demi mots.

Trigano — À mon âge, on est une moitié d’homme… Ah !

Marette — Oui, mais quelle moitié ? C’est la question que je me pose chaque fois que je vois une cigogne.

Trigano — Je suis moins optimiste ! Ah ! Ah ! Ah !

Il jouit. Marette retire sa main.

Marette — Si c’est pas un aveu, ça !

Trigano — Je n’en peux plus. Jamais une femme ne m’a tiré les vers du nez à ce point ! Ah !

Marette — Quand j’y vais, j’y vais ! Je fais pas semblant. Mais le jeu en vaut la chandelle.

Trigano — En toute discrétion… n’est-ce pas ?

Marette — Alors c’est bien un drone ?

Trigano — Si vous voulez appeler ça comme ça… Ça manque un peu de poésie.

Marette — La poésie maintenant ! Je suis prêt à n’importe quoi pour avancer, mais pas la poésie !

Trigano — Pourquoi pas la poésie ? Monsieur de la Rubanière…

Marette — Vous le fréquentez aussi ?

Trigano — C’est lui qui me fréquente.

Marette — Et vous faites de… drones de choses avec lui ?

Trigano — Ça ne vous regarde pas. Mais la poésie…

Marette — Non ! Pas la poésie ! Ou alors du boudin… avec un peu de marseillaise… et Sambre et Meuse pour finir…

Trigano — Vous avez du goût pour la chose militaire…

Marette — Hé ! Té ! J’aurais fait comment avec votre cigogne ? J’ai l’œil. Et le bon. Un petit café ?

Trigano — Ma foi… après l’effort… En toute discrétion ?

Marette — Je tire jamais les vers du nez autrement. Et sans distinction de sexe.

Trigano — Quel homme ! Ah !

Ils entrent dans la mairie. La cigogne se pose. Jeu de lumière sur Roger qui apparaît.

 

Scène IX

Roger et la cigogne

Cigogne — Salut, Méphisto ! Tu en as mis, du temps !

Roger — Tu n’as pas l’air d’une cigogne.

Cigogne — Mais je suis une cigogne ! Je viens de Molsheim. Et j’y retourne dès que le travail est fait.

Un éclair illumine la scène. Marette sort, un verre à la main.

 

Scène X

Les mêmes, Marette

Marette — Si c’est une cigogne, ça, je suis un socialiste !

Il épaule son verre.

Roger — Vous n’allez pas lui tirer dessus !

Marette — Je vais me gêner ! Je vous ai vu lui parler ! Dans mon pays, on parle pas aux cigognes.

Entre Trigano.

 

Scène XI

Les mêmes, Trigano

Trigano — Vous leur parlez très bien au contraire. J’en suis témoin. Si ce charmant monsieur… que je ne connais pas… recherche un témoignage, je suis à sa disposition…

Marette — Une cigogne, ça ! Pan ! Pan ! Pan ! Je crains pas les cigognes américaines !

Roger — Elle n’est pas américaine ! Elle vient de Molsheim !

Trigano — Quelle érudition ! On dit… mais bien sûr je me fonde sur ce qu’on dit… que les relations homosexuelles ne durent pas… Ce monsieur…

Roger — Russel… Roger Russel… Nous avons été présentés chez monsieur de la Rubanière…

Trigano — Certes, mais à ce moment-là, je n’avais pas encore sondé mes abîmes… Ainsi, elle vient de Molsheim. Comme ce monsieur…

Cigogne — Faust… Georgius Sabellicus Faustus Junior.

Marette — Elle parle ! Je vous dis que c’est un drone ! Nous sommes espionnés. C’est la guerre ! Vous l’aurez voulu ! Pas de quartier !

Trigano — Je vous ai tourné la tête… Vous n’auriez pas dû boire ce tord-boyau. Pas d’alcool après l’amour. Un petit jus de fruit et hop ! ça repart !

Marette — Bien sûr que vous l’entendez pas ! Vous savez ce qu’elle a dit avant même qu’elle l’ait dit ! Je suis rien face à cette technologie ! Mais je saurais me battre… en retraite…

Il recule.

Elle a vraiment l’air d’une cigogne. On s’y tromperait…

Trigano — La prochaine fois, je ferai l’ours. C’est beaucoup plus gros, mais avec les poils, on se rend pas compte…

Roger — Je ne comprends pas…

Trigano —

Geste de dépit :

Ne comprenez pas si vous voulez comprendre…

Marette — Pan ! Pan ! Pan ! Elle ne sent rien ! C’est pas une cigogne, je vous dis !

Trigano — Et vous le dites bien.

À Roger :

C’est une cigogne, mais pas comme les autres. En un sens, il a raison… Vous savez, vous ? Elle a l’air de vous… apprécier.

Roger — C’est la guitare. Les cigognes aiment la guitare. Surtout celles qui viennent de Molsheim.

Cigogne — C’est ça… Roger… Joue-moi quelque chose… Chante…

Elle volète au ras du sol.

Chantez, tout le monde !

Marette — C’est pas une cigogne ! J’ai un micro dans le cul ! On m’espionne ! Je suis trahi ! Moi qui n’ai jamais trompé personne !

Trigano — Les changements, ça le perturbe. J’ai eu la même chose quand je suis passé de la Résistance à la Libération. Un choc ! Vous ne pouvez pas vous imaginer ! Tellement que j’ai eu une médaille ! C’est dire !

Tout le monde sort de la mairie. Roger joue quelques accords. Puis :

(pas de rideau)

 

 

ACTE XIII

Tout le monde s’assoit sur les cartons Ikéa pour écouter Roger. La cigogne distribue des exemplaires de Faust. Nanette s’est avancée. Elle dansera.

 

Scène première

Tous

Roger —

Les soirs d’été elle est derrière

Les volets bleus de la maison

Où l’enfance en toute saison

Revient briser contre les pierres

Des cœurs vieillis trop tôt donnés

Repris à la fin aux orages

Le vent qui vient des Pyrénées

N’a plus l’odeur de ses voyages

 

Nanette dansait

Avec ses amants

Et la nuit tombait

Maintenant

L’orage venait

De briser les cœurs

Elle se donnait

Au malheur

 

Les soirs d’été on la voit naître

Entre les volets bleus de nuit

Le temps abandonne à l’ennui

Ses instants de folie peut-être

Je ne sais plus si j’attendais

Si je n’étais que de passage

Ce vent qui vient des Pyrénées

Avait l’odeur de ses voyages

 

Nanette dansait

Avec ses amants

Et la nuit tombait

Maintenant

L’orage venait

De briser les cœurs

Elle se donnait

Au malheur

 

Les soirs d’été j’étais pressé

Comme le vent à sa fenêtre

Et j’attendais pourtant l’été

Après la nuit de la voir naître

La voir revenir des orages

Pour encore la pardonner

Le vent venait des Pyrénées

Avec l’odeur de ses voyages

 

Nanette dansait

Avec ses amants

Et la nuit tombait

Maintenant

L’orage venait

De briser les cœurs

Elle se donnait

Au malheur

 

Les soirs d’été avant l’été

Elle refermait lentement

Les volets bleus comme l’été

Bleus comme les chemins de vent

Et l’horizon sous les feuillages

Ne fuyait plus vers l’infini

Le vent qui revient cette nuit

N’a plus l’odeur de ses voyages

 

Nanette dansait

Avec ses amants

Et la nuit tombait

Maintenant

L’orage venait

De briser les cœurs

Elle se donnait

Au malheur

 

Avant l’automne un soir d’été

Je dus attendre que la nuit

Disperse ses catimini

Dans les draps noirs de mes pensées

Le vent qui vient des Pyrénées

Encore aujourd’hui sans l’orage

N’a plus l’odeur de ses voyages

Et je me sens abandonné

 

Nanette dansait

Avec ses amants

Et la nuit tombait

Maintenant

L’orage venait

De briser les cœurs

Elle se donnait

Au malheur

 

Les soirs d’été l’hiver venait

Annoncer que la fin était

Si proche et si claire à redire

Sans jamais tuer le désir

Et les mots n’avaient plus de sens

L’amour au fond était mort-né

Le vent qui vient des Pyrénées

N’a plus l’odeur de ses absences

 

Tout le monde sort en suivant Nanette qui danse et Roger qui joue de la guitare. Entrent deux gendarmes.

 

Scène II

2 gendarmes

Gendarme I —

Chantant :

À poil les nœuds ! À poil les nœuds ! À poil !

Gendarme II — Chef ! Ça ne veut plus rien dire…

Gendarme I — Hé ! Ça veut dire ce que ça veut dire !

Il rit.

À poil les nœuds ! À poil les nœuds ! À poil !

Gendarme II — Sans le début, Chef, on peut pas comprendre. Et si on comprend pas, on rit pas.

Gendarme I — Moi ça me fait marrer !

Gendarme II — Mais vous zêtes pas tout seul, Chef !

Gendarme I — La poésie, ça se fait tout seul. Mais vous pouvez chanter avec moi si vous voulez… À poil les nœuds ! À poil les nœuds ! À poil !

Gendarme II — Sans les moutons, c’est pas marrant.

Gendarme I — Que nous on est pas des moutons ! On suit, mais les moutons, ils sont devant et on les pousse.

Gendarme II — Je sais pas si vous m’autoriseriez à vous expliquer…

Gendarme I — Ah ! Putain non hé ! M’expliquez rien ! On m’explique tout le temps. À force, j’y perds mon latin.

Gendarme II — Vous parlez latin, Chef !

Gendarme I — Mieux que le patois.

Gendarme II — C’est rare…

Gendarme I — Quéciérare ?

Gendarme II — Un gendarme qui parle latin.

Gendarme I — Oui mais… mieux que le patois.

Gendarme II — Hé même !

Gendarme I — Et on pousse.

Gendarme II — On pousse pas, on se cultive.

Gendarme I — À force qu’ils laissent traîner des livres…

Il ramasse la notice de montage de la statue.

Gendarme II — C’est pas des livres, Chef. C’est une statue.

Gendarme I — Et ça c’est quoi ! Un rouleau ?

Gendarme II — Ça fait longtemps qu’on écrit plus sur des rouleaux. Les Égyptiens…

Gendarme I — Les Arabes maintenant ! Ils se le torchent même pas tellement ils sont en retard !

Gendarme II — Ce que vous tenez dans la main…

Gendarme I — Putain ! Je me rendais pas compte !

Gendarme II — Non… pas celle-là… l’autre…

Gendarme I — Ah ! Le livre…

Gendarme II — C’est écrit Ikéa dessus…

Gendarme I — On dirait de l’arabe…

Gendarme II — C’est pas du latin non plus…

Gendarme I — Je le vois bien !

Gendarme II — Mais ça y ressemble…

Gendarme I — Et c’est pas du patois…. Quécecé ?

Gendarme II — C’est du français, Chef.

Gendarme I — Ça tombe bien, je parle le latin… Il paraît que quand on parle le latin, on s’y retrouve en français…

Gendarme II — C’est ce qu’on dit, Chef…

Gendarme I — Et on le pense ! Que même je pourrais lire de l’espagnol…

Gendarme II — Comme une vache !

Il rit.

Gendarme I — Et l’italien, le portugais, le roumain…

Gendarme II — Vous êtes polyglotte…

Gendarme I — Poli, il le faut bien… Mais je vois pas le rapport avec la glotte… Quécecé une glotte ?

Gendarme II — C’est en-dessous du vestibule et dedans il y a des cordes que quand on souffle dessus…

Gendarme I — Ça se gratte pas ?

Gendarme II — On conseille de pas les gratter…

Gendarme I — Moi, les cordes, ça m’incite à gratter.

Gendarme II — Oui, mais ça, c’est quand vous jouez. Quand vous parlez…

Gendarme I — Je parle le latin… ce qui m’ouvre des voies insondables dans le domaine linguistique…

Gendarme II — Putain, depuis qu’on pratique Wikipédia on te fait des conversations d’un niveau intellectuel parfaitement horizontal…

Gendarme I — Ah ouais ? Horizontal ?

Gendarme II — Que si ça penche, même un peu, c’est d’un côté ou de l’autre…

Gendarme I — Ce qui explique que je suis tout le temps fatigué !

Gendarme II — On est fatigué à cause de Wikipédia, peut-être ! mais on est moins con.

Gendarme I — La preuve, qu’on leur parle latin, langue universelle que j’ai appris…

Gendarme II — … apprise... ze ! ze !

Gendarme I — C’est la langue…

Gendarme II — C’est du français… ze ! ze !

Gendarme I — C’est ce qu’on appelle un défaut de langue.

Gendarme II — Voilà ! C’est comme le défaut de mouton.

Gendarme I — S’il en manque un, ça veut plus rien dire !

Gendarme II — Avec un seul, on peut très bien comprendre si on est pas trop bête…

Gendarme I — Ce qui est le cas des ouvriers et employés du bas de l’échelle… sociale ! Tandis que nous…

Gendarme II — On pousse ! Parce que le mouton est un animal à poil… ?

Gendarme I — De laine ! C’est un animal à poil de laine. Dans toutes les langues.

Gendarme II — Voilà. Et il y a tellement de langues que ça fait des nœuds…

Gendarme I — Et on va voir Wikipédia ! J’étais déjà intelligent avant… la preuve, j’ai choisi un bon métier…

Gendarme II — Oui… enfin… il faut peut-être faire la différence entre intelligent et… pas con…

Gendarme I — C’est sur Wikipédia qu’ils font ça ?

Entre Marette.

 

Scène III

Les mêmes, Marette

Marette — Ils le font aussi chez Ikéa, mais en plus compliqué…

Gendarme I — Con, je comprends… mais pliqué ?

Gendarme II — C’est comme glotte… le mieux est de s’en tenir au premier terme du syntagme.

Gendarme I — C’est pas plutôt lexème qu’il faut dire ? Vous parlez latin, monsieur le maire ?

Marette — En termes de chasse, oui. Sinon, je sers la messe…

Gendarme I — Comme tout le monde. Tandis que moi…

Marette — Vous parlez suédois ?

Gendarme I — C’est du latin ?

Marette — Pour moi, oui. Et pour vous ?

Gendarme I — On est fait du même tonneau vous et moi…

Gendarme II — Mais avant de le percer, je propose qu’on jette un œil sur cette notice de montage puisque nous sommes là pour ça…

Gendarme I — C’est une mission…

Marette — Ah ! Mais vous êtes le Chef ! Si je peux vous aider…

Gendarme I —

Examinant la notice :

C’est un latin que je comprends pas…

Gendarme I — Un extrait du Satiricon… Les trucs cochons, ils les mettent toujours dans une langue populaire… comme James Joyce dans Ulysse…

Marette — Putain ! On voit que vous venez de Wikipédia !

Gendarme I — Vous y allez pas, vous, monsieur le Maire, à Wikipédia… ?

Marette — J’arrive même pas à allumer l’ordinateur.

Gendarme II — Il faut appuyer sur le bouton. Le nôtre, quand on appuie sur le bouton, il va à Wikipédia…

Gendarme I — Et il y reste… Que c’est compliqué après pour aller ailleurs… Heureusement qu’on nous a affecté des gendarmettes…

Gendarme II — Ça les occupe…

Gendarme I — Et nous on en profite pour aller plus loin…

Gendarme II — Plus loin que Wikipédia…

Gendarme I — Il faut bien qu’elles servent à quelque chose !

Gendarme II — Sinon nous, on servirait plus à rien…

Gendarme I — C’est compliqué ce que vous venez de dire, Gendarme… Con, je comprends… mais pliqué…

Marette —

Se penchant sur la notice :

Vous en avez une disponible en ce moment ?

Gendarme I — Qué ?

Marette — Hé ! De gendarmette…

Gendarme I — On y a pensé…

Gendarme II — On a même pensé qu’à ça quand on nous a expliqué l’objectif de cette mission…

Gendarme I — C’est une mission à caractère féminin…

Gendarme II — Pas besoin de tirer…

Marette — Juste un coup…

Gendarme I — Oui, je sais… Mais vous faites des promesses et après vous les tenez pas.

Marette — Oh ! Je sais me tenir. Je regarde jamais ce qu’il y a dans un uniforme. Un homme, un noir, un Arabe…

Gendarme I — Une femme…

Gendarme II — Un enfant…

Gendarme I — C’est compliqué ce que vous venez de dire, Gendarme…

Gendarme II — C’est con, je sais ! J’ai pas pu me retenir. Vous avez beaucoup d’enfants, monsieur le Maire ?

Marette — Ça nous éloigne de l’objet de cette mission que notre garde municipal… dégradé par les socialistes au rang de garde champêtre… mais l’esprit y est… notre garde municipal…

Gendarme I — … ne parle pas latin ! Je sais ! Je le connais ! Il parle aucune langue !

Gendarme II — C’est pas possible ça, Chef !

Gendarme I — Il est con comme un balai…

Gendarme II — Peut-être, mais il parle au moins une langue.

Gendarme I — Et il fait comment pour être con ?

Gendarme II — Comme vous… Comme moi… Et même comme monsieur le Maire…

Marette — Je reconnais que des fois… je suis pas fier. Mais dans l’honneur !

Gendarme I — Et dans Wikipédia ! Que si on avait amené une gendarmette, elle serait en train de lire cette langue non latine…

Gendarme II — Elle aurait peut-être même trouvé la notice en français…

Gendarme I — … ou en latin…

Gendarme II — … dans le Wikipédia d’Ikéa !

Gendarme I — Et on serait pas là comme des cons à regarder les dessins en se demandant ce qu’ils expliquent !

Gendarme II — Pourtant, un dessin, ça en explique des choses !

Gendarme I — Mais ça parle moins au cerveau du mâle, lequel est mieux fait pour l’abstraction du langage écrit, autrement dit du latin dans mon cas.

Marette — Vous en avez pas une sous la main ? Je me retiendrai…

Gendarme I — Hé ! Chez vous, l’envie d’en avoir ça se contrôle pas de l’extérieur…

Gendarme II — En termes clairs, elles ont refusé de venir. Et je me suis proposé au cas où vous changeriez d’avis.

Gendarme I — Mon collègue subalterne fait ça très bien.

Marette — Mais j’en ai pas envie !

Gendarme I — Pourtant, on vous a vu avec monsieur Trigano… Et pas qu’un témoin !

Gendarme II — Ça y allait !

Marette — Une erreur de jeunesse…

Gendarme I — Ah bon ? On appelle ça comme ça maintenant ?

Marette — C’est dans Wikipédia…

Gendarme I — Bon… Puisque vous n’avez pas envie et qu’on a pas envie de vous donner envie…

Gendarme II — De toute façon elles veulent pas…

Marette — J’en ai encore dans le froc !

Gendarme I — Oui, mais elles servent plus à la même chose…

Gendarme II — Et ça sert à quoi, Chef, quand ça sert plus à la chose ?

Gendarme I — C’est dans Wikipédia. Je l’ai pas encore lu parce qu’il faut tomber dessus…

Gendarme II — Chaque fois qu’on allume l’ordinateur…

Gendarme I — … en appuyant sur le bouton…

Gendarme II — … on tombe sur des choses par hasard…

Gendarme I — C’est du randoming.

Gendarme II — Vous êtes sûr, Chef, qu’on appelle ça comme ça… ?

Gendarme I — Hé ! Té ! J’ai mis un article de ma plume. Randoming, par Choupète… c’est mon pseudo…

Gendarme II — Sucette que ça veut dire ! Hé ! Je comprends l’allusion métaphorique…

Gendarme I — Eh non ! C’est Chou… comme chou… et pète… le chou pète…

Gendarme II — Ce qui, en langage de réseau, veut dire que c’est le chou qui pète et non pas vous… Sinon on comprendrait pas… comme les nœuds sans les moutons…

Marette — C’est devenu vachement intello dans l’armée maintenant. Avant, on expliquait rien et on comprenait tout. Maintenant, on a beau t’expliquer, tu te sens étranger à ce monde et tu te demandes si tu vas pas le quitter.

Gendarme I — Mais maintenant, on a Wikipédia.

Gendarme II — Et Choupète qui pète pas. À poil les nœuds ! À poil les nœuds ! À poil !

Marette — Là je comprends ! C’est du français…

Gendarme I — Du français latin. Pas du français… comment vous dites… ?

Marette — Suédois.

Gendarme II — Avec des dessins tellement mal faits que sans les paroles, on comprend rien.

Gendarme I — Preuve que c’est pas une langue latine. Bref, nous avons la notice…

Marette — Et pas de gendarmette…

Gendarme I — Le dilemme…

Gendarme II — Deux propositions contradictoires, mais menant à la même conclusion : on l’a dans le chou.

Gendarme I — Et j’ai pas envie de péter.

Marette —

Se caressant :

Essayons tout de même de comprendre…

Gendarme I — Ouais, mais ce que vous faites là c’est pas essayer de comprendre…

Gendarme II — Vous pouvez faire deux choses à la fois, vous ? J’y arrive jamais. Et pourtant, on le fait à deux. Que ça devrait être moins compliqué que comme vous faites.

Marette — Je fais sans gendarmette ! À cause de qui !

Gendarme I — Elles veulent pas le faire avec vous… Et comme elles ont l’âge d’être mes filles… J’y tiens pas, moi, à me réveiller la nuit parce que vous me donnez des cauchemars !

Gendarme II — Surtout que vous l’avez pas grosse…

Marette — Je l’ai en double, alors… !

Gendarme I — On doit pas parler de la même chose…

Marette — On aura pas la notice en français avant une semaine.

Gendarme II — Une semaine à fantasmer sur des dessins qui expliquent comment on monte le Christ sans se faire enculer par l’Église !

Gendarme I — Putain, Gendarme ! Vous allez loin là ! Je sais pas si je pourrais.

À Marette :

Il est stressé.

Gendarme II — Chaque fois que j’allume l’ordinateur, je tombe sur Wikipédia et je m’en sors pas !

Gendarme I — Alors il travaille à l’ancienne… Avec un crayon et une gomme…

Marette — Moi aussi je travaille avec un crayon, mais sans la gomme. J’aime bien me souvenir.

Gendarme I — C’est pas pour rien qu’on vous appelle le gardien de la mémoire. Vous y allez du crayon et ça s’efface pas. Tandis qu’avec Wikipédia, on travaille à la souris…

Marette — C’est bien aussi… Et je vous envie de savoir travailler comme ça… Je peux venir vous voir ? Vous me montrerez.

Gendarme I — Ah eh non ! Moi je montre rien !

Gendarme II — Ça se passe sous la table…

Marette — Ça me gêne pas… les dessous de table, je connais !

Gendarme I — Avec des fils qu’on se demande comment ça marche ? Et tout tortillés !

Gendarme II — À poil les nœuds ! À poil les nœuds ! À poil !

Marette — Avec l’aide d’une gendarmette… Si c’est moi qui me déplace…

Gendarme I — Même comme ça, elles veulent pas vous expliquer. Elles comprennent parfaitement qu’il faut surtout pas vous faire souffler dans le ballon, mais les examens approfondis, elles veulent pas.

Gendarme II — Elles ont obtenu une dérogation du commandement central.

Gendarme I — Que c’est pas rien ! Et qu’on peut rien y faire. Alors il nous reste plus qu’à attendre l’heure de l’apéro en regardant les images.

Gendarme II — Que c’est des belles images ! On dit pas le contraire.

Marette — Mais sans gendarmette, c’est du chinois.

Gendarme I — Du chinois, mais sans le sexe.

Entre le Chinois.

 

Scène IV

Les mêmes, le Chinois

Chinois — C’est une grosse affaire ce Jésus Christ suédois !

Marette — Les gendarmettes ont autre chose à faire…

Au chef :

On dit comme ça, eh ? Les employés n’ont pas besoin de savoir le pourquoi des choses.

Gendarme I — Rien que le comment, c’est déjà compliqué.

Chinois — Commencez par les pieds. C’est une suggestion…

Gendarme I — Il doit avoir de grands pieds…

Gendarme II — Il doit avoir deux grands pieds…

Il rit.

Vous sentez pas la différence entre vous et moi, Chef !

Gendarme I — À part une sardine et l’expérience en plus…

Gendarme II — Vous dites « de »… D E… Et moi je dis « deux »… D E U X… Ça veut dire la même chose, mais la nuance est d’une taille telle qu’ils l’expliquent sur Wikipédia à l’article Rhétorique que je me demandais ce que c’était ce mot à cause d’une gendarmette qui parlait de monsieur le maire à une autre gendarmette…

Gendarme I — Et elles se comprenaient… tandis que nous, on se comprend pas. Si vous cherchiez les pieds de ce monsieur au lieu de raconter des choses qui dépassent vos possibilités cognitives… eh ?

Marette — On a pas tout le temps… Surtout que sans gendarmette, ça va être long et… incertain.

Gendarme I — C’est pour ça qu’elles veulent pas venir. Elles veulent rester dans l’incertitude…

Gendarme II — Et maîtresses de leur destin.

Chinois —

Montrant :

Les pieds, ça se met là…

Marette — Vous êtes sûr ? Ça sert pas à autre chose, ça ?

Chinois — Comme quoi ?

Marette — Il y a deux trous…

Chinois — C’est pour mettre les clous…

Marette — Et ils sont où les clous ?

Chinois — Dans les pieds…

Marette — Ils dépassent alors…

Chinois — Par en bas…

Marette — Ça savait clouer les Romains !

Gendarme I — C’est pour ça que les gendarmettes elles veulent pas venir.

Marette — Mon petit fils, quand il allume l’ordinateur, il vous fait apparaître qui il veut. On pourrait lui demander de venir.

Gendarme I — Je sais pas si c’est un spectacle pour les enfants…

Chinois — Avec tous ces clous…

Marette — On verrait les gendarmettes sur l’écran, ce qui me convient parfaitement… À mon âge, vous savez, le contact direct… Pour ça c’est bien Wikipédia…

Gendarme I — Je sais pas quoi vous dire… C’est votre petit-fils… Si c’était le mien…

Chinois — Avec tous ces clous… Tiens ! Voilà un pied !

Gendarme I — C’est le droit ou le gauche ?

Gendarme II — Hou putain ! Ça va être compliqué…

Gendarme I — Et qué… ?

Gendarme II — De face, je sais jamais si c’est le gauche ou le droit… Et pourtant c’est les miens !

Chinois — C’est celui de dessous.

Marette — Comme dans les églises ! Il a un pied l’un sur l’autre. Ah ! Ils sont fidèles chez Ikéa.

Chinois — Alors je le pose là-dessus… Tout le monde est d’accord ?

Gendarme I — Ça coûte rien d’essayer.

Chinois — Ya quelque chose qui va pas…

Marette — C’est pas un pied… Ça commence bien !

Chinois — On pourrait commencer par la tête, mais on fait comment pour qu’elle tienne là haut ?

Gendarme I — Surtout qu’elle est penchée… Moi ça me fait la même chose quand je réfléchis…

Gendarme II —

Riant :

Et vous vous retrouvez la tête dans l’écran !

Chinois — Il faut trouver l’autre pied.

Marette —

Désespéré :

S’il y a un autre pied…

Gendarme I — On a tous deux pieds !

Gendarme II —

Riant :

Mais sans les clous ! Et pourtant on est des piétons !

Gendarme I — Ils nous les envoient déjà un peu cons. Et à l’usage, ça s’arrange pas.

Gendarme II —

Même jeu :

C’est l’influence du vieux sur le neuf !

Marette — J’en ai vu, des Christs, mais des compliqués comme celui-là, jamais !

Gendarme I — Et pourtant, c’est le même amour.

Gendarme II —

Même jeu :

Comme quoi, l’amour à deux, ça se complique !

Gendarme I — Qui c’est, çui-là ?

Entre le Vét.

 

Scène V

Les mêmes, le Vét

Vét —

Un vrai plaisir cette existence

Avec un peu t’as tout t’as tout

Avec rien tu n’as pas d’aisance

Faut travailler en vrai matou

Trois sous c’est rien mais ça mistonne

Ça t’ met en quatr’ la descendance

Des promess’ au gras qui pistonne

Pour crever on a plus d’ patience

 

Un vrai plaisir cette existence

Avec un peu t’as tout en France

Avec des riens t’as de la chance

La vie c’est fait pour qu’ ça avance !

 

Avec du blé t’es un mauvais

Et avec sans tu crains l’eau froide

Tous les matins tu pétarades

T’as pas eu tort d’avoir rêvé

L’ principe est l’ mêm’ mêm’ que c’est Dieu

Qui met ses mains dans les salaires

Des fois qu’on ait pas trouvé mieux

Avec les moyens du grand-père

 

Un vrai plaisir cette existence

Avec un peu t’as tout en France

Avec des riens t’as de la chance

La vie c’est fait pour qu’ ça avance !

 

Entre l’usine et les devoirs

T’as tout t’as tout et c’est bien dit

Ya mêm’ des cons qu’ont la mémoire

À fleur de peau avec des cris

Des cris en marche militaire

Poussés par des morts revenus

Les revenants secouant fiers

Des gris-gris forgés au rebut

 

Un vrai plaisir cette existence

Avec un peu t’as tout en France

Avec des riens t’as de la chance

La vie c’est fait pour qu’ ça avance !

 

Marett’ se pogn’ dans sa guérite

Avec un’ croix il fait des tours

La justic’ vient à son secours

Chaqu’ fois que tu le démérites

Leurs p’tits souliers qu’ils se les foutent

Dedans leurs culs et sa moumoute

Que mêm’ si le plaisir y vient

T’es pas jaloux d’y êtr’ pour rien

 

Un vrai plaisir cette existence

Avec un peu t’as tout en France

Avec des riens t’as de la chance

La vie c’est fait pour qu’ ça avance !

 

Les enfants d’ la patrie s’ bousculent

Pour aller chez la veuve en joie

Devant les monuments ça croit

Que ça r’pouss’ comm’ les poils du cul

Ya pas d’ larbins sans les pourliches

Et pas d’ pourlich’ sans fair’ c’ qu’il faut

Ces modus vivendi d’bonniches

Ça n’a pas l’étoffe des héros

 

Un vrai plaisir cette existence

Avec un peu t’as tout en France

Avec des riens t’as de la chance

La vie c’est fait pour qu’ ça avance !

 

Toi qu’es jeune et qu’as des passions

Ne te jett’ pas dans la fournaise

Avant d’avoir trouvé du pèze

Quitte à le piquer en actions

Investis dans la chasse aux cons

Fais sauter tous les monuments

Fil’ la chiasse à ces vieux colons

Que si ça pue c’est du bon temps

 

Un vrai plaisir cette existence

Avec un peu t’as tout en France

Avec des riens t’as de la chance

La vie c’est fait pour qu’ ça avance !

 

S’il y a des morts tant pis pour eux

C’est pas faire exprès d’ vouloir vivre

Vivr’ sans avoir à vivre vieux

Dès la premièr’ bouffée d’air libre

Un vrai plaisir cette existence

Avec un peu t’as tout t’as tout

T’as tout mêm’ que t’as des atouts

Dans la manche avec ta sapience

 

Je viens pour coller l’affiche !

Tous — L’affiche ?

Entre Trigano en courant.

 

 

Scène VI

Les mêmes, Trigano

Trigano — Ouf ! Vous courez vite !

Vét — J’ai le bon carburant. Et faut pas me pousser.

Trigano — Vous n’avez pas abîmé l’affiche, j’espère… Vous avez la colle ?

Vét — C’est vous qui avez la colle !

Trigano — C’est la colle, ça ?

Vét — Vous voyez pas le pinceau dedans ? À quoi y sert le pinceau ?

Tous — À coller !

Vét — Moi, on me confie un pot avec un pinceau dedans, je me dis tout de suite que c’est pour…

Tous — Coller !

Marette — Et quéce vous voulez coller sur mes murs ? Par arrêté municipal en date du…

Trigano — C’est MON arrêté. Je le connais. Mais aujourd’hui est un jour spécial.

Gendarme I — Vous allez acheter une vache ? Ça va vous faire beaucoup…

Gendarme II — On continue pas… ? Le Jésus, que celui là ça doit être un modèle musulman tellement il est compliqué, y va pas monter sur la croix sans un coup de main.

Gendarme I — Vous voyez pas que c’est monsieur Trigano… !

Gendarme II —

Serrant la main du Vét :

J’ai entendu parler de vous… Je suis nouveau… J’ai encore les mœurs…

Gendarme I — Pas lui ! Çui-là…

Gendarme II — C’est Trigano ça ? Je m’attendais pas…

Gendarme I — Dites-lui bonjour quand même !

Gendarme II — Bonjour quand même…

Trigano — Qu’on me laisse parler ! J’ai quelque chose à dire…

Marette — Rapport à l’affiche…

Gendarme I — Trigano et les gendarmettes !

Gendarme II — Avec lui elles sont d’accord ?

Gendarme I — Avec le pognon, tout le monde est d’accord ! Même moi, que je suis pas déformé par la fierté à ce point.

Marette — Alors c’est quoi cette affiche ?

Trigano —

Au Vét :

Allez-y ! Collez !

Le Vét badigeonne le mur du musée.

Marette — Heureusement que c’est admis en période non électorale…

Le Vét colle l’affiche.

Oh ! Putain ! Trigano président ! Vite ! Quelque chose !

Gendarme I — Donnez-lui quelque chose !

Gendarme II — Mais je sais pas quoi lui donner, moi !

Trigano — Qu’en pensez-vous, les amis ?

Chinois — Avec une tête comme ça, je me présente pas !

Trigano — J’ai les signatures ! Et même plus !

Marette — Mais alors… On n’attend pas que François Hollande soit mort ? Ça m’a tout l’air d’un coup d’État !

Trigano — Il est mort ! Comment voulez-vous qu’il ne soit pas mort ?

Marette — Et s’il survit ?

Trigano — Soyons sérieux ! Survivre dans les égouts de Mazères, c’est impossible.

Marette — Ah mais pardon ! J’y ai survécu, moi ! Et je survis encore.

Chinois — Il est tellement habitué à survivre qu’il serait bête de lui refuser une médaille…

Gendarme I — Là… Je vous suis pas…

Gendarme II — C’est du chinois…

Gendarme I — Moi je parle que latin et j’aime pas trop qu’on me perde dedans…

Gendarme II — Comme Hollande dans les égouts…

Marette — Et qui vous dit qu’il est mort ?

Trigano — Bousquet me l’a dit.

Marette — Mais Bousquet n’en sait rien ! Il a pas réussi à entrer dans les égouts !

Chinois — Y avait personne pour tirer la chasse.

Trigano — Quoiqu’il en soit, la chasse est ouverte.

Marette — La chasse est ouverte ? Maintenant, ils me préviennent même plus. Bousquet m’en veut à mort !

Chinois — Mais il vous a pas encore tué. Peut-être par accident…

Marette — Je savais même pas qu’on était en campagne !

Trigano — On n’y est pas encore… mais ça ne saurait tarder !

Marette — Ah ! Je me disais aussi ! Sans le cadavre de François Hollande, pas d’élections !

Chinois — Ça, c’est le slogan socialiste…

Trigano — Le nôtre c’est : « Il est mort et puis c’est tout ! »

Marette — Ouais, mais on a pas le pouvoir !

Trigano — Nous l’avons ici…

Marette — Eh té ! On va faire des élections présidentielles à portée municipale limitée à Mazères…

Chinois — Et à ses environs…

Marette — On fera voter les oiseaux… comme les Corses.

Trigano — Un peu de patience, les amis ! Nous prenons de l’avance. Nous anticipons.

Marette —

Au Vét :

Et vous ? On vous a donné une médaille, pas le pouvoir de coller des affiches sur notre nez…

Trigano — Pas de jalousie ! Vous êtes tous des frères…

Chinois — Et lui c’est le papa. Roi de la vache et du cochon…

 

Trigano ! Trigano !

Roi de la vache et du cochon !

Trigano ! Trigano !

Nous c’est le lard et les couillons !

Allez-y ! Dédé ! Dédé !

Et Marette au derrière !

Allez-y ! Dédé ! Dédé !

Les enfants de Mazères !

Trigano ! Trigano !

On est les rois de la passion !

Trigano ! Trigano !

Le socialism’ c’est pour les cons !

 

Trigano — C’est l’hymne ! Il résume bien mon programme, hein ?

Marette — Et je suis dedans…

Trigano — Toujours dedans !

Marette — Et quand je sors, je suis attaqué de toutes parts !

Trigano — Vous êtes mon fer de lance !

Marette — Et ces deux, là…

Il désigne le Chinois et le Vét.

… c’est le SAC… le Sac À Cons.

Trigano — Pas de jalousie !

Chinois — Moi j’ai pas de médaille…

Trigano — Oui, mais vous êtes Chinois…

Chinois — Avec le racisme, on explique tout… mais pas bien !

Trigano — Je suis Juif… Et je n’explique jamais.

Marette — Y a rien à comprendre. Ça tombe bien, je suis pas fait pour ça.

Marette et Trigano —

J’en voudrais pas

C’est du tout bon

Mais pour coller

Faut être deux

Et je vois rien

Dans la maison

Pour être heureux

T’as pas mes yeux

 

Ça manque d’air

C’est pas du vrai

Ah ! mes aïeux

Qu’est-c’ qu’ils diraient

S’ils te voyaient

Dans ton tutu

Fair’ le café

De bon matin

 

Mais pour le cul

C’est du tintin

Le café fait

Un bel effet

Mais j’ai du mal

À m’ fair’ du mal

Je vois ailleurs

Et c’est l’ bonheur

 

On s’ quitte ami

Et sur la route

J’ai la biroute

Qui fait pipi

J’ai pas l’ moral

Mais c’est pas mal

D’avoir des potes

Que c’est tes potes

 

Le soir enfin

J’ai pas bien faim

Dans le miroir

J’ai l’air de quoi

J’ai pas l’air dur

Mais c’est bien sûr

L’amour de toi

C’est pas la joie

 

On va crever

Un jour ou l’autre

Faut pas s’ leurrer

À la bonn’ vôtre

La vie à deux

Ça a du bon

Quand on s’en va

C’est pour toujours

 

Des souvenirs

J’en ai des tas

Mais ça sert pas

De l’autr’ côté

Ça sert à quoi

De s’habiter

À deux des fois

Et seul enfin

 

Ça me sert pas

Ya pas d’ plaisir

Je suis papa

Mais c’est comm’ si

J’avais fait ça

En solitaire

Pour mieux me taire

Et du balai

 

J’avais des noms

C’était tout bon

Ça me rendait

Moins nostalgique

Des bons moments

Passé passé

Je sais pas quand

J’ai dû rêver

 

J’ai fait la nique

Mais c’était toi

Qui revenais

Me pique pas

J’ai dans la peau

Des trucs pas faux

Que si t’étais

Mais t’es pas là

 

De bon matin

C’est le matin

Et le soir nuit

Pour le tintouin

Faudra revoir

Les abattis

Les confetti

J’ suis pas parti

 

Mais j’attends quoi

Et tu attends

On se revoit

T’as pas le temps

J’ai du bon temps

Avec ma pomme

Je suis un homme

Mais pas pour toi !

 

Ensemble :

L’amour à deux

Avec la politique

Avec la queue

Avec ou sans critiques

On est bien mieux

À deux c’est l’un ou l’autre

On est heureux

Et vous êtes des nôtres !

Tagada tac tac

Tagada tac tac

Tagada tac tac

Tagada tac tac

Tagada da

Tagada da

Tagada tac tac

Tagada tac tac

Tagada tac tac

Tagada tac tac

Tagada da

Tagada da

Tac tac !

 

Gendarme I —

À Trigano essoufflé :

Les gendarmettes n’ont pas voulu venir nous aider à résoudre l’énigme…

Trigano — Oh ! Ya un jeu ! Chouette !

Gendarme I — Si c’est un jeu, il cruel… !

Gendarme II —

Prêt à rire :

C’est pas un jeu drôle…

Marette — On trouve pas le bon pied…

Chinois — Celui avec le clou…

Marette — Normalement, il y a deux clous… un pour chaque pied…

Chinois — Avec vous, ça fait trois clous !

Trigano — Je veux bien être le quatrième clou !

Vét —

Narquois :

On pourrait inclure ce jeu dans la campagne. Il l’a fait, Hollande…

Marette — Et il a fini dans les égouts de Mazères !

Chinois — En passant par les chiottes ! À tout prendre, je préfèrerais disparaître dans la peau de de Gaulle. Un grand pitre, mais au moins, il est sorti par la grande porte…

Gendarme I — On sait y faire, en France, pour les grandes portes.

Gendarme II — Et que c’est simple, parce qu’au début, elle est petite, la porte !

Gendarme I — On frotte ! On frotte ! Et la porte devient grande.

Gendarme II — On peut alors sortir, mais il faut frotter, hé !

Gendarme I — Et pas faire semblant… Je dis pas ça pour vous, monsieur Trigano…

Trigano — Mais je le prends bien, je le prends bien !

Chinois — Un cas exemplaire du mec qui te fait passer ses ennemis pour ses amis et ses amis…

Gendarme I — Pour des ennemis ! J’ai gagné !

Trigano — Vous n’avez rien gagné du tout. D’ailleurs on ne joue pas.

Marette — Moi je veux bien jouer si je gagne

un petit verre

pas trop petit

et bien rempli…

Trigano — On jouera plus tard. Monsieur le Chinois…

Chinois — Tout attaché… Lechinois…

Trigano — Lechinois… Monsieur Lechinois…

Chinois — Au départ…

Marette — Que c’était pas encore la Révolution…

Chinois — C’était Léchinois…

Marette — Mais ça faisait beaucoup…

Chinois — Ça sonnait pas chinois !

Marette — On se demande pourquoi vous avez les yeux bridés…

Gendarme I — C’est à force de faire de la moto sans lunettes. J’ai été motard, moi !

Gendarme II — Il s’est arrêté avant d’avoir les yeux bridés. La moto est toujours garée devant la gendarmerie. On peut la visiter si on veut…

Marette — Nous on recommence pas avec les objets de culte. On a déjà donné. Maintenant, on s’en tient à des panneaux informatifs…

Chinois — Sur catalogue…

Gendarme I — Oui, mais ma moto ne débouche pas sur des égouts.

Gendarme II — Elle débouche sur rien. Vous vous asseyez dessus et elle débouche pas.

Gendarme I — Avant elle débouchait ! Mais pas dans le même sens…

Gendarme II — Là, Chef, ça devient beckettien…

Marette — En parlant de bec, elle est passé où cette cigogne de…

Chinois —

Lugubre :

Molsheim !

Gendarme I — Putain ! Rien que le nom, ça me fait dresser !

Gendarme II — C’est comme monsieur le Maire quand on dit… gendarmette !

Trigano — Ah ! Oui. La cigogne…

Chinois — De Molsheim…

Gendarme I — Ça vous fait pas dresser à vous ?

Trigano — Je l’ai embauchée.

Marette — Vous avez embauché une cigogne ? Qu’elle est même pas de Mazères ! C’est un mâle ou une femelle ?

Chinois — La légende de Faust ne le précise pas… mais le droit de cuissage existait déjà.

Il compte.

Ce qui fait qu’on est trois… Monsieur le vétéran, moi-même et la cigogne. Sans vous compter, monsieur le Maire…

Vét — Mais vous comptez double… ce qui fait cinq…

Chinois — Le chiffre parfait. Comme les cinq doigts.

Gendarme I — Moi, ces choses de chiffres, ça me fait dresser.

Gendarme II — Vous dressez beaucoup aujourd’hui, Chef ! Vous voulez changer de métier ?

Gendarme I — Allez savoir ce qui se passe dans mon inconscient !

Gendarme II — J’en ai un moi aussi. Et il me dit pas tout !

Gendarme I — À force, on se rend chèvre…

Gendarme II — Et on change de sexe…

Gendarme I — Ou de métier…

Trigano —

Se frottant les mains :

Nous sommes bien partis pour les gagner, ces élections !

Marette — Il va en faire une tête, le François, quand il va revenir et qu’il va le trouver assis dans son bureau !

Ils sortent tous. Entre la Présidente.

 

Scène VII

La Présidente

La Présidente — Ils suppriment tout ! Au palais, ils m’ont supprimé le Petit Robert. J’en ai un à la maison, mais je peux pas le passer en fraude. Il me manque. Il me servait bien. Dans les procès pour injures. Comme je suis de bonne famille, les gros mots, moi, c’est pas ma tasse de thé. Je suis une femme après tout ! Quand je veux dire merde, je dis autre chose. Et c’est pas de l’hypocrisie. Avec le Petit Robert, j’étais implacable ! J’aurais bien aimé le connaître. J’aime les petits hommes. Il paraît qu’il y en a un grand, mais j’aime pas les grands. C’est dur de chercher dedans ! Et ça prend de la place. Le Petit Robert, je l’avais sous la main. Un homme, ça devrait toujours se trouver à portée de main. Putain ! J’ai une envie de chier ! Mais ils suppriment tout ! Ici, ils ont supprimé les WC. Remarquez, il y a des raisons. Je me demande bien qui a disparu au palais pour qu’on me supprime le Petit Robert… J’ai rien vu ! Et on m’explique pas. Mais ici, c’est carrément le président de la République qui disparaît sans laisser de traces. Enfin, la trace, ils en ont pas parlé. On parle pas de ces choses-là si c’est un personnage important qui a fait… Moi, j’ai rien fait. On me supprime le Petit Robert sans que j’ai rien fait. J’ai peur pour ma médaille. Mais pas autant que de me chier dessus ! J’ai une envie ! Ah hé té ! Je me lâche !

Elle baisse sa culotte et se met en position au-dessus d’un carton.

 

Scène VIII

La Présidente, une voix

La voix — Madame la Présidente ! Vous me chiez dessus !

La Présidente bondit et se fige.

La Présidente — Mon seigneur Jésus ?

La voix — Non. Ici, c’est François… François Hollande !

(rideau)

 

 

ACTE XIV

Entre Frank. Il sort des vêtements de sa musette. Le voilà en Vét. Apparition de Roger. Guitare. Nanette entre avec un tambourin. La Présidente et le Chinois valseront.

 

Scène première

Frank (Vét), Roger, Nanette, le Chinois et la Présidente

Vét —

Pour avoir le front bien bâti

Faut pas en avoir dans le froc

Ya pas d’ raisons d’avoir aussi

Du poil au cul et des airs vioques

Suffit d’avoir l’esprit pété

L’esprit pétainiste et consort

Ça fait d’ l’effet à la télé

Et des partisans dès qu’on sort

 

L’esprit du Maréchal

Toujours vivant en nous

Mais faut s’ donner du mal

Pour s’user les genoux

Sinon c’est dans le cul

Que ça f’ra pas du bien

On va mettre la main

Et on s’ra pas déçu !

 

Les voisins c’est fait pour trava

Travailler dans le sens du poil

Si t’en as pas ne t’en fais pas

On t’en trouv’ra des ratapoils

Rien que des vieux qu’ont l’expérience

De se laisser couler du bronze

Et des tout neufs que c’est des gonzes

Avec des nœuds dessous la panse

 

L’esprit du Maréchal

Toujours vivant en nous

Mais faut s’ donner du mal

Pour s’user les genoux

Sinon c’est dans le cul

Que ça f’ra pas du bien

On va mettre la main

Et on s’ra pas déçu !

 

J’ dis pas ça pour que tu t’émeutes

Et que tout seul tu fass’ justice

Ya des lois pour guider la meute

On les connaît c’est notre office

Tu prends les mecs entre deux âges

Tu les questionn’ avec esprit

Et si t’es pas content tu plies

Faut qu’ ça casse ou qu’ ça se partage

 

L’esprit du Maréchal

Toujours vivant en nous

Mais faut s’ donner du mal

Pour s’user les genoux

Sinon c’est dans le cul

Que ça f’ra pas du bien

On va mettre la main

Et on s’ra pas déçu !

 

Le Droit c’est pas à la portée

De tous les gus qu’ont pas compris

Que la force est du bon côté

Et qu’ailleurs c’est du biribi

D’ailleurs si t’es pas convaincu

Faudra bien constater les faits

Et t’ pousser à te fair’ goûter

Les avant-goûts des trucs pointus

 

L’esprit du Maréchal

Toujours vivant en nous

Mais faut s’ donner du mal

Pour s’user les genoux

Sinon c’est dans le cul

Que ça f’ra pas du bien

On va mettre la main

Et on s’ra pas déçu !

 

On a aussi l’intelligence

Marette en est le prototype

Pour êtr’ moins con faut qu’ tu commences

Par comprendre le truc du slip

Si t’es à la bonne hauteur

Que tu respectes les principes

On s’ra content qu’ tu participes

T’auras droit aux galons sur l’heure

 

L’esprit du Maréchal

Toujours vivant en nous

Mais faut s’ donner du mal

Pour s’user les genoux

Sinon c’est dans le cul

Que ça f’ra pas du bien

On va mettre la main

Et on s’ra pas déçu !

 

Avec un bonnet sur la tête

Un doigt dans les hémorroïdes

De la toile à drapeau en fête

T’auras d’ l’allure et un bon bide

T’auras mêm’ le droit de bander

Devant les fill’ qui n’ont pas l’âge

Les leçons d’ chos’ ça se partage

Yen aura mêm’ pour les pédés

 

L’esprit du Maréchal

Toujours vivant en nous

Mais faut s’ donner du mal

Pour s’user les genoux

Sinon c’est dans le cul

Que ça f’ra pas du bien

On va mettre la main

Et on s’ra pas déçu !

 

Vive la mort si c’est pas nous

Et vive Dieu si ça arrive

Faut’ de merl’ on se tap’ des grives

Mais on est à l’heure à genou

Pas d’eau dans l’ vin et du bon pain

Avec de la chair à gagner

Pour nous ya pas d’autre destin

On fait c’ qu’il faut pour y arriver

 

Avec le Maréchal

À l’assaut nous marchons

Mêm’ que le Général

Il a dit que c’est bon

Les voisins à l’affût

C’est le front du refus

La dignité humaine

Ici c’est pas la même

Les salauds hors sujet

Ne sont pas des gorets

Et quand un juge a dit

C’est pas des conneries

Avec ça Maréchal

Nous voilà bien compris

On est fiers d’avoir mal

Et de manquer d’esprit !

Entre Marette en courant.

 

Scène II

Les mêmes, Marette

Marette — Les drones ! Les drones…

Chinois — Qué drone ?

Marette — Un vol de drones ! Il y en a même qui se sont posés !

Chinois — Et où ?

Marette — Au Domaine… Il y en a même qui sont entrés dans la cage…

Chinois — Moi, les Américains, je me suis toujours méfié !

Nanette —

À Marette :

Il faut pas vous mettre dans cet état pour des drôles ! Ils sont inoffensifs…

Chinois — Ils vous ont tiré dessus ?

Marette — Ils m’ont chié ! Té ! Vé !

Chinois — C’est de la vraie merde… Ça sent l’oiseau…

Roger —

Imitant :

L’oiseau rare… Ils ont même jeté des brindilles de sureau… Que si j’étais pas du pays, je dirais pas qu’ils ont été les chercher sur les bords du Raunier.

Vét — Ça sent le Raunier… ses truites… ses écrevisses… ses traces d’animaux champêtres… son gibier anticholestérol…

Marette — Ils m’ont pas jeté des brindilles ! Je suis tombé…

Chinois — Et on comprend… Que la merde, ça colle les brindilles quand on tombe…

Vét — Et après, on donne l’impression d’avoir été attaqué par des drones américains…

Marette — Mais non ! Je suis tombé avant !

Chinois — Avant d’être attaqué… comme de Gaulle dans sa tranchée en 1916… il s’arrache la chemise, il l’attache à un manche de balai…

Vét — … celui qu’il avait dans le cul…

Chinois — … et il se rend à l’ennemi sous le feu des Français !

Vét — Il avait déjà l’art de dresser les Français les uns contre les autres.

Chinois — Ensuite, il s’est évanoui…

Vét — Et quand il s’est réveillé…

Chinois — … il avait la fesse meurtrie…

Vét — Ça lui allait bien ! Mais ça s’explique pas…

Chinois — On est comme ça en France… On prend un Marette…

Vét — … terme générique qui désigne le Français capable de se servir de sa chemise même si ça plaît pas aux autres Français… madame la Présidente, c’est pas encore dans le Petit Robert, mais ça ne saurait tarder…

La Présidente — Le Petit Robert c’est quelque chose, mais ils me l’ont confisqué. Maintenant, c’est Wikipédia ou rien ! J’en chie !

Elle lève le poing.

 

Jean-Paul Sartre

Hors sujet

Et Badiou

Au piquet !

Le Robert

En petit

C’est pour faire

La justice !

J’en veux pas

Du wiki

Je veux bien

Du quiqui

Pour l’esprit

Et pour rien !

 

Enfin… rien… moralement, hé ? Quand on fait des vers, comme je viens de faire, on va vite et tout le monde comprend pas… le fond…

Chinois — Le fond… ?

La Présidente — Mais revenons à nos moutons…

Chinois — … alors le Marette, ça lui fait un bobo à la fesse…

Vét — … que c’est suffisant pour être cité…

Chinois — Et avec le Marette, on te fait un Napoléon, en deux exemplaires, un Pétain, un de Gaulle…

Vét — Ça fait rêver les Marettes…

Chinois — Oui, mais attention ! C’est de la parano, ça !

Vét — Et au lieu que le Marette se réveille…

Chinois — … il tombe avant d’être attaqué par des drones.

Vét — Et comme il est déjà collant, les brindilles s’attachent à lui.

Chinois — Bon bé, je crois qu’on a tout expliqué…

Marette — Vous n’avez rien expliqué du tout parce que vous n’avez pas compris !

Chinois — Et qu’est-ce qu’on a pas compris ?

Entre le colonel en courant.

 

Scène III

Les mêmes, le colonel

Chinois et Vét —

Roger à la guitare et Nanette danse :

Avec le cul entre deux chaises

Les p’tits Français ont leur entrée

Dans le grand mond’ des culottés

On peut pas dir’ qu’ils sont à l’aise

Avoir été et être encore

C’est pas donné et ça se paye

Pour les pourlich’ c’est pas de l’or

Du toc et pas demain la veille

 

Les vacances

Ça commence

Par la France      

Ça finit

Au quiqui

Dans le lit

 

On les voit s’ balader en rond

Ça sait tout sur tout et surtout

Ça veut de tout pour pas un rond

Les p’tits Français y zont du goût

T’as pas d’ musée t’es un minus

Tes restaurants puent la poiscaille

Dans les mat’las ya pas des puces

Si ça s’ gratt’ pas c’est la rouscaille

 

Les vacances

Ça commence

Par la France      

Ça vaut mieux

Qu’être vieux

Dans un pieu

 

Question la soif on est d’accord

Le soleil tap’ dur sur les nerfs

En plus les fill’ ell’s ont des airs

Que nous on a plutôt du corps

Mais la route est semée de clous

On s’ perc’ pour oui et pour un non

C’est sur la gueul’ qu’on se répond

Ça fait plus d’ bruit que les glouglous

 

Les vacances

Ça commence      

Par la France

Pour le bruit

Pas d’ennui

C’est la nuit

 

On fait des plans pour s’ faire la guerre

On se souvient que les médailles

C’est pas au cul que ça se perd

Et on finit dans la mouscaille

Les poubell’ du monde ont bon dos

De mal empire on est marron

Ya pas d’ raison d’ fair’ des cadeaux

On s’aim’ pas et c’est pour de bon

 

Les vacances

Ça commence

Par la France

Ya des meufs      

Pour les bœufs

C’est pas neuf

 

Le cul calé entre Pétain

Et leur Général d’opérette

Au travail et dans la sucette

Les voilà bourrés dans le train

Ça fil’ du cent à la d´mi heure

T’as pas l’ temps d’ voir les accidents

Dans le pâté ya des enfants

Mais d’ la patrie on voit pas l’ beurre

 

Les vacances

Ça commence

Par la France      

Sur le sab’

Pas d’Arab’

Et du rab

 

S’il faut payer ils se gratt’ pas

Des fois que ça ferait saigner

Yen a qui sav’ pas que le blé

C’est un truc qui sert pas deux fois

C’est pas comm’ leurs meufs en vacances

Qu’ell’s ont des va-et-vient en chaîne

Si t’es pas Français t’es en France

Tu reviendras l’année prochaine

 

Les vacances

Ça commence      

Par la France

Au couteau

C’est pas beau

Les lambeaux

 

Moi j’en ai épousé un’ qui

Fait du vélo d’vant la télé

C’est du zéro question quiqui

Mais pour le blé elle est douée

En vacanc’ je me fais passer

Pour un ancien d’ la Coloniale

J’ai passé l’âg’ mais j’ai pigé

Qu’être Français c’est l’idéal

 

Les vacances

Ça commence

Par la France      

C’est jamais

Fini mais

C’est Français

 

Demandez l’ programme… !

Yen a pour les dames

Les mecs au macadam

Les mistons en réclament… !

 

Colonel — Vous n’avez pas compris !

Chinois — C’est ce que disait de Gaulle à Alger. Mais nous, on a compris le contraire…

Vét — Une espèce de contraire…

Colonel —

Soutenant Marette malgré l’odeur :

Un Marette, si vous permettez que j’apporte ma pierre à l’édifice linguisticiel…

Chinois — … sous l’influence de la gendarmerie connectée 24 heures sur 24 à Wikipédia…

Chinois — … que ça en fait de l’influence !

Colonel — Un Marette, c’est un individu prisonnier d’une alternative.

Tous — Qué définition !

Chinois —

Mimant :

Un Marette devant deux verres : un plein et un vide. Le commun des mortels verse la moitié du contenu du verre plein dans le verre vide et vous l’offre avec ses vœux. Ça s’appelle trinquer.

Tous — Trinc !

Chinois — Mais le Marette s’y prend autrement : il vide le verre plein…

Vét — … ou plus exactement dit, il en transfère le contenu dans son estomac… étape préparatoire du voyage éthylique…

Chinois — … et il demande au Conseil général…

Vét — … que c’est pas tous des buveurs…

Chinois — … pourquoi les deux verres sont pas pleins !

Vét — C’est de la grande politique ça ! De la politique de Droite !

Chinois — Et ne t’avise pas, Tintin, de les remplir…

Vét — … parce que ce sont des verres vides…

Chinois — … et qu’ils doivent le rester !

Tous — C’est de la grande politique ça !

Chinois — Mais alors, mon colonel, en quoi consiste cette… alternative… ?

Vét — Je rappelle à madame la Présidente…

Chinois —

La reniflant :

Qui a une odeur…

La Présidente — De merde… mais c’est pas moi !

Chinois — Vous avez marché dessus… Pourtant, ça sent l’humain…

Vét — Une alternative est un système…

Chinois — Là, on est dans la politique… je souligne parce qu’il y en a qui dorme…

Vét — C’est un système que quand ceci est faux cela est vrai…

Chinois — Et inversement.

Colonel — Et bé c’est exactement ce qui se passe…

Il secoue Marette qui ne réagit pas.

Sauf que les deux sont vrais !

Chinois — Il est si malade que ça ?

Colonel — Disons qu’il est atteint. Un peu comme si vous veniez de mettre le pied dans la merde…

Chinois — … comme madame…

Colonel — … et que personne ne s’en est encore rendu compte…

La Présidente — Parce que ça ne sent pas ! Moi je trouve que le Petit Robert, ça sent pas. Alors que Wikipédia, ça sent…

Chinois — Et c’est pas que le pied que vous avez dedans !

Marette —

Secouant la tête pour sortir de sa torpeur :

Ce que veut dire mon ami le colonel, et je le remercie d’avoir la même médaille que moi…

La Présidente — Moi aussi je l’ai ! Ça suffit pour être dans Wikipédia ? Parce que chez le Petit Robert, ils m’ont pas répondu…

Chinois — … alors en attendant, Wikipédia, c’est pas mal non plus…

La Présidente — Mais seulement en attendant !

Chinois — Hé bé ! Vous allez attendre longtemps… Déjà que vous avez passé l’âge…

Marette —

Interrompant :

Ce que veut dire mon ami le colonel, c’est que je suis pas encore dans la merde, mais que je me suis chié dessus.

Chinois — Et cette merde d’oiseau, vous l’expliquez comment ?

Colonel — C’est de la merde de drone.

Vét — Alors c’est pas des drones américains. Leur merde, les Américains, ils se la gardent pour faire de l’engrais.

Mimant :

D’où la maladie de l’Américain fou…

Chinois — On est pas encore atteint en France.

Vét — C’est une question de latence.

Chinois — La latence française. C’est pas du retard, c’est peut-être de l’hésitation, mais je dirais plutôt de la prudence.

Vét — Je suis prudent… Comme de Gaulle dans sa tranchée avant de se faire tirer dessus par ses compatriotes plus combattifs…

Chinois — Et alors les drones de Marette, c’est pas une légende…

Vét — … ni une mystification…

Chinois — C’est du réel en dur…

Marette — Et des fois c’est mou… que j’y arrive pas…

Nanette — Moi, je dis rien… Motus…

Chinois — … et bouche dessus…

Vét — Et en quoi consiste une alternative avec des drones agressifs d’un côté… ?

Colonel — … et de l’autre, une campagne électorale qui commence dans la merde !

Marette — Un pied sur un champ de bataille et l’autre dans la merde…

Colonel — Trigano est devenu fou ! Il veut se présenter aux élections présidentielles…

Marette — … alors que François Hollande est peut-être encore vivant…

Colonel — … et que les recherches ne sont pas encore terminées.

La Présidente — Vous cherchez partout… ? Je veux dire… même chez les gens ?

Marette — Les gendarmes sont sur les dents.

Chinois — Les dents de Wikipédia…

Marette — Je suis foutu. Je peux pas combattre deux ennemis à la fois… Moi, je mets toujours mes œufs dans le même panier.

Colonel — Les drones qui se multiplient sur le terrain et Trigano qui est devenu pédé.

Chinois — Heureusement que les gendarmes sont pas là, hé ! Ils n’y comprendraient rien. C’est pas sur Wikipédia, ce que vous dites !

Marette — Pas encore ! Mais il va bien falloir…

Tous — Expliquez-vous !

Marette — C’est un nouveau modèle de drone…

Chinois — En forme de cigogne…

Vét — Un drone qui craquète…

Roger — Et qui vous jette des brindilles de sureau après vous avoir couvert de merde…

Marette — On vous a déjà expliqué que je suis tombé avant dans les brindilles !

Colonel — La merde, c’est après…

Chinois — On dirait pas…

Vét — Mais bon… continuez…

Roger — Donc, il faut créer une fiche Wikipédia, dans le genre Drone, pour ce modèle caractéristique de Mazères : le drone Cigogne…

Marette — Voilà ! Ensuite… il faut modifier… je dis bien : modifier… modifier la fiche de Trigano.

Chinois — Il est pas encore élu…

Vét — François Hollande n’est pas encore mort !

Chinois — Parce que si vous modifiez la fiche de Trigano, il faudra aussi modifier celle de François Hollande…

Roger — C’est ce qu’on appelle une modification en cascade.

Marette — Mais il sera jamais élu, le Trigano ! Vous le voyez président de la République ?

Il singe Trigano. Celui-ci entre.

 

Scène IV

Les mêmes, Trigano

Marette —

Trigano l’observe. Puis Marette s’arrête, sans avoir vu Trigano.

Tandis que moi, en président, c’est autre chose. Pas vrai, madame Nanette ?

Nanette — Allez Marette ! Laisse-toi aller !

Marette —

Roger à la guitare et Nanette danse.

 

Ah ! Quand je pense à Nanette

Je me dis mon vieux Marette

Faudrait pas qu’ell’ soit sujette

Aux frénésies d’un poète

Ces putains de chansonniers

Ont le don de me fair’ chier

Quand j’ mets ma main au panier

Faut pas sur les toits crier

 

Mais Nanette adore

Tailler la bavette

On en veut encore

Des trucs à Marette

Et ça n’ finit plus

Mes enfants planqués

Se planquent l’anus

Ils ont trop banqué

 

Ah ! J’ai pas vraiment envie

De plus penser à Nanette

De moi elle est le sosie

Le complément de ma bête

J’ai du pouvoir elle en jouit

Ça m’ donn’ des airs de Macbette

Et pourtant j’ai pas choisi

C’est venu comm’ ça Marette

 

En attendant mieux

Elle attend jamais

Et je me fais vieux

Pour me faire aimer

Elle a la manière

Et des trucs en vrai

Des doigts de fée faits

Pour les vieux pépères

 

Ah ! La Nanette et ses bœufs

J’en ai suivi jusqu’à me

Croire assez fin pour me croire

Doué pour les fill’ à poire

Ensemble on est pas heureux

Mais ya d’ la joie au bureau

Ell’ me tient par le museau

Et je la prends par les nœuds

 

Un coup d’ pouce arrière

Ça pousse devant

Même en marche arrière

Ça avance autant

Autant qu’ c’est plus l’ temps

D’ penser à penser

Que ces p’tits secrets

Ont en poup’ le vent

 

Ah ! Si Nanette avait l’ temps

Mais en vitesse ell’ reprend

Ce qu’elle a donné payant

Et que j’ai payé comptant

J’ai pas vu le temps passer

Pas eu le temps de donner

Du plaisir à mon passé

Au futur me conjuguer

 

Dans les planqu’ en or

On se fait du blé

Mais c’est pas assez

Il en reste encore

J’ai bien mérité

J’aurais voulu mais

J’étais pas en fer

Pour la laisser faire

 

Ah ! Des Nanett’ yen a plus

Yen avait mais sur le tas

On a pas pensé que ça

Qu’un jour ça s’rait bien foutu

Elle est passée dans l’ futur

Et a laissé au présent

Ce qui s’est passé avant

Mais ça j’en suis plus très sûr

 

Non ya pas eu viol

J’étais consentant

Et j’ai eu du bol

Ya pas eu d’enfant

Des fois ça va vite

On a pas le temps

De mettre sa bite

Où c’est moins tentant

 

Ah ! La Nanette et mon temps

J’ai passé les deux à me

Faire enculer par les bœufs

Et j’avais du répondant

Ils m’ont donné du travail

Comme eux j’ai pas tout donné

Et de retour au bercail

J’avais le trou agité

 

C’est bon la Nanette

Je prends ma retraite

Sans toi je me jette

Dans la nuit douillette

T’as de bell’ gambettes

Et un air de fête

Mais je suis pas bête

C’est là qu’on s’arrête

 

Surpris :

Dédé… ! Tu vas pas croire… Je suis pédé, hé ! Là, je faisais le clown. C’est elle qui me l’a demandé.

Trigano —

Digne :

Et tu ne lui résistes pas quand elle demande ?

Marette — Je le ferai plus ! Tiens, si monsieur veut bien…

Roger — Holà ! Certes non !

 

Il y a du Nanette en moi

Mais j’ai pas le goût à ça !

L’autre moitié c’est du vrai

Pas du Marette en chantier

 

Trigano — On commence à peine la campagne et tu me trahis avec une femme !

Chinois — Il vous trahit aussi avec des drones…

Vét — Ils lui ont chié dessus, mais il aime peut-être ça…

Roger — Mais il est tombé avant… comme de Gaulle… ce qui explique les brindilles…

Nanette — Je les aime bien, moi, les brindilles !

Trigano — Des drones ? Je voudrais bien voir.

La cigogne se pose.

 

Scène V

Les mêmes, la cigogne

Marette — Je te jure, Dédé, que je suis le roi de la pédale !

Trigano — Non ! Le roi, c’est moi !

Marette — Je suis ton prince !

Trigano — Tu n’es plus rien.

Marette — Mais je me suis battu avec des drones ! Pour toi !

Trigano — Ça, un drone ? C’est une vulgaire cigogne.

Marette —

Inquiet :

Ne lui parle pas comme ça ! Elle s’énerve facilement.

Trigano — Mais je ne lui parle pas ! Je ne suis pas fou !

Chinois — C’est pour ça qu’il se présente…

Vét — … préventivement…

Chinois — … aux élections présidentielles.

La Présidente — Et il a tort…

Trigano — Non ! J’ai raison !

Chinois —

À la Présidente :

Prouvez le contraire !

La Présidente — C’est mon intime conviction !

Vét — C’est votre intime connerie, oui ! Ou alors…

Chinois —

Reniflant :

C’est plus intime que ça en a l’air…

Trigano — Elle sent quelque chose que je devrais sentir ?

Marette — La merde, comme d’habitude…

Trigano — Ça va changer ! Je vais tout changer !

Marette — Il faudra d’abord faire la guerre aux drones…

Trigano — Appelez Bousquet. Je le veux sur l’heure !

Marette — Avec lui, ce sera plus… intime. Il s’est déjà donné.

Trigano — Bousquet ? Donné ? Mais je ne l’ai pas donné ? Il est encore à moi !

Marette — Quelle importance si François Hollande est mort…

Trigano — Il est mort !

Marette — Vous avez vu son cadavre… ? Parce que les gendarmes, ils ont cherché, mais ils ont rien trouvé…

Trigano — Ils ont cherché sur Wikipédia.

La Présidente — J’ai rien trouvé sur le Petit Robert non plus. Sa mort est… hors sujet.

Trigano — C’est dans les égouts qu’il faut chercher, pas dans les livres !

Marette — Bousquet il a essayé et il s’est tordu une cheville…

Il montre :

Comme ça… et le pied s’est coincé. Heureusement que tout a pété.

Chinois — De la faïence chinoise de contrefaçon !

Marette — Et heureusement ! Bousquet, avec une cheville pétée, il devient méchant et il sort le fusil.

Il montre :

Je l’ai jamais fait avec lui, hé !

Trigano — Je m’en fiche de ce que tu fais avec les autres !

Marette — Les drones, à part me chier dessus, ils m’ont rien demandé…

Chinois — Pas encore…

Marette — Je me doute bien qu’il va falloir y passer…

Trigano — Mais tu n’auras pas de médaille ! J’y veillerai !

Il s’approche de la cigogne :

Il y a quelqu’un dedans ?

Marette — Eh non ! Les drones, ya personne dedans ! Sinon c’est pas des drones.

Trigano — On dirait qu’elle me regarde…

Marette — Ne la traitez pas en jeune fille, que si c’est un mec, c’est qui qui prend !

Chinois — Avec un peu de merde, ça glisse bien… enfin… si c’est comme les femmes… les hommes…

Marette — C’est pareil. Mais avec les drones, je sais pas. Pour l’instant, ils m’ont chié dessus, mais on a pas été plus loin.

Trigano — Moi je vous dis qu’il y a quelqu’un dedans !

Marette — C’est peut-être pas quelqu’un…

Trigano — Qui d’autre ? On voit les yeux…

Il s’approche encore.

Et ce ne sont pas les miens. Je les connais les miens.

Marette — Putain ! Ils mettent des yeux dans les drones maintenant !

Chinois — Le retard technologique français à l’œuvre…

Trigano —

Secoue la cigogne :

Sors de là ! Sors vite que je te vois !

Marette — Il dit toujours ça avant de commencer…

La cigogne se déchire. Apparaît Bousquet.

Trigano — Qu’est-ce que je vous disais ?

Marette — C’est toi le drone ? Avec la trouille que tu m’as fait ! Que je me suis chié dessus !

Bousquet — Et ça sent pas bon ! La mienne sent meilleur.

Chinois — Je me disais aussi. Vous voulez pas sentir la Présidente ? Vous qui êtes un spécialiste de la merde…

Trigano — Monsieur Bousquet pourra peut-être nous expliquer ce qu’il faisait dans cette cigogne…

Bousquet — Elle m’a mangé ! Je l’ai pas fait exprès.

Marette — Parce que tu le fais exprès qu’on te mange d’habitude !

Bousquet — Maintenant, elle mangera plus rien.

Trigano — Mais elle n’a jamais rien mangé ! Tout le monde se fout de moi ici ! Mais ça va changer ! J’achète toutes les cigognes !

Marette — Vous achetez une armée de drones, je vous préviens. Vous savez pas ce que c’est d’avoir un micro dans le cul et de savoir que tout ce qu’on dit est enregistré quelque part dans un coin de ce monde qu’on sait pas où c’est ni ce que c’est !

Trigano — Je tiendrai compte de ton expérience du cul, mais en privilégiant la mienne. Mais Bousquet n’a toujours pas dit ce qu’il faisait dans cette cigogne…

Bousquet — J’y faisais rien…

Marette — Il me jetait de la merde !

Roger — Et des brindilles…

Marette — J’ai déjà dit que les brindilles c’était avant…

Trigano — Avant quoi ?

Marette — Avant que je tombe !

Bousquet — C’était pas après ? Moi, de là haut, j’ai vu que c’était après…

Trigano — Vous voliez ?

Bousquet — Non ! Une cigogne m’a mangé juste pour que je vole pas avec elle. Elles aiment faire compliqué, les cigognes ! Elles vous mangent et quand elles volent, vous ne volez pas.

Marette — Et quand vous volez, vous vous faites pas piquer !

Chinois — Voilà pourquoi c’est un drone.

Trigano — Ça me paraît bien fragile pour un drone…

Marette — C’est fragile comme technologie le drone.

Bousquet — C’est pas au point, mais on peut s’en servir…

Marette — Je sais pas à quoi ça sert, mais si ça peut être utile dans le cadre de la campagne électorale qui s’ouvre à nous dans la perspective des élections présidentielles anticipées faute de président encore en vie…

Bousquet — François n’est pas mort…

Trigano — Bien sûr qu’il est mort ! Vous connaissez quelqu’un qui a survécu aux égouts de Mazères… à part Marette… Je suis le prochain président de la République !

Marette — Il est tellement prochain que c’est même pas la peine de l’élire. On rentre à la maison et on oublie qu’on s’est mêlé de politique dans un moment d’égarement… intellectuel…

Chinois — Un long moment… pas si intellectuel que ça… le bon esprit de Mazères en a souffert…

Trigano — Vous, taisez-vous ! Et retournez à votre travail de… bureau.

Chinois — Je suis en vacances…

Trigano — Et bien allez piquer une tête !

Marette —

Au Chinois, bas :

Ne piquez rien sans m’en informer. Le capitaine a la plus grosse part, ne l’oubliez pas.

Haut :

Je crois que tout le monde est d’accord pour partager le vin de l’amitié sous la haute surveillance de nos caméras…

Chinois — Avec ce que vous avez dans le cul, ça va se savoir au-delà des limites de l’action municipale…

Tout le monde se dirige vers la porte de la mairie, sauf la Présidente.

Marette — Vous ne venez pas ? Le vin est bon. Ça réchauffe la queue... euh… le cœur.

La Présidente — Je suis pas bien…

Marette — Vous allez pas encore me chier sur la pelouse ! C’est que vos merdes, ça se sent de loin…

La Présidente —

Irritée :

Et où voulez-vous qu’on chie à Mazères ?

Bousquet —

Un doigt sur les lèvres :

Chut !

Tout le monde sort, sauf la Présidente.

 

Scène VI

La Présidente

La Présidente — Vous êtes là ? La culotte, je l’avais pas prévue pour ça. Ils vont trouver drôle que je marche comme ça.

Jambes très écartée, elle fait quelques pas.

Je vais pas passer la nuit ici !

Entre Trigano.

 

Scène VII

La Présidente et Trigano

Trigano — Moi j’aime bien comme vous marchez…

Il l’imite.

Ça me donne des idées. Vous en avez des idées, vous ?

La Présidente — Pas vraiment… Ils m’ont supprimé le Petit Robert et j’attends que les gendarmes viennent m’expliquer Wikipédia.

Trigano — Je ne sais pas s’ils vous expliqueront bien. Vous ne voulez pas que je vous explique… ?

La Présidente — Là, j’ai pas d’ordinateur sous la main…

Trigano — On n’a pas besoin d’ordinateur…

La Présidente — Vous faites ça sans ordinateur ?

Trigano — Je l’ai toujours fait sans ordinateur. Mais avec des piles…

La Présidente — Moi ça m’intéresse, Wikipédia sans ordinateur.

Trigano — Ça sera comme un Petit Robert, mais sans le papier.

La Présidente — Sans le papier ! Que des avantages !

Trigano — Vous ne pouvez pas refuser…

La Présidente — Il faut que j’en parle à mes collègues.

Trigano — Vous avez des collègues ?

La Présidente — Deux. Elles aiment pas Wikipédia non plus.

Confidence :

Mais je sais pas si elles sont pas en train de comploter pour introduire en fraude un Petit Robert dans nos locaux…

Trigano — Un Petit Robert dans vos locaux… ? À quatre…

La Présidente — Non, trois… Enfin… avec le Petit Robert, ça ferait quatre en effet. Mais c’est pas un être humain. Je sais pas si on peut compter les objets dans l’inventaire de notre institution.

Trigano — Oh ! Vous pouvez. Je serai là.

La Présidente — Mais vous ne faites pas partie de notre institution !

Trigano — Oh ! En arithmétique, il n’y a pas d’institution. Des additions et des soustractions seulement…

La Présidente — Houlala ! Me parlez pas compliqué ! Les chiffres et moi… Je me goure tout le temps !

Trigano — Mais vous savez compter jusqu’à deux… Une couille… Deux couilles…

La Présidente — Ah ! Vous badinez !

Trigano — Combien de coups de badine ? Une badine, ce n’est pas difficile à compter, mais les coups ! Beaucoup de coups ! Là !

Il recule en se bouchant le nez.

Vous faites tout ça avec un seul trou ?

La Présidente — Je fais ce que je peux, hé ! J’ai rien demandé.

Trigano —

Dégouté :

Mais vous avez beaucoup donné. Ça ne me déplaît pas, mais c’est peut-être un peu trop…

La Présidente — Je savais pas, moi, que ça sortait de terre !

Trigano —

Intrigué :

Qu’est-ce qui sort de terre… et qui sent aussi mauvais ?

La Présidente — Les morts, monsieur !

Trigano — Les morts sortent de terre dans les films, pas dans la réalité.

La Présidente — Parce que je sens comme dans un film, peut-être !

Trigano — C’est l’odeur de la mort, ça ? Je croyais que ça sentait… autrement…

La Présidente — Et comment ça sent chez vous, la mort !

Trigano — Ça sent le pourri, comme de la viande avariée…

La Présidente — Mais elle est pas avariée, sa viande !

Trigano — Ça m’étonnerait. La viande des morts, c’est avarié, ou bien ce n’est pas la mort.

La Présidente — Et si c’était pas la mort ? Si c’était autre chose ?

Trigano — Ce serait la vie…

La Présidente — Alors il est vivant !

(rideau)

 

 

ACTE XV

Affiches de Trigano sur les murs. Des cantonniers nettoient la pelouse. L’un d’eux brique la croix avec un balai. Les morceaux de Christ sont empilés contre le mur des WC. Roger apparaît avec sa guitare. Nanette entre en cours de chanson.

 

Scène première

Les cantonniers, Roger et Nanette

Roger —

Nanette passe et je m’en vais

Que voit-elle en moi cette nuit

Lentement elle revenait

J’étais sous la lune à demi

Un arbre cachait ma foison

Elle passait près de mon lit

Ne dis rien pas une chanson

Garde bien clos tes yeux rougis

La lune joue à sa façon

 

Les cantonniers —

La pluie aux carreaux je me souviens

La lune est en pluie sur le chemin

 

Roger —

Nanette passe au loin déjà

Fini le temps avec l’enfant

Le rêve enfin ailleurs s’en va

La nuit facile maintenant

Maintenant que nous commençons

À prendre encore un peu de temps

La nuit revient à sa façon

Certes rien n’est plus comme avant

Mais tu es là recommençons

 

Les cantonniers —

La pluie aux carreaux je me souviens

La lune est en pluie sur le chemin

 

Roger —

Quelle nuit facile à rêver

Fille du temps enfant de toi

L’attente encore à espérer

Le silence avait de la voix

Tu n’entendais pas mes chansons

Pourtant la nuit tu étais moi

La lune avait de ces façons

Et sur le carreau j’étais roi

Ce n’était pas une chanson

 

Les cantonniers —

La pluie aux carreaux je me souviens

La lune est en pluie sur le chemin

 

Roger —

Ces transparences qui reviennent

J’en ai plein les yeux j’ai rêvé

Dans la rosée ce sont les tiennes

L’avenir demain c’est l’été

Pas demain que nous commençons

Ce qui jamais n’est arrivé

Ces matins que nous possédons

Pour mieux revenir en été

La lune les prend sans façon

 

Les cantonniers —

La pluie aux carreaux je me souviens

La lune est en pluie sur le chemin

 

Roger —

Nanette passe et je reviens

Le jour soleil dans ses cheveux

Je m’éblouis et c’est demain

Le vent revient lui aussi de

Loin sans lendemain ni chanson

Mais c’est pourtant la vie à deux

Vent soleil lune à l’unisson

La nuit le jour ce n’est pas peu

Et je me tais à ma façon

 

Nanette —

Un carreau de lune en pluie là-bas

Je ne suis pas celle que tu crois

 

Roger disparaît. Les cantonniers suivent Nanette. Entrent La Présidente et Trigano.

 

Scène II

La Présidente, Trigano et la voix

La Présidente —

Marchant jambes écartées :

Suppliez-moi ! Suppliez-moi !

Trigano — Mais je vous supplie depuis plus d’une heure ! Je vous ai même offert mon corps !

La Présidente — C’est pas un corps que je veux, c’est une médaille !

Trigano — Je vous ai promis d’en parler en haut lieu…

La Présidente — Mais Sarkozy n’est plus président et en plus, il est mort.

Trigano — S’il est aussi mort que François Hollande, tout est mal fait ! Et je veux que tout soit bien fait comme je l’ai imaginé !

La Présidente — Il en faut pas beaucoup, de l’imagination, pour m’élever dans l’Ordre…

Trigano — Mais je n’y arrive pas ! Je n’y arriverai pas tant que vous ne m’aurez pas laissé entrer sous votre robe.

La Présidente — Si quelqu’un nous voyait !

Trigano — Entrons dans le musée. Ce sera vite fait. Vous soulevez la robe et je le tue pour de bon cette fois !

La Présidente — Comment s’en est-il sorti ?

Trigano — Mais il ne s’en est pas sorti ! Il est entre vos cuisses, bien au chaud. Avec cette odeur de merde…

La Présidente — C’est pas la mienne ! Je vous l’ai déjà dit ! Il est entré avec de la merde et il en sortira avec.

Trigano — Je vous le promets !

La Présidente — Je veux la médaille d’abord.

Trigano — Mais ça prendra du temps et pendant ce temps, on en élira un autre à l’Élysée et ce ne sera pas moi ! Jamais je n’ai été aussi près du but.

Rageur :

Mais comment est-il sorti des égouts et pourquoi s’est-il réfugié dans votre robe ?

La Présidente — Le goût de la justice…

Trigano — Vous l’avez aspiré pour me nuire ! Vous n’aurez pas votre promotion !

La Présidente — Il m’élèvera, lui, si je le sauve !

Trigano — Mais il ne veut pas sortir ! S’il avait envie d’être sauvé, il sortirait.

La Présidente — Et on aurait plein d’embêtements…

Trigano — Chut ! Vous allez lui donner des idées !

La Présidente — Et comment vous allez l’achever ? Vous allez mettre les mains dans la merde ? À votre âge !

Trigano — C’est Marette qui s’en chargera. Il est d’accord. En ce moment, il se prépare.

La Présidente — Marette entre mes cuisses ! Mais vous n’y pensez pas ! Il a le sida !

Trigano — Comment vous savez qu’il a le sida ?

La Présidente — Mais tous les voïvoïs ont le sida !

Trigano — Je suis voïvoï et je n’ai pas le sida…

La Présidente — Oui, mais vous, vous êtes pas voïvoï depuis longtemps…

Trigano — Marette est voïvoï depuis plus longtemps que moi ? Je croyais que c’était après ! Alors le discours qu’il m’a tenu sur son sacrifice n’était que du vent ! Il était déjà voïvoï et je ne le savais pas !

La Présidente — On peut pas lui faire confiance, vous voyez ! Et c’est lui qui va achever François Hollande pour que vous soyez président ? Vous voulez que je vous dise : elle est mal faite, votre campagne. Moi, je sais bien ce qu’il va faire là-dessous le Marette !

Trigano — Il a l’habitude… ?

La Présidente — C’est arrivé…. Et il fait pas ça bien… Enfin… comme j’aime… Tandis que François Hollande, c’est un plaisir. Un petit plaisir, mais alors… un plaisir… constant ! Et moi j’aime la constance ! Le plaisir sans interruption et une élévation au grade de Grrrrand Commandeur de la Légion d’honneur. Voilà ce qu’il m’offre, François, si je serre bien les cuisses et que je me bouche le nez !

Trigano —

Désespéré :

Évidemment… À côté, mon argent n’est pas grand-chose…

La Présidente — J’ai pas dit ça…

Trigano — Moi je vous ai entendu le dire… entre les mots.

La Présidente — Et bien vous avez mal entendu !

Trigano — Vous renonceriez au plaisir pour de l’argent ?

La Présidente — Pour de l’argent, que j’ai pas encore dit combien, et pour le grade de Grrrrand Commandeur…

Trigano — L’arrrgent, vous pouvez commencer à compter, mais Grrrand Commandeur, ça ne va pas être possible…

La Présidente — Tout est possible avec de l’argent !

Trigano — Il en faudrait beaucoup… parce que Grrrand Commandeur, ça n’existe pas. Les Grrrands, c’est Officier, Croix et Maître…

La Présidente — Vous l’avez dit dans l’ordre ?

Trigano — Officier, Croix et Maître…

La Présidente — Alors Maîtrrre !

Trigano — Pas possible ! Il n’y en aura qu’un et je serai celui-là !

La Présidente — Grrrande Maîtresse alors !

Trigano — Vous et moi… ? J’hésite…

La Présidente — Je renoncerai pas au plaisir que me donne François Hollande à moindre prix ! J’en veux pour mon argent !

Trigano — Mais c’est MON argent !

La Présidente — Maintenant c’est le mien !

Trigano — Le plaisir vous trouble l’esprit, ma chère !

Parlant à la robe :

François ! Arrêtez de lui sucer le clito !

La voix — En état de survie, c’est toujours ce que fais : je suce !

Trigano — Je vais entrer de force !

La Présidente — Au viol ! Au secours ! Au viol !

Trigano —

Main sur la bouche de la Présidente :

Voulez-vous bien vous taire !

Entre Marette.

 

Scène III

Les mêmes, Marette

Marette — Un viol ? Pas sans moi !

À Trigano :

Vous voulez pas profiter de mon expérience ?

La Présidente — Il veut entrer de force !

Marette — De la force, il va en manquer. C’est pour ça que je suis là.

La Présidente — Vous allez me violer ?

Marette —

Sortant un fusil de sa poche :

Je viole plus depuis longtemps ! Maintenant, je chasse.

La Présidente — Vous allez lui tirer dessus ?

Marette — Je garantis le tir sans effets collatéraux. Un coup suffira.

La Présidente — Je vous préviens, il est dans la merde.

Marette — Ouille ! François Hollande dans la merde ! Et vous le disiez pas ! C’est l’occasion ou jamais !

Trigano — Elle a raison. Vous prenez le risque de vous y mettre…

La Présidente — … et d’y rester !

Marette — Deux hommes entre les cuisses, ça vous fera de l’occupation ! Mais telle n’est pas la mission qu’on me confie. Je dois revenir avec le cadavre de François Hollande.

Trigano — Comme ça, je serai président et vous serez ma maîtresse…

La Présidente — Je n’ai pas dit ça !

Marette — Elle a dit l’argent… et un grade avec le mot Grrrand devant…

La Présidente — Mais je partage pas !

Marette — Il va bien falloir ! On est deux.

Trigano — Pas de dispute maintenant ! Vous vous disputerez après. C’est comme ça qu’on fait. On a toujours fait comme ça. Pourquoi changer maintenant que nous sommes tout près du but ?

Marette —

Réfléchissant :

Ya un truc qui me chiffonne là…

Trigano — On ne s’en sortira pas !

Marette — Mettons qu’elle devienne Grrrande-Maîtresse… Moi, ça me gêne pas… Vous faites ce que vous voulez avec votre queue… mais…

Trigano — Mais quoi !

Marette — Si je deviens Grand-Maître…

Trigano — Ce n’est pas possible. C’est moi le Grand-Maître. Alors…

Marette — Et quéce je deviens, moi ?

Trigano — Au mieux… Grand-Croix… Vous aimez les croix, non ?

Marette — J’en ai déjà plein ! Mais Croix, c’est en dessous de Maître ?

Trigano — Et bien oui ! Puisque je suis le Maître !

Marette — Et elle la Maîtresse ?

Trigano — Façon de parler…

La Présidente — Oh… Entre temps, je me serai nettoyé le cul. Là, je le nettoie pas, parce François est encore vivant, mais dès qu’il sera mort, je me nettoie le cul.

Trigano — Ce n’est pas la merde qui me gêne, mais le cul…

La Présidente — Vous y avez jamais touché ! Marette peut le dire, que c’est un cul digne d’être humain !

Marette — Il est pas pétainiste, mais c’est pas loin… Ce qui ne répond pas à ma question. Pour moi, il faudra un grade au-dessus de Maître.

Trigano — Ce n’est pas possible.

Marette — Tout est possible avec du pognon !

La Présidente — Je l’espère bien !

Trigano — Au-dessus de Grand-Maître, il y a Dieu !

Marette — Mais on est en République ! Hé bé qué ?

Trigano — On ne devient pas Dieu. On l’est ou on ne l’est pas…

Marette — J’ai pourtant une tendance à l’être… ce qui pourrait donner à penser que je le suis… en substance.

La Présidente — Mais il en est pas question ! Je veux bien être l’égal de Trigano, mais sans rien au-dessus de moi !

Trigano — Rien que Dieu…

Marette —

Remettant le fusil dans sa poche :

Alors je suis plus en mission !

Trigano —

À la Présidente :

Vous voyez ce que vous faites ! Maintenant, il est vexé.

Marette — Et quand je suis vexé, je change mon fusil d’épaule.

La Présidente — Vous l’avez mis dans la poche, votre fusil…

Marette — C’est comme ça que je fais quand je change d’épaule !

La Présidente —

Moqueuse :

Heureusement que vous avez deux poches !

Marette — Vous avez bien deux culs, vous !

Trigano — Elle a deux culs ! Ah ! Alors je comprends pourquoi François ne veut pas sortir ! Je ne sortirais pas, moi, dans ces conditions !

Marette —

Effrayé :

Deux culs ! Il va se battre, le François ! Moi je suis pas venu pour me battre ! Juste pour tuer ! Vous m’avez dit qu’il a le dos tourné, mais si ça se fait, c’est de face qu’il se met pour lui lécher le cul !

Trigano — J’ai beaucoup d’argent…

Marette — Et moi j’ai que deux couilles, dont une en verre, comme Le Pen !

La Présidente — Ça sert à rien une couille en verre…

Marette — Ça sert peut-être à rien, mais moi, ça me rappelle que j’en ai plus qu’une à mettre en jeu quand je suis obligé de jouer sans possibilité de viol ! Je joue plus !

Trigano — Vous ne voulez plus égaler Dieu ?

La Présidente — Et dépenser son argent ?

Trigano — Mon argent, non ! Celui que je vous donnerai si vous me ramenez le cadavre de François Hollande.

Marette — Je ramène plus rien ! Je vais boire un coup. Et peut-être que si ça me fait du bien, j’accomplirai cette mission sans m’en rendre compte.

Trigano —

Satisfait :

Comme d’habitude…

Marette sort. Entre Bousquet dans le costume tout rapiécé de la cigogne.

 

Scène IV

La Présidente, Trigano, Bousquet

Bousquet —

Il tâte l’excroissance de la robe de la Présidente :

Je vois que vous n’avez encore rien fait !

Trigano —

Obséquieux :

Je fais ce que je peux, maître !

La Présidente — Je suis pas pressée… Ah !... François, mon amour ! Tu vas me rendre folle !

Bousquet — François ! N’exagère pas ! On avait dit un peu ! Pas tout !

Trigano — Le François, quand il s’y met, c’est pour y aller jusqu’au bout !

Bousquet — Mais il n’ira nulle part sans moi ! Il a signé le pacte.

La Présidente — Je me rappelle plus avoir signé, mais vu les avantages… Ah !

Trigano — Maître, sans ce cadavre, je ne suis pas président… Et j’ai signé pour l’être… Une parole…

Bousquet — Les paroles s’envolent… les écrits…

Trigano —

Sortant le pacte de sa poche :

… restent ! Et c’est écrit : « En échange de son âme, Trigano sera président. »

La Présidente — Président de quoi ? Je suis présidente moi aussi. Et je sais de quoi.

Trigano — C’est évident de quoi ! De la République !

Bousquet —

Consultant l’écrit :

C’est pas écrit de quoi…

Trigano — Mais c’est évident…

Bousquet — Sans plus de précision…

Trigano — Je peux payer !

Bousquet — Mon maître ne joue pas avec ce type de fortune !

Trigano — Méphisto ! Tu m’as trahi !

La Présidente — Si vous savez pas de quoi vous allez être président, je me retire…

Bousquet — Pas avec MON François !

La Présidente — Mais il est bien là ! Moi aussi je suis bien !

Bousquet — Mais je veux que vous soyez mal ! Le mal ! Le mal ! Il n’y a que le mal qui compte ! Sinon le monde ne nous appartient plus !

La Présidente — J’en ai pas besoin, moi, du monde ! Une médaille, la retraite, une résidence secondaire et je suis bien. Même sans François…

Trigano — Mais ce monde va devenir insupportable si je ne suis pas président !

La Présidente — Mais président de quoi ?

Bousquet — C’est pas écrit. Et si c’est pas écrit…

Entre Roger.

 

Scène V

Les mêmes, Roger

Tous — Méphisto !

Roger — Je me marre !

Trigano — Maître, je suis président !

Roger — Pas encore. Il faut être élu. Nous lançons à peine la campagne.

Il écoute la robe de la Présidente.

Il se plaît là-dedans.

La Présidente — J’ai le sens de la justice…

Roger — Mais vous n’avez pas celui de la mesure.

Trigano — Marette ne veut plus le tuer.

La Présidente — Pourtant, il a le fusil…

Roger — Il n’a pas signé. Il fait ce qu’il veut.

Trigano — Mais il n’a pas le droit de faire ce qu’il veut. C’est moi qui fais ce que je veux. J’ai de l’argent pour payer. Méphisto !

Roger — Mais l’argent n’est plus la monnaie d’échange.

La Présidente — C’est quoi alors ? J’en veux, moi, de l’argent. Et me rapprocher de Dieu !

Bousquet — Mais sans François qui est à moi.

Entre Nanette en bikini sur un vélo. Marette cout après elle.

 

Scène VI

Les mêmes, Nanette, Marette

Tous —

Fair’ du vélo

Et aimer l’eau

C’est pas vraiment

Pour les amants

La bonn’ manière

D’ garder l’ secret

Et de r’jouer

La der des ders

 

Elle aimait l’eau

Et l’eau l’aimait

On la voyait

Dans l’eau nager

Sous le soleil

Et dans les coins

C’était pareil

Et sans témoins

 

À l’eau les corps

Ont des façons

D’avoir encore

Des bonn’ raisons

Dessous c’est beau

Ya des poissons

Et pas d’ raison

D’ pas aimer l’eau

 

Elle avait d’ l’eau

Jusqu’au menton

Pas jusqu’en haut

Mais sans façon

On la voyait

Nager avec

Des jolis mecs

Et ça payait

 

Pour se noyer

Chacun son tour

C’était toujours

Bien monnayé

Elle avait l’art

D’êtr’ pile à l’heure

Jamais d’ retard

Et du bonheur

 

D’ la joie en vrac

Les jours de foire

Et des vrais sacs

Dans le sautoir

Parlait beaucoup

Un peu de tout

Mais parlait vrai

Dans nos souliers

 

Savait chanter

Sans oublier

Que le plaisir

N’a pas d’oreille

On l’écoutait

Faut pas mollir

Surtout qu’ l’oseille

C’était du blé

 

Le blé gagné

L’oseill’ coupée

Ell’ savait faire

La différence

Et sans méfiance

Des gars pépères

Plongeaient dedans

Pas regardant

 

Mais le vélo

C’est pas c’ qu’il faut

Quand on a du

Grain en pagaille

On est foutu

Pour la semaille

Si le vélo

N’aime pas l’eau

 

Fair’ du vélo

Et aimer l’eau

C’est pas facile

À faire à deux

C’est face ou pile

Et entre deux

Elle s’en fout

Ell’ tient l’ bon bout

 

Dedans dehors

Sur le vélo

L’eau c’est pas l’eau

C’est l’eau encore

Ell’ sait bien si

C’est bien ainsi

Que le vélo

C’est pas dans l’eau

 

Pas dans l’eau que

Ça se pratique

Une gross’ queue

Une bonn’ trique

C’est que des mots

Mais en affaire

Un seul défaut

Et v’lan un père !

 

Nanette est enceinte ?

 

Roger —

Pour l’amour ya pas que du bon

C’est du fécal mais j’ai vu pire

La Franc’ c’est un ancien Empire

En pas mieux ça tourn’ pas bien rond

J’ mets du coton dans mes deux tiges

Pour pas effrayer les mémés

Dans l’ pays l’amour c’est du blé

Et pour les fouill’ c’est du vestige

 

Les oiseaux migrateurs

Naturels des chasseurs

Ça vient jamais de loin

En faits de société

C’est les meilleurs témoins      

De la porte à côté

 

Je tourn’ pas mal dans les coins vieux

Je fais du plat à des ménages

Tremper dedans ah ! j’ai pas l’âge

Mais c’est pourtant ce que j’ fais d’ mieux

Avec les pieds je suis adroit

Je fil’ vit’ quand c’est l’heur’ d’ filer

J’ai pas envie de m’ refiler

Des maladies qu’ j’ai pas gagnées

 

Les oiseaux migrateurs

Naturels des chasseurs

Ça vient jamais de loin

En faits de société

C’est les meilleurs témoins      

De la porte à côté

 

Pour subsister dans l’inconnu

Ya pas plus con qu’on bon taulard

Mais un taulard qu’a pas connu

Les taul’ en taul’ pas en peinard

Un taulard embauché au mois

Avec des prim’ en prim’ et tout

C’ qu’il faut pour pas crever des fois

Et arriver à l’heure au coup

 

Les oiseaux migrateurs

Naturels des chasseurs

Ça vient jamais de loin

En faits de société      

C’est les meilleurs témoins

De la porte à côté

 

Un mec facile à être heureux

Avec des ronds mais pas dans l’eau

Et dans la cuisin’ sur le feu

Un’ femme en vrai avec la peau

De l’apéro en face à face

Aux rendez-vous pris dans la nuit

Entre les gouttes ça se passe

J’ai l’ coup en or et pas d’ennuis

 

Les oiseaux migrateurs

Naturels des chasseurs

Ça vient jamais de loin

En faits de société

C’est les meilleurs témoins      

De la porte à côté

 

Bien sûr il arriv’ qu’ ça arrive

Ma chair témoign’ qu’ j’ai pas d’ fusil

Que je défends jamais ma vie

Et plus je cours plus vit’ j’arrive

J’ai des arrièr’ en pur béton

Pas des promess’ mais des façons

Si je m’ marie un jour de tuile

Ça s’ra en vrai pour faire utile

 

Les oiseaux migrateurs

Naturels des chasseurs

Ça vient jamais de loin

En faits de société

C’est les meilleurs témoins      

De la porte à côté

 

J’y pens’ tout l’ temps à la retraite

Faut bien qu’un jour et sans surprise

Avant qu’ ça saign’ faut qu’ ça s’arrête

Au dernier coup pas de méprise

J’ vivrais encore pas mal d’années

Avec le fric qu’ j’aurais piqué

À ces ronds-d’-cuir en peau d’enflé

Pour l’ paradis je travaill’rai !

 

Les oiseaux migrateurs

Naturels des chasseurs

Ça vient jamais de loin

En faits de société      

C’est les meilleurs témoins

De la porte à côté

 

La Présidente —

À Marette :

Nanette est enceinte de vos œuvres ?

Marette — De mes œuvres, je sais pas… Je me souviens même pas… J’en ai rêvé ! Ça oui !

Tous — Nanette ? De qui est cet enfant ?

Nanette — Je couche pas tout le temps avec des hommes capables d’en faire, mais j’ai ma petite idée…

Trigano — Moi, je ne suis plus capable… alors…

Marette — Moi non plus, mais j’en ai rêvé !

Bousquet — Moi j’ai pas le droit. Quand je fais des enfants, c’est des cigognes.

Marette — Tu as signé pour des cigognes ? Putain ! Il faut être amoureux ! Moi j’ai pas signé.

Roger — Pas encore….

Marette — Je signerai jamais ! Je crois en Dieu, moi !

Roger — Sans doute, mais Nanette attend un enfant.

Marette — Ça se fait pas en rêve, les enfants !

Trigano — Ça dépend lesquels… Si on s’occupait de François Hollande… Il doit s’emmerder là-dedans.

La Présidente — Moi, je m’occupe de personne. J’ai signé, mais j’ai rien à faire, alors je fais comme si vous étiez pas là. Ah ! Ah ! Ah ! Quel plaisir, mon François !

Marette — Quelqu’un veut un vélo ? Je sais plus quoi en faire.

Nanette — Du vélo, vous n’avez jamais su en faire, sauf sur la béquille.

Marette — Ne m’insultez pas le sexe, hé !

Trigano — Nous n’en avons plus les moyens…

La Présidente — Des moyens ! Il va bien falloir en trouver si vous voulez devenir président.

Trigano — Mais enfin… Vous mélangez tout ! François Hollande ! Le bébé de Nanette !

Marette — La présidence de la République… La pension alimentaire…

Nanette — Il serait bien temps de me demander mon avis !

Trigano et Marette — Mais on vous le demande pas !

Tous — Alors il est de qui cet enfant ? Tu vas nous le dire, Nanette ? Est-ce que tu le sais au moins ?

La Présidente — Il bouge plus…

Tous — Qui ?

La Présidente — François…

Trigano — Il est mort ! Je suis président !

Tous — Il écoute… Il nous écoute… Il est… Il est le père de l’enfant !

La Présidente — Il rebouge ! Il a une crise ! Ça fait pas mal, mais je saigne !

Nanette — Le mien aussi bouge ! C’est du sang !

Elles se tortillent toutes les deux dans l’herbe. Marette et Trigano tournent comme des fous. Roger rit et Bousquet danse. Jaillissements de merde.

Bousquet — Maître ! Marette nous échappe ! Il n’a pas signé !

Roger —

Riant :

C’est le diable en personne !

Il s’assoit, sort sa guitare et chante :

Elle revenait de l’usine

Avec des sous dans sa musette

Passant elle avait bonne mine

Des reflets d’or dans ses mirettes

Passant elle allait au marché

Droit au but elle allait si vite

Que dans la foule je mettais

Lâchement fin à ma poursuite

 

Nanette avait

Le cœur facile

Comme le fil

De sa chanson

Nanette aimait

Mais sans passion

 

Je l’avais encore perdue

Et je la retrouverais telle

Que je l’ai toujours reconnue

Avant de me perdre avec elle

Le temps n’a pas vraiment compté

Mais jamais je ne suis allé

Plus loin que la première rue

Et à midi je n’étais plus

 

Nanette avait

Le cœur facile

Comme le fil

De sa chanson

Nanette aimait

Mais sans passion

 

Cette femme est comme l’aubade

C’est le matin jusqu’à midi

Qu’elle existe et que je revis

Ses passages ses dérobades

Passée l’heure elle est en balade

Et je fermais ma porte au nez

Des masques et des mascarades

Que l’esprit en fête amenait

 

Nanette avait

Le cœur facile

Comme le fil

De sa chanson

Nanette aimait

Mais sans passion

 

Dehors le cœur cherche fortune

Sous les arbres sont des amants

Et elle est avec eux dansant

Sous les lampions peigneurs de lune

À ma fenêtre un papillon

Trace sur le carreau des signes

C’est du moins ce que j’imagine

Pour ne pas tuer la passion

 

Nanette avait

Le cœur facile

Comme le fil

De sa chanson

Nanette aimait

Mais sans passion

 

Pourquoi la nuit après le rêve

Cette douleur qui se dessine

Le vent détruit les héroïnes

Et le sommeil dessous se lève

Un très grand vent à la dérive

Emporte les ombres des feux

Il fallait qu’encore je vive

S’impatienter c’est merveilleux

 

Nanette avait

Le cœur facile

Comme le fil

De sa chanson

Nanette aimait

Mais sans passion

 

Qui suis-je et que n’est-elle pas

Le soleil descend sur l’usine

Et lentement elle s’en va

Avec l’or de ma cocaïne

À midi je serai l’amant

Pris en flagrant délit de fuite

L’esprit emporté par le vent

Comme ces feux follets sans suite

(court rideau)

De chaque côté de la croix, un tas de merde. Marette et Trigano déplacent les morceaux de la statue. La cigogne vole au-dessus d’eux, poussant des cris terribles.

 

Scène VII

Marette et Trigano, la cigogne

Marette — On va pas y arriver sans le plan !

Trigano — Il faudra bien pourtant !

Marette — J’ai pas signé, moi !

Trigano — Preuve que ça ne sert à rien de ne pas signer…

Marette — Oui, mais j’irai au Paradis !

Trigano — Après l’enfer, ça vous changera…

Marette — On y arrivera bien à la monter sur sa croix cette maudite statue !

Trigano — C’est le rocher de Sisyphe… Je ne serai jamais président… Condamné à errer à Mazères au pied de cette croix ! Ad vitam aeternam !

Marette — On y arrivera ! Ensuite, on reprend tout en main ! Palais ! Cigognes ! Musée ! Légion d’honneur ! Gendarmerie ! Tout redeviendra comme avant. Il l’a promis !

Trigano — Oh ! Les promesses de Méphisto… Après, il faudra nettoyer cette merde… Des tonnes de merde que ça doit peser !

Entre le Vét.

 

Scène VIII

Les mêmes, le Vét

Vét — Je peux vous donner un coup de main si vous voulez…

Trigano — On ne veut plus rien… Merci quand même.

Marette — Vous lisez pas le chinois ?

Trigano — C’est du suédois…

Vét — Pas besoin de plan ! Je fais ça à l’œil.

Marette — À l’œil, sans doute ! Mais au doigt ?

Il rit.

Je suis tellement mal que j’arrive à rire sans rien boire avant.

Trigano — On ne nous donne pas à boire…

Marette — Ni à manger…

Trigano — Vous avez signé, vous ?

Vét — Comme tout le monde.

Trigano — Marette n’a pas signé.

Vét — Quand on ne signe pas, on en chie la même chose, mais sans rien au bout.

Marette — C’est pas au bout qu’on le veut !

Trigano — On a passée l’âge ! Et je ne serai pas président.

Vét — Il faut pas trop demander non plus. Mais vous aurez droit à des plaisirs de votre âge, en attendant…

Trigano — En attendant quoi ?

Vét — Vous savez bien…

Marette — Moi, au moins, j’aurais peut-être rien au bout, mais j’irai pas ailleurs qu’au Paradis.

Trigano — C’est toujours ce qui se passe quand on ne signe pas.

Marette — Et j’ai pas signé !

Trigano — Moi, j’ai signé et je suis déjà en enfer !

Marette — Vous avez raté un épisode.

Au Vét :

Alors, ce coup de main, vous nous le donnez ou il faut prier ?

Trigano — À l’œil, parce que je n’ai plus d’argent…

Marette — Ça vous servira pas là où vous allez…

Trigano — Vous nous aiderez à nettoyer ces tas de merde après ?

Vét — Nous verrons… Commençons par les pieds… Un ou deux clous ?

(court rideau)

Le Christ est sur la croix. Mais sur chaque tas de merde, Marette et Trigano sont cloués bras en croix.

 

Scène IX

Marette et Trigano, la cigogne

Marette — Hou putain ! Ça fait mal ! Et ça donne soif !

Trigano — Dites à Bousquet de se taire et de cesser de voler !

Marette — Il m’écoutera pas ! Dans sa tête, il est maire de Mazères.

À la cigogne :

C’est dans deux ans les élections !

Entre le gosse.

 

Scène X

Les mêmes, le gosse

Gosse — Putain ! Ça sent pas la rose ! C’est qui le larron ?

Marette — C’est lui. Il a signé.

Trigano — J’ai signé, mais je ne suis pas un larron !

Marette — Qu’est-ce que tu veux, morveux ? C’est pas un spectacle pour les enfants ici.

Gosse — On m’envoie…

Marette — Et qui c’est qui t’envoie ? Depuis quand on envoie des gosses sur les champs de bataille ?

Trigano — Ce n’est pas vraiment un champ de bataille… À force de trafiquer les WC…

Marette — Bientôt, ils nous enverrons des femmes voilées.

Trigano — Pour ce qu’on en fera…

Gosse — Alors, c’est qui le larron ?

Marette — Qu’est-ce que tu lui veux au larron ?

Gosse —

Brandissant un bâton :

C’est pour lui mettre ça dans le cul !

Trigano — Ah ! Non ! Pas le cul ! Je suis déjà assez dans la merde comme ça !

Marette — Tu veux me sodomiser, sale petit morveux vendu à l’ennemi socialiste ?

Gosse — C’est toi le larron ?

Marette — Je te dis que c’est lui !

Gosse — C’est vous le larron ?

Trigano — Ça ne peut être que lui !

Gosse —

Se retournant :

Mais alors qui j’encule moi ?

Entre la Présidente.

 

Scène XI

Les mêmes, la Présidente

La Présidente — Mais je sais pas, moi, qui est le larron ? Je les ai jugés par contumace.

Marette et Trigano — Mais on était là au procès !

Trigano — Et personne ne nous a condamnés à être enculés !

La Présidente — La contumace, c’était après. Moi, on m’a dit : le larron…

Gosse — Et moi, on m’a dit : le larron.

La Présidente et le gosse — Mais si on ne nous dit pas qui est le larron…

Marette — … on n’encule personne et je vais au Paradis aujourd’hui même !

Trigano — Au Paradis, peut-être, mais avec un bâton dans le cul ! Ça c’est déjà vu !

Entre un gendarme à moto.

 

Scène XII

Les mêmes, un gendarme

Gendarme — J’ai une nomination pour la Légion d’honneur !

Tous — Moi ! Moi ! Moi !

Entre toute la troupe.

 

Scène XIII

Tous

Tous —

C’est pas d’ l’honneur c’est du mérite

C’est pas du fion mais faut fair’ vite !

 

En France on a l’ sens de l’honneur

Ça met à l’abri des critiques

Les noms d’oiseau sans la musique

C’est comm’ le cul mais sans l’odeur

Or nous c’ qu’on préfèr’ c’est l’odeur

Pour le cul on est pas des forts

Pas forts en thèm’ ni en effort

Mais pour morfler on est à l’heure

 

C’est pas d’ l’honneur c’est du mérite

C’est pas du fion mais faut fair’ vite !

 

À quoi serviraient les culottes

Dans un pays qui va pas sans

En France on a pas que des potes

Quand on en a c’est pour longtemps

Sur les genoux ou aux chevilles

C’est un sign’ qu’on a l’ gabarit

Pour fair’ partie de la famille

Et s’ faire enculer sans un cri

 

C’est pas d’ l’honneur c’est du mérite

C’est pas du fion mais faut fair’ vite !

 

Au bureau et dans les chaumières

On a le sens de la mission

La hiérarchie c’est not’ passion

Et quand on monte on est derrière

Si ça descend c’est pour not’ bien

On peut même tout enlever

Il est pas interdit d’ rêver

On nous en donne les moyens

 

C’est pas d’ l’honneur c’est du mérite

C’est pas du fion mais faut fair’ vite !

 

Nous on trahit jamais personne

C’ qu’on fait c’est fait pour avancer

Et on avance à la fessée

Avec le drapeau qui rayonne

On est des mecs très éclairés

Et des gonzess’ aux seins plaqués

Avec la lumière et de l’or

On se sent bien et sans efforts

 

C’est pas d’ l’honneur c’est du mérite

C’est pas du fion mais faut fair’ vite !

 

Braquer des banqu’ c’est pas joli

Ça appauvrit ceux qui en ont

Et ça nous rend méchant aussi

Parc’ que c’est eux qu’ont le pognon

Faut pas êtr’ con si on veut pas

Finir avec les dents en moins

À caus’ des os dans le rata

Pour vivre vieux on est au point

 

C’est pas d’ l’honneur c’est du mérite

C’est pas du fion mais faut fair’ vite !

 

La mort ça fait mauvais effet

Sans un’ médaill’ bien astiquée

Avec la croix et un sourire

Ya pas mieux pour bien agonir

Dessous la terre on est encore

Un souvenir pour les suivants

Surtout qu’on a donné not’ corps

À l’État pour fair’ des enfants

 

C’est pas d’ l’honneur c’est des enfants

C’est fait pour mourir en chantant !

(rideau)

 

 

 

ACTE XVI

Avant le lever de rideau, rumeur et bris, explosions. Même décor. Des jeunes encagoulés jettent des bouteilles contre la façade de la mairie. Odeur de merde. Tous les murs sont couverts, ainsi que le sol. Côté cour, un panneau « Musée » est barré et on lit le mot graphé « WC ». Roger est à l’abri sur le toit, guitare en main. Il en joue, mais on ne l’entend pas.

 

Scène première

Roger, chœur des jeunes

Jeunes —

Habillés en chasseurs.

Ya pas d’ jeunesse sans un vieux con

Pour jouer l’ rôl’ du Maréchal

À table et aux petits oignons

Il en faut un bien animal

C’est un mec mitonné au fion

Un larbin qui a tout donné

Et qui reçoit à l’heur’ du thé

Le droit de donner des leçons

 

On vivra vieux sans combat

Pour la trompette on verra

Au derrière ou dans le tas

Mais vivant on s’ la mettra

Ya pas d’ raisons que papa

Mett’ son nez de grand-papa

Avec des mea-culpa

Et des ne-m’oubliez-pas

Foire aux poilus

Yen aura plus !

 

Ya pas de sport sans un bon verre

Et pas de verre sans quelque chose

À se mettre dans le derrière

Des fois qu’on gagne pour la cause

Sur le terrain on court après

Un idéal que c’est trognon

Ya bien aussi un peu d’ pognon

Mais pas trop faut rester soutier

 

On vivra vieux sans combat

Pour la trompette on verra

Au derrière ou dans le tas

Mais vivant on s’ la mettra

Ya pas d’ raisons que papa

Mett’ son nez de grand-papa

Avec des mea-culpa

Et des ne-m’oubliez-pas

Foire aux poilus

Yen aura plus !

 

La question des générations

Avec le Préfet c’est réglé

De la mémoire et d’ la passion

Avec au cul des coups de pied

Ça rend la jeunesse associée

Au drapeau qui a des couleurs

Sous l’effet des grands médaillés

Qui sont pas morts ah ! Quel bonheur !

 

On vivra vieux sans combat

Pour la trompette on verra

Au derrière ou dans le tas

Mais vivant on s’ la mettra

Ya pas d’ raisons que papa

Mett’ son nez de grand-papa

Avec des mea-culpa

Et des ne-m’oubliez-pas

Foire aux poilus

Yen aura plus !

 

Mais les héros c’est tous des morts

Zont pas eu l’ temps de faire part

D’ leurs impressions de fair’-valoir

Yen a mêm’ qui se batt’ encore

Sans conciliation des époques

Les morts ça sent trop la pétoire

Surtout qu’on est en pays d’Oc

Que Paris c’est pas notre Histoire

 

On vivra vieux sans combat

Pour la trompette on verra

Au derrière ou dans le tas

Mais vivant on s’ la mettra

Ya pas d’ raisons que papa

Mett’ son nez de grand-papa

Avec des mea-culpa

Et des ne-m’oubliez-pas

Foire aux poilus

Yen aura plus !

 

Ceux qui sont revenus sans gloire

Avec un’ médaille ou des signes

Que rien n’ va plus s’lon la consigne

On a du mal à se les croire

Devant le monument aux morts

Zont plutôt l’air de raconter

Les détails d’ la publicité

Que l’État les a mis d’accord

 

On vivra vieux sans combat

Pour la trompette on verra

Au derrière ou dans le tas

Mais vivant on s’ la mettra

Ya pas d’ raisons que papa

Mett’ son nez de grand-papa

Avec des mea-culpa

Et des ne-m’oubliez-pas

Foire aux poilus

Yen aura plus !

 

Suffit pas d’avoir un bon cul

Travaillé au sifflet du train

Pour savoir donner des coups d’ rein

Et convaincre les convaincus

Ya pas d’ pitié ya qu’ du chagrin

Des histoir’ qui nous appartiennent

Et comme on veut pas comm’ ça vient

Ya pas d’ conciliation qui tienne

 

On vivra vieux sans combat

Pour la trompette on verra

Au derrière ou dans le tas

Mais vivant on s’ la mettra

Ya pas d’ raisons que papa

Mett’ son nez de grand-papa

Avec des mea-culpa

Et des ne-m’oubliez-pas

Foire aux poilus

Yen aura plus !

 

Dans les cahiers qu’on met au feu

Ya pas qu’ Ferry et Coubertin

Pas que Carrel et c’ vieux Pétain

Ya aussi ce qu’on fait de mieux

C’est l’ Molotov de notre jeunesse

Pour en finir avec le feu

Et tant pis si notre maîtresse

N’est pas encore entrée en jeu !

 

On mourra mieux sans histoire

Philosoph’ dans le boudoir

Sans drapeau et sans mémoire

Et sans médaille en sautoir

Foire aux larbins

C’est pas demain !

 

Tous au Domaine ! Sus aux oiseaux !

Ils sortent dans un grand bruit de cris et de bris. Dans la merde apparaissent les têtes puis les corps de François Hollande et de Nicolas Sarkozy.

 

Scène II

Roger, Hollande et Sarkozy

Hollande — Heureusement qu’on a le pouvoir de vivre dans la merde sans avoir besoin de respirer !

Sarkozy — Mais je respire, moi ! À Droite, on n’a jamais cessé de respirer. Même que j’en ai mangé et ça me donne mauvaise haleine.

Hollande — Je respire pas, mais je sens. Ça sent partout la merde ici.

Sarkozy — On s’est bien fait avoir ! Tout ça parce qu’on a besoin de fric pour exister… politiquement…

Hollande — Je n’ai pas eu besoin de ce fric !

Sarkozy — Oh ! Bien sûr… Vous êtes amoureux.

Hollande — Mais ce n’est pas moi ! C’est lui ! J’étais venu pour autre chose. Il m’est tombé dessus comme une mouche sur…

Sarkozy — Vous n’auriez pas dû utiliser ces WC. Maintenant, on est dans la merde et la France n’a plus de président. C’est grave pour le reste du monde.

Hollande — Que va-t-il se passer sans nous ? Les jeunes sont en colère.

Sarkozy — Ils ne cassent rien, mais alors qu’est-ce qu’ils foutent comme merde !

Hollande — Je n’en avais jamais vu autant !

Sarkozy — Moi, je la voyais, mais Carla sent bon.

Hollande — Parce que vous croyez qu’elle sent bon maintenant que vous n’êtes plus là pour ramasser la merde !

Sarkozy — Je ne voulais pas devenir ramasseur de merde ! Je voulais… je voulais…

Hollande — … être riche et rien ramasser…

Sarkozy — … qu’il y ait toujours quelqu’un pour ramasser…

Mimant :

Oh ! C’est tombé !

Hollande —

Même jeu.

Je fais celui qui ramasse, pour montrer au gens comment c’est.

Sarkozy — Vous le faites bien… Je ne sais pas si je pourrais…

Hollande — Mais si ! Essayez !

Il montre.

Ce n’est pas difficile. À Gauche, on fait ça depuis longtemps. Hop ! À la poche ! Vous n’avez pas de poche ?

Sarkozy — Elle était déjà pleine quand je suis arrivé. C’est pas pratique les poches. Il faudra inventer quelque chose. J’ai un tas d’amis qui inventent des trucs pour ramasser tout ce qui traîne.

Hollande — Oh ! Moi aussi j’en ai ! Et ils ramassent très bien ! Soyons réalistes. On ne fait pas de politique sans donner la primeur de l’embauche aux ramasseurs de merde.

Sarkozy — Et il faut des jeunes pour en mettre partout. Sans les jeunes…

Hollande — Les vieux aussi ça en met de la merde…

Sarkozy — Mais c’est pas la même…

Hollande — Ça sent pareil…

Sarkozy — Heureusement qu’on a les moyens de vivre dedans sans avoir besoin d’une femme à nos côtés.

Hollande — Enfin… Là, je respire. Et vous ?

Sarkozy — On ne nous laissera pas tranquilles. Profitons-en pour faire connaissance.

Hollande — On n’en a pas eu l’occasion là-dessous. Vous avez reconnu tout le monde ?

Sarkozy — Il y avait des étrangers, mais je les connaissais. Je connais le moindre détail.

Hollande — Vous en avez de la chance ! Moi, j’ai serré des mains sans papier…

Sarkozy — Sans papier !

Hollande — Je vous assure que je n’avais pas de papier ! Ça m’arrive souvent.

Sarkozy — C’est comme le vélo sans les mains. Il faut veiller au grain chaque fois qu’on a quelque chose dans le cul… une selle… Bousquet…

Un vélo sort lentement de la merde qui couvre le gazon.

Hollande — Mais je n’avais pas Bousquet dans le cul ! C’est moi qui… que…

Sarkozy — C’est vous l’homme.

Hollande — Je n’ai rien demandé. Si j’avais su…

Sarkozy — Femme c’est bien aussi. Mais on n’a pas le choix. Si on l’avait…

Hollande — Ce n’est pas un choix…

Sarkozy — Vous ne choisiriez pas si l’occasion vous était donnée de choisir ?

Hollande — Homme ou femme ! Femme ou homme ! Moi, je voulais rester un petit enfant. Des jouets en pagaille et pas de guerre dehors !

Sarkozy — Vous rêvez. Il faut vous réveiller.

Hollande — Pas facile avec cette merde ! Vous avez vu le vélo ?

Sarkozy — Le vélo ? Qué vélo ?

Hollande — Là ! Un vélo ! Il sort de la merde. Comme nous.

Sarkozy — Ça ne peut être que temporaire. De qui s’agit-il ? Car je suppose qu’il y a quelqu’un dessus… Non… personne…

Hollande — Il faut en avoir de la volonté pour se foutre dans la merde quand on est un vélo ! Et c’est valable pour tous les objets de notre fabrication.

Sarkozy — Je comprends que dans une telle situation vous ressentiez le besoin de faire de la philosophie, mais enfin, François ! Les objets ne se mettent pas dans la merde tout seuls ! Il faut les y mettre. Je ne m’intéresse pas aux vélos. Sauf quand je monte dessus.

Hollande — Moi non plus je ne m’intéresse pas aux Bousquet, sauf quand je… Mais Bousquet n’est pas un objet !

Sarkozy — C’est la première fois que je vois un vélo faire ça tout seul ! Il y a un truc !

Hollande — Avec Bousquet, il n’y a pas de truc !

Sarkozy — Mais Bousquet n’est pas un objet !

Hollande — Il aime la merde pourtant…

Sarkozy — Revenons à nos moutons !

La Présidente se détache du mur, couverte d’une merde épaisse et collante.

 

Scène III

Les mêmes, la Présidente

La Présidente — Qui m’appelle ? De quels moutons s’agit-il ? Quelle est la perspective d’avancement ?

Hollande — Vous vous cachiez vous aussi ! On ne vous cherchait plus.

La Présidente — Je me cachais pas ! Ils m’ont prise pour cible, moi, leur Prrrésidente !

Hollande — Ah ! Non ! Le président, c’est moi. C’est encorrrre moi.

Sarkozy — C’est peut-être les élections, cette merde…

Hollande — Mais je ne suis pas mort !

Sarkozy — Prouvez-le. Ils vous demanderont des preuves. Dans cette merde, des preuves !

La Présidente — J’en ai pas besoin, moi, des preuves. J’ai mon intime conviction !

Hollande — Ça ne vous rend pas plus intelligente.

Sarkozy — Si les magistrats étaient intelligents, comme vous dites…

La Présidente — Dites-le ! Dites-le !

Sarkozy — On ne serait pas dans la merde !

La Présidente — Mais vous y êtes né, dans la merde ! Vous n’avez rien connu d’autre. Tandis que moi, je m’y suis foutue. Et toute seule encore !

Hollande — Mais où trouvent-t-ils toute cette merde ? Ils sont jeunes. Qu’ils en trouvent un peu ici ou là, je comprends… mais là, c’est beaucoup plus qu’il en peut entrer dans le cerveau d’un adolescent.

Sarkozy — Moi je ne peux pas vous renseigner, j’ai toujours vécu dedans, comme dit madame la Présidente. Il m’a toujours suffit de me baisser…

Hollande — … pour regarder les autres ramasser ! N’oubliez pas que vous avez été président. C’est les autres qui ramassent...

Désignant la Présidente :

Comme cette… ce…

La dévisageant :

Vous êtes un homme ou une femme ?

La Présidente — Vous oubliez le vélo…

Sarkozy — Moi je dirais un homme… mais elle a une fille…

Jeu.

Avec des genoux !

Hollande —

Reniflant :

Elle sent la femme… Elle a une odeur de pipi…

Sarkozy — Vous avez du nez…

La Présidente — Vous oubliez le vélo !

Hollande — Moi, depuis que j’encule Bousquet, j’hésite…

Sarkozy — Je n’encule plus personne depuis que j’ai démissionné.

Hollande — On vous trouvera de l’occupation si vous n’en demandez pas trop… C’est une femme !

La Présidente — Et ça c’est un vélo !

Hollande — Pour le pipi, ça vient de là…

Il plonge son doigt.

Mais pour la merde…

La Présidente — Un vélo, ça ne bouge pas tout seul !

Sarkozy — Le prochain président doit être pleinement conscient de l’origine de la merde dans laquelle on nous force à travailler…

Hollande — Je n’ai pas l’impression de travailler. Mais je ne m’amuse pas non plus…

Sarkozy — Sauf avec Bousquet…

Hollande — Vous n’avez jamais été poursuivi par un obsédé…

La Présidente — Oh ! Il est amoureux de vous. Je me demande si ce vélo…

Hollande — Pour être une femme, c’est une femme ! Ambitieuse et sans scrupules ! Avec un vernis composé de morale à deux sous et de reconnaissances achetées… je ne dis pas comment… !

Sarkozy — Un bon élément… Moi, je redeviendrais bien président pour l’avoir encore sous mes ordres. Malgré l’odeur…

Hollande — Le pipi… Mais elle est couverte de merde…

La Présidente — C’est les jeunes ! Ils m’ont prise pour cible… comme des Peaux-Rouges criards !

Hollande — Et ça vous a pas fait mal ?

La Présidente — Ça fait pas mal, la merde !

Sarkozy — C’est mou. Et même s’il y a quelque chose dedans, on ne sent rien…

Hollande — Et oui on sent !

Il ramasse un culot de bouteille.

On sent quand la merde est contenue dans des bouteilles !

Il tape le front de la Présidente avec le culot de bouteille.

La Présidente — Vous allez me faire mal !

Hollande — Vous voyez que ça fait mal !

Sarkozy — J’ai failli m’en prendre une à Pamiers pendant la campagne.

La Présidente — Mais vous l’avez pas reçue ! Vous pouvez pas savoir à quel point ça fait mal !

Hollande — Elle a eu mal maintenant ! Elle veut nous faire croire qu’elle a eu mal !

La Présidente — Oui, j’ai eu mal !

Hollande — Et vous avez eu mal où ? On peut le savoir ?

Sarkozy — Si c’est intime…

La Présidente — Justement c’est intime !

Hollande — Comme par hasard ! Madame reçoit de la merde en pleine figure et déclare devant le peuple que son nez est une partie intime de sa composition ! Mais elle se fout de nous !

Sarkozy —

Conciliant :

Ce n’est pas intime, le nez, madame…

La Présidente — Ça dépend où on l’a… C’est comme le cœur.

Sarkozy — Ne me dites pas…

Hollande — Elle a le nez au milieu du cul maintenant ! On aura tout vu !

La Présidente — Et bien vous le verrez pas !

Sarkozy — Elle a raison. C’est intime…

Hollande — Ce serait intime si elle n’avait pas le cul à la place du visage !

Sarkozy — En effet… Dans ce cas, madame…

La Présidente — Un texte ! J’exige un texte ! Vous en connaissez, vous, un texte qui oblige un magistrat à montrer son cul si la nature a voulu que c’est sa gueule ? En Amérique, peut-être, mais pas ici !

Hollande — Je suis encore président. Je peux me passer de texte. Montrez-moi ce cul !

Sarkozy — Bousquet lui a donné le goût de ces choses… vous savez… par derrière…

La Présidente — Mais c’est pas une raison ! Je montrerai pas mon cul !

Hollande — C’est pourtant ce que vous allez montrer !

La Présidente — Il faudra me violer !

Hollande — Bon, d’accord. J’appelle Marette.

La Présidente —

Se jetant à genou :

Non ! Pitié ! Je veux bien être violée, mais uniquement par un homme.

Sarkozy — Mais Marette est un homme ! Il vous violera très bien.

Hollande — Il a l’expérience…

La Présidente — Ce système allusif me met hors de moi ! Je vous condamne…

Hollande — Vous ne condamnerez plus personne avant d’avoir montré votre cul.

Sarkozy — C’est pas pour l’esthétique…

La Présidente — Mais vous le connaissez mon cul !

Hollande et Sarkozy — Mais on l’a vu que dans le noir !

La Présidente — Ça devrait vous suffire !

Hollande et Sarkozy —

Hurlant :

Marette ! Marette !

La Présidente se met sur le dos et lève ses jambes.

La Présidente — Vous me promettez de pas regarder ?

Hollande et Sarkozy — Et on fera quoi si on regarde pas ?

La Présidente — Je sais pas, moi… Vous pouvez toucher…

Hollande et Sarkozy — On a déjà touché…

La Présidente — Et bien retouchez !

Hollande et Sarkozy — Mais on veut rien changer ! On veut juste voir…

Hollande — Vérifier…

Sarkozy — Voir si, par hasard…

Hollande — On n’aurait pas raison.

La Présidente — Mais raison de quoi ? C’est un cul comme les autres…

Hollande — Sauf qu’il est plein de merde.

Sarkozy — Avec une goutte de pipi…

Hollande —

Rêveur :

Comme Bousquet…

La Présidente — Mais je suis pas un homme ! On regarde pas mon cul comme ça !

Elle referme ses jambes.

Demandez à ce… Bousquet de vous montrer comment c’est fait un cul.

Hollande — Mais on sait très bien comment c’est fait !

Sarkozy — C’est le vôtre qu’on veut voir…

La Présidente — Et bien moi je veux pas ! J’ai ma pudeur !

Sarkozy — On n’y touchera pas, promis !

La Présidente — Les promesses d’un président !

Hollande — Ex président… Le président, c’est moi.

La Présidente — Moi aussi je suis présidente. Et je vous demande pas de me montrer votre cul.

Se reprenant :

Je n’oserais pas…

Hollande et Sarkozy — Et bien nous, on ose ! Sinon on appelle Marette…

Hollande — Et alors là…

La Présidente fond en larmes.

La Présidente — C’est pas moi ! Je le jure !

Sarkozy — De quoi parle-t-elle… ?

Hollande — Je sais, moi, de quoi elle parle.

Sarkozy — Si je ne suis pas dans le secret…

Hollande — Mais ce n’est pas un secret !

Il se dresse et gonfle la poitrine.

Toute cette merde…

Redoublement des pleurs de la Présidente. Roger joue.

La Présidente —

Ça sent la merd’ mais c’est pas moi

Je fais carrièr’ dans la Justice

J’ suis comm’ qui dirait aux abois

Mais à l’État je rends service

La Nation c’est pas mon problème

J’ai qu’un maître et il me pay’ bien

En plus il me donn’ les moyens

De fair’ c’ que j’ fais comm’ c’est que j’aime

 

J’ fais pas l’amour

J’use mes petits souliers

Sur l’ trottoir du Palais

Ah ! les beaux jours

Du plaisir j’en ai pas

Mais je fais du dada

Comm’ les bourgeois !

 

Les médaill’ c’est automatique

Bien plus qu’ailleurs dans la maison

Faut dire que chaqu’ fois nous savons

Donner des l’çons pédagogiques

C’est pas les occasions qui manquent

De profiter que les humains

N’ont pas la chanc’ d’avoir deux mains

Pour remplacer ceux qu’ont la planque

 

J’ fais pas l’amour

J’use mes petits souliers

Sur l’ trottoir du Palais

Ah ! les beaux jours

Du plaisir j’en ai pas

Mais je fais du dada

Comm’ les bourgeois !

 

Faut limiter la liberté

S’ différencier des bons à rien

Faut pas qu’ils croiv’ ces citoyens

Qu’on est des frèr’ en société

Yen a qui trim’ et nous on gagne

On nous déguis’ mais on s’en fout

Hauts en couleurs on est les fous

Mais le palais c’est pas le bagne

 

J’ fais pas l’amour

J’use mes petits souliers

Sur l’ trottoir du Palais

Ah ! les beaux jours

Du plaisir j’en ai pas

Mais je fais du dada

Comm’ les bourgeois !

 

Certes on a pas de capital

Mais on épargn’ ce qu’on a pas

Car les larbins c’est fait pour ça

On perpétue dans le royal

Dans l’ démocratique on est bon

On fait des parts propriétaires

Des nationalités au con

Et des cons qui feront la guerre

 

J’ fais pas l’amour

J’use mes petits souliers

Sur l’ trottoir du Palais

Ah ! les beaux jours

Du plaisir j’en ai pas

Mais je fais du dada

Comm’ les bourgeois !

 

On n’a donné que la chemise

Et on nous rend du mill’ pour cent

À poil on a l’air dans la mouise

Et la parole à deux tranchants

Mais ya pas de douleur exquise

Quand c’est dans la déloyauté

Qu’on est fidèle à des idées

Qui justifient le négrier

 

J’ fais pas l’amour

J’use mes petits souliers

Sur l’ trottoir du Palais

Ah ! les beaux jours

Du plaisir j’en ai pas

Mais je fais du dada

Comm’ les bourgeois !

 

Je pue mais je sens bon aussi

J’ai une idée qu’elle est sociale

Ça dépend d’ quoi mais d’ qui je suis

Chacun sa plac’ patrimoniale

Du civil au phénoménal

Je trahis la philosophie

Et de la pensée au pénal

Je vends mon cul avec envie

 

J’ fais pas l’amour

J’use mes petits souliers

Sur l’ trottoir du Palais

Ah ! les beaux jours

Du plaisir j’en ai pas

Mais je fais du dada

Comm’ les bourgeois !

 

J’ai des enfants faits sur le tas

Faut leur expliquer que maman

Quand elle explique elle est pas là

Elle est aux chiott’ avec les grands

Mais que c’est le prix à payer

Qu’avec maman on est monté

Dans la reconnaissanc’ du bide

Et que papa est un caïd

 

J’ fais pas l’amour

J’use mes petits souliers

Sur l’ trottoir du Palais

Ah ! les beaux jours

Du plaisir j’en ai pas

Mais je fais du dada

Comm’ les bourgeois !

 

Menaçante :

 

Mon homme est un sacré costaud

Il a de quoi fair’ le trottoir

Il est coriace et sans défaut

Et la rigole est son miroir

En plus il ressemble à Jésus

Sauf que la croix c’est du bidon

Avec au milieu pas déçu

Mon nombril fidèle au charbon

 

Entre Marette avec sur son dos le Préfet.

 

Scène IV

Les mêmes, Marette, le Préfet

Préfet —

Ya des métiers que c’en est pas

Tu fabriqu’ rien et tu donn’ pas

Tu t’ mets jamais le truc en quat’

Pour la main c’est pas de la patte

Tu fais des chos’ sans le pouvoir

Comme à l’écol’ c’est des devoirs

Ouvre-les bien sur le dada

Pour tout l’ monde il y en aura pas

 

À dada sur mon préfet

Exercic’ de la mémoire

Et révision de l’Histoire

Nos culs dans le mêm’ bidet !

On est pas des pétainistes

Mais on a des goûts bizarres

Pour la colo humaniste

Et la négation des Arts !

Ça fait mal mais faut fair’ risette

Si t’as d’ l’esprit ferme ta gueule

Cherch’ pas à t’ faire s’couer les meules

Ya pas d’ raisons que ça s’arrête

Pour les promess’ ils les tiendront

T’auras ton droit à la retraite

Te fais pas d’ soucis pour les ronds

Ni pour les soins des castagnettes

 

À dada sur mon préfet

Exercic’ de la mémoire

Et révision de l’Histoire

Nos culs dans le mêm’ bidet !

On est pas des pétainistes

Mais on a des goûts bizarres

Pour la colo humaniste

Et la négation des Arts !

 

Ya pas mieux comme occupation

Ça prend le temps qu’ c’est nécessaire

Surtout te pos’ pas des questions

Question horair’ c’est du pépère

Faut dire aussi qu’en cas de guerre

T’auras l’ droit de collaborer

Après la guerr’ pour épurer

Tu s’ras convoqué le premier

 

À dada sur mon préfet

Exercic’ de la mémoire

Et révision de l’Histoire

Nos culs dans le mêm’ bidet !

On est pas des pétainistes

Mais on a des goûts bizarres

Pour la colo humaniste

Et la négation des Arts !

 

Servir l’État pour rien branler

Et palper des vacanc’ au frais

Ya pas mieux question de rêver

À un’ vie où tout est réglé

Avec un’ médaill’ c’est pas rien

On te la fourgue au trou de balle

Si tu salues ça fait pas mal

Même que des fois ça fait du bien

 

À dada sur mon préfet

Exercic’ de la mémoire

Et révision de l’Histoire

Nos culs dans le mêm’ bidet !

On est pas des pétainistes

Mais on a des goûts bizarres

Pour la colo humaniste

Et la négation des Arts !

 

Pendant qu’ les aut’ se font du mal

À travailler pour le bien d’ tous

Toi peinard tu te la coul’ douce

Dans la risette et le fécal

Donner son cul mais pas gratos

Ça vaut l’ coup d’essayer la chose

Surtout que c’est des bons nonosses

À rousiquer pour la bonn’ cause

 

À dada sur mon préfet

Exercic’ de la mémoire

Et révision de l’Histoire

Nos culs dans le mêm’ bidet !

On est pas des pétainistes

Mais on a des goûts bizarres

Pour la colo humaniste

Et la négation des Arts !

 

Faut soigner les générations

Avec du pèze et du concret

C’est pas pour rien que j’ suis préfet

J’ crois en Jésus et au pognon

Maréchal nous voilà encore

Mais cett’ fois sans les Allemands

Promis y aura pas autant d’ morts

Mais ça va mater les vivants

 

À dada sur mon préfet

Exercic’ de la mémoire

Et révision de l’Histoire

Nos culs dans le mêm’ bidet !

On est pas des pétainistes

Mais on a des goûts bizarres

Pour la colo humaniste

Et la négation des Arts !

 

Pour l’exécution des travaux

La stratégie est enfin prête

On a sous la main des héros

Des vrais des faux et mêm’ des bêtes

Nous sommes moi et la Préfète

Prêts à donner le coup d’envoi

J’ai donné l’ sifflet à Marette

Pour siffler Marette est le roi

 

Marette siffle un verre.

Tous —

À dada sur mon préfet

Exercic’ de la mémoire

Et révision de l’Histoire

Nos culs dans le mêm’ bidet !

On est pas des pétainistes

Mais on a des goûts bizarres

Pour la colo humaniste

Et la négation des Arts !

 

Marette — Mais qu’est-ce que c’est que cette merde ?

La Présidente — C’est les jeunes ! Les cocktails Molotov !

Marette débouche une bouteille.

Marette — Pas d’essence… pas d’alcool… rien que de la merde…

La Présidente — C’est les jeunes !

Hollande — Ils lui envoient une bouteille en plein dans la gueule et ça ne laisse pas de trace ? Vous ne trouvez pas ça étrange, vous ?

Marette — Il a raison… Moi, ça me laisse toujours une trace. Surtout sur les photos…

La Présidente — Mais c’est pas de l’alcool !

Elle explique :

Quand la bouteille contient de la merde, on peut la recevoir en pleine gueule sans rien sentir !

Hollande et Sarkozy — Et ça ne laisse pas de traces ? Mon œil ouais !

Préfet — La trace est indépendante du contenu…

Marette — Le contenu laisse pas des traces… il influence le comportement. Si c’est de l’essence, on court. Si c’est à boire, on boit. Et si c’est de la merde…

Préfet — On torche. C’est ça le boulot de préfet.

Marette — Et de maire. Le maire étant un préfet à la dimension de la ville.

Préfet — Ou mejor dicho : le préfet est un surpermaire ! C’est pour ça que je suis monté sur son dos.

Marette — On s’explique des fois que vous croyez qu’on fait autre chose…

La Présidente — Du dada…

 

J’ fais pas l’amour

J’use mes petits souliers

Sur l’ trottoir du Palais

Ah ! les beaux jours

Du plaisir j’en ai pas

Mais je fais du dada

Comm’ les bourgeois !

 

Préfet —

À dada sur mon préfet

Exercic’ de la mémoire

Et révision de l’Histoire

Nos culs dans le mêm’ bidet !

On est pas des pétainistes

Mais on a des goûts bizarres

Pour la colo humaniste

Et la négation des Arts !

 

Hollande et Sarkozy — Et donc on en était à se demander d’où vient toute cette merde.

La Présidente — C’est les jeunes ! Les cocktails Molotov !

Hollande et Sarkozy — C’est une explication insuffisante !

Préfet — J’aimerais bien qu’on m’explique…

Marette — Moi, je demande rien. J’ai rien compris d’avance !

La Présidente — C’est le vélo ! Vous le voyez pas. Le vélo !

Hollande et Sarkozy — Pas de détournement judiciaire !

La Présidente — Mais je détourne rien ! Le vélo…

Hollande — Les jeunes lancent des cocktails Molotov… d’aujourd’hui…

Sarkozy — De la merde à la place de l’essence…

Marette — Nous, en Algérie, on mettait de l’alcool dans les cocktails. Et on continue…

Hollande — Mais cette merde….

Sarkozy — Ils ne l’ont pas piquée dans une station service…

Préfet — Vous oubliez les WC…

Marette — Je garantis qu’il n’y a plus de merde dans les WC de Mazères ! On en a fini avec la merde ! Cherchez ailleurs !

Préfet — Il piaffe bien, le Marette ! Il suffit de lui monter dessus…

Hollande — Et nous avons trouvé l’origine de cette merde.

Sarkozy — En effet, nous nous sommes livrés à une expérience…

Hollande — … qu’on peut qualifier d’expertise sans paraître plus que nous sommes…

Sarkozy — Expérience que nous vous proposons de répéter avec nous.

Préfet — Et en quoi consiste cette expérience ?

Marette — Les expériences sans alcool, moi, ça me déprime facilement. Et j’ai de longues études derrière moi, hé !

Hollande — Il suffit de se baisser…

Sarkozy — … comme fait Bousquet quand on lui demande quelque chose…

Marette — Comme ça ?

Hollande — Parfait ! Faites comme Marette.

Marette — J’ai le nez dans la merde !

Hollande — C’est ce qu’il faut ! Maintenant, ramassez.

Préfet — Ça ramasse pas, les préfets !

Hollande — Mais si, ça ramasse.

Préfet — Depuis quand ?

Hollande — Depuis que la Justice fout sa merde partout où elle s’exerce. Occupation, libération, pacification, pétainisme…

Préfet — Je ramasse avec les mains ? Comme les autres ? J’ai pas droit à un instrument ? Des fois, on me donne un instrument pour remplacer l’homme…

Marette — Moi, j’ai pas besoin d’instrument. Je fais ça avec les mains. Regardez ! Prenez exemple, les jeunes !

Hollande — Quand chacun aura rempli ses poches…

Préfet — Dans les poches ?

Marette — On manque de poches à Mazères. Mais je vais en commander. Et c’est pas qu’une promesse, hé ! Des actes ! On veut agir ! Comme à la SNCF.

Préfet — Et en quoi consistent les agissements à la SNCF ?

Marette — Pas plus consistants que cette merde… Moi, je dirais plutôt de la colique.

La Présidente — Dites-donc ! Parlez pour vous !

Marette — Mais je chie pas sur la place publique, moi !

La Présidente — Vous osez… ! Moi ! Chier ! De la colique !

Sarkozy — S’il vous avait violée, on n’en serait pas là à ramasser de la merde pour prouver que c’est la vôtre.

Hollande — On le saurait déjà. Mais ça ne va pas tarder.

Préfet — ¡Jolín ! Vous avez une sacrée expérience de la merde, monsieur le Président !

Hollande — Maintenant, que chacun dépose sa merde…

Préfet — À vos pieds ?

Hollande — Je pense que ma position de président encore élu autorise cette petite entorse aux convenances qui veulent que ce privilège est réservé à la Justice…

Sarkozy — … en temps ordinaires !

Hollande — Or, nous sommes en crise. Bien ! Maintenant, examinez cette merde avec attention.

Marette — On ramasse, on dépose et maintenant on met le nez. Quand est-ce qu’on boit ?

Hollande — Que constatez-vous ?

Préfet — Que c’est la même consistance…

Marette — La même odeur…

Sarkozy — En conclusion, que cette merde provient du même cul !

Préfet — Et ce cul c’est…

Marette — Celui de Bousquet ! Ça fait longtemps qu’il veut se mettre à ma place !

Préfet — Vous et Hollande… ?

Hollande — Il ne nous reste donc plus qu’à trouver ce cul.

Sarkozy — Nous avons notre petite idée…

La Présidente — C’est pas le mien ! Le vélo, là !

Préfet — Si c’est pas le vôtre, comment vous faites ?

La Présidente — Je fais rien ! Au secours ! Marette veut me violer !

Elle s’enfuit. Le vélo sort complètement de la merde. Apparaît Trigano.

 

Scène V

Roger, Marette, le Préfet, Hollande, Sarkozy et Trigano

Trigano — J’ai gagné le gros lot !

Hollande — On ne prête qu’aux riches.

Sarkozy — Vous avez gagné un vélo ?

Marette — D’autres fois, il achète une vache. Il fait tout pour qu’on parle de lui dans la Dépêche.

Trigano — J’ai gagné. J’arrive tout droit de l’ASO.

Marette — Le Parisien et L’Équipe réunis. C’est autre chose que La Dépêche…

Hollande — Vous allez participer au Tour de France ?

Sarkozy — Avec un vélo plein de merde ?

Trigano — Ça m’a coûté, mais j’ai gagné…

Hollande — Vous avez gagné ou vous avez acheté… ?

Trigano — C’est la même chose quand on a du fric.

Marette — Quand on en a moins, on sent la différence, même si ça se joue à un poil.

Guitare de Roger. Lumière sur lui.

Roger —

C’est une vérité

De notre société

Le droit faut le gagner

Sinon faut l’acheter

On en a les moyens

Car on a rien sans rien

Et si on les a pas

Faut jouer au dada

 

Donner ce n’est pas tout donner

Reprendre est une bonne idée

Encor’ faut-il le mériter

Ici tout l’ mond’ n’est pas sonné

Comme à l’hôtel

La clientèle

 

Une autre solution

Si on a des raisons

De pas jouer du fric

De manière empirique

C’est de s’ faire embaucher

Comm’ larbin pour pas cher

En espérant qu’ le temps

Sera de l’avanc’ment

 

On n’avanc’ pas sans fair’ c’ qu’il faut

C’est là notre moindre défaut

Mais faut pas jouer les héros

Pas les vrais coupés à la faux

Comme en été

Les champs de blé

 

Un bon employeur c’est

Tout le monde le sait

Dans ce pays l’État

Qui est un bon papa

Quand on le sert au poil

Qu’on mettra pas les voiles

Qu’on prépare sa mort

Tranquille et sans efforts

 

La mort c’est sûr comm’ la retraite

Comm’ la sécu et l’oubliette

Mettez-vous-en plein les mirettes

Avant que ça que ça s’arrête

Comm’ sur la route

On la veut toute

 

Faites ce qu’on vous dit

De fair’ même pipi

Au lit et au bureau

De bons nerfs il en faut

Prêtez serment trahis

Sez surtout les amis

On vous en voudra pas

La loi c’est fait pour ça

 

Quand le boulot se fait sans risque

Quitte à se coller la francisque

Entre les seins n’ soyez pas snob

Entre nous ya pas de microbes

Où ya d’ l’hygiène

Ya pas de gène

 

Et faites des enfants

Pour les donner sciemment

À la gueule du loup

Pas forcément dans l’ coup

Mais bon pour la retraite

Avec ou sans rosette

Le temps c’est le bonheur

Il joue en votr’ faveur

 

Il faut donner un nom au monde

Des fois qu’ la terr’ serait pas ronde

On est là pour jouer au jeu

Dans l’ genr’ faux frèr’ il y a pas mieux

Comme à confesse

On serr’ les fesses

 

À l’heur’ de votre mort

Fait’ un dernier effort

Conseillez le chômeur

À propos de ses mœurs

Et révisez l’Histoire

Par devoir de mémoire

Écrivez même un mot

Pour la mise à niveau

 

Des noms l’Histoire en fait des masses

Sous la torture ya des paillasses

Et sans la douleur des combats

Des faux sauveurs yen a des tas

Comme en quarante

Si ça vous tente

 

Et une fois là-haut

Avec ou sans défauts

Faites comme si rien

N’existait que ce bien

Il n’y a pas de miroir

Plus fidèle que voir

L’invisible détail

Qui donne du travail

 

L’invisible détail

Qui donne du travail…

 

Trigano —

Majesteux :

En tous cas, le Tour passera par Mazères.

Marette — Le Tour… de France ?

Trigano — De quel tour voulez-vous qu’il s’agisse ?

Marette — Le Tour dans ma… ma ville que je suis le maire ?

Trigano — Bien joué, non ?

Marette — Mais qui va nettoyer toute cette merde ?

Trigano — Nous paierons.

Marette — Mais les jeunes qu’on a en ce moment sont pas très friands de pognon…

Trigano — Tout le monde aime l’argent ! Surtout ceux qui n’en ont pas.

Marette — Je l’aime moi aussi. Je dis pas non, surtout que je sais me baisser. Mais ça fait beaucoup de boulot. Et je la mets où, cette merde, une fois que je l’ai ramassée ?

Trigano — Je vois que les WC municipaux ont rouvert. C’est l’endroit idéal.

Marette — Moi, j’aime pas trop rentrer là-dedans…

Trigano — Et pourquoi donc ? On ne vous y enfermera pas.

Marette — Ça me donne la chair de poule rien que d’y penser…

Hollande — Je suis passé par là.

Trigano — On perd les élections de différentes manières et ce n’est pas la meilleure en effet…

Hollande — Mais je n’ai pas perdu les élections ! C’est lui qui les a perdues !

Sarkozy — Et on s’est retrouvé dans la merde côte à côte dans le cul de la Justice…

Hollande — … qui vend de la merde à la jeunesse…

Sarkozy — … qui la met en bouteille pour la répandre comme vous voyez.

Marette — Ça fait beaucoup de merde ! Je vais pas y arriver ! Je me baisse bien, hé ! mais une fois que je suis baissé, j’ai du mal à me remonter…

À Hollande et Sarkozy :

Vous me donnerez un coup de main ?

Hollande — Pas question ! Il faut d’abord supprimer le fournisseur de merde.

Sarkozy — Supprimer la Justice ? Vous n’y pensez pas !

Marette — On supprime bien la parole…

Sarkozy — Mais ce n’est pas la même chose ! La Justice c’est… c’est…

Hollande — C’est de la merde.

Trigano — On n’a pas beaucoup de temps… Le Tour arrive demain…

Marette — Demain ! Avec la Justice en fuite ! Et j’ai pas encore réfléchi à comment je vais organiser la collecte…

Hollande — La collecte ?

Marette — Hé bé ! On pourrait faire ça sous forme de collecte. Chacun y met du sien et en moins de temps qu’il en faut pour le dire, on a ramassé toute la merde…

Hollande — … à condition que les jeunes n’y reviennent pas.

Sarkozy — Et ils reviendront quand ils auront rempli leurs bouteilles.

Hollande — Je ne vois guère que deux solutions : supprimer la merde, c’est-à-dire le trou du cul qui la fournit… ou supprimer les bouteilles.

Marette — Ah ! Non ! Pas les bouteilles ! Je veux bien les vider, et je sais où, mais les casser alors qu’elles sont encore pleines, c’est faire compliqué alors qu’on peut faire simple.

Trigano — Le rasoir d’Ockham…

Marette — Non ! Pas avec un rasoir ! Je vous expliquerai…

Il s’accroupit.

Tant qu’à chier, qu’elle chie dans les bouteilles. Une fois la merde dans les bouteilles, on confisque les bouteilles…

Préfet — … à des jeunes qui ont le pouvoir de les lancer… ? Ça me paraît… hasardeux…

Il s’accroupit lui aussi.

Il faudrait intervenir au moment où les bouteilles passent entre leurs mains…

Marette —

Observant l’accroupissement du préfet.

Vous allez chier ou vous m’imitez ? Parce que moi, c’est la position de combat.

Préfet — Nous avons été à la même école…

Marette — La Légion d’Honneur ! On s’accroupit, on a l’air de chier, mais en fait on réfléchit…

Préfet — … aux données du combat.

Marette — Il faudrait pas que ça se batte trop, hé ! Dans cette position, si on me bat, je me chie dessus…

Hollande —

Mimant :

Les jeunes arrivent avec leurs bouteilles vides…

Sarkozy —

Même jeu :

… ils vous les fourrent dans le cul…

Marette — … ça, c’est un bon début, je dis pas…

Préfet — On les laissera pas faire ! Nous donnerons l’assaut !

Marette —

Se relevant :

J’y tiens pas, moi, à l’assaut !

Hollande — Les bouteilles, ça le rend pensif…

Sarkozy — Sans bouteilles, il ne pense plus…

Hollande — … il boit !

Les deux rient.

Trigano — Le moment est mal choisi pour rigoler, d’autant que je suis le prochain président de la République.

Marette —

Riant lui aussi :

Ça rigole plus ! Moi, toute cette merde et ces bouteilles, ça m’empêche d’y croire…

Trigano — Oh !

Marette —

Se reprenant :

Mais je ferais ce qu’il faut pour que la campagne soit riche en contenu…

Trigano — Et pour que je sois élu !

Marette — Ça va ensemble, le contenu et l’élection…

Trigano — Pour l’instant, vos bouteilles, elles sont pleines de merde…

Hollande — Et nous n’avons aucun moyen de pression sur la jeunesse…

Trigano —

Exhaussant le vélo dégoulinant :

J’ai un vélo !

Marette — Ils aiment les vélos, les jeunes… Le problème, c’est la merde…

Trigano — On commence par nettoyer le vélo et une fois qu’ils sont montés dessus…

Hollande — Chacun leur tour !

Sarkozy — Ou deux par deux, en couples…

Marette —

Se tenant la tête :

Je sais pas où on va, mais on y va en vélo… que c’est plus vite qu’à pied…

Préfet — … mais avec des freins…

Marette — … et des pneus qui accrochent pas dans la merde !

Préfet — Je préfère vous monter sur le dos…

Marette — Moi aussi j’aime monter sur le dos, mais sans les pédales… !

(rideau)

 

 

ACTE XVII

Même décor. Encore plus de merde. Les jeunes font la chaîne pour remplir les bouteilles au cul de la Présidente. Des palettes de bouteilles vides. Des tas de bouteilles pleines dont certaines volent et s’écrasent contre la façade de la mairie. Roger toujours sur le toit avec sa guitare. L’acte se passe dans le fracas des déprédations et donc les acteurs crient.

 

Scène première

Les jeunes, Roger, la Présidente

Jeunes —

Les temps sont durs à c’ qui paraît

Tell’ment durs que c’est dur en vrai

La fêt’ n’est plus ce truc bien fait

Pour s’ faire aimer sans rien payer

C’est mêm’ la faute à ceux qui votent

Pas pour Pétain et ses sarkos

Et qui se donn’ à des cocos

Qui se font passer pour des potes

 

Comm’ disait Favart à ses chiens

À propos d’un autr’ maréchal :

 

« Il m’a fait trop de bien

Pour en dire du mal

Il m’a fait trop de mal

Pour en dire du bien »

 

C’est Marett’ qui content conclut

La fête par ces mots chiadés

Mais comme il est encore plus

Malad’ du trou dans les idées

On aura c’ qu’on mérite avant

C’ qu’on aurait mérité après

Ah ! le Marette il est pas prêt

Et pourtant il est bien crevant

 

Comm’ disait Favart à ses chiens

À propos d’un autr’ maréchal :

 

« Il m’a fait trop de bien

Pour en dire du mal

Il m’a fait trop de mal

Pour en dire du bien »

 

D’après ce maire à la dérive

Qui fait rien et tout pour rien faire

Il est pour rien dans c’ qui arrive

Il a la trompette au derrière

Entre le derrière et la guerre

Avec lui ya un vrai rapport

Banda et musiqu’ militaire

Ça fait deux mais ya pas d’ rapport

 

Comm’ disait Favart à ses chiens

À propos d’un autr’ maréchal :

 

« Il m’a fait trop de bien

Pour en dire du mal

Il m’a fait trop de mal

Pour en dire du bien »

 

Si c’est pas bien il y est pour rien

Et si c’est mal c’est pas sa faute

Le Marette il a des marottes

Mais c’est des tics du vieux Pétain

Bien sûr on est pas pétainiste

En ces temps pas faits pour la Droite

Mais avec ses airs de lampiste

Dans son pantalon ça fait moite

 

Comm’ disait Favart à ses chiens

À propos d’un autr’ maréchal :

 

« Il m’a fait trop de bien

Pour en dire du mal

Il m’a fait trop de mal

Pour en dire du bien »

 

Faut dire que chez lui l’addition

C’est un’ retrait’ de cheminot

Qui s’est fait des galons au fion

Dans l’élevage des corbeaux

Avec le cumul des mandats

Ce larbin passe les cinq mille

Les temps sont durs mais côté pile

C’est de la soup’ pas du rata

 

Comm’ disait Favart à ses chiens

À propos d’un autr’ maréchal :

 

« Il m’a fait trop de bien

Pour en dire du mal

Il m’a fait trop de mal

Pour en dire du bien »

 

Ah ! le con c’ qu’il est pas marrant

Mon salaud t’as pas perdu l’ Nord

Quel enculé quand il s’en sort

Et quel style il a le pédant !

Des mecs comm’ ça on en fait pas

Sans creuser des idées de sous

De soustraction dans le genre ou

Ailleurs que queue dans les bandas !

 

Comm’ disait Favart à ses chiens

À propos d’un autr’ maréchal :

 

« Il m’a fait trop de bien

Pour en dire du mal

Il m’a fait trop de mal

Pour en dire du bien »

 

Connard ça te va mieux qu’ salaud

Et c’est dans le Petit Robert

Qui est en Franc’ la loi des mots

Comm’ ça si des fois tu te perds

Dans les couloirs de la Justice

Tu pourras s’couer ta médaille

Pendant que la jeuness’ te pisse

Dessus avant que tu t’en ailles !

 

Comm’ disait Favart à ses chiens

À propos d’un autr’ maréchal :

 

« Il m’a fait trop de bien

Pour en dire du mal

Il m’a fait trop de mal

Pour en dire du bien »

Entre le préfet sur le dos de Marette. Ils sont en maillot de bain.

 

Scène II

Les mêmes, le préfet et Marette

Préfet —

Réfléchissant :

Voyons… un vélo, de la merde, des bouteilles, des jeunes… Ça ressemble pas à une révolution… C’est pas une grève… C’est pas une manifestation…

Tout haut :

Mais quécecé cette matière ? On en parle pas dans la brochure ?

La Présidente —

Pétaradant :

Je sers enfin à quelque chose ! Ils vont me mettre en statue !

Marette — Sur MA place de MA mairie ? Je voudrais bien voir ça !

La Présidente — Je savais pas que les jeunes avaient le pouvoir à Mazères !

Marette — Mais ils l’ont pas !

Préfet — Chut ! Taisez-vous ! N’oubliez pas que nous sommes des touristes. Nous sommes neutres. Nous ne nous mêlons pas des affaires indigènes. S’ils nous reconnaissent, on finira dans la merde.

Marette — C’est elle qui chie ! Regardez son cul ! On dirait que ça lui fait plaisir.

La Présidente — Mais ÇA me fait plaisir ! Dommage que ma fille ne soit pas là pour profiter un peu de cette occasion de décompresser.

Marette — Si vous arrêtiez de chier, peut-être qu’ils iraient en chercher ailleurs…

La Présidente — Mais je peux pas ! Ça vient tout seul !

Marette — Et quécecé toutes ces bouteilles vides ?

La Présidente — Celles que vous avez vidées…

Marette — Je me disais aussi… Elles ont un air familier…

Préfet — S’il y avait pas toutes ces bouteilles, elle arrêterait de chier.

Marette — Je peux pas m’empêcher de les vider quand elles sont pleines…

Préfet — Oui mais maintenant quand elles sont pleines, c’est de merde !

Marette — Et ça donne pas soif la merde sans alcool…

La Présidente — J’en bois pas !

Préfet — Et pour l’essence ?

La Présidente — Je carbure au mérite. J’ai pas besoin d’essence. Ça avance tout seul… Faut juste me pousser un peu…

Marette — Putain ! C’est de la merde de mérite ?

La Présidente — Sans alcool et sans essence.

Préfet — Produits hautement inflammables proscrits par les usages administratifs !

Marette — Ça flambe pas, le mérite ?

La Présidente — Vous voyez bien que non !

Marette — Ça me donne envie de chier… Vous avez pas envie de chier, monsieur le Préfet ?

Préfet — J’ai plutôt envie de cogner…

 

J’ai pas peur de cogner

Quand il faut j’ cogne dur

Des fois sur l’oreiller

J’ai des idées d’ torture

Je cogne et je fais l’ dur

J’impressionn’ ma nature

Qu’en vrai j’ suis plutôt mou

Que j’ai pas

Que j’ai pas

De l’or en bijou

 

Mais quand je fais dodo

Ça me rappell’ des choses

Des idées comme il faut

Quand on est pas costaud

Que la vie tourne en rond

Qu’il faut s’ la mettre en cause

Et qu’ya jamais d’ passion

Dans les re

Dans les re

Dans les relations

 

Au bureau j’ suis un vrai

Un vrai salaud avec

Les petits employés

J’ suis un dur un pèt’ sec

Je calcul’ pas j’agis

Je fais comm’ si j’avais

D’ l’éducation aussi

Et j’y vais

Et j’y vais

J’y vais sans pitié

 

J’ai des goss’ qu’étudient

Des leçons de bonheur

Le matin de bonne heure

Ils font pipi au lit

Ça me rend dangereux

Je support’ pas l’odeur

Et j’aime pas la couleur

Et je cogne

Et je cogne

Je cogne et j’ m’en veux

 

Ma femme a un’ sal’ gueule

J’ai rien voulu payer

J’ai pris pour pas risquer

De me retrouver seul

Et elle a oublié

Comment j’ai le quart d’heure

Pourquoi j’ sais pas baiser

Et je fais

Et je fais

Je fais mal au cœur

 

Un jour j’aurais du pot

Ce s’ra la guerre ou rien

Je trouv’rai le moyen

De trahir mon prochain

Et des ball’ dans la peau

J’irai au Paradis

Me fair’ couper l’ quiqui

Avec Dieu

Avec Dieu

Ou sans pas d’ souci

 

Entre Trigano lui aussi en maillot.

 

Scène III

Les mêmes, Trigano

Trigano — Ça ne va pas être possible ! Ça ne va pas être possible ! Il y a un cahier des charges…

Il montre le cahier.

Il est bien écrit : « Pas de merde sur la place publique. »

Préfet — Je comprends bien, mais un système contradictoire s’est mis en place contre ma volonté qui est, vous le savez, celle du peuple… Une Présidente qui chie, des bouteilles vides…

La Présidente — … ou plutôt vidées…

Marette — Je participe… contre mon gré qui n’est pas de force en la circonstance…

Préfet — … et des jeunes qui s’emparent de la relation merde-bouteilles pour les remplir. Moi, je vois plus que les CRS…

Marette — Quand ils mettent les mains dans la merde, c’est pas pour se faire plaisir…

Préfet — Du plaisir, il en faut…

Trigano — La dernière fois que vous avez envoyé la troupe, il y a eu du plaisir. Ça se voit encore sur les photos…

Préfet — Hé ?

Trigano — Je dis que l’idée de provoquer une confrontation avec les gardiens de la paix sociale n’est peut-être pas la bonne. Quelqu’un veut-il aller chercher mon vélo ?

Marette — Il est plein de merde…

Trigano — Vous avez toujours été chercher mon vélo quand je me suis trouvé dans l’impossibilité de le chercher moi-même…

Marette — Ils sont dangereux !

Préfet — Moi, je descends pas de mon dada !

Trigano — Je vous le prête, je ne vous l’ai pas donné… Nourrissez-le bien, surtout s’il a soif.

Préfet — C’est pas les bouteilles qui manquent !

Marette — Mais elles sont pleines de merde !

À la Présidente :

Vous pouvez pas faire un effort de collaboration ? Vous avez l’habitude de collaborer dans la Justice. Et on vous fait jamais payer.

La Présidente — Adressez-vous aux jeunes ! À force de chier sans compter, j’ai le vagin en feu !

Trigano — Si on enlève le vélo, la scène prendra tout son sens…

Marette — Allez le chercher vous-même !

Trigano — Monsieur le Préfet !

Il frotte son pouce contre son index.

Préfet — C’est qu’un vélo…

Marette — Plein de merde !

Préfet — Mais si on y va pas…

Marette — En maillot ?

Préfet — Comment voulez-vous qu’on y aille ? On est des touristes !

Marette — On va y envoyer Bousquet. Il aime la merde le Bousquet. Bousquet ! Bousquet !

Entre Bousquet en maillot.

 

Scène IV

Les mêmes, Bousquet

Bousquet — Moi, ce que je comprends, c’est que chaque fois qu’il est question de merde, on a besoin de moi !

Marette — Tu as mis le maillot ?

Bousquet — Je suis pas plus con que vous ! Ça peut être dangereux, les jeunes…

Trigano — On n’a jamais eu autant de touristes à Mazères…

Marette — Tu veux pas y aller chercher le vélo de Trigano… ?

Bousquet — Il est dans la merde…

Préfet — On le sait bien qu’il est dans la merde ! Sinon on irait le chercher !

Bousquet — La merde, je m’en fous… mais les jeunes…

Marette — Ramènes-en un… à califourchon…

Bousquet — Ça fait une trotte… Il va me falloir des heures…

Trigano — N’exagérez pas ! Ça glisse mais on s’en sort très bien si on ne glisse pas.

Bousquet — Pourquoi vous glissez pas, vous ?

Trigano — Je ne peux pas m’occuper du Tour de France et glisser en même temps !

Marette — C’est deux actes incompatibles… tandis que toi, si on te prend en photo dans la merde, on trouvera ça naturel… C’est pas comme les vaches, la merde…

Bousquet — Mais c’est pas de la merde d’oiseau !

La Présidente — Qu’est-ce qu’elle a ma merde ? Elle vous plaît pas, ma merde ?

Bousquet — Elle me plaît ! Vous aussi vous me plaisez. Mais je suis plus tout jeune…

La Présidente — Surtout que vous servez pas à grand-chose pour les médailles…

Bousquet — C’est un beau vélo…

Marette — Même avec de la merde sur le guidon…

La Présidente — J’en ai mis aussi sur la selle…

Bousquet — Ça se voit pas tellement c’est bien fait.

La Présidente — Je sais y faire avec la merde. J’en mets partout. Dans les dossiers, dans les esprits et même chez mes collègues que je suis bien obligée de considérer comme des concurrentes.

Marette — Moi j’en ai que dans le froc.

La Présidente — On s’est arrangé lui et moi.

Marette — Ça se voit encore moins que sur la selle du vélo…

La Présidente — C’est dire si je sais y faire.

Marette — Vous pourriez pas arrêter de faire juste le temps de récupérer le vélo ?

Trigano — Sans vélo, pas de Tour de France.

Marette — Vous allez monter dessus ? Et faire le tour de la France comme un compagnon ?

Trigano — Non ! Bien sûr. Mais c’est la marque officielle.

Bousquet — Les pédales aussi ?

Trigano — C’est un vélo en tous points conforme aux exigences de l’organisateur.

Marette — Que si tu respectes pas ces exigences, ils te dénoncent dans L’Équipe.

Préfet — C’est le Je Suis Partout du sport nationalisé… Je critique pas, hé… Je donne même pas mon opinion.

Marette — Dans notre position, on s’en tient aux rapports… normaux…

Préfet — Même si des fois on aurait bien envie de faire autre chose…

Marette — Mais aller chercher un vélo au milieu de la merde, même si c’est Dédé qui le demande en promettant de s’acquitter de la dette, non, c’est trop… On peut pas…

Préfet — C’est au-dessus de nos forces… Quoique les CRS…

Trigano — Pas de violence ! Mon petit Bousquet…

Bousquet — Oui, monsieur Trigano…

Trigano — Vous avez une bonne retraite…

Bousquet — J’ai tout fait pour l’avoir.

Trigano — Nous l’avons d’ailleurs améliorée… sensiblement…

Marette — Peut-être qu’il a rien senti…

Bousquet — Mais oui j’ai senti ! Je vide pas des bouteilles et je chie pas non plus sur la place publique…

La Présidente — Oh ! Quel goujat !

Marette — Je vide, peut-être… Mais je fais rien pour les remplir. On va pas me reprocher des choses avec cette… cette….

La Présidente — Cette quoi ? Dites-le ! Je suis quoi une fois que vous avez vidé une bouteille ?

Marette — Un tas de merde. Mais j’y suis pour rien !

Préfet — Et vous êtes pas jeune non plus. On peut pas vous soupçonner d’inspirer ces jeunes.

La Présidente — Ils m’adorent !

Préfet — Ils adorent votre merde !

Trigano — Madame ! Monsieur !

Marette — Mesdames… Bousquet…

Bousquet — Je suis pas encore une dame, mais si vous voulez me compter…

Trigano — Ne nous disputons pas. Si personne ne veut allez chercher le vélo, je me débrouillerai tout seul. J’ai toujours trouvé une solution. Ils aiment l’argent, ces petits.

Marette — Pas plus que nous… D’ailleurs nous on l’aime pas, c’est lui qui nous aime.

Trigano — Madame, puisque vous refusez d’arrêter de chier, je vais chier moi aussi.

Préfet — Vous savez faire ça ! Je veux dire : à ce niveau de la compétition ?

Marette — Avec le pognon, moi aussi j’inspire la jeunesse… Et sans la violer. Un peu de dope et hop ! je repars !

Trigano — Chacun son art. Moi, quand je chie, je ne chie pas de la merde.

Marette — Il chie du pognon. Mais ça sort pas de son cul…

La Présidente — Vous me défiez ? Vous provoquez la Justice sur son terrain !

Trigano — Il faut bien que ça s’arrête !

Marette — Ensuite, on nettoie tout… Et je redeviens un homme…

Préfet — Mais j’ai besoin d’un âne !

Bousquet — Il est bien dessus toi…

Marette — Tu veux que je te monte dessus pour voir ce que ça fait ?

Bousquet — Je dis pas non… Mais tu n’es plus tout jeune…

Préfet — Moi je peux encore.

Marette — Je le sens…

Bousquet — Et ça te fais quoi de sentir ?

Marette — Je me mets à sa place…

Bousquet — On est deux !

Marette — Aaaaaaaaaaaaah !

 

Mon p’tit oiseau

Me l’a pas dit

Mais pas d’ souci

C’est pas trop tôt

Quand c’est pas l’heure

Je suis pas là

Mais pour du beurre

J’en fais des tas

 

Je cours je vole

Je suis pressé

J’ai des épaules

C’est pas assez

Et un fessier

Qui n’est pas d’ trop

Pour mériter

J’ fais du vélo

 

Faut m’ voir lever

Des verr’ en trop

J’ai du sirop

Plein le bidet

Mais à dada

J’ai pas l’air de

Lever la queue

Dans l’ tratala

 

S’il faut fair’ vite

J’ai un’ bagnole

Ça se mérite

Les coups de gnôle

Dans les virages

Moi je m’ensuque

Je vois des trucs

Pas de mon âge

 

Le chemin d’ fer

Ça va pas droit

Mais pour le faire

Je suis le roi

Dans la loco

J’ai des idées

À la colo

J’en ai manqué

 

Mais sur le quai

J’attends personne

Ya bien Dédé

Mais il raisonne

Je m’ tire en douce

Ça le chiffonne

Pour le couscous

Ya pas la bonne

 

J’ai des oiseaux

Dans le cerveau

Des p’tits lapins

Dans le tintouin

Des poissons d’eau

Douce avec l’eau

Et pour la messe

J’ai du qu’on fesse

 

Je bois rien mais

J’ai tout l’ temps soif

Je suis beurré

Dans la carafe

Ça me tartine

Le peu d’esprit

Que je marine

Au bleu d’ici

 

J’ai pas la forme

Mais l’uniforme

Ça me déforme

Pas dans les normes

Vu qu’ le képi

Ça donn’ des airs

De saint pépère

Oint au pipi

 

Je suis marteau

Je démarr’ tôt

Nous les cathos

Les capitaux

On se matine

Comm’ des lapines

Dans les usines

Sans les épines

 

Je perds le Nord

Et j’ai pas su

Donner au Sud

Un sens en or

Pour le latin

Qu’on me professe

J’ suis à confesse

Dés le matin

 

Encore un peu

Monsieur l’ bourreau

Il est trop tôt

Pour couper l’ nœud

Mon p’tit oiseau

N’a pas dit non

C’est le défaut

De cett’ chanson

 

Préfet — Quelle jouissance !

Marette — Moi je peux plus. Ça fait plaisir qu’on puisse sur mon dos.

Préfet — Mais vous chantez bien !

Marette — Pas avec le bon organe…

Hollande et Sarkozy sortent de la merde.

 

Scène V

Les mêmes, Hollande et Sarkozy

Marette — Vous avez mis le maillot ?

Hollande — Moi, en maillot ?

Sarkozy — C’est pas non plus mon meilleur déguisement…

Hollande — On est venu comme on est…

Sarkozy — Pleins de merde…

Hollande — Dame Justice est inépuisable !

Marette — Ça donne envie, mais je suis plus jeune…

Bousquet — Et eux, ils ont personne sur le dos…

Hollande — Je vois que monsieur le Préfet a trouvé une bonne place pour assister au spectacle…

Préfet — J’assiste pas. Je fais tout moi-même.

Marette — Il a qu’une chose à faire. Il y a longtemps que je la fais plus. Je me demande si je saurais…

Bousquet — Ça ne s’oublie pas…

Trigano — C’est comme le vélo…

Bousquet — En principe, on vous le demande pas deux fois.

Marette — Avec moi, il faudra insister… Ça fait vraiment très longtemps.

Hollande — Je suis encore le président. Tout le monde est d’accord là-dessus…

Trigano — Pas pour longtemps…

Hollande — J’ai donc le privilège de pouvoir monter sur le dos du préfet.

Marette — Ça me soulagera pas…

Préfet — Mais je n’ai pas été nommé pour appliquer une politique de Gauche !

Marette — Il le fait pas avec le gauche. Il fait ça comme tout le monde, enfin… ceux qui sont pas trop vieux pour le faire. Parce que moi…

La Présidente — … à part vider des bouteilles pour que les jeunes les remplissent…

Marette — Et ils en feraient quoi de votre merde s’ils les remplissaient pas, les bouteilles ?

La Présidente — Je ne chie jamais en présence de bouteilles pleines, c’est un principe !

Hollande — Je ne comprends pas tout, mais j’ai envie de monter sur le préfet…

Sarkozy — Vous pouvez monter dedans aussi… On a prévu tous les styles de monte.

Hollande —

À Marette :

Ça va vous faire un poids en plus…

Marette — C’est pas la première fois qu’on me met un enculé sur le dos…

Préfet — Soyez raisonnable, monsieur le Président…

Trigano — Pas pour longtemps…

Marette — Il a raison ! Vous n’avez pas mis le maillot !

Hollande — Mais je ne suis pas un touriste !

Sarkozy — Je veux bien faire du tourisme, mais en maillot, je n’aurais plus l’air du président que j’ai été…

Trigano — On ne vous demande rien ! J’ai déjà assez donné. Et pour quel résultat !

À Hollande :

Il me semble que l’usage veut que le futur président monte sur le dos de l’actuel…

Hollande — Ça va faire compliqué, mais on peut essayer.

Marette — Moi je garantis plus rien.

Sarkozy — Et sur qui monte l’ancien président ?

Hollande — À mon avis, c’est vous qui montez sur le préfet…

Préfet — Je préfère ! C’est quand même plus conforme à l’esprit de la Constitution.

Sarkozy — Mais je refuse que l’actuel président me monte dessus !

Hollande — Je ne vous monte pas dessus.

Bousquet — Moi je veux bien me mettre entre… Je sais pas si c’est constitutionnel…

Entre Tintin en maillot.

 

Scène VI

Les mêmes, Tintin

Tintin — Je suis né avec deux trous du cul… Ça peut peut-être servir…

Marette — C’est un maillot ça ?

Tintin — Avec deux trous du cul, on a pas le même maillot.

Marette — Je sais pas s’ils vont accepter ça au Tour de France…

Tintin — Ils ont toujours accepté mes deux trous du cul…

Marette — Et vous vous en servez pas pour chier au moins ! Parce que pour la merde, c’est Madame qui a le monopole…

Bousquet — Qu’on peut même plus chier sans se faire traiter de pétainiste ! Vous êtes pas pétainiste, vous ?

Tintin — Non, pas avec deux trous du cul. Vous confondez avec les casquettes.

Marette — Un maillot, une casquette ! C’est la devise des socialistes en campagne ! Arrêtez-moi de rire si j’en fais trop !

Hollande —

À Sarkozy :

Monsieur Bonrepaux propose gentiment et sans arrière-pensées de se mettre entre nous…

Sarkozy — Il n’est pas épais…

Hollande — C’est le maillot…

Tintin — J’ai deux trous à la place du cul, mais ça veut rien dire…

Marette — Avec un, il chie proprement et avec l’autre il se salit pas !

Hollande — J’ai tellement envie de monter là-dessus !

Bousquet — Entre Tintin et moi, il faut choisir.

Marette — Choisissez le maillot !

Sarkozy — On peut essayer avec les deux…

Marette — Un de plus un de moins…

Hollande — Et je serais tout en haut comme je le mérite !

Trigano — Ah ! Non ! C’est moi qui serai tout en haut !

Marette — Mais vous y arriverez jamais ! Soyez raisonnable !

Trigano — J’en ai marre d’être raisonnable ! Formez la pyramide ! J’arrive !

Marette — Pas avec le vélo ! C’est pas prévu par la Constitution.

Hollande — Je modifie la Constitution ! Si mon successeur veut monter sur un vélo pour se hisser au sommet du pouvoir, je lui en donne le droit !

Sarkozy — Comme ça, il aura l’air aussi con qu’il l’est !

Trigano — Vous avez bien utilisé une mobylette vous !

Sarkozy — Une mobylette de marque française…

Préfet — Fabriquée en France ! J’y étais !

Sarkozy — Et catholique ! Pas…

Trigano — Dites-le ! Dites-le ! C’est facile de se convertir !

Hollande — Je ne me suis pas converti. Et j’y suis arrivé.

Marette — Oui, mais vous n’avez pas mis le maillot ! On a besoin de touristes à Mazères !

Trigano — Que ceux qui n’ont pas mis le maillot soit éliminés de la course !

Sarkozy — Mais je ne cours pas ! J’ai droit de monter sur mon préfet tout de même !

Hollande — Et dans les conditions prévues dans la Constitution que j’ai modifiée !

Marette — Si on me donne pas à boire, je vais me déshydrater le foie !

La Présidente — Mais si vous videz une bouteille, les jeunes la rempliront !

Marette — Je la remplirai à moitié !

La Présidente — Vous y arriverez jamais ! Vous pourrez pas vous retenir de la vider à moitié !

Trigano — Si je compte bien, Marette doit supporter le poids du préfet, de Sarkozy, plus celui de Hollande…

Tintin — Le mien…

Bousquet — Ou le mien…

Trigano — Et, cerise sur le gâteau, le mien…

Marette — Plus celui du vélo qui vient de rentrer dans la Constitution.

Trigano — Ce qui nous fait, avec les pots de vin…

Marette — Le genre de pot que j’ai en ce moment. Ça se boit sans soif.

Trigano — Ça va faire beaucoup. D’autant qu’on n’a pas ramené le vélo…

Marette — Avec les deux ou trois jeunes qu’il faudra soudoyer pour ça, je m’en tiendrai pas à une moitié de bouteille. Vide ou pleine, c’est plus la question !

La Présidente — Il faut empêcher ça !

Tintin — C’est de la grande politique ! Digne de notre département !

Bousquet — Avec vos deux trous du cul, ya pas une petite place pour moi… ?

Tintin — Un mot gentil dans la Presse et je vous place sur Hollande…

Bousquet — D’habitude, c’est le contraire…

Tintin — Il va falloir changer les habitudes.

Bousquet — Je sais pas si François sera d’accord. C’est lui, l’homme.

Tintin — Mais il se mariera pas avec vous !

Bousquet — Il s’est marié plein de fois !

Marette — Et encore, on sait pas tout…

Tintin — On se marie pour faire des enfants, pas pour s’amuser !

Marette — C’est amusant de faire des enfants. C’est beaucoup plus marrant que se marier. Je dirais pas ça à l’office…

Entre un curé. Il porte le masque de François Fillon.

 

Scène VII

Les mêmes, Fillon

Sarkozy — François ! Il a trouvé la solution !

Marette — Pour le tourisme, on met le maillot…

Trigano — Et pour être élu, on fait du vélo…

Fillon —

Sort un goupillon de son maillot.

Faites entrer les chiens !

Entrent les chiens qui se jettent sur les jeunes.

 

Scène VIII

Les mêmes, les chiens

Marette —

À Hollande :

Il les bénira après !

Il glisse et lui et le préfet tombent dans la merde.

Préfet — Oh ! Non ! Mon beau maillot qui n’avait jamais servi !

Marette — Le mien sert depuis longtemps. Ça en fait des trous !

Tintin — C’est pas bon pour la merde…

Hollande — Ça dépend de quel point de vue on se place…

Sarkozy — Ils sont féroces ces chiens !

Marette — Et pourtant ils sont pas jeunes !

Tintin — J’en reconnais quelques-uns. Ils vont pas bouffer la Présidente au moins ?

La Présidente — Ça me fait pas arrêter !

Marette — Moi j’ai arrêté de vider des bouteilles. La moindre des choses, c’est que vous arrêtiez de chier sur mon gazon !

Fillon — J’ai oublié l’eau bénite !

Sarkozy — Alors ça ne marchera pas !

Marette — Je peux vous pisser sur le goupillon si c’est utile…

Fillon — C’est dans la Constitution ?

Hollande — Je modifie !

Marette — Alors je pisse. C’est la première fois que je pisse en accord avec un socialiste !

Tintin — La première fois… non.

Marette — Oui mais là, on pissait ensemble dans le même pot.

Tintin — Je reconnais que la situation est différente…

Hollande — Il n’a pas le choix puisque c’est maintenant écrit dans la Constitution. Pissez !

Fillon — Oui ! Sur mon goupillon !

Bousquet — Si j’avais su que vous aviez un goupillon de cette taille, je me serais pas pressé…

Hollande — Trop tard !

Fillon —

Agitant le goupillon :

Bénissez ces chiens ! Bénis soient-ils !

Marette — Ne l’agitez pas trop !

La Présidente — Un goupillon ! Un goupillon ! C’est le ciel qui me l’envoie !

Fillon — Non. Je me suis envoyé tout seul, comme d’habitude.

Marette — Il a le sens du miracle, cet homme. Il en faut pour faire des enfants… par habitude.

Entrent les chasseurs.

 

Scène IX

Les mêmes, les chasseurs

Jeunes —

À Mazèr’ on bénit les chiens

Sur la plac’ publiqu’ le curé

Sort son goupillon mal trempé

Et fait des goutt’ avec les mains

La branlett’ c’est pas interdit

C’est pas l’ cas d’ la pédophilie

L’Église a-t-elle encor’ le droit

D’éjaculer sur nos trottoirs ?

 

Ah ! Ah ! Le p’tit jésus

Du p’tit Jésus manque de chien

Ah ! Ah ! C’est pas pour rien

Que Marette va droit au cul !

 

La tach’ du curé sur la place

C’est plus marrant que dégueulasse

Faut bien que l’Églis’ catholique

À nos princip’ fasse la nique

C’est pas plus grav’ que les fachos

Qui se serv’ de couche-culottes

Pour nazifier les patriotes

Et s’ torcher avec le drapeau

 

Ah ! Ah ! Le p’tit jésus

Du p’tit Jésus manque de chien

Ah ! Ah ! C’est pas pour rien

Que Marette va droit au cul !

 

Le plus pissant c’est les chasseurs

Qui n’ sont plus nos gars d’ la campagne

Du temps qu’ l’existence et les mœurs

Avaient l’ goût et l’odeur du bagne

Ces nouveaux chasseurs c’est des ronds

Des ronds de cuir en peau d’ pas grand

De pas grand-chos’ pour le fleuron

Et d’ rien du tout pour les enfants

 

Ah ! Ah ! Le p’tit jésus

Du p’tit Jésus manque de chien

Ah ! Ah ! C’est pas pour rien

Que Marette va droit au cul !

 

Les voilà sur la plac’ publique

Ces larbins d’ la loi étatique

Pas un regard côté laïque

Et dans le froc du mou de chique

Drapeau drapé à l’overdose

Avec des chiens à leur service

Explication de la Milice

Faut pas chercher plus loin les causes

 

Ah ! Ah ! Le p’tit jésus

Du p’tit Jésus manque de chien

Ah ! Ah ! C’est pas pour rien

Que Marette va droit au cul !

 

Ya même un con à la Dépêche

Un piss’-copie d’ chiens écrasés

Qui trouv’ ça chouett’ que rien n’empêche

Les francs cathos de s’exprimer

Le pays d’Oc est occupé

Tant pis l’Histoire est à refaire

Mais c’est pas toujours les Français

Qui donn’ à la Franc’ de quoi faire

 

Ah ! Ah ! Le p’tit jésus

Du p’tit Jésus manque de chien

Ah ! Ah ! C’est pas pour rien

Que Marette va droit au cul !

 

J’ connais un chien qui connaît bien

Les mœurs des habitants du coin

Des fois on cause à la sauvette

Du sens à donner à Marette

Avec ou sans la majuscule

C’est un Français qu’est pas d’ici

C’est un d’ici pas du pays

Autrement dit un poil du cul

 

Ah ! Ah ! Le p’tit jésus

Du p’tit Jésus manque de chien

Ah ! Ah ! C’est pas pour rien

Que Marette va droit au cul !

 

Des poils de cul et des curés

L’Église et l’État séparés

C’est les deux parties du fessier

Qu’on voudrait nous faire torcher

Faut pas les croire séparés

Deux doigts dans l’ cul comme à la messe

On ira pas plus loin qu’ confesse

Au paradis des canidés

 

Ah ! Ah ! Le p’tit jésus

Du p’tit Jésus manque de chien

Ah ! Ah ! C’est pas pour rien

Que Marette va droit au cul !

 

S’ensuit une grande bataille entre jeunes, chiens, chasseurs. La merde vole de tous les côtés. Les personnages montent sur Marette et, après plusieurs tentatives, réussissent à former une pyramide.

(court rideau)

Cadavres de jeunes, de chiens et de chasseurs. La pyramide est au milieu, vacillante. Fillon est au sommet. La Présidente laisse couler une colique verte, mais sans abondance.

 

Scène X

La Présidente, Marette, Tintin, Hollande, Sarkozy, Fillon, Bousquet et Roger

Marette — Qui est en haut ?

Tintin — C’est pas Trigano…

Bousquet — Je crois que c’est Fillon.

Marette — Le curé ?

Bousquet — Il est en haut.

Marette — Je veux dire : le curé, c’est Fillon ?

Tintin — Il a pas mis le maillot. Je vois pas Trigano. Il doit être avec les morts, tué lui aussi, Dieu sait par quoi ! Une morsure, un coup de fusil, trop de merde…

Marette — À mon avis, il est chez lui, bien au chaud devant la télé.

Bousquet — Il est peut-être déjà à Paris…

Marette — Ça va vite, le TGV.

Bousquet — Moi je vais bien… Et vous ?

Marette — J’ai une déchirure.

Tintin — Non, non. C’est pas déchiré. C’est l’abus.

Marette — Ah ! Ça… pour abuser, on a abusé… de moi.

Bousquet — Moi pas trop.

Tintin — J’ai plus la forme.

Marette — On les entend plus…

Tintin et Bousquet — Qui ? Les Parisiens ?

Marette — La dernière fois que j’ai foutu le feu à François Hollande, manque de pot c’était une effigie en papier. Et elle ? Elle va bien ?

La Présidente — Ça va. J’ai tout pris dans le cul. Rien dans le vagin. Et encore, c’est sorti…

Bousquet — C’est mieux quand ça rentre.

Marette — C’est pas la même chose.

Tintin — Ils sont morts ou c’est pas eux… ?

Marette — Qui vous avez sur le dos ?

Tintin — Je crois que c’est Hollande…

Bousquet — Alors c’est pas lui.

Tintin — J’ai quelque chose dans le cul…

Marette — Dans quel trou ? Celui de Gauche ou celui de Droite ?

Tintin — Je fais plus la différence.

Marette — Il est centriste maintenant…

Bousquet — Entre les deux trous….

Marette — C’est stratégique.

Tintin — Il a l’air bien. J’ose pas le déranger.

Marette — Comme je le comprends ! On tient le coup à son âge. Vous avez pas Sarkozy dans l’autre trou ? Il aime ça aussi le Sarko !

Tintin — Enfin… Je suis vivant.

Marette — C’est le cri de la fin ! « Je suis vivant et vous êtes morts ! »

Tintin — J’ai jamais été aussi vivant.

Bousquet — Avec les deux trous bien remplis, je comprends ! On revit !

Marette — Et Fillon ? Qu’est-ce qu’il fout, Fillon ?

Tintin — Il a son goupillon.

Bousquet — Et il se le met où il veut.

Marette — C’est comme ça quand on a un goupillon.

Bousquet — Et ça s’achète pas au coin de la rue. On vous en donne pas un goupillon dans l’administration de la Justice ?

Marette — On leur donne une hermine, mais c’est pour se torcher le cul.

Bousquet — Vous avez beaucoup chié !

La Présidente — Oh ! Ya pas que moi là ! Ya aussi les chiens !

Marette — Les jeunes ont fait le reste.

La Présidente — Si vous aviez pas vidé tant de bouteilles ! On a pas idée, je te jure !

Marette — Mais c’était pas MON idée !

Bousquet — C’était pas la mienne non plus. Je dis ça pour qu’on croive pas que j’y suis pour quelque chose.

Marette — Si on se séparait ?

Bousquet — Je sais pas si François voudra encore de moi après ce qui s’est passé.

Marette — Non ! Je veux dire : vous pourriez descendre. Tintin n’est pas obligé de se séparer de ses amis, mais ça serait bien qu’il remette ses pieds sur le plancher des vaches…

Entre Trigano en maillot tout propre.

 

Scène XI

Les mêmes, Trigano

Trigano — Ils vendaient des vaches à Calmont. J’ai fait un petit tour pour voir. Mais je n’ai rien acheté. Vous allez bien vous ? Vous avez fait un sacré raffut !

Marette — On s’est arrêté quand vous avez filé. Sans vous, c’était plus la même chose.

Trigano — Ils dorment bien. Mais l’endroit n’est pas bien choisi. Il faut tout nettoyer avant demain…

Marette — Souhaitez-nous bonne nuit…

Trigano — L’inspecteur du Tour de France sera là à l’aurore. On a intérêt à ce que tout soit conforme. Je vous laisse le cahier des charges ?

Marette — On en a un. Il est à peu près pareil, hein, Bousquet ?

Bousquet — Avec ce qu’on a tous pris dans le cul…

La Présidente — Sauf moi ! Alors que je le méritais amplement !

Trigano — Vous ne préférez pas les médailles ?

La Présidente — Je les aime aussi, mais vous savez, de les voir s’en prendre plein le cul, ça m’a donné une envie comme j’en ai jamais eu !

Trigano — Il faut vous calmer. Et revenir aux médailles. C’est beaucoup mieux que ces choses qui ne sont pas bien vues par la Justice…

La Présidente — Maintenant je les vois très bien. Vous pouvez pas me passer le goupillon de Fillon ?

Trigano — Il faut monter là-haut !

La Présidente — La bataille est terminée. Vous risquez pas de vous faire… vous aussi…

Trigano — Demandez à Marette…

Marette — Je peux pas monter et descendre en même temps ! Il faut pas me demander des choses contradictoires comme ça ! Après, je sais plus…

Bousquet — Tu sais plus quoi ?

Marette — Bé si je suis… hé ?

Bousquet — Tu l’es, mais tu veux pas le reconnaître.

Marette — J’ai pas deux trous comme Tintin !

Tintin — Et qu’est-ce que tu en ferais de deux trous ?

Marette — La même chose que toi !

Tintin — Mais tu le fais déjà ! Et avec un seul trou !

Marette — Putain ! Je suis bon quand même ! Meilleur que toi !

Tintin — Je suis monté plus haut…

Marette — Moi je suis monté tout en restant en bas. Et avec un seul trou. Que si j’en avais eu deux, comme toi, je serais peut-être descendu encore plus bas !

La Présidente — Oh ! Il vient ce goupillon !

Trigano — Et s’il ne veut pas me le donner ?

La Présidente — Mais ce n’est qu’un personnage de papier !

Marette — Le goupillon c’est du bronze, hé ! Je l’ai soupesé.

Bousquet — Tu as soupesé le goupillon de Fillon ?

Marette — À la messe ! Entre pratiquants… Je vais vous montrer…

Il s’arcboute et la pyramide s’effondre. Tout le monde geint sur le sol dans la merde, sauf Trigano qui a fait un pas de côté.

Trigano — Pas une éclaboussure !

Marette — Dédé ?

Trigano — Oui mon petit Marette… ?

Marette — Vous pouvez pas regarder voir qui m’a arraché le maillot ?

Trigano — Je vois votre petit cucul…

Bousquet — Ça fait deux pléonasmes ! Ici on parle français !

(rideau)

 

 

ACTE XVIII

Même décor entièrement nettoyé. Le jour se lève. Un vélo flamboyant trône sur un piédestal. Des jeunes ramassent des canettes. Roger joue de la guitare.

 

Scène première

Les jeunes, Roger

Jeunes —

Ya plus grand monde pour la fête

À Mazèr’ on se bouscul’ pas

Faut dir’ qu’avec pépé Marette

Ya plus d’ la fête ya qu’ du rata

Mais enfin si ya pas le nombre

Ya la qualité des fêtards

C’est nous les jeun’ qui rentrent tard

On est pas seul dans les coins sombres

 

Ya plus d’ la fête

Ya du qu’ du rata

Ça nous embête

Mais ça ira

On est pas là

Pour qu’ ça s’arrête

Mais ça viendra

T’inquièt’ donc pas !

 

C’est l’époqu’ qui veut qu’on s’emmerde

Si on est pas d’vant la téloche

Surtout qu’avec c’ qu’on a en poche

C’est pas le moment qu’on se perde

Et qu’on s’ mette à dos les touristes

Qui vienn’ téter nos p’tits plaisirs

On a encor’ des chos’ à dire

Histoir’ de pas quitter la piste

 

Ya plus d’ la fête

Ya du qu’ du rata

Ça nous embête

Mais ça ira

On est pas là

Pour qu’ ça s’arrête

Mais ça viendra

T’inquièt’ donc pas !

 

Mais avec Marette à la tête

Lui qui n’a jamais rien branlé

À part moufter des salariés

Le cirque a remplacé la fête

Ensemble nous nous amusons

Mais pas autant que les croyants

Qui sont venus nous voir comment

On fait pour passer pour des cons

 

Ya plus d’ la fête

Ya du qu’ du rata

Ça nous embête

Mais ça ira

On est pas là

Pour qu’ ça s’arrête

Mais ça viendra

T’inquièt’ donc pas !

 

Le bal du soir ya pas à dire

On s’y plaît et c’est fait pour nous

La musique est un poil en-d’ssous

Mais on s’ plaint pas c’est du plaisir

On est jeune et au téléphone

On est meilleur que la moyenne

Ya pas d’ raisons qu’on nous pistonne

Pour danser sur des airs de haine

 

Ya plus d’ la fête

Ya du qu’ du rata

Ça nous embête

Mais ça ira

On est pas là

Pour qu’ ça s’arrête

Mais ça viendra

T’inquièt’ donc pas !

 

Le lendemain on est plus là

Pour écouter les militaires

Qui s’insinuent dans les bandas

Jouant comm’ des pieds les grands airs

Nous on est né les pieds sur terre

Pour profiter du temps qui passe

Du moins quand on est pas en face

De ces foutus fouteurs de guerre

 

Ya plus d’ la fête

Ya du qu’ du rata

Ça nous embête

Mais ça ira

On est pas là

Pour qu’ ça s’arrête

Mais ça viendra

T’inquièt’ donc pas !

 

On veut bien que chacun s’amuse

Après tout un con c’est un con

Si ça leur plaît de fair’ mumuse

Qu’ils se gratouillent les boutons

Chacun à sa place en ce monde

On s’ra bien seul un jour ou l’aut’

C’est pas dans leur sens qu’on abonde

Et on laiss’ fair’ tant qu’on est pote

 

Decrescendo :

T’inquièt’ donc pas !

T’inquièt’ donc pas !

T’inquièt’ donc pas !...

 

Ils sortent sauf deux personnages qui sont en fait Nanette et Frank. Un gosse suit.

 

Scène II

Roger, Nanette, Frank, le gosse

Roger — Vous avez amené le costume ?

Frank — Les costumes, ô Méphisto !

Nanette — Même pour ce petit diable !

Roger — Pas trop souffert, ma mie ?

Nanette —

Caressant la tête de l’enfant :

Je n’enfante pas dans la douleur.

Frank — Notre maître a raison : la douleur est un plaisir. Il faut toucher le fond de l’âme pour trouver l’angoisse…

Nanette — … qui n’est pas une douleur, mais une forme sans remède de la mélancolie…

Roger — Chut ! Quelqu’un arrive ! Planquons-nous !

Ils se cachent, sauf l’enfant. Entrent trois bobos d’un certain âge. L’un d’eux porte un ballon de plage.

 

Scène III

Les bobos, le gosse

Bobo I — Quel bel enfant !

Bobo II — Quelle crinière !

Bobo III — J’aime pas les enfants !

Bobo I — Tu ne les as jamais aimés.

Bobo II — Il les aurait aimés si tu l’avais aimé…

Bobo III — Mais je n’aime que toi.

Bobo I — Quelle société pourrie !

Bobo II — Je me demande bien pourquoi on travaille…

Bobo III — … et pourquoi on prend des vacances.

Bobo I — Nous n’allons jamais loin.

Bobo II — Pas plus loin que Mazères…

Bobo III — Nous revenons.

Bobo I — Nous avons mal vécu ici.

Bobo II — Nous n’avons pas été des enfants.

Bobo III — Ce qu’ils on fait de nous !

Bobo I — Des tristes…

Bobo II — Des voix sans oreille…

Bobo III — Vaisseaux fantômes…

Bobo I — Il est bien beau cet enfant !

Bobo II — Nous n’étions pas beaux.

Bobo III — Nous aurions voulu l’être.

Bobo I — Comment tu t’appelles ?

Gosse — Le gosse à Nanette.

Bobo I — Nanette la… ?

Gosse — Celle-là, oui !

Bobo I — Tu ne lui ressembles pas.

Gosse — Je ressemble à mon père.

Bobo II — Un touriste allemand…

Bobo III — Ou hollandais…

Gosse — J’en sais rien.

Bobo I — Demande-nous quelque chose.

Gosse — Je sais pas, moi !

Bobo II — Tu ne sais jamais rien ?

Gosse — Je sais tout, mais pas encore.

Bobo III — Mauvaise éducation…

Bobo I — Ouvrier…

Bobo II — Petit bourgeois…

Bobo III — Fonctionnaire…

Bobo I — Commerçant…

Bobo II — Elle travaille toujours à la mairie, ta maman ?

Gosse — Il faut gagner de quoi me nourrir.

Bobo III — J’y ai travaillé moi aussi, à la mairie.

Bobo I — C’était le bon temps.

Bobo II — Nous votions contre Marette.

Bobo III — Dans le plus grand secret.

Bobo I — Marre de cette existence de cloporte !

Bobo II — Nous étions jeunes…

Bobo III — Au chômage…

Bobo I — Pas le choix !

Bobo II — Pas le choix !

Bobo III — Pas le choix !

Bobo I — Qu’en dit ta maman quand elle en parle ?

Gosse — Elle dit qu’elle se mariera jamais.

Bobo II — Tu dois être content…

Gosse — Je le suis !

Bobo III — Quel bonheur d’être unique…

Bobo I — … mais pas seul !

Bobo II — Nous avons connu le bonheur.

Bobo III — Nous ne l’avons pas cherché.

Bobo I — Nous n’avons pas couru après des chimères.

Bobo II — Mais le temps a passé.

Bobo III — Et nous voilà de retour.

Bobos —

On était gentil à cet âge

De la grain’ de vrais bouts de chou

On respectait les morts dessous

Ceux d’ dessus nous mettaient en rage

Faut dir’ qu’ ceux-là vivaient encore

Yen avait plein les monuments

Mais pas dessus comme les morts

Ils donnaient des leçons de corps

Ça faisait qu’un dessous l’ drapeau

On retenait mais pas des larmes

Ils avaient encore du pot

On était venu sans nos armes

 

Les anciens combattants

Qui se donn’ en spectacle

Au pied des monuments

Pour fair’ croire au miracle

De la foi et du sang

Parlent trop aux enfants

 

On a jamais tué personne

Et pourtant on a des raisons

Il a fallu qu’on se raisonne

On connaissait pas la chanson

Terroriser c’est pas not’ fort

Mais fair’ sauter des monuments

Ça finira au bon moment

Avant qu’ ça finiss’ pour not’ sort

On en rêve toutes les nuits

Et on réveill’ les sentinelles

En rêvant fort ya pas d’ennui

C’est que des bidons des gamelles

 

Les anciens combattants

Parlent trop pour rien dire

En dis’ trop aux enfants

Et pas assez du pire

Dessous le monument

Dort d’un œil un empire

 

On est d’venu des vieux pépères

Avec un’ pip’ dans le museau

Non nous on a pas fait la guerre

Ya pas notr’ nom sur le carreau

On a mêm’ perdu nos enfants

Dans l’ dernier cri de la conso

On sort plus que pour fair’ dodo

Devant la porte avec le vent

P’t-êtr’ que si on s’était battu

Si on avait connu la belle

Avant d’être connu par elle

On aurait voulu un’ statue

 

Les anciens résistants

À toute idée d’ combat

L’œil bouffé par le temps

Et lassés des débats

Parlent peu aux enfants

Même s’ils n’en ont pas

 

Gosse — Et ça me va très bien !

Il sort en courant. Entre Marette.

 

Scène IV

Les mêmes, Marette

Marette — Des gauchistes déguisés en touristes ! Je vous ai reconnus !

Bobo I — Pas facile de tromper son œil… vigilant !

Bobo II — Drôle de voisin !

Bobo III — Mais on ne va pas refaire l’Histoire.

Marette —

Faisant le tour des bobos :

Il a dû vous coûter cher, ce déguisement !

Bobo I — Oh… Une culotte courte…

Bobo II — … avec slip intégré…

Bobo III — … tricoté au Cachemire…

Bobo I — Un T-shirt sans coutures…

Bobo II — … taillé dans la peau d’un animal…

Bobo III — … qui a donné son sang pour la cause.

Bobo I — Des tongs en bois…

Bobo II — … du bois de rivière…

Bobo III — … à développement durable.

Marette — Et je vois qu’on a même acheté un ballon… De la vessie hors d’usage, je suppose…

Bobo I — Il n’est pas à nous !

Bobo II — C’est cet enfant qui jouait avec…

Bobo III — Alors on a joué avec lui…

Bobo I — Et vous l’avez fait fuir !

Marette — C’est pas un enfant comme les autres ! Ça compte pas !

Bobo II — C’est l’enfant de Nanette.

Marette — En regardant bien, il me ressemble…

Bobos — À votre âge…

Marette — Je fais jamais exprès de faire des enfants. Des fois j’oublie…

Bobos — La capote !

Marette — … tellement je suis pressé !

Bobo I — Avec le doigt ?

Marette — Quand j’étais petit, je peignais avec…

Bobo I — Et vous avez continué de peindre…

Marette — Je suis pas un artiste !

Bobo I — Pas un intellectuel…

Bobo II — Pas doué…

Bobo III — Peut-être déficient…

Bobo I — Enfin… sauvé des eaux…

Bobo II — Des relations…

Bobo III — … domestiques…

Marette — En attendant, déguerpissez ! Je vais faire un discours.

Bobo I — Mais on est venu pour ça !

Bobo II — On a vu l’affiche…

Bobo III — … au camping !

Marette — J’en ai mis partout. Je m’y connais.

Bobo I — Quelqu’un l’a barbouillée…

Bobo II — Un peintre en herbe…

Bobo III — Avec le doigt…

Bobo I — Il attendra longtemps…

Bobo I — … avant de se servir…

Bobo I — … de sa queue !

Marette —

Triste :

J’attends encore !

Se reprenant :

Mais c’est pas dans le discours, ça !

Un moment.

Je suis pas fou…

Il cherche quelque chose.

Ils ont pas mis le micro ?

Bobo I — C’est ça que vous cherchez ?

Marette — C’est quoi ?

Bobo II — Une capote…

Marette — Ça tombe bien, je suis pas pressé ce matin. Le Tour de France arrive cette après-midi. Alors j’en profite pour faire un discours. Trigano en fera un autre après l’arrivée. C’est bien organisé, hé ?

Bobo III — Il n’y a personne que nous.

Marette —

Manipulant la capote :

Quand ça sert pas pour le doigt, ça sert à parler dedans…

Bobo I —

Chantant :

« Radio Mazères ment, Radio Mazères ment, Radio Mazères… »

Bobo II — Chut ! Voilà la Présidente !

Bobo III — Elle sent bon !

À Marette :

Profitez-en !

 

Scène V

Les mêmes, la Présidente

La Présidente —

Joyeuse :

On est venu écouter le discours !

Marette — On ?

La Présidente — Je viens jamais seule !

Entre le Colonel.

 

Scène VI

Les mêmes, le Colonel

Colonel — Vive la Légion d’Honneur !

La Présidente — Nous voilà tous les trois !

Colonel — La Triade de la Légion d’Honneur Ariégeoise !

La Présidente — Complicité bienveillante, cela va sans dire…

Colonel — Et maintenant, en tenue !

La Présidente et le Colonel se déshabillent rapidement.

La Présidente — Et voilà !

Colonel — Deux touristes de plus !

Marette — Ça fait pas beaucoup habillé, je trouve…

La Présidente — Mais nous cachons ! Nous cachons !

Colonel —

Geste obscène :

Et c’est bien caché !

La Présidente —

Même jeu :

Personne le trouvera !

S’emparant du ballon :

Qui me poursuit ? Qui me poursuit ?

Marette — Je la préfère quand elle chie…

Colonel — On est pas venu pour s’amuser. On fait semblant.

Bobo I — Deux touristes de plus, ça compte !

Colonel — C’est qui ceux-là ?

Marette — Trois touristes de plus.

Bobo II — Ça fait cinq…

Bobo III — Ça va pas faire beaucoup pour le discours…

Bobo I — Il a l’habitude…

Bobo II — Vous comptez pas le ballon ?

Bobo III — Six !

La Présidente — Je sens que je vais bien m’amuser ! Dites-moi…

Marette — J’ai encore rien dit, vous avez raison…

La Présidente — Les cyclistes, c’est tous des…

Marette — Bousquet il en est, mais il fait pas du vélo…

Colonel — Ce que veut dire notre ami, c’est que lui en fait.

La Présidente —

Montrant le vélo :

C’est le vôtre de vélo ?

Marette — C’est celui de Trigano…

La Présidente — Il en est lui aussi ! Comme le monde change !

Colonel — Ça vous fait pas du bien de rester enfermée dans votre palais.

La Présidente — Personne me sort ! C’est ma fille que vous sortez.

Colonel — Oui, mais pas du palais. Je la sors de chez elle.

La Présidente — J’y habite aussi, figurez-vous !

Colonel — Et aujourd’hui, je vous sors pas ? On est pas dehors là ?

La Présidente — Si vous l’avez dehors, ça se voit pas…

Bobos — Un discours ! Un discours ! Un discours !

Colonel — Vous avez pas de micro ?

Marette —

Montrant la capote :

C’est pas un micro, mais ça le goût d’un micro…

Colonel — Vous allez pas parler là-dedans !

Marette — Et pourquoi que j’y parlerais pas ?

La Présidente — Parce que ça se gonfle ! Les vrais micros, ça se gonfle pas. On m’en avait mis un comme ça au palais.

Marette — Et il se gonflait ?

La Présidente — Et pas qu’un peu !

Colonel — Ça devait se marrer !

La Présidente — Ça souriait…

Colonel — Je crois même qu’on avait pitié de vous…

La Présidente — En plus, ça faisait rien !

Marette — Ça faisait pas le micro…

La Présidente — Hé non !

Marette —

Aux bobos :

Encore un coup de la gauche !

Bobos — Parlez dedans et vous verrez ! Avant de critiquer…

Marette — Un… deux… un deux… Ça marche !

Colonel — Ya un truc…

La Présidente — Le mien y avait pas de truc dedans…

Colonel — Encore heureux ! Au palais ! Un truc dans le…

Bobos — … micro !

Marette — Un… deux… trois trois ! Cinq touristes, ça fait pas beaucoup…

Colonel — Et ya pas La Dépêche…

La Présidente — Oui, mais je suis là, moi !

Colonel — Vous avez oublié la bouée… Ils ont un ballon, eux !

Marette — Il est au gosse.

Colonel — Ça m’étonne pas d’eux ! Piquer un ballon ! C’est bien la Gauche, ça ! Ils savent pas jouer avec leur ballon, alors ils en piquent un…

La Présidente — Le ballon d’un gosse… Tout même !

Entre la fille de la Présidente (en maillot).

 

Scène VII

Les mêmes, la fille de la Présidente

La Présidente —

Se justifiant :

C’est pour rendre service…

Fille — Mais je te reproche rien ! C’est pas souvent qu’on te sort.

La Présidente — Et encore… J’ai pas tout amené…

Fille — Ça se voit !

La Présidente — Mauvaise langue ! Toujours des allusions à ce qui se voit plus !

Colonel — Vous m’avez vu ?

Fille — On peut pas vous rater… Vous n’étiez pas tatoué… avant ?

La Présidente —

Inquiète :

Avant quoi ?

Colonel — C’est dessous… J’ai encore un peu de pudeur…

Marette — C’est pas parce que c’est les vacances qu’on doit oublier les rigueurs de l’honneur qu’on nous reconnaît sans qu’il soit possible d’en douter !

Fille — Vous avez mis le costume, vous…

Marette — Je suis pas un touriste…

Colonel — Il fait pas semblant comme nous… Vous faites semblant, vous ?

Fille — Avec les genoux que j’ai, je fais rien semblant !

Marette — Ça fait pas beaucoup de monde… L’heure passe…

Bobos — Faites-le, ce discours, qu’on en parle plus !

Colonel — C’est des vrais touristes ?

La Présidente — Ils en ont l’air…

Colonel — C’est le ballon.

Fille — En parlant de ballon…

La Présidente — On en parlera à la maison… C’est plus tranquille pour s’engueuler.

Fille — Comme tu voudras.

Marette — Il est plus là le guitariste ?

La Présidente — Vous avez un guitariste à demeure ?

Colonel — Un avantage en nature.

Marette — Je comptais sur lui pour m’accompagner… Et c’est un vrai touriste, lui ! À la place du ballon, il met une guitare…

Colonel — Et en plus il en joue.

La Présidente — Tandis que ces trois-là, ils jouent pas avec le ballon.

Marette — Ce qui les rend suspects.

Colonel — Je me disais aussi…

Bobo I —

Il gratte le ventre de la fille. Elle crie.

On peut jouer du ballon si vous voulez…

La guitare joue quelques accords.

Vous avez été entendu.

Bobo II — Guitare céleste…

Bobo III — Il faut y croire…

Bobo I —

En sourdine :

Quel diable ce Méphisto !

Bobo II — Quand il s’y met…

Bobo III —

Haut :

Nous ferons le refrain !

Marette —

Si te plais pas à Mazères

Va voir à Calmont si Marette

Aura le bonheur de te plaire

Va plus loin si le bruit d’ la fête

Te donn’ pas envie de la faire

Va au diable si tu espères

Chasser gratos sans la musette

Au bal des chiens on est des frères

 

Frèr’ en médaill’ et en justice

Si la justice c’est le droit

Et si le droit c’est la milice

En terr’ de Franc’ l’État c’est moi

 

On va nettoyer le terrain

Pour ça on a besoin de mains

Recrutons un max de crétins

C’est pas c’ qui manqu’ sur le chemin

Faut des salauds mais moins que nous

Du pas intelligent du tout

À pein’ que nous ça suffira

On est des frèr’ et tout l’ barda

 

Frèr’ en médaill’ et en justice

Si la justice c’est le droit

Et si le droit c’est la milice

En terr’ de Franc’ l’État c’est moi

 

Voyez aussi côté gendarmes

Yen a qui rêv’ du même rêve

Des futurs miliciens en armes

D’ la sécurité les élèves

Fait’ miroiter la promotion

Les avantag’ de la Légion

Les barreaux de l’échell’ sociale

On est des frèr’ de bons vassals

 

Frèr’ en médaill’ et en justice

Si la justice c’est le droit

Et si le droit c’est la milice

En terr’ de Franc’ l’État c’est moi

 

Faut des enfants sans les enfants

Ya pas de transition sociale

Et sans ça on finira mal

Au bien faut pas donner le flanc

Briquez l’émail de vos médailles

Faut qu’ ça ait l’air et pas d’ la gueule

Sinon on se retrouv’ra seul

Comm’ des faux frères dans la merdaille

 

Frèr’ en médaill’ et en justice

Si la justice c’est le droit

Et si le droit c’est la milice

En terr’ de Franc’ l’État c’est moi

 

Mais faut aussi rester fidèle

À l’esprit français que sans ça

On est bon pour touiller l ‘rata

Et se nourrir dans les poubelles

Chacun pour soi et Dieu pour tous

Main dans la main rien dans la main

Pas tous les doigts juste le pouce

On est des frèr’ et des humains

 

Frèr’ en médaill’ et en justice

Si la justice c’est le droit

Et si le droit c’est la milice

En terr’ de Franc’ l’État c’est moi

 

Comme on aura plus rien à faire

Avec ces crétins et ces mômes

Mais pas sans les fossiles d’homme

Et les jeun’ retraités du fer

Il faut inventer des occu

Des occupations culturelles

En la matière ah ! Pas de cul

J’ai rien appris du genr’ femelle

 

Frèr en médaill’ et en justice

Si la justice c’est le droit

Et si le droit c’est la milice

En terr’ de Franc’ l’État c’est moi

 

Si on trouv’ pas il faut chercher

Même du côté espagnol

C’est des chrétiens qu’ont des curés

Des saints avec des auréoles

Sans leurs bandas notre musique

Ça fait du bruit mais sans la soif

Faut pas bouffer les fonds publics

Sans les arroser et fair’ gaffe

 

Frèr en médaill’ et en justice

Si la justice c’est le droit

Et si le droit c’est la milice

En terr’ de Franc’ l’État c’est moi

 

Avec moi zaurez que d’ la joie

Je me fais fort d’éliminer

Les crott’ de chien les crott’ de nez

Ah ! Les crott’ zauront pas le choix

C’est la Loi de la Briquèt’rie

T’es pas content va voir ailleurs

Et si tu veux rester ici

C’est nous qu’on ira voir nos sœurs

 

Frèr en médaill’ et en justice

Si la justice c’est le droit

Et si le droit c’est la milice

En terr’ de Franc’ l’État c’est moi

 

Ainsi dans les rues de Mazères

À part les salauds que nous sommes

Y aura qu’ des crétins et des mômes

Mais des môm’ assez vieux pour plaire

Ça vous plaira de fair’ vieillir

Des jeun’ qui ne demand’ que ça

J’ suis le mair’ de tous les désirs

Pourvu que le maire c’est moi !

 

Tous —

Avec moi zaurez que d’ la joie

Je me fais fort d’éliminer

Les crott’ de chien les crott’ de nez

Ah ! Les crott’ zauront pas le choix

C’est la Loi de la Briquèt’rie

T’es pas content va voir ailleurs

Et si tu veux rester ici

On saura te briser le cœur !

 

Ils sortent en chantant, sauf Marette avec sa capote. Entrent Roger, Nanette et Frank déguisés en fonctionnaires.

 

Scène VIII

Marette, Roger, Nanette et Frank

Marette —

Effrayé :

Hou ! Ceux-là, c’est pas des touristes !

Roger, Nanette et Frank — On est pas des touristes, mais c’est comme si on était en vacances…

Marette — Des fonctionnaires !

Roger — Que se passe-t-il, citoyen ? Vous n’aimez pas les fonctionnaires ?

Marette — Et oui je les aime ! Je suis de la maison ! Enfin… assimilé… que c’est comme si j’en étais… n’est-ce pas ?

Frank — Mais vous avez de la chance aujourd’hui.

Marette — J’en ai jamais. Alors pour une fois… D’habitude, comme j’ai jamais de chance, je fais des choses que si c’était pas moi qui les faisais je me les reprocherais…

Nanette — Des choses inavouables… ?

Marette — Je me confesse une fois par semaine…

Roger — Oui, mais c’est pour reluquer les mollets des pénitentes agenouillées…

Marette — Vous l’avez fait vous aussi… ?

Roger — J’ai commencé comme ça.

Marette — Moi aussi !

Frank — Et il se branlait derrière un pilier…

Marette — Moi aussi !

Nanette — Ça commençait mal…

Marette — Mais ça faisait du bien !

Roger — Et ça ne fait plus mal…

Marette — Vous avez raison… J’ai plus mal. J’ai plus bien non plus, mais c’est normal.

Roger — Ce n’est pas normal au contraire !

Marette — À mon âge…

Nanette — Vous en avez de la chance !

Marette — J’ai pas laissé de preuves. On a tout effacé.

Roger — On ?

Marette — Alors comme ça, vous prenez vos vacances à Mazères. C’est bien comme endroit. Ça vous plaira. Mais vous êtes peut-être déjà venus… ?

Roger — C’est la première fois. Mais vous avez de la chance…

Nanette et Frank — Nous ne sommes pas des fonctionnaires !

Roger — Pas des vrais !

Marette — Des faux ? Ça me soulage pas… J’y suis ! Vous êtes…

Roger, Nanette et Frank — Vous y êtes…

Marette — Vous êtes de L’Équipe !

Roger, Nanette et Frank — Le Je Suis Partout du sport nationalisé !

Marette — Pire que des fonctionnaires véritables !

Roger — Vous n’avez vraiment pas de chance.

Marette — Une fois, j’ai cru que j’en avais. Mais c’était autre chose…

Roger, Nanette et Frank — Et quoi donc ?

Marette — C’est pas le genre de chose qu’on a du plaisir à avouer…

Roger, Nanette et Frank — À avouer !

Marette — Pitié ! Pitié ! Pitié !

Il se jette à genoux et se traîne.

Vous le trouver pas conforme, le vélo ?

Roger, Nanette et Frank — Il l’est !

Marette — Et bé qué ?

Roger —

Désignant quelque chose parterre :

Qu’est-ce que c’est ça ?

Marette — Sans lunettes, je vois pas les détails…

Roger — Mais ce n’est pas un détail !

Frank — Tout doit être parfait pour l’arrivée du Tour de Farnce !

Nanette — Pas un défaut ! Sinon…

Elle fait le geste de se trancher la gorge.

Marette — Putain ! Vous y allez pas de main morte à L’Équipe !

Roger, Nanette et Frank — On a coupé beaucoup de mains…

Marette — Et quécecé ? Je vois rien…

Roger — C’est une tache…

Marette — Je vois bien que c’est une tache !

Roger, Nanette et Frank — Et bien léchez !

Marette — J’ai fait ça toute ma vie ! Vous me surprendrez pas !

Il lèche consciencieusement.

J’ai bien léché ?

Roger — Quel goût ça a ?

Frank et Nanette — Oui, quel goût ?

Marette —

Claque la langue :

Ça donne soif…

Roger, Nanette et Frank — Mais encore ?

Marette — J’y ai déjà goûté… Voyons… Que je me confonde pas avec autre chose…

Roger, Nanette et Frank — C’est de la merde !

Ils tournent en se baissant.

Mais qu’est-ce que c’est que toutes ces merdes là parterre ?

Marette — Et je sais pas moi ! Bousquet a tué tous les oiseaux du Domaine.

Roger, Nanette et Frank — Et si ce ne sont pas les oiseaux, qui est-ce ?

Marette — La Présidente !

Entre la Présidente court vêtue.

 

Scène IX

Les mêmes, la Présidente

La Présidente — Je suis en vacances…

Marette — C’est pas des touristes. Ils viennent pour chercher la merde.

Roger — Et on la trouve toujours.

Marette — Pour ça, on peut faire confiance aux journalistes de L’Équipe…

La Présidente — Des journalistes ! Vous avez pas une chronique judiciaire dans votre canard ?

Marette — C’est pas un canard et c’est pas lui qui a chié parterre !

La Présidente — Oh… La merde ?

Marette — On a pas posé la question, mais moi, je lèche.

La Présidente — Et vous léchez bien.

Roger — Vous léchez vous aussi ?

La Présidente — Il le faut bien ! Sinon on avance pas.

Frank — Méphisto ! Tu es diabolique !

La Présidente —

Regardant ce que Marette lèche :

Yen a encore ! Putain ! On a frotté pourtant !

Marette — Mais de frotter ça fait pas partir toutes les taches ! Il en reste…

La Présidente — Oui, mais vous léchez bien.

Roger l’empoigne par le cou et la force à s’agenouiller.

Normalement, au Palais, on lèche pas sa propre merde…

Marette — Mais ici, oui ! Taisez-vous et léchez !

La Présidente — Mais je suis pas en tenue de lèche !

Marette — Personne le regardera, votre cul en l’air ! En tous cas pas pour ce que vous espérez.

La Présidente — Mais j’espère rien !

Roger — Léchez !

Marette — Putain… Il a une voix, ce mec…

La Présidente — Ça vient de profond…

Marette — Parlez pas de profondeur en présence de journalistes ! Léchons !

La Présidente — Je dis pas non, mais c’est comme si mangeais ma propre salive. Ça me fait rien.

Marette — Mais pourquoi voulez-vous que ça vous fasse !

La Présidente — Ça vous rien à vous ?

Marette — J’aimerais bien que ça me fasse !

Entre le Colonel avec le ballon.

 

Scène X

Les mêmes, le Colonel

Colonel — Qui c’est qui vient à la plage ?

Marette — Vous pouvez commencer à vous préparer à lécher…

La Présidente — Ça plaisante pas ici…

Colonel — Et qu’est-ce que vous léchez ? J’ai rien reçu de la Chancellerie. On me l’aurait dit.

La Présidente — Ça n’a rien à voir avec la Légion d’Honneur…

Marette — Pour une fois…

Colonel — Je veux bien lécher, mais pas sans savoir pourquoi…

Roger l’empoigne.

Il a une force, ce type !

Marette — Je te le fais pas dire ! Ça m’étonnerait pas qu’il te demande de lécher sans savoir pourquoi…

Colonel — Il me le demande pas, mais je vais lécher…

Roger — Vous ne voulez pas savoir pourquoi ?

Colonel — La dernière fois que j’ai su, ça c’est bien passé…

Marette — On peut pas dire que ça se passe mal, mais ça va être long à passer…

La Présidente — L’honneur en prend un coup…

Colonel — … mais ce qui compte, c’est la médaille…

Marette — … pas ce qu’elle cache !

Les trois —

Pour lécher nous léchons

Ya pas d’ médaill’ sans ça

Chez nous le fait-maison

C’est vieux comm’ le rata

On a le sens aigu

De la propriété

C’est en toute gaîté

On est jamais déçu

 

Pour faire des enfants

On fait comm’ tout le monde

Par derrièr’ par devant

La terre est toujours ronde

Mais pour se la gagner

Faut lécher le bon cul

Surtout pas se tromper

Sinon on est foutu

 

Je m’ suis trompé un’ fois

Et j’ai payé le double

L’honneur ça support’ pas

La vie à trois en couple

Depuis j’ai rattrapé

Le retard et l’ bon cul

Et je suis pas déçu

La médaille je l’ai !

 

Si les enfants questionnent

À l’école ya des mau

Des mauvais’ langu’ d’ personnes

Qui zont pas autant d’ pot

Que nous les langu’ au chat

Qui n’ont pas de secrets

Pour les chefs de l’État

Et mêm’ pour le curé

 

Si les enfants veul’ sa

Savoir c’ que ça veut dire

Faut pas les découra

Décourager du pire

La vie yen a qu’une fois

Mais c’est pas la dernière

Quand on a un derrière

C’est devant qu’on est roi

 

Rois et rein’ de l’info

Et de la désinfo

Pour nous ya rien de faux

Et c’est pas un défaut

La perfection maison

C’est un don d’ la nature

S’il y a de la friture

C’est que c’est la saison

 

Et on a bien raison

De pas chercher ailleurs

Une seule passion

C’est décent pour les mœurs

D’autant qu’en temps de guerre

Les serments ça compt’ pas

On peut se les refaire

Au procès de papa

 

Enfants de la patrie

Et parents des enfants

Des enfants sans souci

Et des adolescents

Qui n’auront pas le choix

Au moment d’ déclarer

Comment qu’ils sont bien nés

Dans l’honneur et la foi

 

C’est pas un’ maladie

Mais c’est très contagieux

On a pas froid aux yeux

Et on a pas d’ patrie

Léchons jusqu’à plus soif

La lèch’ c’est notre taf

Tiens voilà un’ médaille

Sans mettre la pagaille

 

Pas comme les fauteurs

De troubl’ dans la marmaille

Dans les idées de cœur

Et du sens du travail

En rang les anarchistes

Les toutous sans honneur

Nous les vrais altruistes

Au taf on est à l’heure

 

Des fois si on a l’air

D’avoir bu un coup d’ moins

Ou d’ trop selon qu’ c’est l’heure

Avec ou sans tintouin

Vous affolez pas trop

C’est un anniversaire

En matièr’ de gros lot

On peut pas nous la faire !

 

Entrent Trigano et le préfet.

 

Scène XI

Les mêmes, Trigano, le Préfet

Préfet — Chouette ! Mon dada !

Il monte sur le dos de Marette.

Marette — Hé ! Ho ! Je suis pas un vélo !

La Présidente — Et moi… Personne me monte dessus ?

Le colonel fait un geste.

Non ! Pas vous !

Trigano — Mais enfin… Qu’est-ce que vous léchez avec tant de minutie ?

Colonel — Je suis déjà monté sur le dos d’une présidente…

La Présidente — C’était moi ! Si ça me sert à rien qu’on me monte dessus, je préfère lécher toute seule.

Trigano — Mais vous léchez de la merde !

Il se tourne vers Roger.

Il en reste encore.

La Présidente — C’est tenace, la merde de Présidente.

Préfet — Moi j’aime voir lécher, mais j’aimerais pas qu’on me voit quand je lèche.

Trigano — Mais personne ne vous a demandé de lécher !

Roger — Si ! Moi.

Trigano — Et qui êtes-vous, monsieur, pour demander qu’on lèche même si on n’en a pas envie ?

Marette — Mais j’ai envie, moi !

Colonel — Moi j’ai pas envie mais c’est comme ça que j’ai eu toutes mes médailles.

La Présidente — Toutes ses médailles… Comme si on avait une médaille chaque fois qu’on lèche ! C’est plus compliqué que ça…

Marette — Hélas… Ça me donne tellement soif que des fois j’apprécie pas.

La Présidente — Si on devait apprécier chaque fois qu’on lèche ! Ça deviendrait tellement compliqué qu’on aurait des… des scrupules…

Marette — Chut ! Ne prononcez pas le mot en présence de journalistes. C’est pas la Dépêche çui-là. Il te fait sucrer les subventions quand il veut.

Colonel — Et après le stade il porte pas ton nom.

La Présidente — Moi je veux pas m’appeler stade !

Colonel — Vous vous appellerez palais si vous êtes sage... Moi, je sais pas encore comment je vais m’appeler quand je serai plus de ce monde.

Marette — Ça nous fera une belle jambe.

La Présidente — J’ai toujours voulu avoir de belles jambes.

Marette — Et bé vous les aurez si vous fermez votre gueule.

Trigano — Quand vous aurez fini, monsieur pourra peut-être s’identifier…

Roger — Je suis l’inspecteur du Tour de France.

Trigano —

Se jetant à plat-ventre :

Ne me reprochez pas de ne pas savoir lécher la merde ! J’ai jamais essayé !

Marette — Il manque d’expérience dans ce domaine.

Colonel — Le problème, quand on se met à plat-ventre, c’est les fesses…

Marette — Elles sont en l’air, non ?

Colonel — Mais on les écarte pas aussi bien que quand on fait le dada. Faites le dada, monsieur Trigano. Vous verrez… Ça s’écarte tout seul.

La Présidente — Je les ai écartées même debout, moi…

Marette — Oui, mais lui, il a pas l’habitude. Il faut commencer par le début. Après, ça vient tout seul. Vous allez bien, monsieur le Préfet ?

Préfet — Je vais jamais aussi bien que quand je fais mon devoir.

Marette — N’oubliez pas qu’on a la même médaille.

Préfet — Je vous promets de pas manquer d’honneur…

Marette — Ni de bien…

Roger —

Accord de guitare :

Quelqu’un veut-il monter sur mon dos ?

Marette — C’est un piège…

La Présidente — Si c’est juste pour faire un tour, je veux bien.

Marette — C’est un piège, je vous dis !

La Présidente — Mais c’est un journaliste sportif, pas un chroniqueur judiciaire.

Marette — Je vous aurai prévenue.

Roger — Montez, madame.

La Présidente — Vous restez debout ? C’est moins amusant…

Roger — Vous croyez ?

La Présidente pousse un cri de plaisir.

Marette — Et quécéla ?

Colonel — Elle écarte bien, hé… Plus que je pensais… Si j’avais su…

La Présidente — Mais qu’est-ce que j’ai dans le cul ? Youhou ! C’est bon comme tout ! Surtout n’arrêtez pas !

Marette — Et il fait ça sans les mains ! Vous voulez pas que j’essaye, monsieur le Préfet ?

Préfet — Ah ! Non ! C’est moi qui fais.

La Présidente se tient la gorge et râle.

Marette — Vé ! Une queue fourchue !

La queue sort et s’agite hors de la bouche de la Présidente.

Colonel — Vous en avez déjà vu, des queues fourchues, vous ?

Trigano — En rêve…

Marette — En crise…

La Présidente —

Râlant :

C’est le… C’est le…

Marette — Le Diable !

(rideau)

 

ACTE XIX

Même décor. Pavois et lampions. Une bannière « Arrivée ». Des panneaux publicitaires. Personne quand le rideau se lève. Puis les jeunes se relèvent. Frank et Nanette sont parmi eux. Roger sur le toit des WC.

 

Scène première

Les jeunes, Roger, Nanette, Frank

Jeunes —

Roger joue. Nanette danse.

 

Le Marette

Est en fête

Et Mazères

Fait risette

Au derrière

De son maire

Ça sent bon

Le fleuron

Ah mes aïeux qu' c'est embêtant

D'être jeune et beau à Mazères

On a tout fait même à maman

Mais vraiment on peut pas mieux faire !

 

Ya pas à dir’ mais pour l’image

Ça fait pas sal’ mais c’est pas prop’

Ya pas d’ salauds ya qu’ des salopes

C’est dans l’ dictionnair’ des usages

Nous on est pas comm’ le Marette

Qu’a pas de tête où c’est qu’il faut

Nos idées c’est derrièr’ la tête

Que ça fait froid quand il fait chaud

 

Le Marette

Fait la bête

Sans la tête

C'est pas bête

À Mazères

Faut le faire

Sans les mains

Dans le bain

Ah mes aïeux qu' c'est embêtant

D'être jeune et beau à Mazères

On a tout fait même à maman

Mais vraiment on peut pas mieux faire !

 

On en apprend sur les pratiques

De la justice et d’ la fonction

Pas b’soin d’avoir violé un’ bique

Pour r’cevoir gratis la leçon

Faut les voir ouvrir le dico

Pour trouver de l’esprit aux lois

Sans esprit pourtant on est pas

Taillé pour les cocoricos

 

Le Marette

Qui s'arrête

Et Mazères

Qui s'embête

Font la paire

Par derrière

Ya pas comme

Le sacrum

Ah mes aïeux qu' c'est embêtant

D'être jeune et beau à Mazères

On a tout fait même à maman

Mais vraiment on peut pas mieux faire !

 

Si t’es pas d’ la Légion d’honneur

Devant tes jug’ tu manqu’ de beurre

Avec les tartin’ du malheur

Ya pas d’ café pour les bosseurs

Paraît que ça s’accroche au cul

Et que ça lâch’ pas son sphincter

Des fois il vaudrait mieux se taire

Plutôt que d’ s’avouer vaincu

 

Le Marette

Sur des rails

Sur la paille

Fait ripaille

Et Mazères

Est en dette

Des travaux

Des héros

Ah mes aïeux qu' c'est embêtant

D'être jeune et beau à Mazères

On a tout fait même à maman

Mais vraiment on peut pas mieux faire !

 

Le blé à Mazèr’ c’est du blé

À la batteuse et au fléau

Marette à genoux fait le beau

C’est le saint patron des valets

Saint Marette priez pour nous

On vous en rendra dix fois plus

En nature et avec des sous

Pour l’amour on a la soluce

 

À Mazères

On est fier

De l'assiette

Et du verre

Mais Marette

Est trop bête

Et la chère

Est trop chère

Ah mes aïeux qu' c'est embêtant

D'être jeune et beau à Mazères

On a tout fait même à maman

Mais vraiment on peut pas mieux faire !

 

La conn`rie ça n’a pas d’ limites

La preuve est donnée par Marette

C’est un mec à taille réduite

Par lui-mêm’ tell’ment il est bête

Faut l’ voir s’appuyer sur les nerfs

Comment que la douleur l’ensuque

La cordialité c’est son truc

Mais pas sans lever un bon verre

 

Overdose

Pas en cause

Si la chose

Qui s'impose

C'est un' pause

Dans les roses

Pas moroses

Des cirrhoses

Ah mes aïeux qu' c'est embêtant

D'être jeune et beau à Mazères

On a tout fait même à maman

Mais vraiment on peut pas mieux faire !

 

Pour les bosseurs il est trop tôt

Mais c’est pas l’ cas des alcolos

De bon matin ils ont le taux

Qu’est bien trop bas pour s’ coucher tôt

Marette est le modèle à suivre

Le stade portera son nom

On écrira même des livres

Pour sauver sa réputation

 

Le képi

Fait pipi

Le drapeau

Au popo

Et Marette

En bavette

Fait risette

À la bête

Ah mes aïeux qu' c'est embêtant

D'être jeune et beau à Mazères

On a tout fait même à maman

Mais vraiment on peut pas mieux faire !

 

Si t’as l’ clairon en manqu’ de pipe

Et des piafs aux hémorroïdes

Marette est partisan du slip

Sans élastiqu’ pour les caïds

Tu verras pas passer le temps

Dans les déserts d’Afghanistan

T’auras mêm’ droit à un’ médaille

Des fois qu’ t’en aurais plus en bail

 

À zéro

Pas de pot

En solo

Du vélo

En duo

Des oiseaux

Et à trois

On est roi

Ah mes aïeux qu' c'est embêtant

D'être jeune et beau à Mazères

On a tout fait même à maman

Mais vraiment on peut pas mieux faire !

 

À quatr’ c’est plus de la partouze

Ya mêm’ plus d’ fellahs dans les bars

On sait compter chez les barbouzes

Et sans les mains dans le mitard

Un képi avec deux étoiles

Ça donn’ pas l’air mais ça fait bien

Surtout quand on s’est porté pâle

Dans les territoir’ algériens

 

Ya pas d'heure

Pour la fête

Pas de fête

Sans le beurre

Et Marette

La coquette

Fait la tête

À Zézette

Ah mes aïeux qu' c'est embêtant

D'être jeune et beau à Mazères

On a tout fait même à maman

Mais vraiment on peut pas mieux faire !

 

Faut l’ voir se pavaner en rêve

Avec les oiseaux de son cru

En p’tit’ chemise et after-shave

Il s’adonne aux nouvell’ recrues

Ah mes aïeux qu' c'est embêtant

D'être jeune et beau à Mazères

On a tout fait même à maman

Mais vraiment on peut pas mieux faire !

Ils sortent, sauf Roger. Entre Marette qui retient Nanette par le bras.

 

Scène II

Roger, Nanette, Marette

Marette — Vous avez bien envoyé tous les prospectus ?

Nanette — Par la poste…

Marette — Et bien précisé les choses à la Presse…

Nanette — La Dépêche a mis la photo…

Marette — Et ceux de la télé… ?

Nanette — Ils ont répondu au téléphone…

Marette — Et qu’est-ce qu’ils ont répondu ? Je les vois pas…

Nanette — Ils ont peut-être confondu avec un autre Mazères…

Marette — Vous avez bien précisé… Mazères de Marette ?

Nanette — Et chaque fois on nous a répondu : « Ah ! Le Marette de l’Internet !

Mimant :

On connaît ! »

Marette — Je comprends pas… Et où sont les Mazériens ?

Nanette — En venant, je n’ai vu qu’un volet d’ouvert…

Roger — Les commerces sont fermés…

Marette — Il y avait plein de jeunes ici tout à l’heure…

Roger — Ils chantaient une chanson à votre gloire.

Marette — Je suis connu !

Nanette — C’était des chômeurs courte durée…

Marette — Vous croyez que nos caméras pourront filmer l’événement sous le bon angle… ?

Nanette — S’il y a un événement à filmer…

Marette — Vous avez bien prévenu tout le monde ?

Nanette — Je vous l’ai déjà dit ! Tout le monde le sait que le Tour de France arrive à Mazères aujourd’hui même…

Roger — … mais quel Mazères ?

Marette — Vous avez pas précisé ?

Nanette — Mazères de Marette !

Marette — Et tout le monde a compris ?

Nanette — J’en suis sûre !

Marette — Je suis connu !

Roger — Voilà monsieur Trigano….

Entre Trigano.

 

Scène III

Les mêmes, Trigano

Trigano — Il y a eu un noyé ?

Marette — Je me demande…

Trigano — Je n’ai pas entendu la sirène…

Nanette — Personne s’est encore noyé.

Marette — Je respire encore.

Nanette — Qu’on se demande comment vous faites pour garder votre calme.

Trigano — Ils ont dû confondre avec un autre Mazères. Vous avez bien précisé ?

Nanette — Mazères de Trigano.

Trigano — Vous avez vérifié la propreté des WC ?

Nanette — Il n’y aura plus de problème.

Trigano — Parce que les cyclistes, quand ça arrive, vous comprenez… ?

Marette — Moi, ce que je comprends, c’est que je me rends célèbre, mais pas comme je voudrais…

Nanette — Le buffet aussi est prêt…

Marette — Je vais peut-être commencer sans vous…

Trigano — Ah ! Pas question !

Nanette — C’est pas qu’on a besoin de vous…

Marette — … mais vous pouvez vous en passer…

Nanette — … surtout si le tour arrive ailleurs qu’ici !

Trigano — Ce serait absurde !

Marette — Absurde je sais pas… Mais con…

Nanette — C’est qu’on a mis le paquet !

Marette — Des propectus…

Nanette — … envoyés par la poste !

Marette — Des photos dans la Presse…

Nanette — … Mais attention ! Des photos que personne peut trafiquer pour se foutre de notre gueule !

Marette — De ma gueule surtout… Je suis connu !

Nanette — Avec tout ce que vous avez fait pour Mazères…

Trigano — Et la télé ?

Marette — Ils vont peut-être se servir de nos caméras…

Nanette — Comme ça, ils prendront moins de place.

Trigano — Je ne vois pas de gendarmes…

Marette — Vous avez pas regardé au buffet… ?

Nanette — J’ai fermé la porte.

Marette — Oh ! Ils ont la clé.

Nanette — Vous voulez pas que je vous prépare quelque chose, messieurs ? Pour vous remonter le moral…

Marette — Beuh… Moi, quand je descends, je descends…

Trigano — On peut boire au robinet si on a soif…

Nanette — Surtout qu’avec les autres, on s’y est mis pour bien les nettoyer, ces WC…

Roger — … les célèbres WC de Mazères…

Marette — Le dossier de classement historique est envoyé ?

Nanette — Avec les prospectus. Ne vous en faites pas. On a tout fait bien.

Trigano — Il y a eu de la désinfo…

Marette — Un peu… On a agrandi la surface sur le papier… Et ajouté un lavabo…

Nanette — Là, on parle pas de la même chose… Ce que monsieur Trigano…

Trigano — Dédé…

Marette — Si ça se passe comme je pense, je vais être connu…

Nanette — Mais vous l’êtes déjà !

Marette — Ça sert à rien d’être connu si personne ne vient !

Nanette — Nous, on a précisé… Mazères de Marette…

Trigano — … en Basse-Ariège…

Marette — … plus bas, c’est plus l’Ariège… Et j’y suis connu, hé !

Trigano — Ah ! Voilà nos présidents.

Entrent Hollande et Sarkozy couverts de merde.

 

Scène IV

Les mêmes, Hollande, Sarkozy

Marette —

Content :

Ça commence à faire du monde !

Nanette — Tout espoir n’est pas perdu.

Marette — Vous pouvez compter ? Moi, je vois déjà double…

Trigano — Messieurs ! La merde est passée de mode…

Hollande — Vous dites ça parce que vous n’êtes pas encore président.

Sarkozy — On a vu un car de CRS sur le Pont-Neuf.

Marette — Des CRS ? Vous voulez dire…

Hollande — Oui, oui. Les descendants de la Milice. Oh… Il n’y en avait pas beaucoup…

Sarkozy — Une cinquantaine tout au plus…

Trigano — Il fait bien les choses le préfet…

Marette — Il a reçu le prospectus à temps, lui.

Nanette — Il lit la Presse aussi.

Trigano — Sur le pont, dites-vous… Comme il y en a aussi dans l’Hers, j’ai pensé que quelqu’un s’était noyé…

Marette — Quelqu’un du camping… Je suis connu !

Trigano — Je me disais aussi… Oh ! Une cinquantaine, pas plus…

Marette — Ça fait déjà cent… Et j’ai rien demandé…

Nanette — Nous on a fait notre travail au bureau.

Marette — Vous confondez pas avec autre chose ?

Trigano, Hollande et Sarkozy — Confondre des CRS avec autre chose ? Mais avec quoi ?

Marette — Té ! Voilà le préfet !

Entre le Préfet.

 

Scène V

Les mêmes, le Préfet

Marette — Ça commence à compter, hé ? Et que du beau monde ! Vous allez pas me monter sur le dos ?

Préfet — Pas aujourd’hui !

Trigano — Vous avez la tête ailleurs… Les CRS…

Préfet — J’ai pensé bien faire…

Trigano — Et vous avez bien fait ! Les CRS, c’est beaucoup mieux que les gendarmes.

Marette — On élève le niveau à Mazères ! Surtout par un jour comme aujourd’hui. Tout ce monde, moi, ça me fait dire que j’ai bien fait d’être venu.

Nanette — On peut pas se passer de vous…

Marette — Je suis connu !

Préfet — Je me réjouis de constater que mon initiative vous agrée.

Trigano — Cent CRS rien que pour Mazères, c’est un cadeau qui ne restera pas sans retour, vous pouvez compter sur moi !

Préfet — Et s’il y en avait mille, ce serait quoi le cadeau ?

Trigano gonfle ses joues et montre l’importance du cadeau avec les mains.

Marette — Vous êtes pas connu vous, mais vous apprécierez.

Préfet — Et j’apprécie d’autant que c’est mille, pas cent !

Trigano — Mille ?

Marette — Pas cent ?

Préfet — Je vais avoir un gros cadeau !

Trigano — Mille CRS à Mazères ?

Marette — 50 plus 50, ça fait pas mille… Même en comptant double…

Nanette — Et vous savez compter double.

Marette — Ils ont pas la clé du buffet, les CRS ?

Nanette — On a prévu pour une douzaine de gendarmes…

Marette — Ça en fait des litres ! Mais mille CRS !

Il compte sur ses doigts.

Mais ça boit pas un CRS… ?

Préfet — Pas pendant le service ! Après, ils diront pas non s’il y a quelque chose à manger…

Nanette — Ça donne faim de tabasser les gens qui n’ont rien fait…

Préfet — Je fais que mon devoir !

Trigano — Mille, c’est beaucoup.

Marette — On sera moins seul… C’est que ça fait du monde ! Je suis connu !

Trigano — Il faut prévenir la population qu’elle n’a rien à craindre. Avec mille CRS à ses portes, elle peut les laisser ouvertes !

Marette — Ça fait beaucoup pour six caméras, mais je suis tellement connu que je vois pas ce qui pourrait arriver pour que ça tourne mal…

Préfet — La population est consignée…

Marette — Ça commence à tourner, là…

Trigano — Consignée ?

Préfet — Je fais mon devoir !

Trigano — Mais nous avons créé l’événement pour qu’elle nous acclame !

Marette — Elle nous acclamera pas et on passera à la télé quand même ?

Nanette — L’info c’est l’info.

Marette — On maîtrise pas ?

Nanette — C’est que vous êtes connu !

Marette — Ils vont en faire une tête, les coureurs, quand ils vont arriver !

Nanette — Surtout qu’ils arrivent pas seuls ! La Presse, la télé, les mauvaises langues…

Préfet — J’ai consigné la Presse et la télé aussi…

Trigano — Vous avez cru bien faire…

Marette — Mais c’est très mal fait !

Nanette — Ça va leur faire un beau spectacle, aux CRS !

Marette — Ils sont pas habitués à pas le faire, le spectacle !

Nanette — Vous allez être très connu !

Marette — Mais pas pour les bonnes raisons !

Nanette — Vous voulez la clé du buffet ?

Marette — Je l’ai pas ? Je suis le maire tout de même !

Nanette — Vous la perdez chaque fois…

Marette — La dernière fois…

Nanette — … hier…

Marette — … c’est elle qui m’a perdu !

Nanette — Et elle vous perdra encore…

Trigano —

Se tenant la tête :

En voilà un bien brave préfet !

Marette — C’est pas pour rien que vous avez pas fait préfet…

Trigano — Je voulais être pompier, comme tous les enfants…

Marette — Pas préfet… parce que c’est con un préfet…

Trigano — Surtout de Droite !

Préfet — En tous cas, personne ne peut entrer ni sortir de Mazères. La ville est bouclée !

Marette — Comme ça, le Tour de France sera aussi le Tour de Mazères…

Nanette — Et attention… en vélo ! Le Tour de Mazères en vélo !

Trigano — Avec des gens dessus les vélos…

Marette — Que c’est peut-être des CRS à vélo…

Trigano — L’évènementiel m’échappe en ce moment…

Nanette — Les vaches… les couvents… les enfants naturels…

Marette — Si j’étais pas si connu, je ferais du vélo moi aussi…

Au préfet :

… sans sortir de chez moi…

Préfet — Vous n’êtes pas consigné… On est pas bien ensemble ?

Trigano — Rien que des gens de ma condition…

Marette — Comme disait Malraux : « Si on n’est pas conditionné, on n’est pas humain. »

Trigano — Comme le camembert…

Marette — Et les packs…

Trigano — Et je suppose que dès qu’ils arrivent… les coureurs…

Marette — Restons logique jusqu’au bout…

Trigano — … vous les consignez ?

Marette — Comme les bouteilles qu’on peut pas jeter parce qu’elles sont en verre…

Trigano — Vous faites dans l’écologie maintenant… ?

Marette — Je me consigne tout seul en attendant de devenir une bouteille à part entière…

Trigano — Je ne comprends pas…

Marette — Malraux ! Vous avez pas lu Malraux ?

Trigano — Pas encore… mais je vais bientôt avoir l’âge…

Marette — Vous êtes sûr d’avoir consignés tout le monde ?

Entrent des gauchistes avec des pancartes et des banderoles.

 

Scène VI

Les mêmes, les gauchistes

Gauchos —

Les p’tits larbins se font justice

Avec le tapin ça s’active

On les voit pas trop haut ho hisse

Sur le trottoir à la dérive

Devant l’ palais les gros mijotent

Avec les grands des trucs très moches

Ça donn’ des idées à mes potes

Qu’on pas la langue dans la poche

 

Faut péter

Avec les plombs

Exploser

Avec passion

On connaît

La chanson

Ya pas d’ raison

D’ pas s’embêter !

 

De la langue à l’action concrète

Ya pas qu’un pas mais ça avance

On sait bien qu’on est bien en France

Mais c’est du bien qu’il faut qu’on pète

On a des amis au charbon

Avec du souffre et du salpêtre

Des fois qu’on manquerait de Lettres

Question turbo dans l’explosion

 

Faut péter

Avec les plombs

Exploser

Avec passion

On connaît

La chanson

Ya pas d’ raison

D’ pas s’embêter !

 

Les larbins petits et les gros

Ont l’sens aigu d’ la délation

Si on veut gagner du galon

Dans la hiérarchie des costauds

Faut commencer par nettoyer

Les lieux de tous ces domestiques

Les p’tits les gros dans l’historique

Pas de détails et pas d’ pitié

 

Faut péter

Avec les plombs

Exploser

Avec passion

On connaît

La chanson

Ya pas d’ raison

D’ pas s’embêter !

 

Sans les larbins plus de salauds

Plus rien à fair’ les pt’its les gros

Entre bourgeois et libertaires

On saura faire des affaires

Le problèm’ des révolutions

C’est ces putains de paillassons

Ça se met entre et ça brouillonne

Des trucs qu’ c’est pas nous qu’on raisonne

 

Faut péter

Avec les plombs

Exploser

Avec passion

On connaît

La chanson

Ya pas d’ raison

D’ pas s’embêter !

 

Un’ fois supprimé le problème

Ya que des chanc’ pour qu’on s’ennuie

Face aux bourgeois et dedans même

P’t-êtr’ que c’est la fin des soucis

La vraie question qu’on se pos’ pas

C’est qu’est-c’ qu’on f’rait sans les larbins

À part s’emmerder au turbin

Et s’ raconter des trucs sympas

 

Faut péter

Avec les plombs

Exploser

Avec passion

On connaît

La chanson

Ya pas d’ raison

D’ pas s’embêter !

 

On s’ voit pas bien sans domestiques

Aux bourgeois donner la réplique

On sait c’ qu’on veut pas devenir

Mais on sait plus sans obéir

Multiplier les valets d’ pied

Ça fait partie aussi d’ la chose

Pour ça on trime pour la cause

En f’sant des goss’ au pied levé

 

Faut péter

Avec les plombs

Exploser

Avec passion

On connaît

La chanson

Ya pas d’ raison

D’ pas s’embêter !

 

Levez le pied les p’tits enfants

C’est pas demain qu’on réfléchit

On remet ça après maman

Des fois que ça s’ pass’ pas au lit

Ah ! On sait plus si c’est du lard

Ou si l’ cochon était trop maigre

On lèv’ le pied c’est pas trop tard

Pour mettr’ du vin dans le vinaigre

 

Marette — Et d’où ils sortent ceux-là ? Vous les avez pas consignés ?

Préfet — J’ai consigné tout le monde sans exception !

Hollande — Je les ai amenés avec moi…

Marette —

À Sarkozy :

Et vous, vous amenez personne ?

Sarkozy — Je suis venu seul…

Préfet — Mille CRS, c’est pas seul…

Sarkozy — Ah ! Bon… C’était pour moi…

À Hollande :

Ils sont combien vos gauchistes ? Dix… Vingt ?

Hollande — Je suis encore le président et j’interdis qu’on les consigne !

Préfet — Mais j’ai pas été encore relevé de mes fonctions !

Hollande — Des fonctions… en Ariège…

Entre Tintin.

 

Scène VII

Les mêmes, Tintin

Tintin — Ça compte pas un préfet qu’on a oublié de relever de ses fonctions…

Hollande — Je n’ai rien oublié… Le déplacer, cela suppose une promotion… Je n’ai pas envie de lui faire ce cadeau…

Préfet — J’en fais bien des cadeaux, moi !

Trigano — Mille CRS armés jusqu’aux dents !

Marette — Ils sont combien les cyclistes ?

Bousquet se détache des gauchistes.

 

Scène VIII

Les mêmes, Bousquet

Marette — Loulou ! Tu m’as encore trahi !

Bousquet — Je peux pas m’empêcher…

Hollande — C’est l’amour…

Préfet — Amour ou pas amour…

Marette — Quécecé pas amour… ?

Nanette — C’est l’amour, mais sans l’amour.

Marette — C’est possible, ça ?

Trigano — Ce que vous secouez, là, ce n’est pas l’amour, c’est le sexe…

Marette — C’est pas la même chose ?

Nanette — L’amour, ça se fait à deux.

Trigano — Et même à trois…

Nanette — Et plus si on sait pas compter…

Marette —

À Bousquet :

Tu vois que tu sais pas compter !

Bousquet — Je sais compter jusqu’à mille !

Préfet — Et moi je vais compter plus si vous vous consignez pas ! J’ai dit : personne dans les rues de Mazères ! Les manifestations sont interdites ! Et il est interdit de chanter…

Marette — Surtout des conneries !

Trigano —

Ah ! On sait plus si c’est du lard

Ou si l’ cochon était trop maigre

On lèv’ le pied c’est pas trop tard

Pour mettr’ du vin dans le vinaigre

 

Marette — Vous comprenez ce que ça veut dire, vous ?

Préfet — Il y a le mot cochon dedans…

Marette — Sûr que c’est pas pour la viande…

Trigano — Vous avez regardé dans le Petit Robert ?

Entre la Présidente.

 

Scène IX

Les mêmes, la Présidente

La Présidente — Je l’ai toujours sous la main ! Avec tous ces mots qui changent de sens ! Qu’à force, on sait plus ce qu’ils veulent dire.

Trigano — Qu’est-ce que vous en concluez, madame la Présidente ?

La Présidente — Je sais pas si je peux conclure sans…

Elle fait le geste d’accrocher une médaille sur sa poitrine.

Marette — C’est comme moi… sans…

Nanette fait le geste de vider un verre.

Nanette — Il manque toujours un sou pour faire dix centimes…

Trigano — À ce prix-là, j’achète !

La Présidente — Vendu !

Tous — Et alors ?

La Présidente — « Cochon » est une injure. C’est écrit dans le Petit Robert.

Marette — C’est bon aussi à manger, mais dans ce cas précis, c’est une insulte.

Trigano — Surtout qu’en allemand, ça se dit « schwein ».

Marette — Hé putain ! Si ça se dit en allemand, c’est même une atteinte à la dignité humaine.

La Présidente — Et je pèse mes mots !

Marette — Intelligente et cultivée comme vous êtes, on vous croit sur parole.

Préfet — Application du jugement sur le champ !

Trigano — Il envoie ses CRS…

Marette — Et il gagne !

La Présidente — Il gagne rien si je gagne pas… on avait dit…

Préfet —

Aux gauchistes :

Foutez le camp avant que je vous en empêche !

Marette — Foutez le camp avant que je m’empêche !

Bousquet — On est pas venu pour foutre la merde…

Marette — Et pourquoi vous êtes venus alors…

Bousquet — Pour voir l’arrivée…

Marette — S’ils viennent pas, vous êtes venus pour rien !

Bousquet — Ils viennent pas… ?

Trigano — Ils ont un empêchement…

Marette — Moi j’y vais toujours avant, parce que pendant…

Trigano — Mille CRS…

Bousquet — On les a comptés. Ça fait beaucoup…

Hollande — Même en temps de socialisme triomphant…

Tintin — Ils sont jeunes… Et ils veulent épouser que des femmes.

Bousquet —

Triomphant :

Nous sommes pas venus pour rien, les amis ! Nous avons un prétexte. Et nous allons manifester notre mécontentement !

Marette — Comme dans Shakespeare !

Trigano — Chaque spire ?

Marette — Le Malraux de la condition humaine en Grande-Bretagne…

Trigano — Vous vous intellectualisez, mon ami… Les larbins n’ont pas besoin de…

Les employés sortent de la mairie.

 

Scène X

Les mêmes, les employés

Employés —

Menaçant les gauchistes :

 

Ya pas d’ bureau sans la sueur

Et pas d’ papier avec du sang

Le cul sur un’ chaise en avant

Faut le passer et d’heure en heure

Un peu d’action ça fait du bien

J’ veux bien sortir avec une arme

L’État m’en donne les moyens

C’est pas l’ moment de manquer d’ charme

 

Les vacanc’ c’est du tout bon

Ça s’ mérite et on s’rait con

D’ pas éprouver d’ la passion

Pour bichonner notr’ Nation !

 

En voiture et au pied levé

Pour les mater j’ suis volontaire

Donnez-moi des raisons d’aimer

Et j’ les envoie se fair’ lonlaire

Faut pas lésiner sur le sang

Il en faut pour impressionner

Les partisans d’un’ société

Qu’aurait pas d’ plomb à la volée

 

Les vacanc’ c’est du tout bon

Ça s’ mérite et on s’rait con

D’ pas éprouver d’ la passion

Pour bichonner notr’ Nation !

 

S’il faut mentir sur des détails

Et même sur le principal

Je suis votre homme à la mitraille

J’ suis un enn’mi des animals

Ouvrez la porte et je me rue

Pas d’ bouclier ça m’ dénature

La révolte a pignon sur rue

Moi j’ai l’ pignon de race pure

 

Les vacanc’ c’est du tout bon

Ça s’ mérite et on s’rait con

D’ pas éprouver d’ la passion

Pour bichonner notr’ Nation !

 

Faut leur supprimer les enfants

Et rien leur donner en échange

Le travail c’est pas dans les langes

Que ça se trouve et pas tout l’ temps

Ya pas d’ moyens d’être un humain

Quand on est forcé d’écouter

Ces idées que c’est pas demain

Qu’on est les rois d’ la société

 

Les vacanc’ c’est du tout bon

Ça s’ mérite et on s’rait con

D’ pas éprouver d’ la passion

Pour bichonner notr’ Nation !

 

Sortez-moi d’ ce bureau chauffé

À blanc avec nos idées noires

Ça va finir par exploser

Sortez-nous d’ là avant qu’ ça foire

Un’ balle en plein dedans les yeux

Ça fait pas d’ mal si c’est en bien

On est pas pour les coups foireux

Mais pour le coup on est serein

 

Les vacanc’ c’est du tout bon

Ça s’ mérite et on s’rait con

D’ pas éprouver d’ la passion

Pour bichonner notr’ Nation !

 

Pour la mémoire on verra ça

Les monuments ça peut attendre

On saura toujours se défendre

Et attaquer si c’est le cas

Mais pour ce qui est des vacances

Coloniser des étrangers

Qui veul’ pas vivre comme en France

Ça nous paraît bien engagé

 

Les vacanc’ c’est du tout bon

Ça s’ mérite et on s’rait con

D’ pas éprouver d’ la passion

Pour bichonner notr’ Nation !

 

Ouvrons les fenêtr’ et tirons

Nous de ce bureau que ça chauffe

On va montrer qu’on a l’étoffe

Et les idées de la raison

Dehors le devoir n’attend pas

Faut se manier sinon du fric

Yen aura pas pour fair’ la nique

À ceux qui ne partiront pas

 

Les vacanc’ c’est du tout bon

Ça s’ mérite et on s’rait con

D’ pas éprouver d’ la passion

Pour bichonner notr’ Nation !

 

Marette —

Un’ balle en plein dedans les yeux

Ça fait pas d’ mal si c’est en bien

On est pas pour les coups foireux

Mais pour le coup on est serein

 

Des fusils ! Voilà ce qu’il nous faut ! Aux armes, citoyens ! Formez vos…

Nanette — …vos bataillons…

Marette — … vos bataillons… Marchons, marchons, qu’un…

Nanette — … turlulure…

Marette — … turlulure ? Vous êtes sûre ?

Nanette — Ça rime ?

Marette — Hé oui…

Nanette — Hébé ?

Marette — Sans le fusil, je connais plus les paroles…

Criant :

Des fusils ! Des fusils pour la Droite ! Et des doigts pour la Gauche !

Hollande — Des fusils contre des doigts, ce n’est pas très équitable…

La Présidente — Une insulte ! Il a dit une insulte !

Trigano — C’est le président actuel…

La Présidente — Je vérifie…

Elle consulte le Petit Robert.

Trigano — Dépêchez-vous ! On n’a pas que ça à faire.

Gauchos — Surtout que nous, on attend !

Hollande — Comptez les doigts ! Comptez les doigts !

La Présidente — C’est une insulte ! C’est écrit dans le Petit Robert !

Hollande — Et qu’est-ce qui est une insulte ?

Sarkozy — On a entendu « pauvre mec »…

La Présidente — On vous a pas sonné, vous !

Hollande —

À Sarkozy :

Ils sont vraiment très indépendants, ces magistrats.

Sarkozy — On les paye bien…

Hollande — Et ils aiment les médailles.

À la Présidente :

De quelle insulte suis-je l’auteur présumé, madame la Présidente ?

La Présidente — Vous avez dit « équitable »…

Hollande — Ce n’est pas une insulte !

Sarkozy — En justice, peut-être…

La Présidente — C’est écrit à un autre mot…

Elle s’énerve et tourne les pages :

Vous me l’avez fait perdre ! Ce qui constitue un outrage !

Trigano — Pitié ! Faites-la taire !

La Présidente — Je me tairais quand j’aurais la médaille… supérieure !

Hollande — Vous l’avez !

La Présidente — Alors je me tais.

Elle rit.

Je me mets un bouchon !

Marette — Et c’est moi qui vous déboucherai !

Trigano — Avec les dents ?

Marette — Non ! Au sabre ! Comme le champagne !

Le Préfet monte sur le vélo.

Préfet — On ne joue plus ! Tout le monde se tait ! Même la Justice !

Hollande — Je me tais moi aussi ?

Préfet — Je suis pas VOTRE préfet !

Hollande — Et je ne veux pas vous donner une promotion !

Tintin — Bien dit ! Marre des promotions ! Surtout quand c’est les autres qui en profitent.

Préfet — Que tout le monde se taise !

Tout le monde se tait et attend.

Vous entendez ?

Tous — Rien !

Préfet — Vous êtes bouchés ou quoi ?

La Présidente — Moi je suis bouchée, mais peut-être pas comme vous l’entendez…

Préfet — On entendra rien si vous la fermez pas !

Tous — Le Tour arrive !

Préfet — Aux armes ! Aux armes !

(court rideau)

Bruits en tous genres. Cris. Coups de feu. Effondrements.

Puis le rideau se lève. La scène est jonchées de cadavres, de débris, de drapeaux… de vélos.

 

Scène XI

Marette, le Préfet

Préfet — J’avais dit : « Personne n’entre à Mazères ! » Alors…

Marette — Et pas un cadavre… de bouteille je veux dire… preuve qu’on a rien bu… et qu’on voit la même chose…

Préfet — Vous voulez pas que je vous chante une chanson… ?

Marette — Vous avez le sentiment d’avoir fait une grosse connerie… n’est-ce pas ?

Préfet — Je sais pas si c’est un sentiment… J’en ai pas beaucoup des sentiments, moi… Des fois j’en ai, mais je sais pas bien si c’est des sentiments ou seulement des impressions…

Marette — Vu la disposition des choses, je sais pas si l’opinion va se contenter d’une impression…

Préfet — Vous pensez pas que c’est possible… ?

La Présidente se relève.

 

Scène XII

Les mêmes, la Présidente

La Présidente — Si vous me trouvez mon Petit Robert, je vous trouve le mot qui vous manque…

Préfet — Sentiment… Impression…

Marette — Je suis pas un intello, moi… J’ai des diplômes de sur le tas… Et on buvait pas mal… au lieu de travailler… Remarquez… Y avait rien à faire… Alors on peut pas nous reprocher de pas avoir couru après le travail… Sentiment… Impression…

La Présidente — Un mot qui soit pas une insulte… Il manquerait plus que je me mette à insulter moi aussi !

Marette — Ça vous ferait travailler… Et vous avez pas l’habitude de travailler…

La Présidente — Hé non… Consulter le Petit Robert n’est pas encore considéré comme un travail… judiciaire…

Marette — Ça viendra… Moi non plus je travaillais pas quand je buvais un coup… Mais maintenant que je suis maire, ça me travaille…

La Présidente —

De tête :

J’ai « feeling »…

Marette — C’est pas une insulte ? Vérifiez bien avant. Qu’après, on contrôle plus les critiques. Et ils sont pas tendres…

La Présidente — Ya « tendresse » aussi…

Marette — Mais c’est insulte…

Tapant sur l’épaule du préfet :

Le jour où vous ferez plus de conneries, c’est que vous ferez plus rien.

A la Présidente :

Vous pouvez pas vérifier si « faire des conneries » c’est travailler ou pas… ?

Préfet — Là, je fais plus rien… Mais qu’est-ce que je travaille !

Marette — Vous la chantez pas, votre chanson ?

Préfet — Je sais pas si triompher c’est travailler ou rien glander…

Marette — C’est peut-être faire des conneries… Une de plus…

La Présidente — Au moins, on est vivant ! On va pas nous le reprocher, tout de même !

Marette — Que si j’étais pas là pour me le reprocher, je me reprocherais rien…

Préfet — Tranquille comme Baptiste…

Marette — Alors… Cette chanson ?

Préfet — C’était du temps où je triomphais… Je sais pas si ça va passer maintenant… C’est pas les bonnes circonstances… mais bon… Il est là, le Roger ?

Roger apparaît avec sa guitare. Et Nanette.

 

Scène XIII

Les mêmes, Roger, Nanette

Marette —

Embrassant Nanette :

Putain ! Ils me l’ont pas tuée !

Roger joue. Nanette danse avec Marette.

Préfet —

J’ suis content

Je suis Préfet

J’ suis dedans

Les bons offices

J’ai dans l’ sang

Des p’tits secrets

Et pourtant

J’ai pas de vices !

 

On verra

Qui va gagner

Le papa

Ou l’ouvrier

Moi je veille

Aux bonnes mœurs

Du sommeil

J’ suis la terreur

 

J’ suis pas flic

Mais je flicaille

La racaille

À coups de trique

Pour le sexe

Je suis convexe

Et concave

Pour les cons caves

 

Ya pas d’heure

Pour profiter

Du bonheur

D’être associé

Aux travaux

De la Nation

À l’assaut

Des rébellions

 

J’en connais

Des trucs pas mous

Mêm’ si j’ai

Pas le truc où

D’habitude

On a le truc

J’ suis caduque

En rectitude

 

La Préfète

Ne se plaint pas

Que j’ la mette

Sans tralala

Ell’ sait tout

Et ell’ sait rien

Des moyens

Mais sans les sous

 

Pour le dra

Pour le drapeau

Je n’ai pas

Des idéaux

Mais si l’É

Mais si l’État

Me fait des

Trous dans le tas

 

Ma culotte

Que j’ vais pas sans

Me descend

Droit dans la crotte

C’est pas la

Merd’ mais ça vien

Dra très bien

Tôt sans papa

 

La jeunesse

On a besoin

Pour la fesse

Et les p’tits soins

Pour la guerre

Et les médailles

Le travail

Aux ministères

 

Les larbins

Ça s’ fait au lit

Mais sans pi

Pi sous la main

Sans préfète

Et sans fessier

Recruter

C’est pas la fête

 

Sarkozy

C’est pas Pétain

Mais Pétain

C’est Sarkozy

C’est pas fa

Cile à piger

Mais c’est ça

Qu’ c’est notre idée

 

Du coup on

Est entendu

C’est tout bon

Dans les tribu

Dans les tri

Bunaux de Droite

Pour la patte

Ça l’est aussi

 

Tout le monde

Avance au cul

Pas foutu

Des queues d’aronde

On a l’air

Et les paroles

Le salaire

Et le beau rôle

 

À dada

Sur le Marette

Il faut pas

Que je m’embête

À l’assaut

De son cucul

C’est bien beau

Mais j’en peux plus

 

Ça fini

Ra en beauté

Dans le lit

D’ l’amirauté

Le Marette

C’est un larbin

Qui s’arrête

Avec les mains

 

Un bon gars

Que les médailles

Mett’ au pas

Et au travail

Faut pas trop

Lui demander

Son cerveau

A des ratés

 

Mais à la

Croix et au vin

On peut l’a

Voir sans pépin

Du bon jus

De bon fayot

Un cadeau

Du p’tit Jésus

 

Viv’ l’Église

Et viv’ l’État

C’est la crise

Mais moi ça va

Le service

Est content d’ moi

J’ai pas d’ vices

Au bon endroit

 

La Présidente — Vous voulez dire au mauvais endroit…

Préfet — Je vois pas ce que vous voulez dire…

Marette — Demain la Presse… la télé… les blogs… Une fin en soi…

Un coup de feu. La Présidente s’écroule.

Marette — C’est parti tout seul.

Préfet — Non. C’est un pneu qui a éclaté…

Marette — Sous la morsure de quelqu’un qui souffre… Pan ! La vie s’écroule comme un château de cartes…

Préfet — Mais on a tiré que des balles en caoutchouc !

Marette — En catchoutchou ?

Préfet — Hé ouais !

Marette — Et ça fait éclater les pneus le catchoutchou ?

Préfet — Ça se peut… C’est une question intéressante…

Marette — Pour un prochain débat… parce que là… je suis fatigué… Té… Je suis tellement fatigué que je vais m’asseoir…

Préfet — Vous voulez pas que je vous chante une autre chanson ?

Marette — S’il y a du catchoutchou dedans, je préfère pas… On a assez fait éclater de choses pour aujourd’hui…

Préfet — Des fois, on fait son devoir… et on devrait pas le faire…

Marette — Té… Je m’assois… On dirait que ça fait une éternité que je me suis pas assis…

Préfet — Ya tellement de choses que ça fait une éternité ! Je reste debout. Comme ça, j’ai l’impression de vivre comme si rien s’était passé.

Marette — L’impression ou le sentiment ?

La Présidente —

Relevant la tête :

Le feeling…

Marette — Vous direz que je serai assis, hé ? J’ai l’impression…

Préfet — … peut-être que c’est le sentiment…

La Présidente — … ou le feeling…

Marette — J’ai l’impression que j’en aurais pas le sentiment…

Préfet — Hé bé asseyez-vous. Je vous donnerai le sentiment que ça me fait l’impression…

La Présidente — J’ai le feeling qu’il va encore se passer quelque chose…

Préfet — Un coup de théâtre final !

Marette — Et c’est moi qui vais le provoquer…

La Présidente — … en vous asseyant…

Marette — Qui sait ? La vie est faite d’imprévus qu’on prévoit sans le savoir.

Préfet — Parce que si on le savait, on le prévoirait pas avec autant d’exactitude.

Marette — Prenons un exemple… pour me soulager l’intellect que j’avais déjà fragile avant de commencer….

Préfet — … à finir.

Marette — Je m’assois sur la murette…

Préfet — … qui est une murette sur laquelle les passants s’assoient avec circonspection à cause des merdes de chien que des fois on sait plus où se mettre tellement il y en a…

La Présidente — Mais on a tout nettoyé… maintenant, comme on a pété toutes les bouteilles…

Préfet — … avec les balles de caoutchouc…

Marette — … je vérifie que je vais pas poser mon cul sur un tesson que c’est pas le moment pour se faire encore plus mal qu’avant de commencer à s’asseoir…

Préfet — Et vous vous asseyez parce qu’on trouve le temps long…

La Présidente — Comme ça, on pourra parler d’autre chose en attendant de lire les journaux…

Préfet — … et de regarder la télé…

Marette — Alors je m’assois…

La Présidente et le préfet — Vous finissez par vous asseoir !

Marette — Et il se passe quelque chose…

La Présidente et le préfet — … quelque chose d’inattendu !

Marette — Que j’aime pas trop ça…

La Présidente et le préfet — Mais vous vous asseyez quand même sinon tout le monde va partir sans savoir ce qui aurait pu arriver si vous vous étiez assis…

Marette — C’est ça le théâtre… moderne.

La Présidente et le préfet — Même le vieux il est comme ça… Asseyez-vous, putain !

Marette — Hé ! Ho ! Je me suis pas souvent assis comme ça ! Même jamais !

La Présidente et le préfet — Si vous vous asseyez, on trinque pour fêter l’événement.

Marette — Putain ! Je suis tellement connu que si je m’assois…

La Présidente et le préfet — … maintenant !

Marette — … je fais l’événement !

La Présidente et le préfet — On se demande lequel…

Marette — Je m’assois…Je prends le temps… Je suis tellement fatigué que j’ai le temps…

La Présidente et le préfet — Ça vous repose pas d’avoir le temps ?

Marette s’assoit. Il a un malaise, vacille sur son derrière.

Marette — Je vais pas bien…

La Présidente — Il se passe quelque chose…

Préfet — Comme prévu…

Marette — Mais pas bien du tout !

La Présidente — Et quéceça vous fait comme feeling ?

Marette — J’ai l’impression…

Préfet — Oh ! Putain !

La Présidente — Qué putain ?

Préfet — Il s’est assis dessus…

La Présidente et Marette — Dessus quoi !

Préfet — Dessus une balle !

Marette — En catchoutchou ?

Préfet — Hé ouais ! En plein dans le cul !

Marette — Je saigne ! Et c’est pas une impression !

Préfet — C’est une sale façon de mourir. Une balle dans le cul !

Marette — Exactement comme je voulais pas !

La Présidente — Et ça vous arrive…

Marette — Je meurs…

Préfet — Vous partez sans rien laisser…

Marette — Même en pétant, je m’en sortirai pas…

Préfet — D’autres ont essayé avant vous…

Marette — Et ça n’a pas marché…

Préfet — Ils sont morts dans d’atroces souffrances…

Marette — Poussez-la !

Préfet — Qué pousser ?

Marette — La balle ! Pousser la balle ! Une fois bien dedans, je serais mort…

La Présidente — Sans souffrance…

Préfet — Et comment je vais pousser ?

La Présidente — Mettez-y du vôtre !

Préfet — Du mien !

La Présidente — Vous voulez que je souffle dedans ?

Marette — C’est pas comme ça qu’on fait !

Préfet — Je veux bien le faire si ça vous épargne les douleurs, mais…

La Présidente et Marette — Mais quoi ?

Préfet — On pourrait pas baisser le rideau d’abord… ?

(rideau)

 

 

ACTE XX

Même décor, mais entièrement blanc. Les jeunes entrent au son de la guitare de Roger. Nanette les entraîne. Frank joue du tambour. Tous ont l’air d’anges. Un petit nuage est posé dans l’herbe blanche. Dans la rue de devant, un gosse regarde en mangeant une barbe-à-papa.

 

Scène première

Roger, Nanette, Frank et les jeunes

Jeunes —

Ah ! C’est urgent faut qu’on se taille

Non pas la part mais sur les routes

Faut se tirer de cett’ pagaille

Avant d’ crever dans la choucroute

Les larbins c’est mieux mais en pire

On n’a pas le goût des médailles

Nous c’ qu’on veut c’est qu’on nous inspire

La vie en vrai loin des batailles

 

Tirons-nous avant qu’ ça pue

Ya pas d’ raisons d’y rester

La musique est corrompue

Par les leçons du Préfet

La mémoire et les devoirs

C’est bon pour se faire avoir

 

Seul’ment voilà c’est des vrais mules

Ils peuv’ pas s’en tenir aux lois

Tôt ou tard il faut qu’ils enculent

Et qu’ils se prennent pour des rois

Marette embauch’ que ses copains

Et forcément quand ça bat l’ beurre

Elle est à eux il est des leurs

Et glou et glou main dans la main

 

Tirons-nous avant qu’ ça pue

Ya pas d’ raisons d’y rester

La musique est corrompue

Par les leçons du Préfet

La mémoire et les devoirs

C’est bon pour se faire avoir

 

Ces paillassons nourris au fion

Ils aim’ pas not’ musiqu’ du soir

Ils peuv’ pas s’empêcher d’avoir

Des idées alors qu’ils sont cons

Mais qu’ils en aient c’est leur affaire

Les exprimer c’est autre chose

Surtout que c’est pas c’ qu’on espère

D’un maire et de ses virtuoses

 

Tirons-nous avant qu’ ça pue

Ya pas d’ raisons d’y rester

La musique est corrompue

Par les leçons du Préfet

La mémoire et les devoirs

C’est bon pour se faire avoir

 

Nous on a pas cherché des puces

On a dansé sans se soucier

Que les vieux cons quand ils se sucent

C’est pas dans leurs petits souliers

Les drapeaux les flonflons du bide

C’est de la mort pas du rata

Des médaillés dans le morbide

C’est décidé on en veut pas

 

Tirons-nous avant qu’ ça pue

Ya pas d’ raisons d’y rester

La musique est corrompue

Par les leçons du Préfet

La mémoire et les devoirs

C’est bon pour se faire avoir

 

Par ces temps mauvais pour la Droite

La musique adoucit les mœurs

À condition d’ pas avoir peur

De mettre les mains à la patte

Et si Marette a envie de

Se palucher la troisièm’ jambe

Devant des méloman’ ingambes

Qu’ sur la photo il ait l’air de !

 

Tirons-nous avant qu’ ça pue

Ya pas d’ raisons d’y rester

La musique est corrompue

Par les leçons du Préfet

La mémoire et les devoirs

C’est bon pour se faire avoir

 

C’est une tradition en France

On a l’esprit de tolérance

Pour les fachos pas d’attirance

Dans la pensée pas d’ingérence

Entre nous ya pas d’ différence

Et si Marett’ perd la cadence

Faut lui couper ce qu’il en pense

Mais sur la plac’ c’est nous qu’on danse

 

Tirons-nous avant qu’ ça pue

Ya pas d’ raisons d’y rester

La musique est corrompue

Par les leçons du Préfet

La mémoire et les devoirs

C’est bon pour se faire avoir

Gosse —

Bravo ! Bravo ! Bravo !

Marette sort du petit nuage et le pousse en l’air. Il est vêtu en ange. D’autres petits nuages se déposent.

 

Scène II

Les mêmes, Marette

Marette —

Au gosse :

Tu as vu comment ils volent les nuages ici ?

Il fait le nuage.

Gosse — T’es pas doué…

Marette — C’est bien ici…

Gosse — Ils ont qu’un parfum…

Marette — Ça te donne pas soif ?

Gosse — Il y a de l’eau dedans !

Marette — Ah ?... Ils les font qu’à l’eau ?

Gosse — Que je sache. Et toi, tu fais rien ?

Marette — J’arrive tout juste. Je suis pas encore habitué. Et toi, ça fait longtemps que tu es mort ?

Gosse — Je suis là depuis cinq minutes !

Marette — Tu vas vite ! Moi on m’a pas encore donné ce que j’aime le plus au monde. Mais ça fait pas cinq minutes que je suis là.

Gosse — Moi il y a un tas de choses que j’aime le plus !

Marette — Tu aimes quand ça se mange et que c’est sucré, hé ?

Gosse — Et toi, qu’est-ce que tu aimes ?

Marette — Je suis un grand…

Gosse — T’es même tellement grand que ça fait longtemps que tu raccourcis !

Marette — On m’a arrêté à temps…

Il se tâte.

Encore un peu et j’arrivais même plus à profiter de ma mort…

Il regarde autour de lui.

C’est bien ici…

Il réfléchit. Aux jeunes :

Vous êtes jeunes. C’est bête de mourir à cet âge. Mais les voix du Seigneur sont impénétrables.

Gosse — Sinon on les aurait pénétrées et on aurait exigé plusieurs parfums !

Marette — Et ils auraient mis autre chose que de l’eau dedans…

Il aperçoit Roger.

Ah ! Vous êtes mort vous aussi.

Rire de Roger.

C’est bête de mourir à l’arrivée du Tour de France. Mais enfin, il est arrivé. Et nous on est là, à attendre qu’on nous donne une barbe-à-papa de notre âge.

Il voit Nanette.

Té ! Tu es là toi aussi ? Je suis pas tout à fait mort, alors.

Nanette — Néné ! Viens ici ! Ne reste pas dans la rue.

Marette — Ah ! Mais je l’avais pas reconnu ! Ça va, Néné ? Elle est bonne la barbe-à-papa ? Ya un bar dans le coin ou il faut boire chez soi ?

Nanette — Je t’ai dit de pas jouer dans la rue quand tu manges quelque chose !

Gosse — Je jouais pas. D’ailleurs, rien m’amuse ici !

Marette — Ça fait pas dix minutes que tu es là et tu fais le révolté ! Il va peut-être falloir le dresser avant qu’il arrive quelque chose à notre Paradis ! Je comprends pas qu’on accorde cette faveur à des anarchistes. Je suis pas mort pour me retrouver en mauvaise compagnie !

Nanette — Vous l’avez pas bien fait exprès de mourir…

Marette — C’est que j’y serais pas au Paradis si je m’avais suicidé !

Gosse — Il parle comme un gosse… On dit pas « si je m’avais »…

Marette — Tu peux parler toi ! À toi ils t’ont donné une barbe-à-papa. Et à moi rien ! Ça me mélange. Et c’est pas bon les mélanges… sauf si on connaît la chanson… Et je la connaissais…

Gosse — Tu t’en rappelles plus de la chanson que tu chantais ?

Nanette — Chez lui, c’est le cerveau qui se dessèche en premier…

Gosse — Tu veux un peu de ma barbe-à-papa ?

Marette — Avec de l’eau dedans ! Mais je suis déjà mort, petit ! On a pas besoin de recommencer.

Roger —

Voix sépulcrale.

Ce qui est fait est fait !

Marette — Il joue plus de la guitare çui-là ?

Nanette — Allez viens, Néné. On rentre.

Marette — Vous rentrez où ? On peut rentrer ? Putain ! Ya que des avantages au Paradis.

Nanette ne sort pas. Elle s’écarte avec l’enfant. Frank bat le tambour. Les jeunes laissent tomber leur aube. Apparaissent des corps de rêve (avec des plumes).

Ya même un bordel…

Il marche vers eux sur la pointe des pieds.

Ya pas de porte… Je sais pas si on paye ou si on se fait payer… On boira quelque chose avant de commencer…

Roger —

Même voix.

Qu’est-ce que tu veux commencer ?

Marette — Ah ! Bé té ! Ça commence…

Il met les mains en porte-voix.

Pour moi, ce sera pas une barbe-à-papa !

Il rit.

Je suis pas venu pour ça !

Redoublement du rire. Il s’arrête brusquement.

C’est pas interdit de rire au moins ? Je ris pas de vous, hé !

Roger — De quoi riez-vous ? Peut-on le savoir ?

Marette — Vous qui savez tout… Et moi qui sais rien !

Il se reprend.

Je commencerais bien par un petit verre… Pas énorme, hé ! Juste de quoi…

Il réfléchit.

Tous — Nous t’écoutons !

Crescendo :

De quoi ? De quoi ? De quoi ?

Roger — C’est la question !

Marette —

Effrayé :

Ah ! Bon ? Ya une question ?

Roger — Il y a toujours une question !

Marette — Et une réponse… je la connais ?

Tous —

Crescendo :

Réponds ! Réponds ! Réponds !

Marette — Je me disais aussi… Je trouvais ça trop facile…

Au gosse :

Ils t’ont posé quoi comme question ?

Gosse — « Qu’est-ce que tu veux manger ? »

Marette — Putain ! Ils t’ont fait facile ! « Qu’est-ce que tu veux manger ? » Hé bé té ! Une barbe-à-papa ! Et le tour est joué. Et le mec peut même « rentrer » si ça lui chante…

Gosse — Ça te chante pas à toi ?

Marette —

À l’écoute :

J’entends rien… Je me rappelle même plus la question…

Tous — Par quoi veux-tu commencer ?

Marette — Une question piège… Si je commence pas comme il faut, je finis en suivant…

Il réfléchit.

Hé bé… si on commençait…

Tous — Non ! Pas nous ! Toi !

Marette — Que moi ? Premier solo au Paradis… pour les duos… ?

Tous — On verra plus tard !

Marette — Pas devant l’enfant… C’est normal… Je comprends…

Tous — Tu ne comprends rien !

Marette — Je comprends rien… D’accord… Je comprends rien et je commence… Je suis vierge… J’ai jamais rien fait…

Tous — Menteur !

Marette — Le mensonge n’est pas un péché capital !

Tous — Mais il compte !

Marette — Je suis en train de jouer dans une pièce écrite par l’évêque de Pamiers !

Tous — Tu ne crois pas si bien dire !

Marette — Alors je veux bien commencer… si c’est pas trop demander… par un petit verre de vin blanc…

Tous — Non !

Marette — C’est que j’ai soif ! Je peux rien faire si j’ai soif !

Tous — Et bien ne fais rien !

Marette — Mais je suis pas venu au Paradis pour rien faire !

Tous — Tu n’es pas venu !

Marette — Mais je suis arrivé !

Tous — Ce n’est pas l’heure !

Marette — Vous voulez dire… que je suis pas encore… pas encore…

Tous — Mort !

Marette — Alors je suis en train… C’est une visite de courtoisie que je vous fais. Pour voir comment c’est… La langue… L’action culturelle…

Tous — Il n’y a rien de tout ça ici !

Marette — Alors je m’étonne plus de pas les avoir trouvés ! Ça me fait du bien de savoir ce que je sais. Et qu’est-ce que je sais pas ?

Tous — Après la chanson !

Ils dansent, conduits par Nanette. Roger et Frank font la musique.

Marette —

Se gratte la gorge.

C’est bien parce que c’est vous… Tu as chanté, toi, Néné ?

Gosse — On chante pas la bouche pleine !

Marette — Le gosier sec non plus… sauf au Paradis…

 

Et pan ! j’remets ça

Pourquoi je sais pas

J’ peux pas m’ retenir

La faute à Désir

Désirée toujours

C’est pas de l’amour

Mais quand ça me prend

Je m’ mets dans le rang

 

L’amour j’ suis pas pour

J’en ai fait le tour

Faut dir’ que maman

Elle avait un’ dent

Papa avec deux

Faisait de son mieux

J’ai coupé la poire

En deux quelle histoire !

 

Le bordel et le paradis

Ont un point commun — faut le dire

C’est la même clé — on le dit

Mais c’ qu’on dit pas — faut’ de le dire

Tous

C’est qu’ ça n’a pas d’ prix !

 

J’attends plus je sonne

Ya jamais personne

Et si c’est quelqu’un

J’en vois plus aucun

J’ai le délirium

Pas fait pour les hommes

La dans’ de saint Guy

Me secoue l’ quiqui

 

J’ai de quoi casquer

J’ai mêm’ des idées

C’est pas la chambrée

Mais ça sent les pieds

Dans les draps je suis

Comme dans un puits

Je fais c’ que je puis

C’ que je dois aussi

 

Le bordel et le paradis

Ont un point commun — faut le dire

C’est la même clé — on le dit

Mais c’ qu’on dit pas — faut’ de le dire

Tous

C’est qu’ ça n’a pas d’ prix !

 

Et pan ! la voilà

Fièr’ du tralala

Ell’ fait la loco

Et me trouve beau

C’est pas beau qu’ell’ dit

Mais un’ fois au lit

J’ai du mal à com

Prendre la chanson

 

Faut payer le coup

C’est pas très beaucoup

Un sou c’est un sou

Surtout que dessous

Le mat’las sait tout

Mêm’ qu’il fait coucou

À l’autre pioupiou

Qui me tient le bout

 

Le bordel et le paradis

Ont un point commun — faut le dire

C’est la même clé — on le dit

Mais c’ qu’on dit pas — faut’ de le dire

Tous

C’est qu’ ça n’a pas d’ prix !

 

C’est un cauchemar

Avec des panards

Ou je rêve en vrai

Ou je fausse vrai

Les histoir’ de pieds

Comme à la télé

C’est d’ la politique

Sans le générique

 

Pan ! Pan ! sur le pan

Pan des éléphants

Les ros’ et les blancs

Dans un verre à dents

J’ai pas la façon

Je suis un peu con

Mais pour cultiver

Faut d’abord rêver

 

Le bordel et le paradis

Ont un point commun — faut le dire

C’est la même clé — on le dit

Mais c’ qu’on dit pas — faut’ de le dire

Tous

C’est qu’ ça n’a pas d’ prix !

 

Toc ! Toc ! Oui c’est moi

Je sais l’air j’ai pas

Je viens pour Désir

Désirer pas nuire

Vous me connaissez

J’ suis prêt à payer

C’ qu’il faut pour aller

Au ciel sans payer

 

Le bordel et le paradis

Ont un point commun — faut le dire

C’est la même clé — on le dit

Mais c’ qu’on dit pas — faut’ de le dire

Tous

C’est qu’ ça n’a pas d’ prix !

 

Maintenant que j’y ai goûté, au Paradis, je veux bien y rester !

Nanette — On est pas une agence de voyage !

Gosse — On choisit pas de mourir !

Marette — Je suis presque mort ! Un petit coup de pouce et…

Roger — Tu n’as pas répondu à la question !

Marette — Il faut répondre à la question…

Tous — Sinon on ne meurt pas !

Marette — Hé bé je l’ai votre réponse…

Tous — C’est la tienne…

Marette — Puisque je peux pas commencer par un petit verre de vin blanc…

Tous — C’est normal, tu n’es pas mort !

Marette — Hé bé…

Tous — Hé bé… ?

Marette — Je veux bien commencer par mourir !

Tous — Pan !

Marette vacille, la bouche ouverte.

Gosse — Quécetufé ?

Marette — Quécejefé ! Quécejefé ! Je meurs !

Gosse — Et tu meurs de quoi ?

Marette — D’un accident de chasse ! Vous n’avez pas entendu le coup de feu ?

Tous — Quel crétin !

Gosse — On rigolait !

Marette —

Se reprenant :

On rigolait ! Ça se fait pas à un mourant ce genre de choses ! Vous devriez le savoir, vous qui êtes morts !

Il s’assoit sur la murette.

Gosse — Tu t’es encore assis sur la balle de caoutchouc…

Marette — Si c’est une blague…

Entre le préfet en tenue d’ange.

 

Scène III

Les mêmes, le Préfet

Marette — Vous êtes mort vous aussi ? J’ai pas le sida pourtant…

Préfet — Moi aussi je veux mourir…

Marette — … mais ils veulent pas. Il est bien mort, ce gosse. Et il arrête pas de bouffer ! Que ça me donne soif !

Préfet — En me relevant, j’ai glissé sur une merde…

Entre la Présidente.

 

Scène IV

Les mêmes, la Présidente

La Présidente — Et qué ? Moi, de vous voir le faire, ça m’a donné envie de caguer !

Marette — Et ça vous a pas tuée…

La Présidente — Je suis coriace ! Et puis j’ai pas tellement envie de mourir. J’ai déjà un palais. Et ça me dérange pas de dire des conneries.

Aux autres :

Vous avez le Petit Robert ici ?

Marette — Ils répondent pas aux questions… Ils en posent…

Préfet — Et s’ils vous posent des questions, c’est que… c’est que…

La Présidente — Céquequoi ?

Marette — C’est qu’il vous est arrivé quelque chose…

La Présidente — Quéquechoze ?

Marette — Putain qu’elle a l’air con quand elle comprend pas !

Préfet — Marette…

La Présidente — Oui, Marette… Ça je comprends… C’est lui…

Préfet — Il est presque mort parce qu’il a pris une balle de caoutchouc dans le cul…

La Présidente — C’est une atteinte à la dignité humaine !

Préfet — Oui… Mais lui, il s’est assis dessus…

La Présidente — Faut être con pour s’asseoir dessus alors que je suis prête à tout donner pour en tirer les conclusions !

Marette — J’ai pas fait exprès…

La Présidente — Encore plus con !

Préfet — Et moi…

La Présidente — Vous êtes le préfet de Sarkozy… Pas de Hollande…

Marette — Hollande veut pas le changer avec promotion, alors il le garde au même niveau… Tintin apprécie… On se demande pourquoi…

Préfet — Moi, j’ai glissé sur votre merde…

La Présidente — Sans faire exprès…

Préfet — Faudrait être con pour faire exprès…

La Présidente — Alors vous faites pas exprès…

Marette — Vous faites bien, peut-être, mais ça vous empêche pas de glisser jusqu’ici !

La Présidente — Et on est où ici ?

Préfet — C’est pas où qu’il faut se demander ? Mais pourquoi ? Vous savez pas pourquoi vous êtes ici ?

La Présidente — Je m’en souviendrais ! J’ai toujours su pourquoi je suis montée d’un cran chaque fois que je l’ai voulu…

Marette — Se faire mettre hiérarchiquement n’a jamais tué personne !

La Présidente — Mais je me suis pas fait mettre cette fois ! Et c’est une promotion que se retrouver au Paradis alors qu’on sait même pas pourquoi on y est !

Préfet — Mais on y est pas encore !

Marette — On attend…

La Présidente — Mais j’attends pas d’y être, moi ! Je m’en vais !

Préfet — Un geste brusque et il vous colle sa barbe-à-papa dans la gueule…

Marette — Ça donne soif… Vous savez vraiment pas pourquoi vous agonisez ?

La Présidente — J’agonise ? Mais on m’a rien dit ! Il est à moi, le palais ! J’ai bien le temps de renoncer aux avantages de la profession !

Préfet — Il doit bien avoir une raison ! Réfléchissez !

La Présidente — C’est peut-être le Petit Robert…

Marette — Encore lui… Elle est marquée à vie par le Petit Robert…

La Présidente — De ma faute ?

Préfet — Et qu’est-ce qui vous a fait, le Petit Robert ?

La Présidente — Pendant que vous et Marette, vous…

Mime.

Marette — Pendant que le rideau était baissé…

Préfet — Ça vous a donné envie de chier… Et on connaît les conséquences.

La Présidente — Donc, je cague… normalement…

Mime.

Préfet — Vous avez cagué plus que ça…

La Présidente — Et là… ça va ?

Préfet — Encore un peu…

Marette — Sinon on va se demander comment il a fait pour glisser jusqu’ici…

La Présidente — Et soudain…

Marette et le Préfet — Soudain ?

La Présidente — Le Petit Robert !

Marette et le Préfet — Hé bé qué ?

La Présidente — Je l’ouvre…

Préfet — Les mains pleines de merde…

Marette — Et l’œil lubrique… encouragé par ce que le Préfet est en train de me faire…

Préfet — Rideau baissé !

Marette — On a pas été jusque-là, en effet…

La Présidente — Et alors je me retrouve ici !

Préfet — À moitié morte et sans savoir pourquoi…

Marette — Vous êtes mal barrée. Vous pourrez pas répondre à la question…

La Présidente — Hé bé tant mieux ! Comme ça, je retourne !

Gosse — Pas si sûr !

Marette — Je vous présente l’oiseau de mauvais augure du coin… Il a tout ce qu’il veut et les autres rien !

La Présidente — Comment on fait pour devenir oiseau de mauvais augure ?

Entre Bousquet.

 

Scène V

Les mêmes, Bousquet

Bousquet — Moi aussi, c’est l’oiseau !

Marette — Il est où le Hollande ?

Bousquet — Hé je sais pas ! On était en train de…

Marette et le Préfet — Rideau !

La Présidente — Il vous a fait le coup du Petit Robert !

Bousquet — Non, non ! Je l’avais déjà dans le cul.

Marette — Et tu es presque mort…

Préfet — Si vous savez pas pourquoi, vous allez y retourner, sur Terre…

La Présidente — Je demanderais pas mieux, moi… Vous avez pas froid ?

Entre Tintin.

 

Scène VI

Les mêmes, Tintin

Tintin — Il fait chaud ici ! Vous trouvez pas ?

Marette — Té ! L’esprit de contradiction.

Préfet — Ils vous ont pas raté vous non plus !

Tintin — Non, non ! Je suis vivant…

Marette — … et vous êtes morts… En pleine science fiction, le Tintin !

Tintin — J’ai eu un passe pour venir vous voir comment vous allez et si tout se passe bien.

Marette — Il est pas député pour rien çui-là !

Tintin — Je suis venu en camion.

Marette — Et vous avez eu un accident !

Tintin — Non, non ! Ceux qui veulent rentrer, je les amène.

Préfet — Vous avez l’autorisation ?

Tintin — On attend plus après vous.

Préfet — De toute façon, pour ma promotion, c’est râpé…

Tintin — Je peux amener tout le monde…

Marette — Sauf moi ! Je suis bien ici.

Préfet — Mais vous répondrez pas à la question et…

La Présidente — Moi je vous suis ! Je sais même pas comment c’est arrivé !

Tintin — Ceux qui m’aiment, qu’ils me suivent !

Tintin sort, suivi de la Présidente, du Préfet et de Bousquet. Entre le Colonel.

 

Scène VII

Les jeunes, Roger, Nanette, le gosse, Frank, Marette et le Colonel

Marette — Vous avez raté le dernier train.

Colonel — Oh ! Mais je l’ai pas raté ! Je me suis planqué pour pas me faire attraper.

Marette — Vous avez pas oublié le drapeau ?

Colonel — Je l’ai toujours sur moi ! J’irai pas en enfer !

On entend le bruit d’un camion qui démarre.

Ils y seront dans moins d’une heure…

Marette — Et qu’est-ce qu’ils font pendant une heure ?

Colonel — Ils se font enculer !

Marette — En parlant d’enculer…

Colonel — Ils vont en baver, c’est moi qui vous le dis !

Marette — Vous en savez plus que moi… De quoi vous êtes mort, vous ? Enfin… je veux dire… presque mort… parce qu’on a pas passé l’examen encore…

Colonel — Je suis vivant !

Marette — Tout le monde est mort ! Pas un survivant ! Ça se saurait !

Colonel — Je vous assure que je suis vivant ! J’ai même pas failli mourir.

Marette — Vous étiez de garde ?

Colonel — Même pas ! Je savais même pas que c’était le Tour de France. Ou plutôt, j’y croyais pas. Alors je suis pas venu…

Marette — Et comment vous avez fait pour venir jusqu’ici ? En principe, il faut être déjà un peu mort pour entrer au Paradis…

Colonel — Je suis athée…

Marette — AT ? Alpha Tango ou… Sans déconner ? Vous y croyez pas ?

Colonel — Je fais semblant.

Marette — Vous faites semblant alors que vous y êtes ?

Colonel — J’ai toujours fait comme ça.

Marette — Et ça marche ?

Colonel — J’ai même eu la Légion d’Honneur !

Marette — Si j’avais su ! Et alors vous allez, vous venez…

Colonel — J’ai attendu trop vieux…

Il montre les jeunes filles.

Marette — Vous êtes contre le suicide ?

Colonel — J’aime pas trop. Et à force d’attendre…

Marette — Vous êtes devenu éternel !

Colonel — Hé ouais !

Marette — Preuve que je suis au Paradis !

Colonel — Mais pas assez mort pour bénéficier de ses avantages.

Marette — On peut regarder, mais pas toucher.

Colonel — Vous avez tout compris.

Marette — Vous êtes si vieux que ça ?

Colonel — Tellement vieux que question bonheur, je suis court…

Marette — Si je vous demande de m’enculer, vous pouvez pas… ?

Colonel — Vous auriez dû prendre le bus de Tintin. Il vous encule pendant une heure ! Et tous à la fois !

Marette — C’est un grand enculeur, je sais. Et ça fait longtemps qu’il encule plus naturellement.

Colonel — Il a une prothèse cybernétique de fabrication russe…

Marette — Russe… pour dire autre chose…

Colonel — Si le rideau est levé, moi, je dis rien… et j’en sais !

Marette — Mais c’est pas ce que je vous demande…

Colonel — Vous me demandez quelque chose ?

Marette — Je peux pas vous demander de m’enculer…

Colonel — C’est trop tard.

Marette — Mais vous avez le drapeau ?

Colonel — Toujours sur moi ! Avant, je me l’attachais au bout…

Marette — Au bout de quoi ?

Colonel — Au bout de… de la journée !

Marette — Vous travailli-ez ?

Colonel — Je faisais pas semblant !

Marette — Moi aussi je faisais semblant de pas faire semblant…

Colonel — Sinon on aurait pas eu la Légion d’Honneur !

Marette — Et je vous demanderais pas maintenant de m’enculer même si vous pouvez pas !

Colonel — Ça devient compliqué, là…

Marette — Vous avez le drapeau ?

Colonel — Pourquoi vous me demandez ça ?

Marette — C’est que le préfet, il l’a petite, et il a pas pu aller au fond…

Colonel — Au fond de quoi ?

Marette — La balle…

Colonel — Oui, la balle…

Marette — Vous voyez la balle ?

Colonel — J’en vois deux, mais je joue plus à ça…

Marette — Si vous en voyez pas quatre, on est pas deux. Hé !

Colonel — Ah ! La balle ! Celle que vous avez dans le cul ! C’est pas de pot, hé !

Marette — Le préfet…

Colonel — Oui, le préfet…

Marette — Vous avez pas l’air de comprendre…

Colonel — Vous auriez dû commencer par la fin. Je comprends mieux quand ça commence par la fin.

Marette — Vous regardez les films à l’envers ?

Colonel — Pas tous ! Uniquement ceux qui ont un sens !

Marette — Des films français… Alors…

Colonel — Alors… ?

Marette — Me regardez pas comme ça… ! J’ai l’impression de pas comprendre…

Colonel — Vous comprenez pas ce que vous dites !

Marette — Ça me fait comme si je comprenais mais que vous compreniez pas…

Colonel — C’est compliqué !

Marette — Le drapeau…

Colonel — Le drapeau ? Qué drapeau ?

Marette — Celui que vous avez…

Colonel — Je l’ai oublié !

Marette — Mais vous l’aviez tout à l’heure !

Colonel — Oui, mais entre temps, je l’ai oublié !

Marette — Mais je comptais m’en servir, moi !

Colonel — D’habitude, c’est lui qu’on sert !

Marette — Mais bien tortillé avec un peu de bave, ça fait un godemiché du tonnerre !

Colonel — Et quécevouvouléfaire avec un godemiché ?

Marette — Me le mettre dans le cul ! Pour mourir !

Colonel — Alors je comprends pourquoi j’ai oublié le drapeau !

Marette — Et pourquoi ?

Colonel — Parce que le rideau est levé !

(court rideau pendant lequel on entend la)

Voix du Colonel — J’ai retrouvé le drapeau !

 

Scène VIII

La même scène. Tous les acteurs sont disposés comme des stands. Le museau d’une Rolls-Royce dépasse dans la rue de devant côté jardin. Entrent Trigano et Tintin.

Tintin — Ça attire du monde…

Trigano — On a la preuve.

Tintin — C’est pas des blagues, cette fois. Pas comme ce Domaine des oiseaux…

Trigano — Quand je fais des trous, je les bouche.

Tintin — Et quand Marette fait des conneries, vous investissez dans le culturel. Je comprends. Et vous allez l’appeler comment ce parc d’attraction d’un genre nouveau ?

Trigano — « Le Paradis de Mazères… »

Tintin — Vous y croyez au paradis, vous ?

Trigano — Quand je fais des morts, je les occupe.

Tintin — Et ça les occupe bien.

Trigano — Maintenant que je suis président de la République, je vais m’éclater.

Tintin — Arrivé à un certain âge, il faut pas hésiter à dire ce qu’on pense. Même que des fois, ça sort tout seul…

Trigano — Et si ça sort pas, on fait sortir.

Tintin — Vous avez un truc ?

Trigano — C’est cher.

Tintin — N’y pensons plus… Vous croyez que je pourrais aller au Paradis de Mazères moi aussi ?

Trigano — Vous voulez dire… en tant qu’acteur ? Comme Marette ?

Tintin — Je suis pas jaloux, hé ! Mais je me prépare. Le paradis ou autre chose…

Trigano — Le Paradis de Mazères, c’est bien.

Tintin — Mais c’est plus Marette le chef ?

Trigano — Hé non ! Qui dit Paradis, dit Dieu.

Tintin — Ça le met au-dessus de tout rien que le dire !

Trigano — Et encore, ce n’est pas lui qui le dit !

Tintin — Hé je sais bien… Mais ça rapporte…

Trigano — On a la preuve…

Tintin — Ça en fait du changement !

Trigano — Avant, c’était avant.

Tintin — Avant Marette et après Marette… Et entre… ce qu’on sait… qu’on ne dit pas rideau levé… Et alors on les met où les sous ?

Entre le gosse avec une glace à la main.

 

Scène IX

Les mêmes, le gosse

Gosse — Tu veux que je les mette ?

Tintin — Ça dépend ce que tu entends par là…

Gosse — C’est vous qui entendez pas ! Donnez-les-moi !

Trigano —

Majestueux :

Tiens ! Je paye de ma poche.

Tintin — Ah ! On reconnaît là votre générosité légendaire !

Gosse — À force de bouffer de la vache, on est devenu chèvre !

Tintin — Qui t’a appris cette méchante blague ? Tu n’as pas honte ?

Gosse — C’est Marette !

Tintin — Mais il est mort, Marette ! Et il a jamais fait de blagues ! ON lui faisait des blagues, mais il comprenait jamais rien…

Trigano — C’est à cause de la Légion d’Honneur…

Tintin — Il y en a que ça leur fait l’effet inverse.

Trigano —

Imitant l’accent :

Et quand on inverse encore une fois, par l’exercice de la critique par exemple, et bien l’effet prévu n’est toujours pas à l’honneur.

Tintin — C’est bizarre la Légion d’Honneur… C’est comme un chapeau… Ça te va ou ça te va pas. C’est pas toi qui choisis. C’est elle qui te choisit.

Trigano — Et elle a mal choisi Marette.

Au gosse :

Mets les sous dans la fente !

Tintin — Il y a une fente ? Je l’avais pas vue. Vous la voyez, vous ?

Trigano — Je n’essaie même plus…

Tintin — Même avec des lentilles ? C’est la fin des haricots !

Il rit tout seul. Au gosse :

Elle est quand même meilleure que la tienne !

Il s’explique :

… de blague… la fente… la chèvre… les haricots…

Gosse — Attention ! Je vais mettre les sous !

Trigano —

Joyeux :

Comme à Eurodisney ! Que du bonheur !

Tintin — C’est qu’ils sont pas bêtes ces Américains ! On dit même qu’ils vont aller sur la Lune. Vous vous rendez compte ? La Lune… là-haut…

Trigano — Tout le monde a ses rêves…

Tintin — Oui, je comprends… Mais quand les rêves sont impossibles… La Lune… tout de même !

Trigano — Le Paradis…

Tintin — Que ça y ressemble !

Trigano — Et on a la preuve que ça rapporte !

Gosse — Ça y est !

Marette s’agite.

 

Scène X

Les mêmes, Marette, Dieu

Dieu (Roger) descend du ciel. Pendant la chanson, Marette baisse lentement sa culotte.

Marette —

Si j’avais su je s’rais d’venu

Beaucoup plus tôt bébé d’amour

J’aurais pas attendu mon tour

Pour m’ la fair’ mettr’ sans coup tordu

C’est fou c’qu’on perd comm’ temps précieux

Quand on est pas formé dans l’ rang

Si j’étais resté un enfant

J’aurais fait ça beaucoup bien mieux !

 

Entrez je fais ça gratis

Avec ou sans goupillon

Le civil c’est ma passion

On a pas tort d’avoir du vice !

 

J’aurais mort du froid dans le dos

J’aurais conservé ma jeunesse

Y aurait quelqu’un dans mon dodo

Pour me tartiner d’ beurr’ les fesses

J’attends ça vient mais pas à l’heure

J’ai du coton dans les oreilles

Mêm’ si je fais ça sans oseille

Je suis passé loin du bonheur

 

Entrez je fais ça gratis

Avec ou sans goupillon

Le civil c’est ma passion

On a pas tort d’avoir du vice !

 

J’ suis pas bébé mais j’aim’rais bien

Si j’avais été j’ s’rais encore

Mais quand on a pas les moyens

Faut faire avec c’ qu’on a dans l’ corps

Les trucs vid’ je sais les remplir

J’ai pas été dans l’ chemin d’ fer

Pour pas savoir ce qu’il faut faire

Avec le trou de la tir’lire

 

Entrez je fais ça gratis

Avec ou sans goupillon

Le civil c’est ma passion

On a pas tort d’avoir du vice !

 

Mais le cerveau c’est un mystère

Autant il sait sans les deux mains

Ce qui convient quand c’est pas plein

Autant le v’là perdu derrière

Quand il s’agit de fair’ le vide

La question ne se pos’ mêm’ plus

C’est pas l’ bon trou qu’on a dans l’ bide

Ah ! C’ que c’est compliqué le cul !

 

Entrez je fais ça gratis

Avec ou sans goupillon

Le civil c’est ma passion

On a pas tort d’avoir du vice !

 

Maintenant que j’ suis un vrai mort

Avec des trucs en plum’ derrière

Je vais faire un boulot pépère

Sans jouer au toréador

J’ai qu’à m’ baisser pour me laisser

Aller sans me soucier d’ l’effort

C’est pas moi le conquistador

Je dis pas non à la fessée

 

Entrez je fais ça gratis

Avec ou sans goupillon

Le civil c’est ma passion

On a pas tort d’avoir du vice !

 

Si j’avais su j’aurais venu

Beaucoup plus tôt et sans mon slip

J’en ai connu des prototypes

Mais jamais l’ chef de la tribu

Cett’ fois j’ai décroché l’ gros lot

J’ai du travail jusqu’à plus soif

Les boul’ en suspens dans le dos

Ça dépend où on s’ les agrafe

 

Entrez je fais ça gratis

Avec ou sans goupillon

Le civil c’est ma passion

On a pas tort d’avoir du vice !

 

Je suis pas d’ la premièr’ fraîcheur

J’ai les cheveux dedans la tête

Mais pour me lever de bonne heure

V’ là qu’ j’ me pouss’ pour qu’ tu t’y mettes

Avec l’ café et les tartines

J’ suis l’ complément des demi-dieux

Si un et un ça fait pas deux

J’ suis pas bébé sans la tétine !

 

Entrez je suis un bon fils

J’ai le trou en fac’ du trou

Quand on a plus rien du tout

On aurait tort de manquer d’ vices !

Dieu l’encule. Marette geint.

Trigano — Je me demande si ça ne serait pas mieux « L’Olympe… »

Tintin — « L’Olympe de Mazères… » Ouais… Ouais… Ouais… Mais la place de Zeus est déjà prise…

Trigano —

Minaudant :

Et alors ?

(rideau)

Voix de Trigano —

Quand je serai là-haut

Ce qui arrivera

Car je suis un héros

De cette France-là

Peut-être un demi-dieu

Qui sait ce que je suis

Je sais que je vaux mieux

Mais assez me suffit

 

Quand l’heure sonnera

Au-dessus de Mazères

Le bon vieux saint Hubert

Fera le premier pas

Comme c’est difficile

D’imaginer la mort

Et comme c’est facile

De pleurer sur son sort

 

Mais j’irai droit devant

Sans me soucier des cris

Des miens ceux des enfants

Ceux d’une femme aussi

J’irai à pied tout nu

Et sans décorations

M’ livrer sans retenue

Aux fruits de ma passion

 

Nous ne sommes pas rien

Mais je suis mieux encore

Pas aussi bien que bien

Mais dans ce saint décor…

 

Tous —

Vas-y Pépère

on est dev’nu des potes

Moi je t’adore

et c’est toi qui dépotes

La saint Glinglin

c’est comme qui dirait

De l’or en barr’

mais coupé à la raie

Vas-y mon vieux

n’hésit’ pas j’ai la forme

Un’ fois mort on

n’est jamais le premier

Mais en second

j’ veux bien que tu déformes

Mon truc en plume

et mes petits souliers !

 

Da capo et point d’orgue :

Mon truc en plume et mes petits souliééééééééééééééééé !

 

 

Finis

 

 

ACTE XXI

 

Ah ! J’enquêtais ! J’avais des bouches à nourrir. Et je les nourrissais avec la viande nationale, celle qui profite du système et ne veut en changer que pour mieux profiter.

J’avais mis la main sur une vieille affaire étouffée comme il en existe des tas à Mazères.

Appelons-le Canasse, comme Ismaël s’appelle Ismaël.

Bref, Canasse avait violé une jeune Mazèrienne dans sa jeunesse. Elle était beaucoup plus jeune que lui. Et ce n’était pas la première fois qu’il profitait du système. Il avait déjà de l’expérience, le canasse son !

Ah ! C’en était trop. Ce rejeton fils de petits bourgeois commerçants (je crois que son père tenait une boutique de sucettes et autres sucres d’orge) n’avait pas bonne réputation. Son père disait de lui qu’il était bête comme ses pieds et méchant comme la teigne. Il promettait donc, si on se place du point de vue du système. Et il a tenu ses promesses !

Il y avait à l’époque un notable influent dont je tairai le nom. Et le père Canasse s’est jeté à ses genoux pour faire cesser la rumeur affectant la réputation future de son indigne héritier. Bien sûr, le notable en question rencontra des résistances. Mais il tint bon et sauva le fils Canasse des griffes de la justice. Il gagna, certes, mais son combat souterrain laissa des traces. Et je vous le donne en mille : je suis tombé dessus ! Forcément, à force de chercher…

On dit à Mazères que cette sordide histoire se termina le jour où le notable mourut et qu’il fallut l’enterrer. Le fils Canasse ne se montra pas aux funérailles, ce qui en choqua plus d’un. « Ah ! Mazette ! dirent-ils sans cacher leur amertume. Ce salaud de Canasse fils n’est même pas reconnaissant ! » Puis ils se turent et Canasse fils prit encore de l’importance.

C’est souvent comme ça dans ce pays : les salauds sont décorés aux côtés des larbins et le crime colonial continue d’alimenter les gorges profondes.

Voilà où j’en étais. Un dossier sous le coude et la conscience empêchée non pas par la peur que pouvait m’inspirer Canasse fils devenu important, mais par le personnage caché de celle qu’il avait violée. Je ne pouvais pas citer son nom. Elle avait assez souffert comme ça.

Alors j’étais en train de réfléchir quand qui je vois au milieu de la route si c’est pas Loulou Marette en personne !

Ah ! Je m’arrête ! C’est toujours ce qu’on fait quand on approche de l’édile premier de Mazères. Mais qu’est-ce qu’il foutait au milieu de la route ? Heureusement, ce n’était pas l’heure de sortie (et donc de rentrée) des fonctionnaires harassés par une journée de travail forcément en trop. Aucun véhicule à l’horizon. Mais cette fois, j’y vais. Je ne quitte pas le talus et j’interpelle le Loulou :

« Macarelle ! Loulou ! Qu’est-ce que tu fais au milieu de la route ? Tu te suicides ?

— Hé non ! Je me suicide pas. Et j’ai même pas envie qu’on me suicide. C’est que je suis attaqué de toutes parts !

— Ce qui n’explique pas ton comportement… Tu vas trouver que je me répète mais, fan de pute, qu’est-ce que tu fais au milieu…

— Je poursuis le perroquet !

— Mais qué perroquet ? » m’écriai-je comme si je m’adressais à un homme ou une femme de Lettres.

Sans quitter la ligne blanche qui lui servait de guide de bonne conduite, Loulou ouvre la bouche comme on retire le sifflet d’une cocotte-minute. Ah ! Ce matin, il s’est encore parfumé les joues avec un after-shave à l’anis. J’en tombe à la renverse. Il se gratte les joues pour en extraire le plus de blanc possible. Je ne vous l’ai pas dit mais, à ce moment-là, comme dans d’autres tout aussi nombreux, Loulou n’est pas noir. Il est vert. Et il veut s’expliquer :

« Putain ! grogne-t-il. J’ai quand même le droit de courir après ce putain de perroquet !

— Il était de quelle couleur ton perroquet ? lui demandai-je sans autre intention que de m’enquérir.

— Vert té !

— Alors c’était bien un perroquet… Il a fait du chemin depuis le centre-ville !… Et vert comme un négatif du ruban de la honte… Je veux dire que le vert est la complémentaire du rouge, pas son contraire… Je ne sais pas si je me fais bien comprendre… Tu as la Légion de l’honneur en carafe… hé bé le verre est son complémentaire… sous toutes réserves… »

Dans ce genre de circonstances, je ne sais pas pourquoi, j’ai tendance à réfléchir. Et j’oublie que je suis en compagnie. Attitude qui d’ordinaire ne prête pas à conséquences. Mais avec un Louis Marette en plein milieu de la route, à une demi-heure de l’arrivée des fonctionnaires épuisés, je courais le risque de me voir accusé de non-assistance à personne en danger de mort ou d’autre chose. Je dis autre chose parce que Loulou a la réputation (lui aussi) d’avoir la peau dure. Ça n’est jamais arrivé, mais je suis sûr que si une bagnole, de fonctionnaire ou autre chose, lui passait dessus, il s’en tirerait facile et continuerait de réclamer son perroquet comme s’il ne s’était rien passé. Alors je me porte à son secours. Je lui dis sans vouloir le brusquer :

« Loulou ! Laisse tomber le perroquet et reviens sur le bord de la route. Ensuite je t’accompagne jusque chez toi. On y sera en deux minutes.

— Ah ! Pas question de laisser mon perroquet entre les mains d’un autre que moi ! »

Et là, Loulou me fournit l’explication, celle qui explique pourquoi il est au milieu de la route :

« J’ai essayé moi aussi le bord de la route, putain ! grogne-t-il encore. Je suis pas né de la dernière pluie ! Surtout que moi, l’eau…

— Tu en mets quand même un peu dans ton vin, Loulou… On ne fait pas de politique autrement… Surtout avec un président qui promet de s’en prendre au crime colonial. Il est bien capable de faire le lien entre ta Légion d’honneur et cet horrible crime contre l’humanité… C’est qu’il a bien manœuvré, le Chirac ! Et le Sarko en a rajouté. Ça fait beaucoup d’indices concordants en plein milieu de cette honorable assemblée de joueurs de hochet !

— Quoi qu’il en soit, fait Loulou comme s’il n’avait pas entendu ma critique mais qu’il l’avait soigneusement rangée dans un coin de sa tête couperosée des fois que ça pourrait lui servir un jour contre moi, quoi qu’il en soit, c’est au milieu de la route que je le vois, ce foutu perroquet ! Tu penses bien que j’ai déjà essayé le bord !

— Et ça n’a rien donné ?

— Et té non ! Tu le vois le perroquet d’où tu es ?

— Pas une plume… mais si je te regarde, j’ai l’impression de deviner ce qui lui est arrivé…

— Ne parle pas de malheur, simple citoyen ! C’est que j’en connais du monde, moi !

— Tant que ça, Loulou… ?

— Hé hu ! Et des généraux, des procureurs, des juges et des jugeuses, des commissaires, que des gens bien et bien récompensés ! »

Là, Loulou se met à réfléchir. Les bulles éclatent au-dessus de sa blanche chevelure qui a servi à un tas d’autres choses et même à balayer devant certaines portes qui ne disent pas leur nom. Les mouches tombent. Soudain, il s’écrie :

« Et même des enculés, té !

— Tu fréquentes des enculés, Loulou ! Mais pour quoi faire ?

— Il en faut. C’est que j’ai eu pu moi aussi…

— Mais tu peux plus…

— Ça eut pu… mais ça pue plus… C’est comme ça l’existence politique des trous du cul de la France. Ne reste pas au bord de la route, Roger ! Viens avec moi au milieu. Après, on saluera les fonctionnaires qui reviennent en fin de journée après avoir souffert le martyre au service de la monarchie que nous élisons librement et des républicains convaincus que nous sommes. »

Je vous fais grâce du discours qui suivit. On approchait de l’heure fatidique. Il n’y a rien comme une personne fatiguée par sa dure journée pour vous écraser en plein milieu de la route parce que vous n’avez rien à y faire. Ah ! On ne peut plus avoir confiance en personne, tiens !

« Tu veux ou tu veux pas ? lance Loulou.

— Tu le vois ton perroquet ?

— Je le vois pas, mais je le sens…

— C’est toi que tu sens, couillon ! Et ça te fait de l’illusion.

— Ah ! Mais c’était du vrai ! C’était pas un rêve. C’était un perroquet tout ce qu’il y a de perroquet.

— Tu devrais consulter, Loulou… À ton âge…

— Oh ! Mais j’ai consulté ! Depuis belle lurette.

— Et tu souffres de quoi, Loulou ?

— Je souffre pas ! Ça me fait même du bien. Et ça se voit.

— Ah ! Ça ! Pour se voir, ça se voit ! Et ça se sent…

— Je sens rien, moi… J’avoue que ça m’anesthésie un peu… Comme la confession… À l’église, le dimanche, il te donne que du pain. Et il est pas levé. Ça te donne pas soif à toi ?

— Tu sais bien que je ne mange pas de ce pain là…

— Tu as mauvaise réputation. Tandis que moi, la réputation, je l’arrange moi-même.

— Avec l’aide de quelques-uns…

— Je suis pas un cave ! Ni un larbin ! Je me passe de dabe !

— Tu parles argot, Loulou ! Je ne te connaissais pas ce talent…

— Je parle mieux quand je dis rien. Le silence est d’or. Tu sais pas ça, toi, parce que tu fais pas de politique.

— Je ne souffre pas assez, sans doute…

— Ah ! Moi je souffle beaucoup ! J’ai toujours souffert. A force, je supporte bien la couleur. Ce qui étonne mon docteur, figure-té.

— Et qu’est-ce qu’il t’a dit, le docteur, si c’est pas indiscret de violer le secret médical ?

— Il m’a dit que je souffre de psittacisme…

— De psittacisme vert ! Qu’est-ce que tu dois souffrir en silence, Loulou ! Et sans rien sentir tellement ça t’anesthésie !

— Oui, mais attention… Pas n’importe quel psittacisme vert. Tu t’imagines pas tout de même que cette maladie me met au niveau du citoyen ordinaire…

— Mais je ne m’imagine rien, Loulou ! J’en sais tellement que je ne dis pas tout ! Alors c’est quelle variante noble du psittacisme qui donne des couleurs à ta politique ?

— Le psittacisme ordinaire est de consistance dure, explique Loulou Marette tandis que je l’écoute religieusement.

— Un peu comme les premières érections… Ensuite, ça se ramollit et on devient gaga… Ce n’est pas comme ça que tu te distingueras du commun des mortels, Loulou !

— Je te parle pas d’élection ! J’ai tellement élevé le débat que tu comprends plus rien, manant !

— Pour l’instant, Loulou, tu l’as élevé à la hauteur du milieu de la route… tandis que moi, sur le talus…

— Je suis attaqué de toutes parts ! J’ai l’habitude…

— Comme tu es anesthésié, ça ne te fait plus rien…

— Mais ça m’a eu fait ! C’est ça l’expérience.

— Bref… Alors en quoi ton psittacisme noble se distingue-t-il du psittacisme ordinaire qui affecte ceux qui se déplacent à pied sur le bord de la route et non pas au milieu… ?

— C’est un psittacisme liquide ! s’exclame Loulou en jetant sa médaille en l’air.

— Un psittacisme liquide vert ?

— Tu l’as dit !

— Et c’est grave ? Je veux dire… Tu as encore toute ta tête… ?

— Hé pardi ! C’est là-dedans que je mets le liquide. Tu n’imagines tout de même pas que je vais le montrer à tout le monde !

— Il n’y a que le docteur et le curé qui savent…

— Et maintenant toi aussi tu sais, Roger… Ça t’engage.

— Au milieu de la route ! À une minute du retour des fonctionnaires sur les genoux ?

— Les genoux, moi, je m’en sers pour autre chose… À dada sur mon bidet… »

Mais Louis Marette n’a pas le temps de terminer ce nouvel aveu. Une voiture arrive, avec une fonctionnaire échevelée au volant. Elle n’est pas de bonne humeur, si on en juge, de loin, par la couleur de son nez. Je ne peux pas m’interposer sans risquer ma propre vie… je crie :

« Loulou ! Viens voir ! Le perroquet est en train de jouer dans ton jardin ! »

Ni une ni deux, Loulou d’un saut me rejoint au bord de la route. La voiture le frôle mais sans le froisser. Il est fait de bonne taule, le Loulou. Tiens… je ne sais plus comment on écrit /tol/ dans ces drôles de circonstances. Loulou est monté sur mon dos, comme Anchise sur celui de son fils :

« Putain ! s’écrie-t-il. Je le vois ! Il est dans la piscine. Il va se noyer, mon perroquet ! Fais quelque chose, Roger ! Il n’y rien de plus frustrant qu’un perroquet noyé !

— Est-ce qu’il est vert, Loulou ? ânonnai-je en titubant sur le talus.

— Il l’est de moins en moins ! Trop d’eau c’est trop d’eau ! Je l’ai toujours dit. Ce qui compte, c’est le dosage. Ah ! Je vais leur apprendre, moi, comment on fait les perroquets ! Et s’il faut lever le coude, je serai pas le dernier ! Hue, Roger ! Vite avant que ma piscine devienne le tombeau liquide d’un perroquet C’est que j’y tiens, moi, à mon psittacisme liquide !

— Liquide vert, Loulou ! Liquide vert ! »

 

Louis Marette était donc monté sur mon dos, ce qui ne manquerait pas de faire jaser. Les nouvelles vont vite à Mazères et la Dépêche du Midi les colporte à sa manière. Justement, Jean-Louis Bousquet était assis devant son portail. Il lisait le canard local dont les pages se gondolaient de moiteurs anales. Marette enfonça ses éperons dans mes fesses. Je m’arrête net. (Ici, vous voyez comment on passe du temps passé au présent) Alors Loulou se dresse sur les étriers que j’ai particulièrement sensibles au dressage depuis que je vis en France.

« Salutatoi, mon second, lance-t-il à son sbire. Qu’est-ce que tu fais assis devant ton portail à part regarder ce qui se passe dans la Dépêche ?

— Le portail est fermé…

— Et alors… ?

— Hé bé j’attends qu’il s’ouvre ! »

Que voulez-vous répondre à cela ? Il est comme ça Bousquet. Même quand la Dépêche l’invite à s’exprimer dans ses colonnes mazèriennes. Il ne se passe pas un jour sans que le dialogue suivant n’ait lieu :

« D’où viens-tu, Bousquet ?

— Des vécés.

— Et où vas-tu ?

— Aux vécés ! »

Il ne reste plus qu’à lui demander pourquoi et la conversation s’engage. C’est un être utile quand il s’agit d’entretenir la légende municipale. Que serait un conseil municipal sans chiottes municipales ? Tout le monde est d’accord là-dessus, même si tout le monde se tait.

« Alors comme ça, continue Marette qui a de la conversation, tu en viens…

— Et j’y retourne dès que le portail sera ouvert !

— Mais enfin, Jean-Lou, c’est le portail de TA maison !

— Oui, mais j’ai les vécés dehors…

— Comme à l’ancienne ? s’étonne Marette en régurgitant un reviens-y de psittacisme vert liquide.

— Je suis revenu au temps de la cueillette libre, répond Bousquet en s’emmêlant dans les pages souillées de la Dépêche (maintenant on sait qu’il ne la lisait pas, ô charmes discrets de la narration !).

— Ah ! C’était le bon temps, expulse Marette en secouant ma crinière. On pouvait même cueillir chez les autres sans passer pour un intrus. Mais maintenant on peut plus. À cause des Verts ! »

Voilà comment il expliquait son psittacisme vert liquide.

« Mais je leur en veux pas, dit-il comme s’il s’adressait à son confesseur, la main sur la braguette du pantalon, valeureux combattant de l’opérette municipale.

— C’est que c’est pas mauvais, le vert, avoue Bousquet en en rajoutant un peu parce qu’il a encore envie.

— C’est bon uniquement à boire ! s’écrie Marette. Sinon ça ne vaut rien en politique. C’est de la dictature. On nous empêche de cueillir librement alors qu’on en a envie ! Té ! Ça me la coupe. Je vais plus avoir envie de toute la journée.

— On devrait éviter le sujet, pleure Bousquet. Ça me fait mal au trou que j’ai là.

— C’est que tu en as, des trous, constate Marette.

— Les coups de fusil manqués… reconnaît le patron incontesté des chasseurs.

— Ah ! Si nos trous pouvaient parler ! clame Marette comme à la tribune. On en a mis des choses dedans !

— Mais pas toujours ce qu’on voulait… Souvent…

— Tais-toi, sycophante ! Ou je…

— Ou tu…

— Ou je t’appelle Cui-cui ! »

L’attaque anale par excellence ! Il s’y connaît, le Marette, en trou. Il est d’ailleurs en train de creuser sa tombe dans un endroit moins salissant que les chiottes où Bousquet s’adonne à la contrition.

« Pas Cui-cui ! pleurniche-t-il en joignant ses mains dans ma crinière car celles de Marette s’y trouvent. Pitié ! Compassion ! Et pardon ! Je recommencerai pas ! Promis ! »

Ne comptez pas trouver ici l’explication documentée de la soumission de Jean-Louis Bousquet à Louis Marette. Il y a des choses qui ne se disent pas. Mais ne parlent-elles pas d’elles-mêmes ? Heureuse littérature qui connaît la rhétorique ! On peut couper dans le texte pour ne pas subir les feux de parquet et on donne un nom à ce fait de style. Mais rassurons-nous : Jean-Lou ni Loulou n’ont atteint ce niveau patrimonial de l’intelligence humaine.

« Cui-cui ! Cui-cui ! Cui-cui ! fait Marette sur mon dos, à même ma selle andalouse.

— Perroquet ! Perroquet ! Perroquet ! » rétorque Bousquet qui ne connaît pas le nom donné à la parole des perroquets de ce monde.

Il y a de l’électricité dans l’air… Les oiseaux, quand ça se dispute, ça finit toujours mal. Surtout que Bousquet ne sait dire que « cui-cui » face à Marette qui les descend les uns après les autres, les perroquets qui ont le malheur de le rencontrer au hasard heureux de la pépie qui est une maladie d’oiseau. Elle affecte la langue. Et ça donne soif. Mais on a beau chercher dans le vocabulaire des assoiffés, le mot cui-cui ne désigne rien, alors que le perroquet peut être représenté sur le zinc ou sur tout autre support où il ne risque pas de glisser, ce qui, même si son verre ne se brise pas sous le choc, le viderait de manière inadmissible en langage d’oiseau. Bien sûr, la religion catholique a prévu cette ignoble possibilité et instauré le remplissage de secours, lequel peut se répéter même en cas de vidage du verre ailleurs que sur le zinc. L’hypothèse du gosier n’est jamais écartée et particulièrement après la messe où le propre donne toujours envie de tremper son pain dans le vin. Ou dans le verre s’il contient autre chose de moins populaire.

 

J’étais en train de réfléchir à ce phénomène typique de la société française quand j’ai entendu un cri de mort. Non ! Pas un cri d’Arabe à qui on demande ses papiers ! Un cri de mort. Un mort qui ne vit plus et dont on ne peut plus rien attendre. Je m’ébroue aussitôt et jette un regard de bête traquée dans le vert gazon où Marette et Bousquet font la conversation. Je ne l’ai pas précisé, mais Marette est descendu de mon dos pour s’adosser au portail de Bousquet et parler affaires municipales à l’abri des regards et des systèmes d’écoute. Je me sentais plus léger. J’allais m’en rasséréner quand le cri de mort m’a tiré de cette nouvelle torpeur de citoyen menacé de rappel à la loi. Et qu’est-ce que mes yeux équins azimutent ? Marette et Bousquet à genoux dans le gazon, les mains jointes et les joues humides de chaudes larmes.

« Reviens ! hurle Marette qui venait d’imiter le cri du mort. Reviens parmi nous, ô compagne de tous les jours !

— Reviens avant que ça me reprenne ! » complète Bousquet en se tenant le bide.

Et là, dans le vert gazon du bord de la route, à quelques mètres des herbes folles et des coins salis par les automobilistes du samedi soir, je vois la bouteille. Force m’est de constater qu’elle est morte. Elle n’a même plus de voix. Marette a corrigé ce défaut de la nature en poussant lui-même le cri de mort. Bousquet s’en frotte les oreilles avec un morceau de Dépêche aux couleurs de sa nationalité, le marron et le vert qui ne font pas un joli drapeau mais qu’il amène toujours avec lui dans les cérémonies commémoratives des fois qu’on l’autorise à le secouer pour participer à sa manière à l’éducation de la jeunesse.

Je me mets à hennir, histoire de participer, car je ne bois que de l’eau quand j’ai soif et rien quand je n’ai pas soif.

« Chut ! fait Marette en tirant une langue anesthésiée qu’il a du mal à remettre dans sa bouche. Tu vas ameuter la population !

— J’ai pas fini la Dépêche, moi… s’inquiète Bousquet.

— Té ! dit Marette en me flattant le museau. J’ai confiance en toi, Roger. Je te donne ce petit billet plein d’euros. Et pas parce que tu es un gentil citoyen. Va-t’en au galop nous acheter une bouteille de vin blanc.

— Et même deux, chante Bousquet. Une pour chaque trou. On est deux… explique-t-il à la manière d’un pet à gogues (remarquez que j’ai évité l’horreur d’un « pède à gogues » qui n’aurait pas ici de sens autre que calomniateur…).

— Mais je ne bois jamais de vin ! m’étonné-je. On va s’étonner. « Roger a acheté une bouteille de vin blanc ! » On va penser que j’ai changé de camp. Or, je suis dans l’opposition ! Et je compte bien y rester ! »

D’emblée, Marette sent qu’il doit renoncer à la manière forte. D’ailleurs avec quoi me fouetterait-il, ce partisan de la mémoire officielle ? Mais je montre mes sabots aux fers encore rouges et même blancs par endroits. On ne sait jamais avec ces oiseaux. Ils ont beau ne plus tenir debout, il vaut mieux ne pas leur tourner le dos. Et pas seulement à cause du trou qu’ils n’ont plus les moyens d’explorer. Nous avons tous un trou qu’on est seul à ne pas voir, un peu comme la tronche à l’époque où les miroirs n’existaient pas et où l’intelligence humaine n’avait pas encore eu l’idée de se regarder dans la surface de l’eau, sans doute parce que l’eau bouillonnait sous l’effet de forces telluriques toujours vivaces.

« Je ne veux pas qu’on me prenne pour ce que je ne suis pas ! déclarai-je dans ma langue de cheval qui est proche du français moyen mais assez éloignée pour me servir de littérature.

— Je te paierai le double ! propose Marette au bord de son désespoir psittaciste vert liquide.

— Et même quadruple ! gerbe Bousquet.

— Et même si je double moi-même, dis-je en y réfléchissant un peu tout de même, car l’argent habille les moines quand ils ne sont encore que des bêtes citoyennes, je n’irai pas ! Et si un gendarme me voyait ! Vous imaginez si un gendarme témoigne un jour qu’il m’a vu une bouteille à la main ?

— Tu n’as qu’à la cacher dans ta crinière…

— Et la délation ? hennis-je. Vous oubliez la délation ! Au moins une personne me verra déposer la bouteille devant sa caisse. Et les caméras ? Les fenêtres ?

— C’est vrai que des fois, reconnaît Marette, le signalement, comme on qualifie juridiquement ce phénomène, n’a pas que des avantages.

— Tandis que si vous achetez la bouteille vous-même, continuai-je, personne ne vous dénoncera pour changement d’opinion et donc de camp…

— C’est pas faux, bave Bousquet qui a soif à un point qu’il est capable de boire son propre sang de famille, chose qu’il sait faire.

— Mais c’est que c’est loin ! se plaint Marette. En plus, j’en viens.

— Hé je t’y ai pas vu, s’étonne Bousquet. Je devais pas avoir les yeux en face des trous, parce que des fois, je prends de l’avance et j’arrive en retard.

— Ce qui est logique, dit Marette. Même que ça m’arrive dans le sens contraire : je prends du retard et quand j’arrive, je mets le paquet pour arriver le premier. »

Il secoue la tête pour remettre son esprit à l’endroit. Il ne vaut mieux pas le regarder dans ces moments-là : on en serait condamné même sans preuve.

« Mais c’est pas le sujet de la conversation, dit-il en mâchouillant le bouchon qui sent encore bon. Car nous n’en avons qu’une. Nous en parlions avec Bousquet lorsque nous avons été interrompus par la force des choses…

— Parce que quand il y en a plus, yen a plus !

— Alors après une courte interruption causée par le chagrin qui nous a légitimement affectés, revenons à nos moutons et ne changeons plus du sujet. Roger ! »

Marette remonte comme il peut le long du portail heureusement fermé et, par un rétablissement qu’il vaut mieux ne pas décrire pour ne pas donner du grain à moudre à la justice d’État, il me fait face, tout auréolé de vapeurs vertes. Je tends mes jambes jusqu’aux sabots, ce qui me donne un air d’ancien combattant recevant une médaille fébrilement attendue.

« Roger, bafouille Marette en surveillant le portail que madame Bousquet ouvre quelquefois brutalement, Roger tu connais mon sens de la non-corruption de personne investie de la reconnaissance patrimoniale…

— Ce qui ne constitue en rien une vertu…

— Je te laisse le soin de choisir les mots dans le dictionnaire en usage dans les tribunaux… »

Bousquet ouvre le dictionnaire et vomit sur son menton.

« Comme il ne serait pas juste qu’on te prenne pour ce que tu n’es pas, continue Marette, je te propose de me ramener sur ton dos au centre-ville où j’ai mes habitudes et relations utiles. Tout le monde sait que j’use de ton dos avec la complicité de mes coreligionnaires. Ça n’étonnera donc personne…

— Mais je n’ai jamais fait ça en public ! Les gens vont se demander si je ne suis pas en train de me soumettre par décision judiciaire dans le cadre de travaux d’intérêt général !

— Ne t’en fais pas, Roger ! Je leur expliquerai au fur et à mesure. Pendant ce temps, Bousquet retournera aux vécés. Car s’il est une règle dont personne, pas même le pire des sycophantes, ne pourra dénoncer la pertinence, c’est bien celle qui veut que quand Bousquet y va, il en revient toujours !

— Et le vice est versa ! » s’écrie Bousquet qui retrouve sa jeunesse au pied du lit… euh… au pied levée.

 

Je donnai un coup de sabot qui retourna le corps de Bousquet, lequel faillit bien se noyer dans sa sueur, car il était couché sur le ventre avant ma salutaire intervention. Il s’en plaignit et menaça de porter plainte non seulement pour coup mais aussi pour blessure et peut-être même pour plusieurs blessures, l’une provoquant l’autre selon la double circonvolution complexe de sa constitution et de son hygiène. C’était du moins ce qu’il affirmait maintenant qu’il avait la bouche tournée vers le haut. J’allais user de mes sabots pour le remettre à sa place quand Marette m’arrête.

« Ami Roger ! » s’écria-t-il en me flattant le museau de derrière.

Mais il n’eut pas le temps d’achever sa harangue. L’ange se posa sur une borne kilométrique. On dit que les anges n’ont pas de sexe. Je peux affirmer ici que cette idée n’est qu’un corollaire de la pensée catholique, car je vis que cet ange portait tous les signes de la féminité. De plus, il avait déjà servi. Il arrivait tout droit, par les voies impénétrables du ciel et sur un nuage d’hypocrisies canoniques, de la paroisse de Saint-Palais-de-Justice de Foix. Il était nu, sans traces d’érection ni de désir caché. Sa peau était couverte d’injures et d’imprécations gravées par le stylet des tatoueurs fous dont je n’ai pas ici parlé mais qu’il faudra évoquer de temps en temps pour éclaircir les zones obscures de ce récit métaphorique. Une moustache éternellement naissante attirait sa langue sans qu’il pût résister à cette manie endémique. Sa parole en était, comme cela allait de soi, affectée, ce qui ajoutait à ses trahisons naturelles. Il n’avait d’ennemi que les résistants à toute intrusion de l’étranger dans les territoires de sa terre natale, mêlant ainsi adroitement la figure de l’indésirable à celle des casse-couilles et des conquérants. On ne peut pas être plus machiavélique. Bref, tandis que Marette se jetait à genoux dans les excrétions de Bousquet et que ce dernier rassemblait ses membres dans l’espoir d’en faire autant, je tournai le dos à l’ange pour le menacer de lui envoyer mes sabots dans la gueule. La situation était tendue. Marette mouillait sa culotte, car il ne porte pas le slip qu’il juge contre-bonapartiste. L’ange prit la parole le premier :

« Loulou, dit-il d’une voix décidément féminine, tu as appelé bouteille ce qui est biberon. Et conséquemment le narrateur de cette histoire a repris le mot dans son texte, ce qui constitue une allusion injurieuse. Il peut être condamné pour ça, car la justice peut décider, dans son intime conviction, que c’est lui qui a mis le mot bouteille à la place du mot biberon. Ce n’est pas la première fois que tu le pièges de cette manière certes rusée mais parfaitement illégale dans sa répétition constante. Je viens ici t’en avertir : tu ne diras plus bouteille, mais biberon. C’est le onzième commandement. »

Marette ne sachant que répondre à cet éloge de la duplicité, l’ange se tourna vers moi, c’est-à-dire qu’il parla à mon cul, car je menaçais toujours de lui défoncer la mâchoire s’il s’avisait de m’outrager :

« Roger ! dit-il en recueillant le sel de sa moustache sur le bout de sa langue (ce qui n’est pas incohérent pour les gourmets), tu porteras cette correction dans ton texte. Ainsi, chaque fois que Loulou (j’arrive pas à l’appeler autrement, ce petit diable !) a dit bouteille au lieu de biberon, tu écriras biberon. Voilà pour le passé. Quant à l’avenir que prépare le présent récit, tu ne procéderas pas autrement…

— Sinon… ? menaçai-je en grattant la terre de mes fers.

— Sinon je t’encule !

— Ah ! Mais je voudrais bien savoir avec quoi tu m’enculeras, connasse ! Vise un peu ce que je laisse pendre ! Et encore, je ne suis pas vraiment excité ! »

C’est ainsi que l’ange reprit sa route dans le ciel où l’autan et la tramontane se livraient à leurs joutes météorologiques. Marette en fut non pas scandalisé, mais épouvanté.

« Tu ne l’as pas laissé finir ! gémit-il.

— Laissée prend un e final…

— Ah ! Mais je voudrais bien voir ! C’est que c’est un garçon ! J’en témoigne devant Dieu et ses ouailles.

— Certes, s’il t’a enculé (avec quoi, je me le demande), c’est un comme tu dis. Mais je n’ai rien vu de tel sous son nombril…

— Mais c’est derrière qu’il l’a ! Tu n’as pas regardé au bon endroit. »

Et s’exprimant de la sorte, Marette me montra son propre derrière. On n’eût pu en concevoir un de plus immaculé. Le bougre se vantait un peu ! Mais comme la religion amollit le cerveau de ses croyants, je n’insistai pas et commençai à mettre biberon à la place de bouteille dans tout ce que j’avais écrit à propos de l’édile premier de Mazères, non sans commenter le changement chaque fois qu’il se produisit au fil du journal.

Terrorisé par la perspective de cette attente forcément interminable et surtout par l’âpreté de ses commentaires documentés, Marette tenta de monter sur mon dos. Je lançai mes sabots en l’air en guise de menace, frôlant ses joues couperosées. Il recula, baisant une croix de toutes ses lèvres violacées. Plus loin, Bousquet agonisait.

« Il mourra si tu ne fais rien, geignit Marette. On a bien le temps de corriger le mot bouteille en biberon, d’autant que je vais faire appel de la sentence.

— Mais je m’y opposerai, mon salaud !

— Mais voyons, Roger ! Tu n’as pas mesuré l’ampleur de la tâche que t’impose la justice ! Interjetons appel d’une seule voix, toi et moi !

— Et moi alors ? » se lamenta Bousquet dans son enivrante sueur.

Je jubilais, ne cachant rien de ma turgescence intellectuelle qui n’est pas sans relation avec mes capacités érectiles.

« Qué cons ! hennis-je sans mesure. Les abbesses de Saint-Palais-de-Justice de Foix sont tellement ignares en matière lexicale ! On ne fait pas plus illettré. Il faut dire que le dictionnaire en usage dans cette abbaye n’atteint pas le niveau du cours élémentaire. J’allais dire : heureusement pour la littérature ! Dire que je n’avais pas pensé à la force expressive du mot biberon quand il est appliqué à ton existence, triste sire ! Je vais m’atteler à la tâche, si un poète de la race équine peut parler ainsi de lui-même. Ah ! Le niveau baisse au Séminaire ! Profitons-en avant qu’un nouveau président prenne le mors aux dents ! »

Et penché sur mon écritoire, j’en rajoutai autant que je pus, sentant que l’ange judiciaire venait de lâcher la bride à mon imagination.

 

Cependant, Bousquet agonisait. La langue lui pendait. Les vapeurs nocives de sa sueur, au lieu de l’anesthésier comme il est d’usage en alimentation liquide, provoquaient d’intenses douleurs par tout le corps. Il se convulsait comme qui atteint les limites de la beauté. Je le pris en pitié, tant j’ai le cœur à gauche.

« Laisse-moi l’achever, dis-je à Marette qui pensait prendre la poudre d’escampette en attendant d’interjeter appel.

— Mais c’est que j’en ai encore besoin…

— Il souffre beaucoup, constatai-je. Il n’arrive même plus à faire cui-cui… C’est grave pour un pédagogue en retraite.

— Bon ! Bon ! rugit alors Marette. Retourne à ton texte pour respecter la décision de l’ange judiciaire. Je m’occupe de lui. J’ai l’habitude. »

Mais tandis que je reprenais la route vers le centre-ville où j’ai mes quartiers, Marette se jeta devant mes sabots. Il gémissait encore :

« La justice a encore prononcé une connerie, dit-il en se mouchant dans sa manche. Passe pour bouteille et biberon. Les rustres n’y verront que du feu. Mais biberon et vin blanc ? Tout de même ! Je ne peux raisonnablement pas te demander d’aller me chercher un biberon de vin blanc !

— Je n’y avais pas pensé… » reconnus-je.

Il est vrai que les termes judiciaires m’avaient tellement diverti que j’en avais oublié d’approfondir la question. Je me sentis presque aussi bête que Marette quand il n’approfondit pas, ce qui lui arrive souvent et même toujours. En principe, il la frotte à la surface et attend que ça vienne. Sauf en ce jour de rencontre sur le bord de la route à la sortie de Mazères après la visitation d’un ange nu au derrière pornographique selon ce que Marette m’en avait dit, n’ayant moi-même jamais eu l’occasion de visiter ces coulisses particulières de la République. Je ne pouvais pas écrire biberon de vin blanc sans longuement m’expliquer, comme je le fais ici, sur les tenants et aboutissants de ce syntagme. Le récit en pâtirait. Et tout ça, à cause de la justice du pays dont j’enrichis sensiblement le patrimoine.

« Qu’est-ce que je vais chercher alors ? demandai-je comme si je venais d’avaler une couleuvre mais que j’en avais conscience.

— Ça va être difficile de se conformer au verdict… fit Marette qui hésitait entre un cri de victoire et un gémissement d’enculé pour la première fois.

— Il va falloir trouver autre chose…

— Et c’est pas le Petit Robert qui va nous y aider cette fois. »

Pendant que Bousquet s’agitait comme un qui ne sait pas nager, Marette et moi nous nous assîmes sur le talus, ce qui nous plaçait au-dessus du niveau de la route. Nous vîmes passer tout le parc automobile mazèrien. Le soleil déclinait. Aucune idée n’effleura nos esprits.

C’est alors que le colonel Mauger s’amena. On ne l’attendait pas. Il a tellement de choses à écrire à l’ange qu’il passe son temps à taper des lettres sur sa machine à écrire. Et quand il arrive, au bout d’un effort qui l’épuise jusqu’à la soif, à ordonner ces lettres en mots et les mots en phrases plus ou moins rapporteuses, il encombre les couloirs postaux pour se plaindre de la maladie insidieuse qui l’empêche de se servir de sa main pour écrire. Et il ne se lasse pas de s’en excuser auprès de l’ange.

Le voici qui arrive en titubant. Il se tient la main dans l’autre main, mais je ne sais plus laquelle. Il a tellement mal qu’il vient d’interrompre la rédaction d’un signalement tout ce qu’il y a de profitable au système de gouvernement dont il est le serviteur inavouable. Mais à la vue du spectacle que nous donnons Marette, Bousquet et moi-même, il se met à sautiller comme à la marelle et s’approche de notre concile.

« Il y a des mots dans l’air ! jubile-t-il.

— Comment tu sais ça ? demande Marette en se grattant la langue sur le palais, un geste stéréotypé que le colonel reconnaît aussi comme sa propre chronicité, maladie d’oiseau.

— J’ai pas tout compris, fait Bousquet dans sa sueur soûlante, mais c’est bien une histoire de mots.

— D’ailleurs, continue Marette, chaque fois que je tombe sur Roger, il n’est plus question que de mots…

— Or, poursuit Bousquet qui semble retrouver la santé, c’est pas avec des mots qu’on guérit de la pépie…

— Que le mot désigne le contenant ou le contenu…

— Et comme on se fiche bien du contenant qui de toute façon ne désignera plus que nous-mêmes, l’ange est passé par là pour nous compliquer la question du contenu.

— Ça devient genre recherche universitaire…

— Or, on n’a pas poussé jusque-là, tu penses !

— Et du coup, on est privé de contenu ! »

Le colonel considéra les deux bienheureux d’un œil inquiet. La douleur qui irriguait son poignet s’activa alors même qu’il n’était pas en train de signaler. Moi, je me tenais à l’écart. Mais j’avais une folle envie d’assister à la conversation qui n’allait pas manquer d’animer les trois glorieux du contenu. Pour l’heure, ils se taisaient, l’un gémissant dans l’humidité de ses sécrétions intimes, l’autre tentant de former l’hologramme d’un contenant digne du contenu désiré plus que toute autre destination spirituelle et enfin le troisième cherchant le mot qui qualifiait médicalement le phénomène qui endolorissait cruellement son poignet d’écrivain caché sauf aux yeux de l’ange qu’il chérissait.

Soudain, le colonel se redressa, car il s’était avachi. Sa colonne craqua. Il ajusta sa rotule folle et chaussa ses lunettes d’approche. Une idée venait de lui traverser l’esprit. Et pour une fois, elle ne concernait pas la tranquillité existentielle de son prochain. C’était, selon ses premiers dires, une idée à partager à trois. Il me toisa alors :

« Je refuse de m’exprimer plus longtemps devant ce praticien de tout un tas d’injures ! décréta-t-il.

— Mais, s’inquiéta Marette, j’en ai besoin pour acheter un objet contenant le liquide que réclame ma conscience !

— Liquide ! avez-vous dit, ô Monsieur le Maire…

— J’ai dit liquide… je le dis souvent… et chaque fois…

— L’ange a proscrit le mot liquide comme trop entaché d’allusions obscènes, voire attentatoires à la dignité dont nous sommes vous et moi, et tout un tas trié sur le volet de l’honneur, les garants reconnus d’utilité publique. Il ne faut plus dire liquide ! »

Le colonel avait parlé. Il ne restait plus qu’à le croire.

Marette s’effondra dans la flaque que Bousquet formait avec ses… liquides… ne connaissant pas encore le mot de remplacement. L’instant était digne d’un 11 novembre sous une pluie de printemps.

« C’est moi qui ai suggéré cette modification du vocabulaire du buveur à l’ange qui en a aussitôt rédigé la sentence, déclara le colonel. Car, voyez-vous, ce qui affecte mon pauvre poignet, c’est un… je vous le donne en mille…

— Un effet de la pratique masturbatoire chère aux sycophantes… ? suggéra Marette qui agonisait de soif.

— Que nenni ! Je ne me caresse plus depuis longtemps. Et plus personne ne me caresse, surtout dans le sens de ce poil ! Non, messieurs, on ne dit plus liquide. On dit…

— On va le savoir avant de mourir le gosier sec…

— On dit fluide ! Car ce dont souffre mon poignet, c’est d’un fluide. Et non pas d’un liquide comme le prétendent les mauvais esprits

— Mais alors, s’écria Marette comme dans un dernier sursaut avant la mort définitive, mon psittacisme n’est pas liquide… Il est… fluide…

— Ce qui change tout ! fit le colonel qui bravait sa douleur fluide.

— Mais ça ne change rien à la couleur au moins ? gémit Marette en proie à une angoisse digne d’un martyr déchiré par des lions romains.

— Encore heureux ! » s’écria Bousquet qui revenait au monde des vivants.

Mais j’intervins, car ce bonheur de pacotille titilla mon intelligence, comme au pèse-nerfs :

« Ma foi, dis-je pour introduire adroitement mon propos, si le liquide devient fluide et la bouteille biberon, qu’est-ce que je vais chercher pour vous être agréable à tous trois ? »

Et j’ajoutai à l’adresse du colonel :

« Car je suppose que vous vous joignez d’office au consistoire présent…

— Je veux, mon colon ! »

 

La question se posa alors, car le colonel en était friand jusqu’à l’impuissance, de savoir si l’appelé qui avait participé aux opérations de pacification des départements et territoires de l’Algérie était oui ou non complice du crime contre l’humanité dénoncé par le président de la République lui-même.

Prétendre le contraire pouvait constituer une offense manifeste aux objecteurs de conscience qui avaient sauvé l’honneur de la Nation.

Les deux thèses s’opposaient dangereusement depuis que d’anciens membres de l’OAS, fascistes et terroristes par définition, avaient rejoint leurs frères ennemis dans les rangs de la Légion de l’honneur en bouteille… pardon, en biberon, si biberon d’honneur veut dire quelque chose, en tout cas si ce curieux syntagme est plus chargé de sens que de sang.

Les trois valets de la bonne fortune s’entendaient à merveille sur ce sujet. Mais comme Marette était monté sur mon dos et que Bousquet se servait du colonel comme d’un âne pour ménager sa phlébite, force m’était d’en dire un mot. Je le prononçai sans crainte de représailles, car l’ange avait disparu. D’ailleurs le ciel était couvert et comme le soleil tombait, je ne lisais plus les émotions qui donnaient le vertige à mes improbables compagnons de route. J’en prononçais, des mots ! Et pas qu’extraits du dictionnaire ! J’en puisais même dans la littérature, ce qui ne manqua pas d’affecter l’intelligence embrouillée des deux cavaliers de l’apocalypse nationale et de l’âne rhumatisant qui trottinait à mes côtés.

 

Ah ! Si nous n’avions pas rencontré Lecerf, jamais nous n’en aurions fini avec cette discussion ! Heureusement, nous le trouvâmes aux prises avec les meubles de sa maison. Il les sortait. Et chaque fois qu’il rentrait, par la porte ou une fenêtre, il en cassait un et aussitôt fait et dit il le traînait dehors comme s’il ce fût agi de sa propre épouse. En quelques minutes d’observation tranquille, car le malheureux candidat aux élections municipales n’en était pas à son coup d’essai, nous le vîmes sortir de la maison tout ce qu’elle contenait, mais sans l’épouse trompée qui avait dû changer de domicile.

Comme personne n’était en danger de mort ni de dignité, il ne nous appartenait pas d’intervenir. Lecerf pouvait agir comme il l’entendait, ou comme le lui dictait sa conscience, entre les quatre murs de sa maison. Certes, il recommencerait. Nous le savions. Nous avions même cessé de compter les fois où cet agissement crispé avait eu lieu. Du moment que Lecerf ne s’en prenait qu’à ses propres possessions et qu’il n’agissait pas en tenue incompatible avec les bonnes mœurs, la question de savoir s’il avait usé d’un biberon ne se posait pas. Quelquefois, le contenu des biberons n’explique rien. Il faut chercher ailleurs dans la classe des instruments qui servent à injecter les produits plus ou moins toxiques que l’existence propose à ses gueux.

Mais nous eûmes fait preuve d’une bien intolérable indiscrétion si nous avions évoqué ces faits dans nos conversations publiques. Marette m’étrillait les côtes à cause de ses oreilles qui n’entendent plus si aucune porte ne s’interpose entre lui et l’objet de son attention. Nous abandonnâmes Lecerf à ses occupations ménagères et aux ordures qui la peuplent comme chez tout un chacun. Le soleil, en équilibre sur le clocher de l’église, semblait observer notre progression vers le centre-ville. Je m’attendais à distinguer nettement de l’ombre les ailes coupées de l’ange judiciaire. Mais pour l’heure, l’ombre ne contenait rien qui m’inspirât. J’amblais sur un trottoir jonché de merde de chien comme il est d’usage à Mazères, la ville du vent, des crottes et des fenêtres indiscrètes. Une caméra de surveillance citoyenne trahissait l’œil passablement exercé de son opérateur. Marette ne put s’empêcher de lui faire des signes sans doute convenus, puis ses fesses m’indiquèrent la direction d’une rue assez obscure pour que sa lumière ne trahisse pas la présence d’un cheval et d’un âne tous deux montés par des personnages importants de la vie locale.

Crottant parmi les crottes, j’allais où l’on me conduisait. Le colonel, rouspétant à cause de la masse inerte de Bousquet qui s’était endormi non sans s’accrocher aux oreilles de son animal, se prit soudain pour Sancho Panza et débita quelques proverbes de son cru, ce qui se révéla insuffisant pour tirer Bousquet hors de son sommeil de chasseur au pays des lions et autres bêtes de l’imaginaire en bouteille. On eût dit que l’un allait sans le savoir où l’autre voulait le conduire. Ou le contraire, comme je le constatai dix minutes plus tard par effet cervantesque.

Nous atteignîmes un coin d’immeuble dont l’ouverture répandait une lumière vacillante sur la chaussée glissante. Il avait plu, mais sans nous. Marette crut avoir vingt ans et, après avoir levé la jambe, s’étala par terre où la rigole l’accueillit comme s’il était déjà en proie à l’oubli. Il entra le premier.

Le colonel tenta en vain de réveiller Bousquet qui ne pouvait donc le désarçonner et comme le militaire ne connaissait pas d’autre moyen de descendre d’une monture, il me regarda comme si j’avais connaissance d’une technique à la hauteur de son ambition : rejoindre Marette à l’intérieur pour partager l’honneur et l’amitié qui va avec. Il ne lui vint pas à l’esprit qu’un cheval eût pu être accepté par la corporation colorée qui donnait déjà des signes, à notre niveau de nature sonore, de joyeuseté critique. En tant qu’âne d’occasion, Bousquet eût eu pourtant le choix entre l’homme que signalait son état civil et la bête qui ne voulait pas ou ne pouvait pas se réveiller. Il ne manquait plus que Lecerf sortît les meubles de ce local. Le bruit de verre eût ameuté plus que la population.

La tête de Marette apparut enfin au ras du sol qui était composé d’une marche de pierre lisse comme une fesse d’enfant et d’un escabeau servant à mesurer la différence de niveau.

« Roger, me dit-il. Je n’arrive pas à trouver les mots. Et j’ai une de ces soifs !

— Vous n’avez pas votre Petit Robert sur vous ? tonna le colonel qui ne descendait plus.

— Sans les mots habituels, je ne sais plus demander, gémit Marette.

— Ça ne va pas être facile, » dis-je en entrant dans la caverne (mot qui remplace le seul qui convienne à cet établissement sur décision de l’ange).

En fait, à part le tenancier, qui en tenait une de bonne mais qui avait le privilège du comptoir de son côté, il n’y avait guère que Marette à l’intérieur. Autant dire qu’un Marette sans les mots qui d’ordinaire expriment ses pieux désirs n’est plus un Marette heureux de pouvoir encore se traîner pour aller où les contenus attendent dans leurs contenants qu’on les sorte de là.

« Qu’est-ce que je dis ? fit l’édile en goguette flasque.

— Flasque je sais pas, dit le colonel. Je n’ai pas lu le jugement dans son entier. Quand je baisse la tête pour lire ce qui est écrit en bas, j’ai les pieds qui montent. Et quand ils montent, je ne descends plus.

— Il n’y a pas de solution à votre problème, mon colon ! dit Marette qui s’impatientait comme un écolier derrière son pupitre à l’heure de vider sa vessie.

— Ne comptez pas sur moi pour dire n’importe quoi, déclarai-je car je me sentais soudain important.

— J’ai bien demandé un contenant de contenu, mais ce bougre de troquet ne comprend pas pourquoi je ne le demande pas clairement comme d’habitude.

— Sans ambages, ajouta le colonel qui gigotait sur le dos de Bousquet.

— Dites-lui qu’ils vous servent ce que vous prenez d’habitude, proposai-je.

— Mais c’est que j’en ai, des habitudes ! Il ne va plus savoir où donner de la tête.

— Des fois, fit le colonel sans cesser de bourrer les flancs de Bousquet de petits coups de pied pointus comme des langues de pute, des fois je me demande si on a bien raison de se soumettre aux jugements de l’ange…

— Qu’est-ce que vous dites là ! s’offusqua Marette. Il faut faire tout ce qu’on nous dit aussi bien que ce qu’on ne nous dit pas.

— C’est bien là une conception de la liberté à laquelle j’adhère, reconnut le colonel, mais des fois je me demande si ce qu’on se dit n’a pas aussi quelque vertu curative…

— Je t’en foutrais de me soigner de ce qui n’est pas une maladie ! Je souffle de psittacisme vert…

— Fluide !

— Et l’ange m’a assuré que la couleur ne changerait pas. C’est un décret !

— Le rouge n’est pas mal non plus, dit le colonel en tirant la langue.

— Et le blanc donc ! » grogna Bousquet qui revenait à lui.

Ses jambes se plièrent, ce qui projeta le colonel dans les bras de Marette. Les voilà tous deux à l’intérieur et avant d’entrer à son tour, Bousquet m’avertit en secouant son doigt devant mon museau :

« Et toi, Roger, n’entre pas ! Ce n’est pas un endroit pour les chevaux ici. Il faut être un homme pour être accepté par cette compagnie honorable et primée. J’aime les animaux, mais uniquement ceux qu’on peut tuer en s’amusant.

— Laisse-le entrer, glapit la voix de Marette. Sans lui, on n’a plus de vocabulaire.

— Et ça donne soif, » ajouta le colonel.

Bousquet, qui a beaucoup enseigné la logique, se mit à réfléchir, nonchalant sur le seuil que Marette et le colonel avaient franchi dans les bras l’un de l’autre. Il allait faire un malaise si je n’intervenais pas pour le déboucher. C’était prendre le risque de répandre pas mal de matière sur le trottoir, mais à cette heure avancée, qui s’en soucierait ? Le jet atteignit le milieu de la chaussée.

« Je me sens mieux, fit-il en posant le pied sur l’escabeau. Je ne sais pas ce qu’il m’a fait, Roger, mais je me sens mieux maintenant.

— Tu ne trouves pas le mot, hein, Jean-Lou ? C’est tout de même terrible de plus trouver les bons mots chaque fois qu’on se trouve à la portée de ce cheval.

— Vous appelez ça un cheval… » glouglouta le bistrot.

Comme j’étais entré, et que je me tenais comme un homme, il me considérait d’un œil dubitatif. Marette caressait une bouteille sans oser en demander le prix. Le colonel, incapable de tenir debout, regardait le plafond sans voir autre chose.

« Qu’est-ce que je tiens ! répétait-il.

— C’est pas ce que tu crois, dit Marette. C’est le pied du tabouret sur lequel je suis assis. Tu peux arrêter le mouvement pendulaire.

— Vous avez demandé ce qu’on est venu chercher ? dit Bousquet qui retrouvait les mots de son inquiétude existentielle.

— On est venu chercher une chose sans les mots qui la désignent… regretta Marette.

— Et du coup je ne comprends rien, dit le tenancier.

— Pourtant, dit Marette, c’est ici qu’on est venu le demander, pas à l’église.

— Ça contient rien, un ciboire, si boire veut encore dire quelque chose…

— Roger va nous aider. Il sait parler à ceux qui ne comprennent rien à ce qu’on dit.

— Un peu comme si Lecerf était parmi nous… » supputa Bousquet.

 

La nuit tomba dans un concert de crissements de pneu. On entendait les meubles de Lecerf retourner d’où il les avait sortis. L’opposant était lui aussi atteint de psittacisme, mais quel politicien ne l’est pas ? Personne n’évoqua l’état ni la couleur de sa matière. L’heure était aux mots qu’il faut trouver d’urgence sous peine de crever de sécheresse. Et le tenancier ne comprenait toujours rien. Il hochait une tête qui ne savait rien faire d’autre. Marette s’énerva :

« On a nous aussi défendu l’honneur de la patrie ! tonna-t-il sans rien lever. Et sans objecter ! Que quelqu’un vienne me dire le contraire !

— Ce ne sera pas moi, gloussa le colonel, car je suis du même avis que vous. Ne partageons-nous pas la même croix ?

— Ni moi ! » aboya Bousquet.

Les regards se vissaient dans ma robe. J’eus la sinistre impression d’être assis sur la sellette d’un tribunal populaire un jour de vendange. Mais il en fallait plus pour m’en imposer.

« Voyez dans quel état vous a mis ce pauvre bougre de roturier ! dis-je en saisissant l’objet en question par son épaule tombante. Il ne sait plus à quel saint se vouer. Vous entrez dans son établissement où vous avez vos habitudes et pourtant, vous ne parlez plus la même langue que lui, celle qui fut la vôtre avant que l’ange exterminateur… heu… judiciaire ne vienne vous imposer son vocabulaire tronqué jusqu’à la confusion. Quelle pitié dégoûtée vous m’inspirez ! Vous voilà réduit à demander au marchand un contenant de contenu. Le linguiste, sémiologue par essence, s’en régale d’avance. Ce nouveau syntagme n’enrichira certainement pas le lexique des amateurs de liquide…

— De fluide…

— Ah ! Le vert demeure vert ! C’est une décision de justice. Et le psittacisme qui vous affecte tous à divers degrés de vos capacités intellectuelles respectives n’a pas changé de sens lui non plus…

— Vert, rouge, blanc… murmure le colonel avec des accents de nostalgie coloniale.

— Marron… fait Bousquet en fouillant dans ses poches.

— Je comprends toujours pas ce que vous êtes venus chercher… se plaint le tenancier. En période électorale, je dis pas. Mais en un jour ordinaire comme celui-ci… Non… je vois pas… Mais si c’est l’ivresse que vous êtes venus trouver, j’en ai en bouteille comme en fût ! C’est tout ce que je sais faire de mon existence, foi d’animal humain ! »

 

Après cette orgie sémantique, nous nous endormîmes sur nos lauriers, l’un et l’autre rêvassant de joutes patriotiques, celui-ci enseignant aux enfants à tuer les animaux pour le plaisir de les aimer et moi, Roger, cheval de trait et de portrait, dormant debout comme c’est ma nature profonde.

L’ange m’apparut. Vu de près comme je ne l’avais encore jamais vu, car c’était en rêve, ce remède contre l’amour ne m’inspira aucun sentiment national. Ses genoux grossiers, ses chevilles veinées de bleu, ses hanches anguleuses, ni sa poitrine crevassée ne pouvaient laisser de traces dans ma mémoire autres que celles de la nausée propre à celui qui harcèle le salaud comme le pédant pour ne pas être harcelé par eux. C’est un combat de survie. Rien à voir avec le sacrifice de soi ni le service rendu à la société. Seule la mort a un sens. Toute autre limite, et je n’en connais d’autre que la société des hommes, en est dépourvue. Autant ne pas s’y intéresser autrement que pour provoquer sa colère. Il n’y a rien de plus vivifiant que de pratiquer le langage sur de pareils instruments expérimentaux.

L’ange se taisait en attendant que j’achève ma description, car je réfléchissais à voix haute. C’était la nuit et le ciel ne contenait rien d’autre que mon sommeil. L’ange devait attendre sous peine d’être scié par ma pensée. Il le savait. Il se présenta, comme toujours, de face, de telle manière qu’on ne pût voir ce qu’il cachait dans son dos. Je soupçonnais d’inavouables aventures anales dans le genre merde mal torchée.

Que peut-on attendre d’un ange aussi clairement caractérisé ? L’esprit de la loi voudrait sanctionner l’expression par trop porteuse de calomnie, mais l’ange qui fait la bête s’en prend aux mots seuls et prétend en changer le sens pour l’imposer au nom du peuple à des praticiens du langage qui ne connaissent le peuple que pour en être sortis.

J’achevai ma harangue par un hennissement si obscur que la nuit s’en inquiéta. L’ange alors s’approcha, les tétons sur le ventre et le poil vicié par ses habitants jaloux. Derrière nous, la porte du mastroquet était close. L’enseigne disparaissait dans l’ombre. Les trois sbires du sentiment patriotique s’étaient enlacés à même le trottoir. Ils rêvaient peut-être dans le même rêve. Qui sait de quoi sont capables ces utilitaires du patrimoine ordinaire ?

« C’est une farce que je leur ai jouée, dit enfin l’ange. Tu n’as pas marché, j’espère…

— Les mots m’appartiennent, grognai-je, ainsi que tout ce que j’en fais. Je ne te conseille pas de t’interposer entre le rêve et la réalité, ange ou démon.

— Je n’ai pas d’excuses… mais je dois nourrir ma famille…

— Et tes ambitions ! Tu n’as pas le choix : la Légion d’honneur ou le placard.

— L’oubli d’un côté comme de l’autre…

— Je ne t’oublie pas, moi !

— Mais je ne suis pas un ange…

— Tu es ce que tu es, alors que je suis ce que je ne suis pas.

— Que penses-tu devenir ? La mémoire est de ton côté, comme l’oubli m’habite…

— Je n’ai pas cette ambition. Vous avez fait de moi un cheval. Eh bien je galope au vent de votre hypocrisie. C’est comme ça que le temps passe pour moi. Je n’ai pas l’intention de posséder ni de donner.

— Théâtre de la cruauté, je sais…

— Laisse-moi rêver à autre chose maintenant !

— Je disparais comme je suis venu(e)… »

Je m’éveillai. Il était encore nuit. Je fis quelques pas sans provoquer le trottoir. Comme je me sentais bien ! Ces fenêtres closes figuraient ma puissance. Je pouvais être seul quand je le désirais, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Par terre, les trois tripettes de l’illustration nationale se donnaient des petits coups de pied sans conséquence. Personnages revus et corrigés sous l’emprise de la nécessité satirique. Sans doute. Mais je n’ai rien trouvé de plus vivant ni de plus réel à me mettre sous la dent, car s’ils ont soif, je meurs de faim ! Et s’ils ne songent qu’à s’estourbir, je veux contempler la réalité comme on s’arrête devant l’étranger de passage.

 

Marette sortit le premier de sa torpeur toxique. Il craqua en s’étirant prudemment. À quatre pattes il visita les alentours et se réfugia un instant derrière un platane creux dont l’ombre dissimulait un fin museau. Puis il revint vers moi, la langue pendante et sèche :

« Ah ! pleurnicha-t-il sans honte. Si nous avions trouvé les mots ! Mais tu n’as pas ouvert la bouche, Roger ! Et nous avons décidé de mourir plutôt que de sombrer dans le désespoir.

— Vous n’en êtes pas morts.

— Je crois que Bousquet est mort. Il n’a jamais été bien solide sur ses jambes. Un âne doit être fort sur ses pattes. Il ne sait jamais ce qu’on va lui mettre sur le dos.

— Le colonel en a profité toute la nuit.

— Tu n’as pas dormi, toi ? Ça ne m’étonne pas. Tu as les mots de ton côté, tandis que nous, pauvres minus habens du devoir de mémoire, l’ange nous persécute. Il ne laisse aucun répit aux complices que nous sommes. Ah ! J’ai quelquefois des accents de vérité, comme tu vois…

— Ce sont là les effets de la soif ou de l’abstinence, je n’ai pas encore décidé de la suite à donner à ce que vous me faites subir à user sans permission de mon langage et de mon dos. Je finirai par vous donner la dimension de vrais personnages de légende, qui sait ? »

Mais cette conversation somme toute honorable du point de vue qui nous occupe ici ne pouvait pas durer. Je ne sais si ce fut Marette lui-même ou l’un de ses barons qui l’interrompit. Le fait est que nous revînmes à nos moutons en même temps que le soleil à ses rayons. Étions-nous en route à ce point qu’il nous fallait maintenant la reprendre sans discuter des conditions du voyage ? Allons donc ! On ne s’aventure pas en pareille compagnie.

« C’est fermé, » dit le colonel en poussant la porte du troquet.

La douleur de son poignet s’était réveillée en même temps que lui.

« Ça ouvre tous les jours, dit Bousquet qui s’y connaissait en ouverture.

— On a de quoi payer, fit tristement Marette. Et on sait ce qu’on veut. Mais sans les mots pour le dire, on est condamné à prendre le volant sans risquer le piment, té !

— Ah ! s’écrie le colonel. J’en ai défoncé des portes du temps où je servais ! Mais celle-ci n’est pas la porte d’un ennemi. Aussi attendrai-je qu’on l’ouvre. Je ne tiens pas à dénoncer le citoyen utile à la patrie comme au particulier qui aime la patrie.

— Bien dit ! glousse Bousquet en secouant sa crête. Mais j’ai une de ces envies de faire cui-cui ! Comment voulez-vous ? Avec une langue dans cet état !

— La faute à qui ? râle Marette avant de se la mordre, la langue.

— Je n’accuse personne ! corrige Bousquet qui a mal au ventre et produit en même temps une quantité insupportable d’hydrogène sulfuré. Je dis seulement qu’on n’est pas récompensé de la même façon selon qu’on a soif ou qu’on larbine. C’est tout ce que je veux dire. Je suis un béni-cui-cui assoiffé. Et encore : je mâche mes mots.

— Et ça te donne encore plus la pépie, je comprends ! Il n’y a rien comme les mots pour donner soif.

— On devrait arrêter d’en consommer, » propose le colonel qui n’est pas bien réveillé.

Maintenant que le soleil éclaire les angles de rue, des gens montrent le bout de leurs nez aux fenêtres. Les rideaux ne resteront pas longtemps ouverts. Il y a juste assez de lumière pour distinguer le vrai du faux. Pas un enfant dans les jupes. Des chiens nerveux ignorent les pigeons qui participent eux aussi à l’encrassement des rues.

« Si on se rapprochait des vécés, propose Bousquet que toutes ces crottes perturbent.

— On sera plus près de la mairie, dit le colonel sans penser à mal.

— C’est que je casse pas les meubles de ma maison, moi, glousse Marette en grattant la porte close du bistrot. Vous êtes sûrs qu’ils ouvrent pas avant ?

— Avant quoi ?

— Avant que tu te chies dessus ! »

Mais le trio peine à mettre en mouvement ses organes de locomotion, d’autant que Marette n’est pas chaud pour aller à la mairie à cette heure matinale presque nocturne.

« Moi, gémit Bousquet, j’ai plus envie de chier que de me calmer la pépie ! J’y vais sans vous. Peut-être que je trouverai les mots une fois soulagé. On le dit : homme pressé ne dit plus rien.

— Ah ! s’écrie le colonel. Vous me plagiez. J’en ai tout un tas dans le genre : Homme sans voix n’est pas pressé.

— Mais c’est tout le contraire de ce que je viens de dire !

— Ou c’est dit autrement.

— C’est pas comme ça qu’on passera commande le moment venu, grommelle Marette. Va chier, Bousquet. Des fois, on sait jamais : C’est en chiant que ça vient ! »

Bousquet trottina jusqu’au bout de la rue et disparut à l’angle, laissant la perspective du monument aux morts libre d’interprétation. Le colonel secoua prudemment sa main valide :

« J’ai une bonne réserve à la maison, dit-il. Et celle-là, pas besoin de mots pour la vider de sens.

— C’est pas la même chose, dit Marette d’un air pensif. Il vous manquera la compagnie.

— Mais je vous invite à partager le silence des mots !

— Je peux amener le cheval ? Je peux plus m’en passer. On montera dessus pour préserver nos jambes. On va en avoir besoin.

— Oh ! Une fois à la cave, on ne remontera pas avant un bon moment. On économisera cette partie de nos personnes. Mais le cheval restera à la porte, car le lieu est exigu…

— Si exigu que ça ! Ça se monte à combien de bou… de bi… de contenants ?

— Bien assez pour passer de vie à trépas si on n’y prend pas garde. En avant, marche ! »

Un petit coucou à la statue du soldat inconnu de Mazères et nous voilà en route pour le tran-tran quotidien des garants de l’édifice constitué et même voté. Marette veut faire le tour sans attirer l’attention, car il est encore tôt et il veut profiter de la liberté de ton que lui permet la pauvreté de son vocabulaire. État dont il ne déplore en secret que les aspects judiciaires, car la nature ne l’a pas doté d’une éducation beaucoup plus riche, si on peut parler de richesse à propos de la pauvreté. Nous entrons dans l’ombre crottée aux relents de salpêtre et d’humidité crasseuse. Les soupiraux bâillent encore.

J’avance sans me presser. Le colonel s’impatiente, car il sait comment contourner les décisions de justice sans se prendre les pieds dans le tapis. Il s’y connaît autant en contournement que Marette en déviation. Ils ont laissé tomber le pauvre Bousquet qui doit être en train de viser le trou avant de se laisser aller à sa science de l’expression intime. Et comme j’ai le pouvoir, en tant que narrateur libre, d’être à la foire et au moulin, voici ce qui se passa sur le parvis des chiottes municipales :

 

Bousquet se vidait, pensant au plaisir qu’il prendrait à se remplir de nouveau. L’odeur ne le gênait pas, pas plus que le bruit. La secrétaire qui le vit, trois minutes plus tôt, entrer dans les services hésita à ouvrir la fenêtre pour le héler. Au moment où il arrivait, trottinant au rythme de sa bedaine, elle craignit d’interrompre un processus en route, ce qui lui eût infligé non seulement les miasmes de l’entreprise, mais l’eût soumise à des reproches inévitables une fois le projet accompli. Elle attendit donc que Bousquet sortît de cet endroit où il est fortement déconseillé de se trouver en même temps que lui. Un peu comme un prédateur sexuel, mais pour une autre raison qu’il n’est pas difficile de deviner. C’est que l’homme est chasseur. Et son fusil, quand il pète, il ne vaut mieux pas se trouver là, pensa la secrétaire en embuant le carreau. Elle guetta la sortie du plombiste avec l’intention d’ouvrir la fenêtre, de se boucher le nez aussitôt fait et de héler le bonhomme pour lui demander des nouvelles de Louis Marette, car elle n’en avait pas alors qu’elle aurait dû en avoir. Car ce jour n’était autre que celui du 11 novembre ! Et Louis Marette était attendu, malgré l’heure matinale, par une brigade de notables locaux qui secouaient leurs médailles devant leurs nez respectifs en attendant de se montrer sur la place d’armes. L’heure était grave et Marette n’était pas là pour mesurer son retard.

 

« Oh ! Putain ! Oh ! Putain ! » ânonnait Bousquet, les mains à la ceinture du pantalon. Il n’avait pas terminé. Ah ! Ce n’était pas la première fois qu’on l’empêchait d’aller au bout de son entreprise. Tandis que Marette était attaqué de toutes parts, selon ses propres termes destinés aux médias locaux, le Bousquet était la victime expiatoire d’interruptions de toutes sortes. Mais la plus frustrante d’entre elles était cette désinvolture, qui voulait se faire passer pour de la familiarité, avec laquelle le moindre citoyen l’interpellait alors qu’il était très occupé à autre chose que la dilection ou le coup de foudre.

Mais cette fois, l’heure était grave. On était au matin du 11 novembre et les huiles locales attendaient Marette un verre à la main en espérant l’occuper à d’autres rituels moins personnels. Les médailles et les rubans rutilaient dans la salle d’honneur. L’air était saturé de rouge et de blanc. Et les bleus, encore timorés à ce stade de leur expérience municipale, recevaient les conseils des plus allumés de la gente désignée en fonction de critères de soumission éprouvés depuis Louis XI.

Qu’on pardonne au narrateur des présents évènements l’aspect bancal et peu académique de ce dernier membre de phrase, mais il s’est efforcé de tout y mettre sans laisser paraître ses sentiments de dégoût, de colère et de projet criminel.

Comme je le disais plus haut, je n’étais pas là. Il va alors sans dire que ce que je raconte ici m’a été rapporté. C’est qu’on aime beaucoup rapporter à Mazères. Ma boîte aux lettres en est pleine. J’ai quelquefois l’impression qu’on me confond avec le préfet.

N’étant pas témoin des faits qui suivent, je confesse que par-dessus le marché j’en ai rajouté un peu, histoire d’approfondir toujours le sens à accorder aux détails et aux épiphénomènes sans rapports donc avec le nœud de l’histoire ici contée.

Quand la secrétaire ouvrit enfin la fenêtre pour informer Bousquet de l’absence de Marette alors qu’on était (déjà ! ajouta-t-elle) le 11 novembre, celui-ci, bien que sorti de l’espace municipal où l’on confine ordinairement la merde, n’en avait pas tout à fait fini avec le contenu indigeste de son colon. Comme, plus tard, après ce récit, Bousquet lui reprocha de l’avoir interrompu et provoqué des inconvénients de culotte, elle se défendit vertement en précisant devant le maire, comme en cérémonie, qu’elle avait attendu sa sortie des lieux d’aisance pour l’interpeller.

« Oui, certes, péta Bousquet, mais je n’avais pas fini !

— Hé mais alors ça ! s’écria Marette en caressant son perroquet. Mais comment tu étais dehors, et culotté je suppose, alors que tu en avais encore dans le ventre ?

— Mes pratiques intimes ne regardent que moi ! clama le chef des chasseurs.

— Hé bé j’aimerais bien savoir qui est l’heureuse élue…

— C’est « heureuse élue » qu’il faut dire !

— Hé mais je n’ai pas dit le contraire ! »

Lassée par ce dialogue empreint de psittacisme vert liquide, la secrétaire se hâta de m’en rapporter le contenu à la virgule près. Ça sentait tellement mauvais dans le bureau du maire qu’elle avait failli se trouver mal. Elle en était toute chavirée. Elle me tomba dans les bras… mais c’était en dehors de ce récit et sans rapport avec lui.

J’espère que le lecteur saura apprécier les précautions que je prends avec ce qui n’appartient pas à ce récit et ce qui, lui appartenant peut-être, ne concerne que ce qui s’est passé quand il s’est terminé. C’est compliqué, la littérature, surtout par les temps qui courent.

Bref Bousquet courait comme un dératé. Il s’était juché sur une poubelle municipale pour jeter un œil dans la salle d’honneur où les conversations allaient bon train, mais sans Marette, ce qui finirait par poser de sérieux problèmes d’organisation.

Descendu de son perchoir, la langue harcelée par la pépie héritée du domaine où il passait le plus clair de son temps, Bousquet se remit en route, retenant son lourd pantalon de velours côtelé. Il en avait autant dans les bottes, car il avait lui aussi oublié, alors qu’il prévoyait une partie de chasse pour le lendemain matin, qu’on était à la veille du 11 novembre. Personne n’en avait parlé, pas même le narrateur de ce récit qui avait ainsi fait la preuve définitive de sa sournoiserie. Ah ! Bousquet m’en voulait ! Il s’en était caressé le fusil pendant de longues heures de réflexion furieuses, après la dernière page de ce récit toutefois. N’anticipons pas et gardons-en pour un autre épisode de cette aventure de Louis Marette dans le désert d’Hypocrinde.

C’est en courant (si on peut appeler ça courir) qu’il passa devant chez moi, comme chaque fois qu’il ne sait plus s’il est l’âne ou le cavalier, un défaut compulsif chez ce personnage marginal de l’épopée municipale.

« Grisons ! Grisons ! ânonnait-il. C’est facile à dire ! Le discours politique a de ces exigences ! »

Paroles hors de propos, mais qu’il prononça devant mon portail. J’étais en train de biner la terre de mes choux.

« Hé je savais pas que les chevaux mangeaient du chou ! » plaisanta-t-il dans un moment d’absence provoqué par ce qu’il considérait comme le comique de mon comportement.

Mais le trou fut de courte durée, sinon il m’aurait demandé à boire. Il n’en eut pas le temps ! La question du 11 novembre, celle que posait ce 11 novembre-là, lui revint soudain en mémoire, avec une telle violence qu’il pensa déposer le reliquat de ses occupations intestinales devant mon portail.

« Mais tu ne transportes pas notre maire ! constata-t-il avec effroi. Il n’est plus sur ton dos ! Pourtant, il devait y être… »

Une lueur de joie chrétienne illumina alors les nuances chaudes de son nez :

« Tu vas me dire qu’il s’est endormi dans ton lit… se réjouit-il plusieurs fois, comme si cette répétition allait réveiller le perroquet qui dormait en lui.

— Je ne dis rien, dis-je pour mettre fin à cette itération fiévreuse.

— Il est pas dans ton lit… ?

— Ni sur mon dos, ni ailleurs dans ma propriété.

— Et il est où alors !

— Il n’est pas monté au ciel non plus.

— Mais vas-tu me dire ce que tu en as fait ! Tu es passé à l’acte, maudit poète ! Et je te prends sur le fait avec un retard qui en dit long sur l’horreur de ton crime ! »

Son désarroi était tel qu’il ne put toutefois s’empêcher de sourire un peu entre deux grimaces. Je le déçus sans doute quand je lui dis :

« Il est parti à la poursuite de son perroquet.

— Maudit perroquet ! Enfin… je veux dire qu’il la cherche bien, notre malédiction.

— Je sais bien que vous n’irez jamais jusque-là ni l’un ni l’autre.

— Raconte-moi, bien que le temps presse…

— Marette était donc sur mon dos…

— Tu l’as désarçonné et il est allé se fracasser le crâne, qu’il a pourtant bien mou à force d’humidité verte, sur le bord d’un trottoir qu’il va falloir fleurir avec les bouquets prévus pour le 11 novembre !

— Retiens ta joie, ô chassur !

— Mais je n’ai pas dit ça !

— C’est alors, fis-je en mimant, que le perroquet est sorti tout droit d’un local prévu à cet effet.

— Tu penses si Loulou ne l’a pas raté ! Pan ! Pan ! Un doublet !

— Non, il n’y en avait qu’un…

— Le premier !

— Il tira sur mes mors et je pilai sur place.

— Il est alors passé par-dessus ta crinière et est allé se fendre le crâne contre le bord du trottoir…

— Que non ! Il est descendu de mon dos sans se fiche par terre. C’était le premier perroquet de la journée, souviens-toi. La nuit avait effacé toute trace de vert.

— Il ne demandait qu’à être rempli ! Imagine-t-on que le vide se vide ? Que se passerait-il alors ? C’est ce que j’enseignais à mes petits écoliers. On ne vide que ce qui est rempli. Et une fois que c’est vide, la règle veut qu’on ne remplisse que ce qui ne l’est pas. C’est la base de tout raisonnement éducatif de portée nationale et républicaine.

— Je te remercie pour la leçon… Dois-je continuer ?

— J’en ai encore envie ! Continue ! Jusqu’au moment où il se brise le crâne. Après, je peux imaginer tout seul. J’ai l’habitude, bien que la condition nécessaire ne se soit jamais réalisée. Je m’entraîne beaucoup avant de revenir dans la réalité municipale.

— Comme je te l’ai dit, il n’est pas tombé. Il tenait encore sur ses pattes. Ce perroquet était le premier. Voilà les conditions du récit. Il n’y en a pas d’autres.

— Hé bé tant pis ! Je remettrai ça sur l’oreiller… Alors comme ça, le perroquet s’est envolé ?

— Comme je te le dis.

— Et Marette s’est mis à le poursuivre ?

— C’est un fait.

— Il avait plus besoin d’un avion que de toi, c’est évident. Mais comme il a pas le brevet, il va falloir que tu inventes autre chose, ami Roger ! »

Il n’est pas facile à convaincre, le Bousquet, surtout s’il a commencé à se vider sans avoir pris la précaution d’amorcer un remplissage en règle. Or, il était à jeun. Son esprit fonctionnait presque aussi bien que celui d’un écolier. Il avait tellement donné à la patrie qu’il en manquait maintenant ! On est bien mal récompensé avant de mourir de soif !

« Je ne te raconte pas de craques ! m’insurgeai-je. Je ne suis pas responsable de tous les problèmes mentaux que Marette traverse depuis que son double caricatural a pris la place de son miroir.

— Il voit aussi des perroquets, reconnut Bousquet. En attendant pire. Il paraît qu’Edgar Poe en est mort. C’est Baudelaire qui l’a dit. Il est mort lui aussi d’une maladie de l’exagération. Sait-on ce que nous réserve l’avenir ? Je ne voudrais pas mourir comme tu l’imagines déjà. »

Le visage de Bousquet s’obscurcit soudain :

« Chaque fois que je me mets dessus le trou, j’y pense…

— Tu penses à quoi ?

— Hé tu le sais bien puisque tu m’inventes !

— Je t’assure que je n’y pas encore pensé !

— Ça viendra, allez ! Tout vient !

— Mais après ce récit. Pour l’heure, continuons celui-ci, si tu n’y vois pas d’inconvénient… »

 

Bousquet semblait oublier qu’il était en mission d’urgence. Il s’assit sur ma murette qui en a vu d’autres. Les rues de Mazères ne sont pas un exemple pour la jeunesse.

« Il est donc parti à la poursuite du perroquet, conclus-je.

— Sans avion ?

— Tu l’as dit toi-même : il n’a pas le brevet.

— Mais il a du piston ! Il trouvera bien quelqu’un pour le couvrir. Je le connais. Tout le monde le connaît.

— Eh bien la dernière fois que je l’ai vu, il courait sur ses jambes.

— Et le perroquet ?

— Le perroquet semblait le narguer, car il voletait presque à la portée de ses mains.

— Oh ! Putain ! Quelle souffrance ! Être si près du but et pourtant si loin de la réalité !

— La réalité impose un 11 novembre, si je ne m’abuse… »

D’un bond semblable au renversement d’un flacon de parfum, mais dans le sens contraire, Bousquet se redressa sans oublier de retenir son lourd pantalon. Ses bottes giclaient autour de ses genoux.

« Lançons-nous à la recherche de Marette et de son perroquet ! clama-t-il comme s’il s’adressait à une compagnie de volontaires du casse-pipe. Je serai ton Indiana Jones. Ton Quartermain. Ton Mentor. Et tu seras ma Monture ! »

Il n’en était évidemment pas question. Tous ceux qui ont porté Bousquet sur leur dos vous le diront. Et s’il leur est arrivé de monter sur lui, par effet cervantesque, ils le regrettent encore à l’heure où je vous parle. Je me cabrai.

« Tu n’as pas le sens patriotique ! gémit-il en me tenant la bride. Mais puisque tu le prends comme ça, j’accepte que tu me montes dessus.

— On n’ira pas loin…

— Il faut pourtant qu’on le trouve ! Tu imagines un 11 novembre sans Marette et ses médailles ?

— Mais tu n’y es pour rien ! Moi non plus d’ailleurs.

— Ah ! Si cette maudite secrétaire ne m’en avait pas informé !

— Il a fallu que tu ailles chier dans un pareil moment ! Pas de chance.

— Remarque bien que si tu recommençais…

— Tu veux dire : si je remontais maintenant le cours du temps…

— …pour m’empêcher d’aller chier dans les vécés municipaux où j’ai pourtant mes habitudes…

— Tu crois que c’est possible, ça… ?

— Hé bé je sais pas moi ! C’est toi l’écrivain.

— C’est une chose que je n’ai jamais osé faire…

— Hé quoi ? Rendre service à un ami n’est pas toujours tâche facile, mais je ne suis pas ton ami. Alors… ? »

Je me mis à réfléchir sans renâcler, le sabot sous le menton et la queue dans les mouches.

« D’un point de vue littéraire, ce que tu me proposes, Bousquet, constitue une gageure que tout écrivain digne de ce nom ne peut pas écarter du champ des possibilités.

— Hé bé restons-en à ce point de vue qui vaut bien un autre !

— Seulement, vois-tu, je me fous de la littérature, surtout quand elle s’en prend à la vérité pour satisfaire des intérêts qui sentent la merde. »

 

Autant le dire tout de suite, tout ce qui suit, et ce qui précède d’ailleurs, est de pure invention. Je n’y étais pas. J’ai tout trouvé dans ma boîte aux lettres. Ah ! Ce que les gens écrivent mal ! Et d’impropriétés en fautes d’orthographe, ils m’en apprennent des choses ! Comme cette histoire de Canasse que j’ai évoquée au début de ce petit roman. Mais j’ai changé le nom. On n’est jamais trop prudent. Il n’aura pas échappé au lecteur sagace que j’ai changé tous les noms. La confusion, s’il s’en trouve, ne peut être que fortuite.

Ces précautions oratoires prises pour le bien de la suite à donner à ce qui vient d’être raconté (je devrais dire : rapporter, tant Mazères est à l’image de l’État qui l’a conquise), j’étais sur le point de laisser Bousquet monter sur mon dos ou j’étais prêt à me hisser sur le sien quand une vache passa.

Il y avait longtemps qu’elle courait, la pauvre. Et pas après un perroquet. Vous pensez : depuis la foire de printemps ! Il s’en était écoulé, du temps ! Et il lui était arrivé d’innombrables aventures. Bien sûr, ces annales bovines n’appartiennent pas au corps de ce récit. Restons français, alors qu’un écrivain américain nous aurait inséré ce corpus sans nous demander notre avis. Ah ! La leçon de Faulkner et de son ours n’a pas de prise sur moi.

Tant qu’une vache ne sort pas de l’hexagone, elle n’entre pas dans le récit national. C’est un principe classique et même académique. Bousquet l’enseignait du temps où il arrivait encore à mettre un mot devant l’autre et celui-ci après l’autre, comme il convient à tout pédagogue d’inspiration parisienne. N’oublions pas, au passage de ses oiseaux champêtres et voyageurs, que nous parlons français alors qu’on a envie de parler d’autre chose.

Hé c’est qu’elle galopait, la vache. Et chaque fois qu’elle s’arrêtait pour tondre un gazon ou vider un verre oublié sur une terrasse aux relents de barbecue, Dédé Trigano surgissait comme s’il avait connaissance de tous les tunnels qui irriguent la rumeur mazèrienne. Ce n’est pas impossible en soi, je l’admets. Mais enfin : TOUS les tunnels ? Sans exception ? Il doit être bien renseigné, le Parigot, et on se demande comment toute cette merde peut entrer dans sa tête sans laisser de trace à l’extérieur. C’est qu’il l’a petite pourtant.

La vache ne voulait pas se laisser abattre. Or, Dédé ne l’avait achetée que dans cette perspective. Et quand Dédé achète quelque chose, c’est parce qu’il veut en faire autre chose. Certes, il l’avait donnée, mais certainement pas pour qu’on ne la mange pas. Et il allait encore plus loin, le Parisien : la vache devait être mangée par des enfants et par personne d’autre. Et comme ce n’était pas assez affirmer sa volonté de fer de lance de l’indigénisme constitutionnel, ces enfants devaient être obligatoirement des écoliers. Et attention, pas n’importe quels écoliers. Uniquement ceux que nourrissait son ami marchand de soupe.

Les chemins vicinaux empruntés par ce Parisien sont d’une complexité digne de l’esprit bourgeois qui a changé la révolution en adaptation de la main d’œuvre à la demande.

 

On en était là quand la vache passa. Comme Bousquet, elle laissait des traces, et comme lui, il n’était pas difficile de suivre sa piste. Les Indiens d’Amérique, qui sont des hommes dignes de leur héritage, ont l’habitude d’écouter les vibrations du sol ou du rail pour évaluer la distance et la direction. Avec Bousquet et la vache, il suffit de lever le nez et de respirer un bon coup le bon air de Mazères. On est vite renseigné.

Ainsi, Dédé, qui n’est pas plus malin qu’un autre mais a eu le bonheur de naître tout habillé et assis au volant d’une limousine, Dédé n’avait pas le nez fin comme son frère aîné. Si la vache, ou Bousquet, ou Marette dans le vert n’avaient pas porté le signifiant odeur au sommet du sens qu’on peut accorder à ce lexème, Dédé n’y aurait vu que du feu. C’est qu’il en a eu de la chance, le Dédé ! D’abord, en plus de ce que je viens de révéler comme tout le monde le sait, et malgré l’exiguïté de ses facultés olfactives, le bon Dieu ou la chance l’ont toujours entouré de biens et de personnes qui sentent de loin et fortement. Sinon, il n’y serait pas arrivé. Vous pensez bien qu’il n’a rien d’un champion comme son frère ou son cousin Benchemoul qui fut un des héros de mon enfance, à l’époque où j’allais chez le voisin pour regarder les combats de catch en noir et blanc et en 825 lignes.

Mais ne nous laissons pas avoir par les techniques faulknériennes qui ne valent rien dans le désert d’Hypocrinde, comme je l’ai dit plus haut. Mon passé d’enfant n’a rien à voir avec l’histoire dont il est question ici.

La vache, qui venait de passer, fut bientôt hors de portée de nos regards. Bousquet huma la trace la plus proche et déclara qu’il s’agissait bien de la vache de Trigano. Je le soupçonnai alors de mettre le nez là-dedans uniquement par vice, car aucune autre vache ne court dans les rues de Mazères. Ça se saurait et, comme je l’ai dit, ma boîte aux lettres est un livre ouvert, en attendant qu’un petit malin y poste des échantillons plus réalistes encore.

« Hé mais c’est que pour la rattraper, fit Bousquet en se mouchant, on peut toujours courir.

— Mais enfin, hennis-je, il ne passe tout de même pas son temps à courir après une vache qui échappe à ses caprices de fils à papa !

— Il a du personnel qualifié pour expédier toutes les autres affaires.

— Quelle concentration ! »

Mot malheureux qui promettait de gros ennuis si je n’en expliquais pas le sens avant que Marette ne s’empare de son Petit Robert et n’y plonge le nez bouché de la magistrature. Heureuse édilité de race supérieure qui s’accorde en genre et en nombre avec le pouvoir qui la gouverne : son nez est bouché et sa trompette guerrière. Mais nous y reviendrons pour entonner le refrain avec elle.

La vache avait laissé ses traces ordinaires et c’est ordinairement que quelques citoyens se mirent en devoir d’en signaler la piste à la seule puissance autorisée sur le terrain municipal : Louis Marette, leur maire. Seulement voilà, l’édile était parti à la recherche de son premier perroquet de la journée. Et on savait jusqu’où le volatile pouvait le mener. Quelques-uns s’étonnèrent, car ils n’étaient pas du pays, ou pas encore :

« Comment ! Monsieur le Maire aime les perroquets ? Mais nous ne sommes pas dimanche ! »

C’étaient ceux qui limitent le psittacisme à la sortie de la messe. Limitation qui par définition n’a pas de limites, surtout en présence et sous l’autorité de Marette. Bousquet remonta son pantalon, car la vache lui avait donné envie de laisser des traces dans mon jardin, et il les rejoignit sur la place. Il fallut alors que ces esprits limités s’adonnent à deux fils d’Ariane qui n’allaient pas dans le même sens : le perroquet de Marette et la vache de Trigano.

Mais, reconnurent-ils sous mon influence, si le fil du psittacisme avait son marathonien, il manquait un coureur à celui du trou du cul. On ne savait pas si Dédé était là. Et question vache, il n’y avait que Loulou pour le joindre sans que cela attire les commentaires de l’opposition qui, par nature, n’ouvre sa gueule que pour dire le contraire et s’en nourrir comme si la soif n’avait pas prise sur elle. D’ailleurs, au moment même où on y pensait, on entendit nettement Lecerf sortir les meubles de sa maison ou ce qu’il en restait parce que depuis le temps qu’il les casse ça ne doit plus beaucoup ressembler à des meubles. Enfin… il fait ce qu’il veut.

« Roger ne veut pas que je lui monte dessus, » dit Bousquet qui profitait de l’instant pour me nuire.

Les regards se tournèrent vers moi, muets de reproche. S’il y avait eu une jument à proximité, je crois que je me serais jeté dessus pour détourner mon énergie. Mais en son absence, je dus montrer le fer de mes sabots :

« Personne ne me montera dessus ! menaçai-je en hennissant de toutes mes forces. Vous avez assez de jambes à vous tous pour attraper le perroquet et la vache.

— Mais c’est Marette qu’on veut attraper !

— Oui, oui ! Je sais ! C’est le 11 novembre.

— Eh bien fais quelque chose, Roger ! »

Personne ne me suppliait. Ils voulaient faire passer leurs menaces pour des sollicitations empressées. Tout le monde n’a pas un cheval chez soi. Et même mieux : tout le monde n’est pas un cheval comme je l’étais. Cheval de trait et de portait, je l’ai déjà dit.

« Hé bé, fit Bousquet, il va falloir s’y mettre. Avec ou sans Roger.

— Si je m’y mets, ajoutai-je pour être bien compris, tout ce qui suit sera véridique. Or, je veux ici faire œuvre d’imagination.

— Sans Dédé ! s’étonna-t-on.

— Sans personne. Sans rien. Comme mon maître Céline qui avait l’art de se tromper sur tout ce qui se donnait à penser en ses temps maudits.

— Tu deviens obscur, Roger…

— C’est que ce n’est pas ici le lieu d’une thèse, laquelle jurerait sur le tapis que vous crottez, citoyens ordinaires !

— Ah ! Là, tu deviens arrogant, Roger !

— Si cela peut vous éloigner de ma maison, qu’il en soit ainsi ! »

Et je rentrai chez moi, dans mon écurie où je suis le seul résident. J’y dispose d’un bureau agréable et de toute la documentation accumulée depuis au moins cinquante ans d’existence laborieuse. Je ne sais pas si un cheval vit autant de décennies, mais c’est mon cas. Et je n’ai pas fini de vivre, d’autant que je ne cesserai pas de respirer en terminant ce récit. Car s’il est une loi naturelle à laquelle je ne résiste jamais, c’est que le récit en appelle toujours un autre. Et ainsi de suite.

Je les abandonnai à leur fortune. La tâche qui leur incombait maintenant n’était pas si complexe que ça : les bouses de la vache sentaient la bouse, tandis que la merde de Bousquet avait une odeur reconnaissable entre toutes. Les odeurs respectives de ces deux animaux ne les mettraient pas sur de fausses pistes. Ils avaient des chances de réussir, même en l’absence de Dédé.

Or, quand je voulus ouvrir la porte de mon modeste logis, je constatai qu’elle était déjà ouverte. Le paillasson portait des traces récentes que je ne pouvais pas confondre avec celles de Bousquet ni avec les taches vertes de Marette, en admettant qu’il eût quelquefois consenti à en perdre une goutte sans se jeter sur elle pour la lécher. C’est un grand lécheur, Loulou. Tout le monde le sait et certains en profitent. C’est la loi sociale, l’anankè chère à Victor Hugo.

Or, la déesse de la nécessité qui se trouvait devant moi ne portait aucun des attributs de la féminité et encore moins les signes de la beauté. De quelle nature était donc les traces qui tavelaient mon paillasson ?

 

Le petit homme qui venait de quitter mon propre fauteuil n’était autre que Dédé ! Il se contorsionna pour m’assurer que la porte était ouverte et qu’il n’y avait personne dans le fauteuil. Il était donc entré et s’était assis pour m’attendre. Il avait même, m’avoua-t-il, entendu toute la conversation que j’avais soutenue avec Bousquet puis avec les chasseurs de vache.

« J’espère qu’ils ne vont pas me la tuer, dit-il en reprenant ma place dans le fauteuil. Sans cette vache, ma vie n’a plus de sens. Et ce n’est pas vous, Roger, qui l’avez inventée. Elle est de moi… Enfin, je veux dire que je l’ai achetée avec mes sous. Que j’en ai beaucoup, des sous, et que si je voulais, je m’en achèterais une autre, au cas où les chasseurs me tueraient celle-là. Quoique je ne sois pas certain d’y tenir si peu. Je ne sais pas si c’est cette vache qui me tient ou si c’est seulement parce qu’elle est une vache que j’y tiens. Vous pouvez mesurer là, mon cher Roger, à quel point mon existence est un roman. »

Sans doute ce pantocrator cherchait-il à me convaincre de sa qualité d’artiste. Il tenait le bout d’un roman, mais ne se rendait pas compte qu’un âne y était attaché. Ou bien ne le savait-il que trop et il souhaitait m’entretenir de Marette.

« Je sais bien, mon cher Roger, qu’on ne vous apprend jamais rien en matière de bêtise, mais j’en ai une qui va vous étonner…

— Dites toujours…

— Il se trouve que ce matin, le perroquet de Marette est venu donner de la tête contre le carreau d’une de mes fenêtres…

— Comme dans Feu Pâle !

— J’ai pensé que ce simple fait de la vie quotidienne à Mazères vous inspirerait un poème digne de la méchanceté de Nabokov.

— Je vous suis ! »

 

Le perroquet de Marette était couché sur le dos, les ailes déployées, la tête renversée selon l’angle du rebord de la fenêtre. Le choc avait dû être d’une rare violence. Dédé me montra la trace de sang sur le carreau, petite souillure noire qui coulait encore vers son meneau. J’en profitai pour jeter un œil discret à l’intérieur. À part quelques vélos et autres ustensiles de massage, aucun outil intellectuel, si tant est que la fibre musculaire peut être considérée comme une bonne assise pour la pratique de la réflexion et du calcul.

Le rupin se hissa sur la pointe de ses pieds courts et bien chaussés. Son œil prit la tangente de mon coude. Il observait la tache sur le carreau. Aucune trace de vert.

Le vert, il fallait le chercher sur l’oiseau lui-même. Mais ses plumes avaient souffert de la collision et son aspect général n’était plus aussi tropical qu’il l’avait été. D’ailleurs, m’expliqua Dédé, le composant premier de cette créature était de nature purement française. Il insista :

« Je n’ai touché à rien, bégaya-t-il en lissant sa blanche chevelure héritée d’Isaac. Vous pensez ! Il me le reprocherait avec des mots ! Mais alors des mots ! Vous voyez ce que je veux dire…

— Non, je ne vois pas. Me permettez-vous de hennir ?

— Vous voulez hennir ? C’est irrésistible ? C’est qu’on dort à l’intérieur…

— Je ne sais pas pourquoi j’ai envie de hennir… C’est la première fois que je vois un perroquet de cette taille.

— C’est peut-être ça, en effet. Je connais ce phénomène de compensation dimensionnelle. Moi, c’est les grosses voitures. Avec de gros moteurs. Et plein de grosses choses dedans. N’êtes-vous pas vous-même un gros cheval ? Qui servez-vous ? Il doit beaucoup souffrir de sa taille. Ou de la taille de quelque chose d’important pour lui. Ou elle…

— Il faudra en effet que je songe un de ces jours à évoquer ma vie privée et même intime pour ajouter une touche de sincérité à la masse de mes écrits… Mais je ne suis pas venu pour ça.

— Ah ! Oui ? Pourquoi êtes-vous venu ?

— Je vous ai transporté sur mon dos !

— Oui, c’est vrai, Roger. Nous avons fait à dada vous et moi. C’était très agréable. J’aime beaucoup fréquenter ceux qui n’ont pas de problème dimensionnel compulsif. Le PDC…

— C’est qui ?

— Que faisons-nous de ce perroquet ? Il ne peut pas rester ici.

— C’est que Loulou court après… Il va se rappliquer d’une minute à l’autre. C’est un fin limier.

— Juge et partie, ça a toujours été son style. On arrive à tout avec quelques privilèges et des recommandations au poil. N’avez-vous pas vous-même rêvé d’être à la fois le chien et le chasseur ?

— En tant que cheval… ?

— On n’achève plus les chevaux…

— Le carreau est fêlé…

— Marette aussi est fêlé, mais il ne se vide pas aussi pleinement que cet oiseau… »

Dédé torchonna le carreau sanglant. Une courte fêlure en changeait le reflet. Il s’employa à en retirer toute trace de rouge puis il rempocha son mouchoir. Pendant ce temps, j’examinai la victime du vol qui l’avait mené jusqu’ici. Le volatile blessé respirait encore. J’opposai une légère pression à sa faible poitrine. Il cracha, mouchetant le dessus de ma main.

« Il faut s’en débarrasser, dit Dédé en gesticulant comme un pantin animé de mauvaises intentions.

— Mais il est aussi vivant que vous et moi. Ça ne meurt pas si facilement que ça, un perroquet. Il a besoin de soins. Je vais l’amener à Bousquet qui lui ouvrira les portes de son hôpital.

— Faites ce que vous voulez ! Mais que personne n’en parle ! En tout cas pas de moi. Parlez de vous autant que vous voulez, mais qu’on me fiche la paix ! D’ailleurs, je suis parisien. »

S’étant exprimé de la sorte, le satrape raccourci par un coup du sort (on ne peut pas avoir que de la chance) se mit à frotter le rebord de la fenêtre avec le même mouchoir. La tâche était plus coriace cette fois. Le sang de l’animal s’était incrusté dans la brique et ses interstices. Le bougre se mit à suer sang et eau. J’enveloppai le perroquet dans mon propre mouchoir. Hé oui ! Les chevaux se mouchent aussi.

« Eh bien puisque c’est ça, gazouilla le nabab territorial, allez où vous pensez que c’est le mieux. Pour ces traces, je dirai que j’ai saigné du nez. Que pensez-vous de cette excuse ?

— Pas grand-chose pour l’instant, mais une pensée me viendra au moment de m’en souvenir pour demeurer fidèle à la réalité que je décris ici avec des moyens rhétoriques vieux comme le monde…

— Allez donc ! Je me suis toujours tiré du pétrin où je reviens chaque fois que je me prends pour un pain. »

Sur cette parole obscure, nous pratiquâmes les salutations d’usage et je rentrai chez moi au trot. L’oiseau parlait dans ma poche, mais le bruit de mes sabots m’empêchait de comprendre ce qu’il disait. Ou bien il demandait quelque chose et ce n’était pas le moment de perdre du temps à essayer de se comprendre. Aussitôt arrivé à la maison, je le mettrais en cage et ensuite j’appellerais Marette au téléphone pour l’informer de la partie de l’incident qui le concernait. Dédé et moi étions d’accord sur le sujet.

 

Le trot bien cadencé me mena comme je l’espérais dans mon jardin. Quelle ne fut pas ma surprise d’y trouver Loulou ! Son visage était déformé par les effets d’une contradiction. Sa langue sèche pendait hors de sa bouche, infecte et chevrotante :

« Ah mais je ne t’attendais plus ! rugit-il sans prendre le temps de respirer entre les mots. Des heures que je t’attends. Et qu’est-ce que j’apprends… ?

— Oui… Qu’est-ce que tu apprends, ô maître incontesté du patrimoine municipal… ?

— J’apprends que la vache de Dédé court encore !

— Hé ce n’est pas la seule mauvaise nouvelle de la matinée… mais commençons par là si tel est ton désir souverain.

— Mais c’est que cette vache est en train de devenir un sujet électoral ! Les vaches, ça se mange, sauf quand elles portent l’uniforme.

— Je suis d’accord avec toi là-dessus. Mais si toutes les vaches étaient mangées, imagine !

— Je n’imagine rien, moi ! Et puis ça me plairait bien, à moi, un monde conduit par l’uniforme et sans vaches à viande ni à lait.

— C’est à Dédé qu’il faut le dire…

— Ah mais c’est que j’y dis rien à Dédé ! (toujours sans respirer :) A chacun son animal de compagnie. Et les vaches seront bien gardées… Celles qui portent l’uniforme… Il en faut… mais si on ne les garde pas…

— D’où la nécessité, ô Anankè, de nourrir les chiens de la chienne… »

À ces mots, Marette tente d’en penser quelque chose, mais son cerveau fragilisé par la pratique constante du perroquet, que nous avons appelé ici psittacisme, recommençait à lui jouer des tours. C’est qu’arrivé à la fin de son existence, il en subissait les complications toutes liées au mensonge politique nécessaire à la bonne marche des affaires administratives. C’est que, pour être administré, on était administré dans ce coin tranquille et tributaire de la France !

Serrant le cou du perroquet qui s’agitait dans ma poche et frappant le dallage de ma terrasse pour couvrir le son des instruments qui s’accordaient sur la place, je m’en tenais à la vache et à ses incidences sur mon existence passagère. Marette s’enfonça dans mon fauteuil. Je me tenais debout près de la fenêtre pour avoir un œil sur la rue, car si quelqu’un venait, il arriverait par là. Je n’ai jamais eu l’occasion de voir un intrus tomber du ciel. Ces minus habens de la rumeur ont de gros sabots et ils ne savent pas en jouer comme j’en joue. Trompe-la-mort est mon maître : il faut faire l’âne pour avoir du foin.

« Et alors, continue Marette en avalant un liquide approchant les saveurs de ces habitudes, je suis arrivé au Domaine des oiseaux. Bousquet y était déjà. Il courait après la vache de Dédé ! Tout le monde courait après elle. Et personne n’avait vu mon perroquet ! Tu imagines : le premier…

— Et donc le seul…

— Seul, sans doute. Mais pas consommé. On n’appelle pas premier ce qui n’est pas vide.

— Et comment on l’appelle… ?

— Hé bé on l’appelle pas !

— Et il vient…

— Sauf que celui-là, j’ai eu beau l’appeler tout ce matin, il est pas venu. Je lui ai bien vu les plumes, des fois que je me trompe de couleur. J’ai couru comme jamais j’ai couru. Que si je savais faire du vélo…

— …avec une croix sur le dos, comme Jésus. Le bon Jarry le donne pour vainqueur de la course au Paradis.

— Mais j’ai pas le brevet. Je me sers de mes jambes.

— Ou de mon dos…

— Justement ! Où étais-tu passé, traître ! »

Marette empoigne ma crinière. Comme je dois me défendre, ma main cesse d’étrangler l’oiseau qui lutte pour la vie dans ma poche. Le cri qui sort alors de son bec nous paralyse sur place. Marette en salive, ce qui le rend joyeux.

« Un cri de perroquet ! dit-il sans cesser de nouer mon crin. Et je le reconnais ! »

De nouveau, j’applique une pression suffisante sur le corps de l’oiseau. Un étrange silence, seulement troublé par l’apnée sifflante de Marette, s’installe entre nous deux. Nous trois. Je vais le faire crever, cet oiseau.

Mais au lieu de crever, il trouve la force de me mordre. En plein où ça fait mal. Je hennis sans mesure, sans mode ni nuance. Et le perroquet, tout vert et tout froissé, s’envole vers le plafond et renouvelle sa passion du choc en pleine poire. Il tombe justement dans les mains de Marette qui s’empresse d’ouvrir la bouche et de tirer la langue comme chaque fois que l’occasion lui est donnée de s’exprimer.

 

Le perroquet ne fait pas long feu. Un deuxième s’impose. Le cadavre gît sur mon tapis, cette fois complètement immobile, sans indice de respiration ni d’agonie. Il est mort et bien mort. Et Marette, que cette rencontre ne satisfait qu’à moitié… Que dis-je ? Qu’au tiers ! Qu’au quart ! Qu’au millième ! Au millionième… Marette me saute sur le dos, éperonnant la surface sensible de mes côtelettes.

« Sus au deuxième ! s’écrie l’édile en lutte contre la pépie et le manque. Sus ! Sus ! »

Et il sombre de nouveau dans le psittacisme le plus noir. Le mot sus, sans l’ennemi qui va ordinairement avec, rebondit plusieurs fois dans la rue, à tel point que le quidam mazèrien, amateur insatiable de rumeurs et prêt à tout pour satisfaire cet historique défaut de scrupule, entend suce et en même temps il reconnaît la voix de Marette. Il s’arrête (il dit en fait : je m’arrête, mais le changement de narrateur au milieu de l’action en cours pourrait compliquer la tâche du lecteur qui est de lire et non pas d’étudier le roman américain ou pire le Nouveau roman) pour apprécier plus justement, car il a de l’oreille, ce musicien des rues, à la fois le mot et la voix. Il en est certain maintenant : Marette a crié « suce » dans la maison de Roger. Il comprend mieux maintenant ce que signifie l’expression « Marette monte sur le dos de Roger ». Tout finit par se savoir, se dit-il en frémissant.

Ainsi, lorsque je sautai par-dessus mon portail avec Marette sur le dos, personne ne s’étonna de mon érection. Vous savez ce que c’est : les chevaux vont nus et quand ils bandent, ça ne peut pas ne pas se voir. Et pour ajouter du sens à cette scène épique et lyrique à la fois (hélas, Adelin Moulis, mort à Mazères par hasard, n’est plus là pour en versifier la légende), l’entrejambe de Marette, qui porte donc le pantalon de ce couple improbable, exhibe une tache dont le bon peuple de France (car il s’agissait de Français en retraite militaire et autres services rendus à l’État sous prétexte de patrie) néglige d’apprécier la couleur : c’est une tache verte. Il faut être bigleux ou daltonien pour ne pas le voir ! Encore qu’un miro voie trouble ou double, donc vert et qu’un daltonien n’y voit que du marron qui est la couleur de la merde.

Je me fis ces réflexions à la vitesse du galop qui avala toute la rue en moins de temps qu’il n’en faut pour y penser. Je renonçai à expliquer la situation à ces échotiers doublés de sycophantes. Mais je m’entêtais encore lorsque nous traversâmes les champs : le vert, c’est le perroquet. Et le marron, c’est la merde. Jetez un œil sur ma semence de poète. Elle n’est ni verte, ni marron. Et pourquoi donc, perfides ! Parce qu’elle ne reçoit pas votre lumière et que sans vibration de ce type, la poésie est invisible. Mais de là à penser que Marette et moi… Oh !

 

Croyez-vous que j’emmenasse Marette quelque part où je voulais lui régler son compte ? Car l’offense, à défaut d’outrage, m’avait déchaîné au sens propre du terme. Je me sentais libre ! Et l’édile s’accrochait à mes brides pour ne pas disparaître dans un fourré après un vol hyperbolique. Il aurait à tous les coups dérangé un nid de perdrix.

Je ne voulais pas lui donner l’occasion de récolter mes lauriers en le mettant sur la piste de la vache à Dédé. Et quant à lui rappeler qu’il avait ce jour-là un rôle à jouer dans la cérémonie commémorative, pas question ! Le branque était obsédé par les perroquets. Comme il avait descendu le premier, au sens propre du terme, il en réclamait un second. Et comme je l’éloignais du centre-ville, n’obéissant plus à son assiette, il hurlait à la mort dans l’espoir d’ameuter d’autres chiens de son espèce.

J’acquis une vitesse telle que je doublai un véhicule. Mais je ne sais plus si nous étions sur la route ou dans les champs. Passons sur cette question de vitesse… ce véhicule était peut-être à l’arrêt. Sait-on ce qui se passe dans notre tête quand les sentiments l’emportent sur la raison ? Je n’étais pas loin de devenir fou moi aussi, mais sans l’intervention d’une substance aussi définitive que le vert liquide du psittacisme.

Pour résumer la situation, j’avais la conscience tranquille, tandis que Marette ne voyait pas que la sienne était dans un piteux état. À force de mal vivre, le cerveau devient une éponge et son contenu appelle une soif d’oubli alors même qu’il est question de philosopher. Jean-Paul Sartre, qui ne mâchait pas ses mots avant d’en régurgiter l’essence, évoquait ce type de personnage sous le qualificatif de salaud. L’hypocrisie propre au catholicisme suffirait pourtant à le désigner. Ce genre de créature d’humaine extraction conçoit sa pensée après l’action, s’évertuant à en justifier même les aspects les plus discutables.

Est-ce à dire que j’agis en pédant, c’est-à-dire subordonnant mes actes à une pensée préexistante, voire étrangère à mon être ? Ce serait vite dit. Car je n’accorde aucun crédit aux idéologies. Ma pensée suit le fil de mon existence. Et ce fil, c’est celui de la connaissance. On grandit ou pas. La croissance de Marette s’est arrêtée quelque part dans son adolescence, voire dans son enfance. Je ne saurais rien affirmer à ce sujet : je n’étais pas là pour en apprécier les phénomènes. Autrement dit, le « salaud » ne devient pas un adulte et surtout pas un adulte exemplaire. Il suffit pour en juger de mettre en parallèle l’exhibition burlesque de ses médailles, rubans et colliers avec la horde de perroquets qui hante sa chimère de comique troupier. D’autres parallèles, tout aussi significatives, forment le lit de ce récit. Le lecteur devrait en mesurer les apparitions sous-jacentes à chaque page.

Je pris la précaution, avant de m’arrêter, car le souffle commençait à me manquer, de choisir un endroit labyrinthique où Marette n’aurait aucune chance de s’éveiller du mauvais rêve que je fomentais pour le détruire. D’un côté, une falaise modestement haute, mais suffisamment pour briser les reins de n’importe quel animal doué d’une colonne vertébrale. De l’autre, d’épineux chemins sans horizons. La localisation de cet endroit demeurera ici secrète car c’est une possible scène de crime. Je me cabrai pour désarçonner mon cavalier. Il chuta dans un aimable tapis de pâquerettes ou de trèfles, je ne me souviens pas de ce détail. Je ne me souviens d’ailleurs d’aucun détail tant l’essentiel me tenait à cœur. J’étais décidé à aller au bout de mon assaut verbal et romanesque :

« Tu as préféré la chasse au perroquet plutôt que de poursuivre la vache à Dédé, commençai-je en prenant la forme d’un bouc. Tu t’en expliqueras avec lui. Vos chasses gardées ne m’intéressent pas. Perroquets et vaches n’habitent pas dans mon royaume. Par contre… »

Je suspendis quelques secondes le vol de ma déclaration solennelle, poussant ma victime (une fois n’est pas coutume) à haleter dans l’attente du troisième animal de ce bestiaire municipal. À moins qu’il ne souffrît de soif. Sa langue avait rétréci au point de ressembler à la queue d’un lézard. Elle s’agitait encore, en proie à des crispations douloureuses, signe que la pépie avait étendu ses ramifications dans tout le corps.

« Obsédé par tes perroquets, continuai-je, savourant l’instant qui précède la soif, tu as complètement zappé le sens sacré de ce jour…

— Mais de quel jour parles-tu ? C’est un jour comme les autres. Je vois des perroquets partout et pourtant, je n’en ai descendu qu’un ce matin…

— Et le devoir de mémoire ? Tu oublies le devoir de mémoire ?

— Ah ! Hé ! Non ! Je ne l’oublie pas celui-là ! J’aime mon Sarkozy ! On ne me prendra pas à l’oublier ! Je suis fidèle, moi, quand je m’y mets ! Surtout si c’est dans mon intérêt ! Hé ! Pardi ! »

Je ne le laissai pas achever avant d’éclater de rire. Sa bouche s’embrouilla, prise au piège de la pépie et de l’honneur. Il n’avait plus rien à avaler, excepté mes paroles, mais pour ça il faisait encore usage de ses oreilles.

« On est le 11 novembre ! » clamai-je comme un cri de victoire.

Quel meilleur moyen de tuer un homme qui a la réputation de tenir comme à la prunelle de ses yeux à la solennité des usages républicains et patriotiques de surcroît ?

Foutaises que tout cela ! L’homme que je harcelais ne songeait qu’à sa soif. Elle lui servirait d’excuse s’il était pris en défaut de mémoire. Voilà ce que me rétorquait son regard maintenant tranquille, presque serein. Je hennis, montrant le blanc de mes sabots :

« Tu n’as pas honte ? balbutiai-je finalement.

— Honte de quoi ? Est-ce ma faute si je suis victime d’un enlèvement ?

— Penses-tu vraiment que les gens vont croire que tu as été enlevé par un cheval ?

— Hé ! C’est déjà arrivé. Pourquoi pas à moi ?

— Ah mais c’est qué ! » m’étranglai-je.

On ne sait plus ce qu’on dit quand on s’étrangle soi-même. Ça n’est même pas douloureux. Humiliant, oui. Je redevins cheval, car je m’aperçus que j’avais henni dans le corps d’un bouc. Je m’étais embrouillé. Ça arrive à tout le monde. Il n’y a pas de honte. Mais le moment était mal choisi pour expérimenter.

« Imagine un peu que tu vas leur manquer, dis-je en cherchant les arguments d’une nécessaire réplique.

— J’ai trop soif ! » gémit enfin Marette en enfonçant sa tête hirsute dans un buisson épineux.

Il en sortit avec la tête d’un Jésus mort plus tard que prévu. Il ne manquait plus qu’un perroquet pour parfaire l’équilibre de la cène… euh… de la scène (restons théâtral et ne cédons rien au sentiment religieux que ladite scène offense).

« Va me chercher un perroquet ! me supplia le martyr.

— Il ne m’arrivera jamais de me promener dans Mazères avec un oiseau dans la main. Pas même le mien.

— Mais je n’en peux plus de ce monde métaphorique que tu imposes à mes TOC !

— Sans perroquet, sans vache et sans 11 novembre, tu es un homme fini ! Voilà ce que je te fais ! Et on ne bougera pas d’ici avant que tu sois mort et bien mort ! Ensuite, je rentre chez moi et j’écris le récit de cette aventure…

— Et ton ADN ? Tu as laissé des traces. Ils ont des scientifiques maintenant dans la gendarmerie. S’ils continuent comme ça, on ne comptera plus de tortionnaires dans leurs rangs dans pas plus tard que le siècle prochain.

— Ça en fait des aveux extorqués !

— Mais c’est que les siècles vont vite maintenant ! Tu te rends compte : avec la tèquenologie. Tu as un smart phone, toi ? Avec tes gros sabots, ça doit pas être pratique ! »

Il avait encore de l’humour, ce faux frère. C’est le problème avec ceux qui ont connu un arrêt de croissance prématuré. On ne parle pas encore de schizophrénie à leur propos, mais si j’en juge par les progrès de la psychiatrie, il n’est pas loin le temps où les salauds et les pédants de Sartre seront remplacés dans la pensée universelle par les schizos et les paranos. Mais je m’avance un peu sans doute. On est mal équipé pour l’anticipation quand on ne dispose que de sabots pour avancer dans la complexité des comportements humains.

 

« Un perroquet, supplia encore l’impétrant professionnel. Un seul. Ensuite, je ne demande plus rien. Promis.

— Avec deux perroquets dans le ventre à cette heure encore matinale, tu ne convaincras personne de ta soudaine rémission des péchés. Qui te l’accordera ? Pas moi en tout cas !

— Alors une moitié de perroquet… Pitié ! Pitié !

— Parce qu’en plus tu prétends me faire couper des perroquets ? Et comment ? Dans le sens de la longueur ? Ou celui de la largeur ?

— J’ai de quoi payer… Une nouvelle selle… Que dis-tu d’une nouvelle selle ? Je sais que tu aimes les selles…

— Parle à Bousquet ! Manière de dire…

— Je ne regarderai pas au prix de quatre sabots en acier inox…

— C’est cher payé pour un demi-perroquet…

— Hé ! Mais c’est que j’ai soif !

— Ne pense plus à t’endetter et fais ta prière ! »

Oh ! La crise de larmes ! Pire que si on lui avait mis un fusil dans le cul en le menaçant d’y faire un ménage indépendantiste. Mais de larmes, rien. Ni vertes, ni liquides. Seuls demeuraient les accents du psittacisme qui affectait ce cerveau branlant comme la charpente d’un taudis. Bien sûr, je n’y comprenais rien. Je n’ai jamais dit que je comprenais ce que disait Marette. Sinon, je ne parlerai plus de psittacisme. Je ne faisais qu’observer des phénomènes extérieurs à sa personne. Par exemple en découpant des photographies dans La Dépêche. Je composais le tableau avec des citations graphiques et verbales. Ça voulait dire ce que ça voulait dire, mais ça ne disait rien de ce que Marette répétait à l’envi pour se faire entendre et surtout pour resservir les plats refroidis de ses mentors en politique et en plein d’autres choses d’ailleurs. Non, il n’est pas question ici de traduire la répétition mécanique de son éloquence particulière.

Il me faisait pitié, finalement.

C’était un malade de la déformation politique.

Il ne connaissait rien de plus important que le perroquet à répétition. Vérification faite, il clonait le perroquet avec une technique éprouvée au fil de son existence aventurière.

Suite à une confrontation verbale dans un cadre propice à la consommation, nous nous livrâmes un jour à une expérience de caractère quasiment scientifique. L’un de nous, qui étions dans l’opposition systématique, réussit à lui substituer deux perroquets, car le bougre en avait commandé plusieurs de manière à les enfiler sans trop d’interruption, ce qui nuit toujours à la loi des séries. Nous comparâmes les deux perroquets avec les instruments de nos connaissances respectives. Et bien malgré les différences d’acquisition du savoir qui affectait nos compétences, nous arrivâmes ensemble exactement au même résultat : les deux perroquets étaient, en nature et en droit, exactement semblables.

Même Lecerf, qui était un spécialiste du meuble familial, ne réussit pas à démontrer, par le tenon et la mortaise, que l’un différât de l’autre.

Cependant, à l’issue de cette expérience menée, comme on vient d’en juger, selon les principes sacrés de la méthode expérimentale, Marette s’aperçut qu’il manquait deux perroquets à sa volière. Comme il n’avait pas encore réglé, il fit la soustraction sur le comptoir même et le tenancier dut s’avouer vaincu sinon il aurait eu des ennuis avec le fisc ou le parquet dès le lendemain.

C’est en me remémorant cet épisode crucial de nos existences mazèriennes que je fus pris de pitié pour la langue de l’édile. Je levai la tête pour tenter d’apercevoir, dans le bleu du ciel, le vert d’un perroquet. Alors Marette, qui ne riait plus, m’enguirlanda :

« Hé ! C’est pas dans le ciel que tu en trouveras un ! Je sais bien, moi, où on les trouve, les perroquets. Dans notre civilisation avancée, on les met en cage avant de leur faire leur sort. Il faut trouver la cage. Et avec la bonne licence. Sinon de perroquet, tintin. Et bonjour la pépie. Une pépie tellement tenace et dangereuse que même Bousquet n’arrive pas à la soigner dans son hôpital. Et pourtant, il s’y connaît en pépie. Hé bé il y arrive pas. Il revient toujours au point de départ : la cage. On n’y peut rien. C’est là un des effets pervers de la civilisation.

— Et pourtant, rétorquai-je car la conversation prenait un tour ontologique, pourtant je l’ai vu dehors, le perroquet. Pas en cage. Il est même allé se fracasser le crâne chez Dédé. En plein dans un carreau de sa fenêtre, celle qui donne sur sa salle de gym. Et c’est le perroquet que tu as descendu chez moi. Voilà comment il est passé de vie à trépas.

— Déconne pas, Roger ! Tu me racontes des histoires. Je suis pas assez con pour pas reconnaître un perroquet quand c’est un perroquet et non pas un perroquet. Tu veux que je t’apprenne ? »

 

Je ne sais pas combien de temps a duré la leçon, mais on a entendu la plainte douloureuse et mélancolique du cor ou du clairon. Cette fois, je n’ai pas frappé le sol de mes métalliques sabots pour empêcher Marette de se souvenir qu’on était un 11 novembre. J’en suis témoin : il s’en foutait.

On a commencé par découper des perroquets dans des feuilles. Des feuilles d’arbres. Elles étaient encore vertes ou à peine rougissantes.

« Le rouge, dit Marette qui virait en même temps à l’enseignant qui soigne sa dépression nerveuse, le rouge n’affecte pas la délicatesse tropicale du vert. C’est le docteur Sérié qui m’a refilé le virus, à un chouya près, parce que son rhum était d’origine équatoriale. Mais enfin, on ne va pas refaire l’histoire. Sinon on gagne la guerre d’Algérie. »

Tout en évoquant les souvenirs coloniaux des autres, son ciseau à feuilles vertes allait bon train. Une fois découpé, le volatile rejoignait la pile sur laquelle je posais mon sabot en guise de presse-papier. Le vent s’était levé, mais pas trop. Nous étions l’un et l’autre parcourus de frissons. Mais rien de plus. La lumière était idéale pour se livrer à des travaux de précision. Marette découpait. Et je pressais. Comme collaboration amicale, ça se posait là.

Il en a découpé au moins dix. Ça lui donnait des couleurs pas forcément vertes. J’avais ramené l’anéthol d’Espagne, où j’avais été artiste, et la menthe provenait de mon jardin ariégeois. Mais que le voile ici soulevé ne trahisse pas le meilleur de ses ingrédients. Il demeurera secret. Car comme il est de règle en ces temps de terrorisme que le romancier ne donne pas à lire la formule chimique des explosifs dont ses héros font un usage guerrier, de même on ne dira rien que les enfants puissent rejouer à l’abri de leur autorité de tutelle, d’autant que les facilités de communication ne leur sont pas étrangères. On finirait vite en nation verte liquide atteinte du psittacisme afférent. On a déjà assez de problèmes comme ça.

« Les perroquets en feuille d’arbre, dit Marette en remettant les ciseaux dans ma trousse, ne font pas longtemps illusion. Je suis calme pour l’instant, mais je te préviens : ça va me reprendre.

— Je t’écraserai le nez avec mon sabot…

— D’autres l’ont essayé avant toi ! Et ça n’a pas marché. À un moment donné, j’ai besoin de réalité. Je peux m’en passer, comme tu vois, mais elle revient toujours me dire la vérité.

— Je ne sais plus quoi faire de toi… Alors j’attends de savoir. Je te préviens moi aussi : ça peut durer longtemps. »

Marette lutta une bonne minute contre un hoquet émotionnel, puis il pressa ses lèvres contre un perroquet en feuille d’arbre. Il ferma les yeux pour que l’illusion fût complète. On en était là quand un buisson se mit à bouger. L’oreille de Marette, libre d’illusion parce qu’il ne s’en servait pas pour boire, frémit légèrement. Mais il était tellement troublé qu’il ne se rappelait plus si c’était la saison de la perdrix ou celle du ball-trap. Cependant, le perroquet le fascinait encore malgré l’absence de plumes.

J’eus un accès de colère qui souleva ma queue dans les mouches. Mais je me retins d’en exprimer le sang. Il me montait à la tête, comme chaque fois qu’un intrus se croit permis de jeter un œil sur ma propriété. Bien sûr, je n’étais pas chez moi. Et je n’étais que le geôlier de Marette, pas son maître. Et je n’étais pas non plus ce que certains venaient de s’imaginer en nous voyant sortir en trombe de ma maison, l’un sur l’autre. À tous les coups, un petit malin venait s’informer de nos pratiques sexuelles.

S’il nous observait depuis que nous avions commencé, en équipe soudée, à découper des perroquets dans des feuilles d’arbre, il était en droit d’avoir perdu ses repères pornographiques, lesquels relèvent toujours du stéréotype. Deux êtres qui se servent d’une paire de ciseaux et d’un sabot pour pratiquer le perroquet en feuille d’arbre, ou bien c’était une nouveauté pour lui et il allait en répandre la mode sur les réseaux, ou bien il avait un minimum de capacités intellectuelles et il était déjà revenu sur l’opinion qu’il avait de nous et plus particulièrement de moi.

Je procédai comme si je ne m’étais pas aperçu de sa présence et, glissant adroitement à la surface des pâquerettes ou du trèfle, je progressai vers lui qui ne devinait pas mes intentions. C’était du moins ce que je m’efforçais de croire, car, je l’avoue, j’avais la gorge serrée. Il arrive souvent, mieux que quelquefois, qu’on pense en trouver un là même où plusieurs n’attendent que vous pour s’amuser de vous.

Mes yeux tentaient un percement méthodique des feuillages toujours frémissants. J’allais me jeter dedans sans même savoir sur qui je tomberais. Pendant ce temps, Marette interrogeait les perroquets découpés. Seule sa voix chevrotante habitait la forêt. Tout le monde se taisait. Il me semble que le Raunier avait lui aussi perdu son filet. Les cressons s’étaient immobilisés dans ses courants aux pierres sombres et inattendues.

Comme j’hésitais toujours, Marette sortit un peu de sa torpeur pour me demander ce que je fabriquais dans cette « bizarre » position. J’étais saisi en plein grand écart à quatre pattes, car si deux d’entre elles m’avaient un tant soit peu rapproché du buisson hypothétique, les deux autres s’étaient accrochées à mon point de départ. Il arrive ainsi quelquefois (mais pas aussi souvent qu’on dit) qu’en cas de situation difficile on se retrouve dans deux endroits à la fois, celui où on était avant de se décider à agir, et celui où l’action qu’on a entreprise est sur le point de donner un sens à notre inquiétude. Je fis « chut » en secouant ma crinière, mes sabots étant occupés à de plus sérieuses attentes.

Mais je n’eus pas le temps d’aller au bout de mon explication. Dédé, car c’était lui, tomba de la vache et s’étala en plein sur le tas de feuilles découpées. Marette en conçut un roulé-boulé sans jeunesse à l’appui. Il s’emmêla dans les racines aériennes d’un chêne. Sa langue réduite à une peau de chagrin sortit tout entière de sa bouche, ce qui fit dire à Dédé que si elle était sortie d’une autre partie de son anatomie, il en aurait été quitte pour une belle peur !

La vache, imperturbable, avait encore les pattes dans le buisson. Dédé tira sur le licol pour la contraindre à entrer dans notre clairière à moi et à Marette. Elle résista.

« Je la tiens, dit Dédé. Elle m’aura fait courir, la salope !

— Et le 11 novembre ? murmura Marette sans chercher à se libérer des racines qui l’entravaient.

— Ce sera sans nous, dit Dédé d’un air satisfait. Entre la vache et la mémoire, j’ai choisi la vache.

— Comme moi ! J’ai choisi le perroquet. Sauf que je ne le tiens pas. Roger m’a fait prisonnier. Ensuite il m’a contraint à découper des perroquets dans des feuilles d’arbre.

— Sycophante !

— Ah mais c’est que ce n’est pas bien joué, Roger ! s’écria Dédé. Prisonnier sans perroquet, c’est déjà très dur pour un habitué. Mais prisonnier avec de faux perroquets, en feuille d’arbre par-dessus le marché, c’est un crime contre la nature humaine de Loulou.

— C’est facile pour lui qui est un cheval !

— Traître !

— Je ne sais pas comment je vais arranger ça, » dit Dédé en se tenant le menton.

Il réfléchissait tandis que Marette se plaignait d’autre chose que de ses entraves.

« Tout ça est bien joli, dit-il sans perdre son air pensif, mais quand il va falloir expliquer pourquoi on n’était pas là…

— Calléja s’est excusé, je parie…

— Il s’est fait un certificat… C’est un médecin…

— Et le général Larima ?

— Il rime toujours à rien.

— Je m’en doutais, grogna Marette. On est les seuls honnêtes hommes (il prononçait zonètezome) du troupeau patriotique. Et on n’a même pas une excuse pour expliquer notre lapin. Ah ! On est bien, té ! Tout ça à cause de Roger !

— Tu le hais donc ?

— Comme si je commençai à comprendre ce que c’est la haine. Et pourtant, j’ai beaucoup haï.

— Qu’en pense Roger ? »

 

Dédé posa sa douce main molle sur mon poignet dur et nerveux. J’avais les sabots en fusion. J’allais hennir, mais je me retins de donner à ces vénérables reflets de la société française le spectacle de ma déroute intellectuelle et sentimentale.

« Si j’étais Roger, dit Dédé sans cesser de caresser mon poignet, je ferais en sorte qu’on nous excuse…

— Et avec des excuses ! s’écria Marette.

— N’en demandons pas trop tout de même… »

Je les tenais, d’une certaine façon. Mais je dois dire que dans ce genre de situation, qui ne m’est pas étrangère, je deviens paresseux et sans ressources autre que la paresse. Je bâillai en me tenant la mâchoire.

« Pour Marette, dis-je d’un air triomphant, tout le monde comprendra. Les cadavres de perroquets témoigneront de son innocente escapade. Mais pour vous, Dédé, les choses se compliquent…

— Expliquez-vous, mon ami !

— Comme l’orgueil ne vous a jamais étranglé, vous ne pourrez pas résister à l’envie de raconter comment, sans l’aide de personne, vous avez capturé la vache qui vous échappe, et échappe d’ailleurs à tout le monde depuis la fête de printemps. Personne ne vous excusera et tout le monde jasera dans votre dos. »

Dédé confia la longe aux mains de Marette qui en noua le bout à une de ses racines. La vache meugla doucement.

« Mais vous vous trompez, Roger… Ce n’est pas moi qui ai capturé la vache…

— Et qui donc je vous prie ? »

Bousquet ! Je ne l’attendais plus celui-là ! Il sortit du buisson en même temps que son odeur. Il avait l’air d’un moka au chocolat et au café. Une strate de merde à soi et une autre de bouse de vache. Et ainsi jusqu’au menton que cet amalgame chasseur immobilisait, à telle enseigne qu’il lui fallait incliner toute sa tête en arrière pour laisser passer le son de sa voix.

« Qui veux-tu donc, Roger, qui capture les animaux récalcitrants de ce canton si ce n’est le chef des chasseurs lui-même ?

— Et comment tu expliques que tu n’as jamais capturé un seul de mes perroquets ? fit Marette sournoisement comme s’il s’attendait à mettre Bousquet aussi mal à l’aise qu’un cancre à l’heure de la récitation.

— Je ne capture que les miens ! » jeta le chasseur dans le feu naissant entre lui et l’édile.

Dédé dressa sa petite carapace, car Marette venait de briser ses chaînes. Bousquet, englué dans sa chrématistique excrémentielle, tenta un redressement par le bilan, mais ne put guère que soulever un bras dégoulinant. S’il projetait ce que contenait sa main, nous étions tous mis hors de combat. Dédé agita ses pinces et en fit claquer les mâchoires. La vache me jeta un regard désespéré. Marette l’avait bien attachée à la plus grosse racine.

« Et comment expliquerez-vous votre absence de la cérémonie ? lâcha Dédé perfidement.

— Oui, triompha encore Marette. Comment tu vas expliquer ça ?

— Roger trouvera une idée, » dit Bousquet en montrant ses canines.

Il arma son bras qui se dressa et recula encore.

« Qui en veut en aura ! menaça-t-il.

— Il est temps de négocier, je crois, » proposa Dédé.

Sa carapace s’ouvrit et laissa voir deux ailes froissées.

« La situation n’est pas si compliquée que ça, professa-t-il. Loulou a soif, ce qui peut s’arranger. Bousquet sent mauvais, mais on est à la campagne. Tout le monde comprendra, même la préfète. J’ai retrouvé ma vache. Les enfants applaudiront, surtout si on hache la viande. Et Roger, j’en suis sûr, a une idée pour nous tirer de ce pétrin.

— Si vous me laissez réfléchir... Allons chez moi.

— Mais le perroquet est mort, s’écria Marette. Je l’ai descendu. Je sais de quoi je parle.

— Pas toujours, fait Bousquet. Des fois tu ne sais pas.

— Oui, mais tout le monde comprend. Même l’opposition.

— C’est parce qu’elle est systématique. Sinon elle ne comprendrait pas. »

C’était reparti pour un tour. Dédé lâcha mon poignet et se mit en devoir de rassembler les feuilles que Marette avait découpées en forme de perroquet d’arbre.

« Je monte sur la vache, dit-il. Ce sera plus triomphal si je monte dessus. Loulou tu montes sur Roger. Et vous, Bousquet, vous suivez à distance. Frottez-vous bien aux buissons environnants. N’hésitez pas à polluer la nature.

— Et puis yen aura moins dans la douche de Roger, » fit Marette en enfonçant ses éperons dans mes jambes de devant.

J’avais oublié ce que cela veut dire. Néanmoins, j’avançai. On entendit encore la voix sinistre du clairon. La cérémonie s’achevait. Marette, qui en était l’ordonnateur, nous signala ce détail suivi d’un tas d’autres qui nous servirent d’ambiance musicale. Et soudain, alors que nous avancions comme des croisés en territoire musulman, le perroquet, le même ! traversa le ciel bleu de Mazères en répétant.

« Il est pas mort ! » cria Marette debout sur les étriers.

Puis il fouetta ma cuisse droite, criant toujours :

« Il retourne chez Roger, constata Dédé.

— Hue ! Roger ! Et sus ! Sus ! Sus ! »

Et tout recommença, mais dans l’autre sens. C’est fou ce qu’on passe de temps à lutter contre les apparences !

 

« Certes, dit Dédé, nous avons fait défaut à la traditionnelle cérémonie du 11 novembre, mais de façon honorable, alors que Calléja… n’est-ce pas ?

— Je voudrais bien savoir en quoi c’est honorable… fis-je sous le poids de Marette.

— Il n’est pas difficile de constater que nous avons de bonnes raisons, continua Dédé. Je ramène ma vache…

— La salope ! grogna Marette sur mon dos.

— Loulou revient sur votre échine…

— Et Bousquet est à pied ! » rit Marette qui ne se tenait plus.

On entendit un clapotement de boues insanes, car le pékin voyageait entre nous, la vache et le cheval,

et nous allions bon train

dans la bouse et le crottin.

 

Il tenait les deux longes, une à chaque main. Dédé avait prévu un pince-nez mais Marette, qui était bien parti, avait réduit cérébralement ses capacités olfactives au strict nécessaire. Il suivait ainsi la piste du perroquet vert qui avait, selon lui, ressuscité, car il était certain de l’avoir vidé jusqu’au cul.

« Jamais de mémoire de Mazèrien on a vu un perroquet me survivre, contait-il tout en m’éperonnant.

— Tu as dû y laisser une goutte, proposa Bousquet sans trop y croire.

— On ne m’y verra pas ! C’est que je pousse la langue jusqu’au fond ! Les Mazèriens qui ont eu affaire à moi le savent bien. Je ne laisse rien ! »

Bousquet, qui en savait quelque chose car il était considéré comme le premier des Mazèriens, haussa les épaules et ses aisselles chuintèrent.

« En voilà une discussion qui risque de mal tourner, constata Dédé qui tourna la tête pour faire usage de son nez qu’il a traditionnel alors que celui de Marette a connu les côtés les plus sombres de l’Histoire de France.

— Mais je veux pas me disputer avec Loulou ! rouspéta le chasseur. C’est que j’aime les perroquets moi aussi.

— Oh ! Moins que moi. Moins que moi. Tu peux demander à n’importe qui. Il te le dira.

— Mais que me diront-elles ? » soupira romantiquement Dédé.

Sa vache allait tantôt à gauche, tantôt à droite du chemin vicinal. Mais de voisins, point. Car nous traversions le désert d’Hypocrinde en direction du centre-ville. Les colons nous surveillaient, c’est leur fonction principale, quand ils ne participent pas à la consommation. Sans eux, on serait bien foutu de crever la dalle. C’est qu’on s’y perd facilement dans le labyrinthe de nos chemins occitans ! L’Andalousie de Palos de Moguer à Toulouse ! Et Tamanrasset alors ? Tu parles d’une histoire ! J’y songeais tout en amblant, mais je n’ai jamais été plus loin que le mot histoire.

« Hé ! Qui c’est que je vois sur le bord de la route ? fit Marette en se dressant sur mes étriers.

— Si c’est pas ce bon vieux Lecerf… dis-je sans espoir d’y trouver de quoi agrémenter ce récit d’une répétition, genre meuble cassé et sorti dans le jardin.

— C’est qu’à force de les casser, de les sortir et de les rentrer pour les casser encore, le pauvre homme va finir dans la poussière…

— Ou dans un désordre moléculaire digne de la physique quantique…

— Ne compliquons pas les choses, » dit Dédé en faisant « Hue ! »

Nous nous arrêtâmes en bordure du jardin de l’opposition systématique. Les cavaliers ne mirent pas pied à terre. Les meubles étaient bien dehors et Lecerf assis dessus, la tête dans les mains. Nous n’osions pas commencer une conversation qui pouvait facilement tourner au vinaigre. Lecerf leva une tête hirsute, car il avait couché dehors :

« Si vous êtes venus pour me faire chier, grogna-t-il en brisant un barreau de chaise sur l’angle d’une commode, je vous préviens que je suis pas de bonne humeur !

— Et moi j’ai oublié mon fusil, fit Bousquet en secouant les longes.

— Pourtant, dit Lecerf en souriant bêtement, ça pue…

— On ne va pas commencer à se disputer… » dit Dédé qui parlait du nez.

Il en parle souvent d’ailleurs, mais tout le monde sait qu’il n’en a pas. Il est bien né, c’est tout.

« Vous avez pas vu passer un perroquet ? demanda Marette à tout hasard.

— Passer, non. Mais voler, oui.

— Il recommence ! péta Bousquet.

— Peu importe s’il est passé ou volé, dit Dédé en se pinçant plus fortement le nez. Un perroquet est un perroquet, n’est-ce pas, Loulou ?

— J’en ai vu de pires, fit Marette. Tellement pires que des fois, en flash-back, je me demande si c’était des perroquets. Quand on ne les compte plus, on vous fait avaler n’importe quoi. Ah ! C’est compliqué la langue !

— Surtout que la pépie est contagieuse, dit Bousquet en claquant la langue qu’il tient lui aussi du Petit Robert.

— On demandera aux Muses du TGI de Foix s’il y a un moyen de le savoir, dit Marette.

— Et qu’est-ce que tu veux savoir que je sais déjà ?

— Si c’est des perroquets, ce qu’on vous fait avaler quand on ne les compte plus ! Tu ne suis pas, Jean-Lou !

— Et té que je vous suis ! Même que je n’ai pas de monture, moi !

— Sans un colonel pour se glisser entre tes jambes, te voilà contraint de les utiliser pour marcher. Ne te plains pas trop, va. Tu as vu pire.

— Je pratique pas le flachebaque, moi !

— Tu vas me le reprocher maintenant !

— Et maintenant que quoi !

— Stop ! » ordonna Dédé.

Il dut retirer son pince-nez pour se faire entendre sans nasillements. Il le tenait entre le pouce et l’index, prêt à le remettre à sa place si la situation devenait insupportable. Bousquet avait répandu beaucoup de merde autour de lui, J’en avais la robe toute tachée. La vache avait fait un pas de côté, sans doute sous l’assiette de Dédé, mais en vain. Sa robe, déjà souillée par sa récente aventure au pays d’Hypocrinde, portait aussi les traces de cirage des souliers de Dédé dont le goût pour la brosse à reluire est bien connu, surtout si c’est Marette qui la tient.

 

Lecerf cracha devant lui, entre les débris de meubles :

« Allez vous chamailler ailleurs, pedzouilles ! J’ai d’autres chats à fouetter.

— Tu nous menaces ? menaça Marette qui brandissait son Smartphone.

— Quand je casse les meubles, dit Lecerf en soulevant sa carcasse branlante, il vaut mieux ne pas me faire la conversation. J’y dis tellement n’importe quoi qu’on se sent insulté.

— Ah ! Si tu t’en prends à mon honneur de légionnaire… !

— Pfff ! Il y a légionnaire et légionnaire. Je confonds jamais, rassure-toi, « larbin inculte »…

— Ah ! professai-je sans hennir, c’est que l’expression larbin inculte est synonyme de salaud en langage sartrien…

— J’en ai la nausée… Maintenant filez avant que je m’y remette. J’ai une vocation à satisfaire, moi. »

Mais Dédé ne donna pas le signal de départ. Marette, qui est fidèle aux soumissions qui l’ont porté là où il est, sur mon dos, proposa à Lecerf de se joindre à nous :

« Ainsi tu seras libéré de tes travaux de Sisyphe, dit-il en lisant un de mes bouquins, et tu participeras à nos propres travaux en les critiquant systématiquement si c’est ton autre vocation…

— Mais j’y suis déjà, dans l’opposition ! Et puis j’aime casser mes meubles ! Personne ne m’empêchera de continuer à les casser !

— Hé mais c’est qu’ils ne sont pas à vous, ces meubles… couina Dédé qui sentait venir l’orage.

— Sans parapluie, fit Bousquet. Et sans paratonnerre. Ah ! On est mieux chez soi ! On y élève des perroquets à l’origine contrôlée.

— Des POC ? Je n’en avais jamais entendu parler… dit le nez de Dédé.

— C’est dans mes projets futurs et réalisables pour Mazères, confia Marette en osant se pencher sur Bousquet qui venait de trahir un secret mal gardé.

— C’est ridicule ! fit Dédé.

— Heureusement qu’on n’a pas besoin de lui pour se torcher ! » gloussa Bousquet qui en mettait partout, même sur Lecerf.

Mais celui-ci menaçait de mettre notre équipée en fuite. Marette, humilié mais réfléchissant à ce que pourrait lui coûter une pareille débandade du point de vue électoral, piqua des deux sur mes jambes de devant. Je ne savais toujours pas ce que cela voulait dire. Cette fois, je ne bougeais pas. Il repiqua. Et je me cabrai pour le désarçonner.

Lecerf saisit ma crinière et me parla dans l’oreille, comme Redford. Comme j’ai toujours rêvé de faire du cinéma, j’écoutai sa proposition. Il recula enfin pour que je puisse exprimer sa requête :

« Lecerf ici présent, scandai-je comme à la messe, ne dispose pas d’une monture et ne peut donc, en tant qu’élu municipal, se déplacer sans elle.

— Reconnaissons-le, fit Dédé qui entrevoyait une issue acceptable au conflit.

— Ah mais c’est non ! devança Bousquet en lâchant les longes. Personne me montera dessus ! Je veux bien comme me voie dans cet état puisque c’est ma nature et que je n’ai rien contre la nature… Au contraire j’en profite… Mais me retrouver au niveau de ce cheval et de cette vache, ah ça non ! »

Ça giclait ! Encore une minute de crise et il devenait plus propre qu’un sou neuf. Il fallait l’arrêter avant qu’il change de nature. On ne sait jamais avec Bousquet. Il peut même devenir homosexuel si on le laisse faire. Ce genre d’homme n’a pas de nature fixe.

« Et pourtant, dit Dédé couvert de merde, c’est la seule solution… Qu’en pensez-vous, Roger, vous qui appartenez au solutionnisme ? »

Je me grattais le crâne entre mes deux oreilles dressées. En plus, ça me faisait bander. Rêvassant, Dédé me reposa la question d’une manière plus engageante :

« C’est qu’on compte beaucoup sur vous, Roger ! Sans vous, nous ne sommes plus des personnages de fiction. On retourne à la niche. Eh bien moi je n’en ai pas envie ! Même si j’habite à Paris.

— S’il redevient homme, décréta Marette comme au Conseil, j’exige une clause qui m’autorise à le monter quand je veux !

— Et moi, dit tristement la vache, on a pensé à moi… ?

— À l’abattoir ! » criâmes-nous en chœur.

Même Lecerf avait condamné la vache. Mais elle reconnut que je m’étais mordu la langue.

« Ce n’est pas le moment de vous entretenir avec les animaux, dit Dédé avec autorité. Nous avons besoin d’une monture pour monsieur Lecerf qui souhaite voyager avec nous…

— Ce n’est pas que je le souhaite…

— Mais vous venez avec nous, n’est-ce pas ? Je ne me suis pas trompé sur vos intentions ? Je peux compter aussi sur vous ?

— À force de compter, fit Marette en se grattant la langue, on va s’aventurer dans des complications mathématiques que Maths Sup c’est rien à côté…

— Je demande l’avis de Roger ! Roger ! »

Je me mis au garde-à-vous. Un réflexe hérité du service militaire. Chaque fois qu’on me crie dessus, je deviens raide. J’aime ça, que voulez-vous…

« C’est compliqué, commençai-je.

— Ce n’est pas ce qu’on vous demande.

— D’ailleurs chaque fois que c’est compliqué, fit Marette en découpant un perroquet dans la feuille d’un arbre, je simplifie. On peut toujours compter sur moi pour simplifier, d’autant que je connais du monde. C’est que je sers à quelque chose, moi !

— Tu n’as pas l’air aussi con que tu es, ironisa Bousquet en ramassant autour de lui la merde que son énervement avait répandue.

— Si je l’avais, continua Marette sur cette lancée, Roger ne serait pas contraint d’en rajouter…

— Ce qui est bien dans la tradition française d’avant la Régence. »

Je vous laisse deviner qui fut l’auteur de cette remarque plus pertinente que comprise par les autres acteurs de cette scène. Passons. Je m’appelle quand on vient alors que Louis Marette vient quand on l’appelle. C’est ainsi et personne, pas même un zoïle au service de la justice d’État, ne changera une virgule à cette heureuse réalité environnante.

 

« Nous n’avançons plus, regretta Dédé dans son nez.

— Ça ne m’a pas fait du mal de m’arrêter un peu, confessa le chasseur sans cesser de récupérer sa merde.

— Imaginez le triomphe de notre retour ! prophétisa Dédé. Ave Dédé ! Morituri te salutant ! N’es-tu pas fière de moi, ma vache ?

— Je le suis ! miaula Marette. Je te suis !

— Je le serais si je pouvais monter sur Marette, rouspétai-je, mais ce n’est pas dans ma nature.

— Oh ! On encule beaucoup en région toulousaine, mais c’est allégoriquement que ça se fait.

— Allez expliquer ça aux cancres de l’École nationale de la Magistrature…

— Quand on n’a pas les moyens intellectuels de dépasser le premier degré de l’intelligence, on devait avoir l’honnêteté de ne pas juger son prochain. »

C’était reparti pour un débat sans issue. Lecerf s’impatientait. Au début, il n’était pas chaud pour nous accompagner dans notre glorieuse croisade, mais la conversation avait quelque peu émoussé sa raideur intellectuelle. Il se sentait mou, mais non sans espoir de retrouver la turgescence nécessaire à sa victoire prochaine. Pouvait-il compter sur moi ?

« Cependant, dit-il en s’avançant avec un morceau de meuble dans la main, nous n’avons pas résolu la question de ma monture.

— Ce sera pas moi ! éructa Bousquet qui craignait d’avoir ramassé pour recommencer encore, particularité prégnante de son psittacisme.

— Loin de moi l’idée de m’asseoir sur un tas de merde !

— Qu’il en soit ainsi ! » hennis-je.

Et d’un fort coup de rein de mon invention, je projetai Marette sur les épaules de son chasseur préféré. Dédé éclata de rire et, s’accrochant aux cornes de sa vache de substitution, imita le rugissement d’une Aston Martin digne de la dynastie de Monaco. La vache me cloua sur place.

 

« C’est moi qui ai fait ces trous, » annonça fièrement Dédé.

Nous contemplâmes le lac d’assez loin, car ses rives étaient couvertes de fientes. Des canards disputaient aux ragondins la propriété des lieux. Le contenu d’un autocar s’était aussi vidé à proximité d’un lieu de restauration à base de congelés industriels qui exhibait en lettres d’or le titre de restaurant. Un ouvrier passa, éméché comme la lame de son croissant, car le bougre avait été privé de sa débroussailleuse suite à un trafic de carburant et de lubrifiant. Dédé me donna à mesurer la hauteur de la sanction pour m’en faire apprécier la justesse. L’homme salua en touchant le bord crasseux de son béret puis disparut dans je ne sais plus quelle perspective de poulailler ou de porcherie exotique.

« Sans moi, poursuivit Dédé sans descendre de sa vache, il n’y aurait rien ici que des cailloux et des herbes folles. Mais j’ai creusé ce trou ainsi que ceux dont vous apercevez les surfaces miroitantes en regardant bien à travers les fourrés où nous dissimulons notre apparence.

— Ce mauvais ouvrier n’a vu que nos hautes statures, gloussa Marette en serrant le cou de Bousquet entre ses cuisses, car il était juché sur ces épaules sales.

— Rien sur nos montures, confirmai-je moi-même bien que je ne montasse pas Lecerf.

— La vache et le cheval n’attireront pas l’attention, dit Dédé qui arrivait au bout de son calcul. Il n’y a rien de plus naturel que les animaux de la ferme dans une ferme expérimentale comme l’est la nôtre.

— Elle est surtout à moi ! » grogna Marette en empêchant les joues de Bousquet de se gonfler sous la pression d’une protestation venue du fond de son être chasseur.

Bousquet trépignait dans la merde où ses pieds et ses bottes s’enracinaient. La vache et moi descendîmes jusqu’au lac. L’ouvrier nous observait. Il avait des doutes et en assumait la philosophie en buvant à petites gorgées rapides et profondes. Nous entrâmes dans l’eau et commençâmes à rincer nos robes. Nous nous déplaçâmes pour éviter de nous retrouver dans un nuage de merde en solution. Bientôt, nos robes rutilèrent au soleil.

Plus loin, derrière les fourrés avantageux, les quatre conseillers montraient leurs torses surmontés des têtes dont la nature les avait affligés. Un peu moins de soleil en eût atténué la propension à la caricature et à la satire, mais l’astre central de notre système vital n’en faisait qu’à sa tête depuis que le bon peuple les avait élus pour domicile. Je dis « bon » pour ne pas dire autre chose. On aura compris que ce récit est un hymne à la Rhétorique et que son prétexte n’est qu’un divertissement philosophique de bonne justice.

La vache et moi nous étirâmes nos corps champêtres dans un carré d’herbes jaunes que le système de déjection de ce domaine avifaune avait épargné. Heureusement pour nous et nos nobles robes d’animaux domestiques. Il eût été pour le moins absurde de s’encrasser de nouveau. Cependant, les phénomènes inévitables de la pratique démocratique s’impatientaient.

Marette avait hâte de retrouver son perroquet, à tel point qu’il ne se souciait pas de s’emmerder jusqu’au cou avec Bousquet qui se laissait monter pour avoir du foin. Dédé et Lecerf avaient donc pieds à terre, l’un n’ayant pas exigé de l’autre qu’il le montât. Ou le contraire. L’ouvrier, perplexe malgré les effets secondaires, semblait tendre l’oreille. On voyait comment le métal de son croissant préfigurait sa plus haute terreur dans le ciel de Mazères considérée comme une réduction symbolique de la nation qui la colonisait comme l’écrivain parasite la vigne.

La vache et moi prenions le temps de sécher. Nous complotions, vous vous en doutez. Elle avait plus d’expérience en matière de cavale que moi qui n’en avais aucune. Elle risquait l’abattoir qui était le lieu de son exécution sommaire. Car elle n’avait fait l’objet d’aucun jugement autre qu’alimentaire. Elle avait plutôt intérêt à ne pas se laisser faire, tandis que j’avais trouvé dans les divers jugements affectant ma pratique de la Presse et de la Littérature de quoi alimenter mes désirs d’exécution de traits et de portraits. Nous n’étions pas taillés dans le même bois mais pour l’heure, nous avions en commun le projet d’aller nous faire voir ailleurs, quitte à trouver du nouveau.

Elle clignait de l’œil chaque fois qu’elle me regardait. Et je répondais par un étirement des commissures. Nous prenions la précaution de ne pas nous exprimer autrement. Restait à prendre la poudre d’escampette au bon moment. C’est que Marette, monté sur Bousquet, avait des chances de nous mettre la main au licol. Dédé n’aurait rien d’autre à faire, comme d’habitude. Lecerf s’en fichait tant que personne ne l’empêchait, par voie de justice ou autrement, de casser les meubles de sa maison.

Je n’avais sans doute pas compris tous les messages de ma compagne de fortune : elle détala comme un lapin, ce qui est toujours dangereux en terrain de chasse. Une fois de plus, elle me clouait sur place. L’ouvrier me tenait par la crinière, fier d’avoir anticipé les évènements avant même que je pusse trouver l’énergie d’en changer le cours. Marette, cependant, par trop de harcèlement fessier, s’était retrouvé par terre et Bousquet, courant sans cavalier pour le guider, plongea la tête la première dans le lac où la faune fut prise d’une panique telle qu’on sortit du restaurant pour assister à la noyade.

L’ouvrier, que Dédé interpellait comme un adjudant, signifia par geste qu’il ne pouvait pas être à la foire et au moulin. Il m’en étreignait plus fortement. Dédé ne savait pas nager. Personne ne lui avait appris sans bouée. Or, il n’y avait pas de bouée dans ce système. Il fallait trouver autre chose pour sauver Bousquet de la noyade, d’autant qu’il se noyait dans l’eau, ce qui n’est jamais sans conséquence traumatique si jamais le sujet se sort vivant d’une pareille offense à sa probité professionnelle. Il ne pouvait plus compter sur Marette qui rêvait, dans son inconscience acquise par chute et choc, d’un élevage de perroquet de toutes les couleurs, sauf du marron qui relevait du privilège réservé à Bousquet. Ces deux oiseaux ont toujours eu l’art de compliquer les choses au moment où il est opportun de les simplifier. Restait Lecerf, car on ne pouvait pas compter sur ceux qui arrivaient, forcés de faire le tour du lac en un temps suffisant pour que Bousquet ne s’en sorte pas.

Or, Lecerf n’était plus là. Sa présence n’avait pas été jusque-là essentielle. On aurait même pu s’en passer. Et maintenant qu’on avait besoin de lui, il avait disparu. On n’avait même pas le temps de le chercher. Bousquet vivait sa dernière minute dans le genre humain qui l’avait accepté malgré ses défauts. Il allait rejoindre les siens. Et le monde cruel ne s’en sentirait pas plus mal. Dédé, arrivé au bout de sa résistance achetée à prix d’or, secouait Marette en branlant ses membres de tous côtés et même la tête qui sonnait déjà creux à cause d’une petite fuite d’origine qui prenait maintenant une importance démesurée.

La seule solution capable de dénouer ce climax vint à l’esprit de l’ouvrier : me lâcher, à condition que j’entre dans l’eau salie par Bousquet pour l’en sortir. Nous n’avions pas le temps de discuter. Et aussitôt qu’il me lâcha, je fonçai comme un dératé dans la direction qu’avait prise la vache quelques instants plutôt. Faisant fi des appels à l’honneur et à la générosité, ainsi qu’au devoir de mémoire, je foulai au sabot tout ce que je rencontrai de faune expérimentale et migratrice. Puis, sans interrompre ma course folle, je compris soudain que je ne pouvais pas entrer chez moi sans avoir à expliquer mon comportement à l’heure d’un délit de non-assistance à personne en danger de boire de l’eau.

Ah ! Si j’eusse retrouvé la vache en ce moment cornélien, elle m’eût convaincu de la suivre dans l’espoir de changer d’existence et d’aventure. Mais je ne la vis pas. Je ne trouvai pas même ses traces. Entre bouses et sabots, elle avait dû en laisser.

Je ne sais pas si j’ai ralenti pour mieux penser. Il n’est jamais facile de se livrer à la réflexion en plein milieu de l’action. Comme l’a souligné Jean-Sol Pâtre, on pense après agir ou avant, mais jamais pendant. Ou alors on est philosophe, état supérieur de l’être qui est réservé à un si petit nombre qu’on peut le qualifier d’essentiel sans risquer de se tromper.

J’en étais là lorsque qu’un bruit familier, qui n’avait rien à voir avec les clapotements désespérés de Bousquet, ni les ronflements extatiques de Marette ni avec les caprices de Dédé qui ne supportait pas le sac de nœuds où il avait perdu ses repères érectiles — lorsque qu’un bruit que je ne pouvais pas confondre avec un autre de ma connaissance m’arrêta au bord d’une clôture qui venait d’être défoncée et gisait en se contorsionnant encore dans l’herbe mal entretenue d’un jardin d’agrément.

 

Un homme gisait plus loin dans l’allée. Un morceau de bois frémissait à ses côtés. Je reconnus un pied de table. Logiquement, Lecerf était à l’intérieur. Et non seulement il n’était pas chez lui, mais il en démolissait le mobilier. Et pour aggraver sa situation judiciaire, il venait d’agresser un propriétaire. Il n’était plus possible de le sauver, je m’enfuis.

Voilà comment je me suis retrouvé seul sans responsabilités.

J’étais en train de me préparer à une nouvelle existence quand le clairon a sonné. J’avais oublié le 11 novembre moi aussi. Je n’avais pas plus d’excuses que Marette. Lui au moins avait un perroquet à poursuivre. Nul doute que Dédé, une fois Bousquet dans l’autre monde, engagerait la population à chasser la vache pour la ramener dans son droit chemin qui était celui de l’abattoir et, sous forme hachée, des estomacs qu’il nourrissait déjà de ses arguments électoraux. Comme il n’était pas question que je me mettre au garde-à-vous avec une larme à l’œil et une étreinte anale, je me dirigeais vers la ville pour satisfaire ma curiosité.

Obsédé par les perroquets de Marette et les déjections préférées de Bousquet, entre autres particularités municipales, j’avais aussi oublié que mon plus grand plaisir, depuis l’enfance, consiste à satisfaire ma curiosité. Et j’avais tellement hâte de contempler le spectacle de cette cérémonie amputée de son Marette que je me mis à trotter avec ivresse.

Le soldat du monument, raide comme la justice qui l’avait envoyé ad patres sans autre procès, se laissait chatouiller le nez par les franges d’un drapeau accroché au linteau de cette tombe sinistre et même épouvantable. Un blason s’était mis en travers d’une couronne de fleurs plus multicolores les unes que les autres. Des confettis jonchaient le sol aux traces embrouillées. Mais pas un militaire, pas un fan ni un enfant, aucune trace familiale ni policière ni restes de nourritures festives… On avait déserté les lieux !

Immédiatement stressé par cette situation extraordinaire, je cherchai des traces de poudre, voire de sang. Mais on avait quitté l’endroit sans tragédie de ce genre. Si tragédie il y avait, elle était d’une nature inconnue de moi. J’en étais époustouflé. Même la boulangerie voisine tenait porte close.

Pourtant, le clairon reprit sa complainte d’automne. Je fis vivement le tour du monument. Un soldat se tenait debout, le clairon tourné vers le ciel, les joues gonflées. Il se donnait tellement à son refrain qu’il ne me voyait pas, alors que j’étais le seul témoin de la scène qu’il jouait. Mais pour qui jouait-il puisqu’il n’y avait personne d’autre que moi pour l’écouter ?

Je n’osais pas l’interrompre. Il faut dire que quand je hennis, je suis souvent mal compris. C’est que les gens qui se permettent d’écouter ce qui ne leur est pas destiné ne comprennent rien d’autre que ce qu’ils veulent entendre. Ils ne sont bouchés que dans un sens. C’est dans l’autre et dans l’autre seulement qu’on les autorise à voter. Avec le résultat qu’on connaît.

La situation ne pouvait pas durer. Chaque jour à sa fin. Et on approchait de midi. J’interrogeai le soldat, aussi subitement que clairement, par un hennissement qui aurait réveillé toute la ville si j’avais su pourquoi elle avait déserté.

Le clairon fit un couac. Sa bouche quitta l’embout humide et chaud. Il passa la langue sur ses lèvres encore vibrantes comme s’il se préparait à me demander des explications. Mais je pris la parole en ces termes :

« Y a-t-il, jeune homme, quelque chose de sensé pour expliquer cette situation hors du commun ? Je vous préviens que je ne tolérerai pas les arguties en vigueur en temps de paix relative. »

Le soldat, tout jeune en effet, parut terrorisé par mes propos. Ou bien ne me comprenait-il pas lui non plus et il cherchait de l’aide en actionnant le bouton d’urgence d’une application mise gratuitement à la disposition du citoyen préalablement entraîné par l’éducation nationale à se comporter civilement en cas de complication sécuritaire.

« Mais je ne suis qu’un enfant, monsieur, bafouilla-t-il. J’ai trouvé le clairon par terre. Comme je sais en jouer et que ça ne gêne personne que vous…

— Où sont-ils passés, nom de Dieu ! »

Je ne sais toujours pas pourquoi, dans les situations difficiles ou extraordinaires, il m’arrive d’invoquer ce concept indigne d’une philosophie qui rejette aussi bien le scepticisme que la conviction. Mais le moment était mal choisi pour répondre à cette question aussi épineuse que la couronne qui l’inspire.

« Ils sont venus, déclara l’enfant en essuyant le clairon avec un pan de sa chemise. Et puis ils sont partis. Ils font toujours comme ça, non… ?

— Mais Marette n’y était pas ! Qu’ils viennent sans lui, ça peut se comprendre. Mais repartir sans lui ! On n’a jamais vu ça.

— Mais ce n’est pas là non plus que vous les trouverez, dit l’enfant qui anticipait.

— Et le perroquet, tu l’as vu, le perroquet ?

— Il est retourné chez vous, monsieur Roger. C’est là-bas qu’ils sont allés. »

 

Je jetai le gosse sur mon dos, mais avant de m’élancer dans de nouvelles aventures, je pliai mon cou sur le côté pour lui demander :

« Pourquoi ne les as-tu pas suivis ?

— Ça ne m’intéresse pas, monsieur Roger.

— Tu n’as pas envie de perroquets comme ton papa ?

— Même pas d’une perruche comme ma mère…

— Comment t’appelles-tu ?

— Je suis le soldat connu. »

Évidemment, lorsque nous arrivâmes, au galop, au bord du lac, Bousquet n’était pas noyé. Il était même propre. Mouillé, mais propre. Ce qui ne signifie pas qu’il sentait bon. Mais à distance, on ne sentait rien, même si on en doutait. Par contre, Marette ne se réveillait pas.

Dédé était inquiet. Il y avait eu des témoins, mais comme ils étaient affamés, ils étaient retournés au restaurant, laissant derrière eux leurs emballages. Ils devaient être en pleine conversation critique. Lecerf les avait rejoints.

« Et le pauvre type qu’il a assommé ? demandai-je à tout hasard.

— Ce n’est pas lui qui l’a assommé. Il était déjà assommé quand il est arrivé sur les lieux. Il en a profité pour casser quelques meubles.

— Il a pas pu résister, ajouta Bousquet qui sortait de sa poche des cartouches impropres à la consommation.

— En attendant, Marette ne se réveille plus, gémit Dédé en tournant ses mains vers le ciel.

— C’est tout de même terrible ! protesta Bousquet. Maintenant qu’il dort, tout le monde veut le réveiller. Et quand il ne dort pas, on l’invite, des fois que ça lui donne sommeil.

— Qui est cet enfant ? » dit Dédé en me regardant comme si j’étais père ou pédophile et qu’il voulait en savoir plus.

Je hennis mollement. Le gosse s’exprima à ma place :

« Je suis le soldat connu, dit-il en montrant le clairon.

— Mais je le connais, ce clairon ! s’écria Bousquet qui se mit en peine pour trouver une cartouche encore en état de tuer.

— Je l’ai trouvé, dit le gosse qui n’avait pas l’intention de se laisser voiler.

— Ah ! Maudit garnement ! Tu ne sais pas que j’en ai maté de plus coriace que toi ! Laisse-moi en trouver une ! Je saurai bien m’en servir sans le fusil que j’ai perdu en m’accrochant à autre chose quand j’étais en train de me noyer au vu et au su de tout le monde.

— Vous n’avez pas vu ma vache, Roger ? »

Je me demandai bien à quoi Bousquet s’était accroché. Le bougre s’en était sorti sans trop de dommages à part la perte de son fusil. Il en avait d’autres.

« Tout le monde est parti, annonçai-je sans hennir.

— Qu’est-ce que vous voulez dire, Roger… ?

— Il veut dire, compléta le gosse, qu’ils sont venus et qu’ensuite ils sont partis. Et j’ai trouvé le clairon.

— Une panique générale ? s’inquiéta Dédé.

— On aurait pu le croire, mais ce n’est pas le cas.

— C’est dans la joie et la bonne humeur qu’ils sont partis, dit le gosse comme s’il avait compris qu’en matière politique le sous-entendu demeure plus riche en conséquence que la clarté du discours philosophique le moins couru.

— Sans moi ! » s’écria Bousquet en foulant les cartouches qui tombaient de ses mains vides.

La langue lui tirait les vers du nez. Il y avait encore beaucoup de vers dans son nez, car il avait fermé la bouche dans l’eau.

« Et moi alors ! » grogna Marette dans son sommeil, ce qui nous pétrifia.

Il n’avait pas atteint le niveau de langage de Finnegan. On comprenait parfaitement ce qu’il disait même quand il dormait.

« On va encore me le mettre sur le dos ? se plaignit Bousquet.

— On n’a pas le choix, dit Dédé qui mesurait ma selle. Tu te mettras sur la croupe, dit-il doucement au gosse. Tu verras comme c’est agréable de voyager en croupe.

— Si tu ne me demandes pas de te prêter mon clairon… » fit le gosse.

Il avait l’habitude de se soumettre. Il recula et libéra la selle. Dédé s’y installa sans me demander mon avis. Bousquet appela une cigogne, mais en vain.

« Tout de même, bougonnait-il, ce Lecerf, il est jamais là quand on a besoin de lui. J’aurais bien aimé lui monter dessus, moi !

— Il ne vous coûtera rien d’aller à pied…

— Puisque vous le dites avec des fleurs… »

Et il se mit en route avec Marette sur son dos. On fit le tour du lac. Passant devant le restaurant, nous entendîmes la voix de Lecerf qui se vantait d’avoir cassé plus de meubles qu’Arman. Ah ! Il n’agissait pas ainsi par esprit d’imitation. Il avait toujours cassé des meubles, depuis sa plus tendre enfance. On dit même qu’il en avait cassé dans le ventre de sa mère, ce qui est fort possible car c’était sa première maison. Pas de maison sans meubles, mais l’homme ordinaire n’y démolit pas le mobilier familial. Il y enferme plutôt ses secrets intimes, quand il ne couche pas avec.

« Je suis déjà épuisé, fit Bousquet en soufflant. Marette pèse un âne mort. Et pourtant il est pas mort. Et comme il sent le perroquet, j’ai le vert en travers et le foie qu’est pas droit. Et si on le jetait à l’eau, des fois que ça le réveille… ?

— Je ne sais pas nager, dit Dédé. Ni vous non plus. On ne peut pas demander ça à un enfant…

— Il va falloir que Roger se dévoue, parce que moi j’en peux plus. Je sais même pas si j’aurais la force de le jeter aussi loin.

— Roger s’en chargera, dit Dédé toujours sans me consulter. Descendons, » dit-il à l’enfant.

 

Et je me retrouvai de nouveau libre de mes mouvements et de mon destin, prêt à m’aventurer aussi loin que possible dans ce désert d’Hypocrinde. Mais je n’avais pas l’intention d’aller plus loin, en Amérique par exemple. Je me demandais si la vache rêvait d’une Amérique sans abattoirs. Je n’avais pas le temps d’y penser moi-même. L’enfant devina mes intentions et empoigna ma crinière sans lâcher les pompons de son clairon. Dédé tenta d’attirer le regard de Bousquet pour le prévenir que j’allais profiter de la situation pour les priver d’un enfant qui restait encore à éduquer, mais le chasseur prenait grand soin de Marette comme si, au fond, il ne souhaitait pas le réveiller. Le rideau aurait pu tomber à ce moment-là. Et le spectateur caché dans les buissons en aurait été quitte pour attendre qu’il se relevât.

Mais on n’était pas au théâtre. La réalité s’imposait à nous. Marette dormait et les paroissiens du 11 novembre avaient envahi mon jardin où le perroquet s’était réfugié, d’après ce qu’en disait le soldat connu. Mais pourquoi mon jardin ? Pourquoi moi ? Le gosse me fit plier la jambe et posa un pied sur mon sabot à l’équerre. Nous allions déguerpir à la vitesse de la lumière qui éclairait nos chandelles.

« Sus ! » cria le gosse et ce cri me paralysa.

Par contre il réveilla Marette qui cria à son tour :

« Sus à quoi ? Je me rappelle plus !

— Hé bé ! bégaya Bousquet en nage. Suce au vert ! Suce au vert qui guérit les oiseaux de la pépie !

— Le choc l’a rendu amnésique… » constata Dédé en saisissant le clairon que le gosse ne tenait que par un de ses pompons.

Et Dédé souffla dans le clairon. Il en sortit un son si aigu que Marette vomit. Il avait la langue verte. Je bouchai les oreilles du gosse, tout soldat connu qu’il fût. Marette se remit debout pour être mieux compris. Bousquet trouva une cartouche qui n’avait pas souffert de sa noyade interrompue.

« Hé que veux-tu que j’en fasse ? rouspéta Marette. Je n’ai pas de fusil sur moi.

— Le mien est au fond de l’eau. Je vais la mettre dans le clairon… des fois, en temps de guerre, ça marche bien les balles dans le clairon. C’est que le combat finit par changer les mœurs. On ne peut tout de même pas nous en vouloir si on est revenu homme alors qu’on y était allé comme des gosses. Retiens la leçon, petit. Et laisse-moi faire ! Ça n’a jamais fait de mal à personne. »

Et de nouveau, Dédé souffla dans le clairon. Il était tellement stressé qu’il avait les pompons sur le nez. Marette, qui ne bandait plus depuis longtemps, vérifia la tension du nez en exerçant sur lui une pression adéquate. Il s’y connaissait en pression de nez, le Loulou. Le sien se laissait presser encore, mais avec l’âge, il pressait de préférence celui des autres. Surtout s’il s’agissait de jouer du clairon.

« Il va mettre plein de salive dedans, redouta le gosse sans se démonter.

— Ne t’en fais pas, professa Bousquet, j’ai mon écouvillon dans la poche. Même mouillé, il fait son travail si on s’y prend bien. Mais il faut d’abord lui brosser le poil. On est tellement proche l’un de l’autre que de le brosser, ça me fait encore de l’effet. »

Et le clairon de Dédé sonna une troisième fois. Plus raide que Simon à l’heure fatidique, il leva son index vers le ciel comme Baptiste chez Léonard.

« Il est temps de partir, décréta-t-il. Fini les enfantillages. Sans ma vache, je n’aurais aucune excuse à opposer à mes détracteurs. Et sans perroquet, Marette ne tiendra pas plus debout que ses arguments. Et comment expliquer que Bousquet ne ressemble plus ni de près ni de loin au Bousquet que nous connaissons tous ?

— Hé ! De près il ressemble encore, dit Marette. On le sent bien. Mais il est vrai que de loin, on est en droit de le confondre avec un étranger clandestin. On pourrait lui tirer dessus, surtout qu’il a perdu son fusil et ne peut pas répondre aux provocations de l’opposition systématique qui m’attaque de toutes parts.

— Je persiste et je signe, insista le chasseur en montrant sa balle sèche : avec un clairon, je peux encore tirer. Donnez-moi un clairon et je tire !

— Mais sur qui, nom de Dieu ! »

C’est à l’invocation que vous avez reconnu ma voix… Je commençais à en avoir par-dessus la tête de ces pitreries d’élus localement identifiables. Je soulevai vivement le sabot sur lequel reposait encore le pied du soldat connu et il se retrouva avec ma selle entre les jambes. Sans fusil pour menacer notre fuite, nous pouvions encore attendre d’être compris.

« C’est un enlèvement ! protesta Marette qui aimait beaucoup les enfants.

— Il enlève beaucoup en ce moment, le Roger, fit Bousquet comme si on lui demandait de philosopher à mes dépens.

— Je garde le clairon, dit Dédé soudain prêt à jouer un rôle de premier plan dans ce concert d’intelligence. Ça peut servir en justice.

— Vous allez être enfin convoqué ! s’écria Marette.

— Comment ça « enfin » ?

— Je veux dire qu’on ne s’y attendait pas.

— Pour la broutille que vous savez… avoua timidement le nouveau clairon.

— Hé bé qué ? fit Bousquet en se crottant un peu avec ce qui traînait de fientes autour de lui.

— Divagation d’animaux domestiques… Je n’y couperai pas. Mais je garderai la tête haute. Et sans accuser Roger qui est la cause première de ce délit ! »

Il se frotta les yeux comme qui ne croit pas un mot à ce qu’il dit aux autres.

« Je ne t’en veux pas, Roger. Je paierai le prix fort. Il faut payer même pour les autres.

— Hé bé ça c’est un sacrifice ou je m’y connais pas ! » s’exclama Bousquet comme en prière au milieu des crottes qu’il foulait d’un pied connaisseur et heureux.

Mais Marette s’inquiétait en silence, luttant contre le dessèchement de son gosier. Il se serait jeté à l’eau pour en boire au moins un peu, mais la pression qu’exerçait sur lui l’angoisse d’être lui aussi un délinquant sans honneur lui arracha ces mots tragiques :

« Hé c’est qu’il divague bien un peu aussi, mon perroquet…

— Et Roger ? cria soudain Bousquet en puant de la bouche. Il divague pas, peut-être, le Roger. Avec ses gros sabots qu’il divague ! Et regardez toutes les traces qu’il laisse dans notre terre natale ! Il menace notre Histoire municipale avec ses divagations ! Laissez-moi mettre une balle dans votre clairon, monsieur Dédé ! Et je vous le transforme en silence éternel sur le champ ! Et dans la merde de mes oiseaux ! Que j’en ai beaucoup, des oiseaux ! Et que ça chie assez pour recouvrir éternellement les divagations de cet animal de trait et de portrait ! »

Disant cela, il s’était jeté à genoux dans un tapis de fientes fraîchement extraites des plus beaux anus migrateurs que le monde de la chasse eût connu. Il s’en couvrit la tête comme s’il était déjà dans son rôle de pleureuse à l’enterrement de la Presse et de la Littérature.

« Et même pire ! ajouta aigrement Marette pour sauver son commis troupier de l’emmerdement qui vaut une noyade. Non seulement il divague, le Roger. Mais il ne divague pas seul. Sauvez cet enfant des divagations de Roger ! Ne le laissez pas pourrir l’âme de nos enfants chéris ! Faites-le taire ! Et que justice soit faite, bordel de Dieu ! »

À ces mots, Dédé emboucha le clairon du mauvais côté de sa personne.

 

En moins de temps qu’il n’en faut à l’oreille pour distinguer le pet du clairon, Dédé était rentré à Paris. Sans vache ni rupin, nos deux échevins, ravis de n’avoir plus rien à poursuivre, ce qui devenait imbuvable, s’engagèrent sur le chemin qui conduisait à ma maison. Ils y étaient, nous criait-on des fenêtres, attendus par un parterre d’uniformes et de tapis, car le perroquet s’était perché sur mon écritoire. Celui-ci était visible si la fenêtre de mon bureau était ouverte, ce qui était le cas en ce jour du 11 novembre. Personne, au passage, ne me demanda pourquoi je l’avais laissée ouverte alors que je n’étais plus dedans. On m’assura que Lecerf n’était pas apparu pour profiter de l’occasion.

Comme Bousquet avait pris soin de se couvrir de merde d’oiseau qui vaut bien toutes les autres même si on regarde d’assez près pour en mesurer les nuances olfactives, Marette avait consenti à remonter sur ses épaules pour le faire avancer plus vite, car le piqueur avait tendance à s’endormir sur les lauriers municipaux et particulièrement sur ceux que Marette avait décrochés dans le voisinage.

La perspective d’un perroquet n’était pas étrangère à leur entrain d’autant que ce volatile vert aux apparences liquides expliquait leur rendez-vous manqué avec la mémoire due à l’Être suprême qui conduit les peuples dans les impasses de la guerre et du crime contre l’humanité.

Je suivais avec le soldat connu sur mon dos. Il maniait le clairon comme personne, le faisant tournoyer dans sa main comme un cow-boy hollywoodien sa Winchester à canon scié. Il en jouait moins bien avec sa bouche, mais personne ne demande à un enfant d’imiter Montgomery Cliff alors que Jos Randall est à la portée de ses gènes.

Je ne sais pas si Lecerf nous avait devancés, mais nous dûmes reconnaître que le bruit de démolition qui traversait les murs d’une maison voisine de la sienne ressemblait fort à ceux qu’il avait pour mission divine de produire dans le but de dissimuler les faiblesses de ses objectifs politiques.

Nous ne nous arrêtâmes cependant pas, car l’heure avançait et nous craignions d’arriver après la capture du perroquet par des gens aussi expérimentés en la matière que des militaires en service et des anciens combattants. Le clairon nous annonça.

La foule compacte des officiants se scinda pour nous ouvrir le passage. Marette, prenant appui sur le mur percé de la fenêtre où le perroquet se distinguait nettement d’un flacon d’eau de source destiné à humidifier mes pensées, se jucha sur les épaules de Bousquet afin de haranguer les paroissiens sans avoir à s’égosiller au risque d’effrayer le prudent perroquet qui avait élu domicile chez moi et pas ailleurs à Mazères, détail qui devait, selon l’édile, avoir son importance.

On invita le soldat connu à cesser d’interrompre le discours en soufflant dans son clairon. Un clairon que personne ne reconnaissait pour sien, ce qui facilita l’appropriation. J’évitais de hennir pour ne pas me faire remarquer. Je m’étais arrêté devant mon propre portail.

« On ne descend pas un perroquet, commença un Marette très écouté, sans en avoir descendu beaucoup avant, d’autant que ce qui s’est passé n’a pas laissé de traces comme l’affirme mon chirurgien. Seul compte le dernier perroquet, celui qui sera suivi de bien d’autres si on ne s’y prend pas comme un manche, ce qui arrive aux débutants, si on admet qu’il y a un début à ce qui n’a pas de fin.

» Je ne vous apprendrai rien en affirmant ici que sans l’honneur qui me caractérise aucun perroquet ne serait entré dans mon existence sans risquer d’être renversé par la circulation qui déforme nos chaussées avec ce qui se trouve dessus si on n’y prend garde.

» Je veux dire par là, au cas où je serais mal compris, que je n’ai jamais agi dans le dos des perroquets. Je les ai toujours regardés en face, les yeux dans les yeux et le doigt sur la détente.

» Lever le vert n’est certes pas plus difficile que de lever un lièvre. Je ne dis pas le contraire, mais moins on le lève haut et plus il a de chance de s’en sortir pour revenir aussitôt plus vert que jamais. C’est un conseil que je donne à la jeunesse : l’honneur sans médaille ne vaut pas plus cher que ce qu’on perd à ne pas boire à sa santé.

» Je vois d’ici la levée de boucliers des opposants systématiques ! Et le rouge ? Que faites-vous du rouge, Monsieur le Maire ? Et le blanc qui va si bien à nos communiantes solennelles ? Pour obvier à toute critique systématiquement opposée à mon style, j’y ajoute le bleu de notre drapeau national ! Et le tour est joué !

» Mais revenons au vert qui marquera à jamais la mémoire éternelle de ce grand jour. Le vert sans perroquet, ce n’est plus du vert. Et le perroquet sans vert c’est du gâchis ! Je ne tolérerai pas que les partisans de l’incivilité se servent du perroquet comme prétexte pour le jeter par terre où il n’a aucune chance de servir à quelque chose d’utile ! Tout perroquet conçu à Mazères le sera dans le vert ou ne sera pas ! C’est moi qui vous le dis ! Et vous savez que quand je dis quelque chose, je me répète !

» Il n’y a pas de raison de se laisser faire par les anarchistes ! Je suis le seul et unique protecteur de la nature. Je le proclame haut et fort ! Le vert, c’est mon domaine. Et j’interdis qu’on me conteste le droit d’être le dépositaire de ses perroquets.

» Ayant toutefois distingué le perroquet du perroquet et le vert du verre, j’autorise la population à m’imiter. Je me donne en exemple ! Je fais don de ma personne ! Je me sacrifie sur l’autel où le perroquet saigne vert ou n’est pas un perroquet. Quoique qu’un peu de rouge et de blanc, pourvu qu’on se réclame du bleu pour le pousser devant en cas de durs combats, ne dépareillent pas si l’interruption se limite à lever le vert pour se resservir.

» Chers amis et complices, vous allez assister aujourd’hui, en ce grand jour de la mémoire et du devoir qui font bon mélange, au rite que je propose comme conclusion de toute cérémonie du genre : la descente du perroquet !

» Je souhaite, pour le bien des générations futures qui n’auront ainsi rien à nous reprocher, que cette descente devienne une tradition et que jamais le citoyen ne soit pris en flagrant délit de s’y soustraire par opposition systématique !

» Il faut que justice soit faite ! Et une fois faite, il faut en reconnaître le droit à recommencer autant de fois que nécessaire. Car en quoi consiste le nécessaire, mes amis, s’il ne veut rien dire ? Je vous pose la question comme je me la suis posée avant d’entrer dans le confessionnal pour de bonnes raisons. Un perroquet guérit de tout ! Et s’il faut encore le descendre, n’hésitons pas à nous donner raison !

» Je vais maintenant, grâce aux solides épaules de mon compagnon coloré comme il convient, descendre ce perroquet devant vous ! Ouvrez bien vos yeux, vous les jeunes qui n’avez encore rien vu ! Et voyez comme je mérite des médailles ! Après avoir grimpé sur cette fenêtre glissante, j’entrerai dans le bureau glissant de Roger et, retenant ma seule respiration, le glisserai sous le perroquet pour l’obliger à descendre. Mais attention ! Il ne descendra pas tout seul ! Il ne descendra pas sans moi ! Pas question de le laisser échapper cette fois.

» C’est ainsi que pour éviter toute nouvelle poursuite inutile, je fermerai la fenêtre derrière moi. Vous me verrez descendre à travers le verre. Vous n’entendrez peut-être rien, mais je vous laisse le plaisir de découvrir vous-même le bruit charmant que fait le perroquet quand il descend de son vert pour rejoindre la profondeur tellement profonde qu’il en faudra plus d’un pour la remplir si possible à ras bord.

» Mes amis, garde à vous ! Et silence dans les rangs ! Votre maire s’apprête à sacrifier un perroquet sur l’autel de l’honneur. »

 

Comme la fenêtre était ouverte, Marette n’eut pas à se forcer beaucoup pour mettre le pied dans mon bureau. Il referma aussitôt les battants derrière lui. Le soleil nous épargna des reflets qui eussent soustrait les gestes de l’édile à notre attention déjà assez crispée sans ça. On me demanda si je n’avais rien à dire à ce voleur de perroquet, mais je rétorquai que je ne possédais aucun perroquet et que celui-ci était rentré chez moi sans ma permission.

Nous fûmes nombreux à assister à la descente du perroquet. Il fut rapidement descendu. Marette, ouvrit la fenêtre pour exhiber le cadavre transparent. Il y avait bien encore un peu de vert sur les parois, mais nous n’étions pas exigeants à ce point. Nous nous attendions à voir le vert voler en éclat devant nos pieds agités. Marette, cependant, l’étreignait pour la photo. Le type de la Dépêche ployait et déployait son zoom dans un bruit de fermeture Éclair. Il n’y a pas de Presse locale sans caresse de projet personnel.

Le soldat connu se dressa sur ma selle pour entonner un cri de victoire. Les poitrines haletaient, secouant les ors et les rubans. La casquette de la préfète vola au-dessus de nos têtes. Quand soudain…

Soudain le cadavre du perroquet, dans la main de Marette, se mit à gigoter comme si la mort l’animait encore. Il n’avait pas mis longtemps à quitter ce monde, tant Marette avait soif de nous impressionner durablement. Ses nerfs voulaient encore s’accrocher à la vie. Mais ce qu’il empoignait dans ses griffes d’oiseau mort, ce n’était que la réalité. Il ne se distinguait pas des autres morts en ce sens. Le passage de la vie à la réalité ne dure jamais beaucoup, mais il arrive que l’un résiste plus que l’autre.

Croyez-vous que Marette eût saisi l’occasion pour commenter l’évènement en termes électoraux ? Au contraire, il parut effrayé.

Nous nous regardâmes sans comprendre. Le soldat connu mordillait les pompons de son clairon. Même les médailles cessèrent de se distinguer des simples boutons.

Alors Marette diminua. Je rappelle qu’il était à la fenêtre, laquelle nous privait de tout ce qui se situait en dessous de sa ceinture. On ne voyait plus que sa tête épouvantée, comme si elle reposait maintenant sur le rebord de la fenêtre.

« Hé putain ! fit Bousquet. Qu’est-ce qui lui passe… ? »

Il s’en passait des choses dans mon bureau investi d’autorité par le maire de Mazères ! Il exhaussait le perroquet comme un calice. Et l’oiseau sortait de la mort aussi vite que Marette l’y avait fait entrer. Vous souvenez-vous de l’ange qui nous apparut au début de ce récit ? La question n’étant toujours pas de savoir s’il était mâle ou femelle, il se posa sur le rebord de la fenêtre, nous bénissant de son urine ou de son sperme.

La main de Marette s’ouvrit, comme contrainte par une puissance supérieure. Le perroquet allait-il se fracasser sur mon plancher, le mur de ma maison le soustrayant à nos regards ?

« Mais qu’est-ce que ce pitre est encore en train de nous faire ? » grogna quelqu’un qui ne semblait pas systématiquement opposé.

La main une fois entièrement ouverte, le perroquet agita ses ailes pour se maintenir en l’air, à l’endroit exact où Marette l’avait lâché contraint et forcé. Cette fois, la foule précipita ses genoux sur la chaussée. On n’entendit aucune plainte. L’ange projeta encore un jet liquide qui pouvait être vert mais le soleil en irisait tellement la parabole qu’il parut à nos yeux aussi beau qu’un arc-en-ciel.

Marette ne singeait pas. Mais avait-il singé en descendant le perroquet ? Et celui-ci se posa sur l’épaule de l’ange. Allait-il nous faire un discours ? Où était le curé ? Personne ne voulait rien rater du spectacle. Tant pis pour le curé ! Et pour ajouter au miracle, j’étais redevenu homme. Et le soldat connu était redevenu inconnu. Et Bousquet, qui n’était rien redevenu, chantait des louanges sans avoir soif. On vit des militaires redevenir aussi courageux qu’avant le premier combat et des policiers aussi fidèles que leurs chiens. Des maîtresses d’école redevinrent maîtresses. Mazères sentait le miracle à plein nez. Heureusement que l’évêque de Pamiers n’était pas là, sinon il n’y aurait pas cru et aurait fait venir son exorciste de service.

Voilà comment se termina ce récit. Le perroquet, tenant la main de l’ange, s’envola avec lui dans le firmament, poussé par un petit nuage cotonneux qui enveloppait leurs saintes plantes. Nous touchions enfin le bonheur. Marette était tellement ivre qu’il voulut sauter par la fenêtre pour se recevoir par miracle sur le sol dur et froid de mon parking.

Alors la voix de Dieu, qui ressemblait étrangement à celle de Dédé Trigano, descendit du ciel pour nous dire :

« Ce n’est pas le messie, bande d’idiots ! Il n’est pas encore né celui qui donnera raison à Moïse ! »

 

Aquí sí que se declaró bien la divina asistencia —ponderó Critilo— en disponer, no sólo los puestos y los centros de las cosas, sino también los tiempos. Sirve el día para el trabajo, y para el descanso la noche. En el invierno arraigan las plantas, en la primavera florecen, en el estío fructifican y en el otoño se sazonan y se logran. ¿Qué diremos de la maravillosa invención de las lluvias? Baltasar Gracían - El Criticón

 

 

Louis Marette connut d’autres perroquets. Outre le vert, dont il fut question plus haut, le rouge et son pendant le blanc, le noir même, avec ses reflets roses ou gris, le marron des jours de chiasse et le bleu du travail mal fait. On le vit dans le prisme de Newton comme dans celui de la perception.

Or un soir, de retour d’une virée providentielle qui provoqua maints agenouillements de la maréchaussée, Louis Marette regarda dans le prisme.

Et ce qu’il vit lui donna tant soif qu’il but.

Mal lui en prit ! Tant de voir que de boire !

Car Dieu, qui est toujours là quand il ne faut pas, lui révéla la vraie nature de son utilité (celle de Louis Marette) en ce monde qui ne peut plus s’en passer depuis que l’être humain a le choix entre le saucisson-beurre et le hamburger.

« Ma foi, se dit Marette (car il en avait une grande et une petite selon l’auditoire), ce que je vois doit bien exister puisque je le vois sous l’emprise d’une substance capable d’ouvrir les portes de la perception. J’ai pas lu Aldous Huxley, mais je l’ai rencontré dans un confessionnal… »

Il entendait même la voix de Jim Morrison qui lui disait ceci :

« Louis, tu es Louis !

— Mais c’est que je ne sais pas qui tu es toi-même ! Tu es bien chevelu comme Jésus, mais je crains de ne pas comprendre…

— Après Jésus, Louis ! Je m’appelle bien Jim ! »

Disant cela, sur le ton qu’on imagine sans plus de style, Jim se fraya un chemin dans le spectre qui apparaissait dans toute sa splendeur newtonienne. Marette recula, effrayé par cette soudaine déformation visuelle bien plus effrayante que celle qui affectait son pare-brise quand il rentrait chez lui après avoir levé le coude.

« La vérité n’affecte que les menteurs et les hypocrites, continua Jim. Voici ce qui est arrivé… »

Et Jim, qui n’était pas le nègre de Huck, mais celui de Dieu, ouvrit grand sa rabelaisienne braguette dont il exposa le contenu. Marette en perdit ce qui lui restait d’équilibre. Heureusement, la main de Dieu le sauva d’une chute à la renverse qui l’eût éloigné du prisme et mit fin à cette vision stupéfiante. Et l’œil de Marette, un instant séparé du prisme, se recolla dans sa lunette. Ce qu’il vit le remplit d’une foi comme il n’en avait jamais connu.

 

La goutte perlait comme rosée du matin sur le fil à linge. Jim secoua alors ce qui lui restait de prépuce et le Grand Collecteur usa de son souffle serein pour porter la goutte sur la langue de Marette qui la claqua contre son palais. Il ne sut pas si c’était saint Emilion ou Blanc saint qui lui enseignait déjà à s’exprimer comme un prélat destiné à la prophétie.

Mais comme il était encore lui-même, il craignit d’avoir à souffrir de cette procédure somme toute ordinaire tant elle avait, par le passé et encore à venir, changé l’existence de tant d’innocents en relique de l’œuvre papale. Il se mit à gémir, un peu comme le rêveur pris au piège du sommeil profond et qui ouvre les yeux dans l’obscurité de sa chambrette.

« Je ne suis pas Louis ! Je ne suis pas Louis ! » hurla-t-il dans le crépuscule de la route qui mène de Saverdun à Mazères quand la coupe est pleine.

Le diable se débattait, l’œil collé au prisme qui semblait, vu de loin, enchâssé dans la bouche d’ombre du poète.

« Mais enfin, Loulou ! beuglait Jim Morrison dans son micro, tu es destiné ! Tu es destiné ! »

Marette grogna comme s’il tenait un fusil à la place du prisme. Il en ouvrit l’œil qui n’était pas dans la mire. Ce qui coupa net son effort : cet œil ne voyait rien. Il le referma dans la précipitation et y pressa un de ses pieds, car ses mains étaient occupées, l’une sur la détente et l’autre sous le fût. Ah ! il se serait sorti de ce saint pétrin s’il avait été en chasse ! Mais il n’y avait plus de perroquet en vue. Il ne chassait pas ; il était trop destiné pour ça désormais. Il laissa ses mains retomber dans ses poches. Le prisme, de toute façon, était fermement tenu par la main du nègre de Dieu, lequel serviteur exhibait la goutte perlant dans le rayonnement que le prisme offrait au crépuscule en formation dans les platanes. Marette se servit de son œil vacant pour mesurer cette profondeur jamais vécue de son vivant. Il avait peut-être trop bu et il était en train de passer. Ses jambes, pliées à l’équerre, s’entrechoquaient sans toutefois produire le son qui permet au connaisseur de savoir si les deux verres sont pleins ou vides. Visiblement, l’édile avait changé de décor. Il se passait quelque chose d’inhabituel. Or, Jim parlait de destinée, usant d’une poésie digne d’Alfred de Vigny si Marette en avait déjà entendu parler. Jim se fichait de savoir si le maire de Mazères avait des références littéraires. Le moment était mal choisi pour en juger. Il resserra son emprise autour du prisme qui éjecta une étincelle.

« Aïe ! » fit Marette en prenant soin de ne pas s’en plaindre.

Il n’en ferma pas moins son œil. L’étincelle, tout électrisée de divins pouvoirs sur l’esprit en proie aux effets de la soif, repoussa doucement les paupières et c’est dans cet interstice que Louis Marette, bavant de culpabilité, estima que la goutte que Jim exhibait à son attention ne contenait rien de l’héritage paternel au sens civil du terme. Il vit à quel point c’était possible !

« Mon père ! » s’écria-t-il.

A ce cri, Dieu s’ébroua. Il poussa même un hennissement pour témoigner de la pertinence des écrits de Tolkien. On l’appelait ! Et de divine façon !

Jim s’interposa :

« Il veut dire SON père, » souffla-t-il dans l’éternelle oreille.

Dieu se calma et les feuilles des platanes de la route Saverdun-Mazères cessèrent de s’agiter. Le temps n’était pas à la brise qui annonce l’orage, jugea le puissant horloger de l’univers (si c’était lui…)

« Mais je SUIS son père ! murmura le seul, l’unique.

— Il ne le sait pas encore… fit Jim un peu contrit.

— Sa mère est sa mère toutefois, dit Dieu en guise d’explication définitive. Nous l’avons déjà dit, réaffirma-t-il.

— Avec Marette, dit Jim un peu sournoisement, il vaut mieux répéter… Psittacisme du verre… ou du vert, je ne sais plus…

— Soit ! dit le seigneur des lieux que nous habitons quand il s’absente. Que cela soit répété ! »

Et Jim, gonflant sa poitrine noire de poils, répéta :

« Louis ! Tu es Louis ! Cette goutte, jadis Dieu lui-même la plaça dans la matrice de ta mère qui n’était pas une sainte, certes, mais dont tu te montras digne tout au long de ta propre existence. »

 

On en serait resté là si Louis Marette n’avait pas aperçu, dans la broussaille de la route qui chemine entre Saverdun et Mazères, comme l’ombre verte d’un perroquet de fond de verre. Pas facile, reconnut Jim, de faire la différence entre le vert d’un feuillage et celui d’un verre dont le contenu revêt la même vibration optique. Mais Louis Marette connaissait cette science comme s’il l’avait inventée.

Cependant, afin de ne point agacer le maître incontesté de l’univers (si l’on s’en rapporte aux ragots évangéliques), Marette ne quitta pas son œil du prisme et s’approcha de l’objet de sa soif uniquement par mécanisme optique, car le prisme, comme fusil, en était pourvu. Il actionna la bague dans le sens des aiguilles d’une montre et son œil pénétra le vert embusqué dans la broussaille.

« Eh putain ! s’écria-t-il. Je me suis pas trompé ! C’est un perroquet ! Ce qu’il en reste toutefois ! Si vous permettez, Seigneur…

— Tu as assez bu ! » grogna Jim en ordonnant à son orchestre trois secondes de cacophonie étudiée de longue date pour secouer les molécules étrangères à la composition ordinaire du cerveau.

Marette en conçut une grimace épouvantable, surtout de profil. Dieu grimaça aussi, mais à sa façon.

Jim revêtit son aube à ce moment-là. Louis Marette, étonné et même surpris, n’avait pas vu passer la nuit. Il sortit du fossé, le prisme collé à son œil. Son auto, immobile, gisait dans le même fossé, mais au pied d’un platane. Les feuilles affaiblies par l’été finissant avaient presque toutes chuté dans l’herbe non moins décolorée. Heureusement pour l’esprit de Marette, qui avait pensé vivre ses derniers instants au cours de la nuit, le prisme jouait parfaitement son rôle d’intermédiaire entre la réalité et ce qui est. Jim aussi était là, tout illuminé par les premiers rayons du soleil. Son ombre traversait la route et finissait dans le fossé opposé.

« En parlant d’opposition… fit Marette pour changer de sujet car celui-ci commençait à le mettre mal à l’aise.

— Il n’y a pas d’opposition qui tienne ! gronda Jim en ordonnant un autre rif de cordes et de peaux électrifiées. Tu es Louis et Louis tu resteras !

— Et si je veux pas ? protesta Marette tout en s’assurant que le prisme n’avait pas quitté son œil.

— Seul le Roi dit « je veux », scanda le maître des Portes.

— C’est vrai… » fit Marette en baissant la tête, ce qui anima le monde caché des herbes folles sous ses genoux.

Il se mit à réfléchir, l’autre œil fouillant la broussaille où le perroquet caquetait encore car personne n’avait touché à son verre. Il ne se passa pas une minute, ni trente secondes, peut-être pas même une… sait-on ce qui se passe vraiment quand Dieu s’en mêle et que le mal est déjà fait ? D'ailleurs, la mère de Marette, morte depuis longtemps, n’apparut pas comme il est de coutume. Rien n’apparaissait ! Même Jim avait rangé la goutte et tout son bazar dans sa panurgienne braguette.

 

L’œil était dans le prisme ! Pas ailleurs ! Et il le regardait !

Pas moyen de s’en défaire ! D’autant que Jim veillait au grain.

Ce JB des temps modernes en savait long en matière de prisme. Ça giclait, non pas dans tous les sens comme on pisse, mais selon ce qui parut relever, dans l’esprit de Louis Marette, d’une mathématique digne de l’ectoplasme de Grothendieck en phase terminale. Il y en avait de toutes les couleurs. Et ça chantait chacun sa chanson. Ça en faisait des expériences existentielles !

« Ils peuvent pas en dire autant ! » beugla Marette en caressant du bout de son index tremblant la tactilité de son écran obstinément noir ou éteint selon qu’on parle du cerveau ou de sa mort.

JB (appelons-le comme ça) observait le maire de Mazères empêtré dans les rayons de sa bicyclette, laquelle était fournie gracieusement par Dieu lui-même pour pallier le défaut de véhicule. D’ailleurs, une brigade d’anges célestes s’employait à hisser ledit véhicule sur un diable.

Louis Marette actionna la sonnette comme s’il revenait en enfance. Il dévissa la selle et s’appuya sur les pédales. Heureusement, JB assurait l’équilibre de l’ensemble, ce qui n’eût pas déplu à Alexandre. Sur le guidon, à l’endroit où se rencontrent la perpendiculaire au roulage et la verticale de la direction elle-même positionnée à angle droit de la direction imprimée par la manœuvre de JB, le prisme scintillait dans la paupière excitée de l’édile.

Ainsi harnaché, l’ensemble Marette-vélo-prisme s’arracha à la gravité de la situation et prit la direction de Mazères. Les anges achevaient leur travail par l’assujettissement du véhicule primaire au châssis d’un autre moyen de locomotion qui s’apprêtait à quitter les lieux. Des pandores immobiles chuchotaient non loin.

Et Louis Marette entreprit, guidé par JB mais ne le sachant pas, de rentrer chez où il a les mêmes habitudes, mais avec plus d’entrain. Déjà, la route lui sembla longue. Il fit une pause bien méritée en passant devant les képis qui s’offraient à une éventuelle régurgitation de couleurs prismatiques. Eux non plus ne voyaient pas le baptiste. Et Marette passa sans perdre une goutte.

Un peu plus loin, à l’ombre horizontale qui traversait la route perpendiculairement, il stoppa net, ce qui surprit l’accompagnateur de ce périple tandis que l’œil se séparait brusquement de son prisme et que l’absence de selle se faisait sentir tout aussi profondément. Le maire de Mazères poussa un petit cri dans le genre pleureuse de Meursault, mais son esprit était trop occupé à réfléchir pour s’en apercevoir. Il pensait soudainement à l’étrangeté de la situation, tout haut :

« Je suis venu, j’ai bu, j’ai vu, murmura-t-il comme dans un goulot qui s’achève sans rien dedans. Et j’ai quelque chose dans le cul. Quelque chose de dur qui m’empêche de me plier sur moi-même comme il est d’usage de le faire quand il s’agit de mesurer l’urgence de la situation. Je suis tellement mal que je n’arrive pas à me dépêcher d’arriver. Si je continue comme ça, quelqu’un arrivera avant moi et il faudra que j’explique pourquoi mon auto est chez le garagiste. »

Comme il parlait de la sorte, le prisme clignota. Il était en verre mais ne contenait pas les couleurs comme un verre contient ce qu’on y met. En voilà une profondeur de réflexion !

« Il ne me manque plus que la couronne de pines ! » s’écria le maire de Mazères qui avait appris cette grossière interprétation homophonique dans la cour d’une école où il s’entraînait déjà à différencier les couleurs selon leurs degrés d’intensité.

Il ne s’aperçut même pas que sa langue avait fourché.

 

La côte n’était pas pentue, mais JB n’en éprouvait pas moins le degré. L’anus coulissant sur sa tige d’acier, portant la selle en guise de béret et l’œil dans le prisme qui proposait à la langue de s’exprimer sur le terrain de la pédale, Louis Marette s’arcboutait comme s’il était le siège de l’effort que produisait le Door sans le clavier de Manzarek.

« Si Dracula me voyait ! s’écria l’édile.

— Si Dieu ne me voit pas, grogna JB, c’est qu’il n’existe pas.

— Blasphème ! Et contre-vérité. Si Dieu n’existait pas, j’aurais vu le platane et j’aurais traversé le champ du possible sans me plaindre de la soif.

— Si vous saviez ce qui va vous arriver…

— Je ne veux pas le savoir ! Les voies de Dieu sont impénétrables.

— Finissez-en avec cette cour d’école, potache ! Lords ! New Creatures !

— Oh ! J’essaie d’éviter les platanes !

— Non ! C’est moi. »

Jim, dit JB parce que tout commençait avec lui, se mit à fredonner un de ses succès, le souffle court car la côte penchait du mauvais côté depuis qu’ils avaient franchi sa ligne médiane. Le La lui manquait encore, mais il avait une mission à accomplir. Il avait été payé pour ça. Au début, il n’avait rien à voir avec les Doors, mais il s’était pris au jeu et maintenant ça ne lui déplaisait pas d’être pris pour un autre. Il ânonnait. Du sang de grison coulait dans ses veines. Marette, pourtant très occupé à apprécier l’effet des couleurs sur sa conduite, voulut changer de conversation, car il ne voyait pas où celle-ci allait le conduire.

« La théorie veut que les mélanges assomment leur homme, argumenta-t-il. Eh bé non ! J’en veux pour preuve que je sais encore distinguer le rouge du blanc. »

Il se sentit soudain très fier de posséder un pareil pouvoir sur les autres. Il pouvait même voir très nettement la limite exacte du noir et du blanc aussi bien que celle de ce même noir avec le rouge.

« Et pareil pour le jaune et le vert ! triompha-t-il en accélérant dans sa tête, car la bicyclette n’avançait plus malgré la sueur de Jim qui s’époumonait maintenant au lieu de fredonner comme en bas de la côte. Putain ! poursuivit Marette sans compatir, pour une côte, c’est une côte ! On n’en voit pas la descente. En parlant de descente…

— Oh ! Taisez-vous ! Gros plein d’être ! J’ai rien demandé, moi ! On m’a forcé ! Sinon je la descendrais maintenant, cette putain de côte !

— Hé té ! gloussa Marette, c’est que je suis destiné. À quoi, j’en sais rien. C’est vous qui le savez. Mais vous ne dites rien.

— Pour une surprise, c’est une surprise !

— Je serais ravi d’en être surpris plus qu’étonné… »

Jim gémit une parole, mais sans l’air, ça ne valait plus rien. Et une seconde plus tard, il recommença à gémir, mais sans se soucier de l’air, ce qui se fit entendre :

« Mais putain de maire à la con ! rugit-il sans cesser de s’arcbouter. Vous serrez le frein ! Ce conard d’élu me serre le frein ! Et on n’avance plus ! Forcément !

— Tout s’explique… » constata Marette comme au confessionnal.

Et comme il allait cesser de faire pression sur la poignée concernée par son erreur, Jim d’un saut passa devant la bicyclette, serrant la jante et son boyau entre ses genoux tétanisé.

« Serrez ! Mais serrez donc, salaud sartrien ! Sinon on va descendre ! Et dans le mauvais sens ! »

Mais il était trop tard pour expliquer. Marette ne commençait même pas à comprendre. Il lâcha la poignée. Le vélo entreprit de continuer son effort dans l’autre sens. Dans le sens de l’accélération, lequel est toujours bien plus difficile à maîtriser dans le… sens commun. Il perdit les pédales, la selle glissa sur son front, lui donnant l’air d’un Apache de la rue Quincampoix, et son anus se laissa aller au plaisir d’une profondeur dont la mesure ne trouvait d’explication que dans le sens newtonien de l’oblique descendante. Quelque chose se passait entre le prisme vissé dans l’axe du guidon et la tige nécessaire à la fixation de la selle. « Ça faisait, se rappela plus tard Jim Morrison à l’heure de sa mort, new ton new ton et je glissais sur mes semelles en proie à la fusion de l’asphalte, en direction de Saverdun maintenant, car on s’éloignait de Mazères. À quel endroit de cette route fameuse ? On se demande. »

 

« L’Enfer, c’est Saverdun, expliqua Louis Marette à Jim Morrison qui avait mis son bras dans les rayons de la roue avant pour arrêter la bicyclette descendante. Mazères, c’est en haut. On ne s’étonnera donc pas d’y trouver le Paradis.

— Sauf si c’est le contraire, suggéra la grimace douloureuse de Jim qui perdait du sang à la jointure. Des fois, c’est le contraire.

— Et d’autres fois, c’est le contraire du contraire, gloussa Marette en secouant la crète de son intelligence limitée. Je me rappelle parfaitement qu’on avait pris la direction de Mazères. Et ça montait… Donc Saverdun est en bas. Et on y va ! De plus en plus vite ! Que si ça continue, on va passer sur le corps de Calléja. Déjà qu’il m’en veut… Mais bon… à la vitesse qu’on y arrivera, on n’aura pas le temps de s’arrêter…

— C’est un effet d’optique, gémit le Door en se mordant l’intérieur des joues. Ou d’abus de prisme… Jamais route ne monta à Mazères ni ne descendit à Saverdun. On est sur le plat et on se fait l’idée qu’on descend alors qu’on veut monter…

— Oh moi, la psychanalyse… » fit Marette avec dédain.

Mais malgré ce que l’esprit de Jim entrevoyait, la bicyclette descendait et les emportait vertigineusement vers Saverdun. Dieu n’avait pas prévu ça ! Mais qu’avait-il prévu, cet impénétrable devant… devant quoi ?

Le véhicule ainsi monté dévalait la pente malgré la géographie des lieux dont on savait qu’elle était aussi plate que la poitrine d’une enfant de dix ans et un mois. Mais on avait beau se raisonner avec force, ça descendait du côté où on allait. Et ça montait du côté où on voulait aller parce que Dieu avait prévu de crucifier Marette, son deuxième fils de sa chair en expansion, sur la place publique de Mazères à la place des pissotières municipales. Jamais Dieu n’avait parlé du même crucifiement en place de Saverdun dont les pissotières sont aussi des pissotières, mais pas à Mazères !

Et pendant que Jim, nouveau JB, se livrait à ces réflexions more geometrico, ça descendait de plus en plus vite, selon la volonté de Dieu, certes, mais pas dans le bon sens. On s’éloignait de ce pourquoi on était venu après avoir passé une nuit agitée, façon Joseph K. Épouvanté à l’idée de finir son existence de poète dans la même pâtée que le maire de Mazères, avec peut-être du Calléja dedans, ce qui forçait l’odeur, Jim pensa à se désolidariser de l’ensemble qui allait exploser en arrivant au terminal, car il y en avait forcément un.

Mais à quoi pensait ce Dieu dont on ne sait même pas s’il existe ? Il avait pourtant bien précisé qu’il fallait « monter » à Mazères. Il n’avait rien dit sur le degré de la pente, certes, mais si Marette n’avait pas freiné, que se serait-il passé alors qu’on n’avait pas encore gravi le moindre degré ? Les faits démontraient maintenant que sans le freinage exercé par le maire de Mazères, on risquait de descendre si on était monté. Et si on était descendu, c’est qu’on était monté malgré le freinage, ce qui expliquerait comment l’auto du maire est allée à la rencontre du premier platane de la série.

 

Le ciel était d’un blanc de vierge folle. Ce fut la première pensée, quasi valéryenne, de Marette quand son œil s’ouvrit clairement. L’autre œil était encore occupé à détailler le contenu du prisme genre étagère où des verres étincelants sont suspendus la tête en bas. L’édile hésitait : refermer l’œil qui voyait ce qui se présentait à lui ou compter les ceintes reliques dont le prisme révélait les couleurs prometteuses. Il n’est jamais facile de faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Pas besoin d’être maire municipal pour le savoir de longue date. Un tas de militaires, de policiers et autres instituteurs de la fonction publique vous le diront si jamais la question leur est posée entre chien et loup.

Louis Marette était mouillé, mais heureusement pas de l’eau du robinet ni même de celle des fontaines qu’on met en bouteille. Cette eau était un produit de condensation. Il ne pleuvait pas. C’était le matin, la voiture était couchée dans le fossé, un platane à figure humaine se plaignait d’une douleur d’origine traumatique et ce n’était pas encore l’heure d’aller au travail. La route, silencieuse comme une allée de cimetière, était sèche.

On entendait vaguement les bavardages de plusieurs perroquets qui tenaient conférence dans la broussaille. On ne les voyait pas. Impossible de savoir s’ils étaient encore verts. L’eau vint à la bouche de Louis Marette, ce qui le troubla comme l’absinthe. Il secoua sa langue quasiment morte, sa mâchoire ne valant pas mieux. Il savait où il était et dans quel état se trouvait son véhicule de patrouille. Lui-même ne souffrait pas, mais il tremblait tellement qu’il ne sut pas s’ausculter ni se palper. Il avait envie d’uriner. Couché comme il était, sur le dos face au ciel immaculé de conception dominicaine, il valait mieux se retenir. Mais attendre qui ? Il était passé où le baptiste !

Y songeant comme il eût évoqué la transparence inadmissible du verre, il referma l’œil qui voyait le ciel. Le blanc virginal fut aussitôt remplacé par la projection du prisme dans l’alignement des verres renversés. Il ne sut comment (mais tout s’explique, se dit-il) un verre bien vert appliqua sa circonférence à ses lèvres bavardes. Il se tut aussitôt. Ah ! et si c’était les pompiers ? Des fois, quand on se trouve en situation difficile, les pompiers vous appliquent un masque au relent mentholé et comme vous avez subi les vertiges du prisme newtonien, vous imaginez que ce pompier n’en est pas un et que quelqu’un se charge de nourrir vos appétences naturelles. Mais alors qui ? pensa Marette en frissonnant dans l’herbe humide du talus.

Soudain, un homme (si c’était un homme) apparut dans le prisme du côté du blanc qui est la somme de toutes les couleurs en science comme en goguette. Marette le reconnut ! C’était celui qui se faisait appeler Jim Morrison, un amateur de vélo qu’il avait rencontré dans un bled algérien du temps où l’État français (et non la France) massacrait de l’indigène et se faisait terroriser par lui. Jim Morrison, qui habitait dans une chaise paternelle (se souvint Marette car entretemps il avait consulté Wikipédia), se tenait droit comme un i, ni fier ni condescendant, sans sourire ni bouche ouverte. Jim ne disait rien.

Alors apparut sur l’épaule du baptiste un perroquet vert comme les prés au printemps. Un saint homme de perroquet qui se mit tout de suite à parler, sans doute à la place de Jim qui ressemblait maintenant à une statue de père blanc sans noirs dans son drap. Louis Marette tenta d’ouvrir son œil libre de prisme, mais ses paupières se contractèrent dans le sens contraire. Le prisme imposait le respect. L’édile chercha en vain le secours d’un agencement tricolore, mais ne trouva rien qui ressemblât à un drapeau claquant au-dessus de la sainte Croix et de son titulus.

 

« Je me suis pété quelque chose ! » s’écria Louis sans pouvoir se palper.

Il était vert. Sa langue tentait d’explorer sa dentition, mais elle avait perdu tout pouvoir de sensibilité. Impossible de compter les dents ou au moins de s’assurer qu’il n’en manquait pas. Il agitait des doigts crispés comme ceux du condamné que le gaz emporte avec lui. Heureusement que le perroquet était vert ! C’est qu’on ne sait jamais avec les prismes… Le vert vous tient à la réalité comme la bouse à la botte.

« Je me suis pété quelque chose ! répéta l’édile au bord des larmes.

— Tu ne t’es rien cassé du tout ! beugla le perroquet en écartant ses ailes dont l’une chatouilla l’oreille du baptiste.

— Hé bé moi je me sens comme si je m’étais pété quelque chose ! J’ai une de ces soifs !

— Bois ! » proposa le céladon volatile.

C’était le mot magique. Mais seul le perroquet pouvait le prononcer. Tout autre impétrant le savait. Marette le savait. Il ouvrit la bouche et le perroquet y versa une bonne gorgée de son contenu. Marette s’illumina :

« Vous êtes mon saint-bernard ! s’exclama-t-il sans retenue. On devrait en mettre un tout les kilomètres sur nos françaises routes ! Ainsi, le Français qui en sort revient sur le droit chemin.

— C’est exactement ce que j’allais te proposer, ô mon neveu, psalmodia Jim en pressant le ventre du perroquet qui se montrait un peu avare de soins.

— Multiplions les perroquets ! cria Marette en levant le perroquet car il avait retrouvé la mobilité se son bras.

— Nous le ferons ! confirma le baptiste.

— Hourra ! »

Marette voulut se redresser pour augmenter le degré de son enthousiasme, mais son seul bras valide tenait le perroquet par le pied. L’autre bras demeurant impropre à la consommation, il ne lui servirait pas à se mettre au moins un peu d’aplomb. Il espéra un second miracle. Il prit un air façon Bernadette, claquant sa langue déjà sèche. Jim l’humidifia parcimonieusement. Elle frétillait comme un gardon dans un bocal féminin.

« Encore ! Encore ! Le décret est déjà prêt dans ma tête ! On me suivra comme d’habitude. Et Mazères sera la première terre française à peupler ses routes et même ses rues et pourquoi pas ses balcons et ses jardins de perroquets compétents en matière de secourisme et de bienfaits humanitaires !

— Laissons les discours pour demain, déclara le baptiste.

— Hé mais demain c’est aujourd’hui… s’étonna Marette. On ne remet jamais un perroquet au lendemain. C’est la règle… C’est que ça se gâte vite un perroquet !

— Mettons que je te donne celui-ci pour ton usage personnel, dit le baptiste. Au miracle du vin et du petit pain, tu ajouteras celui du perroquet. Ce sera le premier ajout à la canonicité de nos saints Écrits. Il y en aura d’autres. Car tu es Louis ! »

Cette dernière parole contenait, selon l’esprit de Marette qui conseillait encore un peu sa bêtise, quelque chose de sinistre. Ou de sinistrement conçu. Un peu comme un projet, fort différent du psittacisme routier encore à l’état d’esquisse, qui ne serait pas de votre invention…

 

« Putain ! Quelle nuit ! » fit Marette qui tentait ainsi de changer le sujet de cette conversation impromptue ou en tout cas imprévue.

En effet, il n’est pas rare de se trouver en situation de bizarrerie angélique suite à une nuit où le gendarme est chevauché sans autre procès. Des choses et même des êtres apparaissent sur l’écran tendu entre le teufeur et la direction qu’il prend, en général celle qui le conduit, plus ou moins légalement, à son logis. Marette avait donc raison de se stupéfier un peu plus. Et cependant, Jim le Baptiste secouait sa tête chevelue, constatant que le perroquet était de nouveau aussi vide que l’imagination politique de l’édile. Il patientait dans l’attente d’une solution.

« Si j’avais mon autre bras, dit Marette, je pourrais au moins m’asseoir…

— Servez-vous de votre bras valide…

— Lâcher mon perroquet ! Pas question ! Quand on tient un perroquet, on le laisse parler.

— Il parlera aussi bien si vous le posez par terre…

— Poser un perroquet dans l’herbe humide ! Pas question ! Il a juste ce qu’il faut d’aquosité. Ni trop ni pas assez. Hé mais c’est que, mon cher Jim, vous vous y connaissez en perroquet !

— J’ai beaucoup étudié… Voulez-vous que je vous récite un de mes poèmes… ?

— Plus tard ! Laissez parler le perroquet ! Oseriez-vous lui couper la parole… ?

— Bien… Attendons qu’il se taise… »

Et en effet, le perroquet devint tellement bavard que Marette en perdit l’usage de son seul bras valide. Il retomba à plat dans l’herbe aqueuse, comme un discours municipal, quoique celui qu’il préparait déjà dans la perspective du décret « perroquet sur la route » promettait des reliefs populaires dignes des meilleurs championnats. Marette se sentait bien ainsi, seul dans l’herbe pourtant moite, un perroquet debout sur son ventre horizontal et sans aucune sensation de membre ni d’esprit. Jim s’alarma :

« Réveillez-vous ! Voyons, monsieur le maire (comme dirait un gendarme à la vitre de votre voiture côté chauffeur…) Vous êtes destiné ! Destiné ! »

Ce seul mot eut pour effet de répandre dans tout le corps de l’édile une sensation de picotement qui n’avait rien à voir avec celle que provoquent le glissement halluciné d’un serpent ou le trottinement pervers d’un lézard à allure de dinosaure. Même les Martiens n’avaient pas ce pouvoir d’expansion. Marette en conçut une angoisse insoutenable sans le secours du vert qui ne fût pas celui de l’herbe aux fluides si neutres qu’on se demande à quoi ils servent. Mais son œil libre de prisme était toujours fermé, ses paupières étant miraculeusement douées, il le reconnaissait comme à genoux dans la grotte sacrée, d’un pouvoir de rétention inimaginable en d’autres circonstances. Mais s’interrogeait-il vraiment sur les principes et l’inspiration qui innervaient ces circonstances ? Extraordinaires, elles ne l’étaient pas. Elles étaient même habituelles. Et depuis tellement de temps que l’édile en connaissait les détails même les moins avouables. Seulement, cette fois, un ange était apparu… Une porte (door en anglais) qui donnait sur la destinée… ce n’est pas tous les jours qu’on vous demande d’y frapper. Des perroquets, Marette en avait avalé tellement qu’il avait plusieurs fois changé de couleur. Un peu comme un personnage bisexuel (on ne peut pas aller plus loin en matière de sexe) mais avec autant de styles de couleur que le prisme est capable, par vertu scientifique, d’en produire à l’œil de celui qui a dépassé les bornes.

« Hé ouais… fit Marette en tirant sa verte langue. Si ces bornes avaient été des perroquets au lieu d’être des principes, j’eusse été sauvé une bonne fois pour toutes. Maintenant je comprends que je suis perdu… sur la route de Mazères à Saverdun… et vice le versa… il faut le faire ! Et je l’ai fait ! Je suis mort ! »

Le cri que poussa le maire de Mazères fut si épouvantable que tous les perroquets en réserve dans la musette de Jim Morrison s’égaillèrent dans les branches des platanes.

« N’allez pas plus loin, ô verts compagnons ! Sans vous je ne suis plus rien qui vaille !

— Ils reviendront, dit alors le baptiste.

— Vous en êtes sûr… ? Les voilà posés comme des hirondelles sur le départ… Ça me fiche un mouron tel que j’ai plus envie d’être maire…

— Ne dis pas de conneries, Marette ! Maire tu es et maire tu mourras…

— Mais je suis déjà mort ! Et mort accidenté ! Comme avait prévu le poète… »

 

« Je vois… dit le baptiste en se tenant le menton.

— Quoi vois-tu, ô Essénien… ?

— La Prophétie… Le retour du Sau…

— Du sot…

— Non ! Du Sau…

— Du seau… ?

— Non, te dis-je ! Du Sau…

— Un saut… Voyons… »

Marette se prend le nez et cherche dans les herbes folles de son cerveau… Si, si. C’est possible avec Marette. En trois mots, il retrouve toute la lie de son histoire (N’appelons pas ça existence, ça nous mènerait au Tribunal…)

« Saut… Seau… Sot… bafouille-t-il dans sa langue peu exercée aux pratiques linguistiques. Non… Sot saut… seau. Le seau fait un saut et hop ! Un discours électoral pour les sots !

— Ne dis pas de sottises ! Tu es destiné. Destiné à renouveler…

— Ça me plaît, ça ! Renouveler… Avec une petite augmentation du pot… de la peau… (il grimace comme si on lui arrachait le visage qu’il a mauvais) Pas de paut… Ça n’existe pas le paut ! C’est faux ! (il trépigne dans son herbe, ce qui lui fait mal) Mais il en faut, des fots ! Avant que la feau me feauche !

— Tu es mauvais en orthographe… pour un Sau…

— Ça ne doit pas la foutre si mal que ça… car je suis bon au pot…

— Revenons à nos moutons…

— Nos moutons… la Crèche où je crèche… à mes avantages paroissiaux. »

Marette recompte les perroquets d’un doigt tremblant.

« Il en reste ! Il n’en resterait pas si je n’en ôtais pas… Vous êtes d’accord avec moi sur ce point… ?

— Il en restera toujours si tu les multiplies… Que voilà un miracle ! Ce sera le premier. Je prends note ! Le Nouvel Évangile démarre bien. Oublions la mauvaise conduite !

— Oublions le platane !

— Et revenons à nos moutons.

— À ma mort ! »

Marette lève son perroquet et en renverse un peu dans son herbe.

« Mélangez-vous, mes petits éléphants !

— Ô délirium ! Des éléphants maintenant…

— Et des éléphantes ! N’oublie rien dans ton Évangile Nouveau ! Sinon ils ne comprendront rien et on me traitera de profiteur…

— Ils ne le savent pas encore…

— Tu veux dire que je suis mort et que tout le monde dort… ?

— Ils chanteront la Marseillaise… Mais je n’en dirai rien dans mon évangile…

— On ne peut pas tout dire… Et on ne ressuscite pas chez soi…

— Heureusement pour les simples d’esprit…

— Hé oui… les cons… Il en faut. Sinon on n’est plus en république.

— Si nous revenions à nos moutons… ?

— Ah hé té ! Si j’avais conduit un mouton au lieu d’une bagnole, je serai encore de ce monde…

— Tu veux dire « de l’autre monde… » Car il n’est plus ici, mais là… »

Le doigt de Jim le baptiste fait le tour. Marette soupire en suçant le cul d’un perroquet qui agonise.

« Je vais le regretter… J’y étais bien… Serviable envers les uns et salauds avec les autres.

— Ce n’est pas la morale qui t’as tué…

— C’est le platane… Mais qui l’a mis là !

— Je te le demande…

— Les voies du Seigneur connaissent le psittacisme… Et tout recommence… Avec les mêmes… Les salauds… les pédants… et cette sale race de phi… de phiphi… Ah ! ma langue ne veut pas le dire, té !

— Elle ne le peut pas… Mais revenons à nos moutons…

— Les sots… le seau… et le saut… les moutons… les perroquets… et le platane… Toute une vie (je dis pas existence à cause de qui vous savez…) et me voilà à vélo… en route pour le Paradis… ou l’enfer… »

Marette frissonne dans son herbe.

« Mais tu es destiné, ô petite mare ! Car la Prophétie…

— Que c’est une chose bien compliquée ! Surtout quand on a soif… et qu’on finit par voir tout en vert… »

Marette se vautre dans son herbe, répétant « Du vert ! Rien que du vert ! Pourquoi les perroquets ne sont-ils pas bleus comme la pilule ? Le bleu, c’est la couleur du ciel… le vert est-il la couleur de… de l’enfer ! »

Il attrape un perroquet par la queue et n’en renverse pas une goutte. Il le suce. Le perroquet se transforme en verre vide.

« Encore un miracle ! s’écrie-t-il. Un vert vide ! Alors qu’il était plein. Et bien vert ! »

Il pose le perroquet vide dans son herbe :

« Vois-le ! Il n’est vert que par transparence ! Mais si je l’élève, le voilà bleu comme le ciel… le ciel où je veux aller…

— Encore une parabole ! fait Jim Morrison en panne d’inspiration. Seul le perroquet vide prend la couleur du ciel.

— Seul le perroquet vide prend la couleur du ciel ! » répète Marette en jetant ses verts genoux dans l’herbe qu’il a semée.

 

Mais le baptiste est têtu. Il en a une à placer, directement inspirée par les hautes instances du Ciel… qui deviendra vert si Dieu le veut. Et si jamais il le veut, Marette ne manquera de rien… jusqu’à atteindre sa destination, pense Jim Morrison en baissant la tête pour regarder ses pieds qui le mènent il sait bien trop où en compagnie d’un compagnon des servitudes et de leurs supposées grandeurs. Il la place :

« Je me répète peut-être, ahane-t-il, mais je suis venu pour ça… en espérant ne pas y rester… parce que la dernière fois j’en ai perdu la tête…

— L’avantage avec les perroquets, c’est qu’ils se ressemblent tous… titube Marette dans son herbe. Je sais pas s’ils sont de la même famille, mais le vert leur est commun comme le drapeau à la nation… répète voir un peu, Jimmy…

— Je disais que le retour du Sau…

— Tu ne vas pas recommencer !

— Il le faut bien si je me répète…

— Mais les perroquets ne recommencent pas… !

— Et qu’est-ce qu’ils font alors pour rester perroquets… ?

— Hé bé té ! Ils continuent !

— Justement dit ! Car si je continue ce que j’ai commencé…

— « le retour du sot… heu… du seau… »

— J’en viendrais à dire…

— À répéter… ! Il n’y a pas de religion sans répétition… Tout recommence et ça continue…

— Le retour du Sauveur est…

— Du Sauveur ? Moi ? »

Marette s’arrête, éberlué par son image reflétée dans les perroquets vides qui jalonnent son chemin de croire.

« Moi ? Sauveur ? Et mon père qui prétendait que j’étais bête comme mes pieds et méchant comme la teigne ! »

Il rejette ses genoux dans le vert de l’herbe et des transparences.

« Je ne le serais donc plus !

— Il n’y a pas de Sauveur qui le soit…

— Le vert m’a donc purifié…

— Il le faut bien, sinon la Prophétie n’en est plus une…

— Je suis tombé dans un perroquet quand j’étais petit ! »

Marette sautille sur son propre corps…

Note : N’oublions pas en effet qu’il est mort, enchevêtré maintenant dans la carcasse platanisée de sa voiture. Le présent récit exploite toutes les possibilités narratives de ce double plan : la vie, où il est mort ; et la mort, où il est sauvé… à défaut d’être vivant. L’auteur se place dans cette perspective, sorte de miroir qui se regarde lui-même et… voit ce qu’il voit. Passons…

« Et revenons à nos moutons, dit le baptiste anglo-saxon.

— Papa a bien fait de me l’envoyer cette tord-gnole…

— Le ciel était bleu et le perroquet vert…

— J’en fais mon drapeau, comme saint Jean les sardines…

— Je vois… le perroquet se boit bien frais…

— Sinon il ne réchauffe pas… »

Disant cela, Marette fait un saut. Puis il met le pied dans un seau et frappe ce sceau dans l’herbe. Il constate :

« C’est pas sot… Constate par toi-même, ô Baptiste…

— Je sais déjà tout… »

À ces mots, Marette devient rose. Il craint aussitôt d’ajouter cette couleur à son drapeau.

« Dis-moi tout ! couine-t-il. Je veux savoir…

— Tout le monde le sait… Même les musulmans le savent…

— Et moi qui n’en sais rien… !

— As-tu été au catoche… ?

— Je l’ai même fini ! D’un trait ! Cul…

— Et bien ça recommence…

— Mais comment ça commence… ?

— Un platane… enfin… un truc en bois…

— Un truc en boa… Zizi !

— Non ! Pas en plumes ! Et puis…

— Et puis…

— Tes seules femmes seront l’une ta sainte mère (pas l’autre) et l’autre une pute…

— (soulagé) Ah ! Je baise encore ! Ça faisait longtemps…

— Tu confonds perroquet et viagra… C’est pas bon les mélanges…

— Pas de mélange… ? Je comprends plus rien à ta prophétie, Baptiste… »

 

Marette se couche. Il se coupe partout à cause du vert cassé. Il saigne ici et là. Ce rouge l’angoisse. À l’époque, quand il vivait, ça commençait par le bleu, celui du Ciel, et après un passage à blanc, il voyait rouge. Il n’avait pas encore rencontré de perroquets en vente libre. Il y en avait, mais il fallait les importer des Colonies. Alors, genoux en terre, et vêtu de blanc, la couleur de la virginité, il buvait au calice le rouge sang de la patrie en goguette africaine. Il faisait comme tout le monde. Il buvait ce qu’il y avait à boire. Tout le monde faisait ça sans rouspéter. On trinquait avec des croix rouges de sang. Les vignerons se marraient. L’État se marrait. Les services de désintoxication aussi, qui se gardaient bien de désintoxiquer. Alors… comment c’est que le vert s’est imposé à Marette comme la couleur des jours, les bons comme les mauvais ? D’aucuns affirment que c’est en discourant qu’il avala un perroquet pour montrer de quoi il était capable si les écolos continuaient d’agir sur ses terrains de chasse pourtant gardés par d’autres salauds sartriens, sachant toutefois que le vert est pédant. Je bois du pédant, dit le salaud, et je m’en porte mieux, devint la devise du futur Sauveur… Sauveur de quoi ? On le saura bientôt. Voilà pour la première interprétation du vert marette qui figure maintenant dans notre palette de peintre des mœurs françaises agissant en terre occitane.

Une autre interprétation fait allusion au daltonisme… Mais cette supputation erratique ne tient pas la route. En effet, si Marette eût perçu le rouge comme vert à l’époque colonialiste, comment expliquer qu’ensuite il vit le perroquet vert et non pas rouge ? L’achromatopsie ne vaut pas plus cher. Laissons tomber les hypothèses somatiques et concentrons notre étude sur le cerveau de cet individu représentatif du bas de l’échelle électorale. Affirmons sans plus de doute que Marette voit vert quand c’est vert et rouge quand il est daltonien, ce qui lui arrive quelquefois, reconnaissons-le, car son jugement en matière humaine est faussé par sa nostalgie de l’ancien régime.

Il n’empêche que quand il se coupe, ça saigne rouge et non pas vert comme le prétendent les mauvaises langues de l’opposition qui saigne vert uniquement par rhétorique, ce qui est un comble à l’époque moderne. Mais de là à prétendre que Loulou est moderne, il y a loin.

Or, couché dans le vert de ses propres tessons et distinguant parfaitement le cul du goulot, Marette saignait rouge. Mais qu’il saignât de cette couleur n’est pas le plus étonnant (étonnant : miraculeux.) A-t-on assisté à un saignement qui ne fût pas rouge ? Jamais. Par contre, a-t-on déjà vu un mort saigner ? Jamais. Deux évidences qui confirment la thèse selon laquelle il n’y a pas de miracle sans Dieu. Or, Marette saignait rouge et il était mort. Jim Morrison rouvrit son carnet de notes où figuraient aussi les réponses aux questions embarrassantes relatives au fait religieux considéré comme une réponse à toutes les questions. Il pâlit : aucune réponse à la question que l’état de Marette posait à l’esprit en proie à l’angoisse des profondeurs métaphysiques. Il questionna le mort :

« Louis, commença-t-il alors qu’il avait la gorge nouée par la perspective évangélique, es-tu bien mort… ?

— Hé bé que si j’en crois l’état de ma dépouille, constata le maire de Mazères désormais en ballotage, je ne peux pas me dire vivant. Mais si j’en crois mon sang, je suis vivant. Je me demande si je respire encore…

— Aucun signe de respiration sur le miroir…

— La méthode est ancienne…

— Mais ton corps, ô Louis le Vert…

— Le Vert-Galant si c’est permis par la Curée…

— Le Vert-M’allant, dit la Prophétie…

— (se penchant sur le petit carnet) Hé merde ! À une lettre près…

— Revenons à nos moutons…

— (citant) « Je suis vivant et vous êtes morts… »

— Ce sang qui coule fait de toi un vivant… Sa couleur annonce…

— Que je vais me remettre au rouge sans daltonisme… »

 

Pendant que Marette se mélangeait les pinceaux dans les couleurs du prisme lithologique, Jim Morrison méditait, les coudes sur le guidon et le derrière en suspension dans l’air saturé de molécules vertes. Marette tendait une de ses oreilles, car son esprit n’était pas tranquille. Il avait comme l’impression de sortir d’une cure de désintoxication mais sans en sortir plus loin que la porte. Il avait une main sur le chambranle. L’autre interrogeait un éclat de verre dont la transparence était traversée de fissures vertes. Il éprouvait le désir de reconnaître qu’il ne lui était pas facile de se servir de ses deux oreilles en même temps, surtout que l’une ne s’intéressait pas à la même chose que l’autre, un peu comme il est difficile de concilier les intérêts de la République et ceux de l’individu. D’un côté, à droite comme à gauche, l’infinitude du prisme contenu entre le blanc et le noir, et de l’autre le discours peu signifiant mais prégnant des mâchoires du baptiste qui, pour peu qu’on y crût, conversait avec Dieu lui-même. Et comme l’édile n’avait rien à se mettre dans le cul, vu que ledit baptiste occupait le guidon et ses perspectives, ce conflit d’intérêts peut-être divergeant commençait à le fatiguer. Son cul, il le posa dans l’herbe verte et, par une série de contractions du périnée. il réussit à se donner l’illusion qu’il était accoudé au comptoir et qu’il en vidait les contenus sans se soucier des origines de tant de palliatifs de la soif.

Un passant qui eût emprunté la route de Mazères à Saverdun n’eût pas manqué de se poser autant de questions que ce tableau en posait, platane compris. Mais personne ne passa. Personne n’assista à l’attente de Marette ni à la passion que le baptiste retournait contre Dieu. Car, en effet, la suite de cette péripétie municipale nécessitait l’introduction de deux traîtres pour alimenter le théâtre de climax dignes de l’intention de l’auteur qui n’était autre, on s’en doute, que Dieu lui-même. En cas de confusion liée à l’absence de ces deux personnages clés de la Passion, Jim Morrison eût éprouvé la tentation du suicide. Dieu se chargeait d’éclaircir l’esprit inquiet du baptiste, heureusement !

« C’est que la métaphore est ardue, dit-il sur un ton tragiquement perçu par Jim. Le perroquet n’est autre que le petit Pierrot, autrement dit Pierre enfant. C’est éthylique !... heu… ! étymologique. Quant à Judas, c’est sur ta porte que j’en pratique l’optique.

— C’est compliqué ! Oh que c’est compliqué ! s’écria Jim Morrison en se tenant la tête dans les mains car il la secouait en même temps.

— C’est mon piment, déclara Dieu. Tu n’es pas censé y mettre du tien. Je ne t’ai pas demandé de réfléchir à ma place. Tu dois faire exactement ce que je te commande de faire (il jette un œil sur Marette qui semble succomber aux efforts contradictoires de ses oreilles.) Celui-là n’est pas plus con qu’un autre.

— C’est vrai ! fit le baptiste jubilant. Ils se ressemblent tous.

— Je le dis, en vérité : « Ici, peu de schizos, beaucoup de paranos et surtout énormément de cons. » Et je n’en dis pas plus… du moins pour l’instant.

— Mais où trouver Pierre et Judas ?

— D’ordinaire, cette recherche est laissée à l’idiosyncrasie du lecteur… Libre à lui de désigner les traîtres nécessaires à la conclusion de la comédie municipale. Mais les temps ne sont plus favorables à ces exercices de la pensée. Le citoyen, toujours ordinaire sinon il devient incivique par agissement contradictoire, ne possède plus les outils utiles à l’analyse des faits, surtout si on lui demande de participer à leur élection. Aussi ai-je renoncé à la science et lui ai-je substitué les pratiques de la publicité et de la propagande. Le cerveau du commun des mortels, tout à l’assaut de ses désirs simplistes, ne comprend plus nos saintes cacozélies. Aussi est-il judicieux de mettre les pieds dans le plat sans se soucier des domestiques chargés de la protection des notables. J’en connais un qui ne voit jamais d’inconvénient à appeler un chat un chat. Voici sa carte.

— (consultant la carte) Mais c’est… mais c’est un…

— Matérialiste, oui ! »

 

Abandonnant Marette à ses polarités antagonistes mais pas contradictoires, Jim Morrison enfourcha la bicyclette, prenant grand soin de ne pas se laisser enculer par elle car Marette avait équipé le support de la selle d’un système de transmission du plaisir à distance. Ce système était dans le tube et non pas dans la selle. On se souvient que Marette, par un pincement extrême des muscles fessiers, avait éjecté cet inutile instrument pour donner à son sphincter anal tout le champ nécessaire à une extirpation complète des ressources jubilatoires du cadre. Aussitôt que le baptiste eût exposé son saint anus aux explorations des détecteurs de merde, lesquels agissaient donc à une distance respectable, Marette se roula dans l’herbe sans ménager l’expression de son plaisir distant. Dès que Jim l’eût perdu de vue, il pensa à autre chose, prenant soin toutefois de ne pas s’empaler suite à un excès de confiance dans ses possibilités cyclosportives.

Le baron de La Rubanière logeait en sa maison sise dans une rue de Mazères. Jim n’eut donc aucune difficulté à en trouver le chemin. Il ne se pressa pas. Cette nuit était sans fin. Dieu garantissait cette clause du contrat évangélique. Et Jim avait confiance en Dieu. Il pédala sans effort, preuve que Dieu pratiquait la poussette en toute discrétion, car il ne voyait pas Dieu, il ne voyait que la route et ses maisons endimanchées. Jim aimait la nuit, quelle que fût sa profondeur. Il aimait autant les nuits sans fond que celles qui laissent deviner le jour. Chaque nuit possède son degré de transparence relativement à sa capacité à cacher ce qui ne peut ou ne doit pas se savoir. Il accéléra pourtant à l’approche de la rue du baron. Le portail de fer forgé ruisselait de nuit, signe qu’il lui appartenait. Comme toute chose en ce monde d’ailleurs, mais il y a deux manières d’être possédé : la bonne et l’incertaine. Mais trêve de relation philosophique. Jim rangea sa bicyclette contre la grille et sonna. Aussitôt, des raies de lumières excitèrent les pourtours d’une fenêtre fermée par un volet. Puis cette même lumière, toute triviale, se jeta sur le baptiste qui recula.

« Qui va là ? » grogna une voix sépulcrale.

Jim avala sa sainte salive comme s’il vidait un verre offert par Louis Marette dans un cadre toutefois plus convivial et complice.

« Je suis Jim Morrison… Nous nous sommes rencontrés à Paris il y a… longtemps…

— En effet… reconnut la voix du baron. Mais à l’époque, vous n’étiez pas un ange… si je ne m’abuse maintenant que mes jours sont plus comptés que comptants… Ne comptez pas cependant entrer dans ma tanière… Je ne suis pas seul.

— Oh ! Loin de moi l’idée de vous déranger…

— Qu’est-ce qui vous amène donc… ?

— Des noms… maître… Dieu…

— Je me fiche de Dieu comme du reste ! beugla le baron dans sa lumière.

— Je le sais bien, ô maître… Dieu pourtant…

— Dieu jamais ! »

Le poing dostoïevskien du baron souleva un nuage de poussière entre deux pots de géraniums. Des moustiques zigzaguèrent, fluorescents et véloces. Jim se frotta le menton en signe d’impatience. Le baron, qui était bonhomme, s’immobilisa dans l’attitude de celui qui s’attend à recevoir sans intention de donner. L’aristocrate critique de la vie mazèrienne ne connaissait pas d’autres tactiques. Il ne donnait pas, mais il envoyait. Jim le connaissait de longue date, bien que la mort les séparât.

« Il s’agit, commença-t-il, de deux traîtres nécessaires à la Comedia que j’ai entrepris de construire à la demande de…

— Ne me dis pas son nom ! rugit le baron, mais cette fois avec un clin d’œil complice.

— Certes, certes… ! D’ailleurs peu importe le sien puisque je suis l’auteur… sans vouloir vous offenser, ô maître…

— Continue…

— Il s’agit donc de Pierre et de Judas, dans le désordre… Ma connaissance…

— Parle-moi plutôt d’agir, moraliste !

— Mais c’est moi l’auteur… rouspéta sans violence le baptiste.

— Soit… Ta connaissance, donc…

— Ma connaissance du terrain est… comment dirai-je… non point succincte car je vous ai lu… (attendant la réaction probable du baron) Sommaire sans doute, car je n’habite pas ici depuis que ma résidence m’a été désignée par…

— Trêve de circonvolutions ! Parle ou je m’enferme ! Que veux-tu savoir que je sais forcément… ?

— Ben… Qui est Pierre… ?

— Et qui est Judas ? (le baron se frotte lui aussi le menton) Je vois… Le voilà encore en quête d’une incarnation…

— Oh… Je ne sais pas… Marette incarnant… Non… IL vaut mieux que ça…

— Mais pourquoi pas… ? Ton dieu est un pitre, comme tous les dieux. Je me demande maintenant qui est l’auteur de cette pitrerie…

— Comme vous y allez, maître ! Permettez-moi de…

— Mais après tout peu importe qui vient se dandiner sur mes propres terres… La pêche à la branlette a ses adeptes… Il faudra bien le saouler…

— Mais, ô maître, il… il est mort ! »

À cette annonce, le baron repoussa les battants de sa fenêtre qui produisit un bruit de verre qu’on brise. Le volet lui-même alla claquer comme si le vent d’autan se levait en même temps que la voix de stentor du baron exprimait une colère de plagié. Jim craignit le pire.

 

Maintenant, ils sont à l’intérieur. Le carreau brisé répand sa lumière dans ce qui reste du rideau. Jim, assis en face du baron, regarde les tuyaux. On entend un robinet. Les gouttes semblent remplir un contenant qui peut être un verre ou autre chose. Le baron fume un cigare qui grésille. Il avale sa salive à intervalle régulier. Une ampoule éclaire la table. Celle-ci est couverte d’un tapis de jeu. Les cartes sont éparpillées sans ordre. On ne peut deviner ce qui s’est joué. Deux verres s’ajoutent aux deux autres, ceux que Jim et son hôte étreignent comme si la conversation n’avait pas de sens. Puis la voix du baron traverse le silence de part en part.

« Je ne suis pas un sycophante… dit-il comme s’il éprouvait le désir de l’être.

— Je comprends… dit Jim Morrison sans y croire.

— Je n’ai jamais trahi personne, continue le baron. En tout cas pas de cette façon. Je vais toujours droit au but. Je ne me soucie pas de morale. Un chat est un chat. Chaque chose a sa place si cette place est faite pour la contenir et lui donner un sens.

— Je comprends… répète Jim. Mais…

— Mais il manque deux personnages à votre Comedia… Je connais cette angoisse… Mais voyez-vous (la voix du baron s’adoucit) je n’ai jamais trahi personne… Surtout si la Justice est à l’écoute… Et elle l’est ! »

Il donna du poing sur la table. Les objets, têtus comme des mules, sautèrent en l’air mais retombèrent exactement à la place qui était la leur, respectivement. Jim nota cet entêtement avec compassion. Il essuya une larme qui n’échappa pas à la vigilance opiniâtre du baron. Il se dit : C’est foutu… Je vais me faire engueuler… et la mort de Marette ne servira à rien… En vérité, c’était une mort programmée en dernière minute. Jim ignorait de quelle minute il s’agissait. Le baron, soupçonnant un coup monté en haut lieu, se retint de tout commentaire. Il écrasa le cigare qui prit la forme d’un petit personnage persécuté par le feu couvant en lui. La fumée, extraite par on ne sait quelle puissance terrestre, s’éleva dans l’air agité d’insectes et de brises nocturnes. Jim finit par poser sa tête sur la table, délicatement. Le baron s’étonna.

« Pour tout dire, psalmodia-t-il, ce n’est pas un, ni deux, ni même (il compta sur ses doigts boudinés) vingt et quelques qui manquent à l’appel. La nature se mêle de société, sinon je n’existe plus. Et c’est bien sûr l’esprit de félonie qui caractérise et rend possible l’existence de la classe politique. Je ne vous apprends rien…

— (geste de lassitude de la part de Jim qui, la tête sur la table, semble attendre le couperet)

— Si je vous disais tout ce que je sais (et que je tiens des meilleures langues de vipère de la cité) vous n’auriez que l’embarras du choix…

— Deux noms suffiraient cependant…

— Qu’ils ne sortent pas de ma bouche ! Les complices de l’hypocrisie environnante ne sont que de commodes personnages secondaires. L’un remplace l’autre. Et s’il en vient à manquer, la Comedia (la mienne cette fois) ne s’en ride pas.

— Vous ne me facilitez pas la tâche, murmura Jim dans ses bras croisés.

— Renseignez-vous…

— Mais c’est ce que je tente auprès de vous, maître… !

— Je ne suis pas votre homme. Voilà tout. »

Ainsi prit fin la conversation entre le remarquable poète américain et le troubadour des temps difficiles, en cette nuit mémorable de la mort de Louis Marette, platane inclus. Jim cachait son visage. Le baron ne sut pas pourquoi. Et raccompagnant son visiteur sur le seuil de sa porte, il imagina toutes sortes de scénarios pour expliquer ce masque. Il referma la porte et se plongea aussitôt dans un texte, fébrile et rapide, car il craignait d’en perdre la moindre miette. Et pendant ce temps, entre le seuil de la maison et la grille de fer forgé (par on ne sait qui, mais on s’en doute) Jim franchit la distance qui sépare toujours les apparences de la réalité. Il s’arrêta même pour se laisser prendre aux pièges de cette réflexion commencée au cœur même de la conversation qui n’avait pas eu lieu, au fond. Il poussa la grille et remonta sur sa bicyclette. Un chien le suivit, peut-être celui du baron. Qui sait ce qu’un tel baron accroche à vos basques dès lors que vous venez de lui donner une idée qu’il se promet d’explorer sans vous et sans reconnaissance de votre utilité. Jim avait beau être mort et ressuscité, il n’avait pas le pouvoir d’entrer dans la peau d’un pareil personnage. Une fois de plus, Dieu s’était trompé en voulant en savoir plus sur la manière de construire une histoire qui tînt debout. Et pour la nuit des temps.

 

Le vélo que Dieu avait attribué à Marette gisait dans l’herbe teintée de vert. La bagnole, en accordéon, embrassait encore son platane. Mais de Louis, pas de traces !

Jim fit plusieurs fois le tour des lieux désormais historiques et peut-être même saints. Les cadavres de verres jonchaient les allées adjacentes. Pas de traces non plus à l’intérieur de ces innombrables preuves de la faiblesse constitutive de l’édile. Une flaque de sang, rouge cette fois, finissait de disparaître dans la terre meurtrie à cet endroit de la mort par accident. « Si j’avais voulu le faire exprès, avait récemment affirmé le maire de Mazères, je ne l’aurais pas fait ! »

Déconcerté par tant de signes, le baptiste redressa la bicyclette et l’enfourcha. Elle gémit. Dieu y était pour quelque chose. Pédaler dans ces conditions n’est pas si simple pour l’esprit toujours en proie aux délices de l’existence même quand celle-ci n’a plus… d’existence. Mais Jim pédala. En l’absence de selle, il se tenait debout sur les pédales, très sportif mais aussi passablement affecté par sa condition d’éternel ressuscité.

Il ne connaissait pas Mazères. Il slaloma entre les crottes de chiens et les canettes vidées de leur substance par les compagnons de route de Louis Marette qui aime les chiens et les caresses. Il faudrait dire : aimait, car depuis ce matin, il n’appartenait plus au monde des vivants. Jim frissonna en pensant à ce mort qui ne vivait plus et pourtant saignait et buvait comme si rien ne lui était arrivé de grave et de définitif.

Non, pensa-t-il sans cesser de pédaler, je ne connais pas Mazères. Mais qui connaît Mazères ? Sans doute personne à part ses électeurs et les fournisseurs de denrées spiritueuses. Comme le soleil tardait à se lever, sans doute selon la volonté de Dieu lui-même qui avait ses raisons, Jim prit le temps de patrouiller dans les rues désertes. On eût dit que tout le monde était mort… En effet, peut-on concevoir Mazères sans Marette ?

 

En attendant de répondre à cette question canonique, Jim se servait de ses yeux pour fouiller du regard les coins les plus obscurs de ce village trop catholique pour être le siège divin de l’honnêteté et pas assez cultivé pour en répondre avec toute la sincérité qui en principe s’impose aux candidats à l’éternité. Les ombres étaient noires et le ciel… fuligineux.

Marette ayant choisi d’aller à pied, Jim pensa qu’il finirait par le trouver à proximité d’un débit de boisson. Or, c’est ce qui se passa : Marette frappait en ce moment même à la porte d’un établissement sous licence. Mais elle était fermée. Jim se dissimula dans une de ces ombres non sans en avoir exploré la profondeur à l’aide de sa torche divine. Elle n’était pas habitée, ni par un chien en quête d’un coin tranquille pour se livrer à ses habitudes, ni par son être humain quelquefois surpris en cours de vomissement.

Jim craignait que le raffut occasionné par Marette finît par réveiller une population pourtant endormie par volonté et calcul divin. Il avait confiance en Dieu, mais avec Marette, cette confiance avait des limites que le baptiste ne tenait pas à franchir sans garanties. Il se tint immobile et coi pendant que le maire de Mazères réclamait son dû. En principe, les morts oublient ce qu’ils ont été et leurs revendications n’ont rien de personnel : ils se joignent au troupeau céleste sans demander leurs restes. Alors la question se posait : Louis Marette était-il mort ? Ou mieux dit encore : À quel jeu jouait le bon Dieu ? Ça devenait compliqué. Jim s’efforçait de s’en tenir à ses obligations de travailleur forcé, mais son esprit voulait savoir. Il en concevait même des couplets qui, si Dieu le décidait, deviendraient des chansons. Marette savait-il jouer d’un instrument qui ne fût pas plein… ?

En attendant de répondre à sa propre attente, Jim était condamné à observer le comportement post-mortem de Louis Marette qui, par volonté divine ou parce qu’il tenait encore à l’existence des perroquets, avait trouvé la force de revenir sur les lieux de son péché préféré pour y retrouver substances et compagnons sans avoir à en payer le prix. Il cognait la porte sans ménagement, ivre de son discours aux petits Pierre en attendant de s’expliquer manu militari avec le grand.

Personne ne venait. La main de Dieu les retenait au lit ou sur leur cuvette. Les fenêtres demeuraient closes. Même le curé s’en tenait à ses masturbations inévitables quand on possède ce qu’il faut pour en jouir sans femme ni enfant. Marette était en train de menacer de casser tous les carreaux si on ne venait pas. Jim s’impatientait, mais sans précipitation. Dieu était aux manettes. On finirait bien par savoir pourquoi.

 

À ce stade de l’histoire (qui est ici contée), Johnny Rasco prit la parole en ces termes :

« Chers Amis et Ennemis Réunis, c’est avec une langue démesurée (à force de la tirer et de ne pas la tremper comme l’exige la soif qui me donne vie et envie) que je m’adresse à vos itératives consciences de ce monde en déroute tant morale qu’esthétique. Je n’irai point jusqu’à allégoriser la situation dans laquelle nous a plongés la mort de notre compagnon de route verte, le regretté ou non Louis Marette, qui fut maire et père de Mazères où nous cuvons encore de haute lice, mais tout de même : la langue me fourche ! La rumeur veut (et vous savez comme elle est têtue, signe qu’elle a de l’accointance avec la Réalité) que notre vert protagoniste a procédé à une ascension dans le courant de la nuit dernière. Notre péripatéticienne fonctionnarisée territorialement en est le témoin hystérique, comme nous l’avons pu entendre de sa propre bouche et de son cul dès l’aurore qui ne manqua pas de nous éclairer sur le sens de la nuit et de ses profondeurs herméneutiques. J’en appelle à ceux que ces cris ont éveillés alors que le sommeil commençait à profiter de l’occasion qui est donnée au noctambule de se rafraîchir la mémoire et le gosier avec la même causalité qui affecte la déambulation immobile dans les périodes que l’éveil inspire à la nécessité de survivre aux critiques et autres exégèses tombées du ciel et remontées de l’enfer qui soutient notre gravité. Moi-même je fus arraché à un commencement de rêve érotique où ma sœur avait encore un rôle à jouer. Quel cri !

Un sein dans la main droite et par l’entremise de l’autre main le meilleur de mes doigts au cul de cette garce qui a gâché mon enfance, je tombai du haut de mon lit et m’étalai le nez dans les poils de mon vert tapis. Ma fenêtre en bâilla.

Dieu sait que les cris n’ont pas de secrets pour moi ! Je redressai ma tête endormie dans la pénombre vert-de-vessie que la lumière de la rue traversait pour m’éclairer. Un cri de femme !

D’un bond je fus debout ! Les couilles remontées aussi haut que possible et les yeux perçant l’opacité de la situation, je crapahutai jusqu’à la balustrade où des géraniums agitaient leurs rouges pétales. Pas un verre à la portée de la main, ce qui vous renseigne sur la difficulté du contexte dans lequel mon cerveau se desséchait à l’instar de la langue que je partage avec vous sans toutefois vous imiter à la lettre…

Je vous le donne en mille ! Et même plus ! Mes amis… ! Il n’y avait point une femme, mais deux ! Et même trois ! Quatre ! Le trottoir n’était pas assez large ni long pour les contenir toutes !

Et le cri, ce cri qui vous réveilla tous à la même heure, se répandit assez pour se transformer en rumeur… Et je vis à quel point l’être humain, surtout s’il a veillé toute la nuit pour s’adonner à la poétisation du vert, est encore sensible aux conséquences de l’erreur initiale qui coûta à notre Seigneur plus que la cohérence de sa divine Création.

 

» Heureusement que j’avais pris la précaution de ne pas me déshabiller en me mettant au lit ! Vous connaissez la transparence de ma fenêtre, mes amis… Mon seul pignon sur rue. Mon unique donnée d’exposition solaire. Mais je ne m’y montre jamais tel que je suis (où tel que je fus conçu) en cas de nuit blanche à l’ombre verte comme celle qui se laisse éclairer dans la peinture de notre grand Delacroix. Elles n’étaient pas venues pour ça, ce matin…

Les mains crispées sur le métal déjà froid de ma rambarde ancestrale, je m’adressai à elles sans toutefois parvenir à les faire taire. Car elles jasaient maintenant. Il n’y a rien de pire pour l’esprit de l’homme en proie à ses instincts primaires que ces bavardages qui alimentent l’impuissance du Verbe comme si la pomme en était le fruit. Je fus bien contraint (vous voyez comment) de tendre l’oreille à défaut de me mesurer à l’effervescence de leurs lèvres. Et vous savez combien est faible l’homme, seul de surcroît, qui ne sait plus se faire entendre de son ombre. Je finis enfin par entraver le fin mot de l’histoire dont elles voulaient témoigner comme au premier temps de notre ère : Louis Marette était mort, certes, mais il était monté au ciel pour y être ressuscité !

« Vous êtes folles ! hurlai-je sans me faire entendre.

— Et pourquoi qu’on le serait ? grogna la brune qui se trouvait dans mon lit.

— Mais parce que Marette est immortel ! »

J’avais dit ça ! J’avais admis l’impossible ! Ça ne m’était jamais arrivé. Pas à ma propre bouche. Certes, il m’est arrivé d’y penser, mais pas au point de le dire !

« Hé bé quoi… ? dit la même créature. Immortels nous le sommes tous, à moins d’avoir pactisé avec… avec qui tu sais…

— Mais c’est avec Marette qu’on pactise à Mazères ! »

Encore un side effect de ma pensée ! Pourtant, j’avais assez bu. Je ne me couche jamais, même tôt, sans me soumettre à cette règle qui relève à la fois de l’honneur et du respect. Ce qui la fit rire. Elle riait tellement que je n’entendais plus la rumeur du dehors. Je n’en comprenais plus le sens à venir. Car en effet, à ma connaissance, le corps de Marette gisait encore dans le fossé… sous les platanes. Et particulièrement sous celui qui avait accordéonné sa petite auto. La nouvelle ne s’était pas encore répandue, car ceux qui étaient éveillés au moment de cette rencontre fortuite mais inévitable étaient sur le point d’aller se coucher pour parfaire l’oubli dans lequel les avait plongés les perroquets voletant autour de leur citoyenneté en marche. Et les autres, ceux qui dormaient pour s’être couchés tôt, n’entendirent pas les sirènes du malheur car elles ne retentirent pas sous prétexte que Marette respirait encore dans la tôle froissée. Seuls ceux qui souffraient d’insomnie perçurent les clignotements bleus des gyrophares qui projetaient l’ombre des platanes sur les façades de la ville en suspens.

» Alors… me direz-vous (chers Amis et Ennemis Réunis)… pourquoi les femmes… ?

Vous posez mal la question… car c’est pourquoi ces femmes et non pas les qu’il faut dire si on veut comprendre ce qui s’est passé ce matin…

Les ai-je comptées pour être certain de ce que je prétends signifier par cette détermination précise ? Il y en avait plein les trottoirs, de chaque côté de ma rue. En tournant la tête du côté sud, je m’assurai que le Mont conservait toute la prégnance de son immobilité. Je ne rêvais pas : j’étais dans la Réalité. On arrivait de toutes parts et, pour me donner raison, des hommes commençaient à se mêler à l’attroupement original. Le ton monta : on ne criait plus : on en discutait. Ma présence à la fenêtre ne signifiait plus rien. Les fenêtres qui s’étaient ouvertes de l’autre côté de ma rue s’étaient vidées de leur contenu. Quelques lampes de chevet étaient restées allumées, dénonçant le désordre des lits.

« Tu vas attraper froid, me dit celle que je ne me souvenais pas d’avoir invitée à partager ma fin de la nuit.

— Il y a du monde… constatai-je sans autres commentaires, car j’avais froid.

— Il s’est passé quelque chose, dit-elle. Tu devais aller te renseigner… Après tout, tu as ton importance au Conseil… (Et elle ajouta :) On t’écoutera. »

Mais pour dire quoi… ? Je descendis, profitant de cette lenteur pour y penser. La situation ne se présentait pas du bon côté. J’eus la tentation d’imiter Igitur, mais bien me prit de ne pas faire usage de la rampe, car on s’y pressait déjà. Nous fûmes nombreux à dévaler dans le hall d’entrée dont la porte s’ébranla de sinistre façon. Je fus bientôt pris en sandwich (Ham on Rye comme dit Buk) entre deux femmes qui s’égosillaient comme si l’objet de leur dispute allait mal tourner. Moi, je n’aime pas me mêler des affaires des autres, sauf si ce sont de bonnes affaires, auquel cas je regarde à la dépense. Je n’écoutai même pas ce qu’elle se jetaient à la figure. Je me glissai entre la foule et le mur, évitant ainsi la rigole qui, en ces matins dominicaux, témoigne trop fidèlement de la nuit. J’atteignis bientôt notre siège, chers Amis et Ennemis Réunis, pour vous tenir ce langage. »

 

Johnny Rasco interrompit ainsi le récit de ce qu’on intitulera plus tard La folle journée de Louis Marette ou La Passion municipale considérée comme un sacrifice patriotique : il leva son verre et ne lui laissa pas le temps de jouer avec la lumière qui naissait à peine dans la baie vitrée de l’établissement où l’on commençait à consommer sans en voir le bout. Les perroquets s’alignaient sur le comptoir, verts et droits comme des hussards. Le miroir qui jouxtait le dos du tenancier renvoyait l’image de cette courtoise société de bons vivants qui deviendraient de mauvais morts. On s’était tu pour attendre avec Johnny que le souffle lui revînt. Il respirait bruyamment, entrecoupant ses borborygmes de succions pratiquées à la surface du contenu de son verre. Il tenait ses yeux presque fermés. Non, il ne souffrait pas. La mort de Louis Marette ne l’affectait en rien. Il ne perdait pas un ami et encore moins une légende. Il avait déjà perdu plusieurs amis et une légende empoisonnait encore son existence tant elle avait compté pour lui. Il n’en parlait que rarement, toujours en cercle restreint et c’étaient ceux-là qui s’étaient rapprochés de lui, les chaises ayant ripé sur le sol encore humide de la toilette nécessaire du matin dominical.

« Alors… ? » dit enfin l’un d’eux.

Car le récit de cette Folle journée n’était apparemment pas encore commencé. On avait eu vent de la Nuit de Louis Marette puisqu’on en avait passé l’essentiel avec lui. Pourtant, le mystère demeurait entier : pourquoi les avait-il quittés en plein milieu de cette nuit qu’on pouvait maintenant qualifier de dernière ? Johnny n’avait pas répondu à cette question et personne ne s’était risqué à la lui poser de nouveau. Il en savait des choses, Johnny ! Il était bien renseigné. C’est comme ça qu’on réussi dans la vie, comme les autorités réussissent dans le courant de l’Histoire. Enfin… c’était là une autre discussion. On la remettait sans cesse au lendemain. Or, on était aujourd’hui. Et on attendait que Johnny achevât de vider son verre. On avait fait signe au tenancier de cesser de le remplir. On avait assez attendu comme ça, d’autant que Johnny ne payait jamais son coup. Il avait tellement de choses à dire !

Enfin, il déposa une ultime goutte sur sa langue. On sentit à quel point il n’en avait pas fini avec elle. Il s’en caressa le palais plus longuement que d’habitude :

« Hé té ! reprit-il. C’est pas tous les jours que Marette s’en va définitivement…

— Définitivement… soupira l’assemblée.

— Je me demande si ce n’est pas un rêve que j’ai fait en sortant de mon lit… Je ne me souviens pas d’autre chose… et vous ?

— Autre chose…

— On l’a tellement attendu, ce moment…

— Tellement…

— J’en ai la gorge sèche… Ma langue n’en peut plus de saliver… Ou bien c’est cette salive qui ne contient plus rien d’hydratant… »

Il tendit son verre vers le comptoir. Les perroquets frémirent. Ils le savaient pourtant en venant, qu’ils finiraient par sacrifier leur existence à la soif… Mais ils en tremblaient sans pour autant se raisonner. N’est pas cartésien qui veut. On amyote pas aussi facilement en ces temps de disette littéraire. On se demande toujours qui a raté son coup.

« Mais je ne l’ai pas ratée ! » rouspéta Johnny (en entendant cette réplique hors sujet).

Il n’en était pas si sûr que ça, aussi un perroquet se déplaça jusqu’à lui et se posa à côté de celui qui venait de perdre sa couleur. Comme il avait laissé tomber quelques gouttes en voletant maladroitement dans l’air épais de l’établissement, le cabaretier s’excusa confusément, secouant un noir torchon qui ne servait pas qu’à retrouver la transparence des verres. Transparence qui remit en la mémoire de Johnny celle de sa fenêtre sur rue (il n’en avait pas d’autres, la précision étant destinée à prévenir les contresens).

« Et alors ? continua quelqu’un qui n’avait pas compris à quel point il était question d’autre chose, en ce dimanche particulier, que de la mort anecdotique d’un personnage qui ne devait son relief qu’à la légende que Johnny sentait poindre à l’horizon de sa propre existence.

— Alors Marette a rendu son dernier souffle dans la tôle, dit un autre quelqu’un. C’est écrit comme ça dans la Dépêche. Il était encore…

— Hé mais… s’il était coincé dans la tôle, comment qu’il a fait pour s’élever dans le ciel… ?

— Hé c’est qu’on s’y élève pas dans ce ciel-là ! On y monte…

— Je vois pas la différence…

— La différence c’est l’ascenseur… »

On rit. On avait besoin de rire. Johnny seul ne riait pas. Il aurait tellement aimé participer…

 

Mais Johnny n’avait pas participé. Il était au lit quand ça s’est passé. Il était rentré un peu plus tôt que d’habitude, ce qui avait laissé le temps à Louis Marette de se détruire contre un platane. L’un et l’autre faits n’entretenaient aucun rapport logique. Tout avait commencé (pour lui) comme il est dit plus haut : le cri d’une femme qui, le temps pour lui de se pencher à la fenêtre, s’était multiplié par autant de croyantes que Mazères peut en contenir dans les moments tragiques de son histoire.

« Et alors, dit le même, question ascenseur…

— C’est pas comme ça qu’on monte, précisa un buveur patient qui faisait durer son perroquet à tel point que celui-ci battait des ailes dans un effort désespéré de se libérer de cette attente cruelle.

— On y monte pas tous, dit un autre. Je me demande comment il a pu monter. Et si vite. Comme ça, coincé dans la tôle… Avec tout ce qu’il a sur la conscience…

— On en sait rien s’il est monté ! Il est peut-être pas monté. Si ça se fait, il est à la morgue et on le sait pas.

— Mais il y a jamais été, à la morgue ! Tu crois que c’est facile d’y aller, à la morgue !

— Mais que disent les femmes ? » demanda enfin quelqu’un qui s’y connaissait en femmes.

Johnny se rengorgea. Ses yeux brillèrent d’un nouveau feu. Il avala son perroquet d’un trait, ce qui fit râler celui qui attendait désespérément son heure, à deux tables de là.

« Personne ne l’a vu monter, dit enfin Johnny.

— Personne d’autre que… ?

— Personne, je dis ! Il est monté, mais personne ne l’a vu prendre l’ascenseur.

— Pourtant. Les femmes…

— C’est une déduction féminine, » décréta Johnny.

Un perroquet, enthousiasmé par cette nouvelle théorie qui en disait plus long que l’ancienne, en quoi il jugea qu’on était en progrès constant à force de se répéter, se précipita sur la table que Johnny occupait seul comme s’il y trônait. L’homme en caressa longuement les perspectives prometteuses, comme quoi on peut très bien bander entre hommes si on y met du sien, mais il tut cette pensée.

« Les femmes… commença-t-il.

— Gardons-nous de les croire sur parole, dit un membre du cercle intitulé Amis et Ennemis Réunis, car tout arrive par elle, même notre triste existence. »

Personne n’applaudit, car on n’avait pas envie de changer de sujet de conversation, ce qui arrivait en temps ordinaires. Mais ces temps-ci ne l’étaient pas. Car tout commençait avec ce que Johnny savait de ce qui allait se passer. Un très net avantage sur les autres, non sans frisson, car les parties truquées ne relèvent pas que de la légende. On chassa cependant ces sombres idées en appelant au rapport les perroquets encore disponibles.

 

On ne savait quand il était arrivé à Mazères, l’étranger. On ne l’avait même pas vu s’installer dans la maison. Il faut dire que cette maison était déjà occupée. Par un autre étranger, mais celui-là y habitait depuis quelques années déjà. Ce changement avait dû se produire la nuit. C’est comme ça que ça se passe avec ces gens-là. Qui était-il ? Quelle profession exerçait-il ? D’où venait-il ? Et pourquoi ? Ça en faisait des questions. Mais on n’aurait pas cherché à y répondre s’il s’y était pris autrement pour se signaler à l’attention de la communauté. Par exemple, on aurait pu en découvrir l’étrangeté sur le seuil de l’église, un dimanche matin. Or, on était dimanche et c’était le matin, comme il est dit plus haut. La digne société des Amis et Ennemis Réunis s’était assemblée dans le meilleur café mazèrien. Autour de Johnny Rasco qui n’est plus un étranger, sauf pour certains esprits nostalgiques du dernier épisode dictatorial de notre nation commune. Et Johnny avait descendu, à bout portant, une quantité extravagante de perroquet tous plus vifs les uns que les autres. Il était justement en train de reprendre à son début l’aventure récente et dernière de Louis Marette, maire et père de Mazères. On en portait déjà le deuil en bandoulière à la place du fusil.

Roger Russel, c’était son nom, entra moins discrètement qu’il était arrivé. La porte était ouverte en grand et Germaine achevait de chasser l’eau à coups de balai rageurs. Roger Russel s’était amusé à sautiller dans la flaque qui s’épanchait sur le trottoir. Il avait salué la boniche comme s’il se fût agi d’une dame. Les rhéteurs en avaient souri avant de s’étonner de la présence de cet inconnu. Les regards s’étaient croisés mais les bouches étaient demeurées closes, sauf pour laisser passage au vert liquide qui perdait ses plumes. L’homme fit presque un bond pour se situer à trois pas du seuil marqué par la serpillère. Le balai s’immobilisa. Il prononça une parole, sans doute à l’adresse de la lisette défraîchie depuis longtemps. Certains répondirent par un écho. D’autres se turent, croyaient-ils à ce moment-là, définitivement. Par contre, Johnny Rasco n’avait pas perdu le fil de sa narration. Pourtant, l’attention s’étaient sensiblement détournée du contenu tragico-comique auquel Johnny s’efforçait de donner un sens allégorique, tout pétri de renaissance qu’il était, comme si son esprit avait à craindre des temps qui courent.

Roger Russel, par obscure magie ou intelligence en éveil, en sourit le plus aimablement du monde. Johnny s’interrompit à peine. On s’en étonna. Puis vint à l’esprit de quelques-uns que les deux hommes se connaissaient ; qu’ils étaient complices en quelque sorte. On entra de plain-pied dans la méfiance. Les déglutitions se firent plus discrètes. On n’entendit plus un seul battement d’ailes. Et en effet, l’étranger prit place à la table que Johnny occupait seul jusqu’à cet instant pour le moins favorable aux pires spéculations populistes.

 

Johnny Rasco avait donc interrompu la relation des faits qui promettaient de fameuses funérailles catholiques, parfaites du point de vue de l’orthodoxie en vigueur au Conseil municipal. Une grande et bien compréhensible nervosité s’empara des membres de la confrérie. Le cafetier lui-même répandait des gouttes sur le zinc ancien de son comptoir, comme autant de plumes qui n’attendaient que le souffle pour s’envoler et aller Dieu seul savait où. On n’était même plus curieux de connaître la suite du récit intitulé La folle journée de Louis Marette ou La Passion municipale considérée comme un sacrifice patriotique. Sa Nuit était encore inachevée. Et cet inachèvement proustien, et peut-être même aristotélicien, laissait toute sa place à cette rencontre inattendue entre un étranger qu’on croyait bien connaître depuis des années et cet autre allochtone dont on ne savait strictement rien. À quoi bon tendre l’oreille, sans cesser de s’alimenter de plumes, si les protagonistes de cette intrusion vocale n’en diffusaient les nouvelles qu’à voix si basse que même les volatiles de la partie n’y entendaient rien ? On s’interrogea du regard, sans tintement cristallin et avec un minimum de ruissellement.

À ce moment de l’histoire qui s’écrit sous vos yeux, personne ne savait si cet homme connu de Johnny Rasco avait un nom ou s’il comptait en dissimuler les tenants et aboutissants. Les esprits voletaient, mais sans joie. Même la boniche avait cessé d’agiter sa serpillère. Quelques passants avaient mis leur nez à la porte, sans grande discrétion, car si le nez prend peu de place sur le visage humain, celui-ci est la proie des reflets que vitrines et baies renvoient au cœur même de la confusion organisée par la civilisation. Comme Johnny assistait à ce spectacle sans toutefois se détacher de la conversation qui occupait son attention maintenant, et que l’ami Roger y tournait un vaste dos couvert de gabardine noire, tous deux s’entendirent sur le sens de ces réflexions ; Johnny faisant face à la scène des nez et Roger la revisitant dans le dos du cafetier qui tournait le sien au miroir où s’alignaient flacons et verres dans une harmonie de vert qui eût donné la fièvre à un naturiste chevronné.

L’instant était comme figé, ce qui, on en conviendra, l’éloignait clairement de son sens premier qui est le seul à retenir en la matière. Un passant pressé eût saisi cet instantané s’il avait eu une existence sûre, mais je m’étais absenté ce jour-là, vaquant à mes occupations professionnelles aux alentours de la capitale. Notons au passage que je ne témoigne pas ici : je me contente, avec ou sans joie mais là n’est pas la question, de donner corps à la rencontre de Bromio et Trinquet dans un environnement qui se croyait et se croit encore, à l’heure où j’écris ceci, en phase avec le meilleur de ses passés historiques.

C’est en effet un défaut de ces sortes de contrées illusoires d’être en partie peuplées de créatures qui se croient propriétaires de leurs histoires par héritage aussi éloigné que possible des propriétés véhiculaires du langage d’usage et de jouissance dont la poésie, heureusement, retrouve toujours les véritables racines par le biais d’une pratique aussi savante que profonde. Mais comme avec un âne, dit-on plus savamment, on ne fait pas un cheval de course, il n’y a pas là lieu de s’inquiéter au-delà de la joie que le spectacle de l’imbécillité procure aux âmes bien nées.

 

Mais revenons à nos moutons…

 

 

ACTE XXII

 

Prologue

 

Comment je rencontrai Sancho Panza sur le mont Valier et pourquoi — Notre conversation — L’apparition de don Quichotte — Les proverbes sur le temps cher à Marcel Proust — Comment, après avoir été sermonné par don Quichotte, je m’endormis sur l’herbe, mes deux nouveaux compagnons ayant disparu, ne laissant que la trace de l’âne.

L’an 2013 de notre ère, qui vaut 6 ou 16 soit 7 selon cette science qui nous vient des Juifs éternels, ce dont il faut tirer conclusion sous peine d’ignorance et de ce qui s’ensuit, ère qui est celle où l’être humain, plus et mieux informé des choses de sa nature profonde au détriment des superstitions qui ont tant coûté en vies humaines, allant de Mazères, aux portes de l’Ariège et à la tangente des coteaux du Lauragais, mouillant ses anciennes murailles dans les eaux grises de l’Hers dit Vif à cet endroit particulièrement oublié des voyageurs d’agrément, au plus près des crêtes du Mont Valier qui étaient encore enneigées de frais, je tombais nez à nez avec non moins que l’illustre Sancho Panza, ami de toujours qui, me voyant pétrifié parce qu’il montait un âne et que je reconnaissais le contenu de son bissac, me donna un coup d’épaule en se penchant à peine pour ne pas m’effrayer d’avantage :

— Ami Rogerius, me dit-il, je vois bien que vous cherchez dans ces parages ce que personne n’y vient plus chercher depuis qu’on me croit mort et enterré à quelque distance de cet autre compagnon qui, pour une fois, sans doute parce que nous sommes en terre étrangère, me suit en selle sur sa pénible haridelle qui n’en peut plus. Considérant que l’herbage est de ce côté-ci des choses un peu moins exorbitant, du point de vue pécuniaire, qu’il ne l’est aujourd’hui sur nos propres terres, nous avons franchi, puisqu’il est permis de le faire sans autre formalité, cette frontière naturelle dont l’élévation et la proximité n’ont toujours pas de sens à nos yeux, tant il est facile de s’y égarer et même d’y laisser la raison.

Me tendant alors une main charitable, il me souleva pour m’installer sur le bat où je logeais mes jambes fatiguées par le voyage.

— Il est étrange de vous retrouver ici, dis-je, dans ce pays où vos personnages ont tant souffert des mauvaises interprétations que certains Aragonais ont multipliées jusqu’à la parodie. Est-ce que votre maître nous observe en ce moment ?

— C’est un fin observateur, répondit Sancho Panza, et c’est d’ailleurs lui qui vous a vu en premier et m’a ordonné de vous rejoindre pour vous ramener.

— C’est un honneur… Il y avait tellement longtemps qu’on ne m’avait pas donné de l’honneur, ce temps remontant à une enfance dont je ne me souviens même pas tant elle est primordiale, si, par cette épithète qui me vient à l’esprit pour des raisons que j’ignore, je puis me permettre de traduire le mot temprana qui m’a d’abord effleuré la langue, tant je suis heureux de vous avoir trouvé car, comme vous et votre maître l’avez deviné, c’est bien vous que je cherchais.

— Nous n’eussions pas entrepris ce voyage si loin de notre aridité coutumière si votre hurlement ne nous avait pas convaincus de la gravité de votre désespoir.

— J’étais pourtant enfermé dans ma chambre par décision judiciaire, l’esprit certes aux aguets car je connais votre promptitude à vous jeter dans des affaires aussi délicates que la mienne, qui ne l’est que par injustice et aussi parce qu’un de mes ancêtres s’est lourdement trompé en optant pour cette nationalité française qui était pourtant celle d’un Empire dévastateur, comme nous le savons de longue date.

Sancho Panza pensa que j’allais encore pousser un cri, car il avait déjà assisté un grand nombre d’émigrés aveuglés par des promesses d’embauche et de bonheur familial ou plus prosaïquement poussé par les fourches caudines en usage dans ces mornes terres où rien ne pousse sans qu’il y ait mort d’homme. Aussi me dit-il :

— Ami Rogerius, dit aussi Roudjar dans son intimité arabo-andalouse, l’écho est si fort en cet endroit que je vous conseille, pour notre bien à tous, de ne pas faire usage de votre instrumentale douleur dont nous connaissons déjà la volupté.

— C’est que, ami Sancho, je ne sais pas emboucher autre chose que ce bec à la hanche taillée dans le roseau le plus sec et résistant que je connaisse. Mais puisque que vous craignez que j’aille encore trop loin dans la définition des choses, je vous promets de ne plus orchestrer ma douleur tant que je n’aurais pas écouté les conseils avisés de notre maître à tous deux.

Sancho Panza sauta sur l’autre côté du bat pour équilibrer notre conversation. Nous étions peut-être écoutés. Il colla son oreille contre le ciel et observa un silence qu’il ne m’était pas permis, si j’en jugeais au sérieux qui décomposa son visage d’ordinaire si structuré, de troubler par autre chose que par une promesse de nous désaltérer dès que l’occasion se présenterait.

— Nous n’en manquerons pas, finit-il par dire. D’ailleurs, nous n’avons jamais manqué de rien, mon maître et moi. Tant nous sommes nécessaires à la conduite du récit, de tous les récits que le monde a connus jusqu’à ce que vous vous en mêliez vous aussi.

— Voulez-vous dire que vous et votre maître m’excluez de cette Histoire ? J’en serais encore plus désespéré que par ce qui m’accable aujourd’hui !

L’âne fit une embardée au-dessus d’un rocher fleuri par les soins de la nature qui se dépense sans compter quand l’envie lui en prend.

— Holà ! fit Sancho Panza en attrapant au vol le morceau de fromage qui m’était sorti de la bouche. Nous ne perdrons rien si rien ne nous est enlevé.

À ce proverbe si bien venu dans le cours du récit que nous venions d’engager, la voix du maître s’éleva au-dessus des fleurs printanières qui couvraient le sommet du rocher et sa tête apparut dans un profil qui me fit froid dans le dos tant je m’étais imaginé que je n’en verrais pas, si je devais un jour la voir pour de bon, de si éminemment triste et dépourvue de tout encouragement à revenir sur les lieux.

— Et ce qui nous est enlevé, proféra don Quichotte, n’est pas perdu pour tout le monde !

Il se leva entièrement, me dominant au moins de la longueur de ses humérus, et la cuirasse lança un bruit de rouille et de chair pétrifiée par l’attente.

— Ce diable d’homme, dit-il plus posément en parlant de son compagnon d’aventures, il faudra vous y faire, ne parle que par proverbes, ce qui me lamine l’esprit jusqu’à la tôle dont on fabrique les salades ! Et vous, pauvre homme tenaillé par l’angoisse qui fait les concepts en usage dans ce monde, d’où vous vient cette faculté de crier aussi fort que du fin fond de la France on vous entend dans les chambres les mieux cadenassées de nos logis manchois ? Quel bond vous nous avez fait faire, autant dans l’espace que dans ce temps qu’il nous reste à perdre ensemble si Dieu nous prête encore l’habitude de vivre !

— Le temps n’est rien si l’espace s’amenuise, scanda Sancho Panza. Et si la place nous manque, ne perdons pas de temps. Car si le temps presse, nous ne sommes pas pressés. Et si nous arrivons trop tard, c’est que c’était notre heure….

— Ah ! C’est le Diable en personne cet homme-là ! s’écria don Quichotte. Et (continua-t-il en s’adressant à moi) vous seriez bien aussi boiteux si vous y entendiez quelque chose !

Heureusement pour moi, je ne comprenais rien à ce que disaient l’un et l’autre de ces personnages que j’étais venu rencontrer pour mettre fin à mes souffrances. À une pareille altitude, on ne plaisante pas avec la rareté de l’air.

— Ah ! cria don Quichotte comme s’il avait entendu ce que j’avais pensé. Vous aussi ! Il ne manquait plus qu’un deuxième donneur de leçon pour me rendre fou !

Il se tenait la tête en la secouant de part et d’autre de l’ouverture dans laquelle s’enfilait son long cou de prédateur en mission objective. Sancho Panza attacha le licol de son âne à la branche d’un arbre et on voyait bien que c’était pour occuper sa pensée pendant que son maître s’adonnait à une discipline qui était pire que d’avoir le derrière fouetté par ses propres mains à cause d’un impératif de haute lice. J’attendis donc sagement la fin de cette scène, prenant bien soin de ne pas m’y impliquer, étant moi-même suffisamment blessé pour ne pas risquer d’ouvrir encore plus largement mes plaies. Sous mon nez, les fleurs qui embellissaient le rocher recevaient le soleil à pleines dents, du moins c’était ce que je m’imaginais pour donner un peu de poésie prégnante à ce moment périlleux pour l’esprit, en l’occurrence le mien qui avait tant de mal à distinguer les différentes parties de ce que mon regard proposait à mon cerveau sans oublier de m’y inclure comme personnage non plus secondaire, celui que je m’étais habitué, depuis tant d’années d’errance, à enfiler comme le meilleur des costumes sociaux en attendant de trouver assez d’argent pour le dépenser sans compter, mais par extraordinaire promu au rang de première importance et en fort bonne compagnie. Cette attente fut délicieuse. J’étais venu avec des idées et je ne les sentais plus ; c’était elles qui me portaient enfin. Fermant les yeux, les cils frottés à vif par les corolles qui m’environnaient, respirant tout l’air qu’elles viciaient magnifiquement et comme par magie, ainsi transporté d’un bout à l’autre de ce monde sans instrument de mesure et au hasard des mesures que je croyais prendre comme si j’en étais le géomètre, palpé de loin par l’horizon et de si près par la pointe des herbes, il m’arrivait ce qui arrive à un homme qui n’en peut plus, qui se distingue des autres parce qu’il est manifeste qu’il n’en peut plus et qu’il ne pourra jamais plus aller plus loin que cette vision facile de lui-même transformé, par la grâce d’il ne sait quelle conjonction des idées, en ami supplémentaire des aventures déjà ordonnées et conclues par un autre qui fut aussi désespéré que lui, mais, à en juger par son œuvre, plus apte à être finalement compris par un nombre d’hommes si grands et si parfaits que la comparaison se réduit à un essai de minoration de l’un au profit de la postérité peut-être éternelle de l’autre, si l’éternité n’est pas trop demander au temps qui passe. Rouvrant les yeux, je vis que j’étais seul, comme s’il ne s’était rien passé, hormis mon voyage de chez moi à cette hauteur si improbable. L’âne avait laissé quelques étrons et leur odeur de fines herbes égaillant le vert de celles qui avaient été épargnées par cette mâchoire capable du pire comme du meilleur. Je suivis cette trace dans l’intention de trouver ceux qui m’avaient si bien accueilli et si mal retenu. La nuit tombait. Je m’endormis.

 

Du rêve que j’eus pendant ce sommeil inexplicable.

Les gens qui me connaissent de longue date ne s’étonneront pas que le rêve que j’eus après la disparition de mes amis eut lieu, comme il est naturel qu’un rêve le fût et le soit, à l’intérieur de cette habitation que nous portons tous en nous et qu’on appelle le sommeil faute de le distinguer clairement de l’état de veille qui est habituellement le nôtre quand nous en parlons. Car ce que je venais de vivre sur le mont Valier, où je me trouvais encore dans la prévision d’écrire ce que je suis en train de raconter pour que la vérité elle-même appartienne tout aussi clairement au domaine de la conscience qui est la nôtre quand il devient essentiel de la dire publiquement, avait peut-être un lointain rapport avec le sommeil et les rêves qui le peuplent comme autant de fausses pistes tracées dans la chair destinée à la poussière tandis que les choses de l’esprit, auxquelles sont liées celles du rêve et du sommeil qui l’entoure de ses membres croissant jusqu’à n’avoir plus de sens, durent aussi longtemps que la mémoire s’applique à ses auteurs innombrables dont quelques-uns constituent les bornes inévitables d’un long chemin qui n’a de fin que parce qu’il est impossible qu’il en soit autrement. Endormi, et pourtant sur la trace de l’âne qui avait conchié mes pistes, j’eus un rêve sans savoir que je l’avais, autrement dit que c’en était un et qu’il allait changer mon existence comme la rencontre d’un gibier de n’importe quelle espèce pose la question du moyen de le tuer sans endommager son poil et le cuir qui le nourrit avant de subir les métamorphoses d’un artisanat toujours auréolé de mystère. Dans ce rêve, il était nuit, ce qui arrive au rêve quand il s’annonce sinistre et de redoutables conséquences sur la tranquillité de celui qui va s’éveiller pour continuer de vivre et de lutter contre ses démons, créatures des fossés et des croisements qu’il faut bien alimenter de légendes si l’on n’a pas la capacité d’en créer de nouvelles. La nuit était orageuse, de cet orage qui vient avec l’autan, poussé par son souffle chaud qui découvre des coins de ciel pour laisser scintiller des étoiles sans formation. J’avançais sous le couvert, traînant les pieds sur le dallage sombre qui sentait le cageot et la pantoufle, personnages du matin car le jeudi est le jour du marché à Mazères et j’y avais acquis les animaux qui me nourrissent quand je n’ai plus faim à force de cultiver mon jardin. Personne sur la place, pas même un véhicule aux reflets de lune. Et pourtant, dans ce silence incompréhensible comme peut l’être la fuite du temps sur l’arête de la peau de l’être qu’on aime le plus au monde, quelque chose de dur heurtait l’air à travers le vent, non point comme un être qui marche chaussé de ses gros sabots, mais comme si le vent avait arraché un pan de la réalité pour l’approcher de moi et me la donner à observer avec ces yeux fatigués qui sont les miens depuis presque aussi longtemps que j’existe pour les autres. Je m’arrêtai derrière une colonne. Je guettais l’ombre de l’autre côté. Mais de quel côté étais-je moi-même ? L’enfance me revenait comme si j’y avais commis la première explication, je dis « commis » parce que je me sentais coupable, sentiment difficilement explicable, mais le sommeil, si c’était lui, me communiquait avec l’autan, si c’était moi, les étranges sensations que seul le marin en perdition et menacé par la soif peut encore comprendre s’il n’a pas eu l’occasion, à cause d’une existence chargée d’autres trophées, de les lire ailleurs que dans le journal de bord d’un ancien aventurier des mers et des fleuves sans fin. Je le suivis.

À cet instant de mon récit qui est, je le rappelle, celui d’un rêve et non pas d’un moment passé avec les autres, on s’étonnera peut-être du fait que je n’ai introduit aucun objet à suivre. Mais de quoi s’étonnerait-on si nous n’avions en commun cette capacité de rêver à l’intérieur de ces corps qui se ressemblent tellement qu’il est permis de douter de leur multiplicité et partant, de leur reproduction cyclique tous azimuts. Qu’était-ce cet objet, si c’était un objet ? Et pourquoi ne l’avais-je pas identifié comme il arrive si fréquemment qu’on le fasse à toute heure du jour et même de la nuit si l’on n’a pas trouvé le sommeil ? Il me contraignait, avec ce que cela suppose de douleur, à accélérer le rythme d’une investigation déjà difficile à suivre sans engager les piliers de la raison. Je parcourus des rues que je connaissais, passant par les Tourelles et même par le Château d’eau, descendant vers la rivière dont le moulin, ou ce qui fut un moulin, lançait dans le ciel gris des étoiles d’électricité et des cris de l’acier qui les produisait. J’ignorais après quoi je courais, car maintenant j’étais aussi rapide que l’autan et j’allais dans son sens, curieusement persuadé que j’étais sur le point d’atteindre mon but, comme si j’avais un but et que ce point, si difficilement conçu, avait quelque chance d’exister au moins le temps de ne pas me réveiller avant de le reconnaître. Je sentais que nous étions deux. En effet, quelle folie c’eût été de courir non pas après quelqu’un, comme on court toujours quand le désir est la clé de notre énigme, mais après une chose qu’il eût fallu alors nommer et non pas appeler ! Ses chocs me hantaient tandis que la rue s’amenuisait comme il arrive quelquefois dans le rêve quand l’esprit en voit la fin. Et je ne souhaitais pas cette fin parce que j’étais heureux.

Ici, le lecteur reconnaîtra l’approche de la mort, celle-ci s’annonçant toujours par quelque signe facile à déchiffrer, comme s’il s’agissait maintenant d’entrer dans la peur et pourquoi pas dans le cri qui réveillera les autres dormeurs. Pourtant, je courais toujours, avide de connaissance, moi qui n’avais jamais songé qu’à agir pour mon bien et peut-être justement à cause de cela. Mon esprit d’ordinaire enclin aux calculs de l’acquisition et des intérêts me forçait à réfléchir à ce que j’allais voir au lieu de me donner, comme j’en avais l’habitude et peut-être le vice, la mesure de ce que j’entreprenais en allant aussi loin que le rêve qui s’était emparé de moi et sans doute aussi de ma raison. Alors le vent tomba et une tranquillité sans faille s’installa à la place de ses tiédeurs et de ses caresses. Je m’immobilisais, ne comprenant pas que j’étais arrivé au terme de ce rêve et que par conséquent j’allais me réveiller pour peut-être l’oublier ou au mieux m’en souvenir si partiellement qu’il n’aurait plus aucun sens. Mais il en avait un ! L’odeur des WC municipaux rôdait. J’étais devant la mairie, les pieds dans un gazon planté de crottes de chien. Une force, dont je sentais bien qu’elle était intérieure et ne devait rien à la réalité suggérée par l’endroit, me pliait irrésistiblement, elle s’insérait entre mes paupières de dormeur pour les ouvrir et contraindre mes pupilles à l’ouverture maximale qui leur était autorisée par ma conformation. Je vis, je dis bien « je vis », qu’un objet familier était posé entre mes pieds, comme si je l’avais fait tomber exprès, qu’il m’appartenait comme un bien familial et que je ne voulais pas le voir ! Cet objet, c’était le képi chamarré du maréchal Philippe Pétain.

 

Remarques sur le rêve en général et non sur celui-ci en particulier.

Étant arrivé bien malgré moi au bout de ce rêve que je venais de vivre, si vivre n’est pas trop dire du sommeil qui est le bien commun des hommes, et en dire trop en dénaturerait sans doute le sens volatil et les transparences fleurant le sens, il eût été logique que je m’en séparasse par l’effet du réveil, espèce d’éclat de lumière qui miroitait sur la visière et dans lequel je reconnus sans peine ma fenêtre et les objets familiers que contenaient ses carreaux. Mais une force impossible à reconnaître avec les moyens du sommeil et peut-être de la fatigue contractée au cours d’une journée particulièrement riche en raison de tout remettre au lendemain sans se donner la peine d’en mesurer les conséquences me retenait entre les murs tièdes et noirs de cette rue dont le bout commençait à s’éclairer aussi faiblement qu’un coin de table quand l’électricité revient sans promettre de lui être fidèle. Comme il m’était également impossible de fermer les yeux car alors je voyais qu’ainsi j’ouvrais les portes de la mort, je me mis à penser aussi intensément que je pouvais, dans la limite cependant des bruits de fenêtres et de volets qui laissaient enfin entrer dans la nuit finissante ces produits larvaires échappés comme des fumées nocives hors des draps et des sécrétions avec quoi le sommeil compose des rêves et sans doute aussi de l’attente. L’autan circulait sur les trottoirs, poussant des chats souples et silencieux. C’était bien le képi du maréchal Pétain que j’observais, pas plus incrédule qu’un enfant qui vient de faire tomber sa sucette dans le caniveau et qui se demande de quoi se composent les liquides qui fluent à la place de sa langue. Dans ma fenêtre, ou plutôt dans ce que je pouvais savoir d’elle maintenant, personne n’entrait pour m’inviter à déjeuner. J’avais beau secouer ma pauvre tête pour empêcher mon esprit de se livrer à des interprétations douloureuses, je ne parvins pas à me souvenir de cette personne, comme si elle n’existait pas dans ce rêve-là et que j’aurais certainement à l’inventer une fois revenu parmi les miens. Cédant à la panique qui s’ensuivait, je tombais à genoux, peut-être dans l’espoir de trouver dans cette position universellement appréciée l’être qui m’eût apporté quelques paroles de réconfort à défaut d’une explication claire et clairement exprimée. Mais seul le vent me répondait et je n’étais pas dupe de cette illusion. Je venais d’acquérir la certitude que jamais je ne sortirais de ce rêve et de cette prostration, que rien ni personne ne m’inspirerait l’invention qui mettrait fin à ce qui, de rêve que c’était, était devenu pure hallucination.

Je disais plus haut, peu inspiré par la réalité et ses apparences, que le sommeil est la chambre de la journée, ou plus exactement dit de la jornada, heures passées du matin au soir, ou de l’aubade à la sérénade, à faire reculer la pauvreté qui est le propre de l’homme mieux que son rire qui est à double face, l’une riant d’en avoir et l’autre de n’en avoir pas. Cette perception est trop triviale pour être totalement vraie. Dans la tradition des troubadours et de leurs ancêtres andalous, le rêve commence où se finit la poésie et finit où commence le poème. C’est donc à cet endroit qu’il faut chercher le sommeil et non pas dans les draps douillets de nos pénates. Mais le soir, quand j’en arrivais à me demander si je ne ferais pas mieux de disparaître avec mes rêves, laissant aux autres le soin d’effacer mes propres traces, j’étais bien incapable de me livrer à de si profondes et riches pénétrations de la réalité. Je m’endormais plutôt pour soulager l’épuisement dû à la fois à l’ennui que me causaient mes travaux nourriciers et à la douleur de mon corps qu’une attentive chimie organique réussissait à me faire oublier pendant les quelques secondes où je trouvais le sommeil. Jamais je n’ai atteint ce point de la sidération où l’esprit prend enfin le chemin de l’invention et des ressources impétueuses de l’imagination en proie à ses démons. La nuit, je creusais un trou, et le jour, je le rebouchais pour passer inaperçu ou en tous cas pour ressembler à tout le monde, goût de l’aventure triviale qui m’avait été donné en héritage et qu’il ne m’est jamais venu à l’idée d’adapter à mes propres hantises. Mais ce rêve, était-il un rêve tel qu’on en rencontre sans effort par le simple fait de dormir, ou bien était-ce dans le rêve que je le rêvais ? Rêvant à cela, étais-je ailleurs que dans mon lit ? Avais-je quitté le lieu naturel du sommeil et des rêves qu’il entretient pour rêver encore plus infiniment dans cet autre rêve qui était l’expression du désir le plus fou et le plus secret que jamais enfant n’eût osé interposer entre sa petite existence et celles qui l’expliquaient ? Si j’étais sur le mont Valier en train de rêver parce que je dormais, et si je dormais parce que la recherche de mes amis manchois m’avait épuisé au point de m’imposer naturellement le sommeil, était-il possible que je fusse en même temps dans mon lit en train de rêver que je n’avais rien d’autre de mieux à faire ?

Pourtant, ce que je voyais ressemblait à s’y méprendre à une rue de Mazères. Et dans le gazon gris de la mairie, tout environné de cette nuit de tiédeurs et de crispations, le képi panaché du Maréchal m’invitait à ne pas céder à la tentation du réveil sous peine de n’en pas comprendre le sens, voire de l’oublier. Et sur mon visage circulaient les senteurs d’un adret qui me conviait à un autre festin que celui du désir, marche forcée au-delà de ce qu’il est possible de faire quand on a enfin trouvé la force d’exprimer même la plus infime partie de l’objet obsessionnel. Si je rêvais, c’est parce que je dormais sur l’adret presque vertical du mont Valier et non point parce que je dormais dans mon lit.

J’en suis venu, cher lecteur impatient, à tenir ces propos quelque peu subtils car je ne voudrais pas que tu crusses que j’écris en dormant et non point comme doit écrire un homme de bon sens qui ne cherche pas autre chose qu’à témoigner de son goût pour l’aventure et les plaisirs qu’il imagine déjà les siens. Ne va pas donc t’imaginer que je fais un usage abusif de la métaphore ou pire que je te mens. Je t’expliquerais le moment venu, plus loin comme disait Marcel, pourquoi j’avais marché comme le mythique et peut-être véridique Valerius presque jusqu’à la pointe de cet immense rocher dont la langue qui parle la mienne est un glacier et la raison une vallée où un torrent exprime ma vigueur. À l’heure où j’écris ces mots (on verra à quel endroit dans la suite de ce récit), aucune via ferrata ne m’a conduit aussi haut qu’à l’altitude de ce parterre où des gentianes penchaient indolemment leurs calices bleus. Et j’y rêvais, j’y touchais de près les limites du sommeil parce que j’y dormais d’une autre fatigue que celle qui me minait ordinairement. J’avais épuisé mon corps au fil de l’air. J’avais trouvé ce que je cherchais, aussi étrange que cela puisse paraître. Et si je concède comme mon ami don Quichotte qu’une part de poésie explique autant sa grotte de Montesinos que mon adret valérien, c’est bien parce que Sancho Panza, cet autre ami qui me fuyait lui aussi peut-être, avait fort bien cavalcadé sur Clavileño el Aligero lequel avait emporté la belle Magalona en des temps moins propices à la parodie, mais tout aussi exaltants du point de vue qui nous occupe ici, celui des choses qui prennent un sens parce qu’on les a d’abord rêvées.

 

Comment je fus réveillé et en quel endroit de ce monde en marche — Dialogue avec une marionnette — Identité du marionnettiste — Déception causée par un cheval.

Les rêveurs expérimentés objecteront qu’on n’a jamais vu, aussi loin qu’on remonte dans les temps obscurs du sommeil et de ses commentaires foisonnants de convictions autant que de preuves, qu’un rêve aussi immobile ait duré plus que le temps qu’il faut pour ressentir une intense déception à le voir s’effondrer dans la lumière soudaine du réveil ou dans l’odeur persistante d’une suée dont il n’est pas difficile de mesurer l’importance. Il semble en effet que l’attente provoquée par cette espèce d’arrêt sur image est impossible à maintenir plus que le temps nécessaire à l’esprit pour comprendre ou espérer qu’aucune réponse ne sera apportée à la question posée par l’objet décrit avec tant de détails et de résonnances de toutes sortes dont les prolongements historiques, dans ce cas précis, ne sont pas les moindres et les moins appréciés. Les yeux s’ouvrent sur un néant constitué par l’agencement familier des objets qu’on a installés ailleurs dans une existence qui est la foi même de la réalité et si la nuit est encore environnante et pèse de son silence sur le sentiment d’angoisse ou de frustration occupant toute l’attention du rêveur éveillé, il distingue nettement tout le poids que cette familiarité fait peser sur ses facultés de raisonnement et de reconnaissance. Autrement dit, il se frotte les yeux. Et l’étrange dans ce moment vécu jusqu’au bout, c’est que ce n’était point mes poings fermés qui se livraient à ces pressions, mais autre chose qui ne m’appartenait pas, sinon je lui eusse donné un nom et n’en eusse conçu aucun désarroi. Associé à ce corps rugueux et presque déchirant, épithète qui me vient à l’esprit car j’eus alors la crainte folle et exaspérée que cette chose emportât mes paupières dans son monde inaccessible une fois mutilé de cette atroce façon, un liquide à la fois brûlant, brûlant comme le feu et non point comme un acide qui m’eût rappelé que j’étais en train de pleurer, et méphitique tel que peut l’être une chair trop longtemps exposée au soleil alors que je songeais, essuyant mes larmes comme je pouvais sur mes joues secouées de crispations lancinantes et tenaces, à quelque anfractuosité sépulcrale dont le rêve m’avait approché malgré une tension musculaire trop vivace pour n’avoir aucun rapport avec ce qui me ramenait à la réalité. Comme cette chose au fond dégoutante me rabotait le visage au rythme de ce qu’elle entreprenait sciemment sur mon corps, et que partant de la pointe du menton elle ratiboisait mon nez, réduit cette fois à son sens d’appendice, emportait ensuite ce qui pouvait être, j’en étais persuadé, l’épiderme de l’arête de mon nez, qui est aussi fièrement droite que l’est la fonction d’héritage dans ma famille paternelle, puis arrachant un sourcil et puis l’autre alternativement revenait à la surface de l’œil dont la paupière protectrice était depuis longtemps, me semblait-il, je veux parler de ce temps et non point de ce qui était en train de s’y passer malgré mes récriminations, car je trouvais encore la force, en quel endroit de ce corps presque nouveau de ne pas revenir du rêve comme j’en avais la confortable habitude, repliée en autant de pliures que j’avais de mal à distinguer si j’étais encore en train de rêver ou si ce que je voyais malgré moi, un âne, était un élément suffisamment rattaché à mon récit (l’âne de Sancho Panza dont je suivais les traces) pour y figurer sans que le lecteur, dont l’impatience est un instrument de mesure pas toujours fidèle à la qualité de l’écriture, y trouvât à redire. Faisant alors usage de mes mains, que la bête, si c’était elle, n’avait pas employées pour exercer la pression de ses sabots, je me saisis des oreilles, sentant leurs soies explorer la surface excitée de mes paumes et, arcboutant ce que j’imaginais être mon échine au service de tout ce que je pouvais entreprendre pour défendre mon intégrité, je procédais à une torsion qui poussa la pronation de mes radius et cubitus conjoints dans un effort qui entraîna mon propre cri dans celui de la bête soudain arrachée à ce qu’elle avait commencé sans intention de nuire. Une voix lança dans l’air déjà saturé de douleurs un cri qui s’ajouta au mien et au braiment de la bête qui, propulsée dans le sens que j’impliquais à ses oreilles, se mit à labourer sans ménagement une poitrine qui n’était nullement entraînée à ce genre d’exercice et à pareille altitude. J’étouffais.

— Tout doux, amigo ! faisait la voix entrecoupée ou noyée par la conjonction du braiment et du râle. Cet animal vous veut du bien. C’est moi-même qui lui ai demandé de vous réveiller, car vous sembliez, et même j’en suis sûr, souffrir atrocement de ce que le sommeil vous infligeait.

Ce n’était pas la voix de Sancho Panza, propriétaire légitime de l’âne. Je ne reconnaissais pas celle-là :

— Est-ce que c’est l’âne de Sancho Panza ? demandai-je.

— Celui-là même, amigo ! Je n’en connais pas d’autres.

— Mais alors, balbutiai-je, je… je ne rêve plus ?

— En tous cas vous en souffrez d’une autre manière. Et si vous consentez à lâcher ces oreilles, l’animal cessera de gâcher notre conversation en se taisant un peu. Je dis un peu car, avec ce que vous venez de lui faire subir, vous admettrez qu’il a aussi un peu droit à la parole.

J’ouvris complètement les yeux tandis que mes paupières reprenaient leur forme et leur position naturelle. Un homme me regardait. Il était accroupi et caressait le museau de l’âne qui demeurait dans ma proximité, mais sans menacer l’apaisement que cette compagnie m’inspirait maintenant.

— Rogerius… commença l’homme.

— Vous connaissez mon nom ? m’étonnai-je.

— Et si je vous dis le mien, brave ami de toujours, vous vous écrierez : « Mais est-ce bien là ce vieux Ginès de Pasamonte ! »

— Le… le voleur d’âne… ?

— Et le maître le plus à même d’inspirer le combat aux imaginations les moins réfléchies pour ne pas dire les moins habiles.

— Cette fois, ajoutai-je à ce commentaire déplacé, vous avez emporté le bat… et tout ce qu’il contient de victuailles et d’objets nécessaires au récit. Puis-je vous demander ce qu’il est advenu de mes amis ?

— Ils sont à pied et s’ils ne rencontrent pas une voiture de la Garde Civile, il leur faudra longtemps pour se lancer dans les aventures pastorales que la mort a hélas condamnées à la page blanche, comme vous le savez déjà.

Je m’appuyai sur un coude pour observer ce visage vieilli qui avait pourtant conservé de l’astuce et du bien fondé.

— Je ne rêve plus moi non plus, dit Ginès. Et je n’ai plus que cette marionnette pour me distraire de la solitude. Voulez-vous que je l’agite pour vous donner à imaginer ce que j’endure entre les rencontres que je fais sur les chemins que vous avez vous-même décidé d’emprunter sans doute dans le même espoir de ne plus revenir toujours au même point ?

La phrase était un peu longue pour que je la comprisse, aussi me contentai-je de suivre les fils un par un jusqu’à ce que le visage de la marionnette s’animât d’une étrange vie.

— N’avez-vous pas quelquefois le sentiment que nous n’y sommes pour rien et que pourtant c’est à nous d’endurer les conséquences de ce que d’autres vivent en parfaite harmonie avec ce qui ressemble à un monde ? me dit la marionnette. Je ne sais même pas pourquoi je m’agite devant vous. Et ce n’est même pas moi qui dis ce que je pense. Après tout, je n’aime rien de plus que respirer au-dessus de l’herbe et me divertir des aventures cocasses d’un insecte qui pousse son existence devant lui. Voyez-vous comme il semble qu’il ne sait pas où il va ? Si vous le souhaitez, je peux aussi douer cet animal, qui est de chair et de sang comme vous et moi, de cette parole qui nous enchante quand c’est celle de l’être que nous aimons le plus secrètement au monde. Pourquoi êtes-vous venu seul ? Pourquoi ne pas vous être encore posé la question ?

— Je… Je serais bien venu avec…

— Avec qui ? continua la marionnette. Avez-vous fait votre choix maintenant que je vous en parle ? Et ma présence pallie-t-elle cette absence qui sera définitive si vous n’arrivez pas avant la nuit ?

— Arriver où ? Je ne sais même pas où je vais ! Tout à l’heure don Quichotte me disait…

— Il ne vous disait rien. Il attendait que vous lui disiez quelque chose et vous n’avez rien dit pour le retenir. Je le connais…

— L’âne pourra nous conduire à son maître si vous consentez à lui lâcher le licol.

— Mais c’est que je ne vais pas de ce côté, ami Rogerius.

— Vous avez vraiment l’intention de voler cette bête ?

— Mais je ne la vole que pour te la donner ?

— C’est que je ne vais pas ce côté-là !

Le visage de Ginès se contracta de telle façon qu’il n’était guère possible d’échapper à son regard inquisiteur.

— Tu ne crois tout de même pas que je vais te donner cet âne pour m’en séparer ! grogna-t-il en se frottant le nez, ce qui, chez les personnes chatouilleuses, est un signe d’irritation dont il vaut mieux ignorer les effets avant d’en subir les essais.

Il observa longuement mes propres traits pour y deviner les résistances, si tant est que j’étais en mesure d’imposer mon point de vue dans cette affaire qui regardait mieux la Justice que mon propre sentiment face à ce que je considérais comme une injustice.

— Si nous mangions ce que Sancho pensait avaler sans nous ? proposai-je gaîment.

— Il y a même de quoi boire ! fit Ginès en se levant d’un bond.

La marionnette s’immobilisa un instant puis s’écroula. Je dus m’appuyer sur le garrot de l’âne pour me mettre debout. Plus bas, dans la vallée, le soleil fit une pirouette et nous rejoignit. À mi-chemin de ce festin impromptu, Ginès releva sa grosse tête empaillassée pour m’observer de plus près, comme font les hôtes chez qui on a l’intention de coucher sans en avoir franchement parlé, mais en qui on a déjà placé toute la confiance dont notre esprit vagabond est rempli jusqu’à plus soif. Ses yeux roulaient un regard avide de toutes les curiosités dont j’étais, selon lui, et il ne se trompait pas de beaucoup, le siège. Il n’avait pas cessé de mâcher et d’avaler, gonflant des joues poilues qui portaient la trace d’autres abus. Comme il ne parlait pas, ce faisant, j’ouvris la bouche pour lui demander d’expliquer ce regard et ce silence, mais ce fut lui qui prit la parole pour me dire :

— Il y a longtemps que je voyage et des gens, j’en rencontre tous les jours, et tous les jours, je me pose mille questions à leur sujet.

— C’est ce que je fais moi-même, répliquai-je avec ce que je croyais être de l’humour. Mais je ne voyage pas. Je reste à l’intérieur. Je ne sors pas.

— C’est ce que je voulais dire, continua Ginès. Et vous auriez bien tort de ne pas vous y tenir. Comment expliquez-vous la distance qui vous sépare maintenant de votre logis ? Vous ne rêvez pas, tout de même !

Sur sa cuisse, la marionnette semblait écouter et même attendre que je répondisse à ce que d’emblée j’avais considéré comme une critique de ma raison.

— Vous seriez indiscret si vous me demandiez ce que je suis venu chercher aussi loin de chez moi, dis-je en baissant les yeux.

— Mais je ne le suis pas ! s’écria Ginès.

La marionnette sursauta en même temps. Je ne doutais pas un instant que c’était là un truc, comme disent les magiciens, pour égarer mon attention et en profiter pour jeter un œil sur ce que j’avais bien l’intention de cacher à toute personne qui ne fût pas don Quichotte lui-même.

— Ce n’est pas de l’argent, dit Ginès.

— Ce n’est donc rien, fit la marionnette.

— Cela ne nous regarde donc pas.

— Ce n’est même pas intéressant, conclut la marionnette.

Et les dents de Ginès déchirèrent une côtelette dont la graisse se figea sur ses doigts épais et jaunis par l’usage du tabac.

— Suivons l’âne ! m’écriai-je. Les ânes savent toujours où ils vont.

— Moins que les chevaux, dit Ginès sans cesser de mastiquer.

— Sancho sera si heureux de retrouver son bien !

— Et moi si malheureux d’avoir le dos martyrisé !

— Il n’y a que cette marionnette qui ne servira à rien, dis-je en soutenant son regard d’enfant.

— Le cheval, dit-elle, nous attend dans le pré qui est caché par ce petit bois de châtaigniers.

Je me levai d’un coup, les mains sur les hanches :

— Vous avez aussi volé le cheval ? criai-je sans me soucier de l’écho.

— Vous avez bien vu la casquette du père Bugeaud dans votre rêve !

— Ce n’était pas le père Bugeaud ! C’était…

Ginès éclata de rire, montrant des dents si blanches que je crus à un nouveau mensonge, car en effet, comment un brigand de cette espèce eût-il conservé la blancheur de ses dents au cours d’une existence passée à fuir et à rôder ? Elles sciaient la viande froide.

— Allons voir le cheval, dit-il.

Il se leva, s’assura que le licol qui retenait l’âne était bien noué autour de la branche, et la marionnette marcha devant nous en entonnant un chant guerrier que je ne connaissais pas. J’éprouvais une grande admiration pour l’usage que Ginès en faisait. Et ce fut elle qui écarta les herbes pour ouvrir un passage dans la clairière où le cheval broutait sans s’occuper de nous. Ce n’était pas le canasson de don Quichotte, ce qui me rassura un peu, mais pas aussi complètement que je l’aurais souhaité. La marionnette sauta et se jucha sur la selle :

— Ne reconnais-tu pas Clavilègne, comme on dit chez vous ? me dit-elle en agitant ce qui me sembla être une cheville de bois plantée dans le front de l’animal.

— Un cheval de bois ? dis-je, tournant une tête sans doute égarée dans la direction de Ginès qui riait en se tenant le ventre.

— J’ai une âme de voleur, dit-il. Il faut être un bon voleur, je ne dis pas grand, mais bon, pour voyager aussi loin et aussi longtemps que moi.

— Ne m’oublie pas ! dit la marionnette.

La situation me paraissait suffisamment absurde pour ne pas chercher à m’y attarder plus que de raison. Après tout, j’avais apprécié le repas. J’en remerciai le plus poliment du monde Ginès qui me fit comprendre, en me montrant ses paumes, qu’il ne s’y prenait jamais autrement avec ses amis. Je ne savais pas si cette attention, le fait qu’il m’appelât son ami et que la marionnette approuvât cette distinction, me flattait ou au contraire devait m’inspirer la plus sournoise méfiance à l’égard d’un homme qui n’éprouvait aucune honte à faire étalage du produit de ses délits. Cependant, comme je craignais d’avoir à me battre si je disais le contraire, je me mis à hocher la tête pour signifier que j’avais moi aussi un sens honorable de l’amitié et de toutes les choses, bonnes ou mauvaises, qui s’y rapportent si on ne regarde pas de trop près la qualité des tenants et des aboutissants de cette relation qui commence toujours où on ne s’y attend pas et se finit bien souvent où elle a commencé. Nous nous flattâmes longuement, l’un parce qu’il ne trouvait pas les mots pour exprimer ce qu’il ressentait et l’autre s’en privant parce qu’il n’était pas certain d’avoir tout compris. La marionnette s’agitait, réduite au silence elle aussi.

— Nous avons commis l’imprudence de laisser notre bissac sans cadenas, fit soudain Ginès, habitué qu’il était de faire l’objet de la convoitise des personnes de sa qualité.

Nous retournâmes du côté de l’âne. Ginès traînait le cheval de bois, nommé Chevilène, ou quelque chose de ressemblant, au bout d’une longe qui jusque-là lui servait de ceinture. La marionnette, maintenant immobile et la tête posée sur épaule, se tenait à ce qui aurait pu être une crinière si je n’avais distinctement observé que c’était une serpillère, ce qui ne manqua pas d’occuper le peu de place que je réservais dans mon esprit aux choses qui ne s’expliquent pas entièrement et dont l’utilité consiste en leur seule présence dans le champ de nos observations les moins prégnantes. Mais si ce cheval de bois, qui n’avait fait aucun usage de la parole pendant tout ce temps, avançait au bout de la longe, c’est qu’il allait sur des roulettes, lesquelles produisaient le grincement caractéristique des jouets qui, retenus depuis belle lurette dans le grenier des souvenirs, reviennent prendre leur place avant même qu’on ait eu le temps de les dépoussiérer et notamment de lubrifier leurs axes oxydés, dans notre existence surprise en flagrant délit de nostalgie au tournant d’un événement dont on n’a pas encore mesuré l’importance et le coût. Je suivis cet étrange attelage, n’éprouvant pas de sentiments particuliers pour ces artistes dont on ne peut pas dire qu’ils alimentent notre propre existence d’autre chose que de leur dénuement. Mais comme je n’avais pas parlé à Ginès du contenu de mon rêve et qu’il en savait quelque chose de ressemblant (il s’était simplement trompé de personnage historique et d’époque et avait confondu casquette et képi), force m’était de constater que j’en tremblais et qu’il m’était impossible d’associer autre chose à ce tremblement. J’en concevais une espèce de frayeur, d’autant que la marionnette me tournant le dos, je ne voyais pas ses yeux. Le dos de Ginès s’arrondissait dans l’effort, car l’herbe était haute et la pente, que nous avions descendue, reprenait maintenant le contrôle de la réalité. De plus, la végétation s’épaississait, du moins ma mémoire n’avait-elle pas retenu sa broussaille, peut-être parce que, porté par la descente et par la joie d’avoir retrouvé le cheval de don Quichotte, je n’avais pas pensé un seul instant que je pourrais être déçu par ce qui en tiendrait lieu. Les jouets de Ginès, volés peut-être mais pour lesquels il était manifeste qu’il éprouvait une grande estime, au point qu’il les défendrait armes à la main si on tentait de les lui reprendre, me paraissait aussi inutiles que mes propres rêves, mais je n’envisageais surtout pas de continuer la discussion sur ce sujet avec un être que je n’avais pas l’intention de côtoyer plus longtemps que m’y forçaient les circonstances particulières de cette réalité toute nouvelle pour moi.

 

Comment le képi du Maréchal, sorti on ne sait comment de mon rêve, me tomba entre les mains — Tentative d’explication de ce phénomène extraordinaire — Explications moins hypothétiques de Ginès.

Était-ce l’odeur envoutante des fleurs de châtaigniers que des abeilles tournoyantes comme des photons répandait aux alentours tandis que nous remontions le chemin tracé quelques minutes plus tôt par la marionnette ou par ce que mon compagnon savait en faire quand il avait un spectateur à portée de son imagination ? Était-ce la souplesse des herbes contre mes jambes qui se croisaient dans un effort de plus en plus inexplicable tant il semblait que la marionnette n’en produisait que de modestes et sans ânonnements ? Était-ce le désir d’arriver le premier sans avoir aucune idée de ce qui m’attendait une fois revenus d’où nous étions partis, perdant de vue notre seul bien qui consistait en un âne volé surmonté d’un bat encombré d’objets ne nous appartenant pas moins car nous en avions, selon ce que nous ressentions sans partager clairement ce sentiment et sans même en percevoir l’infime complexité relative à la culpabilité que j’étais sans doute le seul à me reprocher, un besoin si véritable que nous n’avions pas envisagé d’en discuter pour en trouver l’assouvissement le moins satisfaisant ? Était-ce l’odeur que nous communiquions nous-mêmes à cet endroit que des animaux surveillaient en ce moment même de si près que le compendium de leurs effluences se trouvait rassemblé en un point commun de notre souffle, alimentant chaque trajet de nos regards sur ces crêtes sombres où voltigeaient des myriades d’insectes métalliques et poudreux ? Était-ce, en ce qui me concernait plus particulièrement, une séquelle de mon acharnement à vouloir m’éloigner le plus possible de ce que je fuyais dans l’espoir de finalement trouver assez d’énergie pour en contourner sans blessures le sinistre avancement ? Quand Ginès atteignit le sommet, écartant des fougères rousses qui craquaient dans ses poings, et moi voyant qu’il usait d’un acier finement affilé sur le cuir de son épaule, le cheval de bois se pencha sur le côté et menaça de verser dans le taillis rouillé, la marionnette un instant désarticulée tirant sur un fil et secouant sa tête folle, alors je bondis pour retenir cet équipage dénué de sens et d’à-propos et la douleur de l’effort musculaire m’arracha un cri si petit et si doux que je crus que j’étais déjà écrasé sous le poids de l’animal surmonté de sa folle cavalière et non point en train de lui éviter la chute tragique qui l’eût complètement détruit. Heureusement, Ginès me vit basculer dans le même sens et il tira sur le fil en poussant lui aussi un cri qui, lui, fit trembler les feuillages et épouvanta une quantité considérable d’oiseaux qui crevèrent cette paroi végétale, le ciel apparaissant d’un coup, bleu et presque liquide, comme si nous venions de le peindre, comme si la toile que nous avions prévue pour la fin de cet acte s’était déchirée pour ouvrir les portes d’une autre comédie. Et ce fut à travers cet interstice de ballet que je vis ce que je vis, l’âne de Sancho Panza encore attaché par le licol que Ginès essayait de saisir pour retrouver son équilibre et par là-même le mien et celui de ses nécessaires jouets sans lesquels je n’eusse pas été ce que je lui semblais devenir. Et entre les oreilles de cet âne qui portait toujours sa charge nourricière, ce que je vis ressemblait fort à une casquette, ce dont Ginès me détrompa car, me disait-il en balbutiant, c’était en réalité un autre type de coiffure. Ayant ramené dans un suprême effort tout l’appareil que je formais avec le cheval de bois et sa marionnette, il tira une lourde langue pour la pointer, car ses deux mains n’étaient plus libres et ses pieds s’enfonçaient puissamment dans la terre meuble à cet endroit, sur les étoiles qui fleurissaient sur le tuyau du képi. « Mmmmm… » fit-il en roulant ses yeux bleus. « Mmmmm… » Et je tirais sur la serpillère malgré les hennissements du cheval et les reproches épouvantables de la marionnette, ce qui me rapprocha de Ginès sans que je pusse m’accrocher à sa chemise et pourtant il secouait son gros derrière par intermittence pour imprimer à ses basques la descente qui m’eût rapproché d’elles. Enfin, les yeux remplis d’étoiles sans parvenir à les compter, j’avisais une chaussette glissant sur la cheville et, m’arcboutant comme un chat en équilibre entre deux balcons, je me sentis hissé le long du mât de la jambe, atteignant finalement l’endroit précis, je n’en doutais pas, que Ginès avait choisi pour que je pusse observer dignement le képi du Maréchal tranquillement posé sur la tête de l’âne, lequel me regardait comme si je n’avais jamais vu de képi de toute mon existence de fin observateur de la chose militaire. « Mmmmm ? » semblait demander Ginès dont les dents mordaient le licol sans ménagement. Comme un bout pendait à ses lèvres, je m’en saisis et, l’élevant à la hauteur de ses yeux, je dis : « Mmmmm ? » car j’étais moi aussi en train de mordre, en espérant que ce ne fut rien qui lui appartînt, tant son regard exprimait plus que la douleur une sainte colère. Je compris enfin que l’âne était sur le point de s’échapper et qu’il n’était pas question que je le poursuivisse pour retrouver son propriétaire légitime. Maugréant contre mon infortune, je m’appliquai à parfaire un nœud, éprouvant la solidité de la branche pour prouver ma bonne foi. Ginès put enfin ouvrir la bouche :

— Cessez donc de vous mordre la langue, dit-il. À quoi me servirait un compagnon de voyage qui n’aurait pas la faculté de remplir les vides de ma conversation avec les pleins de la sienne ?

Il riait. Il m’avait adopté, si j’en jugeais par la douceur de son rire et les larmes qui roulaient sur ses joues.

— Le voilà, votre képi ! fit-il.

— Vous me l’avez volé ? Je veux dire…

— Je me demande bien comment il a pu s’en coiffer…

J’étais d’accord sur ce point, mais cela ne résolvait pas la question de savoir comment Ginès avait pu mettre la main assez profondément dans mon rêve pour en retirer un objet aussi encombrant. À le voir tourner autour de l’âne pour se rendre compte de l’ampleur du larcin dont nous étions cette fois les victimes, je compris que le képi ne lui posait aucune question.

— Si c’est une farce… grognait-il sans dire clairement ce qu’il entreprendrait si c’en était une, peut-être de crainte que le larron ne fût pas encore assez loin pour ne pas relever le défi.

Pendant ce temps, car il s’appliquait lentement à faire l’inventaire de nos biens, je ramenais le cheval de bois à notre hauteur et, par souci de perfection, l’attachais à la même branche que l’âne qui, à en juger par d’autres applications, ne comprenait pas ce qui se passait. La marionnette ne bougeait plus, comme atteinte en plein cœur, et ses fils voletaient dans la brise.

— Il doit y avoir une explication… dis-je.

— Il y en a une ! fit Ginès.

— Un objet aussi signifiant du rêve auquel il appartient physiquement ne peut en aucun cas, comment dirais-je… traverser ce qui peut être figuré par une paroi et qui n’en est pas une, car il n’y a aucun point commun entre le rêve et la réalité, à part les rêveries obscures de nos troubadours, lesquelles ne constituent pas une explication de tout ce qui ne peut pas être expliqué…

Ginès referma enfin le bissac dont il avait scrupuleusement vérifié le contenu :

— Il ne manque rien ! dit-il d’un air pleinement satisfait. Nous avons eu peur pour rien…

— Je n’ai pas eu peur…

— Mais vous vous posez des questions à ce que je vois !

— Ne sont-elles pas celles que vous vous posez vous-mêmes ? À savoir…

Il éclata d’un gros rire destiné à froisser ma pensée.

— Vous pensez bien que si nous avions été volés, expliqua-t-il avec la même application qu’il mit à revisiter le bissac, le voleur n’aurait pas signé son forfait en oubliant son chapeau…

— Un képi…

— Un képi si vous voulez ! Voilà une question à laquelle nous ne répondrons ni vous ni moi. Et je suis certain que ce képi, comme vous appelez cette étrange coiffure étoilée, ne faisait pas partie de mon butin, foi de Ginès !

Il soutint alors mon regard inquisiteur :

— Oh ! Je vois, dit-il d’un air moqueur. Vous me soupçonnez de vous l’avoir volé…

— Je n’avais pas de képi quand nous nous sommes rencontrés. Ni sur la tête, ni… (Je cherchai un endroit où j’aurais pu le transporter) dans mon dos !

— Et pourtant, dit Ginès sur un ton plus philosophique cette fois, je n’ai pas rêvé. Mais, dit-il après un instant de réflexion, il m’est arrivé, dans ma longue aventure avec les autres, d’en rencontrer qui eussent fui sans rien emporter de ce dont ils avaient prévu de me priver. (Il réfléchit encore) Mais je n’en connais aucun qui portât un képi à la place de la tête.

Nous avions repris notre route au pied du mont Valier. Nous aperçûmes bientôt une auberge qui nous parut accueillante tant sa cheminée fumait noir.

 

L’équipage que nous formions sur le Chemin de la Liberté — L’auberge en vue — Problème de mécanique.

Ginès avait attaché la longe du cheval de bois à la queue de l’âne et solidement assujetti la marionnette au pommeau de la selle et il avait prudemment manœuvré l’âne pour le placer devant cet attelage non sans avoir vérifié que les roulettes qui terminaient les pattes ou, si vous voulez, les jambes du cheval de bois, étaient encore en état de fonctionner sur le chemin que nous allions emprunter après avoir passablement souffert dans l’herbe grasse et humide où j’attendais qu’on se mît en marche, car il n’était pas question d’autre chose à ce moment-là. Puis, soulevant une jambe dont j’eus le loisir d’admirer la solide musculature, en tous cas sous le genou qui exhibait peut-être fièrement les souvenirs d’anciennes blessures, preuve qu’il avait d’incroyables aventures à raconter à qui voulait les entendre, et pourquoi aurais-je résisté à ce désir légitime maintenant que nous avions lui et moi passé un peu de temps à échanger quelques détails significatifs de ce qui pouvait nous procurer du plaisir, il s’installa sur le dos de l’âne ou plus exactement sur le bat d’où il se mit à crier « Hue ! » sans m’avoir invité à reprendre une place que j’avais pourtant occupée en toute droiture puisque nous n’en avions point chaviré comme font quelquefois les vaisseaux que la mer prend de travers pour on se sait quelle raison qui ne peut en aucun cas être celle de son capitaine. La longe se tendit, la queue de l’âne se mit à l’horizontale et même pencha un peu dans le sens de sa croupe, car le cheval de bois le dépassait d’une bonne tête et n’était au fond doué d’aucune souplesse qui l’eût autorisé à la baisser, et comme la marionnette semblait m’y inviter, je me mis moi-même en marche, épuisé d’avance par cette randonnée qui s’annonçait longue et pénible, Ginès ayant décidé de nous conduire à une auberge qu’il connaissait et dont il appréciait depuis longtemps à la fois les prix et l’accueil. Les roulettes grinçaient comme des dents qui apparaissent à la surface du rêve et troublent le sommeil de l’autre dormeur qui du coup perd le fil de son propre rêve et tire la couverture à lui pour en retrouver la chaleur à défaut de son contenu. Que les heures sont longues quand c’est l’autre qui parle ! Et qu’on n’a pas l’esprit à lui répondre dans la même catégorie de conversation, prenant le risque d’en changer, mais à voix si étouffée qu’il n’en entend rien, comme si le voyage commençait avec lui et se finissait en nous. Et pour ajouter encore à mon désespoir, mon compagnon et guide me disait regretter de ne pas pouvoir m’inviter à emboucher la même bouteille que lui car la distance qui nous séparait était, à moins que je n’y trouvasse à redire, au moins dix fois plus longue que celle de son bras au bout duquel je voyais apparaître le fruit de sa joie et de sa bonne humeur. De chaque côté, le chemin était ouvert de sombres fossés que je craignais d’approcher tant il était clair que je n’y trouverais rien qui pût m’en dire plus sur au moins ce que j’allais vivre dans cette auberge, laquelle me semblait, sans l’avoir jamais fréquentée, avoir quelque rapport rhétorique avec l’extraction d’un objet appartenant à mon sommeil, képi d’étoiles et de feuilles d’or dont Ginès m’avait coiffé pour mettre mon cerveau à l’abri des coups de froid, l’heure avançant en effet dans le crépuscule et la rosée reprenant sa place sur les arêtes bleues des bornes kilométriques. L’âne, silencieux alors qu’il m’avait rempli de ses cris jusqu’à couper le fil de mes réflexions, soufflait à peine dans l’effort mais, selon Ginès qui ne manquait pas d’air, il eût souffert injustement si j’avais monté le cheval de bois où, toujours selon mon mentor, j’aurais profité de l’indolence qu’il communiquait à cet équipage pour m’adonner à ce qu’on pouvait considérer comme un péché puisque le sommeil n’avait plus pour moi le sens que lui accorde l’homme du commun attaché plus au repos et à ses promesses de renouvellement de l’effort quotidien qu’aux fictions dont je semblais être l’auteur plus que le personnage, selon ce qu’il savait du rêve en général. Au bout de deux heures de cet inconfort, à quelques minutes sans doute de l’effondrement que m’eût inspiré un découragement bien compréhensible, la voix de Ginès m’interrompit et je retombais sur la tête dans cette réalité qui avait nom chemin et dont la boue collait à mes mollets. Comme l’équipage s’était arrêté et que je continuais d’avancer, j’arrivais à la hauteur de l’âne, suintant plus que lui et toujours moins proche que lui de la source qui désaltérait avantageusement mon compagnon. Celui-ci se mit presque debout sur le bat pour me montrer l’objet de sa joie : l’auberge dans laquelle nous allions achever la journée et recommencer à rêver sans être dérangé par les pans de réalité que nous transportions avec nous comme d’autres, moins têtus, ne voyagent jamais sans leurs parasites de surface.

— La cheminée fume, dit Ginès, ce qui est bon signe selon ce que j’ai appris de ma longue expérience de la créance. Ne me dites pas, ami Rogerius, que vous n’avez rien sur vous ! Nous pourrions alors négocier le fil de ces étoiles et de ces feuilles de chêne. Mais on n’en tire jamais la moitié de ce que ça vaut.

— Je ne suis pas assez stupide pour partir sans emporter quelques jours de dépenses honnêtes dans ma poche, rétorquai-je méchamment, car la randonnée m’avait fatigué à ce point.

— Dans ce cas, continua Ginès comme si je n’avais rien dit, mettez la main à la poche et ne la sortez plus de là avant qu’on vous demande de payer d’avance.

Et il cria « Hue ! » pour couvrir de sa voix rocailleuse la réponse que je lui fis alors, dont le lecteur se passera aussi mais, je suppose, pour d’autres raisons qu’il ne m’appartient pas de juger. L’équipage repris sa route et j’attendis de voir nettement la croupe du cheval de bois pour me remettre moi-même en marche. Il n’y a rien de plus agréable à l’esprit que ces moments de l’existence où l’on est en mesure de considérer avec exactitude le temps qu’il reste à passer pour enfin s’arrêter d’y penser avec autant de crispations. Mon corps retrouvait la paix, en commençant par cet intérieur que je n’avais jamais vu qu’en représentation sur des schémas ou des imageries destinés à en révéler les défauts anatomiques ou carrément physiologiques. Je ne sais pas grand-chose de ce qui s’y passe et quand il est arrivé qu’on m’en expliquât les défauts, c’est de l’extérieur que j’ai agi pour pallier leurs conséquences, me sentant alors plus bête que mes pieds et peu compétent en la matière. Pourquoi alors s’étonner que ce soit au rêve que j’ai donné la meilleure part de mes réflexions et de mon temps ? Je voyage comme les autres jusqu’au moment où je m’endors. Et j’avais bien l’intention de dormir à poings fermés quel que fût le désir de Ginès de m’entretenir près du feu pour rattraper le temps qu’il avait perdu à se taire. L’air était doux ce soir. Nous descendions après avoir perdu haleine à monter, du moins je l’avais perdue et je m’en serais trouvé fort mal si le hasard n’avait pas mis fin à cette souffrance en mettant à la portée du regard cette auberge qui, de loin, me paraissait digne de la fumée qui sortait de sa cheminée. Mais comme le cheval de bois, par un phénomène physique qu’il n’était pas difficile de prévoir et que pourtant nous n’avions pas envisagé, tendait maintenant à dépasser l’âne surmonté de son lourd cavalier, Ginès fouetta l’âne pour qu’il ne se laissa pas vaincre par cette imitation approximative qui ne méritait pas de gagner la course proposée par la pente, laquelle m’inspira les pires prévisions. Je courus moi aussi, le corps en avant pour tenter d’attraper la queue du cheval de bois qui n’était autre que la manivelle qui servait à animer ses prouesses de saltimbanque au service des plus nobles divertissements que l’esprit d’un voyageur à moitié honnête peut imaginer pour lui et pour satisfaire son désir légitime de vivre sans avoir à s’en plaindre. Mal m’en prit, comme je vais le dire maintenant, non point parce que j’ai l’intention d’atténuer les effets du récit en question, mais parce que la vérité ne souffre pas qu’on la démente.

 

Descente, non point aux enfers, mais à la limite de la raison.

S’il s’agissait maintenant de s’adonner à la métaphore et bien que mon esprit fort moderne fût incompatible avec toute forme de rhétorique (je parle d’une époque où je savais encore raconter l’improbable sans passer pour un mythomane, laquelle espèce d’homme me rend toujours perspicace et peu enclin à d’autres commentaires que celui-ci), fût-elle propice à la compréhension ou facilitant incontestablement les voies de l’assentiment, exeat recherché dans tous les cas de complexité narrative, j’en vois une, ou plutôt je la devine, car elle ne me vient à l’esprit que dans les moments les plus grotesques du temps qui m’est imparti par l’auteur de ce récit pour laisser la place à mes théories. Mon existence, qui hésite entre les décombres de l’absurde et les abîmes du complexe, pourrait être figurée par cette scène que je m’étais imaginée un jour en descendant du taxi qui me ramenait d’un ailleurs où il ne me semblait pas avoir éprouvé d’autre satisfaction que de m’en être enfin échappé, si tant est que ma volonté y fût pour quelque chose : mis au pied de chez moi par simple dépôt contractuel, et peut-être hélé par quelque connaissance qui s’agitait de l’autre côté de la rue, devant la vitrine couverte d’affiches vantant les mérites du sport et de la culture, je m’apprêtais à traverser cette chaussée peu visitée qu’en principe on ne prend même pas la précaution d’observer avant de se lancer sur sa médiane imaginaire et pourtant tracée à la main par l’habitude et des mœurs fort impressionnées par la nature rurale de nos pratiques quotidiennes. Or, si le destin avait prévu que, par exception, je devais alors croiser la route d’un véhicule peu préparé à ce genre d’événement et d’inattendu, il se trompait. On me retenait plutôt par la manche pour me demander de l’aide, soit qu’on fût trop âgé pour entreprendre la traversée en solitaire, soit qu’on eût perdu la vue au point d’avoir en même temps dilapidé la confiance qu’on peut accorder aux habitués qui aiment se moquer sans mesurer l’ampleur du danger (c’étaient eux qui m’appelaient en frappant du plat de la main la surface d’un guéridon dressé à point pour la conversation), enfin… il se trouvait toujours quelqu’un ou quelque chose pour m’interdire ce rendez-vous et je demeurais là même où m’avait déposé le taxi, incapable de me séparer de ces explications et prenant le temps de bien comprendre que ce n’était pas l’heure d’aller se livrer à de telles dépenses. Ainsi, peu utile aux autres, et agacé parce qu’ils n’étaient au fond que l’excuse qu’on avait trouvée depuis ma fenêtre, percée à la hauteur d’un premier étage souillé par des colombes en habits de fête, je lançais un geste de dépit à mes amis attablés et, prenant encore un peu de temps pour ne pas paraître asocial, je flattais l’épaule de l’aveugle ou du vieillard en lui parlant vaguement des conditions matrimoniales qui étaient tout ce que je connaissais à fond de l’existence et des êtres qui la bornaient comme autant d’avertissements et quelquefois de menaces. Bien sûr, courant après le cheval de bois, tandis que Ginès se laissait dépasser en riant de bon cœur, mon cri ne contenait déjà plus cette claire métaphore et d’ailleurs, à en juger par l’accélération que le cheval impliquait à ma propre allure, il n’était plus question de penser, mais d’agir pour ne pas alimenter la farce de mes insuffisances dramatiques. Jamais je n’avais atteint cette vitesse et, comme je craignais que la malchance en profitât pour me vider les poches, j’y avais enfoncé rudement une main apte à en conserver le contenu, qui était toute ma fortune et l’assurance du voyage, argent comptant qu’il n’était pas question de répandre comme des graines au hasard des semailles que le sort m’imposait. L’argent étant au fond de la poche de droite, et ayant un besoin urgent de me servir maintenant de ma main droite (on verra plus loin pourquoi), je fis en sorte de ne pas paraître trop ridicule en mettant la main gauche dans cette précieuse poche, content d’y trouver ce que j’y avais mis, mais conscient que la situation pouvait à tout moment tourner à mon désavantage. Les genoux alternativement à fleur du menton, les chevilles menacées de brisure en morceaux, et sentant à quel point j’aurais bientôt à souffrir de tout le reste, je trouvais la force d’accélérer assez pour me mettre à la portée de la queue du cheval de bois, laquelle, ne faisant en aucune manière office de queue, n’en était pas plus une queue véritable ni postiche, mais une manivelle à la poignée conçue pour activer l’ensemble et mettre le feu aux artifices dont le cheval était rempli jusqu’à la gueule. Au premier tour que j’impliquais à la manivelle en question, une fusée jaillit entre les oreilles et, comme c’était peut-être prévu, me fit lever la tête et perdre toute conscience de l’endroit que je foulais aussi rapidement et sans maîtrise de la direction à prendre. Ginès poussa un cri de joie à l’éclatement de la bombe qui contenait une fleur métallique de toute beauté, je dus bien le reconnaître, mon émerveillement devant les réussites incontestables de l’inventeur et du constructeur n’étant borné par aucune limite intellectuelle ou sentimentale, caractéristique qui me donna le vertige tandis qu’une autre bombe sourdait du corps de l’animal en fuite et envahissait le ciel crépusculaire d’un bouquet encore plus riche que le premier. Il n’était d’ailleurs pas étrange que mon louable effort pour conserver ma main gauche dans la poche droite de mon pantalon finît par impliquer à tout mon corps un mouvement giratoire qui le mit bientôt à l’envers, dos au cheval de bois qui allait de plus en plus vite comme font les chevaux à l’approche des auberges après une rude journée passée à arpenter les pentes ensoleillées de ces montagnes où, quand on s’y trouve, on a toujours quelque chose à faire ou à défaire. Comme Ginès n’avait jamais vu un homme courir à l’envers, son rire accomplissait des prouesses qu’il ne se soupçonnait pas, et entre deux éclats il disait son admiration pour moi en même temps que le peu de crédit qu’il accordait à ce qu’il voyait et que je ressentais moi-même comme la plus authentique vérité. Ainsi, courant comme peu d’hommes savent le faire, la main gauche empoignant au fond de ma poche droite toute la fortune que j’avais investie dans cette aventure, et le bras droit entre les jambes au bout duquel la main continuait de donner de la manivelle sans que je susse comment je m’y étais pris pour qu’il en fût ainsi et pas autrement, riant moi aussi parce que la douleur me laissait un répit, je pouvais voir le ciel s’illuminer du plus beau feu d’artifice que j’avais jamais osé imaginé, tant ce genre de divertissement, passé de mains royales à de moins pédantes sociétés, m’avait toujours laissé perplexe, pour ne pas dire incroyant. J’entendis une voix de femme s’écrier joyeusement : « C’est monsieur Hulot qui revient ! » Des applaudissements accompagnaient sans retenue les lueurs entrecoupées des rires qui étaient venus s’ajouter à celui de mon compagnon, lequel avait pris du retard sur moi et s’était étrangement rapetissé sur la pente qu’il descendait joyeusement, communiquant sa bonne humeur à l’âne qui trottait sans se soucier de l’heure qu’il serait à leur arrivée sur la terrasse de l’auberge. J’y fis le premier une entrée qui en bouleversa l’ordre depuis longtemps établi, mais on riait tous ensemble sans se soucier de la puissance de feu dont je continuais de bander le ressort peut-être terrible. Le cheval de bois fit alors un bond, m’entraîna dans cette embardée qui n’eut rien d’un vol plané, car mes jambes, soulevées au-dessus des tables, renversaient les cruches et les menus soigneusement préparés pour de pareilles circonstances. Par je sais quelle loi de la cinétique, je me retrouvais sur la selle en compagnie de la marionnette qui applaudissait elle aussi, mais avec un air effrayé qui signifiait que nous étions assis sur une fusée et que c’était celle-ci qui, se préparant à nous emporter dans le ciel noir, nous communiquait les premiers frissons de sa mise à feu. Le bras de Ginès nous sauva de cet embrasement et, la main gauche fermement enfoncée dans la poche droite, et la main droite enfin libérée de sa manivelle, j’assistais au bouquet final qui était celui par lequel s’annonçait toujours l’incroyable Ginès de Pasamonte, voleur dans les bonnes occasions et artiste besogneux quand le temps virait au mauvais. Comme le cheval s’éteignait, on fit de la lumière sans cesser d’applaudir et de rire, ce que Ginès apprécia sans retenue en dansant autour de moi, narrateur de pitoyable apparence mais de projet exemplaire. « Si vous retirez la main de cette poche, me dit la maîtresse des lieux, vous verrez qu’ici les bons comptes font les bons amis ! » Ce qui se passa ensuite dans cette auberge sise au pied du mont Valier est entièrement et fidèlement rapporté dans le premier chapitre de cette aventure, car son prologue s’achève ici.

 

Chapitre premier

 

Discours d’un hôte fort encombrant — Coucher à la fin du discours.

« Les Allemands, des vraies têtes de bois ceux-là ! c’étaient des Boches ya pas si longtemps ! Encore heureux, qui que vous soyez, que j’accepte la majuscule. Vos amis Français (avec majuscule parce que je suis pour la correction orthographique tout ce qu’il y a de plus classique), c’est des moches, avec une minuscule sinon ça voudrait rien dire, en tous cas pas ce que j’ai envie de dire parce que je l’ai pas autre part que sur la langue ! Et nous, les Sudistes (que c’est avec une majuscule que ça s’écrit, hein, les enfants ?), on va laisser tomber nos langues mortes pour se mettre à l’anglais (sans majuscule quand c’est une langue), histoire d’y revenir, à l’Histoire, parce que depuis qu’on est des nationaux français (encore une épithète sans majuscule), on a perdu le fil de ce qu’on était en train de donner à l’Humanité (que là on met la majuscule sans intention de double sens) dans un pur esprit de charité, qui est là sans majuscule parce que c’est pas une des vertus théologales.

Non mais… ! Des fois !

Ah ! Quelle merde ce pays ! Dire qu’on y vit ! Et pas trop mal encore. Même si des salauds continuent de prononcer, en notre nom ! des jugements d’expulsion qui n’ont rien de pénal pour bien souligner que les gens qu’on expulse n’ont rien fait de mal mais que c’est pas une raison pour pas aller coucher dehors ! « C’est à moi, merde ! qu’il gueule le proprio. » Et on peut pas dire le contraire, que même on le dit pas tellement ça souffre pas la critique ! « Et que je préfère que ceux qui crèchent dans ma propriété ils payent ce qu’ils me doivent, qu’il continue le proprio. J’ai des enfants à nourrir moi aussi ! Et la magistrature aussi elle a des enfants et qu’ils sont même plus difficiles à nourrir tellement ils en savent des choses sur les rapports qualité-prix ! Zavez jamais fréquenté un rejeton d’huissier ? Il bouffe pas comme les autres peut-être ? Il a pas les mêmes peurs ? Il passe peut-être moins de temps à réfléchir aux effets de l’orgasme sur la moralité ex contrario ? Salauds ! » Et la Nation ne manque pas de fils de pute pour prêter main forte et continuer pépère d’être payés rubis sur l’ongle. Et avec ça que ça augmente la paye et qu’elle a jamais été aussi bonne ! Salauds ! Mes salauds ! Vos salauds ! Leurs salauds ! Que des salauds, quoi ! Dire que je suis proprio… Seulement moi je crèche dans ma propriété. Je fais pas chier les autres à occuper leurs biens, ce qui les force à ergoter un peu, quoi ! On comprend…

Et les traîtres ! Ça manque pas. Toute la racaille au service de l’État que si on les expulsait (si on avait cette inspiration troubadourienne) y aurait pas de place pour eux sous les ponts de Paris ! Ce qu’on est envahi ! Si c’était pas chez nous, je dis pas ! On est même la minorité ! Ya pas plus con que d’être minoritaire en plein chez soi que c’est pas chez les autres. Des fois je les regarde en face. Je dis bonjour chez vous parce que je suis poli. Et en alexandrin en plus ! Mais chez eux c’est pas ici. Ça, je le dis pas. Bonjour chez vous que c’est pas ici ! Autrement dit foutez le camp ! C’est pas loin. C’est juste à côté. T’as même pas besoin de transport en commun comme du temps des Collabos. À pied, à cheval, à Sabi en paros, comme vous voulez. Et avec juste ce qu’il faut dans la valise pour pas devenir crade. C’est que là-bas en France ils ont rien prévu pour les rapatriés de France du Sud. Tellement ils sont vendus à leur aristocratie colonialiste et à leurs principes collaborationnistes. Des Charlus, je te dis !

Non mais quelle merde ce pays ! Quelle honte ! Quelle légion d’donneurs ! Et quelles basses besognes pour les larbins qui occupent nos conseils municipaux après avoir trahi leur terre ou pire servi ce qui la soumet. Ah ! On a la tête basse, nous les Sudistes, Bretons, Basques, Gascons, Catalans, Provençaux, et j’en passe des dialectes qu’on se comprend malgré les nuances de prononciation et les habitudes prosodiques.

Bon… faut nuancer… C’est pas par peur du Parquet, qu’on emmerde parce que c’est pas à nous de le cirer. Ceux qui disent que Cahuzac (un pays, presque un ami ah ! allez ! c’est un ami !) est une crapule se trompent sur un point. Après tout, qui il a taxé, si on y réfléchit bien ? L’État. Autrement dit la plus grande organisation criminelle de l’Hexagone en ces temps de cinquième république (qui est la sixième si on compte Vichy qui était aussi une république, mais on préfère pas ! Tiens, Mélenchon ! Ta République, je te propose de l’appeler la Septième ! Ça sera conforme à l’Histoire et assez joli, non ? Ah ! La VIIe ! Mais revenons à notre Cahu national :) Ya pas de mal à voler l’État, ni même à écraser les harpions de ses domestiques patentés, et même d’en tuer quelques-uns de temps en temps, en temps de guerre par exemple, que justement là on a pas bien fait notre travail et que la magistrature s’en est plutôt bien tirée, elle qui a sauvé la moitié de la Résistance que sinon y en aurait pas eu ! Voyous ! Graines de salopards ! Parasites sociaux si vous voulez être aussi polis que Panxua et pas risquer de vous retrouver à la rue parce qu’ils peuvent plus vous mettre au gnouf, ces enculés par devant ! Même Mitterrand, Panxua Premier, est un traître à deux tranchants. On le lui a tellement reproché qu’il est devenu le parrain de la Nation par la voie d’une élection libre et même pas truquée ! Que de la démocratie ! De la pure et même de la blanche ! Pas coupée ! Rien ! Et pas une trace de coup d’État permanent ! Rien que du beurre avec l’argent des vaches ! Il en pas profité, Hitler, de la démocratie ? Il a tellement aimé ça qu’il a fallu écraser le peuple allemand pour qu’il arrête de se servir de la démocratie comme on se mouche avec le coude. Et il en a tué, Panxua (le pape aussi s’appelle Panxua maintenant ! Quel succès, Frasco !), des gens, des innocents et des coupables, comme c’est l’usage en Justice quand elle est rendue selon les règles de l’Art qu’elle a inventé pour se mettre à l’abri quand ça pue et se montrer en habits de carnaval quand c’est le moment de faire people. Non, il a pas fait grand-chose de mal, le Cahuzac. Il a même fait juste, si on y regarde bien. Il a fait ce qu’on aurait fait nous-mêmes si on avait eu autant de pognon à contempler dans le tronc de nos églises personnelles, pauvres corps voués au turbin sans plaisir et sans récompense.

Ah ! me direz-vous, il est certes moins pire que ce Sarkozy qui est un vrai salaud si on en croit ce juge Gentil (n’oubliez pas la majuscule pour éviter le contresens) qui pense honnêtement que l’ancien président de la RF a abusé d’une vieille qui en plus d’être vieille ne lui avait rien fait ! C’est une façon de voir les choses et si ce juge est un salopard comme le prétend Guaino (prononcez gou-a-i-no) alors on sait très bien ce qu’il faut en penser : Non mais c’est qui, cette vioque ? N’importe quelle vioque prise au hasard des expulsions dans la gente romanichelle sur un air de Valls ? Que nenni ! C’est de la vioque avec du pognon et tarée comme un balai qu’on aurait trempé dans la merde des chiottes à Alzheimer en personne, que c’était un fameux savant en matière cérébrale, et que personne peut dire le contraire, pas même Nobel ! Quoi de mieux pour se faire les ongles quand on a des rêves de grandeur ? C’est qu’il rêve grand, le Sarko ! Il en faut pour botoxer les gonzesses à Neuneu ! Et qu’elles jouent de la guitare avec un doigt en poussant des murmures dignes d’une canalisation dans un hôtel discret de la rue des Merles. Sans parler des paroles qu’on croirait que Brassens a choppé une maladie en refusant de se la pincer douce au Paradis.

Non mais si tu vas bien voir, de près si t’as pas les bonnes binocles, du verre et du pas toc ! ils ont fait quoi de mal ces deux soit disant voleurs ? Mais rien ! Pas un saignement ! Rien pour encourager le pus ! Cahu fait les poches de l’État, ce qui est un rêve aussi répandu que le bon sens cartésien. Encore un doigt et il réussissait, mon salaud ! Quant à Sarkozy, il a (peut-être, que dit le juge Gentil qui a peut-être trahi la Justice et l’honneur qu’on lui doit… peut-être) rincé soigneusement cette vieille chatte sans la satisfaire comme elle le demandait à tous les coups ! Gratter le fossile pour le faire suer, d’autant qu’il manque pas de sueur et que même c’est la première fortune de France, c’est pas un crime, pas du tout ! Ah si la vioque avait pas eu les moyens de ses espérances, je dis pas ! Ya pas plus crasse que de faire rêver les pauvres en leur piquant ce qu’ils ont de plus cher, si on peut parler de cherté à propos de ce qui ne vaut plus un clou ! Mais une baderne pleine aux as, avec des envies de jeune fille et les moyens d’y croire, que c’est même plus facile que de croire en Dieu, il a bien eu raison le Sarkozy de se servir avant que Cahuzac soit délégué par Hollande pour faire la même chose et même mieux, parce que si un crétin comme Sarko a réussi, on imagine ce que le Cahu aurait pu tirer des ces trompes ! Une symphonie en bas d’ma sœur !

Une vraie merde, ce pays, je te dis ! Ah ! C’est pas mon pays ! Heureux celui qui habite chez lui et qui paye un loyer pour pas être tenté par une collaboration plus… comment que je dirais ?... directe. Moi j’ai pas honte. Chaque fois que je trouve par terre une médaille dans le style Légion d’honneur je prends des pincettes à crotte de chien pour la balancer où elle mérite de finir, dans les égouts de la République. Faut pas pousser, les moralistes ! Ya pas mort d’homme ! Ya même pas de mort du tout ! Que du vivant en chair avec des os ! Des idées pour un film ! Des types comme Cahu et Sarko ne s’en prennent pas aux personnes, ou alors à la bonne, comme dans le cas de Sarko si tant est que le juge Gentil se soit pas trompé en rêvant lui aussi à des choses que si on les voyait aussi clairement que lui, on aurait peut-être honte de pas avoir les moyens de changer de binocles. Ah ! Les pourris ! C’est pire que de la merde ! C’est là depuis des siècles et ça n’en finit pas de sentir la merde. Il avait raison, ce bon vieux Marcel, que le journalisme ça sert pas à grand-chose quand ça sert. Mais tout le monde n’a pas son talent pour s’occuper d’autre chose qu’on sait bien ce que c’est, parce qu’on a de l’éducation. Qui dira le contraire ?

Dans l’attente, si c’est attendre que de rien trouver de merveilleux à toute cette crasse, ya rien d’autre à faire pour pas s’emmerder que de tirer à blanc (en attendant mieux) sur le larbin et son maître. Tous deux pris de vertige par l’emploi abusif de la substance qui s’écoule comme le pus à l’extérieur de cette pratique du pouvoir personnel, lequel ne s’explique pas autrement que par les systèmes de protection qui en assurent ce qu’ils appellent, juges et élus, « indépendance ». Ou préservatif. En gomme pour effacer !

T’as qu’à voir le vieux Marette, maire de Mazères, ancien agent de l’État et maintenant représentant officiel de la même pègre colonialiste, il est tout seul sur les photos. Et il en fait faire des photos ! Des tas ! Des monticules de feuilles mortes prêtes à l’emploi, que c’est justement ce qui manque à nos bras ! Par la Dépêche, Ariège-News, et j’en passe. Il en fait tellement faire que tu vois pas les autres membres du conseil municipal. D’ailleurs, ils n’y sont pas. Vous avez déjà trouvé quelque chose sous la merde ? Le type qui chie sur la voie publique prend pas la précaution de faire sur quelque chose, alors on peut imaginer qu’il a des intentions, non ? Car le Marette pose assez connement en général. Tant mieux pour la farce et la littérature qui va avec. Les photographes de la Presse locale le font exprès, j’en suis sûr. Ils ont pas les couilles comme à Mediapart. Et les couilles, c’est comme les veaux, faut les nourrir sous la mère. Alors on se venge comme on peut. C’est une pratique courante dans le journalisme français. Et vous savez pourquoi ? Eh bien à cause des magistrats qui pratiquent le service de l’État avant l’intérêt de l’être humain qui est en général occupé à paître dans les champs, quand il travaille, ou à regarder les mouches voler s’il n’a rien d’autre à faire, ce qui est souvent le cas, que d’observer les bouses qui semblent tomber du ciel sans autre explication que la gravité des faits. Mais si le Marette est seul sur la photo, et s’il s’accapare du sujet alors qu’il n’en est que l’héritier illégitime (ou légitime si on pense comme lui et si on appelle ça penser), c’est que le gonze bénéficie de protections et qu’il a payé, allez savoir comment et avec quoi, le pizzo que c’est pas le féminin de pizza ni le pluriel d’ailleurs. Parce que tu vas tout de même pas expliquer sa réussite (maire de Mazères) par son intelligence ou son talent ! Et son maître après Dieu n’en finit pas de vivre ! Un vrai résistant de la dernière heure ! Il veut pas crever, le Dédé Trigano ! Que s’il crevait, là, maintenant que je le dis, le Marette disparaît de toutes les photos, exactement comme s’il n’avait jamais existé et que le papier cul est prévu pour ça quand on s’en sert pour faire du journalisme à la con ! On en reparlera en détails, parce qu’en ce moment, on est en train de compiler tout ce qu’il se publie dans la Presse au sujet de ces deux serviteurs de Paris : le pays (compatriote) de Guaino, de Mélenchon et même de Cintas, Dédé Trigano, marquis de Carabas, moche comme un pou et pas plus haut que ses harpions ; et cette matière indéfinissable, composé de divers organismes d’origines incertaines, le Loulou Marette, profiteur de l’événement qu’il n’a pas créé parce que ses conseillers sont les marchepieds du carrosse. On en reparlera ici même. Rendez-vous est pris. Serrez les rangs, pataugeurs ! Le provincial a aussi un sens plus large que vos anus nationaux !

Merde de pays ! Je dis ça parce que je m’en sens le droit. Autant de droit que le Français emmerdé jusqu’au vice par l’Occupant et par l’État du temps où il valait mieux fermer sa gueule et agir dans la clandestinité, quand on savait où la trouver. Je veux dire pendant le temps que Mitterand respectait scrupuleusement sa promesse de don de sa personne aux idéaux du Maréchal, que peut-être, a-t-on écrit dans Ariège-News, le Marette aurait même préféré à cette vieille baderne la panse plus musclée du caporal Hitler. Ah ! ça fait du bien, les spéculations, mais ce ne sont que des usages du passé sans rapport avec ceux que préconisent plus artistement le vieux Marcel avant de faire le tour de sa propre zoologie vachement vieillie par le temps qui passe.

Alors vive Cahuzac et vive Sarkozy ! Et vive le juge Gentil, mais à la seule condition qu’il soit aussi pourri que le prétend Henri Guaino. Ya rien comme chier dans les bottes de l’État (Cahu avait oublié le papier et ça va lui coûter cher) ni rien comme de s’en prendre à une vioque en toute légitimité parce qu’elle est pas pauvre et qu’elle a même plus d’un tour dans son sac à viande hachée. Par contre, chers amis lecteurs, autant je suis prêt à serrer les pognes de Cahu, même s’il a tenté de se torcher, avec les doigts du peuple rassemblé, dans une précipitation qui n’a rien d’original, et que je suis même enclin à décoiffer le Sarko pour faire marrer sa gonzesse à la guitare (elle qui n’a jamais su en jouer) et signifier ainsi ma totale adhésion à sa théorie du pire n’est pas le mieux sauf quand le mieux est de s’en tenir au pire… par contre… et ce sur fond de débat sur la Presse comme quatrième pouvoir… je peux pas voter socialiste quand c’est Valls qui me demande de voter à gauche. Ce type, qui vient de là-bas lui aussi, me donne des boutons, des vrais en pus qui sort et qui schlingue. Ça me dégouline quand je me touche. J’en peux plus ! Qu’un type de Droite tente de se faire passer pour un défenseur du peuple, je trouve ça acceptable, non pas parce qu’il dit pas la vérité, ou même qu’il s’en approche, mais parce que c’est du vent et que je ne crains pas le vent, surtout en période d’éruption cutanée, qu’y a rien comme l’autan pour faire du bien à la peau quand on a trop sué. Bref, les menteurs de Droite, comme Louis Marette l’appropriateur (on y reviendra en détail, preuves à l’appui : ya pas que Mediapart pour le dire), ça me donne raison et je vais pas leur reprocher de me servir d’argument. En attendant d’en achever un, au tournevis si je dois en arriver là, ou à la clé anglaise si j’ai que ça sous la main au moment où ça arrive. Et ça arrivera peut-être. Ya rien comme les guerres civiles pour rafraîchir la façade décrépite et décrépie de la République. Mais alors qu’un mec de Gauche se comporte comme un agent de la Droite, moi, ça m’inspire. Ah ! Je regrette, hé, Tintin, quoique depuis qu’on te soupçonne d’être pire que Marette et Trigano réunis, j’ai pas tellement envie d’entrer en conversation avec toi sur le terrain dont tu sembles (je dis bien sembles) connaître la valeur vénale, si cette veine n’est pas trop en dire. C’est vrai que c’est dur pour un homme de Gauche d’en venir à critiquer un autre homme de Gauche, surtout quand ce dernier est ministre de Gauche dans un État de Gauche ! Mais bordel de merde qu’est-ce que ça peut te foutre que des gonzesses portent un foulard sur la tête juste pour dire aux autres qu’elle est de confession musulmane, comme d’autres aiment à exhiber sur leur cou la petite croix au corps douloureux qui témoigne de leur superstition légitime ? Non mais t’est con ou quoi ? À quel jeu tu joues ? Et avec quel air pincé qui te va aussi mal que le trois-quarts que tu portes comme un blouson ! Que tu ne saches pas t’habiller, passe ! Tu es comme Marette, maire de Mazères, tellement mal foutu que c’est peine perdue de s’échiner à bien cadrer et bien calculer l’ouverture du diaphragme. Sur la photo, vous êtes encore plus moches et déglingués que dans la réalité. Vous devriez vous contenter de la réalité. Y aurait moins de photographes pour se foutre de votre gueule. Et peut-être la Trierweiler pour vous secouer le capuchon. Vous avez plus qu’un air de famille ! Mais tu n’as pas eu besoin de la photo pour te conduire, une fois de plus, en parfait saligaud de Gauche.

Là, j’ouvre une parenthèse à l’attention des robines (j’ai pas dit robinets !) du TGI de Foix. Elle porte, si tant est qu’une parenthèse puisse porter ce qui lui est inséré de force, sur la proximité des mots « salauds », « salopards » et « saligauds ». Je sais, mes petites chéries, que vous avez entre les mains le Petit Robert et pas seulement pour y reluquer les images érotiques et les gros mots qu’on peut se permettre quand n’a pas trouvé de remède à l’amour. Vous auriez pu choisir le Petit Larousse, mais ce visiteur, du genre médical pour maison de fous, n’a pas su vous convaincre comme l’a réussi celui de Robert. Bien entendu, la mise à l’écart, à mon avis significative, d’ouvrages de référence mieux inspirés et documentés, n’est pas sans influence sur le contenu de vos appréciations, lesquelles vous sont autorisées quand vous manquez de jugement, me suis-je fait expliquer par un juriste qui aime bien lui aussi l’Ordre de la Légion d’honneur, même si le mot « Ordre » (avec majuscule) ne lui inspire pas une totale adhésion morale. Alors, entendons-nous, chères fonctionnaires de l’Exécutif : le mot « salaud » appartient au vocabulaire philosophique et comme Robert est plus instruit que vous, non seulement il ne l’ignore pas, mais il en fait mention, sinon il passerait pour un imbécile ou un faussaire, ce qui est relativement grave en linguistique, mais beaucoup moins dans d’autres domaines exigeant une moins longue instruction. Le mot « salopard » est un terme militaire dont même Louis Marette ne pourra pas vous inspirer erronément la définition car il n’est pas très calé dans cette matière qui exige de l’action et surtout une non moins longue expérience des terrains minés. Enfin, soulignons, pour votre gouverne, que le mot « saligaud » est en effet synonyme de « salaud » pris cette fois dans son sens ordinaire qui, en l’état, ne peut constituer une injure qu’en l’absence d’argumentaire. Le saligaud est celui qui salit. La vie privée, la culotte quoi ! l’honneur, qui est d’après Hollande ce qui reste si on a pas eu le succès escompté, la dignité même si le destinataire n’en a pas vu que tout le monde, par souci d’égalité, est censé en avoir et même de reste ! En l’occurrence, il est clairement dit que monsieur Valls salit quelque chose, un peu ou tout à fait, selon le point de vue (champ ou contrechamp) comme monsieur Cahuzac s’est sali les mains en oubliant le papier que lui tendaient, n’en doutons pas, des complices attentionnés. Si vous préférez le mot « salisseur », qui est français contrairement à ce qu’indique son orthographe d’inspiration néologique, je ne vois aucun inconvénient à le substituer au mot « saligaud ». C’est d’ailleurs ce que je vais faire illico, parce que mon expérience dans les draps de la Justice me souffle qu’on n’y a pas toujours affaire avec des esprits peu enclins, ou peu à même (vous apprécierez le glissement sémantique), de saisir ce genre d’opportunité. Revenons à nos moutons comme il est dit dans la farce. Je me marre !

…salisseur de Gauche, disais-je. Que Sarkozy salisse la Droite, ou que Gentil s’essuie avec l’honneur, c’est bon pour le moral et, en ces temps de crise, ça soulage aussi. Parce qu’on se vide, tu vois ? Ça fait un bien fou ! Cave ! Larbin inculte (autrement dit salaud sartrien) ! Et même pétainiste que c’est autorisé par la monarchie européenne qui elle aussi a ses règles pour que sa fertilité aille bien dans le sens de l’eugénisme cher aux impérialistes et autres prélats de la collaboration avec les amis (ou les ennemis si les Alliés ont débarqué). Que Cahuzac ait tenté de nous faire prendre son système anal pour un rince-doigt relève du même toutim. On s’en tape. Pourquoi ? On a déjà dit que tout ce qui s’en prend à l’État a, sinon notre soutien, du moins notre approbation. Et chaque fois qu’une vioque pleine de fric se fait violer par un petit malin, eh bien on se marre ! Et même quand un juge, qu’on prétend faire passer pour un con ou un salaud, réussit à tordre les poignets de la Justice pour la faire, on applaudit. Et peu importe le prix à payer, parce que dans ce pays de putes et de proxénètes en tous genres, ya rien d’autre à se mettre sous la dent pour ne plus être mordu jusqu’au sang. C’est du moins ce qu’on essaye de faire. On en profite d’ailleurs pour laisser un message à nos pays : Vous feriez peut-être mieux, que dis-je ? vous feriez bien d’arrêter de nous casser les couilles avec des traditions que vous avez étudiées sous la baguette de l’État qui vous nourrit et, sans cesser de conserver notre richesse culturelle, de regarder l’avenir en face pour y trouver quelque chose à faire et non plus à dire et à redire. Je sais bien que la répétition est le nerf du bourrage de crâne, mais il ne serait pas mauvais, pour sauver votre intégrité, de revenir au pays avec autre chose que l’arrogance du retraité qui a les moyens de se payer une tondeuse sans faire crédit. Je sais bien que la place est bonne, mais si vous continuez à nous faire chier, il faudra bien qu’on vous pousse dans le même wagon que Marette derrière qui vous vous cachez pour ne pas être sur la photo, des fois queue. Mais revenons à nos moutons…

Qu’est-ce que j’apprends ? Un être vivant et humain se fait virer de son boulot parce qu’il a un foulard sur la tête et que ce foulard aurait un sens en parfaite infraction avec ou contre le principe de laïcité ! Il s’est trouvé des plaignants assez féroces et des juges trop enclins à respirer l’air du temps pour entériner une pareille ignominie ! Ah ! mes salauds ! De quoi vous êtes capables en temps de paix ! On imagine ce que vous inspirerait la guerre. Depuis quand on réduit à la mendicité l’honnête travailleur qui se met un voile sur la tête parce que c’est sa liberté ? Mais vous êtes assez retors pour en remplir des pages et des pages ! Et vous voilà dans l’exagération qui est le propre de la mauvaise justice. Si encore il y avait eu quelque chose à discuter, du genre entre honnêtes personnes attachées à des principes bons pour tous le monde, mais vous avez soulevé le voile de l’égalité pour cacher votre regard en coin. Et qu’est que vous reluquiez, bande de cochons ? Ça n’avait rien à voir avec l’égalité dont on sait que c’est, hélas, si on en abuse comme vous faites, un principe liberticide de même que la liberté poussée dans les impasses de la propriété conduit infailliblement ses défenseurs à commettre l’irréparable.

Bordel de merde de pays ! Vous êtes cons à ce point ? Et tous d’accord pour l’être en tout bien tout honneur ? Bon, rouvrons la parenthèse avant de revenir à nos moutons : salaud, salopard, saligaud, salisseur, on a compris et on a même plus besoin du Petit Robert pour se sentir plus linguiste que Saussure. Vous connaissez, chères vestales, le mot « salopiot » ? Il entre dans ce clair synonyme de salaud, hors de son sens sartrien ou familier, la notion de mépris. Seulement voilà : j’ai pas envie de vous mépriser. Vous êtes comme les juges de Baudelaire selon la Justice de la Révision de son procès (mené par des magistrats qui avait prêté serment à Pétain, soit dit en passant) : trompés par votre époque. Certes, et même certainement, sans ces salauds de juges de l’époque, l’un des plus grands poètes de tous les temps eût persévéré dans l’élaboration de son œuvre exactement dans le sens où il l’avait placée lui-même sans rien demander à ses semblables. Grâce à cette justice de merde, l’œuvre a foiré, se plaçant elle-même à la limite de sa disparition. Vous avez blessé ce poète à mort et la Justice admet que c’est parce que vous étiez aussi cons que les gens de votre époque. Et c’est exactement ce qui arrive avec cette histoire de voile dit islamique. Vous avez beau être des juristes élevés à la dignité de juge, vous êtes aussi médiocrement équipés pour les questions éthiques que tous les salauds qui osent porter de pareils arguments devant la Justice. Mais c’est pas tout, les amis ! Cette atteinte à la liberté d’expression est inadmissible devant la Cour européenne des Droits de l’Homme. Ça, la Cour de Cassation le sait trop bien pour être tentée de pousser le bouchon pour vous donner raison. Alors elle casse. Du coup, on est étonné (et non pas surpris, diraient en cœur Littré et Proust et son ami Brichot), d’une telle sagesse. Ah ! ils sont fortiches à la Cour de Cassation qui est comme qui dirait le top de l’intelligence en matière de droit. Ça sent moins la merde du coup. On se prend même à respirer, une chose qu’on faisait plus depuis l’Occupation. Même l’air est plus transparent et on oublie qu’on est en train de s’empoisonner pour un tas d’autres raisons. Mais c’est du flan ! Comment pourrait-il en être autrement ? Ce serait bien mal connaître la duplicité inhérente au statut de juge suprême dans ce pays de merde qui n’en fera jamais d’autre. La double motivation de ces compositeurs est pourtant bien française : du faux cul en veux-tu en voilà ! Ah ! il avait bien raison le vieux Sartre de remplacer l’hypocrite par le salaud dans notre vocabulaire philosophique ignoré, ou snobé (pour ne pas dire mieux et plus), par la Justice en fleur installée dans les appartements de la noblesse qui a trahi le pays. Car cette cassation aux allures de justice est digne de Tartuffe et d’Ignace à la fois. Du pur style classique, mais sans les vers ni la gentilhommière. Jugement suprême qui a deux faces comme tout ce qui est trouble et qui trouble par contamination :

— Il évite à la Justice française d’aller de faire rincer les amygdales par ses supérieurs européens (c’est d’ailleurs devenu une habitude, ça coûte cher aux citoyens responsabilisés à la place des seuls responsables par un petit tour de magie soi-disant démocratique et en réalité parfaitement régalien) ;

— Il fait le lit d’un complément à apporter à la loi définissant la laïcité pour la rendre encore plus hostile à toute velléité d’affirmation religieuse ou philosophique (c’est pas la même chose, loin de là ! mais des fois, on se sent presque frères !)

D’une pierre, deux coups ! Comme en Quarante ! « Je prête serment, mais je résiste ! Et même je vais plus loin : je vous en sauve la moitié !» D’un air de dire : « Que si vous me faites chier, j’en sauve que le tiers et peut-être même moins si vous insistez ! » À d’autres ! De pareils comportements confinent à l’hypocrisie, si Sartre veut bien que je reprenne ce terme dantesque pour l’envoyer à la figure de ces… salauds nauséabonds (excusez le pléonasme). On ne peut pas être plus sournois, voire déloyal respectivement à l’espoir et aux idées d’avenir. C’est sale, voilà ! Je trouvais plus le terme depuis qu’on a cherché à me salir en ouvrant le Petit Robert qui contient aussi de la merde comme tous les gens cultivés le savent, surtout si en l’ouvrant on a oublié qu’on était aux chiottes ! C’est ce qui foire dans ce pays. On a des juges fringués comme des curés, que si t’y crois tu leur donnes ta foi, et au lieu de les voir marcher dans le bon sens, ils se tortillent comme des vers à l’abattoir de la pêche au gros. Arracher un symbole de piété avec les propres mains de celle qui s’en est coiffée, voilà de quoi cette justice de merde est capable, en parfaite harmonie avec le corps électoral et ceux qui se font élire pour que ça dure et qu’on trouve toujours le moyen d’empêcher que ça change. Vendus !

D’ici j’aperçois le Cintas qui me fait signe que je suis trop long vu qu’on est pas à la télé. Des fois que ça me dérangerait pas de conclure. Seulement voilà : j’ai pas de conclusion. Je rêve mieux pour ma terre. Qu’un sang impur abreuve mes rides (je dis pas les nôtres parce que ça ferait révolutionnaire et que j’ai pas envie de me battre en compagnie) ! On prend le plaisir où on peut. Un flic qui se suicide sans qu’on sache pourquoi, c’est autrement frustrant. On imagine facilement qu’il a des choses à se reprocher. Comme d’avoir trop servi dans des plats pas vraiment prévus pour cet usage. Avec des contenus de compte en Suisse ou à Palerme. Moi, je pensais que Cahuzac se flinguerait à l’ancienne au lieu d’aller pleurnicher chez des juges qui pensent déjà à sa réhabilitation comme c’est prévu par la Loi. Mais s’il n’a rien fait d’autre que de voler l’État qui ne mérite pas autre chose, son honneur d’homme n’est pas en cause et il vaut mieux pour lui qu’il pense à son avenir et à tout ce qu’il lui reste à vivre pour peut-être recommencer, si des fois il bénéficie d’une remise de peine ou carrément d’une certaine forme de laxisme. En France, on punit mieux les fraudeurs fiscaux que les violeurs et les proxénètes, tout simplement parce que c’est un pays de putes. Aller taper dans la caisse du maquereau, c’est grave. Ça mérite même un discours présidentiel avec des menaces proférées les poings serrés comme c’est l’usage en temps de crise plus ou moins majeure. Quel cinoche ! Sarkozy ne doit pas se marrer non plus. On a pas le droit de le traiter comme un coupable, par contre on peut crier sur les toits qu’il est innocent, ce qui constitue pourtant une atteinte intolérable au droit et à la dignité de la vioque qu’il a peut-être abusée faiblement, mais assez pour inspirer la conspiration à un juge, si Guaino a raison, ce qui reste à prouver. Alors dans les coins, des flics se suicident, ce qui ne dit rien sur le degré d’implication qu’ils ont librement choisi de forcer comme on casse un coffre-fort. Les mouchards, les larbins, les faussaires gagnent bien leur vie et ils en profitent aussi longtemps qu’ils payent le pizzo. Et tant que leur parrain se maintient en vie, dans une forme assez pétante pour mériter une réélection salutaire. Pas vrai, Dédé ? »

 

On vit alors (Ginès ne me démentira pas) notre tribun procéder à un retournement de sa carcasse et il s’affala dans le premier fauteuil avec un bruit de vertèbres comme je n’en avais entendu à l’abattoir du temps où j’en étais le spectateur halluciné, temps dont il ne peut être question ici, car (Ginès ne me le reprochera pas) je n’ai jamais eu l’intention de me livrer corps et âme à la place de tant de personnages capables de beaucoup plus de sens que je n’en contiens moi-même. Une fois ce bruit épouvantable achevé par une plainte qui nous sidéra, notre orateur repris son étrange monologue, voyant bien que nous étions tous sans exception attentifs à ce qu’il allait conclure de ce fouillis de thèses contradictoires :

 

« Non mais attend ! Pourquoi qu’on me reprocherait d’encourager Cahu à augmenter son pactole avec les moyens qui lui ont si bien réussi ? Tu m’as cru, bébé ? T’as cru que j’étais assez con pour becqueter de ce pain-là ? Une main devant pour faire des signes clairs et l’autre entre les fesses des fois que ça m’inspire la colique ? Ah ! Je l’aurais bien défendu, ce pays de Cahu ! Je t’en aurais foutu plein la gueule aux agents de la France ! Et que de la bonne rhétorique. Pas une trace de piège à cons ! J’ai même félicité Cahu de pas s’être tiré une balle dans la tronche. Il aurait été bien con. Et c’est là qu’on le sent moins con que prévu. Parce que tu vois, on bavarde, on se laisse pousser par des idées qu’on est même pas sûr que c’est les nôtres, tout semble baigner dans le sang qu’on a pas versé, et qui coule dans nos veines parce qu’on se croit plus malin que Cahu. Mais s’il t’arrive de te poser les questions, tu te la poses pas celle de savoir pourquoi il s’est jeté aux pieds des juges pour cracher le morceau ? Quel morceau ! Et un morceau de quoi ? Si ça te satisfait jusqu’à l’éjaculation qui s’accompagne en général de troubles de la mémoire plus ou moins durables selon l’intensité de la recherche, c’est que t’as pas vu venir. Venir quoi ? Mais le trou ! Le trou à rats ! Sciences Populo ! La connaissance de la Constitution. La nique aux magistrats qui en savent autant que le Cahu. Le fait intolérable que dans ce putain de pays on peut voler l’État, ce qui est une saine activité, et continuer de le servir, ce qui devient douteux. Dans le caca hue (on va appeler ça comme ça), vu qu’on est d’accord pour dire qu’il a bien raison de pas se flinguer, on avait pas dit que c’était pour revenir sur ses deux jambes là même où on l’a mis pour qu’il puisse voler l’État en toute impunité. Comme ça a foiré, et qu’il est toujours en vie, on s’attendait à ce qu’il avoue uniquement pour faire la nique à l’occupant ! Mais queue dalle ! C’est pas du tout ce qu’il avait dans la tronche en saignant du nez dans la chemise des juges. Le mec avait une stratégie ! Il avait réfléchi ! Et du coup on se demande s’il a pas réfléchi avec les autres ! Et que tout ça, les airs choqués comme des verres de champagne, que ça fait bien à la télé, les mots outrage et honte sur les lèvres, les commentaires complices des médias, tout ça était mis en scène ! Oh ! La parano ! Je suis malade rien que d’y penser ! Et pourtant je pense pas beaucoup ! Je me tire les vers du nez ! Et ils s’accrochent à mes poils ! Alors comme ça le Cahu attend sereinement qu’on le condamne pour des trucs certes pas bénins, mais que c’est pas trop grave non plus quand on a assez de pognon pour rentrer chez soi et dormir sur ses deux oreilles. Et que je reviens sur les bancs de l’Assemblée, avec mes médailles et mes trafics d’influence, en attendant que ça passe. Parce ça passera !

Alors là je dis non, Cahu ! Tu me trahis ! Que j’en deviens pire qu’Ayrault bafouillant sur les tréteaux de la République ou chez nos amis les boches ! À côté, même Montebourg a l’air aussi talentueux que Depardieu ! Je crois plus en toi, Cahu ! Et même je me crois pas ! Je t’aurais bien tiré moi-même une balle dans la tête si ça t’avais rendu service. Je suis prêt à tous les sacrifices, moi, quand j’ai l’occasion d’applaudir des types capables de ferrailler avec l’État rien qu’en chouravant ce qu’il nous a piqué en toute légalité. Je te jure que je t’aurais aimé, même en silence ! J’aurais supporté toutes les poires d’angoisse pour qu’on touche pas à ta probité de pays du Sud ! Et t’aurais même eu droit à mes paroles que c’est quand même autre chose que les merdes bruissées par la gonzesse à Sarkozy lequel manquera pas de profiter de sa faiblesse quand elle sera bien vieille. Mais revenir sur les lieux du crime comme si rien ne s’était passé ? En somme comme si tu étais presque innocent. Comme s’il ne pouvait rien t’arriver ! Que tu étais protégé par la substance même qui t’as inspiré ce qu’on croyait relever de la rébellion ! Ah ! On est pas que déçu ! Et il est trop tôt pour t’en vouloir comme tu le mérites. On va attendre encore avant de te tomber dessus, charogne !

C’est d’autant plus chiant, ce sentiment, cette désillusion, que Sarkozy nous inspire pas un seul moment de doute. Ah ! Le maudit paradoxe ! Le contresens impayable ! L’envers du décor ! Que même on s’y sent bien. Quelle que soit la décision de la Justice qui l’affectera ou le rendra plus apte à revenir sur le terrain du combat politique. S’il est coupable, ça nous fera marrer jusqu’à plus soif. Et s’il est déclaré innocent, on y croira pas ! D’un côté comme de l’autre, on est gagnant et on se sera bien marré. On enverra même les paroles de la chanson à Carla qui pourra se les piquouser sous la peau pour paraître plus gamine que jamais et vraiment tarte comme elle le mérite. Tandis que la trahison de Cahu n’aura qu’un sens et que ce sera le seul chemin à suivre pour arriver à la conclusion qu’il fait tout simplement partie de la « pourriture intrinsèque » et non pas du complot sudiste qu’on est quelques-uns à rêver au coin du feu dans les soirées un peu froides de nos hivers occitans. On était là, quelques amis, grattant la bûche dans le feu pour faire des étincelles, que c’est pas vilain d’y penser au moins quand il fait froid dehors, et on était heureux, pourquoi ne pas l’avouer, qu’un pays aussi malin que Cahu ait été à un doigt de pas être reconnu coupable, et voilà que notre joie s’éteint, peut-être parce qu’on a trop gratté à force de regarder les infos à la télé. Ce type est assez arrogant pour prétendre reprendre ses saines occupations de député, content d’avoir peut-être placé la Justice dans une impasse, tellement il semble s’y connaître en manipulation, tellement que ça l’a rendu snob, d’un air de dire : « C’est pas tout le magot, les mecs ! Et vous trouverez rien d’autre. En attendant, vous la fermez et je reprends ma place. Point ! » C’est comme ça les voyous. N’importe quel flic vous le dira. Alors ? À malin malin et demi ?

Mais c’est que c’est pas fini à ce qui paraît ! Des Sarkozy, des Cahuzac, la Presse libre en a paraît-il plein les fouilles ! Des veux-tu en voilà ! Des Fabius dans la manche ! Et que c’est pas des promesses en l’air. Et pas seulement pour remettre à sa place la vieille Presse bien française qui fait le lard et le cochon des phénomènes de société. On va en avoir pour notre argent ! Ah ! Je voudrais être assez jeune pour voir ça ! Mais je vivrai pas assez longtemps pour me marrer avec les autres. Je peux rêver, non ? Vous voulez savoir à quoi je rêve maintenant que Cahu n’est plus mon héros du jour ? Je sais pas si on peut se permettre ce genre de rêve en France. J’ai la prudence en berne depuis que Sarkozy et ses miliciens sont passés par là. J’en suis au point de souhaiter le retour de la censure. Chaque fois qu’on aurait un truc sur la langue, on irait se la faire rincer au tribunal des juges, que des fois c’est des gonzesses qui sont pas plus connes que les mecs qui font le même métier. Moi, j’irais à Foix. Pas à pied parce que Foix, c’est pas la porte à côté. J’attendrais mon tour comme tout ceux qui ont quelque chose à dire mais qui savent pas si c’est au poil comme le veulent les usages français qui sont pas les plus cons du monde, mais qui se tiennent plutôt bien si on les compare aux pires. Je frapperais à la porte avant d’entrer. Un claquement ne serait pas celui des doigts de la Présidente, mais celui du Petit Robert qu’elle referme pour montrer qu’elle sait s’en servir. Qu’est-ce que je veux savoir ? On dit madame le Présidente. Je l’ai jamais dit mais ça me gêne pas du moment qu’on va pas plus loin. J’aime pas trop fréquenter les colons. Les traîtres moins encore. Il y en a. Je regarde pas tout ni tout le monde. Je suis pas venu pour ça. Juste pour savoir. Pour savoir quoi ? Si j’ai droit. Elle ouvre le dico. Elle cherche. Trouve. Bon alors le mot c’était crapule ? C’est bien ça. Oui, madame. Majuscule ! La voilà, et sans les mains ! Je finis par sortir de là plus savant. Mon Petit Robert à moi diminue. Déjà que c’est une merde ! À force de trancher dans le vocabulaire, il va plus rien me rester. Essayez de penser à autre chose. Bien, Madame. Vous pensez si c’est facile de trouver les mots quand on pense à rien ! Mais elle s’en fout la Justice. L’art français ne mange pas de pain. Vous comprenez ça ? Elle m’appelle pas monsieur. Avec ou sans majuscule. Ça lui ferait mal au cul. Tiens ? Pourquoi je parle de cul en pensant à elle ? Parce que c’est une gonzesse ? Ou parce qu’elle est assise. Je crois que parce qu’elle est assise. Celui qui devrait être debout est assis lui aussi. J’en ai pas profité pour me relaxer. Et je sais pas courir quand il faut éviter de se mélanger à ce qui n’est pas clair. Ouais, ça manque de clarté, comme tout ce qui sert à jeter la lumière par les fenêtres. Débauchés ! J’ai crié, là, devant le palais ! J’ouvre ce qui reste de mon Petit Robert. Ça va, mec ! On y lit encore le mot « débauché ». « Mais ça dépend du contexte ! » lance-t-elle à la fenêtre. J’avais pas pensé au contexte. Elle en a condamné un qui avait traité son employeur de cheval. « Alors que c’est un âne ! » explique-t-elle. Ils font des études, mais n’ont aucune idée de ce qu’Euclide a donné aux hommes. Ah ! Les cons !

Revenons à nos moutons. Je parlais de mes rêves. Pas des rêves cochons ni de ceux qui me foutent la trouille. Des rêves éveillés. De ceux que je fais uniquement pour me soulager. Ça pourrait s’intituler « Tous des pourris ». Avec de l’intrinsèque et des dehors aussi. On entre on sort. Le moulin de mes palliatifs. J’encule personne. J’assassine même pas. Je veux me réduire au spectateur qui n’a rien d’autre à dire que ce pourquoi il est venu s’asseoir. Je commence par Rachida Dati. Je lui ouvre le bide avec un canif. Salut Jack ! Ça doit faire mal. Elle a une gueule à avoir tout le temps mal. « Où t’as mis tes diplômes, salope ? » Comme si j’étais intéressé par les diplômes depuis que j’en ai pas ! Kociusko-Morizet me saute sur la couenne. Putain qu’elle est moche ! Affreuse ! Elle me déchire une oreille parce qu’elle aime ça. « Si tu me fais chier, que je dis, je te livre à Guéant dans le rôle d’Himmler ! » Elle me croit et s’en va. Sarkozy veut me payer la passe. « C’est la vieille qui paye ! » J’ai l’impression de lire le journal ou de voir les actualités à la télé. Qu’est-ce que j’attends pour zapper ? Proust, au secours !

Et je pourrais continuer comme ça pendant des feuilles et des feuilles ! Les recto-versos de ce qui n’est même pas de la colère. La France pourrit ma terre. Bon, elle nous donne ses institutions. C’est ce que font toujours les colons. Ils s’installent après vous avoir fait saigner, puis vous soignent le temps qu’il faut pour que ça passe et quand l’ardoise est bien remplie, ils l’effacent ! Comme le curé de Lazare ! Ah ! La joie du dépossédé qui se remet à rien posséder ! Mais rien de rien ! Et on recommence, avec des docus genre germanophilie versus germanophobie, ou n’importe quoi à la place de germano, et tout ça dans la gueule bien retapée des modèles de la classe dite moyenne. Et que je te fustige tout ce qui est populiste ! Rien dans les marges ! Ou alors sur la touche ! Bien fringués ! Chevaliers d’industrie ! Dis bonjour à Pablo de Ségovie ! Les gonzesses replâtrées avec des tifs retenus par des fils. Rien ne bouge à la surface de ces mers d’huile. Les signes conventionnels appris du cinoche servent de repères dans un rectangle qui est conçu pour ça. Si t’as pas d’épaules, le tailleur réduit la largeur des revers du veston. C’est ça la technologie du média ! L’illusion est assez bonne du point de vue de l’éphémère. Un éphémère revisité par les besoins de communication. C’est qui qui choisit ? Du coup on est en plein milieu, on sait plus trop si ça se passe à droite ou à gauche. C’est rien que du milieu. Dans les marges, paraît qu’on se populise, ce qui ne va pas, mais alors pas du tout ! C’est l’épouvantail Kosciusko-Morizet qui le dit ou la complètement refaite à neuf avec du vieux Guigou ! Le conservatisme est plus qu’une hypothèse. C’est le concept hors duquel on n’a plus qu’à la fermer. Les crevures d’extrême-droite comme les paniqués des fronts de Gauche ! Et vous voudriez que je souhaite ça pour ma terre ! Moi qui préconise qu’on remplace la langue française, qui n’est pas la nôtre, par celle de Shakespeare ou mieux par celle de Faulkner ! Et qu’on n’en profite pas pour oublier celles, au pluriel, des troubadours ! Et de tout ce que l’Arabie et l’Andalousie nous ont légué ! Je rêve…

« Les gens ne sont pas riches ou simplement aisés parce qu'ils sont honnêtes. Ils ne le sont que d'être malhonnêtes. » Non, rassure-toi, Français qui n’a jamais lu La Bruyère, ni grand-chose de ce qui fait la force de ta Littérature, c’est pas ce Parisien qui a écrit cette petite phrase. Il aurait pas osé. Et s’il avait osé, l’Académie aurait rappelé que ce genre de phrase mérite d’être interprété à la lumière, si on ose appeler ça de la lumière, de l’opinion générale qui est centriste par définition, ce qui d’ailleurs ne réussit absolument pas à ceux qui, comme Bayrou, dit Cucu-la-Praline, s’en réclame sans cesser de perfectionner son côté cauteleux qui passe mal à la télé. Tiens ! C’est à comparer avec le « Malheur aux riches ! » de ce Jésus qui est un personnage à la fois de fantaisie et d’imagination. Si tu l’écoutes, t’as vraiment pas envie d’être riche. T’as même plutôt envie du contraire, quitte à en souffrir un bon coup. Mais si tu écoutes les « docteurs de la Loi », les curés quoi ! c’est pas du tout ce que tu penses qu’il a dit le Jésus ! Non ! Il a pas dit ça ! Il a même presque dit le contraire ! Parce que tu sais pas lire le français, mec ! Tu lis que ce qui est écrit. Or, selon des usages bien connus de tous ceux qui savent, ça suffit pas. Faut lire entre les lignes, même s’il y a qu’une ligne comme c’est le cas ici. Il te manque l’essentiel, quoi ! Et c’est des gens du milieu, du centre en français, qui savent ce qui te manque pour que t’arrêtes d’être populiste, c’est-à-dire con comme un balai ! Le jésus (je t’explique) il a pas dit « Malheur aux riches ! » comme ça, comme tu le dirais toi parce que t’es con (faut dire populiste parce que con ça peut devenir très vite une injure en diffamation). Il a dit « Attends ! J’ai pas fini ! Où tu vas ? Reste ici ou on t’arrête ! » Et comme t’es en état de menace perpétuelle parce que t’es Français (avec une majuscule à cause de l’égalité à laquelle tu as droit toi aussi), tu écoutes ce qu’on te dit : « Le riche dont te parle Jésus, dit François Hollande dans son bureau épiscopal, c’est le riche qui ouvre des comptes en Suisse, comme ce traître Cahuzac. Il a volé l’État. Il a menti à la Nation. Malheur à lui ! Mais (et là le François Segundo il te tient par la barbichette que c’est un geste qu’appréciait particulièrement Ségolène selon ce qu’elle m’a confié sur l’oreiller médiatique) le riche qui paye ses impôts, hein ? Tu crois vraiment que c’est un malheureux ? » J’ai compris ! Ya bien longtemps que j’ai compris ! J’ai pas besoin qu’un fonctionnaire formé dans la fonction publique d’un parti politique vienne me donner des leçons de compréhension de ce qui est et de ce qui n’est pas ! Ça, je le savais déjà ! Faut pas me prendre pour un con parce que j’ai pas tout compris le reste ! Alors je te le regarde bien en face, ce mollasson de la gidouille, et je lui dis ! Je lui dis que je suis pas aussi con que j’en ai l’air parce que j’appelle un chat un chat ! Non mais des fois ! J’ai tellement tout bien compris, depuis que j’ai moi aussi usé pour rien les bancs de l’école nationale, qu’il m’est pas venu une seule fois à l’esprit que les pauvres pourraient un jour payer des impôts ! Tu vas pas nous faire ça, Paco ! On a plus un rond ! On sait faire que de parler et d’écrire ! Que les riches soit heureux ou malheureux, on s’en tape ! Nous aussi on est heureux des fois, comme quand un flic se fait couper un bras ou perd l’usage de ses guiboles dans un accident de course-poursuite ! On est heureux ! On est d’ailleurs encore heureux de pas payer des impôts ! Mais pour combien de temps si les riches qui volent l’État sont des riches de Gauche ? Oh ! Le paradoxe ! Le sophisme ! L’invraisemblance ! Dans quelle apagogie on s’est foutu les pieds, nous les pauvres qui payent pas d’impôts et qu’on va bientôt traiter comme des voleurs ! Parce que c’est ce qui va se passer ! Il en a de belles, le Sarko ! Il se fait les vieilles comme Landru, mais sans les brûler, ni même les trucider, parce qu’il est pas assez con pour aller au bout de ses idées. Et en plus il paye ce que l’État a besoin de lui. Ça l’empêche pas de bouffer ! Même le Cahu il bouffe ! Et bien encore ! Du mijoté et du en conserve Petrossian. Et un café tote avec un Partagas. Ah ! Tu parles de malheur ! Je vais te donner un conseil, François. Au lieu de jouer à l’énervé, à l’outragé, au chef brisé mais pas en morceaux, pourquoi que tu demanderais pas aux pauvres de payer encore moins le droit de vivre en société ? C’est-y pas une bonne idée de campagne, ça ? D’un côté, je veux dire en France, on aurait des riches avec ou sans malheur, ce dont on se fout éperdument, et ici, sur ma terre, qui n’est pas la tienne, toi qu’es né dans la Seine comme Lazare dans le Tormès, on paierait nos impôts pour la cultiver, et tous les fruits seraient les nôtres, et on en profiterait pour vivre en bonne entente avec les musulmans qui nous ont jadis amené dans leurs bagages le progrès et la poésie. Des idées comme ça, mec, ça me donne envie de botter le cul de Valls, je sais pas pourquoi, mais ça me ferait du bien !

Oh ! Les airs outragés des domestiques de l’État ! Servants, pas serviteurs ! Et que je te la joue sans finesse parce qu’ya plus le temps de peaufiner ! Un ministre français pourri jusqu’à l’os et faut que ça tombe sur nous ! Ça pouvait pas tomber sur les Boches qui ont la tête dure ! Ah ! Si jamais Fabius, lui aussi né dans la Seine, si Fafa a fait le con, je commets l’irréparable. Je sais pas, moi… un cou tordu mais sans l’arthrose ! Du coup j’ai été faire un tour du côté de l’église de Mazères des fois que le curé, qui n’y habite pas, serait dans les parages à courir après des chiens pour les bénir au nom de saint Hubert le Repenti. J’avais pas l’intention de me confesser, mais de le prier ! Et qui que je vois, si c’est pas le Marette en personne qui pisse contre un mur qu’est pas fait pour ça ! Ah ! Je lui saute dessus comme on met les pieds dans le plat, que lui c’est un plat de service avec les doigts de la sauce. « Salaud ! Qu’est-ce qui te prend de pisser sur les murs de Mazères comme si t’étais chez toi ! Vaurien ! Salaud dans le sens propre du terme ! Que c’est écrit en toutes lettres dans le Petit Robert ! Et en première ligne encore ! Ça se fait pas de répandre tes particules de prostate comme si on savait pas ce que tu dois à Gúzman (celui de Burgos, pas l’Alfarachero), à Fournier, à Hitler et à Pétain ! Que je t’y reprenne de jeter tes incivilités à l’air libre ! Ya pas assez de cigognes comme ça ! Que pas plus tard qu’hier j’ai reçu une branche de buis sur la tête. Ils t’ont pas dit à la gendarmerie qu’une branche de buis, ça peut faire très mal surtout quand on s’en sert comme d’un sac à main ? Pousse-toi d’ici mais pas sans reprendre ton bien. Sers-toi de tes mains comme tu fais à l’église pour faire chier l’évangéliste. Allez donc à genoux hé salisseur depuis qu’on n’a plus le droit de te traiter de salaud comme tu le mériterais si la connaissance de Sartre était arrivée jusqu'au TGI de Foix ! Allez ouste ! Du balai avant que ça devienne les élections ! Après tout c’est ta faute si Cahu a foiré comme un bleu ! C’est à cause de tes caméras de vidéosurveillance ! Les gendarmes ils avaient rien dit ! Ya bien quelqu’un qui l’a mouchardé, comme à la SNCF où il paraît que ça moucharde beaucoup même en temps de paix ! Ah ! Tu peux crier pour dire que tu souffres de l’entrejambe ! C’est pas Dédé qui viendra à ton secours. Et je sais même pas si Hollande te proposera à une promotion d’honneur, sauf en cas de fiasco, parce qu’il paraît, à ce qu’il dit, que même si on se casse la gueule, on sauvera l’honneur qui est une chose vachement importante pour que le système continue de fonctionner. Il fonctionne pas le système peut-être ? Que oui ! Il est pas emmerdé maintenant le Cahu ? Et le Sarko, il fera peut-être des vieux os avec tout ce qu’il a sur la conscience ? Merde alors ! Elle est où la Droite ? Et c’est comment la Gauche ? C’est à cause des vieilles badernes dans ton genre qu’on se la fait au milieu. » Ah ! J’étais furieux ! Un mec de cet âge qui pisse sur le trottoir sans se soucier du mal que ça peut faire ces excrétions malsaines d’un temps qui ne devrait plus être le nôtre, que voulez-vous, ça me met en pétard. Si le système est pourri, c’est que le système. Pas le reste ! Pas nous ! Et là je m’adresse à toutes les caméras de surveillance qui enregistrent ma voix, celle que je balance dans le trou du cul des élections. Ce qui est pourri, tas de pourris, c’est pas tant vos airs de domestiques surpris dans leur numéro d’imitation de vos maîtres, que ce qui manque à votre honneur pour qu’on y croie sans se mêler d’Histoire et de sociologie, que c’est pas à la portée de tout le monde, ces sciences qui sont à la promesse ce que le droit est à la menace. Bon, on comprend que le mec qui abuse du verre a envie de se vider. On le plaint pas d’ailleurs. Mais pour se vider, ya les chiottes et celles-là (je lui collai la tête à l’urinoir) elles ont envie de servir à quelque chose et pas pour avoir des médailles ! En plus, les indélicats comme toi, ça mérite pas d’ouvrir la braguette en public. Ton froc, c’est ici que tu le quittes ! Et si jamais tu touches à mon Cahu, à mon Fafa de Gauche et à je sais pas qui encore parce que la Presse libre fait le boulot de la Justice, je te fous la tête dedans et tout le reste avec ! Que j’allais le faire ! Que j’étais sur le point de commettre l’encrassement de ce qui n’est déjà pas bien propre ! À deux doigts du crime que j’étais ! Et heureusement que je l’ai pas commis ! Parce que Marette, c’était pas Marette, c’était mon grand-père qui revenait du bistrot ! On peut confondre, non ? »

 

Achevant son long discours par l’allumage de sa pipe qui prit feu aussitôt, cet hôte fort bruyant nous quitta sans nous saluer, nous abandonnant au feu qui crépitait dans la cheminée et dans lequel nos pensées se mélangeaient à ce que nous aurions pu en faire si nous étions venus nous aussi pour vider notre sac. Ginès cligna de l’œil à mon attention, son menton indiquant l’escalier qui montait pendant que l’hôtesse, attirée par le chahut que venait d’improviser le tribun, et troublée par des contenus qui semblaient encore animer son visage prompt à s’exprimer sur des questions aussi actuelles, le descendait en se tenant à la rampe qu’elle serrait de près pour laisser le passage aussi libre que possible à ce touriste qui n’en était plus un si elle avait bien compris. Il était temps de nous coucher pour reposer nos esprits chahutés depuis toute une journée qui s’achevait donc là, au seuil d’un deuxième chapitre où l’aventure continue comme si elle n’avait jamais cessé de nous servir d’emploi du temps.

 

Chapitre deuxième

I — Considérations sur la folie citoyenne (avec une note : Vive le pouvoir judiciaire !) — II — Du privilège et de la recommandation — III — Illustration : Comment je fus réveillé par des cris que je pris pour d’autres — Explications d’un berger à propos de la disparition de son pipeau et commentaires de l’hôtesse tant à propos du pipeau en question que du feu d’artifice que Ginès et moi-même avions donné à la compagnie ainsi que du loto qui avait agréablement entretenue celle-ci malgré les interventions de l’orateur impromptu dont nous avions supporté les dispositions citoyennes — Rencontre du troisième type (gonzo du berger, avec une note : Louis Marette décore un chien) — Gonze à l’aise et sans chaise — Récit d’un deuxième vol (bientôt on ne les comptera plus !) — Discussion sur l’honnêteté de Ginès alors que son sujet aurait dû porter sur un autre personnage — On a volé l’âne ! — Ce qui s’ensuivit.

 

I

Considérations sur la folie citoyenne

L’Europe a produit quelques-uns des plus grands fous furieux de l’Histoire universelle : Napoléon, Pétain, Hitler, Franco, Mussolini… marionnettes des pouvoirs, certes, mais aussi et surtout figures emblématiques de la cruauté exercée contre les hommes, à tel point qu’il n’est pas interdit d’en cultiver la mémoire, sauf peut-être celle d’Hitler. En effet, Napoléon bénéficie de la protection de l’État français ; Pétain n’ayant pas eu « droit » à un procès équitable, il n’est pas interdit de le « défendre » ; Franco a aussi son monument et ses partisans ; Mussolini ressurgit entre les lignes d’un Gandhi…

Et la France dans tout ça… ?

Après avoir été le pays le plus sanglant et le plus instable de l’histoire européenne, et une fois l’empire définitivement écroulé, beaucoup par défaite devant l’Allemagne, et un peu tout de même grâce à la vision de de Gaulle et de ses souteneurs, elle a trouvé l’équilibre en s’instituant, plus qu’en se constituant, « république » et « démocratie ». « République démocratique de France » conviendrait d’ailleurs mieux, comme appellation, que « République française », qualification peu employée, la doxa préférant l’étiquette régalienne « France », tout simplement.

Il convient néanmoins de préciser que cette république n’en est pas une au sens propre du terme ; en réalité, s’il faut appeler un chat un chat, il s’agit d’une monarchie élective ; mais pourquoi ne pas l’appeler république puisque c’est justement ce qu’elle veut être, ou plutôt, ce qu’elle tend à être, car c’est en effet un produit dérivé, sinueux au possible, et non pas une droite ligne de conduite collective.

Ce n’est pas non plus, tout à fait, une démocratie ; elle est trop fondée sur l’autoritarisme et la partialité constante de ses jugements et de ses interventions pour égaler en conviction les meilleures démocraties de ce monde.

En résumé, la France est une monarchie élective fondée sur une démocratie autoritaire.

Tel est l’héritage de son Histoire, celle qui ne ment pas.

Sa constitution, élaborée à la charnière du XIXe et du XXe siècle par les esprits les plus à droite, et reprise presque in extenso par ceux qui voulait la sauver des effets d’une constitution encore trop libérale face aux réalités des conflits intestins, garantit l’équilibre de ses forces et réussit malgré tout à la placer dans le camp des nations libérales et laïques. C’est un « coup d’État permanent », mais il semble, comme on dit « après coup », qu’il vaut mieux pour l’instant qu’un véritable État de droit ; même les socialistes, qui l’ont vivement combattue, la cultivent maintenant, avec un zèle d’écolier qui préfère, tout bien pesé, la dureté du banc à l’humiliation du piquet. Ce qui ne manque pas de provoquer, à droite, des sourires satisfaits.

L’histoire des peuples de France s’est apaisée. Et si on y regarde de près, les gouvernements qui se succèdent et se ressemblent tous un peu vont dans le sens d’une république digne de ce nom et d’une démocratie enfin libérée de ses injustices et de ses mensonges.

En attendant, il faut s’attendre à des retours de manivelle, comme celui que nous venons de vivre avec Sarkozy et sa clique ; chanoines, pétainistes, zombies ou autres, délateurs, miliciens, envieux, ignobles quelquefois.

Les manifestations d’hostilité et de violence qui ont marqué le débat sur le mariage pour tous sont éloquentes à ce sujet. Voilà une loi qui crée une liberté nouvelle pour ceux qui la méritent. On ne peut pas mieux faire ni mieux espérer de notre intelligence. Bien entendu, comme d’habitude, elle a été prononcée au nom de l’égalité, principe fallacieux qui n’a pas d’application, mais qui est partie intégrante de l’esprit monarchique qui règne aujourd’hui en maître rigoureux et clément.

Et déjà, un maire a refusé de marier un couple homosexuel, manquant ainsi gravement à son devoir de « représentant de l’État ». François Hollande, qui connaît la France comme sa poche, avait prévenu : il faudra prévoir une liberté de conscience, quitte à passer pour des cons aux yeux du monde ; mais la réputation de la smala des agents de l’État n’est plus à faire, hélas. Maires, magistrats, préfets, commissaires, haut gradés… Eux aussi connaissent bien la France qui les nourrit grassement ; le système colonialiste, judicieusement associé à une pratique savante du collaborationnisme, a fait ses preuves, comme on sait. Les salauds sont légion car, dans une démocratie authentique, pour mériter le titre d’autorité, il faut être élu et non pas désigné [note 1].

Le problème, c’est l’inoculation du virus censé pallier la maladie nationale du conflit civil ; une infection peut s’ensuivre et mettre fin à toute velléité de véritable république et de démocratie enfin assumée.

La question de l’huile sur le feu est beaucoup plus « permanente » que les alinéas d’une constitution sans doute trop visiblement condescendante.

Mais la question n’est pas là…

En effet, descendre dans la rue pour priver des citoyens d’une liberté qui leur est due, est une ignominie. C’est ici que le droitiste montre les ressorts de sa face cachée. Dans une démocratie, on ne descend dans la rue que pour défendre des libertés, et non pas des convictions et autres superstitions. C’est ainsi que l’esprit même de la démocratie a été violé par ce qu’il convient d’appeler des fascistes, activistes qui ont plus que transcendé le principe d’autorité.

Ainsi, l’église catholique, et plus largement la religion, ont repris le cours de leur histoire qui est celle des inquisitions, ou plus prosaïquement exprimé : l’histoire des salauds et des pédants. Ce qui ne manque pas de laisser perplexe dans un pays auquel la Philosophie doit beaucoup, de Pierre Bayle à Jean-Paul Sartre, en passant par le voisinage encore vivace de Rousseau.

La conation politique ne peut s’exercer, si la France est réellement en mouvement à la fois républicain et démocratique, que dans le sens d’une profusion de libertés, en dehors de tout mirage égalitaire et même fraternel.

La plaie est encore tellement ouverte qu’on a sincèrement craint des « débordements ». Une égérie de ce fascisme dans l’œuf a même évoqué, à la fois comme menace et comme crainte, une « effusion de sang ». Heureusement, pourrait-on dire, il ne s’est rien passé. Mais, quelqu’un de suffisamment intelligent et de vraiment informé pourrait-il affirmer que cela ne peut plus se passer ? Pour l’instant, seul des individus paient le prix de leurs aspirations et de leur nature en se faisant tabasser par des fous exemplaires. Dans un cas récent d’assassinat, la justice a reçu l’ordre, n’en doutons pas au pays où elle est soumise à l’exécutif, de reculer significativement devant une condamnation qui risquerait de mettre le feu aux poudres. Le courage n’est pas la qualité la mieux représentée par le pouvoir et ses autorités.

Il se passera encore longtemps avant que l’existence, en France, ne soit plus gâchée par les privations de libertés au nom de concepts que personne ne peut raisonnablement élever au statut de théorie et encore moins de lois.

Ainsi, compte tenu de la nature transitoire de nos lois constitutives, nous entretenons dans notre sein une classe, une catégorie, une variété de citoyens qu’il convient d’appeler des domestiques. Et c’est là que se joue notre quotidien.

 

II

Du privilège et de la recommandation

Et que s’exerce l’autoritarisme à la place de l’autorité, tant on aime bien, en France, ne pas appeler un chat un chat. Ainsi, la fameuse « indépendance » des magistrats n’est rien d’autre qu’un système de protection, une sorte de décret qui appelle un chat tout ce que voudront les électeurs de ce décret. Système complexe et forcément instable, vite meurtrier si on n’y prend pas garde [note 1].

L’Histoire, si c’est une science, enseigne que tout type de dogme prônant l’absence de gouvernement ou au contraire son emprise totalitaire relève de la religion, c’est-à-dire du concept passé en force de loi. Il est plus raisonnable de s’en tenir à des voies moyennes, touchant de plus ou moins près à une constitution « presque » sans gouvernement, selon l’idée que s’en est fait David Thoreau par exemple, ce qui règle la question de l’anarchie, ou au contraire fricotant avec l’extrême de cette situation pour régler sans doute la même question par un système de décrets définissant d’autorité les tenants et les aboutissants d’une réponse dangereusement placée à droite.

Le principe de tolérance est aussi fâcheusement mutilé, y compris de ses meilleurs auteurs. On ne compte guère en France que deux éditeurs du Dictionnaire philosophique de Voltaire, dont Le chasseur abstrait établi à Mazères. Le bon vieux dicton populaire qui pense assez naïvement, ou peut-être hypocritement, ou pourquoi pas par dépit, « qu’il faut de tout pour faire un monde » n’a pas d’application face au décret d’intégration qui menace le citoyen peu désireux de quitter sa communauté et ses principes. Sans aller nécessairement chercher des exemples dans les ghettos de l’immigration, il suffit de jeter un œil par dessus notre épaule pour constater que les agents de cette administration castratrice doivent renoncer à leurs projets si ceux-ci n’entrent pas dans le cadre des institutions qui dans ce cas ne peuvent évidemment pas s’en nourrir. Ou bien ils boivent, au mieux.

Que reste-t-il une fois évacué, de sinistre façon comme on le voit, la question du gouvernement et celle du principe de tolérance ?

À l’accusation d’extrémisme que subit un personnage d’Ernest Hemingway, celui-ci répond qu’il n’est pas extrémiste, mais en colère, l’extrémisme consistant, comme il est indiqué plus haut, à pousser le bouchon trop loin du côté de l’anarchie ou au contraire à le lancer dans les eaux troubles du fascisme. En cela, il n’est pas possible de placer le parti communiste et ses amis à l’extrême-gauche, mais par contre, la communauté d’idée entre le Front national et les fascistes est telle qu’il est parfaitement légitime de le qualifier de parti d’extrême-droite, à défaut de pouvoir le caricaturer sous le signe de la croix gammée, puis que la loi l’interdit (encore un décret pris cette fois pour, sans doute, ne pas jeter de l’huile sur le feu).

S’il s’agit donc de s’en tenir, sagement, à la colère, la question de l’action demeure, et celle notamment de son efficacité liée à la violence ou à la négociation. Récemment, une colère d’ouvriers n’a pas suscité la compréhension d’un gouvernement socialiste plutôt placé à droite. Elle était pourtant l’effet le plus exact d’une négociation truquée. Verra-t-on un jour un magistrat digne de ce nom se lever contre les appréciations impérieuses d’un ministre ? Quand les poules auront des dents, car la paye est bonne.

Comme on voit, l’existence n’est en rien facilitée par l’État ni par les gouvernements qu’il nomme indifféremment à droite ou à gauche, tant le principe du vote populaire, tellement faussé par les votes parallèles des notables constitués, ne pèse rien dans la balance.

Il n’en reste pas moins que le principe d’autorité, pour répondre à la réalité et ne pas sombrer dans les fois aveuglantes et aveuglées, est, tout comme celui d’il-faut-de-tout-pour-faire-un-monde, précepte du communautarisme, l’ingrédient à la fois le plus nécessaire et le plus agréable de la vie en société.

Dit comme ça, c’est tangent, n’est-ce pas ?

Ce serait oublier qu’autorité est synonyme d’influence.

Et c’est d’ailleurs ce qui distingue l’autorité de l’autoritarisme.

La constitution de la France est autoritaire, mais n’exerce aucune influence sur les esprits.

Ce n’est pas dans ce texte magistral qu’il faut chercher des leçons et des lignes de conduite.

Et certainement pas dans les ministères et autres dépendances de l’État.

L’autorité enseigne ou elle n’est que tentative de mise sous tutelle.

Il y a loin entre recevoir l’influence d’un enseignement et être contraint de fermer sa gueule.

Quel maître d’art ne s’est pas placé de lui-même sous l’autorité d’un héritage technique, scientifique ou artistique ?

Mais, si la domesticité de l’État, je veux dire tout l’emploi qu’il en fait, n’est guère critiquable sur le plan des compétences et de l’honnêteté, il n’en reste pas moins que bien souvent nous avons affaire avec des imbéciles et mêmes des malhonnêtes. Il convient, pour s’en tenir à un vocabulaire philosophique, de changer ces qualifications quelque peu injurieuses par les termes en usage : on appellera l’imbécile un inculte, et le malhonnête un salaud.

Nous limitons ici notre étude au domaine du domestique d’État, comme on dit homme ou femme d’État, appelé non sans nuance péjorative, voire insultante, fonctionnaire. Et dans ce domaine croissant qui exerce une influence proportionnelle à sa croissance, existe un sous-domaine incluant les incultes et les salauds ; ceux-ci seront classés sous le nom générique de larbins.

Les larbins, certes, forcent le respect, mais ne parviennent pas à gagner l’estime à l’instar de leurs collègues intelligents et honnêtes qui, heureusement pour nous, forment le gros du bataillon, pour employer une analogie tempérée, des serviteurs à la fois de l’État et des citoyens, autrement dit des fonctionnaires.

 

III

Illustration

Comment je fus réveillé par des cris que je pris pour d’autres.

Quand nous fûmes réveillés cette nuit-là, qui fut la première et non moins la dernière passée dans cet hôtel du mont Valier où nous allions vivre quelques-uns des meilleurs moments de notre existence si on se place du point de vue tant de la connaissance, qui est un bien à partager avec la proximité qui nous affecte de cette manière, que de l’action qui désigne plus l’homme seul que son équivalent en sacs de blé, je crus que c’était encore là l’œuvre de cet orateur qui avait passablement gâché notre soirée en en ponctuant les victoires désuètes de ses dissertations parcellaires sur des sujets qui certes préoccupaient aussi nos esprits mais sans toutefois les contraindre à passer le meilleur du temps à en considérer la pertinence du point de vue du citoyen toujours redevable en ces temps de promesses non tenues par les actants librement et majoritairement choisis de nos institutions constituées et constitutives. Le mot crié de « Bingo ! » effleura d’abord mes oreilles que j’avais à ce moment-là fermées comme sont les portes de l’intimité, quoique Ginès prît beaucoup de place dans le lit que la modicité du lieu avait réduit à un seul, encore que la chance nous gratifiât d’une chambre et que cet humble dortoir de nos plaisirs endormis eût pour fenêtre une ouverture et pour porte une entrée libre, le tout barré de rideaux étriqués. Entre les ronflements massifs de mon compagnon de sommeil et le remue-ménage qui s’organisait dehors, mon esprit poussait encore des bâillements tels que j’eus du mal à comprendre que nous n’étions plus au jeu, mais de retour sur le terrain des tergiversations politiques où nous avait placés entre minuit et trois ce tribun particulièrement bien équipé pour les rassemblements dialectiques auxquels je dois avouer que je n’étais plus accroc depuis une récente cure de désintoxication citoyenne. Je secouais donc ce qui me sert de boîte à idées pour en épousseter, aussi fermement que m’y autorisait ma propension à me sortir du rêve sans y laisser de trace, les dernières et peut-être seules exubérances que le sommeil me concède une fois par jour quand je suis contraint à trouver de quoi me pousser jusqu’à la nuit, et même deux quand la chance m’a souri au point de m’insérer tout agréablement endormi dans cet espace incompatible avec l’enrichissement personnel dans lequel tout amateur de plaisir gratuit reconnaît une sieste carabinée. « Bingo ! » s’écriait celui que je prenais encore pour notre orateur intarissable et pourtant je commettais là deux erreurs qui m’eussent conduit directement en enfer si cet endroit détestable avait existé de la même existence que moi. Primo, le mot que j’entendais n’avait aucun rapport avec le jeu qui avait distrait notre soirée en compagnie des meilleures fréquentations qui se puissent imaginer à cette altitude ; et deusio, la voix qui me trompait n’était pas celle de notre conférencier, mais comme Ginès dormait du plus profond sommeil qu’un homme puisse trouver quand il n’a plus rien d’autre à chercher, j’achevais de me prêter au monde comme l’enfant que j’avais été savait s’y prendre pour qu’on l’ignorât alors qu’il était en pleine recherche d’autre chose que le temps qu’il n’avait pas encore consommé avec les dents de l’âge et les langues mortes de la maturité. Il eût fallu que quelqu’un me mordît un orteil pour me pousser dans ce dernier retranchement qui est celui de l’éveil et du premier pas dans la réalité. Or, l’homme, car c’était une voix d’homme (j’étais assez réveillé pour en apprécier la tonalité et les affirmations qu’elle propulsait à l’extérieur de ce qui relevait de l’autorité la plus affirmée), n’avait pas dit « Bingo ! » (d’ailleurs pourquoi eût-il emprunté ce cri de victoire aux circonstances de nos distractions ?) mais quelque chose qui certes y ressemblait, sans toutefois trahir aucun rapport avec le nombre de fois que je l’avais poussé avec une joie contenue comme je sais m’y prendre quand je veux me faire aimer ou au moins apprécier. Car si l’homme qui criait maintenant n’était pas celui qui avait interrompu nos cartons pour s’immiscer dans nos pensées citoyennes, qui était-ce ? Pourquoi criait-il ? Et que criait-il ? Et pourquoi Ginès ne sortait-il pas de ce qui l’emportait aussi loin de moi et de la réalité dont j’étais pour lui, si je ne me trompais pas sur ses sentiments, la première borne significative ? Rejetant le manteau qui nous servait de couverture, je mis mes jambes à l’air vif de ce matin de printemps encore marqué par la débâcle et les roulements de tambour d’un ciel pas tout à fait décidé à nous rendre grâce et d’un bond je fus au pied de la porte ou de ce qui en faisait usage, rideau roide de poussière et de traces plus humaines dont l’odeur me coupa un moment de la réalité toute auditive que je tentais désespérément d’explorer sans en perdre la trace. Me penchant dans l’intervalle des deux parties de ce rideau qui en avait vu d’autres, je vis que le couloir était désert, autrement dit qu’il n’était plus occupé par ce qui captivait ma curiosité et du coup je fus presque malheureux de n’avoir pas même l’espoir de la satisfaire, ce qui eût constitué une saine occupation de l’esprit en attendant que les autres se chargeassent de le troubler au point de me rendre inaccessible à toute complicité intellectuelle ou autre. Je m’en fus donc en chemise sur ce parquet d’antan qui sentait l’encaustique coupée de déjections qui m’eussent convenu si tous ces oiseaux de passage m’avaient proposé les ailes de leurs voyages, car on parlait toujours, et toujours de la même chose, et sans changer de voix comme il arrive dans les choses qui nous obsèdent parce qu’elles ont un sens et qu’on est formé et même peut-être né pour le comprendre finalement, si cette fin n’est pas trop dire au moment où on a perdu pied dans la réalité et non pas au cours du rêve que le sommeil nous octroie en compensation, comme le cœur se gonfle d’un côté quand l’autre se ratatine. J’avais le pied sur la première marche descendante quand l’hôtesse me gratifia d’un « Il a pas dit Bingo sinon je l’aurais entendu et de toute façon ce n’est pas lui ! » J’en étais donc à me demander comment elle s’y était pris pour pénétrer ainsi dans mon esprit quand l’homme qui détenait le secret de ce chahut remonta l’escalier que je descendais avec l’hôtesse dans mon dos et peut-être dessus et me frôla si partiellement que j’en redemandais pour m’assurer, comme je m’en sentais le droit, que j’étais partie de ce que je considérais comme un tout et que celui-ci m’était dû parce que j’étais parfaitement éveillé et en état de juger de la pertinence des attitudes et des actions de chacun à mon égard et sans moi s’il s’agissait de cela.

— Monsieur qui passez, dis-je en soignant mon aspect d’un coup de langue, que signifie cette clameur, que dis-je, ce charivari qui finira par réveiller la mauvaise humeur de mon compagnon de route ?

L’autre s’arrêta en cours d’ascension et, prenant l’hôtesse à témoin, elle qui ne demandait qu’à se comporter en étrangère quand les circonstances ne la concernait plus, on le vit déclarer dans un souffle qu’on lui avait volé, profitant de son sommeil légitime (il insista sur cette légitimité à cause du commencement de doute qui naissait sur mon visage), sa flûte !

— Votre flûte ! s’écria l’hôtesse.

— Ma flûte !

— Mais je ne mange pas de ce pain-là ! ironisai-je comme si on pouvait d’ores et déjà trouver dans mon comportement passé et présent les traces d’une complicité que je soupçonnais visiblement.

— Ma flûte ! Mon pipeau, quoi !

— Vous avez un pipeau ? fis-je à mon tour, adoptant la posture de l’hôtesse qui ne manqua pas de me jeter un œil complice.

— Tous les bergers ont un pipeau ! dit le berger, si c’était ce qu’il prétendait être.

— C’est un berger, confirma l’hôtesse.

— Et même un bon, continua le berger qui semblait ne plus pouvoir ou vouloir s’arrêter en chemin, celui sur lequel il nous avait placés sans nous demander notre avis sur la question du degré de notre implication autant comme témoin que comme délinquant possiblement probable ou probablement possible.

— Nous allons réveiller tout le monde, fit l’hôtesse en nous prenant chacun par le coude.

Elle avait l’habitude de conduire ainsi les hommes réveillés, quelles que fussent les raisons de leur éveil, le plus loin possible de ceux qui dormaient encore, mimant avec les seuls traits de son visage, qu’elle avait bien formé, tous les poings et les oreilles des dormeurs qu’on n’était pas en droit de réveiller au son d’un pipeau qui n’était plus là pour y servir.

— Je dis pas ! fit le berger, mais sans pipeau, je me fais chier toute la journée et d’autant plus que je sais pas en jouer.

 

Explications d’un berger à propos de la disparition de son pipeau et commentaires de l’hôtesse tant à propos du pipeau en question que du feu d’artifice que Ginès et moi-même avions donné à la compagnie ainsi que du loto qui avait agréablement entretenue celle-ci malgré les interventions de l’orateur impromptu dont nous avions supporté les dispositions citoyennes.

— Vous n’êtes pas qui je croyais que vous étiez…

Je croyais ainsi expliquer mon comportement depuis que j’avais quitté la chambre où j’avais épuisé le potentiel de mon sommeil à tel point que je pensais que ce vol de flûte formait l’épine dorsale d’une dramaturgie dont je ne pouvais être que la dupe si j’en jugeais à l’air sagace que l’hôtesse tentait d’échanger avec le mien, lequel m’éloignait des saveurs matinales goûtées par les miroirs des murs et les adorables regards qu’une corolle de jeunes filles effeuillait en frondaison de toute récente composition.

— Bien sûr ! gloussa le berger. C’est ma flûte qui a disparu, pas mon argent !

Le mien ayant fini sa passive existence dans le fond de sa poche pas plus tard qu’au beau milieu de la nuit que nous venions d’épuiser sans compter, il me clouait le bec, détail de mon infortune qui réjouit momentanément l’hôtesse qui choqua mes côtes de la pointe de son coude, d’un air de dire que je ferais bien de me taire, car ce berger manquait de patience avec les étrangers qu’il plumait. Ce mauvais joueur qui râlait quand il perdait avait-il le don de communiquer sa joie éprouvante si d’aventure, et c’en était une qui finissait mal pour moi qui n’avait pas perdu ma flûte pour la bonne raison que je n’en jouais pas même si j’étais doué pour ça, il en venait à perdre par un autre moyen que le jeu, si parler de moyen à propos de fatalité constitue encore de nos jours une bonne occasion de se taire.

— Mais enfin ! m’écriai-je. Où m’emmène-t-on ?

L’hôtesse ouvrit le gouffre volubile de sa bouche sans cesser de me pousser dans le dos même du plaignant qui agitait ses petits doigts calleux que les jolies servantes prenaient peut-être pour des signes, car elles s’amoncelèrent autour de la chaise qu’elles transportaient d’un commun désir de tout savoir de cette disparition dont l’hôtesse disait justement, en leur pinçant la taille qu’elles avaient souples comme leurs paniers pleins à craquer, que jamais flûte en cet hôtel n’avait connu pareilles complications mais qu’elle avait les moyens (encore !) de proposer autant de solutions que cette énigme toute nouvelle pouvait raisonnablement en inspirer. La chaise ne m’étant en aucun cas destinée, le berger y prit place non s’en se laisser éponger le front qu’il avait dégoulinant des larmes de ses yeux et des gouttes qui perlaient au bout de ses accroche-cœurs.

— Et elle était où, votre flûte, quand vous vous êtes couché ? demanda l’hôtesse.

— Aviez-vous fermé la fenêtre ? demanda une voix fluette.

Le berger ouvrit la bouche sans pouvoir en laisser sortir tout ce qui s’y annonçait de confusion, lançant dans ma direction un regard pitoyable que je pris pour le support du seul reproche qu’il avait à adresser à quelqu’un en ces circonstances extraordinaires autant pour lui que pour moi et comme je dodelinais de la tête pour préparer le terrain de ma défense, l’hôtesse me secoua l’épaule en me houspillant :

— Comment ! Vous n’avez pas de flûte et vous savez en jouer ?

Le cœur des jeunes filles, au milieu desquelles devaient fleurir quelques nouveautés qui ne fussent pas domestiques, reprit ce thème inlassablement, modulant l’étonnement jusqu’à la fausse note qui acheva ce concert de questions par la pire des cacophonies que mon esprit eût éprouvée depuis bien longtemps.

— Jouez-en ! conclut la plus jolie.

Ah ! Quelle proie j’étais pour elle maintenant qu’elle m’avait deviné !

— Mais comment veux-tu qu’il en joue puisque ce monsieur l’a perdue ! fit constater l’hôtesse à cette vierge pressée.

— Pas perdue ! rectifia le berger. Volée !

Il riait de bon cœur car les frôlements auxquels il goûtait sans réserve émoustillaient les limites de son esprit critique.

— Qui peut bien vous l’avoir volée si ce n’est personne ?

— C’est forcément quelqu’un !

D’autres chaises dinguèrent dans nos jambes. Nous fûmes bientôt assis autour de l’absence de flûte figurée par la main ouverte du berger qui agitait encore ses doigts comme si une mélodie courait dans son esprit à la poursuite du voleur que nous fûmes plusieurs à nous figurer sans nous concerter autrement que par le regard.

— C’est drôle, dit une jeune fille en dentelles, mais moi, cette histoire de flûte, ça me rend triste !

Le berger se dressa alors sur la pointe de ses espadrilles.

— Il ne faut pas, mademoiselle !

Aussitôt une servante à la grasse surface s’éveilla de son rêve pour traduire sa pensée en ces mots :

— Diable ! Il n’y a rien comme rêver pour se sentir toute triste.

Disant cela, elle me considérait des pieds à la tête. Son regard mouillé remonta lentement, mais sans un seul instant d’abandon, de mes pieds nus que j’avais oublié de chausser, ce qui me rendait suspect aux yeux de quelques-unes, à mes mains que je croisais sur ma poitrine comme si j’étais assez désespéré pour tenter d’étouffer ainsi les battements de mon cœur. Pourtant, rien ne sortit de sa bouche pour atteindre autre chose que ce cœur, laissant à mon esprit toute liberté pour résister à la tentation de réfléchir :

— C’était un joli feu d’artifice ! fit-elle en me touchant de la pointe de ses doigts rapides et sans doute pleins de cette expérience qui favorise la fortune.

— N’oublions pas la flûte, interrompit le berger qui pourtant pensait déjà à autre chose.

L’hôtesse poussa une sorte de gémissement qui nous coupa le souffle un instant, mais nous vîmes bien, après cette seconde, qu’elle avait l’art de captiver son auditoire quand elle en avait un à portée de son insatiable faim de secrets intimes et même d’ouvrages moins communs.

— Je le connais bien, Ginès, ce grand voyou ! dit-elle. Mais je n’aurais pas imaginé un tel spectacle sans le connaître mieux.

— C’est comme ce feu d’artifice… fit le berger qui ne suivait plus la conversation tant il était occupé à profiter le mieux possible de la proximité doucereuse que le hasard d’un larcin lui offrait sans autre exigence de créance.

Nous nous pressâmes autour de lui pour exprimer notre curiosité :

— Hé bé quoi le feu d’artifice ?

— Je me demande bien à qui il l’a volé ! continua le berger.

Je me levais à mon tour, claquant du talon sur les lattes de châtaignier car je ne me sentais pas de force à me hisser sur mes orteils, de telle sorte que je ne pus atteindre la hauteur où il s’était placé en n’oubliant pas de se chausser avant de sortir de sa chambre.

— Vous n’insinuez tout de même pas… !

Les jeunes filles s’écartèrent sensiblement comme chaque fois que deux hommes en viennent à se poser des questions qui demeurent sans réponses en attendant que l’abcès soit crevé d’une façon ou d’une autre. Mais l’homme se dégonfla et même se ratatina un tant soit peu, de telle sorte qu’il se retrouva un peu en dessous de mon regard qui du coup gagna en intensité.

— Voler une flûte, tout de même ! murmura l’hôtesse comme si elle réfléchissait en même temps. Et l’autre, là, que je sais même pas comment il s’appelle, il ne l’a pas touchée, votre flûte, hier au soir, pendant qu’il bavassait tellement que je me suis endormi sans prière ?

— Oh ! fis-je. Il parlait bien. La flûte, était-ce bien celle de monsieur ? Était-ce une flûte d’ailleurs ?

La servante grassouillette, qui lisait décidément dans ma pensée, énuméra toutes les sortes de flûtes qu’elle connaissait d’avoir poussé l’école plus loin que sa mère, et sa lourde jambe fraîchement barbifiée se plia à l’équerre sur la chaise que je dus lui concéder pour ne pas paraître profiter d’une situation vouée à une inévitable scoptophilie.

— Ces dames vont penser que je n’y connais rien… balbutiai-je en me tenant au berger qui révéla en cette occasion une musculature paradoxale tant j’étais moi-même capable de jouer du pipeau rien qu’avec les doigts.

L’altération de mes sens provoquée par l’inattendu d’une telle réunion à une heure où d’ordinaire j’étais encore sujet aux phases les plus profondes du sommeil m’était si perceptible que j’en conçus cette sorte de pâleur qui nous prend quand nous avons cessé de rougir pour une raison que nous venons d’oublier sans pouvoir nous en souvenir malgré des efforts presque physiques sur ce qui n’a pourtant qu’une existence supposée.

— Si c’est Ginès, dit l’hôtesse, il n’a fait que vous l’emprunter pour s’en servir à Dieu sait quoi ! Mais dans cette hypothèse, que c’est peut-être pas la bonne, que c’est même certainement la mauvaise, il vous la rendra et même sans doute avec un petit cadeau qui vous fera plaisir.

— Et vous vous y connaissez en cadeau ! s’écria le berger sans intention de déjouer les tours que prennent quelquefois les paroles quand on les prononce avant même de les avoir pesées.

— Même que j’ai la Légion d’honneur ! s’écria l’hôtesse.

Son visage s’était soudain éclairé d’une lueur républicaine que nos propres yeux eurent du mal à soutenir comme on expose des thèses quand un intrus (rôle qu’elle jouait à merveille) insère le jeton de sa présence dans l’interstice qui nous sépare à peine de ce qui diable a bien pu le distinguer à ce point de ce que nous sommes et que nous resterons peut-être tant que jamais a le pouvoir de modifier sensiblement les apparences qui nourrissent nos espoirs comme l’attente alimente les horloges de nos séjours. Devenu blême malgré la présence de la beauté qui explorait ses possibilités de prouesses techniques prometteuses d’autres trophées encore plus mirifiques, il se voûta, comme s’il venait d’oublier que sa flûte chantait maintenant dans d’autres mains pour le plaisir d’une bouche que des temps moins ordinaires ne lui eussent pas ravie sans une exploration méthodique de ce que la douleur peut infliger au voleur qui s’est un moment cru hors de la portée critique du véritable propriétaire de l’objet du litige. Et s’assombrissant au point d’en perdre haleine, profitant à peine des caresses qui lui étaient prodiguées en abondance par des mains expertes jusqu’à la discrétion, il se laissa aller en ces mots, prévenant qu’il n’avait pas l’intention de s’abandonner à une vaine polémique à propos d’un objet qu’il ne possédait pas et qu’il n’avait nullement l’intention d’en déposséder les récipiendaires si, comme c’était le cas, il se trouvait en présence de l’un d’eux dans une situation telle qu’il avait l’avantage de la motivation et surtout de la force.

 

 « Rencontre du troisième type (gonzo du berger)

Il y a de certaines femmes qui ressemblent au ruban de la Légion d'honneur. On n'en veut plus parce qu'elles se sont salies à de certains hommes. Baudelaire.

 

Foix, 6 avril 2012. 10 heures du mat et des rinçures.

On n’est pas à Pédonzigue, mais ça y ressemble dès qu’on se rapproche du palais de justice. C’est tellement mouillé que ça a l’air sale. Les SDF font leurs lits entre les murs, sous le ciel. La halle peine à grouiller. On est vendredi saint et les gens se préparent à bouffer du poisson avec plus de conscience que d’habitude. Au pied du château, des touristes espagnols constatent avec aigreur qu’ils auraient pu garer leur voiture plus près, mais quand ils sont arrivés ce matin, la grille du palais de justice était fermée. Un panneau indique : « Parking privé ».

— C’est de l’anglais, dit l’un d’eux.

— On aurait pu se garer plus près si ç’avait été de l’espagnol, insiste un autre.

Ils montent.

Rien dans les poches, je vais rendre une petite visite de courtoisie au procureur de la république qui souhaite m’entendre à propos d’un de mes articles qui n’a pas plu, mais alors pas du tout ! à l’Ordre national de la Légion d’honneur.

Le lecteur qui veut en savoir plus le trouvera [note 2], cet article, sinon la suite de celui-ci va très vite lui paraître obscure.

Je n’ai pas reçu de notification de la part du parquet, ce qui ne manque pas de m’intriguer. Je le serais moins si le procureur en personne n’avait laissé un message sur mon répondeur pour m’inviter à prendre rendez-vous. Putain ! C’est le procureur en personne qui veut me voir. Ça doit être grave. D’habitude, ce mec ne s’occupe que de ce qui a de l’importance aux yeux de la « société » dont il est un des représentants constitués. Les broutilles, c’est pour les délégués.

Sans notification en bonne et due forme, je ne sais même pas de quoi on m’accuse, ni comment, je veux dire dans le détail, parce que pour ce qui est de ce que j’ai à dire de l’Ordre de la LdH, je l’ai dit et je suis prêt à le répéter des fois qu’on m’aurait pas bien compris. J’ai même pas consulté mon avocat : il ferait quoi sans un papier officiel et officiellement remis ?

J’arrive pas les mains vides, toutefois. Dans ce genre de situation, je veux dire quand l’État français prétend me chercher des histoires sur ma terre romane, je transporte sur moi quelques épines et même du venin. On sait jamais ! J’ai même prévu des mots gentils au cas où je fasse mouche trop près du cœur. Je suis pas méchant, quoi ! Je vise que le cerveau. Pas létal !

Le type qui se présente à moi la main tendue est le procureur. Il a l’air sympathique. Il porte le blue-jean, cire pas ses pompes de trop et sa veste n’est pas taillée sur mesure. Sur Internet, on dit qu’il sort de Sciences-Po-Paris. On précise Paris, parce que Toulouse, ça fait moins chic. Pourtant, mon cousin Vivi sort de Sciences-Po-Toulouse et il a pas fini son existence dans un palais « à dimension humaine » (je cite Olivier Caracotch, c’est le nom du procureur).

Le bureau est vaste, mais meublé sans aucun goût. Je m’assoie sur de la paille. Le bonhomme, très ado d’allure, peut-être frais émoulu, s’installe dans son fauteuil et regarde tout de suite ses pompes. Il les a posées par terre et les voit entre ses genoux. Il lit ?

Voici ce qu’il m’explique :

(Je traduis dans ma langue, qu’elle est belle et mienne, parce que ce gonze fait des ronds dans l’eau et que ça me fait chier, littérairement parlant, de jouer avec ses vaguelettes... vous savez... J’m’appelle Patrick, app’lez-moi Bob...)

Ya pas longtemps qu’il est arrivé dans « son » tribunal et voilà-t-y pas deux fois qu’on s’est plaint de moi. Il explique aussi sec en se mordant la langue que c’est pas « son » tribunal et relève brièvement la tête quand je lui dis que je comprends, que c’est aussi le mien quoi ! Qu’on est plein là-dedans et qu’on se tient les coudes ! Une nation, quand même !

— La première fois, qu’il dit, c’était vos histoires avec Marette, dont je me fous éperdument. J’ai d’autres chats à fouetter.

Là, il s’imagine que je suis trop con pour m’imaginer les chats.

— Mais maintenant, poursuit-il, c’est la société que vous faites chier avec vos écrits à la con, et la société réagit en ma personne que je suis confondu avec elle.

Jusque-là, rien que de très ordinaire dans la bouche d’un procureur. Il lui arrive même de s’écrier comme s’il avait lu Zola :

— Alors d’après vous on peut écrire « Sale Juif ! » en toute liberté !

Ça, ça mérite des claques, mais j’aime pas interrompre si c’est faire preuve d’impatience.

— Alors voilà, continue-t-il, je vais pas vous poursuivre, parce que j’ai des chats à fouetter, mais je vais vous... rappeler à la Loi. Vous méritez 12000 euros d’amende pour insulte à un corps constitué. On vous laisse circuler pour l’instant, mais si vous recommencez, on vous en mettra pour le double. Autrement dit, vous avez plutôt intérêt à comprendre ce que je suis en train de vous dire que c’est pas moi qui parle mais la société. Vous vous retranchez derrière une citation de Marcel Aymé, mais j’en ai rien à foutre... la société n’en a rien à foutre de vos citations que vous avez trouvées n’importe où mais certainement pas au bon endroit comme il convient.

Il a dit tout ça sans lever la tête, reluquant ses pompes comme un écolier.

— Maintenant, conclut-il, c’est à vous de parler.

Comme si j’étais venu pour manquer une bonne occasion de me faire remarquer !

Bien sûr, on est intimement installé dans un bureau. Pas de public pour m’applaudir. Il va me manquer. Je vais encore situer mon discours à la limite du supportable. Il s’énervera à un moment donné et j’en profiterai, en bon rhétoricien, pour lui faire mal par où que ça passe. C’est du moins mon projet. J’en rate pas une. En principe !

— Sur le fond, je dis, personne m’empêchera de citer qui que je veux et quand que je veux et à propos de ce que je veux. La Légion d’honneur a été conçue par son créateur, de son propre aveu, comme un hochet. On ne donne pas des hochets à des gens normaux. Ou alors c’est moi qui suis pas normal ! C’est-y des gens normaux ces vieux types de l’OAS que Sarkozy a ajoutés à la longue liste de ceux qui bafouent, comme dit un sénateur, la Légion d’honneur ? Oh ! Oh ! À d’autres !

— Je m’en fous de vos explications, rétorque l’homme de loi, rompant le pacte du débat contradictoire. Moi je dis que vous avez beau citer qui vous voulez, vous citez de l’insulte et donc vous insultez !

— Et bien moi j’en ai rien à foutre de ce que vous pensez à la place de la société sans lui demander son avis (c’est elle qui publie Marcel Aymé). Si z’êtes pas content, allez demander à un juge d’instruction de me mettre en examen !

— Je vous ai déjà dit que les faits sont pas assez graves pour ça ! J’ai quand même le droit de vous dire ce que je pense et de vous avertir que ça va mal se terminer pour vous si vous récidivez... euh... je veux dire : si vous réitérez !

— Mais de quel droit vous me menacez puisque les faits sont prescrits ? Le délai de trois mois prévu par la loi à compter de la date de publication de l’article est écoulé. Vous n’avez même plus le droit de me menacer de quoi que ce soit au nom de la société ou d’autre chose !

— Ah ! Non, monsieur ! Je connais mon métier ! Que je l’ai étudié ! Pendant des années ! Le délai court à partir de la constatation des faits. Il me reste trois jours pour vous mettre une contredanse.

— Et c’est qui qui est l’auteur de ces... constatations ?

— C’est le colonel Jean Mauger dans sa lettre du 9 janvier ! Non mais !

(Jean Mauger, c’est le patron de la section ariégeoise de je ne sais quelle partie intime de la Légion d’honneur. Il a des décorations partout, même sur les pieds. Il est très décoratif, quoi !)

Le procureur brandit la lettre que je connais déjà, ce qui me produit l’effet d’un miracle inattendu, un peu comme Bernadette sur ses petits cailloux sucrés.

— Parce que vous pensez vraiment, beuglé-je, que la loi donne au plaignant le privilège de fixer lui-même la date de départ du délai de prescription ! Vous prenez nos députés pour des cons !

L’argument fait mouche. Le type s’immobilise comme si quelque chose lui arrivait. C’est pas qu’il a mal compté sur ses doigts : il s’est gouré juridiquement ! Et logiquement, ce qui est bien pire !

— Vous n’avez plus rien à me dire, conclus-je. Et je veux pas savoir pourquoi vous m’avez convoqué par téléphone ni pourquoi vous avez tellement tenu à me voir. J’écrirai ce roman à un autre moment. Je ne signerai donc pas un rappel à la loi ni à la raison d’ailleurs. Vous abandonnerez les poursuites de la manière la plus ordinaire qui soit et un point c’est tout !

J’aurais pu me casser sans autre forme, mais je suis pas juriste, moi, je suis un moraliste qui va toujours au bout de ses entreprises. Ni salaud ni pédant, simplement philosophe, comme tous les gens ordinaires qui se distinguent parce qu’ils ont le sens des solutions et non pas de l’opportunité. Non mais des fois !

— Revenons à la lettre du colonel Jean Mauger, reprends-je après avoir gueulé un bon coup parce que ce bon procureur voulait relancer son argumentation à la noix dans un sursaut plus d’orgueil que de véritable pratique de la sincérité. Vous pensez bien, monsieur, que j’ai pas pondu une petite critique salutaire de l’Ordre de la Légion d’honneur comme ça, sur le pouce, juste histoire de rigoler avec des amis qui pensent qu’à rigoler alors que je travaille pour eux avec ma plume. Ça me serait jamais venu à l’esprit, parce que ce corps constitué ou plutôt à reconstituer ne m’intéresse pas le moins du monde. J’ai pas le temps de m’attarder à vos « plaisirs élyséens ». Moi aussi j’ai des chats à fouetter. Sauf que je leur fais pas mal !

» Il se trouve que c’est Louis Marette qui a agité sa médaille (en chocolat, précise Geneviève de Fontenay, en hémorroïde, corrige Jean Yanne) devant mon nez qui supporte pas ces odeurs de hochet mâchouillé depuis plus de deux siècles par les mouflets de la République. Alors j’ai pensé, à tort ou à raison mais ça ne vous regarde pas, que j’étais en droit de m’exprimer sur le sujet. C’est moi qui décide d’exprimer mes opinions ou de les garder pour moi dans le secret de mes alcôves.

» Il se trouve que la lettre du colonel Jean Mauger est adressée à la présidente du TGI de Foix dans le cadre d’un procès qui m’oppose à Louis Marette, lequel veut obtenir au civil ce que vous, et le procureur général au-dessus de vous, lui avez refusé au pénal tout simplement parce que les faits (encore des articles) ne sont pas assez graves pour faire l’objet d’une instruction.

» Lisons-la ensemble cette lettre :

 

Madame la Présidente, J'ai été contacté par Monsieur Louis MARETTE, maire de Mazères, membre de notre section de la Légion d'Honneur, qui est, depuis plus de 6 mois, la cible d'un de ses administrés, sur un site Internet google (SIC) : « Mazères contre Louis Marette », qui écrit tout un tas d'insanités sur lui. Monsieur MARETTE a porté plainte et l'individu a été identifié.

Mais là dernièrement, il vient de dépasser les bornes, comme on dit, en s'en prenant à la Légion d'Honneur, de façon grossière et inadmissible, comme en témoigne l'article que je vous joins.

Et c'est pour cette raison que je me permets de vous en parler. Que puis je faire pour prolonger et appuyer la plainte de Mr Marette, sachant que seul notre président national de la Légion d'Honneur peut ester en justice. Je lui ai passé le texte hier soir par mail et lui ai dit que je vous en parlerai aujourd'hui, en tant que membre de notre société. J'attends donc sa réponse, que je porterai à votre connaissance, dés que je l'aurai.

Personnellement, je pense qu'il ne faut pas laisser passer ces insultes et je suis tout prêt à agir.

Je ne vous dérange pas plus longtemps. Je vous présente mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année, pour vous, votre famille et vous souhaite de bien voir progresser ce dossier du nouveau Palais de Justice, qui vous tient à cœur.

Je vous prie d'excuser mon écriture à la machine, mais j'ai des problèmes de canal carpien, qui m'empêchent d'écrire correctement.

Je vous prie aussi de bien vouloir m'excuser pour cette liberté que je prends de vous importuner, mais je porte très haut la défense du prestige de la Légion d'Honneur, que je ne peux supporter de voir salie. En vous remerciant pour vos conseils, je vous prie d'accepter, Madame la Présidente, mes hommages respectueux.

 

» Cette intrusion dans un procès qui ne le concerne pas est une faute inadmissible de la part de l’Ordre de la Légion d’honneur qui ne prétend pas autre chose que d’influencer une décision de justice qui ne le concerne pas non plus. Cette attitude, monsieur le procureur, ça s’appelle de la déloyauté. C’est un manquement ignominieux aux convenances. Alors pour les leçons de morale, au nom de la société ou d’autre chose, cet Ordre national est bien mal constitué pour en donner qui soit utiles à tout le monde et même aux imbéciles.

» Je passe sur les familiarités avec la présidente du TGI. Ça frise le soupçon de déni de justice. Mais je préfère penser que le colonel Jean Mauger a un cerveau d’enfant qui secoue un hochet alors qu’il a passé l’âge de se faire les dents sur cet ersatz de glande mammaire !

» Comme il fallait s’y attendre, l’avocat de Louis Marette a écarté cet indice de faux témoignage des conclusions qu’il nous a régulièrement remises en vue d’un procès. Flattés par ce souci de s’en tenir à une stricte bienséance, nous avons nous mêmes, dans nos conclusions en réponse, et par courtoisie supplémentaire, accepté de ne pas parler de l’odieuse et lâche tentative de Louis Marette et de son complice Jean Mauger. Il était donc clairement convenu que l’incident était clos d’un côté comme de l’autre. On est des êtres humains !

» Mais c’était attribuer un peu vite à ces deux acolytes un sens de l’honneur dont ils s’étaient, au moins pour l’occasion, départis.

» Et voilà qu’au lendemain de l’audience, à peu de jours près, l’Ordre de la Légion d’honneur, trompé, je veux bien le croire, par ces comploteurs en retraite, portait plainte devant vous, monsieur le procureur, ajoutant à l’ignominie de la première injure qui était faite à la justice, une félonie, involontaire peut-être, mais bien réelle.

— Et bien portez plainte contre l’Ordre ! Qu’est-ce que vous attendez ?

— Ce n’est pas plainte que je vais porter ! Et certainement pas vous inviter à grailler gratos dans mon buffet ! J’informe, moi, monsieur ! Je me plains pas ! Et je travaille pas à me faire orner le derrière !

» Je vous remercie donc de vous être gouré dans le calcul du délai de prescription, car il ne permet plus à cet Ordre national de me chercher des poux dans la tête. Vous l’avez d’ailleurs peut-être fait exprès, l’Ordre lui-même y est peut-être pour quelque chose, je n’en sais rien, car la patate lancée par Louis Marette et Jean Mauger était très, très chaude. Vous avez l’habitude de ce genre de chose dans l’administration. Je vous apprends rien. Des patates et de l’herbe sous les pieds ! Une autre culture, quoi, et c’est pas la mienne. Encore heureux !

» En tout cas, je rentre chez moi la tête haute et en parfait état de santé judiciaire. Maintenant que vous savez tout, je vous salue bien !

À mon avis, en se levant ce matin, Olivier Caracotch n’avait pas ni la moindre idée de ce que j’allais verser dans son dossier mal ficelé. Il m’a fait pitié, ce mec. Voilà où on en était.

— On va pas se quitter comme ça, qu’il me fait, d’un air de dire : je vais me faire taper sur les doigts et en plus je vais passer pour un... vous savez ? On n’est pas d’accord vous et moi, je le reconnais, et on va certainement pas devenir des amis, mais...

— Mais quoi ?

— Exprimons-nous ensemble dans un petit papier qui me sera bien utile quand je vais devoir annoncer à l’Ordre qu’il a tort et que vous avez raison. Après tout, je ne fais qu’exprimer mon opinion, enfin... celle de la société... ah ! de l’État si vous voulez ! Je ne vous juge pas !

— Et je vous empêche pas d’exprimer votre opinion. Il ne manquerait plus que ça !

Il y tient à son rappel à la loi. Il en écrit un de complètement farfelu à mes yeux. J’y connais rien, mais je parle français ! Je sais même pas si j’ai le droit de le publier. L’affaire est suffisamment futile pour que ça n’inquiète personne. Le nez de Cléopâtre...

— Signez ici, fait-il au cours d’un autre sursaut, le dernier. Si vous récidiv... réitérez, je vous coince ! On est d’accord. Mais je vous oblige pas à retirer votre article.

— Ah ! Vous recommencez ! Vous pouvez pas m’obliger puisqu’il y a prescription ! Ah ! Je signe rien du tout, tenez !

— Ouais, mais vous pouvez itérer ! Rendez-vous compte ! Vous pouvez itérer ! Que je vous dis !

Ah ! la gueule ! Il veut convaincre ! Il me fait penser à un portrait de Francis Scott Fitzgerald par Ernest Hemingway. Un peu comme s’il avait le profil grec, mais de face. Genre vendeur à la sauvette. Avec un parapluie et de la poudre d’escampette. Qu’il serait même pas capable de me dire ce qu’est la poudre d’escampette si je le lui demande. Voilà à quoi je pensais en ce matin de vendredi saint-frusquin et des poussières d’étoiles.

— Que je vous dis ! Itérer ! Ah ! Itérer ! Vive l’itération !

Au fond, il a raison. Il est grassement payé pour aliéner sa liberté, mais pas chiant en matière de connerie. Sans doute moins tripant si c’est pas des conneries. Pressé. En accélération constante parce que l’heure tourne et que les chats attendent. Et puis soyons pragmatiques à défaut d’être justes. Je peux pas réitérer, certes, mais comme mon article demeure où il doit être, bien en vue en public et sans une rature, c’est une itération que je me dois d’apprécier. Mon article peut tourner en boucle et comme il constitue le point de départ du délai de prescription, je vais pouvoir itérer autant que je veux, ce qui est tout de même mieux que de se limiter à une ré-itération, c’est-à-dire deux tours de manège et puis c’est fini la rigolade. Je vais pouvoir me poiler à l’infini avec le pompon ! Quel progrès ! Qu’est-ce que j’avance ! C’est pas un cadeau d’ailleurs ! Ou alors je viens de me l’offrir. Avec un peu de chance, je dois l’avouer. Allez hop ! Je suis pas superstitieux, mais avec la chance, on sait jamais. Elle peut me quitter à tout moment. Hue ! Je vais signer à la fois pour ne pas réitérer et pour itérer autant que ça me chante. Il y a une justice ! Tournez manège !

Je fais semblant d’hésiter pour l’emmerder un peu plus. Il grogne. On arrive au bout du plaisir.

Aaaaaaahhhh !

L’idéal selon le professeur Kinsey.

Je signe ! Il fait une fausse tocopie qu’il me remet. On se serre la pince. Et avant de sortir, je peux pas m’empêcher de lui signifier : « À une autre fois ! » Je me casse sur ce. Il a à peine gémi. Les secrétaires (enfin un public !) n’applaudissent pas, mais c’est tout comme. Enfin, j’imagine.

Dehors, les touristes espagnols sont redescendus.

— ¡Que raro ! dit l’un d’eux. Pas de café, pas une boutique de souvenirs. C’est pas très touristique ici.

Ouais mais alors, je pense, qu’est-ce qu’il y a comme touristes ! Et sans faire exprès encore ! »

 

Gonze à l’aise et sans chaise

Transporté aux frontières de l’esprit d’à-propos par le récit dont venait de nous gâter cet admirable berger à la recherche de sa flûte et de ses symboliques écoulements réquisitoires, je me levai à mon tour entre deux filles, comme désigné par leurs poitrines soudain éclairées de ce qu’un rideau entrouvert laissait deviner de la lumière du jour naissant depuis quelques heures passées à les perdre, et je crus opportun de m’exprimer à mon tour sur ce que je savais par expérience du tourisme et de ses conséquences sur le comportement des uns et les procédés par lesquels les autres ne dissimulent pas leur incompréhension à la fois polémique et nécessairement tributaire des réponses qu’ils apportent au moulin de leur désarroi. L’hôtesse ne cachait pas qu’elle eût choisi plutôt de passer sans transition du récit du berger, dont elle n’attendait rien relativement à la flûte qui était, ne l’oublions pas, à l’origine du dérangement qui m’affectait puisque j’étais celui qu’on avait tiré de son sommeil sans qu’il fût possible, à moins d’être de mauvaise haleine, de trouver une quelconque relation, de quelque nature que ce fût, entre la disparition évoquée et ce que je venais de perdre à tout jamais dans le passage étroit du rêve à la réalité, l’un et l’autre imposés par les hasards de ma présence en ces lieux tellement éloignés de mes pénates et de l’habitude que j’en avais si l’on en croyait mes tremblements auditifs, à l’exposition, non sans fierté, ajouta-t-elle pour ne rien laisser aux suppositions et tout prendre à l’effet de surprise, de cette médaille honorifique et définitive dont elle possédait aussi le diplôme au cas où quelqu’un, qu’elle ne désignait pas, mais qu’elle se retenait de supposer, eût douté de son mérite et de la légitimité de l’octroi. Avec un bel ensemble, la totalité des servantes, emportant dans le même mouvement le berger sans sa flûte et la flûte sans son voleur, se déplaça dans le sens que l’hôtesse n’imposait à personne, car je reconnus à voix haute que je n’y avais pas été invité, moue qui surprit d’abord la tenancière, puis l’interrogea assez de temps pour que je lui trouvasse un sens, et du coup les servantes, qui ne faisaient plus qu’une, se détachèrent de l’espèce de grappe fruitière qu’elles venaient à peine de former autour d’un berger pas mécontent de se laisser emporter par cet essaim de chair et de petits cris prometteurs d’autres paresses et s’immobilisèrent dans l’attente d’un mot ou d’une attitude, de la part de leur maîtresse, qui répondît à mon attente.

— Vous vouliez ajouter quelque chose, peut-être… dit l’hôtesse.

— Il semblerait… entendis-je, sans toutefois reconnaître ce personnage introductif au son de la voix qui me parvenait comme si je n’en avais jamais entendu de pareille à propos de, toujours, ces mêmes choses qui semblent attendre, toujours, que j’en dise quelque chose que je n’aie pas, jamais, entendu moi-même de ma bouche ni de celle qui s’ouvre quand c’est son tour de parler.

— Ma foi, fit le berger en bonne posture, pourquoi ne pas entendre ce qui peut attendre et remettre à plus tard ce qui ne souffre aucun retard ?

L’hôtesse éclata de rire, imitée par ses suivantes.

— On ne rit pas avant, dis-je avec cet humour qui m’abuse, mais après !

Tous reconnurent que je n’avais pas tort, d’autant que la médaille n’était soumise à aucun charme la menaçant de disparition, ce qui nous eût déçus au point de douter de son existence, et que ce que j’avais à dire, sous le coup d’une inspiration peut-être aussi fragile que paraissait l’être ma résistance à l’air du temps, relevait sans doute autant de l’éphémère que de l’imprévisible, selon ce que soupçonnaient ces visages taillés dans le vif de mes dissertations constantes sur ma propre nécessité réduite dans le même rapport à des utilités de représentation sans rideau.

— Êtes-vous prêt ? me demanda l’hôtesse.

— S’il ne l’était pas, il dormirait encore et nous nous livrerions à nos occupations sans nous soucier un seul instant de la qualité de son sommeil.

— Quelqu’un sait-il quelque chose de ma flûte ?

— Je ne pense pas l’avoir jamais montrée à personne de ma connaissance…

— Ne parlez pas tous à la fois ! Je n’y comprends plus rien !

— Ah ! Tu ne comprends que le langage de l’amour !

— Laissez-le parler, voyons !

 

« — Tout le monde connaît (ces histoires sont traditionnelles et en général très appréciées des Espagnols ; on s'en excuse d'avance, en bon français), commençai-je, au moins deux Espagnols : Sanchez, qui se tient debout, et Gonzalez, qui est assis. Le Français s’appelle Henri, tout simplement et sans jeu de mot, comme il sied à un Français (pour la prononciation, dites " Hi Han ! " ri, avec bouche en cul de poule).

En Espagne, on aime se rappeler que l’illustre Napoléon, premier du nom, s’est pris une pâtée non pas parce que les Anglais étaient de la partie, mais parce que le peuple espagnol a inventé, un peu avant les syndicats, la guérilla, réponse d’ailleurs adéquate aux massacres perpétrés par des révolutionnaires convertis à l’impérialisme.

Sanchez et Gonzalez occupaient depuis des jours une position peu enviable dans une tranchée creusée face aux installations de l’ennemi français. Ils rongeaient leur frein. Sanchez avait de l’expérience et connaissait des trucs que Gonzalez ignorait parce qu’il venait d’arriver. Aussi, Sanchez formait le bleu à l’extermination de l’occupant.

— Ça doit pas être facile de les avoir, dit Gonzalez désespéré.

— Oh ! Si que c’est facile ! exulte aussitôt Sanchez.

Il prend alors la position du tireur et, au lieu de serrer les dents comme Gonzalez se l’imaginait déjà, il met sa main libre, celle qui tenait l’affût, en demi porte-voix, maintenant l’autre main sur le pontet, prêt à actionner la gâchette. Gonzalez retient son souffle, ne sachant absolument pas ce qui allait se passer.

— Henri ! appela ensuite Sanchez d’une voix si fluette que Gonzalez crut qu’une petite fille venait de s’exprimer. Écoute ! fit aussitôt Sanchez.

— Oui ? fit une voix tout aussi mignonne qui venait d’en face.

Sanchez pressa la détente. Le soldat français qui s’était levé pour répondre à l’appel de son nom s’écroula, mort.

Gonzalez cessa de respirer.

— Tu vois ? dit Sanchez. C’est des gonzesses, ces mecs.

Et, hilare au point d’en pleurer, il se mit à imiter le Français devenu mort : « Oui ! Oui ! Oui ! », exagérant peut-être le côté joyeusement efféminé de ce qui, dans sa langue maternelle, ne peut être aussi finement interprété dans le sens d’un raffinement qui confine à la dévirilisation.

Plus tard, l’occupant français ayant été chassé, Gonzalez continua de vivre avec l’expérience de la guerre, mais son existence avait basculé des rigueurs du combat à la dureté des conditions économiques. Rapidement dit, il crevait de faim à peu près tous les jours.  Sanchez n’était plus là pour le conseiller et lui permettre d’avancer dans la société où il n’occupait que rarement une position. Il était plutôt enclin à l’attente et connaissait toutes les ficelles pour calmer la faim et les prurits. Des Français, il en venait d’autres, sans armes, mais tout aussi efféminés. Il en riait moins souvent. Il en riait tout de même.

Un jour que la faim le tenaillait particulièrement, il s’approcha d’un carrosse de marque Renault dans lequel des poules gloussaient. À travers une vitre, il constata que le pique-nique était copieux. Les Français qui possédaient ces coupe-faim étaient allés à l’aventure d’une ruine romantique. L’Espagnol en profita pour dérober une bouteille de vin bouché et une poule qu’il étrangla d’une seule main. Il avait souvent tué de cette main, des Français uniquement, du moins dans ses rêves, car c’était beaucoup plus tard que Napoléon premier. Les mains prises, il se calta en vitesse et prit de la distance. D’un souffle, il se trouva au bord d’une rivière qu’il connaissait et, assis sous un olivier, il entreprit de plumer la poule avant de la faire rôtir. Le vin devait être cher, car il était excellent, mais Gonzalez ne savait pas lire.

Il s’apprêtait à un somme quand un chahut dérangea les oiseaux des trembles. On venait ! Notre Espagnol, paniqué mais joyeux, n’eut pas le temps de cacher les traces de son forfait. Il se contenta de croiser les jambes, peut-être pour dissimuler la rondeur de son ventre dont la courbe était celle du bonheur, du moins pour l’instant. Un Français, qui s’appelait peut-être Henri, arrivait sur la berge, armé d’un fort bâton de fabrication française. Il y avait sur son visage l’expression de ses sentiments les moins cordiaux. Mais Gonzalez, qui avait l’habitude des situations de guerre, tourna sa tête grise aux yeux rouges et fit face, sans se lever, à Henri qui pensait avoir trouvé son voleur d’indigène.

— Vous n’avez pas vu une poule par ici ? demanda le Français.

Son regard, évidemment, montrait les plumes que Gonzalez avait laissées dans l’herbe comme preuve à la fois de sa bêtise et de son délit. Il tenait encore la bouteille à la main.

— La poule ? dit-il d’une voix aussi efféminée que possible pour un Espagnol qui en possède une capable d’effrayer un taureau sur l’air du Toréador.

— Oui, fit le Français. La poule… MA poule !

— Ah ? La poule ? Et bien voyez, seigneur touriste, elle était là ya cinq minutes. Elle s’est déshabillée et est allée prendre un bain.

D’une seule main, Gonzalez montrait à la fois le tas de plume et l’eau tranquille de la rivière. Que croyez-vous qu’il advint ?

 

Femmelette au combat, gros con de touriste, la réputation du Français à l’étranger n’est pas toujours à la hauteur du rêve gaulliste de prestige national qui marque cette cinquième république autant à droite qu’à gauche d’ailleurs. C’est injuste, je sais !

Prenons par exemple les « victimes » françaises du volcan. Les voilà coincées dans un pays reculé comme l’Égypte. Eh bien, il faut les ramener au bercail national et payer leur supplément de séjour. Et même, leur payer des indemnités pour remplacer les salaires que leurs patrons ne leur paieront pas. Et dans la foulée, les cheminots font grève. Chacun pour soit et Dieu pour tous. C’est le principe. Bien sûr, l’indigène est un voleur qui profite de la situation. Quant aux Français qui ne sont pas partis en vacances, qu’ils y restent !

Nation d’assistés qui ne savent pas se débrouiller tout seuls, la France n’est pas meilleure en littérature. Bien sûr, on rouspète. On défend des principes. Avant même d’écrire au moins correctement. On ne se pose pas de questions sur la qualité de l’écrit, uniquement sur le fait d’écrire. Et le système n’est pas mauvais d’ailleurs, à l’image de la sécurité sociale qui porte bien son nom. En effet, l’assuré dispose sans doute des meilleurs droits au monde, il en est fier, bien qu’il ne connaisse pas le monde, il les défend par affichage et dans les faits, mais l’hôpital français est en général bien médiocre. Tel est le principe national : de bons et vrais droits et une vie de merde. Pas étonnant que seuls les plus déshérités nous envient. Et nous les pourchassons parce qu’ils nous envahissent comme la mauvaise graine.

 

Gonzalez a survécu. Il a eu de la chance. Henri avait de l’humour. Il a raconté l’histoire à ses amis. Ils sont impayables ces Espagnols ! Il y a vingt ans à peine, ils allaient en espadrilles et bouffaient les migas au lard jaune et ridé des campagnes aux routes poussiéreuses sans panneaux ni signes de progrès. Aujourd’hui, Gonzalez colporte des conneries au sujet des Français battus sur sa terre à plate couture. Il a même retrouvé Sanchez qui revient de loin lui aussi. Sanchez a une maison héritée avec ses oliviers et ses orangers. Et Gonzalez pourrait s’acheter un appartement s’il le voulait. Mais il ne veut pas. Il a choisi de mourir dehors, avec les poules qui vont se baigner dans la rivière chaque fois qu’il a faim. Il y a toujours un Français plus sérieusement attaché à son consulat qu’à ses petites possessions d’été comme le Ricard et le calendos. Non pas par générosité, car le Français est avare. Ses verres sont bien vidés. Il va au bout de ses congés payés sans laisser de place à ceux qui n’ont pas cette chance. Mais au bord des rivières espagnoles où les poules se déshabillent avant de se jeter à l’eau, on se sent bien seul quand on est français. Il vaut alors mieux se souvenir d’Henri le soldat de Napoléon, de sa malchance au fond et de son peu d’Histoire. Se dire que Gonzalez n’a pas que faim. Il est toujours dans le fil de sa propre Histoire, ce qui manque au Français, comme il lui manque une suite à son excellente littérature qui eut le temps, encore naguère, de changer un peu les couleurs du Temps. Après avoir tué la langue de Pantagruel pour faire de la place à l’aristo et à ses rêves de gentilhommière, on a aussi éliminé toute trace de modernité jusqu’à se sentir socialiste ou plus exactement enclin, comme disait Brétecher, à penser à gauche et à vivre à droite, ce qui a l’avantage de brouiller les pistes et de faire plaisir à des patrons toujours plus intransigeants question ressources humaines et religiosités patentées.

— Ils se sont fait enculer par l’Histoire, dit Sanchez en parlant de ses voisins. Tachons de ne pas suivre leur exemple. Henri ?

— Oui ?

C’est exactement ce que continue de faire Gonzalez, mais seulement avec les poules et à l’heure où elles se couchent. »

 

Récit d’un deuxième vol (bientôt on ne les comptera plus !)

Nous passâmes sans transition au salon privé dont l’hôtesse, sans y entrer pour l’instant, nous invita à franchir un seuil destiné à d’autres circonstances, selon ce qu’elle nous précisa pour montrer à quel point, continua-t-elle, elle nous estimait. À peine eût-elle achevé de prononcer ce discours inspiré par ce qu’elle connaissait des prudences préparatoires qui président au spectacle de la personne reconnue par des institutions hautement constituées sans qu’on sache par qui, le tiroir qu’elle ouvrait sans autres précautions se referma sous l’effet de l’étonnement que venait de lui inspirer son contenu et nous fûmes sur le point de comprendre qu’il n’était pas, ou plutôt qu’il n’était plus, ce qu’elle s’attendait à nous faire découvrir par de si gracieux détours de l’attente. La voyant aussi dépitée que nous étions déjà incrédules, nous nous plongeâmes dans un silence obstiné qu’elle sembla incapable de rompre par autre chose que le gargouillement salivaire qui titillait déjà ses narines frémissantes. S’était-elle trompée de tiroir ? La question, posée par une voix qui pouvait être la mienne sans que je me risquasse à en jurer, provoqua sur son visage la série de contractions qui précède l’évidence de la colère et j’entendis distinctement son instrument vocal articuler une constatation dont je ne pus que reconnaître la pertinence :

— C’est autre chose qu’une flûte !

D’un air de dire : Une flûte, ça ne vaut pas grand-chose si on y regarde bien, alors qu’une médaille d’aussi haute extraction, c’est du luxe ! Car le voleur, et nous ne doutions plus maintenant qu’il existât, était passé de la flûte à la médaille comme on s’aventure de l’œuf au bœuf, franchissant ainsi le gouffre qui sépare la musique légère des moments de désœuvrement de la haute reconnaissance qui d’ailleurs n’a pas de nom puisqu’il est encore nécessaire de la requalifier chaque fois qu’on en évoque l’infini recommencement.

— Ah ! Ça oui ! Une médaille, c’est autre chose qu’une flûte ! répéta-t-elle comme si par cette évidence désormais indiscutable le vol venait tout juste d’être qualifié.

— Moi, dis-je pour recommencer là où les choses semblaient se terminer, c’est un képi qu’il m’a volé !

Et comme je précisais que le voleur, puisque c’en était un, m’avait dépossédé à l’intérieur d’un rêve, je crus bon de préciser qu’il s’agissait du képi du maréchal Pétain, détail que personne n’envisagea alors avec toute l’attention qu’il méritait pourtant car, comme je le soutins plus tard, l’identité du voleur n’eût alors fait l’objet d’aucun doute, pas même de la part de ces jeunes filles qui n’y entendaient, à ce qu’elles péroraient, plus rien.

 

Discussion sur l’honnêteté de Ginès alors que son sujet aurait dû porter sur un autre personnage.

Quelque chose, qui me vient de famille, si c’est par cette voie que les choses se passent, m’a toujours interdit de captiver, ne serait-ce qu’un instant à mesurer sur l’échelle d’un bonheur dont je n’ai qu’une idée romanesque et vaguement influencée par la stratification incessante du sommeil, couches sombres, l’esprit de celui ou de celle qui, au hasard des conversations et des échanges moins vocaux, reçoit la trouvaille que je lui destine dans l’espoir vite désespéré (je veux dire sans la transition inespérée de la déception, pour ne pas dire de l’amertume et de l’ennui) de retenir de sa propre substance quelque chose dont l’origine ne l’inquiète pas au point de me l’imposer d’abord comme une impasse sans solution de continuité et au lieu de ce qui eût pu être pris de ma part comme un embarras bien légitime, quand ce n’est pas clairement une menace qui s’exprime par les traits du visage et les nuances grises du regard soudain porté au rouge comme le fer destiné à la forge, l’objection que je n’attendais pas se manifeste finalement non sans souligner le poids de l’humour qui me donne alors aux autres, ceux à qui je ne m’adressais pas et que j’avais exclus du pouvoir supposé de mon intervention auprès de cette seule personne, provoquant, comme si la machinerie avait précédé mon actuation, non seulement l’effet inverse, mais encore une multiplication par autant d’esprits contradicteurs du levier dont je ne me sers soudain plus car j’en ai cédé la mécanique éprouvée avec une politesse que je serais le seul à me reprocher. Les choses se passèrent ainsi et, du képi, et non de la médaille, ou passablement de la flûte qui avait encore droit à l’existence, la conversation prit un tour imminent et l’on menaça même de réveiller le voleur, celui qui était maintenant désigné comme l’étant, afin d’exiger des explications sur cette série de disparitions moins mystérieuses que définitivement exaspérantes. Le nom de mon compagnon ne fut même pas prononcé, peut-être parce qu’il s’agissait de le convaincre d’un délit qui pouvait lui coûter cher, car si la flûte est reproductible dans le roseau qui ne manque jamais au promeneur infatigable des retours sur la nature et sa nature, la médaille, elle, a son histoire et son histoire regorge de détails que rien ni personne, en ce bas monde, ressassait notre hôtesse, ne peut reproduire à l’identique, thèse pour le moins capricieuse que le berger, émoustillé par le mépris grandissant qui recomposait sa flûte en d’autres termes, réfuta sans que personne n’y trouva à redire, car il avait bien raison de souligner qu’il avait tellement soufflé dedans qu’il s’en fallait de peu pour qu’elle ne fût pas confondue, au son seulement, avec sa propre voix. En même temps il feignait d’en jouer, ce qui amusa, comme il le recherchait, les filles qui esquissèrent maints pas de deux aux entrelacs dignes de la saison et de ses promesses de repeuplement par l’accord tacite et les démonstrations d’honnêteté sans lesquels la vie deviendrait un enfer.

— Ginès, un voleur ! m’écriai-je soudain. Ah ça non ! Jamais !

Paroles pour le moins maladroites qui n’inspirèrent aucune réfutation comme j’aurais dû m’y attendre, par habitude et au mérite.

— Une flûte, je veux bien, continuait l’hôtesse, mais une médaille ! Ah ! ce ruban qui a reçu les larmes du Préfet ! Ah les larmes du Préfet !

Le berger cessa de jouer. Pourtant, les filles continuaient de danser. J’étais entré dans la lumière pour donner plus de poids à mes convictions :

— Je ne vois pas Ginès voler une flûte… commençai-je.

— Mais une médaille, oui ! conclut l’hôtesse.

Je reconnaissais secrètement que le képi, apparu en rêve, n’avait aucune réalité, mais allez donc savoir ce qui se passe dans l’esprit d’un homme qui ne sait toujours pas ce qu’il fait à l’endroit où il se trouve en compagnie de personnages qu’il n’a pas souhaité imaginer et qui ne lui sont d’aucune utilité ! Et puis il me semblait qu’en imposant ce képi, je défendais l’intégrité de mon compagnon et peut-être même de la marionnette qui nous accompagnait en changeant ses masques à chaque situation nouvelle sans que je pusse dire de façon impérative si elle en avait plusieurs ou une infinité.

— Qui voulez-vous que ce soit ? fit le berger.

Évidemment, il n’adressait pas cette allégation pré-judiciaire à ce qui restait de mon apparence, pour ne pas dire ce qui en demeurait. J’avais posé un pied sur la première marche (souvenons-nous qu’il était nu), et l’on me voyait dressé sur cette dangereuse tangente comme s’il était désormais impossible de s’y trouver en mauvaise posture. Cependant, on me frôla à peine. Un frémissement de robes m’enchaînait au silence.

— Chambre 6 ! cria l’hôtesse.

On montait. Deux gamines me soutenaient comme si j’étais le témoin nécessaire. J’avais l’impression de m’en défendre, mais je savais au fond de moi qu’il n’en était rien. Je ne savais pas opposer de résistance au son d’une flûte qui reprenait en un solo joyeux le refrain qu’une fanfare moins modestement nourrie de sentiments nationaux répandait sans retenue entre les quatre murs de ce qui était devenu ma nouvelle prison.

— Ma flûte !

— Ma médaille !

— Voleur ! Voleur !

 

On a volé l’âne !

Il me vint à l’esprit, sans que je fusse l’inspirateur de cette intuition qui ne manqua pas de me surprendre au bord du silence auquel on me condamnait sans m’avoir entendu comme c’est l’usage en société quand ses adeptes se construisent jour après jour avec ce que les différences multiplient en direction de l’exclusion considérée comme le dernier recours à la force commune, que la marionnette avait volé l’âne. Moi aussi je criais au voleur, mais sans toutefois gravir les marches de ce que m’imposait l’esprit d’échafaud instauré par une flûte et sa médaille, ou une médaille sans sa flûte, je ne sais plus aujourd’hui que j’en parle si le rapport de cause à effet avait été établi par l’élan communautaire qui venait de se cristalliser autour d’une idée de voleur peut-être, mais j’en doute, emprunté à la geste darienne, et tout à la rampe qu’achevait en courbe indiscrète un rideau fraîchement soulevé par d’autres témoins qui souhaitaient se joindre à la curée, j’invoquais une justice soucieuse d’ânerie plutôt que de vol, poussant la manche jusqu’à l’hermétisme sommaire d’une déclamation en forme de cul dont ma bouche s’efforçait de refondre autant son acuité que le bien-fondé de ses assertions sérialisées. On me traversa plutôt. Le rideau retomba entre eux et moi. Il semblait bien que ma voix porteuse d’un message de paix et d’aventure n’avait convaincu personne d’assez sensé pour croire qu’une marionnette déshabitée avait le pouvoir de changer un âne en voleur, ou inversement, si c’était bien ce que j’étais en train d’expliquer dans le vocabulaire des fins de semaine plus en phase avec le jeu gagné d’avance qu’avec les péripéties dont aucune n’explique celle qui la jouxte, comme c’était apparemment le cas si j’avais bien compris ce que mon cœur, car c’était lui qui tirait les ficelles de mon étrange comportement, injectait par pression de sa substance fragilisé par l’amitié et ce que celle-ci impose au devoir. Ainsi forcé de m’avouer vaincu, je renonçais à ma vocation aussi précipitamment qu’elle m’avait inspiré la contradiction par l’effet de tangente, pratique toute nouvelle pour moi qui n’ai pas eu, autant que je me souvienne, à user des figures de rhétorique pour donner à confondre l’élégance avec la tropologie. Et de fait, j’arrivai au haut (de l’escalier) le premier en toutes choses, ce qui me fut reproché par plusieurs voix adverses qui n’avaient pas saisi le sens de mon retournement et je leur expliquai alors pourquoi un âne ne peut être à la fois un âne et un voleur tandis qu’un voleur peut-être un âne sans que cela se voie. À peine en avais-je terminé avec eux que (keukeu, comme dirait Malherbe) l’âne en profita pour braire, si c’est crier que braire veut dire en parlant d’un âne, car tout en parlant aux autres de cet animal qui ne pouvait en aucun cas être confondu pour vol pour les raisons que je leur devais, l’âne que nous avions remisé la veille se mit à braire sans retenue comme si on l’égorgeait et qu’il lui restait encore assez de souffle pour nous casser les oreilles au point de contraindre nos visages à la grimace et nos propres gorges à la plainte et autres supplications.

Ce qui s’ensuivit.

Or, ce cri épouvantable trouva Ginès fort endormi, mais le trouva, et de cet exploit peu commun, si toutefois la prouesse n’était pas conçue pour me dérouter comme cela arrive chaque fois que mon esprit s’embrouille à démêler les fils de la toile qu’on tisse à ma place, le dormeur fit les frais et se trouva à son tour, mais très remonté, à si peu de distance du rêve qui l’occupait, et le grognement qu’il conçut alors nous inspira un franc recul sur les marches de l’escalier que nous gravissions d’un commun élan et un peu plus loin, pour les plus audacieux, dans ce corridor que j’avais traversé pieds nus et qui portait encore ces traces d’un transport dont je n’avais pas mesuré la portée symbolique au moment de me laisser emporter par un autre cri dont la nature m’avait échappé alors que suite au braiment j’étais parfaitement disposé à reconnaître que Ginès ne l’entendait pas de cette oreille, si simple à concevoir qu’aucun de nous n’en avait observé les délicats défauts de conception. Le rideau qui faisait office de porte connut quelques déchirements, ce qui souleva la poitrine déjà fort oppressée de notre hôtesse, laquelle se tenait aux basques du berger qui avait momentanément retrouvé sa flûte et se demandait à haute voix si le jeu d’une médaille valait bien la chandelle de cette nouvelle et insupportable attente. Désigné non par le sort, car nous ne jouions plus, mais parce qu’il était supposé que j’étais le seul à pouvoir retenir Ginès à l’intérieur de la chambre pour le remettre à l’endroit sur le matelas où l’envers l’avait retenu toute la nuit sans que personne, pas même moi qui dormait à ses côtés, n’eût été le témoin malheureux d’un combat sorti tout droit de l’imagination de son maître à penser. On me poussa sans ménagement. J’atteignis le seuil de ce que mon ami imposait au couloir tandis que l’âne, secoué par une inspiration infernale, selon ce que disait Ginès lui-même, modulait dans l’aigu un désespoir de haute volée sur lequel nous étions loin de nous interroger, comme si les ânes, et les bêtes en général, avaient l’habitude ou la manie de hurler sans qu’une bonne raison les poussa à le faire sans nous demander notre avis et surtout celui qui, à peine réveillé, a pleinement conscience maintenant qu’il dormait à poings fermés. Inexorablement amené à expliquer à mon compagnon de voyage que je n’y étais pour rien, pas plus que l’honorable assemblée qui ne me suivait plus, j’ouvris la bouche pour former le premier mot de ma harangue, ou l’onomatopée qui le précédait, quand un autre cri traversa l’ombre déjà saturé de ce corridor qui n’allait pas en se réduisant sous l’effet d’une optique adaptée à l’écran.

— Ah ! C’en est trop ! s’écria Ginès. Mais enfin, ma belle, n’êtes-vous plus la maîtresse de cette maison où le sommeil est roi quand l’amour n’est plus reine ?

Interpellée entre la flûte qui couinait sous elle et la médaille qui ne se signalait par aucun signe rédhibitoire, comme c’est sa nature dans les moments fragiles de son existence exemplaire, l’hôtesse ne fit pas un pas de plus, se tenant à une distance raisonnable de l’endroit où je finissais de m’expliquer sur un phénomène dont je ne connaissais qu’un aspect : son âne.

— Ce doit être la Présidente, bafouilla la tôlière.

Or, notre âne était un mâle, constatation que Ginès lança à l’encan pour qui eût assez d’esprit pour en déduire que la confusion de son cri s’augmentait d’une complication qui n’était pas, ne pouvait pas être du goût de celui qui ne demandait qu’à dormir, quitte à être réveillé par les gloussements signifiants de telle ou telle poule aux jupes préparées comme un piano. Nous rîmes. Et ce fut de bon cœur. Cependant, les deux cris n’avaient de cesse de s’entortiller l’un et l’autre à ce point qu’il nous fut rapidement impossible de les démêler et, plus confus que jamais, nous nous rassemblâmes autour de Ginès comme s’il avait le pouvoir de nous dire clairement qui était l’âne et qui était cette encore mystérieuse Présidente qui criait avec la même conviction et peut-être même pour la même raison. Mais Ginès n’eût pas le temps de nous donner à savourer la plaisanterie qui lui venait à l’esprit. En effet, tandis que l’hôtesse la désignait sans équivoque, celle qui se faisait appeler la Présidente, ou qu’il était d’usage d’affubler de cette fonction généraliste, sortit de l’ombre où elle avait commencé par crier pour continuer de se manifester plus près de nous dans la lumière que des candélabres diffusaient avec parcimonie. Ayant cessé de crier, ce qui parut augmenter la frénésie de l’âne, elle réclama qu’on se tut, l’âne y compris, car on l’avait volée et personne ne sortirait d’ici avant qu’on lui eût restitué son… sa…

— Ma culotte, oui !

À en juger par l’air qu’elle prenait pour prononcer ce mot délicat affublé de son possessif indiscret, le vol avait de l’importance et nous pûmes en juger à respirer l’odeur que cette dame peut-être respectable (quelle présidente de l’est pas ?) répandait autour d’elle comme toutes les femmes aiment à se dépenser, excepté que celle-ci sentait l’innommable et que nous n’avions, tous autant que nous étions, nullement l’intention de nous exprimer sur ce sujet. Mais Ginès avait un autre regard, que j’expliquais par la soudaineté de son réveil et aussi par la nature du cri, qui de braiment se compliqua de celui d’une Présidente privée de sa culotte.

— Au voleur ! cria le berger.

— Inutile ! frappa la Présidente.

— Mais ma flûte !

— Et ma médaille !

— Et mon rêve !

Comme je n’avais pas été volé et que je manquais de tout à cet instant précis de mon existence de voyageur, je proposais d’aller de ce pas imposer le silence à cet âne qui n’expliquait rien, quitte à risquer ma solitude dans la confrontation avec la raison de son braiment et surtout de sa constance ou de son entêtement à nous convaincre de changer d’avis à son sujet. À peine achevé ma proposition, je suivis la troupe qui sortait par la porte que l’hôtesse tenait encore du pied à mon passage.

— Les dames d’abord ! fit-elle.

Et j’arrivais le dernier sur les lieux du cri, comme on va le voir dans le prochain épisode de mes aventures de l’inhabité.

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Notes

 

Note 1

Vive le pouvoir judiciaire !

Les magistrats font grève comme de simples employés. Les députés font-ils grève ? Les ministres ?

Interrogée à la télé, une magistrate s’insurge : « Le président de la République ne respecte pas la séparation des pouvoirs ? »

Pourquoi la télé ne lui demande-t-elle pas alors de poser son doigt de fée à l’endroit de la Constitution qui évoque la… séparation des pouvoirs ?

Simplement parce que la Constitution ne prévoit pas cette « séparation ».

La magistrate en question a peut-être été formée dans une école de Droit, mais sa culture de l’Histoire de France et sa conscience sociale laissent à désirer comme c’est souvent le cas des cadres à qui on confie des tâches supérieures dans le fonctionnariat comme dans l’entreprise privée.

En vérité, le seul pouvoir « séparé » en France, c’est le pouvoir législatif, encore qu’il soit soumis au bon vouloir du président de la République qui est actuellement (Sarkozy), comme l’a révélé Wikileaks, un mauvais joueur, surtout avec ceux qui ne sont pas invités à jouer.

Le pouvoir exécutif est opaque, mêlé de « conflits d’intérêts », défaut de la cuirasse que l’élection du président au suffrage universel pallie un peu, du moins au niveau du sentiment.

Quant au « pouvoir judiciaire », il n’existe pas.

Ce qui existe, ce sont des « autorités judiciaires » dont le président de la République est le patron. C’est d’ailleurs lui qui les désigne. Il n’existe aucun lien direct d’autorité entre le pouvoir législatif et les autorités judiciaires. Autrement dit : le peuple ne touche pas à la justice. Ce qui est parfaitement injuste.

Alors, contrairement à ce qu’affirment ces magistrats grévistes (insurgés en chausson), le président est dans son droit le plus strict quand il les admoneste.

Du coup, le vent de révolte qui inspire ces grévistes fort bien payés et pas très engagés dans de réels efforts au travail se nourrit sur deux plans :

— la quantité de travail ;

— l’indépendance du magistrat.

C’est-à-dire qu’on a affaire à des employés du pouvoir exécutif qui prétendent travailler moins sans être soumis au jugement de leur travail.

Une situation idéale quand on est employé : une bonne paye qui dépasse largement la moyenne nationale, une quantité de travail très en dessous de ce qu’on exige de l’employé ordinaire et une immunité totale quelquefois soumise aux remontrances sympathiques d’une autorité interne qui fonde d’ailleurs la corporation.

Oui, mais, dira-t-on, ces gens-là ont fait des études. Non. Le Droit est loin d’être une science et d’exiger autant de qualités intellectuelles que les métiers scientifiques. Ce sont des études faciles, confortables, quoique la connaissance parfaite des usages et des rouages demande une forte adaptation au système sectaire qui se fonde sur ces pratiques à la fois obsolètes et obscurément protégées par le « mystère » qui les enveloppe.

Les singeries occasionnées par le port de déguisements imités des pratiques religieuses et sectaires s’ajoutent au jargon, aux interprétations douteuses du point de vue éthique, sans compter les apparences enfantines et les index qui s’agitent comme preuves de gros problèmes comportementaux.

Réagissons :

— En période de disette, il est normal que les mieux nantis sacrifient un peu de leur opulence pour la céder aux plus démunis. Une réduction claire de ces salaires serait la bienvenue.

— Quant à l’indépendance qui cache en fait le seul souci de ne pas se faire taper sur les doigts, elle n’est pas constituée et réduit les magistrats à une condition de simples employés que d’ailleurs leur insurrection ne remet pas en cause. Pas si fous !

Hors, sadat ou sadati, si le peuple est bien content d’avoir droit à la parole sur le plan législatif qui ne lui échappe pas en principe malgré quelques entorses flagrantes, si le peuple cerne assez bien la question du pouvoir exécutif en ne fermant plus aussi facilement les yeux sur les manœuvres des « familles » qui possèdent l’État, — ce peuple est en droit d’exiger, après plus de cinquante ans de pratique gaullienne, la mise en place claire d’un pouvoir judiciaire, c’est-à-dire d’un pouvoir clairement élu par le peuple. Avec quelques adaptations on s’en doute, car il n’est jamais question ici-bas, hélas, de trop lâcher du lest dès qu’il s’agit de pouvoir.

Pourquoi cela ne se fait-il pas ?

Il y a bien sûr des raisons historiques. Par exemple, le comportement collaborationniste de la magistrature pendant l’occupation allemande nous pousse à nous méfier de cette gent. De plus purs historiens, mieux informés, nous rappelleront dans quelle situation de guerre civile se trouvait la France de 1958 (de la IVe République).

Mais tout ceci est bien loin maintenant. Ce n’est pas ce qui nous préoccupe, nous, citoyens de la République.

Ce qui nous paraît problématique, dans le cas où un amendement ou une nouvelle Constitution devait changer le cours du pouvoir, c’est comment donner le pouvoir à des gens qui se comportent comme des employés — aux revendications d’ailleurs parfaitement légitimes, mais dans la mesure où ils demeurent des employés et non pas de potentiels hommes (et femmes) de pouvoir.

Le pouvoir ne se sépare que par l’élection populaire. C’est la condition de sa souveraineté.

Par conséquent, il nous faudrait distinguer, dans la corporation des juges, ceux qui ont les épaules d’hommes de pouvoir et ceux qui ne sont que des lampistes bien heureux d’ailleurs de l’être, d’être bien payés pour ça et de ne pas avoir à trop travailler en échange de ce gain de temps fort utile aux acquisitions et autres loisirs.

La difficulté serait insurmontable.

De plus, que faire de toute la valetaille judiciaire une fois choisis les futurs édiles du système ?

Autant il paraît facile de s’attaquer au travail de réforme du pouvoir législatif et même de tempérer un peu les ardeurs des familles impériales qui pèsent sur le pouvoir exécutif, autant il est clairement impossible de réformer un système judiciaire qui s’est transformé avec le temps (et peut-être aussi avec le droit de vote qui est acquis à ses employés depuis quelque temps déjà) en corporation de salariés qui ont droit, en l’état actuel des choses, de négocier leurs conditions de travail et de rémunération (les deux mamelles du salariat) avec les moyens qui sont ceux de tous les salariés de ce pays.

La réforme du système judiciaire ne peut se faire qu’avec l’accord de ces employés ordinaires, car il n’est pas question, si l’on est un tant soit peu humain, d’en sacrifier la majeure partie qui, compte tenu de la fragilité de leurs études, ne trouverait pas de quoi s’occuper dignement dans cette société qui préfère les sciences et les résultats nets.

Nous sommes donc dans l’attente de l’émergence d’une quantité suffisante de magistrats capables de créer enfin le pouvoir judiciaire en lieu et place de ces autorités qui ont perdu leur sens depuis que la société française se garde bien de revenir aux pratiques d’affrontements civils qui l’ont plusieurs fois mise à genoux devant les réalités du monde et même de l’existence.

 

Note 2

Louis Marette décore un chien

À Mazères, on rigole parce que son maire, Louis Marette, fait baptiser des chiens de chasse sur la place publique par un prêtre de la religion catholique.

En France, on rigole aussi chaque fois qu’une « personnalité » refuse la Croix de la Légion d’honneur.

Bien sûr, tout le monde n’est pas aussi clair que Marcel Aymé qui répliqua, en tout bien tout honneur, que les serviteurs de l’État pouvaient bien « se la carrer dans le cul ! »

Edmond Maire, plus diligent, éclaira son refus en déclarant que « ce n’est pas à l’État de décider qui est honorable ou pas. »

Entre ces deux positions, le meilleur de la Nation s’est en général opposé à se voir infliger une distinction qui, comme vient de le déclarer l'ancien ministre et ex-sénateur UMP de l'Ardèche Henri Torre, qui la refuse, est bafouée par « la nomination de n'importe qui ».

On peut donc en conclure sans risquer de se tromper que cet Ordre ne contient rien ou pas grand chose à honorer sans prendre le risque, quelquefois fort désagréable, de se tromper sur la qualité d’une personne.

Parions que Nicolas Sarkozy, grand patron de l’Ordre, ne relancera pas le débat et que les agenouillements de son premier ministre ne concerneront pas la vérité historique qui veut qu’en effet, cette Légion, c’est de la merde bonne à carrer dans le cul de ceux qui la servent.

Il est vrai, comme le souligne Flaubert citant un contemporain, que la France est le pays qui contient le plus grand nombre de « crucifiés ». Jamais on n’en voit autant dans d’autres pays où on se montre peut-être plus vigilant quand il s’agit de distinguer, voire d’honorer.

Louis Marette, maire de Mazères, collectionne les croix. Il possède celle de Jésus Christ, allégorie qui a fait florès, et celle de l’État français, moins universelle toutefois. Nous lui attribuons une troisième : celle de la croisée des chemins. À notre avis, vu sa gestion de la chose municipale, et donc publique, il ne va pas tarder à faire de mauvaises rencontres sur le terrain des comptes à rendre.

Entre la foi et l’honneur, y a-t-il de la place pour la justice à Mazères ? Nous verrons ça !

 

Chapitre troisième

 

Raisons de cet intermède.

Il est d’usage, dans les bons romans auxquels notre éducation bourgeoise nous a abonnés comme espèce sonnante d’une souscription peut-être déjà passée de mode, mais dont nous ne cessons de porter haut le flambeau sans toutefois cesser de nous interroger sur la nature exacte de ces réquisitions orphiques, d’interrompre de temps en temps le cours du récit, surtout quand on en attend une immédiate continuation sous peine d’en perdre le fil et surtout d’avoir à patienter pour le raccommoder selon les règles d’un art dont nous ne saisissons pas toutes les arguties, ce qui propage l’idée pas toujours judicieuse, comme le prouve toutes ces tentatives d’être clair au moins avec soi-même, que l’obscurité vient non pas de la complexité mise en jeu par les hypothèses prémonitoires d’un premier épisode, mais bien plutôt, et c’est une erreur de le penser alors qu’on n’en connaît que les reflets de vitre derrière les rideaux d’un moralisme empreint de convictions et d’analyses dépassées par les évènements mêmes dont il est question depuis le début, du défaut d’articulations didactiques entre les moments donnés un peu vite comme fragments d’une réalité qui n’en est pas une. Nous en étions au cri d’un âne ou plus exactement exprimé du cri qui est le sien quand il le pousse nous sachant qu’il a raison de le pousser et ignorant encore, au moment où on décide de s’en informer, pourquoi il n’aurait pas mieux fait de se taire, s’il est possible d’évoquer sans ridicule un mutisme ainsi attaché à un être qui n’est pas doué de la parole. Questions qui, si nous acceptons de nous reporter à un temps antérieur à celui-ci, n’était point d’actualité.

 

De l’interruption dont fut Marette la cible.

Louis Marette, maire de Mazères, venait, suite à l’ingurgitation exagérée de liqueurs incompatibles avec ce que l’esprit attend en général de la clarté, de se poser non pas plusieurs mais une unique question qui le turlupinait maintenant qu’il était à bord de son véhicule et se rendait à son domicile par le chemin qui lui semblait le plus cours. Pris d’une espèce de vertige des sens qui n’avait qu’un lointain rapport avec un dérèglement raisonné, car il avait perdu jusqu’au sens de l’orientation et errait à présent dans une contrée qui lui paraissait étrangère, il se souvenait qu’on venait de lui donner tort à propos non pas du sens, mais du genre d’un mot qui n’était autre que le sien, autrement dit son nom, celui que sa famille portait fièrement comme s’il était à ce point propre que personne n’eût pu y trouver un sens figuré. Il revenait d’une visite « chez les vieux », organe de gestion municipale dans lequel il trouvait des voix pour le porter au siège qu’il occupait depuis de bien longues années déjà. Là, il avait été pris à partie par une voix manifestement encline à exprimer son opposition par tous les moyens à sa portée, y compris les plus à même de faire remonter à la surface les troubles requêtes dont l’édile s’était fait le héraut à son corps défendant, selon ce qu’il prétextait pour couper cours à une conversation qui n’annonçait rien de folichon du point de vue du gain électoral qu’il était venu augmenter dans un esprit parfaitement univoque, dans le sens mathématique du terme entendait-il. Cela s’était passé il n’y avait pas une heure et pourtant Marette s’en souvenait comme d’une lointaine ambigüité, d’un sale moment de polysémie qui lui avait interdit toute réplique en rapport avec ce qu’il était venu chercher, qu’il avait commencé à trouver avec son habituelle facilité de démagogue goûtant à la soupe populaire avec la même grimace que le général Pétain s’humectant de mauvais vin pour confirmer ce que la troupe savait déjà, et qui soudain, à cause d’une interruption étrangère à son discours couru d’avance, prend le chemin par lequel il n’est plus possible de reconnaître les bornes ni même les ornières. Un être long et osseux, doué d’une voix portant au double de ce que la vieillesse octroie, quand elle ne les a pas déjà tués, aux vieillards fatigués de répéter la rengaine de leurs souffrances face aux murs infranchissables dressés en toute hâte par une jeunesse qui n’est pas pressée de mourir et qui, dans cette optique, met tout en œuvre pour tuer le temps. Être sans nom, sans qu’aucune déclaration ne vînt en dire d’avantage que ce qu’il était en train de débiter pour prendre la parole à celui qui pensait qu’une pareille situation était inimaginable, en tous cas en cette saison. Détruit en l’espace de moins d’une minute, le maire ne prit pas le temps d’écouter jusqu’à la fin et commit l’erreur de tourner le dos à celui qu’il devait dès lors considérer comme un adversaire à l’intérieur même d’un établissement où il n’était pas habituel de fausser les bulletins de vote.

— Monsieur, avait déclaré le dissident, vous êtes une marette !

 

Des conséquences de cette interruption sur le comportement de Marette lequel se perd dans la nuit qui s’ensuit.

Ce qui étonna, alors que les jours avaient aidé à accumuler les commentaires les plus pertinents comme les moins susceptibles d’apporter de l’eau au moulin de la cause municipale, c’était que personne, dans cette assemblée d’esprits en déclin terminal, ne savait ce que c’était qu’ « une » marette. Mais tout le monde avait apprécié la tournure que ce simple et anodin événement avait prise alors qu’on n’attendait rien de la visite du maire, pas même une boîte de chocolat qui eût au moins la saveur des fragrances qu’il répandait autour de lui tant il était engagé dans son sujet de campagne. Ce « Monsieur vous êtes une marette » était le coup de génie d’un esprit qui avait simplement pris le contrepied d’une affirmation jugée par trop péremptoire tombée comme un cheveu dans la soupe de la bouche de l’édile lequel avait cru que cette aimable et orgueilleuse sortie ne prêterait pas à conséquences, ce en quoi il se trompait lourdement car, pour pallier son interminable fatuité, quelqu’un avait féminisé son nom et, sans que cela fût explicable autrement que par les dessous d’une ambiance fortement marquée par le départ définitif des âmes mortes dans la semaine, pas un seul des habitants de cette enceinte fortifiée n’avait eu la présence d’esprit de rétorquer, ce que Louis Marette ne pouvait raisonnablement tenter pour se sortir de ce guêpier, qu’une marette n’avait pas plus de sens lexical que son pendant masculin. Appliquée à la descendance féminine du maire, ce nouvel attribut de l’opposition à toute forme de pétainisme eût passé inaperçu et n’eût provoqué aucune réaction en chaîne susceptible d’ébranler l’édifice politico-religieux mis en place depuis des années par cet élu habitué aux pratiques du cuissage dans ses formes supposées symboliques comme moins emblématiques. Il était indubitable, et il ne vint à l’esprit de personne qu’on pût en douter, que l’inversion voulue par cet interlocuteur inattendu s’appliquait à Louis Marette et prenait un sens auquel personne n’avait songé avant qu’il fût frappé d’un mutisme qui laissa l’assistance aussi désemparée que lui. Il en avait même oublié de sourire et avait avalé le contenu d’une bouchée au chocolat brisée en deux entre ses dents tremblantes, laissant ensuite tomber les coquilles du contenant sur sa cravate marquée dès lors à jamais du saut de l’impossible. Certes, on peut considérer, si l’on a l’esprit orienté vers de plus louables intentions vis-à-vis de ce maire porté plus que de raison à s’embuer l’esprit au moyen de substances dont l’État fait un commerce réputé équitable, que la condition physique, pour parler franc, qui le déterminait alors à se taire y était pour beaucoup. Mais il était loin de s’imaginer que quelqu’un eût eu même le temps d’y songer tant il s’était empressé de quitter les lieux comme quelqu’un qui a la nette intention de n’y remettre jamais plus les pieds. Et c’était cette question de pieds qui le turlupinait maintenant, alors qu’il errait dans la nuit à bord de son auto sur des routes qu’il n’avait jamais empruntées, du moins pas avec tant de désespoir. Les pieds, cet édile bouffi de suffisance et de cupidité ne pouvait pas accepter de ne pas les rejouer comme il avait toujours fait même au pire moment de ses campagnes passées.

 

Où Rogerius explique au lecteur pourquoi il sait ce qu’en toute logique personne ne devrait savoir compte tenu que Marette était seul dans la nuit et que sa petite voiture ne l’était pas moins.

Le lecteur perspicace, mais pouvait-il manquer d’acuité lui qui déroule le fil de cette aventure que le temps même de la lecture ne peut rompre sous peine d’en demeurer tout ébaubi comme sont les animaux quand on ne siffle plus leur nom mais celui de leur bourreau, dive bouteille, voulant en appeler à la logique qui est aux antipodes de la chanson (car c’en est une) comme s’il ne s’agissait ici que de s’en tenir aux froides entourloupes de l’esprit dit réaliste dans l’intention de ne pas se mettre à dos les autorités du raisonnable limité à ses apagogies circonstancielles héritées de l’expérience du nouveau en phase de reconnaissance, en vient à se demander, dans le silence infini des solitudes où croît sa volonté de pousser le texte dans les limites de sa compréhension, comment moi, Rogerius, narrateur impliqué jusque dans la construction de cet ensemble tensonné à la manière des anciens spéculateurs dont nous ne sommes que les interprètes courroucés par tant d’inexplicable disparition, dispose de ce pouvoir, pour ne pas dire faculté doublée de capacité, de reconnaître les moindres faits et gestes du personnage recomposé alors que, manifestement, je n’étais pas là pour en témoigner. Mais c’est une force qui, ne s’expliquant pas plus qu’elle ne se nomme, transporte le djinn où bon lui semble, selon les accroissements textuels et la volonté de n’y trouver plus rien à redire. Ainsi, animé peut-être par le désir qui s’ajoute toujours au phénomène (ici l’interruption causée par l’individu qui traita Marette de « marette » en insistant clairement sur la nature féminine du sens qu’il lui prêtait maintenant), je me trouvais non pas sur le siège du mort, car Marette avait mal au foie, mais en quelque sorte au-dessus de l’objet qu’il formait avec son véhicule, traversant la nuit comme si d’objet qu’elle est habituellement tant au regard qu’au sommeil qu’elle inspire, elle était devenue le sujet éminent de ses préoccupations, d’autant que la nuit n’allait pas seule dans cet accoutrement, mais au fil d’une route sans éclairage sauf les phares de la voiture dans le halo duquel le cerveau de Marette n’identifiait plus les signaux, notamment ceux qui sont utiles à la circulation et à ses règles de prudence. Animé par ce désir, que je ne cacherai pas ici sous les couverts de la syntaxe, de le voir enfin percuter de plein fouet, surtout le fouet, quelque platane disposé là par quelque obscure plan d’économie familiale motivé autant par de vieux privilèges aujourd’hui indiscutables autrement que par la contestation politiquement établie que par le jeu des recommandations qui forment le tissu même des relations sociales sur cette terre francisée jusqu’à la langue, quelle ne fut pas ma déconvenue d’entrevoir le panneau indiquant que nous étions arrivés à Foix et que ce n’était pas par hasard comme je l’eusse souhaité si le désir n’avait pas été à ce moment aboli par son contraire. En même temps, Marette lut le panneau et s’étonna d’avoir roulé si longtemps et dans cette direction alors que son esprit pensait tourner en rond en attendant d’aller se coucher. Mais, songea-t-il si je puis me permettre cette intrusion dans le courant des tourments qui affectaient moins sa raison que sa capacité à conduire un véhicule dans des conditions aussi imprévisibles qu’étonnantes de pertinence, qu’à cela ne tienne !

 

Arrivée de Marette à Foix en présence de témoins que personne de sensé ne songerait sérieusement à interroger en cas de dispositions judiciaires.

Et il engagea son équipage sur les allées où les feuilles de l’automne avaient déjà déposé les premières instances de l’hiver, atteignant le perron du commissariat de police dont le vantail était abaissé et ne laissait paraître aucune lumière qui indiquât au nécessiteux qu’il se trouvait bien à l’endroit où il est d’usage de déposer sous la contrainte et de disposer sans les inconvénients ordinaires de la libre pensée ni les conséquences tragiques de l’erreur de jugement affectant les mises en examen pour des motifs qui eussent trouvé réparation après une simple discussion de palier. Posant le pied, qu’il avait chaussé d’une pantoufle car il ne s’était pas préparé à pousser plus loin le champ de ses investigations lexicales, dans le tas de feuilles que le vent venait de former à proximité de la sortie du véhicule, il s’en remit à la chance du cocu ou du poivrot et s’élança dans ce vide, recevant l’air acide de la cité endormie sous le regard attentif de quelques dormeurs qui ne trouvaient pas le sommeil et à qui ce personnage hésitant au sortir de sa bagnole promettait de partager au moins la partie émergeante de son iceberg dipsomaniaque. Une grille s’interposait lourdement entre l’entrée pourtant conçue pour la visite impromptue et le corps bringuebalant de l’édile en proie à de provocantes éructations qui ponctuaient sa diction pour laisser le temps au sens et de l’espace à la figure.

— Ého ! Chouchou ! C’est moi Loulou ! Qu’on a la même médaille et que si je te la montre tu vas encore me dire que je la mérite pas !

L’appel de Marette demeurant sans réponse, un des dormeurs se réveilla complètement, si jamais il avait trouvé ce qu’il était venu chercher à cet endroit particulièrement bien fourni en feuilles et en emballages, et entreprit de se remettre debout, position dont il semblait avoir oublié les principes, car il ne réussit qu’à se plier, donnant l’impression qu’il ne poussait jamais le redressement de sa colonne vertébrale au-delà de cette posture qui, provisoire, eût aidé à taxer sa tentative de courageuse. Courageux il ne l’était pas, car il ne fit pas un pas et s’immobilisa comme s’il attendait que l’objet de son observation vacillante l’engageât à s’approcher pour lui donner l’explication du silence que l’ouverture borgne du commissariat opposait à des prières si bien exposées. Marette le regarda en coin et affecta un air menaçant, ce que le dormeur réveillé interpréta comme un refus de s’abreuver au même goulot. Il en conçut une haine appliquée qu’il se garda d’exagérer, non pas parce qu’il craignait un affrontement qui pouvait mal tourner si Marette n’avait pas atteint le paroxysme de la douleur éthylique, alors que lui en connaissait le fond et redoutait de le traverser sans autre forme de raisonnement, mais parce que la proximité d’agents chargés de veiller aux bonnes mœurs avait déjà éprouvé sa capacité à s’excuser de n’être point ce qu’il était ou le contraire, il ne savait plus s’il n’était pas plutôt ce qu’il n’était pas ou pas encore. Marette, tranquillisé par l’immobilité relative de son concurrent nocturne, répéta ses doléances sur les barreaux de la grille protectrice qui ne frémit pas une seule fois, donnant à désespérer alors qu’il était venu, poussé par les alizées de l’intempérance, trouver une solution auprès de son ami le commissaire de police de Foix qui lui avait déjà prodigué maints conseils en matière de sécurité publique et des petites récompenses pécuniaires qui vont avec. Mais de commissaire, point. Il avait beau l’appeler Chouchou, et évoquer l’honneur commun à leurs poitrines, rien n’y fit. Il dut se résoudre à abandonner les lieux, avec ce que cela supposait de recherches têtues, car son auto avait disparu de sa vue, laquelle avait des limites quant à sa portée.

— Ého ! Chouchou ! C’est moi Loulou ! Qu’on a la même médaille et que si je te la montre tu vas encore me dire que je la mérite pas ! répéta-t-il une dernière fois, avec moins de conviction que la première et plus de désespoir que la précédente.

Sur ce, le SDF, maintenant la distance et reluquant les habits du maire de Mazères comme s’il s’y voyait dedans, lança un « Ya personne ! » qui étonna Marette à ce point qu’il répondit du tac au tac un « Je me trompe pas de porte au moins ? » auquel le chemineau répondit que tout le monde se trompait depuis qu’il n’y avait plus personne à l’intérieur, raison pour laquelle on le trouvait où il se trouvait, sinon il eût évité de prêter le flanc aux critiques des cerbères dont l’esprit n’a pas été formé pour les formuler, mais pour leur donner une application.

Marette était trop décontenancé pour répondre à cette injure au représentant de l’État que Chouchou était comme il l’était lui-même en tant que maire. Il frappa du pied dans un tas de feuilles mortes, pied chaussé d’une pantoufle dont l’incohérence troubla l’esprit du SDF au point qu’il procéda inconsciemment à une approche de ce nouvel objet perçu comme différent de Marette lui-même et attaché pourtant à ce personnage par une explication qui ne pouvait pas satisfaire sans s’expliquer elle-même par un enchaînement d’autres désambiguïsations dont on pouvait raisonnablement attendre le sommeil tant désiré.

— Ils ont pas coupé le chauffage, dit le SDF. Ça chauffe tellement qu’on le sent jusqu’ici.

Il montra jusqu’où le chauffage exerçait son influence, pointant son orteil dénudé sur l’asphalte où tournoyaient plusieurs feuilles. Marette en perdit sa pantoufle.

— Vous avez une belle pantoufle, dit le SDF avec une nuance d’humour qui n’annonçait rien de plaisant. Vous avez pas l’autre ?

Marette jeta un œil poussif sur l’autre pied. Celui-ci était chaussé d’un soulier au lacet gris dont le nœud tombait sur le côté du coup de pied en signe d’une probable lassitude qui n’échappa point au SDF, lequel était depuis longtemps un fin connaisseur en matière de signes rédhibitoires, et celui-là lui sembla l’être particulièrement, au point qu’il se baissa pour le défaire et tirer dessus. Marette, déséquilibré alors qu’il avait jusque-là tenu un équilibre à la limite de la stabilité, s’enfonça dans les feuilles et, contre toute attente, ne se réveilla pas. Un autre SDF lança un « Tu l’as tué ! » auquel le prétendu tueur répondit un « Ça n’a jamais tué personne ! », profitant de ce moment de vacance pour emporter le soulier sous son bras, conseillant à l’autre SDF de s’emparer de la pantoufle et de ne pas demander son reste. Ils disparurent dans la nuit en direction de Saint-Girons.

 

Où commence le rêve de Louis Marette et où s’explique en partie son pouvoir de voler à l’intérieur du rêve des autres, comme on le verra au chapitre suivant qui sera le quatrième.

Marette eut donc froid aux pieds. Par un phénomène physiologique dont moi, Rogerius, homme de bonne foi et rédacteur attentif à l’emploi rassis des ressources données comme hypothèses plus que probables par la rencontre inopinée d’évènements autrement dits anodins et sans prérogatives sur le tas, ai eu connaissance avant même d’en trouver l’application au texte et à son possible remontage par l’amateur de véridiques preuves, lequel, vu à travers les reflets changeants d’une vitrine aperçue dans une autre moins éclairée, sinon elle n’eût rien reflété du tout, s’avise de ne pas en rester à la première impression causée par l’incipit et se résout à poursuivre la même chimère inspirée au personnage couché dans les feuilles d’un automne prémonitoire par le froid qui atteint ses pieds déchaussés dont l’un est couvert d’un bas de laine à carreaux blancs et noirs et l’autre, ayant été plongé dans les abîmes d’une pantoufle prévue à cet effet déjà hivernal, offrant sa peau parfaitement nue d’un côté au sol parsemé de gouttes d’eau gelée, comme s’il s’agissait d’éphélides en croissance soutenue, et de l’autre cédant les recours de sa surface à peine pileuse à un air que, comme témoin privilégié d’une magie dont j’ai le secret, je respirais moi aussi avec la même sensation d’apnée. Haletant, car je pensais tenir un sujet pour une prochaine extase verbatim, à l’heure où se couchent les oiseaux de mauvais augure ameutés par d’autres foules moins dispensées de vol, et glissant du toit de la voiture qui me portait dans l’instant passé, je m’approchais du corps immobile de Louis Marette, soulevant les feuilles sans intention particulière, et voyant encore les deux larrons disparaître sous les lampes d’une veillée nocturne qui n’accueillait que nous, quatre personnages en quête de leur ambigüité. Bientôt, nous fûmes deux et je me sentis seul. Marette semblait dormir, le visage visité par les débris de feuilles que je venais de provoquer par mon approche lente, et me penchant comme si j’étais le laborantin de cette scène somme toute banale (un passant se heurte au corps d’un ivrogne endormi et, voyant alentour, ne trouve pas âme qui vive susceptible d’en élucider le sens caché) je le soupçonnais d’être en train de rêver, ce phénomène courant chez les abstèmes ne nécessitant pas d’autre condition que le sommeil et un cerveau pour lui servir de parangon, mais étant donné que son contraire n’y entre de plain-pied que s’il est proposé au froid, circonstance ici acquise par inadvertance, ce dont je me félicitais pour ne pas avoir l’air de m’y être préparé, le point de contact bénéficiant de toute la surface d’au moins un pied qui était nu sans conteste, l’autre laissant au tricotage de sa laine le calcul d’une sensation qui ne tarderait pas à faire elle aussi son effet. Mais un pied suffisait à Marette.

Comme je l’ai dit plus haut, moi, Rogerius, possédé par je ne sais quelle disposition de la nature dont on me dit qu’elle n’est pas étrangère au désir, me soumis aux transparences du crâne que le dipsomane offrait à ma perception tranquille de chroniqueur des faits et gestes de la vie politique et, vissant en quelque sorte les instruments de ma recherche dans cette profondeur à la surface inerte, je pus m’intégrer au travail cérébral en cours et visionner l’intégralité, tant en long qu’en large, de ce qui s’y passait, méthode en définitive fort éloignée de la freudienne dictée automatique qui de toute manière eût échappé à mon application obstinée peu faite pour prendre note parallèlement au progrès du phénomène observé. Des pieds à la tête, c’était le cas de penser à le dire le moment venu d’en commenter les aspects révélateurs, le corps de Marette, sans frémir un seul instant, était parcouru d’un rêve qui, je ne le savais pas encore, le conduirait tout droit dans un autre rêve, ce dernier ne lui appartenant pas, s’il est possible de parler de propriété ou de possession à propos d’un prodige aussi ordinaire que le rêve en soi. Je suivis donc ce fil, prenant soin de me tenir un peu en retrait sur l’avancement de ses travaux et craignant, comme il est facile de le comprendre si l’on m’a suivi jusqu’ici, de précéder même de peu ce qui relevait à mon avis d’une intention malveillante, exploit qu’il m’eût été douloureux de prévenir autrement qu’en me préparant à le dénoncer. Et ce que je vis et entendis, mes autres sens ne laissant rien paraître de leur activité souterraine pour l’instant, est exactement ce que je retranscris ci-après, m’en tenant aux faits visuels et sonores, bien que, on le verra, mes dispositions olfactives faillirent perdre toute contenance à cause d’une circonstance sur laquelle je ne tarderai pas à m’expliquer :

N’ayant pas réussi à contacter le commissaire de police de Foix et dépité par ce qu’il considérait comme un abandon intolérable, Louis Marette aborda le haut portail de la Préfecture dans un état d’excitation proche de la colère. Le portail était fermé. Il le poussa sans résultat. Personne ne venait. Il s’adressa à une fenêtre, se ravisa car il se souvenait que c’était celle d’un bureau déserté à cette heure de la nuit et enfin poussa un soupir de soulagement en reconnaissant la fenêtre derrière laquelle son ami le préfet, Salvador, avait l’habitude de piquer un somme quand il n’avait rien d’autre à faire. Avec un peu de chance, il s’était oublié, parvenu alors dans les confins d’un autre rêve dont nous n’analyserons pas ici les contenus, et la fébrile activité de l’administration dont il avait la garde s’était refermée sur son repos sans l’avoir réveillé ni prévenu par un autre moyen, pensa Marette qui jeta adroitement le petit caillou qu’il avait dans la main, si c’était un caillou, pensa-t-il encore une fois qu’il l’avait jeté et qu’il l’entendit heurter discrètement le volet fermé qui abritait les rêves les plus tenaces de Salvador.

— Salvador ! Mon ami ! Tu en as, de la chance ! Personne ne s’avisera de te traiter d’ « une » salvador. Mais sais-tu ce que c’est qu’une marette si c’est pas moi ?

Aucune réponse ne traversant l’épais volet conçu à une époque où les cris des suppliciés risquaient de déranger le voisinage, Marette lança encore quelque chose, si c’était une chose cette chose qui ne pouvait être un caillou, il en était parfaitement conscient maintenant, bien qu’il fût loin, très loin d’être dégrisé par sa déconvenue et sa colère rentrée. Bien lui en prit, car le volet chut, dans un silence qui pesa fort lourd sur les épaules de l’édile de Mazères lequel s’attendait à une interruption volontaire de l’ogresse qui le dévorait de l’intérieur. La tête hirsute de Salvador apparut, chaussée de lunettes et grattée par des ongles qui avaient connu de meilleurs exercices du point de vue de l’arrachement.

— Salvador ! C’est moi ! Loulou !

— Ah tu fais chier espèce de merde domestiquée par les salauds qui possèdent notre petit monde ! J’étais en train de me farcir une gonzesse de douze ans d’âge qui portait un nom de whiskey ! Juste au moment où j’arrivais ! Manquait pas grand-chose pour que ça arrive ! Ah quel monstre d’égoïsme tu fais, vieille salope qui a tout donné pour recevoir ! Si j’étais pas contraint à fermer ma gueule, tu s’rais pas en train de me bouffer dans la main ! Et ça f’rait trois plombes que j’aurais joui ! Le temps qu’y m’faut pour me recharger ! Trois plombes et tu respectes pas ça, hé faussaire en idées reçues !

Salvador avait chuchoté, tellement que Marette n’entrava que dalle au discours pontifiant de son ami de toujours. Il entreprit d’enjamber la grille et posa son pied nu sur le métal refroidi, acte qui l’eût réveillé de son rêve si une chute opportune ne l’avait entraîné, par choc frontal et renversement latéral, dans le ruisseau où il se trempa d’une eau qui n’avait pas gelé à cause de ses contenus exogènes.

— Ah ! On me tue ! hurla-t-il car il avait vu la mort de près.

— Chuuuuut ! fit Salvador en refermant le volet.

Quelques secondes plus tard, il relevait Marette avec des pincettes, car l’élu avait communiqué ses odeurs à l’eau de la rigole.

— Vas-tu te taire, petite salope de droite ! Tu veux qu’on me voie en chemise de nuit ! En compagnie d’un mec déchaussé ! Ah en voilà du pain pour les affamés de bonnes nouvelles ! Tire-toi, rince-doigts ! Et remets plus les pieds ici, avec ou sans godasses !

— Mais enfin Salva !

— Salva dort ! lança le préfet qui n’y entendait aucune malice.

Presque nu dans sa chemise et sans culotte, il avait froid, mais cette sensation ne le plongeait jamais dans le rêve, habitué qu’il était à rêver avec ses propres moyens.

— Toi, bien sûr, dit-il en poussant Marette sous la halle, tu penses qu’à toi et t’as pas d’amis !

— Mais t’es mon ami, Salva !

— Dors !

Et Marette replongea aussitôt dans le sommeil qui l’avait mené dans cet endroit insalubre. Tout s’éteignit, y compris le regard de Salvador qui se perdit dans une obscurité inquiétante. Marette marcha. Je le suivais en rêve, car telle est ma volonté, laquelle répond point par point à un arsenal technique qui appartient depuis longtemps à la légende. Nous traversions la nuit. J’eus alors la sensation que Marette ne rêvait plus, mais qu’il savait où il allait.

 

Dans la fosse d’aisance du Tribunal de Grande Instance de Foix.

Il fallait, ô lecteur impatient, que j’entrasse le premier dans cet endroit que rien n’annonçait tandis que les pieds déchaussés de Marette martelaient l’avenue, à la limite d’un rêve qu’il n’alimentait plus du toxique dont j’étais dépourvu car je n’en consommais pas, imprévoyant que j’étais de cette manière inattendue qui me donnait à réfléchir sur mon comportement social en présence des habitudes de mes concitoyens, passants exigus entre moi-même et l’autre bord de la réalité qui est construit sur le sable des spectacles donnés pour entretenir l’esprit hors des champs ouverts à la conscience quand elle ne s’y prend pas de bec avec ses propres inconnues. J’avisais la vitrine grillagée d’une boutique dédiée aux liqueurs de ce monde, ne m’y arrêtant que pour rêver à mon tour, non pas de m’y abreuver mais d’y pénétrer par la porte étroite pour honnêtement acquérir un de ces flacons cotonneux à quoi les rêves accrochent des étoiles captives de l’existence quand leur principe est de s’en extraire en ne laissant pour preuve de leur passage que les queues cueillies aussi sec par l’imagination en panne de procès. Marette prit de l’avance. J’eusse pu l’interpeler du haut de ma voix et l’astreindre à une immobilité mesurée à l’avance que je pouvais prendre sur lui dans ces conditions favorables, mais de rêve à rêve, la voix subit de tels changements qu’on n’est jamais sûr qu’elle sera comprise ou même qu’elle sera prise pour ce qu’elle est. Aussi je pris un raccourci, enjambant les dormeurs des soupiraux et des porches, volant presque comme l’oiseau que je rêvais de posséder pour ne plus en être un, et le palais de Justice m’apparut alors dans toute sa splendeur relative, encaissé dans une nuit tachée par ce qu’elle montrait de cette réalité tremblante à la tangente de laquelle j’évoluais, seulement porté par les racines des mots et les suffixes de leurs conjugaisons exemplaires. Loin derrière, Marette gravissait péniblement la côte, suivi par les dormeurs éveillés qui lui ravirent encore maints objets de son apparence, tant et si bien qu’il était presque nu quand il arriva devant la grille du Palais, coiffé d’une culotte peu amène qu’une garce échevelée avait échangée, sans lui demander son avis, contre des boutons de manchette plus en accord avec son charme désuet qui me rappela que la nuit n’est au fond que le témoignage du jour.

Cependant, j’avais une bonne minute d’avance et comptais bien en profiter pour me faire une idée de ce que l’avenir réservait au processus engagé dans je ne savais quel sens qui n’apparaissait plus aussi clairement que j’en avais naguère deviné les nuances de gris, agité que j’étais plus par la déroutante profusion de sentiments que par ce que j’eusse pu espérer de l’esprit et particulièrement de celui dont je me sentais sinon le maître du moins le mentor, comme il arrive lorsque le temps ralentit sa course têtue vers un horizon d’appréhensions et de témoignages annoncés par les voix qui les fondent autant en raison que par l’entremise de l’inquiétude à laquelle nous continuons de consacrer cet autre temps qui est celui, indifférent et sans solution, qu’on perd à le retrouver. Avant même que Marette atteignisse la dernière marche d’un escalier finissant la rue où s’ébattaient encore ses poursuivants, j’avais franchi la grille par magie ou par tout autre moyen qui me parut formidable tellement j’étais rempli de mon rôle, celui que je n’avais pas encore joué dans son intégrité et dont les prémisses contenaient l’essentiel de leurs conséquences, miroir aux alouettes virevoltant dans la nuit noire et ne lançant que les reflets de la nuit, celle-ci étant habitée par mes imaginaires et les bestiaires dont ils naissaient tourmentés, voire harassés, peuples sans cesse croissant dans le partage des immondices et le glissement itératif des courtoisies accordées au destinataire final de ce lent et muet renoncement à toute forme de procès au cadavre. Progressant de cette manière dans le gravier bavard que les préteurs locaux avaient animé de leurs erreurs et de ce qu’elles contiennent inévitablement de mauvaise foi et d’intrigues, du moins m’imaginais-je qu’aucune préture ne va sans défaut, déjà enclin à défendre la part de soupçon que je tenais d’une trop longue investigation de mon héritage culturel, sur lequel on me pardonnera de ne rien dire pour l’instant afin de ne pas ajouter à la complexité des impressions formées en vue d’une interprétation ou, selon d’autres l’improvisation que je finirais par produire, comme on le lit ici, dans la composition d’un texte dressé comme une table en attente de convives avant même qu’elle ait trouvé les moyens de les concevoir dans le seul but d’exister elle-même, je n’écoutais plus que les battements de mon cœur à l’approche de la première porte, rectangle noir occupant le sommet d’un perron de quelques marches, sans indication de lieu ni de service, ce qui m’inspira illico un ralentissement tempéré toutefois par ce que je savais, à l’écoute, de l’approche de Marette, lequel haletait en s’arrachant ses derniers oripeaux, ceux que les impécunieux condamnés à vivre leur vie dehors sans autre protection que leurs illusions en berne venaient d’échanger contre les éléments composite de sa tenue de sortie électorale. Je gravis les trois marches, prévoyant de frapper ou de sonner si quelque lumière apparaissait sur le paillasson que j’observais comme un objet de mon attente alors que je possédais tous les recours de l’excuse mélangée d’explication qu’il est d’usage de fournir à l’interlocuteur chargé d’ouvrir ou de demander qui est à la porte, et tandis que mes poumons s’emplissaient automatiquement de ce nouvel air saturé de présomptions, presque tragique au haut de cette scène improvisé pour les besoins d’une cause dont les hypothèses échappaient à la nécessité de pertinence qui prévaut en cas d’intervention musclée, je vis que la porte n’était pas fermée et qu’un jour forcément artificiel à cette heure de la nuit se verticalisait du côté dont je m’étais apprêté à explorer la surface pour y trouver une poignée, avec ou sans la clé qui l’accompagne, car ces lieux publics sont le plus souvent ouverts à tous, à moins que les incommodités qui découlent d’un usage abusif de leurs appareils engagent ses fonctionnaires à veiller et à surveiller, tenant la clé d’une main, pour la donner ou au contraire l’ayant reçue en retour, mais l’œil toujours posté à l’endroit qui surplombe le siège ou théâtre en question par le moyen moderne d’une caméra ou encore, si les budgets ne le permettent pas, tout simplement en interdisant toute fermeture complète, et dans ce cas un interstice suffit à identifier l’acte qu’on est venu ici commettre. Or, ce ne fut point ce que je vis, en vérité ne voyant rien d’autre que ce que l’interstice laissait apparaître du mur éclairé d’en haut si je ne me trompais pas ou si je n’étais pas induit en erreur par la perspective évidemment faussée à la fois par ma situation, un pied sur le perron et l’autre en attente du pas qui lui eût permis d’atteindre à son tour cette surface préparatoire, et par l’inclinaison perspicace de ma tête, laquelle engageait mon regard dans une oblique fallacieuse, car à peine avais-je introduis mon nez, organe toujours en avance au moment de pénétrer quelque part, à moins d’y entrer à reculons, dans cette brèche prometteuse d’une résolution ataraxique de ma curiosité légitime comme je viens de le démontrer, l’odeur caractéristique des produits de la déjection fécale, au lieu de se proposer comme il en est des odeurs inattendues dont l’existence s’emploie à borner nos attentes, s’imposa avec un tel impératif que mon corps bascula inexorablement d’où je venais avec l’intention de m’introduire sans plus de tergiversations. Ainsi refoulé au bas du perron et agenouillé dans le gravier qui me perçait les genoux, je constatais que malgré l’échec de ma tentative la porte s’était ouverte toute grande, sans ce bruit que j’attendais d’elle pour confirmation de la nature réelle de ce que je vivais en djinn certes, mais sans contestation possible en deçà du niveau requis pour comprendre le traître mot de mes victoires. Et, n’attendant toutefois rien de cette péripétie somme toute aussi banale que la chute d’un mégot dans la rigole, je me frottai les yeux de mes poings fermés, ne cessant cet acte involontaire causé par l’incrédulité et l’inattendu de la situation qui lui est lié que pour examiner ce qui me paraît mériter le nom de scène mais dans laquelle on verra plutôt une séquence qu’il est maintenant nécessaire de décrire par le menu tant j’étais loin de m’y attendre et surtout de lui donner suite :

Michou, la Présidente, était assise sur la cuvette et chiait ! La robe relevée sous les aisselles, elle transpirait à grosses gouttes et n’était point occupée à lire un de ces magazines qu’on emporte avec soi en quittant le bureau pour se livrer à ce besoin naturel dans un endroit qui ne l’était pas moins et qu’elle avait peuplé d’une puanteur si épouvantable que je pensais qu’elle s’était matérialisée à ce point qu’elle m’avait repoussé et envoyé au-delà du perron dans l’incalculable complexité d’un gravier non prévu pour qu’on s’y prosternât comme je le faisais bien involontairement.

— Espèce de vil voyeur célinien ! Scoptophile à la mords-moi-l’neu ! Non mais qui c’est ce mec qui ressemble à rien et qui prétend reluquer mes odeurs à une heure si avancée de la nuit ! Que je te le condamne sans procès et sans contradiction, ce délinquant liberticide ! Ah j’étais pas venue pour vivre une aventure avec un homme ! Que même le papier me manque ! Et j’ai de quoi écrire hé pisse-copie à la noix ! Que je vais te forcer au nom du peuple à tremper ton doigt dedans pour t’apprendre l’alphabet des palais, hé parnassien sans moyens ! Non mais regardez-le trembler dans sa nuit ! Il me regarde comme si c’était tout vu ! Ah je sais pas ce qui me retient d’y mettre la main pour lui en balancer plein la tronche ! Mais il ressemble à rien ! Y sait même pas c’que c’est une dame ! Que même des fois y m’prendrait pour un mec ! Ce que je ne suis pas ! J’ai peut-être des façons de faire que chier ça n’a pas d’sexe, hé morfale des chiens écrasés ! Si tu crois que tu peux écrire après ça, tu te mets le doigt dans les hémos, fils de rien qu’a pas encore tout vu ! Que j’ai pas fini de dire ! Où que tu cours comme ça ? Tu vas laisser Tata en attente ? Me désespérer avant qu’on ait causé ? Ah quand j’aurais fini j’irais voir les gendarmes ! Et que je te leur dirai tout, béjaune, faquin, et que je sais pas tout le Petit Robert sinon tu en prendrais plein les miches, tarlouse à son papa qu’a pas fait la guerre ! Et que tu crois que je me torche avec ces dignes pages ? Que nenni ! J’amène mon papier et je soigne mes références comme si que j’en étais l’auteure ! Malpoli ! Baveux ! Arrogant ! Que si je savais faire de la poésie personne n’en voudrais même pour aller se vider ! Reviens, arsouille, morbaque efflanqué ! Ah le traîne-potence ! Le faquin ! Y sait même pas ce que ça fait l’amour quand ça fait rien ! Que moi je sais ! Que je l’ai vécu ! Rends-moi ma médaille bien méritée !

Un horrible bruit de ventouse ponctua ce discours. Elle était sur le seuil, le cul à l’air et les doigts dedans, ne menaçant ma fuite que du menton au-dessus duquel ses lèvres cherchaient les mots, ne trouvant que le borborygme en réponse aux flatulences humides qui dégoulinaient le long de ses jambes où le bas glissait comme dans un abîme. Je trébuchais plusieurs fois, rencontrant Marette qui haletait en se masturbant car le spectacle lui inspirait de l’amour, chose si particulière à ceux qui n’en connaissent pas les courtoisies. Acculé contre la roche descendant du château, je n’entendais plus les institutes que je venais d’inspirer au premier phylarque de l’Ariège et Marette n’était plus qu’une ombre agitée de soubresauts qu’un interminable gémissement accompagnait de son rayonnement euphorique, la nuit ensevelissant cette trouble réalité dans l’amalgame des sommeils. Je tentais de m’exprimer à mon tour, car il me semblait que, comme dans tout procès équitable, j’avais mon mot à dire, même si aucune distinction ne confirmait ma dignité comme c’était le cas de ces deux incontestables modèles de la servitude au service d’une grandeur dont la véridicité ne me paraissait pas aussi évidente que ce que je venais d’apercevoir des dessous de la Justice, mais comme je m’épuisais littéralement à m’époumoner sans perdre pour autant mon intelligibilité dans cette contraction exorbitante, étant alors sous l’influence des fécales instances qui jaillissaient encore de ces cuisses molles et dans les pages du dictionnaire élémentaire qui en inspirait les cisaillements nutritifs de l’extase, ayant d’abord construit, avec la courtoisie et la mesure qui sont le propre de mes racines ancestrales, les premières propositions de ma défense, soucieux de culture et même d’intelligence, voilà-t-y pas que je me mets à m’exprimer comme un branque, comme si mon esprit me conseillait de me mettre au niveau de ce que la Justice de France impose à nos survivances et c’est un flot d’invectives sans doute fort éloignées de l’esprit de nos joutes et de nos satires mêmes qui sort comme autant d’excréments de ma propre bouche et j’ai beau la fermer de toutes mes mains, ne mesurant en rien la douleur et la blessure, je deviens l’égal de cette sournoise messagère d’une suzeraineté qu’en aucun cas mon éducation ne lui aurait accordée même au paroxysme de la contrainte et de la menace :

— Fille de pute et pute toi-même ! Comment oses-tu parler ainsi sur cette terre condamnée au silence parce que nous avons perdu notre profondeur Dieu sait où ! Limace immonde que tu es ! Avec ta merde au cul et ton dictionnaire à la con ! Ah tu te crois supérieure et définitive ! Avec dans les mains des définitions que tu trouves pas dans tes lois de merde et que même les gosses trouvent ça désobligeant que des adultes se servent de leur faiblesse pour faire passer les vessies pour des lanternes ! Où c’est que t’as appris à lire, pétasse ! Ou devrais-je demander, à qui je te le demande, dans quel endroit crasseux on t’a octroyé le droit d’insulter l’intelligence et la culture ! Non mais tu t’imagines que je vais te laisser faire, hé bagasse courtisane ! Tu crois vraiment qu’on est con à ce point dans le Midi ? Me traiter comme un voleur ! Moi qui me laisse voler pour pas toucher à tes enfants ! C’est pas de la merde que je vais te foutre au cul, moi ! Mais un beau discours que même tes petits-enfants en auront une honte que je leur souhaite pas ! Ah tu vas respecter nos usages, pouffiasse ! Chabraque ! Gueuse femme de trouvère ! Je vais t’en raconter, moi, des trucs que si c’est pas salé c’est que t’as un problème avec la langue, cocotte en papier tue-mouche ! Gigolette ! Rouleuse ! Toupie ! Et que ça se fait prendre en photo à peine arrivée ! Et que ça reçoit des médailles qu’on se demande où est l’honneur en question ! Non mais tu peux pas être plus discrète, hé traînée ! Tu t’crois sur l’trottoir ? J’vais t’montrer, moi, comment que je fais l’apologie des vendeurs de salade, hé toi trou-de-balle des croisés ! Va tricoter ailleurs avec ton colon, sale garce !

Ayant entendu, ô lecteur, ces paroles de circonstances, ne vas pas t’imaginer que c’est là ma manière habituelle de m’exprimer, et qu’ici je déguise la supposée vulgarité de mes sentiments et la non moins hypothétique profondeur de ma pensée dans la langue que tu me connais depuis le début de ce récit pour finalement, alors que rien n’est encore joué dans cette comédie, donner à voir les dessous d’un pareil effort d’éloquence et d’exposition et les livrer à la contemption qui, si j’en crois l’expérience du Bien que je partage avec toi, réduit toujours le temps et ses chronologiques instances, sans parler des cristallisations circulaires de la mémoire et de ses personnages sans nom, à la durée dont l’Histoire est une parodie de l’échec personnel face aux défis des sociétés. Si j’ai, ne pouvant faire autrement, prononcé de pareilles insanités sans une seule fois me repentir de connaître ce vocabulaire insane et ces tournures empruntées aux voix les moins expertes ou les plus captieuses, la raison en est que ça sentait la merde et que je ne peux pas penser et dire en même temps si cette merde n’est pas la mienne, en quoi je ne diffère guère de mes contradicteurs et y ressemble même opportunément, car je dois te confesser que j’ai éprouvé un grand plaisir à user de la même matière pour répondre à d’aussi sournoises attaques. Cependant, je dois te priver du récit de la bataille qui aurait pu s’ensuivre si j’en avais accepté le principe, ces projections mutuelles n’ayant pas de sens pour moi et cet abaissement de ma condition au niveau de ces salauds n’étant pas même envisagé dans les pires moments de ma déroute. Afin d’éviter toute équivoque, et non point pour ne pas me faire couvrir d’une merde qui ne fût pas la mienne, je m’élevais dans les airs comme j’en ai le pouvoir et abandonnai ces tristes cabots de la comédie humaine à la chronique de leur routine et aux misérables œuvres de leur fantaisie mécanique. La nuit fut mon témoin.

Dépitée car elle ne me voyait plus et était en proie au doute, à savoir si elle m’avait jamais vu, la Présidente se rassit, plongea son cul immonde dans les immondices de son travail interne et attendit que quelqu’un frappât à la porte pour lui demander de se presser car l’endroit est en partage, petite scène ordinaire de la vie de palais qu’elle jouait à merveille, sachant adapter sa réponse à ce qu’elle devinait de la personnalité du quémandeur dont la voix était reconnaissable alors que la sienne pouvait imiter tous les personnages de son avancement. Aussi reconnut-elle la voix de Marette.

— Michou ! C’est moi Loulou ! Qu’on a la même médaille et que si je te la montre tu vas encore me dire que je la mérite pas !

— Tu apportes du papier ? Sinon, tire-toi d’ici, hé branleur de bulletin ! J’ai l’intention de passer la nuit dans cet endroit réservé au personnel.

— Mais c’est à titre personnel que je viens, Michou !

— Je ne rendrai pas ma médaille ! On me l’a donnée pour toujours ! Que même mes descendants pourront s’en vanter sous la protection des Hautes Autorités ! Tire-toi avant que je me remette à rêver !

— Mais tu rêves pas, Michou ! C’est moi, Loulou de Mazères ! Tu veux qu’on se parle à travers la porte ? Je comprendrai…

— Tu comprendras rien du tout, mon salaud ! Je me suis pas introduite dans cet endroit pour en sortir parce qu’on me le demande ! Laissez-moi tous ! Sinon je sors mon dictionnaire de rimes !

— Hé bé, justement, Michou, puisque tu parles de dictionnaire, je veux bien en parler avec toi. Tu l’as sous la main, le Petit Robert ?

— Je l’ai sous les fesses quand je suis pas en train de chier !

Se croyant autorisé à ouvrir la porte alors que rien dans le contenu de la dernière réplique de la Présidente ne le laissait présager, Marette commença par insérer son museau de petit chien de compagnie dans ce qui ne pouvait pas être considéré comme une ouverture mais qui en était, selon ce qu’il méditait, le commencement prometteur. Une poignée de merde l’atteignit en pleine tronche, pénétrant dans la bouche qu’il avait ouverte car il s’apprêtait à parler pour demander la permission d’entrer comme cela se pratique encore dans la chanson. L’émanation le dessoula.

— Deux bonnes bouteilles rayées de ma surface ! s’écria-t-il.

— T’avais qu’à pas commencer ! gueula la Présidente. Je veux plus te voir ! Je veux plus être sur la photo ! C’est toi qui sens la merde et je sors jamais bien sur ta photo !

— Mais j’ai encore besoin de ton Petit Robert, ma Michou !

— Je suis plus ta Michou ! Avant de te connaître, je faisais des petites crottes, tellement petites que j’avançais pas vite. Mais maintenant, je m’époumone du cul et je recule dedans ! Tu peux pas savoir comme c’est affligeant ! Et tout ça à cause de toi, mou de la bite !

— Ah m’insulte pas à cet endroit de ma personnalité honorable, Michou ! Ça ressemble à une crotte parce que l’as vue de loin ! Mais si t’approches…

— Tiens prends !

Et une autre poignée s’étala sur le visage en cours de récupération de Marette qui avait de nouveau soif.

— Tu as tort d’être jalouse de ton dico, Michou ! Si tu veux pas le prêter, je demanderai à Olivier de me montrer comment on se sert de Wikipédia.

— Il te montrera rien du tout ! On t’a rayé de la liste !

— De la liste… ? fit Marette en s’agenouillant dans la merde.

La Présidente péta.

— J’ai une liste comme ça, alors… !

Marette ne vit pas à quel point elle était longue, la liste en question. Il tenait fermement la porte pour s’en servir de bouclier et la merde continuait de frapper son visage il se demandait comment. Il songea aux ricochets de son enfance, mais ces petits galets lancés dans l’eau de l’Hers n’avaient plus de sens. Qui viole un œuf viole un bœuf, lui avait dit son père après l’avoir sermonné. Mais il n’avait pas violé de bœuf depuis. Son père s’était trompé, sans doute emporté par cette vérité exemplaire dont son fils était l’exception, mais il était trop tôt pour le savoir.

— En parlant de liste, risqua-t-il dans l’entrebâillement qui giclait toutes les huit secondes, tu pourrais pas regarder si « marette » y est ?

— Je viens de te le dire, jésuite ! Tu es sourd maintenant ?

— Je te parle pas de cette liste que je m’en fous ! grogna Marette qui commençait à perdre patience. Tu l’as sur toi, le Petit Robert ?

— Tu vas encore me faire faire une connerie que je vais devenir la star de Google !

— Une fois encore, ma Michou ! S’il te plaît…

La Présidente attendit d’éjecter sa diarrhée et se mit enfin à feuilleter le Petit Robert, un peu dans l’insouciance que lui causait l’état d’impérieuse nécessité où se trouvait Marette. Elle espérait que l’édile entendait le bruit des pages, signe qu’elle n’était pas opposée à une petite recherche, mais à la condition que le mot recherché fût parfaitement étranger à toute possibilité de développement médiatique.

— Une marette est une petite mare, dit-elle savamment. J’ai pas besoin de Robert pour le savoir comme ça sans rien ouvrir. Tu veux savoir comment on dit « grosse mare » en français ?

— C’est pas ce que je veux savoir. Pour la marette, je savais aussi.

La Présidente péta plus fort en signe d’impatience.

— Si tu savais, pourquoi tu es venu me faire chier ? dit-elle sur un ton philosophique.

Elle se mit à feuilleter plus précisément. Marette écoutait religieusement.

— Une marette, dit enfin la Présidente, c’est un truc que les américains mettent sur les fils électriques…

— Ça je le savais aussi !

— Mais puisque tu sais tout, pourquoi tu es venu me faire chier ?

Les fesses de la Présidente se mirent à vibrer dans l’embouchure de la cuvette, rumeur interminable que Marette ne trouva pas le moyen d’interrompre. Enfin, le silence s’imposa. Il se mit à l’écoute.

— Tu as trouvé quelque chose, Michou ? osa-t-il couiner.

— Non, rien !

La gorge de Marette se noua.

— Mais alors qu’est-ce que tu fais, ma mie ?

— Tu es venu pour me faire chier, non ?

La voix de la Présidente grondait un peu, comme l’eau des torrents qui grossit.

— Tu viens plus pour déconner ? dit-elle avec la même retenue.

Marette se racla la gorge.

— Je suis pas venu pour te faire chier, Michou, mais si tu veux déconner…

— Qu’est-ce que tu as amené pour déconner ?

Marette gloussa. Il était dépouillé de ses vêtements, pour ne pas dire nu. D’ailleurs il n’avait pas envie de dire nu. Il n’avait plus cette envie.

— Si tu n’as rien amené… menaça la Présidente.

Moi, Rogerius, momos, oussaille ou bateleur selon la taxinomie de Guiraud Riquier, le dernier troubadour, n’ai pas l’intention de jongler et encore moins de rimer, même au plus haut de l’expérience. Je n’avais pas perdu de vue que j’étais alors dans le rêve de Marette et que tout ceci n’avait aucune réalité. L’écrire, comme je le fais en ce moment, ne contribue guère à donner un sens à ce qui, sans être une œuvre d’imagination, n’en est pas moins le rapport fidèle d’évènements dont je suis le seul témoin, en quoi la justice des hommes me taxera de subjectivité, et je ne dirai pas non, conscient qu’à défaut de savoir jouer la comédie ou d’un autre instrument de l’interprétation des œuvres tirées du néant ou du silence, je me tiendrai durablement à distance de cette perfection dont mon ours, si j’en possède un, ou mon bagout, si j’ai quelque chose à vendre, ne sont que les ombres d’une comédie savamment traduite des épiphanies que je ne sais pas trouver mais que je sais reconnaître quand on me propose d’attirer du monde et de l’avertir qu’il n’a jamais entendu ce qu’il va enfin entendre de la voix et des instruments du jongleur. M’élevant encore au-dessus du palais, j’entendis la Présidente dire à Marette « Mais mon pauvre, bien sûr que Chouchou n’était pas là ! Et c’est pas Salvador que tu as vu ! Chaque fois que tu frappes à une porte, c’est celle d’un chiotte ! Tout ceci n’est qu’un rêve ! C’était pas le commissariat ! C’était les latrines publiques ! Et c’était pas la Préfecture ! Mais les chiottes de la Préfecture ! Et si c’était Salvador, c’était pas le moment de le déranger !

— Mais alors, bredouilla Marette, ce chiotte… ce palais… toi… !

— Va savoir ! Tu me fais tellement chier !

— Je sais même plus déconner, alors… ! »

 

Où se conclut le présent chapitre, par l’énigme non encore résolue du pipeau et de l’âne.

Un tel personnage, œuvre de l’imagination satirique et non pas construction élaborée avec les fragments d’une réalité perçue à travers l’écran d’une documentation forcément engagée dans le sens qui finit par lui en donner un autre tout aussi dénué d’au moins les accents d’un apophtegme tenant plus d’une pratique mnémotechnique que de l’usage indiqué du coq-à-l’âne considéré comme un excursus réfractaire à toute idée d’astreinte au temps, peut se réveiller de son rêve suite à de telles considérations narratives auxquelles la chronologie des faits, elle, n’est pas étrangère. Je mesurais, de là-haut, sciant la nuit de mes fausses ailes, le risque que courait ma flânerie critique si je ne trouvais pas le moyen d’alimenter la berlue de ce pétainiste en herbe d’un recours à ce que j’ai déjà appelé mon texte, roman somme toute fabuleux où la chronique s’est perdue pour laisser toute la place à ce qu’il convient désormais d’appeler gnosie plutôt que sens car, comme on l’a vu, contrairement aux autorités judiciaires, lesquelles ont elles-mêmes perdu leur sens de la justice et l’esprit des lois qui va avec, je ne pratique en aucun cas l’interposition du dictionnaire, aussi futé soit-il, mais, chaque fois que cela est possible ou est rendu possible par mon propre sens de la réalité, le sens des mots tel qu’il se trouve ailleurs et particulièrement ici. Irrité au plus haut point, cet espace dans l’espace où tout est possible y compris l’assassinat, je vomissais sur les toitures du palais et le vent, par bouffonnerie objective plus que sous le prétexte qu’il fallait encore me dissimuler afin de ne pas exposer ma construction aux malveillances du personnel exécutif, portait mes excrétions dans le chapeau de la tour où dormaient de paisibles tourterelles du sommeil qui était aussi le mien. Une goutte suffit. La pierre n’y entend rien, pas plus que l’herbe de ses pentes et de ses chemins. Mais sitôt qu’une d’elle eût touché l’œil de Marette, tandis qu’il commençait à y voir plus clairement, le rêve reprit son empire sur ses facultés cérébrales et, trébuchant au retour vers les allées où il savait qu’il retrouverait sa petite voiture, il croisa les dilapidateurs de son apparence, eux toujours en liesse tournoyant au rythme des essayages et des partages déchirants, demandant, sans se soucier du voisinage qu’ils disposaient ainsi à la plainte et à l’intervention de la force publique, s’il avait bien chié et si la compagnie en avait fait autant pour sa pomme, leurs cerveaux percevant mon rire coureur d’autres jupons au croisement des lits que je visitais dans l’espoir d’y trouver autant de débauche que dans le spectacle qu’ils donnaient à Marette pour en faire le sujet de leur performance. Nous arrivâmes ensemble sur la place, eux tournoyant sans cesse, Marette pris au jeu du voyage sans retour et moi dans l’air de la nuit, que je sentais complice comme si j’en étais l’auteur, mais aussi rebelle, car elle me fuyait et je ne l’en aimais que plus !

Sous les arbres, ils avaient l’air de danser parce qu’ils étaient joyeux et Marette, qui cherchait sa voiture des yeux, picolait à leurs bouteilles, lesquelles semblaient se multiplier ou bien c’était le nombre de ces oiseaux bavards qui augmentait au fur et à mesure que je m’élevais et qu’il m’était de moins en moins facile de distinguer le vrai du faux. Cette fois, un véhicule assourdissant les sépara. Ils s’égaillèrent. Et bientôt, on ne les vit plus. Entre les arbres, je pouvais voir Marette en tenue d’Adam, le cul souillé et le verbe haut, brandissant l’arme de son flacon pour déclarer qu’il manquait de munitions et que c’était la seule raison de sa reddition, procès dont les flics avaient du mal à comprendre le sens caché, si sens il y avait, ce dont leurs faces incorrigibles semblaient douter. Je descendis à la hauteur que jamais perdrix ne se risqua à jouer contre le sort qui la guette malgré l’hypertrophie consolée de son rire. Les lampes torches balayaient les feuillages et revenaient sans cesse au visage boursoufflé de Marette qui évoquait de vieux souvenirs, mais dans un langage tellement dépassé que les poulets, de récente extraction, n’y comprirent pas un mot, se doutant que l’individu avait beaucoup de choses à dire et sachant que le lieu et l’heure étaient mal choisis pour en faire le tapage. Au bout d’une minute de cette hésitation bue naguère par eux aux sources d’un mauvais emploi du temps scolaire, les trois torches immobilisèrent leurs faisceaux sur la gueule grimaçante de Marette qui, ayant l’intention de retourner ses poches, comme il retournait quelquefois sa chemise, ne rencontra que la chair boueuse de ses flancs, consistance qui provoqua en lui un éclair de perplexité, les doigts explorant la texture ainsi rencontrée à un endroit où le cerveau savait que ce n’était pas sa place et que si elle s’y trouvait néanmoins, l’explication ne tarderait pas à l’illuminer et par conséquent à animer le visage de Marette, déjà enclin à répondre sans que personne ne l’eût interrogé, d’une expression peut-être savamment, mais le mot ne pouvait avoir d’application certaine dans l’esprit de ceux à qui il se rendait, et moins encore de sens dans ce qui finirait par ressortir de ses explications verbales, élaborée aux confins du recul inspiré par la puanteur et du rictus imposé par les glissements, les capillarités, les décollements et autres physiques de la merde. Il était donc, au sens propre du terme, insaisissable.

Ils l’acculèrent. Un arbre servit de poteau, le flanc d’un véhicule parait à gauche selon leur point de vue triangulaire, et à droite les feuilles répondaient à mes tourbillons, ce qui ne manqua pas d’intriguer un de ces esprits peu faits pour en conclure, moment d’échauffement mental qui ne parvint toutefois pas à la fusion et ne communiqua donc rien de ses atermoiements aux deux autres qui lui demandaient de tenir sa torche droite ! On en était là lorsque l’âne parut.

Encore que se présentant de cul, les vaches privées des deux oreilles, ornement à eux habitué, n’y virent pas même un cul, se demandant ce qu’une queue faisait à cet endroit de leur citoyenneté, et braquant les feux de leur lumière sur cette apparition qui n’avait à leurs yeux ni sens ni autre chose, ils élevèrent la voix, tous sur le même ton, tandis que Marette sortait son pipeau de je ne sus où. Un pipeau à trois trous dont il ignorait sans doute les fonctions, car il n’en fit pas usage. S’il les boucha, ce fut pour employer tout l’air qu’il communiquait au chalumeau, n’en rien perdre une fois expiré, qu’il sortît sans perte d’énergie à l’autre bout qui était un pavillon étroit ressemblant au fruit du chêne. Je le vis alors se précipiter sur l’âne, un long ré ou mi bémol striant la nuit et me cassant les oreilles, tandis que les roussins s’écartaient comme une paire de fesses qui vient de projeter le fruit de ses entrailles (cela fait donc bien trois) et que l’âne, peut-être tout occupé à brouter dans un vase, était loin de se douter que le pipeau de Marette lui était destiné.

Ici prend fin, comme il en est toujours de ses rêves, le sommeil qui m’a inspiré ce texte transitoire venant tout juste, ne l’oublions pas, d’interrompre le cri qui ameuta toute l’auberge et en précipita le contenu alarmé hors de ses murs, nous voici courant qui dans l’escalier, qui entre les tables qu’on desservait, poussés à la fois par la curiosité et par l’angoisse, n’ayant, au moment où commence le chapitre suivant, qui sera le quatrième, aucune idée de la nature de ce cri ni de son origine qu’il eût été à ce moment-là bien prétentieux de qualifier d’animale, car nous n’en savions rien, et Marette n’avait pas fini de s’approcher de l’âne et de ce que celui-ci présentait à ses intentions pour le moins obscures, car qui, muni d’un pipeau et ne sachant s’en servir pour égayer les sens, est plus difficile à comprendre que celui qui, vraisemblablement, s’apprête à le faire à l’encontre de ce qu’il faut bien appeler un anus, car autrement tout le présent chapitre n’aurait plus aucun sens ?

 

Chapitre quatrième

Causes du réveil de Ginès et de la grande colère qui s’ensuivit.

Il en est du rêve, celui qui arrive sans crier gare au cours de ce moment de l’existence que nous appelons sommeil faute d’en savoir plus sur la nature du phénomène, particularité que le sommeil partage avec bien d’autres fragments de la méconnaissance réduite au statut de l’inconnu, voire du bizarre, car rien n’est plus déconcertant, et en même temps source de crainte et de hantise, que ce qui, par on ne sait quel décret, ne montre que les apparences de l’inexplicable, comme de toute réalité qu’on peut observer de l’extérieur quand la curiosité approche, non sans intention de s’y retrouver, le corps même de l’autre qui dort à poings fermés, agitant les signes de son activité cérébrale par le biais de capteurs plus ou moins conçus pour l’exploration, mais qui menace de se réveiller à la moindre sollicitation, menace qu’il met à exécution si l’occasion lui en est donnée, comme il arriva ce matin à Ginès de Pasamonte, lequel, s’il ne dormait pas aussi profondément, n’en était pas moins plongé dans l’énigme des faits soumis à lui par le chaos peut-être organisé de ses connexions avec un autre monde qui n’eût rien de commun avec celui-ci, du moins si l’on s’en tient à ce qu’on en retire pour donner au temps perdu un sens qu’il ne retrouve évidemment pas, mais qu’on ne risque désormais plus d’égarer à nouveau aussi bêtement. À peine le pipeau, ou flûte selon le désir qui s’attache à ses trous, eût-il atteint son but, car comment ne pas penser que celui qui le tenait en main en eût d’autres, pénétrant dès ce moment dans le sphincter anal dont les hémorroïdes peinaient à alimenter l’effort occasionné par le cri qui naissait à l’autre bout de ce corps surpris dans un moment d’inattention dont la cause, toute ordinairement préparée pour lui, l’âne, n’était autre qu’une poignée d’herbes couvertes de gouttes blanchies par la froidure de saison, que Ginès prit alors conscience que ce n’était pas lui qui criait, n’étant en aucune façon concerné par cette assimilation à la sodomie, laquelle pratique n’avait jamais été de son goût, quoique qu’il s’y abandonna quelquefois par pure lassitude, en ayant été d’ailleurs une fois l’instigateur, non plus parce qu’il venait de céder à un épuisement causal, mais il avait précédemment beaucoup parlé pour ne rien dire et avait perdu le fil de sa démonstration, sujet aujourd’hui relégué dans les oubliettes de la haine à défaut de l’amour qui avait donc manqué de consistance et surtout de constance, mais, ânonna-t-il sans ouvrir les yeux, « quelqu’un d’autre », répéta-t-il encore comme si l’itération de cette seule désignation le retenait indéfiniment dans cet ailleurs où il ne s’était réfugié que pour cuver son vin et ne plus penser, dans un esprit de confession, à ses mauvaises manières. Ce fut un moment de grande confusion. Il voyait, de visu, que l’autre était un âne, mais ne pouvait regarder celui qui tenait la flûte, car il ne le voyait pas et craignait, comme c’est naturel, de n’être pas le troisième personnage de cette farce insensée qu’aucun réveil, même en fanfare, ne finirait, si tant est que les rêves ont une fin, par expliquer aussi facilement qu’il ne l’expliquait pas. Il mesura pleinement la tension qui le paralysait à fleur des draps. Il eut même la présence d’esprit d’accuser le vin et ce qu’il avait fait subir à une femme avant de s’endormir sans éprouver le moindre remords. Son esprit s’abouchait à cette possibilité, tentative d’échapper au rêve qui s’était figé comme s’il n’allait jamais se terminer et que c’était là une fin probable assez explicative de ce que la mort pourrait être si elle n’était pas. Il eut la sensation de ne plus respirer, de ne plus avoir besoin de l’air qu’il faut partager avec les autres sans jamais cesser de les voir s’en aller avant soi, avant-goût qu’il retrouvait dans sa résistance au troisième homme de l’affaire, qu’il était ou qu’il n’était pas, selon ce qui allait arriver ou ce qui n’arriverait plus désormais. Il réussit à bouger cependant, en s’arcboutant à la surface du lit, confusion de pavés et de draps, parmi les traces que l’âne avait projetées avant de s’arrêter devant l’arbre au pied duquel un bouquet d’herbes folles avait échappé à la cristallisation, autre phénomène qu’il n’expliqua pas autrement que par son propre souffle dans les plumes qui commençaient à voleter au-dessus de lui, comme autant de sens arrachés à la configuration dont il tentait vainement de s’extraire lui aussi, non point pour donner un sens à ce qu’il n’était plus depuis qu’il était en proie à la peur de ne plus pouvoir se réveiller, mais simplement pour continuer d’exister parmi les autres, pour les plumer, pensa-t-il rapidement, tandis que son cerveau s’emplissait du cri et que ce cri, étranger à ses désirs les plus secrets, ne sortait pas de sa bouche, preuve que son cul n’était pas l’objet du tour que la flûte prétendait lui jouer, instrument qui n’émettait plus depuis qu’il était entré, laissant divaguer le souvenir de ses accords avec le sens qu’il avait d’abord envisagé comme une idée originale de la sodomie. Les plumes volent, pensa-t-il et cette pensée promettait un ancrage ferme et peut-être définitif. Il eut de l’espoir. Cependant le cri n’avait pas cessé d’occuper tout l’espace et maintenant c’était le temps qui, faute d’occupation, tendait à s’annuler, menaçant non plus de supprimer le sens, mais de ne lui avoir jamais donné une origine aussi stable que le point zéro. Il haletait. Les plumes volaient dans la réalité. Et le cri, venu d’aussi loin que le rêve, en semblait la cause, quoiqu’aussi sain d’esprit qu’il se pensait, Ginès ne voyait pas, littéralement, comment un cri eût pu soutenir des plumes en l’air, aucune force ascensionnelle n’ayant été mise en jeu par sa connaissance des apparences, domaine qui avait sa faveur et où il glanait le nécessaire et même souvent le superflu, et si je n’avais pas, alors que l’hôtesse tenait la porte avec son pied, et que les donzelles avaient toutes pris ce chemin pour aller à la rencontre de l’âne qui hurlait, ce ne pouvait être que de douleur, moi-même crié le nom de Ginès pour qu’il descendît nous rejoindre et profiter du divertissement prometteur que personne ne manquerait sous aucun prétexte, mon compagnon de voyage et d’infortune ne se fût peut-être pas réveillé et eût été, qui sait, emporté par le temps qui atteignait pour lui les limites de l’inconcevable, d’où l’on peut conclure, sans risquer de se tromper sur la conduite à tenir quant aux aménagements émotionnels du présent texte, que ce ne fut pas le cri de l’âne qui le réveilla, car il l’eût au contraire, et sans moi, mortifié pour toujours, mais mon propre cri, consistant en un appel certes puissant, mais insignifiant, si mon expérience du combat a quelque valeur, relativement aux approches de la mort qui a pris les chemins détournés du rêve, celui que l’on fait en dormant, à l’heure de dormir et non pas de rêver à autre chose de moins routinier. Ce fut donc moi que Ginès accusa de l’avoir réveillé. L’hôtesse sourit.

— Ah ! le sacré fils de pute que ce Rogerius qui donne de la voix pour ameuter les autres ! Suis-je ce chien qu’on lance à la poursuite des animaux qu’on veut manger pour vivre ? Je te ferais savoir de quel bois je chauffe les épaules de mes bourreaux !

Et disant cela, d’une voix qui répondait, par ses basses, aux aigus que je venais d’appliquer à mon cri pour le rendre plus matin, Ginès s’entortillait dans sa robe, manquant de peu de dévaler l’escalier au pied duquel je m’étais posté pour donner de l’assise à mon appel. Le pied de l’hôtesse se retira et la porte se referma.

— C’est l’âne ! m’écriai-je aussi vite que je pus.

Ginès s’étonna. Après une seconde d’hésitation, il comprit de quel âne je parlais et comme le cri n’avait pas cessé, il se boucha les oreilles et se pencha en avant comme quelqu’un qui prétend se soustraire à la douleur.

— Nous allons nous rendre compte, expliquai-je. J’ai pensé que, comme il s’agit de votre âne, si je me souviens bien…

— Tu ne te souviens de rien du tout !

Ginès me bouscula et ouvrit la porte d’un coup de pied. J’entendis l’hôtesse qui rouspétait parce que la porte lui appartenait encore, disait-elle en riant. Était-elle la femme avec qui Ginès avait couché avant de revenir dans notre chambre ? Je passai la porte à mon tour. Je ne surpris pas de baiser, mais je vis que l’hôtesse avait pardonné, tant son visage était radieux.

— Allons voir ce qu’il nous veut, cet âne ! me dit Ginès en passant devant moi.

— Vouloir ! Vouloir ! gloussait l’hôtesse qui trottinait derrière nous. Nous voulons tous ! Et après ?

Renonçant à ce qu’elle entendait par ces obscures paroles qu’il me semblait avoir prononcées moi-même, je suivis Ginès sans écouter la suite du discours qu’elle nous adressait comme si je n’étais pas là pour en saisir au moins la difficulté.

 

Nécessaire intermède coupant le rêve afin que le lecteur prenne le même chemin.

Ce que nous vîmes alors, ou plutôt ce que je vis que les autres voyaient, n’avait peut-être pas pour eux, qui me précédaient et ne m’encourageaient guère à les devancer alors que je m’en sentais la force, toute l’importance que je me croyais en devoir d’exprimer avant qu’ils n’en effaçassent le souvenir, ce temps incorrigible mais sujet à caution que je ne tarderais pas, comme on en tient ici la preuve, à transporter dans le texte même de mon aventure hors de moi-même et à la tangente quelquefois bissectrice de ces autres qui finiraient par représenter, dans mon intention, ceux qui manquaient à leur appel tragicomique. Chaque fois que j’arrive le dernier sur les lieux qui n’eussent pas existé sans ma prétention à les retrouver je m’aperçois un peu tard que je suis dans les pas de « quelqu’un d’autre » et que par ce tour joué à ma présence d’esprit, laquelle m’eût été d’un grand secours, ce « troisième homme » ne se contente plus de me précéder, mais encore m’obsède jusqu’à la disparition des raisons de ma souffrance, si souffrir consiste à caresser d’illusoires tentatives d’arriver le premier alors qu’il n’en a jamais été question. Ayant procédé malgré moi à ce glissement d’un rêve incertain, peut-être trop vrai, et par là significatif de mes réelles intentions, à cet autre où la ressemblance s’arrêtait à l’animal, comme créature indispensable au dénouement de ce qui n’avait pas même de commencement, je fendis l’espèce de foule constituée par les filles de service et rejoignis l’hôtesse qui, par effet de son autorité sur elles, se tenait maintenant devant elles, moins rieuse qu’épouvantée, les côtes caressées par une joie impossible à contenir autrement que par les moyens d’un abdomen sollicité tellement que la culotte, qu’elle portait fièrement depuis que Ginès l’avait souillée (signe qu’il n’avait pas pris le temps de s’inviter à la violer), descendit sur ses genoux et s’y arrêta alors que j’en étais aux chevilles, le nez dans la poussière que les sabots de l’âne martelaient furieusement, car son cri n’était point d’allégresse et sa joie aussi peu contenue que peut l’être celle d’une créature de rêve dont la bouche ou la gueule maudit l’introduction d’une flûte dans son anus alors que le plaisir reconnaît le seuil d’un théâtre moins réticent aux effets secondaires de la surprise enfin résumée à son explication. Je me pris à tousser et, craignant le coup de patte qui m’eût renvoyé d’où je venais, d’un bond je fus debout, tandis que la main de Ginès pesait lourdement, mieux que le cul d’un pendu, sur mon épaule elle aussi secouée du même rire qui venait de gagner les filles de joie et de services divers que je trouvais alors plus belles d’éprouver cet amusement non pas cette fois à mes dépens, mais à ceux de ce troisième et nécessaire personnage que Ginès n’avait pas, à sa grande frayeur de dormeur quasiment décédé, identifié comme il m’avait reconnu en d’autres circonstances moins cocasses que le lecteur ici présent revisitera illico, par une relecture de l’épilogue, s’il veut comprendre où je veux en venir, et pourquoi pas de ce qui suit, jusqu’ici où j’aurais la patience de l’attendre, non point de pied ferme car il n’est pas mon ennemi, quoique mon confident, mais avec la conscience tranquille, soit dit en passant, du confesseur, voire de l’affidé qui finira, n’en doutons pas, par le retourner comme un gant et l’ajuster à son exacte dimension de spectateur en totale incohérence avec tout ce qui fonde le témoignage, quand il s’agit de cela, s’entend.

 

Parenthèse sur la question de la littérature.

Que le lecteur me pardonne, une fois de plus, cette digression, accoutumé qu’il est aux valeurs de l’aristotélisme ambiant, quasi pacte social qui réduit l’œuvre d’art aux leçons qu’elle dispense, marginalisant alors les aspects les plus artistiques de la chose, et forçant le texte, ou tout autre apparence forgée, à ne pas dépasser les limites imposées par la garantie de discussions purement formelles, laissant au fond les soubassements non seulement de la pensée, qui est universelle, mais aussi ses combats d’intérêt dont le sang n’est pas le moindre aspect de l’ignominie qui conclut, toujours provisoirement, car il n’est pas impossible que le temps ne soit que l’espace de l’espace, par le triomphe des maîtres et de leurs domestiques, toutes communautés confondues. Moi, Rogerius, écrivant ce que nul autre ne peut écrire à ma place, composant plus ou mieux qu’écrivant avec la palette de mes impressions et non pas construisant comme le font les connaisseurs et les inventeurs, je me sers de l’écriture pour former le monument de ma présence, rien de plus, et je ne demande pas qu’on s’y recueille ni même qu’on en transmette la fortune, car cet édifice n’est point un palais, mais une habitation conçue uniquement dans la perspective de sa fenêtre et de sa porte. On a vu ici, en lisant, qu’il est beaucoup question de rêve et d’apparence, et que la réalité, qui selon le Sage eût été la seule proie propice de l’homme si l’homme eût su profiter de son avantage sur les autres animaux de sa race, n’est perçue qu’à travers l’écran, ou le filtre, de ce qu’il convient d’appeler la poésie, autrement dit de l’usage, si la métaphore n’est pas de trop ici, d’une palette plutôt que d’une autre, et de ce temps, celui du texte, plutôt que d’une autre durée dont les couleurs confineraient finalement à l’imposture, alors que l’écriture ne connaît pas d’autre sens que ses recommencements bien loin des cimentations de la plastique, incluses celles de la cinématographie qui n’est qu’une illusion et non point, comme je veux, un état impossible à changer dès lors qu’il a pris forme. On ne s’étonnera donc pas de l’usage que je fais ici du rêve et de ses implications au niveau des apparences dont je suis, pour l’heure, le seul garant, laissant aux aventures des sciences et des technologies l’avantage de la réalité conçue ici comme le spectateur privilégié de l’antichtone que je suis quand je voyage, presque chaque jour, du lieu de mes apparences aux personnages de mes rêves. Le blason de ma famille [Note 1], en usage depuis toujours, dira à quel point j’ai situé la lecture du présent texte entre les apparences et la réalité, cette fois aux antipodes du rêve qui est, que je sache, la seule méthode de construction capable de pallier le défaut de connaissances et le déficit d’invention.

 

Ce que nous vîmes alors.

J’en étais à la poussière soulevée par les sabots de l’animal, comme je peinais à le dire à Ginès qui me soulevait pour m’en préserver, effort qui ne le privait pas du rire ni des commentaires participant au rire que les autres avaient initié en arrivant les premiers sur les lieux où, pinçant ses lèvres bleues, Marette soufflait inlassablement dans le pipeau, lequel, s’il émettait un son, ne se signalait que par ce qui apparaissait de lui au dehors de l’anus toujours enclin à souffler dans l’autre sens, ce qui expliquait sans doute l’alternance de grimaces dégoûtées et de gonflements obstinés dont le maire de Mazères était la proie, encore que la queue de l’animal participât à sa posture pour le moins comique, en quoi nous riions, en fouettant avec la même alternance sauvage ce visage surpris en flagrant délit de jouissance parallèle que les sabots menaçaient d’interrompre par une souffrance autrement réelle. Comme il ne s’était pas déculotté, selon l’usage commode des rapports sexuels tels que nous les pratiquons encore de nos jours, les filles, celles de joie comme celles de service, désignèrent le pipeau sous le nom de « bite », considération qui augmenta sensiblement la force propulsive du rire qui agitait les épaules de Ginès sur lesquelles s’appuyait sans retenue notre hôtesse répétant à l’encan que c’était « une drôle de bite » et qu’elle n’en avait jamais vu qui possédassent autant de trous, autant derrière que devant, et sur le dessus, car Marette s’était appliqué à disposer son instrument dans le sens que les joueurs n’envisagent que par rapport à l’usage qu’ils font de leurs doigts pour accompagner le souffle qui les inspirent. Les yeux larmoyants autant par l’effet de la poussière que par le spectacle que donnait l’édile de sa propension à user et abuser des choses regardant le sexe et ses dépendances, je pris une photographie, promettant à haute voix de la communiquer à la Presse locale dont j’étais le pigiste préféré, ce que Ginès n’ignorait pas, puisqu’il posa fermement, toutefois à une distance le mettant à l’abri des coups de pieds et sous le masque que l’hôtesse formait joyeusement avec ses doigts agiles entrecroisés à la demande du loup qu’elle enfermait ainsi dans la basse cour de ses désirs les moins secrets, toute publicité de son établissement étant la bienvenue, comme elle me le disait en me faisant signe de cadrer de son côté, Ginès ne tenant pas à être reconnu comme le voleur de l’âne de Sancho. Le berger s’interposa :

— C’est ma flûte ! lança-t-il posément comme s’il plaidait.

— On plaide ! s’écria la Présidente qui arrivait cul nu, car, comme nous l’avons conté précédemment, sa culotte, peut-être volée, avait disparu.

Mais Marette s’acharnait. Il semblait bien qu’il était impossible de l’arrêter. Le cri de l’âne se répercutait dans les montagnes environnantes, à peine changé par les éclats de rire et les gloussements des poules et des servantes. La Présidente en conçu une crotte de la taille d’un basson, dit Ginès en observant la chose que la magistrate avait abandonnée au regard et dont elle s’était éloignée parce qu’elle ne reconnaissait pas cette odeur, selon ce qu’elle disait. Mon diaphragme donnait des signes de spasmes.

— Voilà donc le voleur de ma flûte ! gémit le berger.

La Présidente s’interposa, mesurant les écarts de l’âne sans aucune attention pour ses fesses salies.

— Loulou ! rugit-elle. Mon légionnaire d’honneur ! Mon inspirateur lexical ! As-tu volé cette flûte ? Et si tu ne l’as pas volée, qui te l’a mise dans les mains ?

Le procès commençait. Il n’était plus question de rire avec autant de foi. Quelques bouffées de chaleur colorèrent les joues des filles. L’hôtesse ne posait plus.

— C’est comme ma culotte, continua la Présidente. Quelqu’un peut-il me dire, sans dénoncer personne, où elle est en ce moment ?

Nous fîmes silence, ce qui augmenta la puissance du cri de l’âne. La Présidente arracha alors Marette à ses occupations. La chemise en craqua. Un bouton valsa dans notre direction. Et le pipeau, ou flûte, fusa dans le ciel, car l’âne, enfin soulagé, avait plié ses pattes de devant et, le cul en l’air, et la queue dressée comme un fanon, avait pété sans ménagement, effluves qui se mêlèrent à celles que la Présidente transportait avec elle et dont elle avait déposé un exemplaire à nos pieds, peut-être pour marquer son territoire, usage fort commun chez les magistrats depuis la Collaboration dont nous tairons les autres effets de crainte d’en dire trop et pas assez en même temps.

— Vas-tu parler enfin, Loulou ! cria-t-elle.

Marette s’ébroua. Il revenait de loin. Les filles étaient parties à la recherche de la flûte, car, dirent-elles, les disputes entre les maîtres de ce monde ne les intéressaient guère, d’autant qu’elles n’y comprenaient rien et que personne n’était disposé à leur expliquer pourquoi (elles ne comprenaient rien). Marette rouvrit les yeux.

— Qu’est-ce que j’ai pris ! fit-il.

Les filles n’étant plus là pour rire avec nous, Ginès et moi nous appliquâmes à remettre l’âne sur ses pattes, ce qu’il accepta sans autre cri. Nous tournions le dos à la scène maintenant constituée. Nous nous dirigeâmes vers les écuries où rouillait une automobile d’un autre âge, celui de nos artères. La marionnette nous attendait. Par contre, le cheval de bois avait disparu. J’eus le temps de le voir disparaître. Il descendait la pente vers la rivière.

— Ça boit, un cheval de bois ? demandai-je bêtement.

De l’autre côté de la cour où s’égaillaient d’autres poules moins jacasses et peut-être aussi moins heureuses de vivre, le berger refusait obstinément de prendre la flûte que la Présidente lui tendait, car elle l’avait arrachée de la bouche de Marette. De loin, on comprenait l’embarras du berger, mais la Présidente ne voyait pas d’inconvénient à mettre la main sur ce qui ne lui appartenait pas. Le berger reculait. Et elle avançait. Marette, privé de son jouet, sortit sa médaille pour la secouer, mais comme personne ne venait à lui pour partager ce jeu, il la mordilla en souvenir de l’Empereur.

— Et sa culotte ? demandai-je à Ginès.

— C’est pas moi, fit-il.

Je n’imaginais pas mon ami Ginès recélant une culotte de présidente avec ce qu’elle contient d’arguments propices à l’avancement et aux préférences de la postulation. Nous étions à l’abri maintenant. On entendait le rire des filles. Même le cheval de bois hennissait, ce qui ne laissa pas de m’étonner, car je ne l’avais jamais entendu prononcer une seule parole. Sur ce, la Présidente fit le point :

 

Décision de justice prise sur le champ de l’honneur en faveur de l’une et de l’autre partie.

— Mon Loulou, tu es dans de beaux draps ! Et ce n’est pas à l’école des cadavres que tu trouveras la solution à tes problèmes de kleptomanie. J’ai moi-même essayé la bagatelle, mais le massacre avait déjà eu lieu. (Elle se tourna alors vers la façade grise de l’hôtel où nous avions déjà nos habitudes, ce que l’hôtesse avança comme argument de son innocence, auquel la Présidente répliqua :) Personne ne vous accuse encore, d’autant que ce pipeau, ou flûte, n’a peut-être été qu’emprunté, le temps de se livrer à une occupation qui relève du domaine privé, auquel cas ce tribunal se déclarera incompétent et le prévenu, en la personne de cet honorable légionnaire de l’honneur, pourra alors disposer de sa liberté comme il l’entend, quitte à vider nos caves jusqu’au dernier flacon (Marette se redressa en entendant cette promesse à peine dissimulée). Monsieur le berger, poursuivit la Présidente qui perdait des eaux, si ce pipeau, ou cette flûte, n’a pas été endommagé par l’usage qu’en a fait Marette ici présent (Marette se pencha pour saluer cette appréciation), vous ne pourrez pas réclamer une indemnité puisque tout le temps que vous avez été privé de votre instrument, vous l’avez passé à dormir pendant que Marette, lui, ne chômait pas comme cet âne (où est-il ?) en témoignerait si la parole lui été donnée. (S’approchant du berger qui n’a toujours pas repris possession de la flûte et qui grimace en protégeant ses mains sous ses aisselles) Vous n’avez qu’à la tremper dans la solution de votre choix pour qu’elle retrouve tout son éclat, si jamais elle a brillé ailleurs que dans le cul de cet âne (où est-il ?) grâce au souffle que lui a communiqué Marette sans que personne, ni même vous, ne lui ait rien demandé (Le berger fait le signe qu’il renonce à récupérer sa flûte). En foi de quoi, constatant que le plaignant, à savoir un berger dépossédé de sa flûte, ou pipeau, flageolet de l’octave, laquelle est réintégrée dans son patrimoine car il ne s’en servait pas quand l’emprunteur, dénomination désormais en usage par décret de l’autorité que je représente, à savoir le peuple de France, ne prétendait rien d’autre que d’agrémenter ses divertissements conformément aux us et coutumes (ici, le berger eut un geste de dépit), refuse d’assumer sa responsabilité de propriétaire sous prétexte que la propriété qui lui est rendue a servi à d’autres fins qu’à celles qui expliquent sa disparition provisoire, nous, Justice et tout le Saint-Frusquin, déclarons qu’il n’y a pas eu vol, ni même emprunt avec vice du consentement, déboutons ledit berger de sa demande et rendons à Louis Marette, maire de Mazères et hôte de ces lieux (l’hôtesse s’inclina, montrant les portes des placards qui ne contenaient effectivement rien d’autre que le linge de maison et tous les ustensiles de sa profession, clystères et forceps, poire d’angoisse et contrepoids d’estrapade), la liberté qui lui est si chère qu’il sait nous en faire profiter aussi un peu de temps en temps (La Présidente secoua la flûte, quelques gouttes infâmes giclèrent). Ajoutons que, compte tenu que le plaignant déclare ne pas souhaiter rentrer en possession de son bien, le restituons à Louis Marette qui promet de ne plus s’en servir pro anus, ni per asinus, et surtout pas in asnus anusum, mais de réserver cet usage délicat à celles et à ceux qui en font la demande sans autre ambiguïté que le paradoxe de leur désir.

Et la flûte, à la fin de ce discours péremptoire, retourna dans les mains de Marette qui aussitôt la porta à la bouche où elle avait acquis des habitudes, au son de quoi l’âne, que je tenais par le licol, se remit à crier en ruant, tandis que Ginès, riant de plus belle, appelait les filles, les unes et les autres, pour les inviter à se régaler de la reprise du spectacle car la Justice, en la personne de la Présidente au cul plein de merde générique, venait d’autoriser Louis Marette, délinquant repenti, à user des instruments de la musique comme bon lui semblait et comme il était d’ailleurs en train de l’exprimer en chatouillant l’anus de la Présidente avec le souffle qu’il introduisait dans le chalumeau, caresse dont elle ne négligeait pas les avantages, pour la forme laissant à son bourreau le soin de relever sa robe, car elle ne voulait pas qu’on crût à sa complicité relative même restreinte à l’écartement inexplicable autrement des cuisses et des genoux que le véritable flûtiste, à savoir le berger maintenant dépourvu de son instrument, reluquait comme s’il en devenait, par l’enchantement d’une décision de justice ne le contraignant pas à souiller ses mains, l’acquéreur chanceux juste le temps de penser à autre chose, comme c’est écrit dans le grand livre des lois votées au Parlement, institution dont il n’était pas le moins actif des admirateurs inconditionnels.

 

Des conséquences de la reprise par Marette de ses activités sexuelles par l’intermédiaire d’une flûte et de ses effets sur l’anus de la Présidente.

Ayant en quelque sorte procédé au remplacement de l’âne, qui appartenait à la fois au rêve et aux apparences telles que j’en fais le rapport circonstancié dans ce texte de progression aristotélicienne, mais de conception digressive alimentée par le jeu, ou frottement sémantique des parties jouées par pur plaisir d’en être le nœud gordien, des péripéties et de leurs contraires envisagés comme solution d’un problème non encore exposé même sous forme d’hypothèse, et encore qu’il soit difficile de désigner à coup sûr le sujet agissant, à savoir s’il s’agit de moi, Rogerius, auteur des présentes, ou de Marette, qui tenait la flûte, l’ayant peut-être définitivement soumise aux conditions de la crasse intérieure, celle-ci fût-elle d’origine animale (et alors entre ce rêve et cette apparence il faut chercher évidemment l’auteur d’une poésie qui fait mieux que montrer son nez) ou humaine, cette fois en la personne réelle de la Présidente qui, après avoir œuvré pour se trouver à l’endroit où l’âne l’avait précédée, secouait son popotin dans le sens de la musique, comme fait l’âne pour avoir du foin, enseigne le dicton, par ladite présidente, moi, Rogerius, ou Marette, selon l’idiosyncrasie du lecteur encore à l’aise au moment où je propose cette alternative somme toute digne d’un enjeu littéraire à la hauteur de la figure formée par l’extension de ces deux multiplications paires, jouait (l’un ou l’autre ou l’un et l’autre ?) de la flûte par le bon trou (l’un ou l’autre, car il n’y a qu’un seul trou à ma connaissance), sifflet commode qui n’exige pas du souffle autre chose que son renouvellement coïncidant avec la mesure confinant le rythme choisi pour l’heure, à fleur, si cet organe chantant de la nature en fête n’est pas de trop quand c’est elle qui va à l’anus et non pas l’anus qui revient à elle, du sphincter dilaté à l’extrême que la magistrate exposait aux vibrations sonores et lumineuses qui en composait le spectacle et en nourrissait l’attente, de laquelle j’étais le sujet, comme d’autres se prenaient pour son objet, cette fois seul face à cet immondice proposé comme entrée d’un mode d’existence pour lequel je n’éprouvais aucune sympathie, comme mon goût pour la modernité m’éloigne depuis toujours des futilités du théâtre dit classique par les tenants d’une république dont le principal objectif, sur le plan législatif, est d’interdire l’instauration du premier amendement américain en activant à la surface de la nation les jouets de l’égalité, imposture première bornée par les promesses d’équité, et les reliques de la fraternité gisant dans les effets de la poudre aux yeux des conditions de la solidarité, vertus théologales quasiment.

 

Entrée d’une vagabonde qui se rappelle au souvenir de Marette.

D’ailleurs Ginès remontait avec les filles, les unes à son bras et les autres devant ouvrant un passage de fleurs et de reflets, quelques-unes se bouchant les oreilles, ce qui ne manqua pas de troubler mon esprit, car il n’était pas possible, dans ces circonstances complexes, de distinguer les causes des effets, l’âne criant au bout du licol que je tenais fermement pour ne pas me laisser emporter par sa volonté, et la flûte caressant de son souffle l’anus agité de la Présidente, à quoi il convient de joindre, comme sur le papier, premièrement les ânonnements que le plaisir lui arrachait avec son gré, deuxièmement les commentaires hachés de Marette qui ne respirait plus que par ce moyen détourné, et enfin troisièmement, si j’avais quelque rapport avec la Présidente par le truchement de la flûte, comme il est dit supposément plus haut, non point ce qui sortait de ma bouche, car j’en destinerais alors la matière tout entière au sifflet, occupant mes doigts à explorer la gamme des trous percés à mon attention, mais ce que je lâchai dans l’air pyrénéen à travers le papier joseph qui tapissait le fond de ma culotte. En arrivant sur le théâtre de nos opérations, Ginès et sa troupe mi-virginale s’appliquèrent à bien nous montrer qu’ils se bouchaient le nez, excepté le cheval de bois, tiré au bout d’un cordon par deux vierges qui ne cachaient rien de leur expérience en la matière, que la marionnette avait rejoint les bras en croix, ouvrant une bouche démesurée d’où semblait sourdre le cri de l’âne que je tenais toujours, mais avec moins de fermeté depuis que ces deux objets, le cheval de bois et la marionnette de chiffon, posaient clairement la question de leur animation, par qui, par quoi, comment ? mais je n’eus pas le temps d’y penser plus systématiquement car, ce que la marionnette venait saluer avec ses bras, ce n’était point le cheval, qui ne s’y trompa pas, mais la femme qui le chevauchait et que la troupe de Ginès ramenait ainsi du talweg où ils l’avaient trouvée, selon ce que haletait Ginès dans l’empreinte d’un bonheur de pacotille, couverte de sueur et dans ces mêmes haillons, la bouteille agile et le gosier toujours sec, brayant que Marette l’avait volée et qu’elle l’avait suivi pour lui donner une leçon, plainte qui ne tomba pas dans l’oreille d’une sourde. L’anus de la Présidente cessa d’onduler. Marette crut à une paralysie. Il sombra dans l’alcool.

 

Premier dialogue entre la Présidente et la vagabonde.

— Cela mérite une explication ! grogna la Présidente.

Tout le monde hocha la tête sans rien dire, y compris la vagabonde qui mit pied à terre non sans avoir préalablement flatté l’encolure cloutée du canasson factice, lever de jambe qui fit apparaître la fraîcheur de son cul car, contrairement à la Présidente que l’absence de culotte invitait à l’emmerdement, celle-là conservait les effets de la caresse comme si elle n’en connaissait que les aspects idylliques, portant ailleurs les traces d’un amour moins pondéré comme me le suggéra le clin d’œil complice de Ginès qui, si j’avais bien compris, avait pris le temps de s’informer.

— Ah ça ! s’écria la Présidente en apercevant les fesses roses et claires de la vagabonde, vous ne portez point de culotte !

La vagabonde souleva ses jupes pour confirmer ce que nous savions déjà et je commençais à resserrer le nœud qui tenait l’âne par l’autre bout, ce qui ne manqua pas de diminuer la force de son cri et de lui inspirer une autre crainte plus substantielle que celle, de nature inconnue en tous cas de moi, qui le poussait à crier alors que la flûte était entre les mains de Marette et qu’il la pétrissait comme si par cette pression constante et appliquée il comptait en extraire une substance plus en accord avec ce qu’il voyait, belles fesses au duvet blond qui surmontait un entrejambe aux perspectives fuyantes, jambes dont l’envers des genoux fleurissait de gouttes cueillies au passage des herbes folles, et pieds agiles aux talons relevés tout en nuance de rose. L’âne, garrotté comme il faut, cessa de crier.

— Expliquez-vous ! fit la Présidente.

— Oh ! Vous n’étiez pas bien loin vous-même, commença la vagabonde.

— Et j’étais où, si on peut le savoir sans écouter vos mensonges ?

— Dans les chiottes, madame.

— C’est possible… Tout le monde y va !

— Et vous y avez perdu votre culotte.

— Je ne perds jamais ma culotte de cette façon ridicule !

— Faut-il qu’on vous la retire ?

— Cela ne vous regarde pas ! On ne me retire jamais que ce que je veux qu’on me retire. Sinon, on ne me retire rien !

— Alors où est passée votre culotte, madame ?

— Elle n’est pas passée, jeune fille ! Ce n’est pas une façon de parler de ma culotte que de dire qu’elle est « passée ».

— La mienne, poursuivit la vagabonde sans cesser de s’amuser, c’est Marette qui me l’a volée. Là (elle montra la vallée) où vous avez l’habitude de chier avec ou sans votre culotte.

La Présidente haussa les épaules. Une crotte dégoulina sur son genou, puis se déposa sur son coup de pied. Elle la botta.

— Prouvez qu’il vous l’a volée, dit-elle en souriant elle aussi.

Puis son visage se renfrogna :

— Marette ne vole jamais la culotte des autres ! déclara-t-elle en se haussant sur la pointe des pieds.

— Allons fouiller sa chambre, proposa l’hôtesse.

— Sans com’, pas question ! fit la Présidente.

Mais la troupe s’était déjà tournée vers l’auberge. L’âne était mort.

 

Lamentations supposées de Sancho Panza en attendant d’entrer avec les autres dans la chambre que Louis Marette occupe pendant ce séjour.

« Ô mon aliboron qui âne fut et âne n’est plus, capital d’un voyage que je ne fis que par la pensée, car je dormais suite à mes aventures alimentaires entrecoupées de discours qui en disaient long sur la teneur en plaisirs du moindre épisode conté sans autre intention que d’en revenir l’esprit chargé comme les bras qui me portent, ô maître du gazon et des chemins qui ne mènent nulle part si c’est là qu’on veut aller et ici quand rien n’est encore décidé, vestige et profil de moi-même, condition même posée à la domesticité, ô animal sans l’être et être sans animalité, combien de fois me suis-je réveillé sans toi, perché en haut du bat qui surplombait l’herbe tondue par tes gencives, désespéré de ne te revoir plus jamais, et te reconnaissant dans chaque âne ne dépendant point de ma volonté, ta parenté m’a fait crier mon nom au lieu du tien, tant et si bien qu’on m’a demandé de cesser de m’appeler moi-même sous peine d’être pris pour un fou à la place de mon maître que cette triste situation amusait, alors qu’il aurait dû commencer à se dissiper comme la brume dès que le matin appartient enfin à tout le monde, ô abruti, andouille, âne bâté, bourrique, bûche, buse, cave, cerveau ramolli, cloche, con, cornichon, couenne, courge, crétin, cruche, débile, dégénéré, demeuré, dindon, enflé, gâteux, gland, gogol, gourde, huître, innocent, légume, manche, moule, nouille, œuf, patate, pauvre d’esprit, pochetée, primate, saucisse, simple d’esprit, taré, tarte, truffe ! â si je n’avais pas connu ce Ginès qui folâtre avec les marionnettes de mon imagination, et si j’avais rêvé au lieu de dormir comme il n’est pas permis à l’homme d’exister dans un lit de verdure aussi fleuri que les promesses d’île et de gouvernement ! je ne serais pas mort maintenant que tu me crois encore vivant, toi trottinant derrière un roussin d’Arcadie qui peine sous l’armure et les projets irréalisables, et cet homme qui m’achève et qui croit te réduire au silence ne m’appelle plus par mon nom, ne me reconnaît plus, ne s’embarrasse pas de cérémonies, ne trouve pas un mot à dire pour regretter la sinistre inutilité à laquelle il t’a condamné en attendant qu’on vienne lui dire qu’on a retrouvé la culotte et qu’ainsi, pendant qu’il pillait le dictionnaire pour te traiter de mort, son récit avait retrouvé sinon le sens du moins la légitimité nécessaire à son recommencement, comme on va le voir au sortir de cet impromptu qu’il m’attribue parce qu’il est pétrifié par ce qu’il vient de commettre sur ma personne, moi l’âne que tu n’es plus et toi, l’homme que j’eusse pu devenir si j’avais été aussi bête que toi ! » et ainsi pendant plus d’une heure que je passai au chevet de cet âne qui n’avait pas mis plus d’une demi-minute pour expirer, fragilité intrinsèque que j’étais en droit d’ignorer mais que je me reprochais comme le moindre des crimes commis contre les personnages qui doivent disparaître au moment où ils n’ont plus d’utilité.

 

Mise en vers français des précédentes jérémiades sous forme de complainte.

 

« Ô mon aliboron qui âne fut fut fut

Et âne n’est plus plus, capital d’un voyage

Que je ne fis que par la pensée la pensée,

Car je dormais suite à mes avenventures

Alimentaires entrecoupées de discours

Qui en disaient long sur la teneur en plaisirs

Du moindre épisode conté conté conté

Sans autre intention que d’en rerevenir

L’esprit chargé comme les bras quiqui me portent,

Ô maître du gazon et et et des chemins

Qui ne mènent nulle part si c’est là qu’on veut

Aller et ici quand rien n’est encore dé

Décidé, vestige et profil eu de moi-même,

Condition même posée à à à à à

La domesticité, ô animal sans l’être

Et être sans animalité, combien

De fois me suis-je réveillé sans sans toi toi,

Perché en haut du bat qui qui sursurplombait

L’herbe tondue tondue par tes par tes gencives,

Désespéré de ne te revoir plus jamais,

Et te reconnaissant dans dans dans dans chaque âne

Ne dépendant point de ma volontélonté,

Ta parenté m’a fait crier mon nom au lieu

Du tien, tant et si bien qu’on m’a m’a demandé

De cesser de m’appeler moi-même sous peine

D’être pris pour un fou à la place de mon

Maître que cette triste situation

Amusait, alors qu’il aurait dû commencer

À se dissiperper comme comme la brume

Dès que le matintin appartient enfin

À tout le monde, ô abruti, anandoudouille,

Âne bâté, bourrique, bûche, buse, cave,

Cerveau ramolli, cloche, con, cornichonchon,

Couenne, courge, crétin, cruche, dédébibile,

Dégénéré, demeuré, dindon, enfléflé,

Gâteux, gland, gogol, gourde, huître, innocentcent,

Légume, manche, moule, nouille, œuf, patatate,

Pauvre d’esprit, pochetée, primate, saucicisse,

Simple d’esprit, taré, tarte, trutruffeffe !

 si je n’avais pas connu ce Ginès qui

Folâtre avec les marionnettes de mon

Imagination, et si j’avais rêvé

Au lieu de dormir comme il n’est pas permis à

L’homme d’exister dans un litlit de verdure

Aussi fleuri que les propromesses d’îdîle

Et de gouvernement ! je ne serais pas mort

Maintenant que tu me crois encore vivant,

Toi trottinant derrière un rouroussin d’Arcacadiedie

Qui peine sous l’armure et les proprojetjets

Irréalisables, et cet homme qui qui

M’achève et qui croit te réduire au sisilence

Ne m’appelle plus par mon nom mon nom non nom,

Ne me reconnaît plus, ne s’embarrasse pas

De cécérémonies, ne trouve pas un mot

À dire pour regretter la la la la la

Sinistre inutilité à laquelle il t’a

Condamné en attendant qu’on vienne lui dire

Qu’on a retrouvé la culotte et qu’ainsisi,

Pendant qu’il pillait le dictionnaire pour pour

Te traiter de mortmort, son récit avait a

Vait retrouvé sinon le sens du moins la la

Légitimité nécessaire à son son son

Recommencement, comme on va le voir voir voir

Au sortir de cet impromptu qu’il m’attribue

Parce qu’il est pétrifié par ce qu’il vient

De cocommettre sur sur ma ma perpersonne,

Moi l’âne que tu n’es plus et toi, l’homme que

J’eusse pu devenir si si j’avais été

Aussi bête que toi ! Aussi bête que toi ! »

 

Remarques sur la rime dans son usage en poésie et sur la parité des vers dont le nombre est impair (ici).

À cet endroit, ou niveau dramatique, du récit, le lecteur, importun s’il veut savoir ce que je pense de lui, objectera que tout ceci, en prose ou en vers, n’est qu’une honteuse excuse pour ne pas suivre les autres dans la chambre de Louis Marette où le plus grand nombre des participants à l’enquête compte bien résoudre ce qu’il convient d’appeler « l’affaire de la culotte » en attendant non seulement de savoir, de jure, si le maire de Marette est le voleur de cet objet intime et, fait au fond beaucoup plus significatif des complexités narratives de notre époque, à qui appartient cette culotte, étant donné que la vagabonde ne jure que par sa propriété, allégation dont son cul parfaitement nu témoigne sans toutefois la placer incontestablement dans ce qu’elle estime être son droit, tandis que l’attitude de la Présidente demeure ambiguë à ce point que son propre cul, tout aussi dénudé, peut-être à cause de la merde qui l’oint, semble réclamer qu’on lui rende sa culotte sans autre forme de procès, car les projections d’excrément ont fini par fatiguer le public venu nombreux assister à l’opération procédurale consistant à entrer dans la chambre dudit Marette pour en explorer non seulement les tiroirs et autres contenant prévus à cet effet, mais aussi et peut-être surtout les séjours moins évidemment destinés à recéler une culotte dont nous ne connaissons toujours pas l’état de propreté, indice qui au premier coup d’œil qualifiera la propriété, si le cul, celui de la Présidente ou celui de la vagabonde, y est pour quelque chose. Cette métaphore, exprimée ici par le moyen de la phrase augmentée de ses propositions, dans le cadre strict de la relativité des relations de sens et de la subordination tempérée, comme au piano, qui agit sur le sens pour quelquefois le retourner comme le gant à six fourreaux de Francion, est l’occasion, que je ne laisserai pas passer, de s’exprimer un tant soit peu sur la valeur de la rime en poésie, sachant que nous venons de nous adonner sans mesure à la prosodie de la langue française et principalement à ses rythmes, sans toutefois marquer le bout de l’alexandrin par la borne sonore qu’une tradition mal partagée, c’est le moins qu’on puisse dire, veut imposer au retour à la ligne qui fonde à la fois le graphisme du vers et la nécessaire pause qui l’attend au tournant de sa réelle signification, exercice auquel nous a habitués de longue date aussi bien le Dialogue de l’arbre que les Vents et autres souffles de la poésie lyrique. On arguera, comme mauvais prétexte trahissant heureusement la soumission au dogme national des monuments inventés pour la cause, qu’il n’a jamais été question de doubler, et encore moins de tripler ou pire de quadrupler les syllabes pour obtenir ainsi le compte, jugé alors fallacieux et sans relation avec la dignité du vers tel que la sagesse classique, précédée d’autres tentatives de réclusion du sens et de ses conséquences imprévisibles, l’a léguée jusqu’aux futures générations de poètes et d’amateurs de poésie et que du coup, une explication de l’absence (intolérable) de rimes n’a aucune espèce d’importance. Reconnaissons-là que c’est la bonne méthode pour nous couper l’herbe sous le pied. Je vois d’ici madame la Présidente qui exprime par un sourire narquois toute l’étendue de sa victoire, mais a-t-elle seulement établi un rapport de cause à effet entre le rythme donné aux alexandrins que nous avons produits ici sur la base d’une prose dont le sens n’a pas été changé par cette transformation formelle (et poétique) et la rime que nous avons abandonnée à l’imagination du lecteur ? Les gargouillements de ses tripes témoignent assez (n’allons pas plus loin dans le fondement) qu’aucun rapport, de quelque nature que ce soit, n’a été trouvé et que par conséquent il est parfaitement légitime et pertinent de se passer de rimes et même d’en parler. Certes, nous n’avons pas l’intention de composer ici un traité de versification, d’autant que, ne l’oublions pas, nous sommes dans un roman et que les romans ne se versifient plus, du moins ne riment-ils plus, ce qui ne les éloigne pas du rythme que d’ailleurs la richesse de leurs possibilités narratives multiplie à l’infini. Nos alexandrins, par une pratique imitée de Racine et autres versificateurs patentés de la prose, poétisent à la fois visuellement et musicalement ce qui n’était que récit et ce sans appeler à la rime qui ne manque pas parce qu’elle s’absente. Cette dernière relation (récit) nous mènerait trop loin dans l’essai, ce qui nuirait encore mieux que la poésie à la tenue de notre roman. Or, moi, Rogerius, je tiens à demeurer le romancier des faits sans perdre la mesure qu’il convient d’accorder aux ressources propres de la poésie (la rime exceptée) et aux emplois correspondants de l’essai, voire du traité. Il n’est donc pas difficile d’en conclure que ce n’est point par lâcheté que j’ai pris le temps de tuer l’âne (une expression qui passera dans le langage courant) avant d’entrer à mon tour (le dernier, soit !) dans la chambre déjà sens dessus dessous de Louis Marette qui, inspiré par l’alcool plus que par ses connaissances pastorales, soufflait dans le pipeau pour ne pas en jouer, le cul de la Présidente étant à l’œuvre, consciente qu’elle était que la vagabonde n’avait d’autres projets que de lui ravir sa culotte, ou le contraire !

— Cela est fort bien, mais vous n’avez rien dit de la parité de vos vers…

— …lesquels sont soixante-neuf. Donc impairs.

— Alors parlez-nous de l’imparité de vos vers !

— Sans la rime !

 

Reprise du récit sans autre explication.

Revenons un peu en arrière, au moment où, entrant dans la chambre de Louis Marette, je le vis qui jouait du pipeau, assis sur une chaise qui portait ses vêtements de nuit, un peu à l’écart du seul groupe qui fouillait les orifices des murs et les interstices latents du plancher, ceci afin de nous réserver une place, romanesque si l’on veut, à ce que je dis de l’imparité de mes vers. Debout sur le lit qui était défait car les femmes de chambre n’était pas encore à l’œuvre en ce tôt matin de vacances montagnardes, Ginès semblait orchestrer la perquisition alors même que la Présidente affirmait que ce ne pouvait en être une pour des raisons que personne n’avait envie d’écouter tellement le désir s’était immiscé dans les esprits, penchant pour les arguments et les allégations de la vagabonde dont le cul continuait d’exercer son influence au détriment de ce que la Présidente manigançait sans parvenir à imposer ce qu’elle n’exprimait pas encore. Invité à mélanger mes mains aux autres, je les mis où je pus, car elles étaient conduites et je n’avais pas l’intention de résister à ces gentilles poussées que la chair me destinait non sans caprices et réticences. Je captais des joies sommaires, le pipeau de Marette ne cessant lancer ses faux arpèges et les conversations ne parvenant pas à se nouer. L’hôtesse, plus méthodique, mesurait le cadre des recherches sans en trouver l’hypothèse la plus probable et son visage ne participait plus à la joie commune. Je la surveillais sans perdre mes apparences d’expert, ce qui me valait maintes caresses auxquelles je répondais par d’autres chatteries qui justifiaient des commentaires moins innocents, mais qu’y pouvais-je changer si j’avais tué l’âne ?

— À quoi peut bien ressembler une culotte cachée ? dit l’hôtesse.

— Qui vous dit qu’elle est pleine de merde ! grogna la Présidente.

Car nous ne pouvions nous empêcher de renifler avant de découvrir la latte de plancher ou le lé de tapisserie, sachant que l’odeur du cul de la Présidente était si forte qu’il était pratiquement impossible de la distinguer d’une autre. La vagabonde pétait doucement en espérant se distinguer. La confusion provoqua des convulsions.

— Nous ne trouverons rien, dit la Présidente qui pensait que sa culotte devait gésir dans la fosse d’aisance dite du petit Robert à Foix comme nous en avons bavassé dans le détail dans le chapitre précédent celui-ci.

Mais le pensait-elle vraiment, alors qu’elle était la plus active des chercheuses, et la plus rapide à démonter les assemblages de bois et à déchirer ce qui résistait à son analyse ?

— Nous la trouverons ! répartissait la vagabonde alors même que la flûte aspirait ses effluves intestinaux et que Louis Marette était au bord de l’étouffement à force de se priver d’expiration, par un usage de la flûte fort peu commun aux flûtistes, détail révélant à l’encan qu’il n’était pas en train de jouer et que sa partition était écrite par un autre.

Les deux rivales en étaient à se toiser à distance, mais les éclats de rire des filles, de joie comme les autres, étaient tellement étourdissants que je ne songeais pas une seconde à imaginer ce qui se passerait sitôt que nous aurions mis la main sur la culotte avec ou sans la merde qui en désignerait la propriétaire légitime.

— Nous avons épuisé le sujet, semble-t-il, dit la Présidente d’un air satisfait car nous revenions maintenant sur les endroits déjà explorés, signe d’épuisement qui se lisait aussi sur le visage moins rieur de la vagabonde dont je tentais d’adoucir les mœurs, par un exercice d’assouplissement pratiqué en harmonie atonale sur le registre du contretemps.

Marette cessa d’aspirer l’air de sa flûte.

— Pas de culotte, dit-il, pas de voleur !

La Présidente éclata de rire :

— Pas de voleur, exulta-t-elle, une menteuse !

Je retins le bras de la vagabonde, ce qui me rapprocha de son cul. Ginès cligna de l’œil et Marette reprit aussitôt ses aspirations, ce qui m’éloigna du cucul.

— Nous n’avons pas cherché sur les personnes, dit une servante. Faut-il chercher là aussi ? demanda-t-elle avec une nuance d’innocence qui dévoila un peu son épaule.

L’hôtesse voulait prendre le temps de réfléchir. La Présidente s’opposa. Ginès dit qu’il trouverait cela amusant. Les filles l’approuvèrent. Les regards me déshabillèrent littéralement. Les mots me manquaient.

— De toute façon, dis-je au berger qui observait la scène depuis le début sans en avoir franchi le seuil (ce qui expliquait que je l’avais bousculé en entrant après avoir tué l’âne et avant d’avoir fourni la thèse de l’imparité de mes vers) on ne peut plus dire qu’il vous l’a volée (la flûte, est-il besoin de le préciser ?) puisque vous la lui avez finalement donnée.

— Je m’insurge ! explosa le berger. Elle était merdeuse comme le cul de cette…

— Merdeuse oui ! fit la Présidente, mais je n’y étais pour rien !

— S’il n’avait pas tué l’âne…

Qui parle ? Je me mis à fouiller plus intensément, ce qui ne laissa pas d’étonner ma compagne la plus proche.

— On a déjà fouillé là-dessous, mec ! dit-elle sans rire.

— Je sais bien qu’on a fouillé là ! dis-je un peu brusquement. Je ne suis pas stupide à ce point !

— Mais vous refouillez, monsieur…

— Et que croyez-vous que je vais trouver si j’ai déjà fouillé, hein ?

Elle me regarda comme si je n’avais rien dit. Elle attendait une réponse à une question qu’elle n’avait pas posée, selon ce que j’avais compris.

— Vous ne dites rien ? demanda-t-elle en souriant tellement que je crus à une obscure moquerie.

— Nous sommes sur les nerfs, conclut l’hôtesse. Descendons.

— On ne fouille pas les personnes ? regretta Ginès qui descendit d’un bond du lit qu’il avait piétiné avec joie.

La vagabonde s’était assise au bord de ce lit. Elle pleurait doucement. Ginès lui flatta le cou, qu’elle avait aussi doux que le cul, selon ce que j’en pouvais apprécier avec les moyens de l’imagination. Marette rougissait. À force d’aspirer au lieu de souffler comme on le fait ordinairement quand on est la proie d’une flûte, il était au bord de la syncope.

— Ça fait pas rougir, la syncope, murmura la vagabonde.

— Qu’est-ce qui le fait rougir alors ? demanda Ginès qui avait son idée.

— Il sait où est la culotte, lui, dit la vagabonde sans se départir de sa tristesse.

— Et ça le fait rougir ? dis-je sans penser à autre chose.

— Déculottez-le ! lança l’hôtesse.

— Qu’est-ce que je disais ? me souffla dans l’oreille ma petite voisine aux épaules nues. On va fouiller la personne. Mais en commençant par la bonne. Hélas !

 

Au sujet des regrets qu’on peut éprouver quand la perspective d’un plaisir n’est pas même remise au lendemain.

Dire que je l’aimais, alors que son nom ne fut même pas prononcé dans la promesse d’amour que je lui destinais et qu’elle n’avait, si je pouvais en juger par la proximité de ses épaules, repoussé que parce que les évènements se précipitaient sans que je pusse y changer l’incipit, car j’étais déjà à l’œuvre de mon récit, relèverait de l’outrance ou de la fabulation, genres peu conformes à mes dispositions d’esprit au moment de m’engager dans les voies délicates du désir ou prurit, selon ce que la perception immédiate de l’autre donne à penser de soi-même dans les circonstances de la rencontre fortuite travaillée au couteau de l’échec. J’eus un moment d’effondrement qui me plongea pour la même durée dans un silence tapageur, je veux dire par là, pour me sauver de l’accusation de pédantisme qui me guette toujours, que le silence reproduisait mes bruits et que ces bruits, semblables à des paroles dont ils n’auraient conservé que la prosodie, m’interdisaient de donner un sens commun aux bruits que la conversation des autres répandait à la limite de mes attouchements. Elle glissa contre moi tandis que je m’accrochai à tout ce qui ne fût pas elle. Le déchirement impromptu du pan de tapisserie l’emporta et si la flûte n’avait pas repris ses approximations, je n’aurais pas compris que Marette perdait enfin le contrôle de ce que nous étions venus chercher dans sa chambre. La culotte s’appliqua exactement au visage que j’avais entrepris de caresser, cédant enfin au désir. Elle exulta :

— Elle n’est pas pleine de merde ! s’écria-t-elle, ce qui, traduit dans le langage des contes, voulait dire qu’elle n’appartenait en aucune façon à la Présidente, laquelle contesta sans attendre cette conclusion à son avis hâtive, car, prétendit-elle, elle ne l’avait pas encore mise !

L’argument nous coupa le sifflet.

— Vous ne l’avez pas mise parce qu’elle m’appartient ! rétorqua la vagabonde après un moment d’hésitation que la Présidente mit à profit pour s’emparer de la culotte et se la mettre !

— Maintenant elle est pleine de merde ! lança-t-elle en même temps qu’un rire qui secoua même les épaules de Marette.

Il n’avait pas cessé de jouer.

— C’est le voleur, dit Ginès. Mais nous ne savons toujours pas à qui il l’a volée.

— Bien sûr que vous le savez, puisqu’elle est pleine de merde ! dit la Présidente avec une grimace de satisfaction.

— Elle ne l’était pas ! Elle ne l’était pas ! Pas vrai qu’elle ne l’était pas ? gloussa la vagabonde en entreprenant le tour de la chambre pour en visiter chacun des hôtes.

Elle se pencha sur ma voisine :

— Était-elle pleine de merde ? lui demanda-t-elle.

— Je… je ne sais pas… bredouilla mon amoureuse.

— Elle sentait ? Est-ce qu’elle sentait ? insista la vagabonde qui abusait de son emprise sur mon amie.

Je m’interposais :

— Vous ne comprenez pas… commençais-je.

Puis je me rassis.

— Je comprends très bien, fanfaronna la vagabonde.

— Vous ne comprenez rien, balbutiai-je.

— Parce que vous comprenez, vous ? me demanda ingénument celle que j’aurais aimée si on m’en avait laissé le temps.

La Présidente triomphait. Elle retira sa culotte pour la donner à examiner à tous ceux qui doutait encore qu’elle lui appartînt. La vagabonde était au bord des larmes. J’en profitai pour la courtiser, initiant ainsi une redoutable suite aux amours que je n’avais pas assumées.

— Donc, fit Marette sans cesser de souffler dans le sifflet, je ne l’ai pas volée !

— Hé non ! fit la Présidente.

 

Du silence qui s’abattit sur nous suite à cette sentence pour le moins spécieuse.

Il était pesant.

 

Remarque importante sur un fait manquant au récit sans toutefois le rendre incompréhensible.

Il n’aura pas échappé au lecteur qu’entre la déclaration intimant le déculottage de Marette aux fins de vérifier s’il ne portait pas la culotte volée à l’une ou l’autre des prétendantes à sa propriété et le dépôt de ladite culotte sur le visage de ma voisine, il y a un trou. Comment expliquer cette lacune peut-être inadmissible ? S’apparente-t-elle à l’absence, et non point au manque (si, si, j’y tiens !) de rimes au bout de mes vers et à leur imparité dont l’explication vient en toute cohérence s’insérer après la présente exposition ? « Déculottez-le ! » lança l’hôtesse et je fus interrompu alors que j’en étais au sujet des regrets qu'on peut éprouver quand la perspective d'un plaisir n'est pas même remise au lendemain, moment dont la culotte profita pour, écrivais-je, comme s’il était possible qu’une culotte profitât, s’appliquer exactement au visage que j’avais entrepris de caresser, cédant enfin au désir, à la suite de quoi l’affaire de la culotte se conclut par un non-lieu à l’endroit de Marette et un avis de propriété à l’avantage de la Présidente. Autrement dit, la question est maintenant de savoir si Marette a été ou non déculotté et si, suite à cette intervention, la culotte lui a été retirée pour un examen des conditions de sa propriété. Ne possédant pas le moindre élément d’une réponse, à mon grand regret je me vois forcé de continuer mon récit là où je l’ai laissé. Le silence était pesant.

 

Autre glose sans laquelle la seconde période de cet épisode (ou chapitre) risque de perdre son sens avant même de l’avoir trouvé.

Comment se pourrait-il, étant donné que le lecteur est témoin de ma rencontre, dans le prologue de cette histoire, avec l’illustrissime don Quichotte qui n’oublia d’ailleurs pas de se présenter en compagnie de son homme du peuple préféré, à savoir le non moins fameux Sancho Panza, lequel apparaissait, si mes souvenirs sont les bons, et les mieux choisis, ceux dont il convient de soumettre la matière conjecturale à l’esprit le moins disposé à l’analyse des faits retournés d’où ils viennent, si j’en crois ce que je sais de source pas moins inconstante, car je fus en mon temps moi-même l’objet des plus fluctuantes hypothèses éducatives (mais ici n’est pas le lieu de les évoquer), sans son âne pour la raison qu’il, bien qu’il fût, à ce qu’il disait, sur sa trace, et que du coup les particularités du chapitre 23 de la première partie (De ce qui arriva au fameux don Quichotte dans la Sierra Morena, l’une des plus rares aventures que rapporte cette véridique histoire) et du troisième de la seconde (Du risible entretien qu’eurent ensemble don Quichotte, Sancho Panza et le bachelier Samson Carrasco) me revenaient en mémoire pour commencer à former la structure qui, prenant racine dans le compendium des impressions, commençaient à forger celui des improvisations (où nous sommes tandis que j’écris), dans l’attente qu’une composition (espérons-le !) m’éloignât définitivement de l’abîme tournoyant des graphomanies, lui avait été volé par le personnage même qui me réveilla, par l’intermédiaire de l’âne en question, et d’un coup de langue qui est peut-être à l’origine du style de celui-ci, du rêve où j’agissais de la sorte parce que mon cerveau, pourtant habitué à vénérer les reliques de l’étourderie narrative, prenait le même chemin que le voyage que j’entreprenais après en avoir fait un usage crois-je raisonnable et sensé (si tant est que la raison et le sens ait un point commun, ce qui n’apparaît jamais si clairement depuis que « le roman est de la poésie en prose »), personnage que moi, Rogerius, j’ai nommé Ginès de Pasamonte pour montrer à quel point le rêve ne ment pas et qu’il convient de s’y référer chaque fois que le cours impliqué à notre existence se tarit ou change de lit, empruntant l’absence de chemin qui caractérise les formes planes et celles qui les traversent entre les villages de notre imagination, — comment se pourrait-il, dirais-je pour prendre à Pétrus Borel ce qu’il ajoute à Robinson, que l’âne fût tué alors que, après que le silence eût pesé car nous y pensions comme d’un poids, il criait de nouveau, sonore avertissement de la conscience à la recherche d’un équilibre même précaire rapport au fait que Marette n’était plus là pour peser le silence avec nous ? Nous redressâmes nos têtes comme si un seul fil les avait tenues penchées sur nos genoux respectifs.

— Ça n’a pas de sens ! fit Ginès.

Mon cœur était celui qui battait le plus fort. Je me levai le premier, soulevant le bord de la robe de ma voisine.

— Il y a deux ânes ? dis-je avec l’air de celui qui pense avoir trouvé ce qu’il faut dire avant d’être exécuté par les autres, tous les autres !

— Ne dites pas de bêtise ! dit l’hôtesse. Nous sommes au XXIème siècle !

Nous avions tous vu la vieille voiture à gazogène sous l’appentis de la grange et n’avions pas manqué de nous interroger sur sa place dans l’histoire nationale, mais il fallait convenir, dans le sens que l’hôtesse impliquait à nos réflexions, qu’aucun animal aussi anachronique qu’un âne n’avait sa place dans le monde que nous n’avions pas quitté en séjournant dans les pénates qu’elle modernisait au rythme des subventions gouvernementales et autres pots de vin moins secrets. Le berger s’en vexa et il eût aussitôt envie de jouer de la flûte.

— Ce n’est pas le moment ! dit une fille dont la cuisse ne disait pas le contraire.

— Tu ne l’as pas tué ! ricana Ginès en passant devant moi.

 

Seconde sortie hors des murs à cause d’un changement imprévu du sens accordé jusque-là à une expression non consacrée et à un usage prématuré de ce qu’elle laissait supposer de sa postérité.

Une fois de plus, je sortis le dernier, comme c’est le destin de tout auteur de sa propre histoire, qu’il soit atteint de littérature ou de graphomanie, ou d’autre chose comme on peut se l’imaginer en consultant les catalogues intarissables de nos libraires patentés, chose que nous n’entreprendrons point ici, car nous avons hâte de rejoindre les autres sur le théâtre où Louis Marette, maire de Mazères, reprend ses activités, lesquelles n’ont pas de qualifications pour la raison que de jouer de la flûte dans le cul d’un âne de concert avec la production intestinale de celui-ci n’a ni sens ni raison et moins encore d’exemples dans le promptuaire des actes administratifs et politiques dont l’actualité nous rebat les oreilles à longueur d’inattention. Il faut savoir que j’ai le cœur fragile, tant du côté des sentiments que de celui de son fonctionnement. Mes usages ne sont guère qu’une adaptation sagace de cette précarité circonstancielle, qu’il m’est d’ailleurs loisible de regretter autant de fois que ma plume y trouve à redire, en quoi elle prend le risque de manquer de maîtrise au moment de sortir avec les autres pour se livrer aux débauches de la conversation et de ce qui finit par la dénaturer, écrans des consultations en tous genres, mise au net des limites à ne pas dépasser, croissance de la réputation ou déclin de l’amour, et tant de péripéties dont la chronique n’est au fond que celle du bien. Aussi m’inclinai-je encore, refermant la porte toute vitrée de jaune et de bleu qui au soir prenait l’aspect d’un ciel de nuit sans que personne ne cherchât à expliquer cette métamorphose du désir pris en flagrant délit de narration, à l’heure où la solitude s’emploie à peupler le vide de ses interprétations filaires ou que la compagnie détruit dans la caresse d’autres compréhensions moins porteuses de sens. L’hôtesse me tirait par la chemise, par saccades si précises que je crus un instant à un geste destiné à assouvir, tandis qu’elle n’avait d’autre intention que de me soumettre le plus vite possible aux critiques de ceux qu’elle était capable, j’en prenais conscience presque dans l’horreur de moi-même, de rassembler dans la même opinion qu’on pouvait avoir de moi si l’expression que je prétendais avoir inventée, à savoir « tuer l’âne », ne prenait un sens que si l’âne était mort et que même mort, si Marette tentait, y parvenant ou pas, là n’est pas la question, de le ressusciter par le souffle musical qu’il appliquait à son anus toujours palpitant, il relevait alors de l’invention qui confine à l’imposture, ce qui n’arrive qu’aux auteurs impuissants qui pourrissent dans le jus de leurs improvisations sans jamais atteindre la combinatoire de l’œuvre d’art. La superposition sonore du cri de l’âne et du chant de la flûte me sidéra.

— Il n’a plus rien à dire ! ironisa Ginès qui m’aimait bien quand même.

Je ne peux affirmer maintenant que nous rîmes à ce trait d’humour. Je ne me souviens que d’un vacarme incohérent. Je me suis peut-être même agenouillé avant de trahir, ou de tenter de le faire pour me sauver du ridicule, mon ami qui singeait Marette sans toutefois user de l’anus de la marionnette qui n’en avait peut-être pas d’ailleurs, mais qui jouait le rôle de l’âne avec tout le talent de ses fils, ruant même en lançant ses pattes de chiffons dans le visage ébouriffé de Ginès qui m’invitait à prendre des notes au lieu d’user de l’oreille de l’hôtesse pour lui demander conseil au sujet de ce que je savais. Elle me gifla. Ginès se figea. La marionnette se plia. Marette se mit à aspirer. Et l’âne me regarda d’un air suppliant, car jamais Sancho Panza ne l’avait traité de cette façon, ou plutôt de ces façons, car si Sancho Panza ne savait pas jouer de la flûte, si en tous cas il ne la sifflait jamais qu’en rêve, car il était un homme de condition modeste voire sans prétention, jamais non plus il n’aurait cédé l’usage de son outil de travail, et ce voyage en était un des plus prolifiques comme en témoigne la postérité de son personnage, à un contractant qui ne connaîtrait de la flûte, si c’est connaître que de détourner les vocations, que sa ressemblance, somme toute sans véritable proximité, avec ce dont il ne pouvait plus jouer à cause de l’âge et dont il n’avait peut-être pas goûté la saveur authentique, comme il arrive aux hommes impuissants, parce qu’ils manquent d’intelligence et de culture, et non pas parce qu’ils sont réduits à la domesticité par la force du destin, que leurs maîtres dotent d’une autorité par délégation et pour se soulager des basses besognes qui n’honorent personne mais qu’un honneur de pacotille dissimule dans les garde-robe de la république.

 

Où il est dit en quoi consistait cette trahison et comment elle se justifiait pourtant.

Dupe personne ne l’était quant à la provenance de cet âne martyrisé par Marette avec la flûte que l’on sait. Certes l’hôtesse ne manquait pas d’herbages nourriciers et sa provision de foin témoignait qu’elle n’était pas totalement étrangère à la présence de cet âne. Le propriétaire déclaré, à savoir Ginès qui « possédait » aussi une marionnette de chiffon et un cheval de bois destiné à des usages artificiers comme on a pu le voir dans le prologue de ce roman, ne disait pas le contraire comme ses attouchements ajoutaient leur synesthésie aux frissonnements à peine dissimulés de celle que nous considérions comme l’objet à la fois de ses plaisirs ordinaires et ordinairement gagnés à la nuit qui les révélait à lui-même et à ceux qui servaient de caisse de résonnance, filles occupées à dormir ou à tenir en éveil selon la nature de leur emploi, dont l’une au moins, sans que je susse de quoi elle vivait, car malgré tous mes efforts je ne parvenais pas à distinguer chez elle le vrai du faux, comme il arrive à ceux qui reviennent d’un voyage riche en aventures extraconjugales et qui, sous le coup de cette sorte d’ivresse synthétique, sont comme qui dirait condamnés à errer à la surface, avinés de caresses prodiguées et éperdus d’en recevoir de plus spécialistes du ravissement, bouleversait jusqu’à ma conception du contrat conjugal, persuadé que j’étais de pouvoir sans défaut m’appliquer à honorer mes engagements et en particulier ceux qui me privaient de la meilleure part, du moins de ce que les profondeurs de ma conscience proposaient aux limites de la douleur dont je connaissais, pour avoir, comme je l’ai dit, voyagé ailleurs qu’ici, les linéaments nécessaires à de plus ambitieuses conceptions, déchirure, au sens propre du terme, d’où je renaissais constamment comme s’il s’agissait de la conque de mes cendres. Ne va pas croire, ô lecteur exalté, que Rogerius est synonyme de dérobade, ou subterfuge annonciateur d’autres volte-face, et que je te veux cacher le fait que je fus, à cet instant, poussé à dénoncer le vol commis par mon ami, comme il est dit au chapitre 23 de la première partie des aventures du fameux manchois (De ce qui arriva au fameux don Quichotte dans la Sierra Morena, l’une des plus rares aventures que rapporte cette véridique histoire) et que le troisième de la seconde (Du risible entretien qu’eurent ensemble don Quichotte, Sancho Panza et le bachelier Samson Carrasco), parce que l’auteur de son invention rit de son étourderie, place définitivement sur le plan de la probabilité et des pincettes narratives. Certes, je n’avais pas assisté au vol, je ne l’avais que lu. Il était pour moi aussi réel que tu peux l’être dès l’instant où tu me lis quand j’écris cela. Et, parce que mon esprit allait plus vite que mon âme dans le sens de cette projection de moi-même, vrai Rogerius, sur l’écran de ce que je parais quand je ne suis plus ce que je suis, ô Iago, faux Rogerius, ma bouche exprima le plus clairement qu’il était possible au sein de cette cacophonie que Ginès avait volé l’âne et que je n’y étais pour rien, mais que peut-être il en avait autorisé l’usage à Marette à qui il n’avait manqué qu’un pipeau, ou flûte, pour compléter le tableau de cette vivante farce, erreur d’appréciation qu’il lui fut facile de corriger, avec ou sans l’aide de son prestataire, en volant l’instrument qu’il vient de taire pour entendre ce dont je témoigne, tandis que l’âne continue de brayer de plus belle, preuve que ce n’était pas le chalumeau qui provoquait cette révolte de la terreur, mais ce qu’il était quand il n’en était plus joué. Ginès me toisa.

— Tu l’as volé ? demanda timidement l’hôtesse.

Elle le savait ou pas, comment le savoir ?

— Non, fit simplement Ginès. Comment pourrais-je l’avoir volé puisque tout le monde sait qu’à la page suivante, le bon Sancho Panza, qui est aussi bon qu’il est mon ami, le chevauche dûment comme son maître enfourche bien sa déplorable monture ?

Marette ne comprenait pas de quoi nous devisions. Il s’aboucha de nouveau à l’âne par le moyen de la flûte et reprit ses approximations tonales comme si rien d’autre ne se passait que la curiosité de plus en plus intrigante des filles dont les unes expliquaient aux autres que l’argent n’est jamais aussi facilement gagné qu’avec les mauvais instrumentistes de la joie, enclins qu’ils sont à imaginer leur plaisir pour mieux le trouver alors que le moindre enfant de l’amour sait pertinemment qu’on ne trouve rien à cet endroit-là si on lui a déjà rendu quelque visite prévue à cet effet, doctrine que les serveuses, celles qui servaient vraiment, n’avaient pas l’air de comprendre au point d’en mesurer l’influence bienfaisante sur leur fortune, laquelle nous attirait hors du seul objet de la scène que nous étions en train de jouer pour notre seule information : le vol de l’âne, expression qui fit sourire Ginès car, si je n’avais pas « tué l’âne », rien n’augurait que « voler l’âne » eût un sens capable de changer celui du récit et par conséquent celui de sa propre liberté, détail qui émoustilla la Présidente aussitôt rapprochée par glissement hâtif dans sa propre merde.

 

De la merde en matière d’administration du droit, dite « justice » par ses propres censeurs.

La Présidente n’est pas un personnage satirique comme Marette, lequel est ici portraituré tel qu’il est, dans la limite bien sûr que l’art impose au texte et à son auteur, autrement dit moi-même, Rogerius, mi arabe mi roman, aux confins non pas de l’intuition telle qu’elle est concevable chez l’homme de science, ce que je ne suis pas, mais de ce qu’il convient d’appeler impressions, habit d’Arlequin qui me va assez bien pour que j’entreprenne chaque soir de me coucher avec et que je ne quitte que dans les occasions du plaisir charnel, car alors je ne suis plus moi-même ou en tous cas je ne suis plus ce que je suis, devenant jamais devenu, mais un personnage, notable s’il en est aussi loin de la capitale, dit générique pour ce qu’il ne correspond à personne en particulier, mais à tous ceux de son genre en général, ce qui, on en conviendra, n’atteint pas la vraie ou fausse dignité humaine de ceux et de celles qui se succèdent somme toute dans l’anonymat le plus sûr à ce poste qui n’est qu’un des points de suture où s’applique au quotidien la censure de l’État comme maître d’œuvre, entre autres collections d’impostures, des mythologies messagères dont la merde, issue des métabolismes conçus comme systèmes binaire d’entrée-sortie, est l’aspect le plus significatif de l’effort demandé à ses fonctionnaires. On ne s’étonnera pas de trouver la Présidente, chaque fois que l’occasion nous est donnée de la rencontrer, au palais ou dans les couloirs des mairies où elle se livre aux observations caressantes de ses concitoyens, sans culotte, étant entendu que ladite culotte n’est pas une allusion à ce qu’elle fut au temps où ne pas en porter était bien vu des autorités, mais une culotte telle qu’on peut s’en procurer dans les boutiques de nos rues et de nos réseaux, sorte de sac dans lequel on enfile cette partie du corps où s’articulent les membres inférieurs sous la posture imposée par le tronc et ce qu’il contient, taillé dans la toile la plus à même de ne causer aucun traumatisme à cet endroit de la peau, ou surface de l’humain fait homme ou femme, quelque soit l’âge des artères qui le sillonnent, qu’il est d’usage de ne point exposer sans mesure au soleil, au froid et au regard quand bien même celui-ci ne ferait ni chaud ni froid, car les orifices qui en déterminent la protection, judicieusement placés par la nature dans l’en bas, afin de ne point opposer de résistance à la loi de gravitation, contiennent aussi les organes du plaisir lié à la reproduction de l’espèce, détails qui a son importance relativement au personnage donc générique de la Présidente car celle-ci reproduisait beaucoup, mais en manière de singerie, afin de donner une apparence avantageuse à la personnalité qui lui manquait pour expliquer totalement sa situation de présidente. Elle chiait donc beaucoup. Et comme conséquence de ce qui était devenu une habitude, ou routine de l’ouverture du parapluie commune à tous les serviteurs de la censure officielle, elle ne portait plus de culotte, elle qui adorait cet objet souvent soyeux et qui s’en était si souvent entichée au point de dépasser dans cette extase les fétichistes les plus condamnables tant du point de vue des superstitions religieuses, ou religions, que des organismes de censure, ou associations, sans compter les nébuleuses de l’intention de nuire, mélange de malfaisances intellectuelles et d’actes pusillanimes. On objectera, en cartésien sans métaphysique, définition assez exacte du citoyen français, que le fait de ne point porter de culotte, et au-delà des raisons de cette coutume personnelle et personnalisée, n’implique pas que la Présidente n’en possédait point et qu’elle en faisait l’usage qui convenait le mieux à ses prétentions sociales, comme par exemple de se torcher le cul avec au lieu du papier dont sont fait les arbres et par conséquent les cercueils. D’où il paraît pertinent de conclure, si l’on veut arrêter là cette discussion peut-être par trop digressive, qu’en affirmant avoir été privée de sa culotte par acte d’appropriation délictuelle, la Présidente ne mentait pas et qu’il convenait ipso facto de donner une suite judiciaire à cet attentat à la propriété. Ce que nous avons fait, moi, Rogerius, greffier de ce roman, comme on le lit plus haut.

 

Conséquences de ce qui vient d’être dit et écrit.

Conséquence de ce qui vient d’être dit et écrit, la requête de la Présidente était réputée pertinente et l’expression « voler l’âne » était au banc.

 

La Présidente

Crottes diverses, chutes, autres glissements.

La question de la culotte n’étant plus d’actualité, celle de l’âne prend tout son sens, du moins est-on en droit de penser que ce sens vaut la peine d’être analysé à la lumière des faits, le prévenu étant Ginès de Pasamonte (dont je ne suis pas jalouse — grimace de l’hôtesse qui reçoit des pincements solidaires de la part de ses filles de salle et de joie), ici présent, comme le désigne le roman de Cervantès, ajout certes lourd de conséquences, mais qu’il ne nous appartient pas de juger sous cet angle puisque nous sommes moi seul juge libre d’en apprécier le sémantisme caché (elle soulève un pan de sa robe pour éjecter un étron qui s’aplatit avec éclaboussures sur ses chevilles grossières). D’ailleurs, le président de l’Ariège m’a promis de me construire un palais pour que je puisse y abriter mon dictionnaire de mots-croisés, ce qui ne veut pas dire que je joue quand je préside moi-même, alors que d’autres magistrats ont été surpris en flagrant délit d’usage du téléphone portable en pleine audience.

 

Rogerius

Irrité, prenant à témoin le personnel de l’hôtel et quelques autres qui ne savaient plus qui était fille et qui ne l’était plus.

Il y a loin entre les prétentions à une sémiologie de merde et les murs où moi, Rogerius, je construis l’intérieur de mon esprit avec les matériaux hérités de la tradition la plus noble. Je n’ai pas besoin de culotte pour exister aux yeux des autres. Ni de flûte ! Ce roman en est le témoin irrécusable !

 

Les filles

Tournoyant.

De quoi parle-t-il ?

 

L’hôtesse

Riant.

Je préfère moi aussi quand il n’en parle pas, mais il faut dire que cette odeur de merde n’attire pas le client. Mêmes nos chalands se désistent. (À la Présidente) Je pense qu’une culotte, sans résoudre totalement le problème, en atténuerait les conséquences sur les comptes de la maison, qui sont en baisse depuis que ça sent votre merde…

 

La Présidente

Pleurant.

J’ai tout essayé, vous pensez bien ! Même Marette a soufflé dedans avec sa flûte, alors.

 

Le berger

Se dressant sur la pointe de ses genoux.

Il m’avait déjà volé ma flûte ! Avant ?

 

Tous

Chut !

 

Marette

Vidant un verre.

Moi je fais ce qu’on me demande. Je peux très bien me mettre à la place d’une culotte. Je suis fait pour ça. Et je n’ai jamais fait autre chose…

 

Les filles

Joyeuses.

Cuve ! Cuve !

 

Ginès

Ironique.

Non mais attends, cocotte en papier ! Je croyais qu’il n’était plus question de parler de cette culotte…

 

La Présidente

En larmes.

J’aimerais tellement avoir une culotte ! Papa ! Pourquoi tu ne m’as jamais mis de culotte ?

 

Tout le monde recule.

 

Rogerius

S’avançant, pointant son index sur le front de la Présidente.

Elle avoue ! Elle avoue ! Elle n’a jamais eu de culotte !

 

La vagabonde

Haussant les épaules.

C’est MA culotte ! La science le dit, et je ne mens jamais.

 

Les filles

Trinc ! Trinc ! Trinc !

 

Rogerius

Vainqueur.

Qu’est-ce que je vous disais ? J’ai tué l’âne !

 

Ginès

En colère.

Mais puisque que je l’ai volé ! Je l’ai volé ! Cervantès le dit et l’écrit !

 

La Présidente

Se reprenant et défiant Rogerius.

Et il n’a jamais rien dit ni écrit sur ma culotte !

 

Le berger

Chevauchant la Présidente.

Mais il l’aurait fait si j’avais été là !

 

Marette

Hoquetant.

J’étais pas là moi non plus, mais je ferais tout ce qu’on me dira si je suis payé. Les avances en nature sont acceptées.

 

Rogerius

Sautillant avec les filles.

J’ai tué l’âne-euh ! J’ai tué l’âne-euh !

 

Ginès

Même jeu.

Je l’ai volé-hé ! Je l’ai volé-hé !

 

La Présidente

Acceptant l’acte sexuel proposé par le berger.

Quand j’aurais fini, je vous raconterai comment j’ai usé ma première et dernière culotte.

 

La vagabonde

Lui assénant des coups de balai sur la tête.

Salope ! Salope ! Salope !

 

Utilisation rhétorique du petit bout de bois.

Laissons ici ces personnages surpris en flagrant délit de démonstration et voyons dans le détail quel pourrait être l’usage du petit bout de bois. Le petit bout de bois, le voici. Je vous le donne en mille. Ce manche court est extrait du petit balai à torcher les culs qui s’applique aussi aux surfaces souillées par cette pratique naturelle. Ayant retiré ce manche, ou bourrique, de la poignée de feuilles qu’il est d’ordinaire chargé de réunir par la tige sous l’effet d’un nouement pratiqué au moyen d’un fil de fer inoxydable, et ce à fin qu’il s’applique exactement aux surfaces revêtues par épisodes du caca du monde, nous l’enfonçons dans l’orifice qui préside la jointure des deux jambes que la Présidente a solennellement écartées pour recevoir la flûte de rechange du berger dont les halètements entrecoupées d’apnées disent assez la hâte de conclure cette rencontre par le paroxysme excessif de sa pensée relative aux choses de l’amour entre homme et femme, obtenant ainsi une parodie de l’homme exhibant la rigidité quasi cadavérique de son membre déterminant.

— Mais enfin ! s’écrie la Présidente avec une pointe de satisfaction tandis que la flûte du berger aspire ses coulées intestinales. Que faites-vous, monsieur qui enfoncez le petit bout de bois dans mon conin prévu à cet effet explicatif de l’absence de culotte considérée comme le fait le plus prégnant du phénomène qui m’environne depuis que Papa n’est plus papa ?

— Je pratique un changement de votre nature afin de démontrer au lecteur que le sexe de la Présidente ne change pas le sens de son personnage générique, car comme j’écrivais à ce lecteur sous l’effet de la pensée qui motive l’emploi que j’en fais, j’ai senti que ledit lecteur me reprochait d’avoir fait de vous une femme alors que vous pourriez très bien, comme le prévoit le code de procédure, être un homme.

— Mais je suis une femme !

— Alors vous êtes une connasse, terme très familier et non pas insultant comme vous vous apprêtez à le qualifier parce qu’il manque à votre vocabulaire de domestique !

L’huissier qui s’exprimait ainsi, lequel nous ne nommerons pas parce que ce roman n’est pas une entreprise de délation, compta alors les orifices vacants. On entendit la Présidente roucouler à chaque étape de cette recherche systématique et minutieuse :

— Ah ! C’est ma bouche que vous touchez là, monsieur ! Ah ! Ma narine ! Et cet autre que je ne me connaissais pas et que vous nommez si bien ! Mais ceci, monsieur, c’est le canal auditif dont je me sers ! Je vous livre celui-ci jusqu’au tympan car je n’en vois pas d’autres usages !

— Et cet autre trou, là, madame… ?

— Mais enfin, monsieur… ! C’est pour… C’est celui qui…

— Parlez, madame, où j’y mets ce que j’ai sous la main !

— C’est… C’est… C’est par là que…

— C’est par là que ça entre et que ça sort ! cria le berger en y mettant toute la main.

Preuve que la nature du sexe n’a pas d’influence sur le comportement de la magistrature, du moins dans ce pays où on entre et on sort comme dans et d’un moulin selon le principe que ce qui profite à l’un profite à tout le monde.

 

Deux questions : Et l’âne dans tout ça ?Qu’est-ce qu’une rogérienne ?

Ni tué, ni volé, selon ce que ce roman en dit peut-être long, l’âne n’en continuait pas moins de crier alors même que Marette, fatigué de jouer de la flûte sans attirer du monde, s’en servait maintenant comme d’une paille, ayant pris soin d’en boucher tous les trous avec les doigts qui lui restaient, qui trempait dans les liquides répandus à foison par les filles dont il eût été difficile et même compliqué de désigner les seules joyeuses, car elles allaient toutes du même pas de danse, en concert avec ce que Ginès impliquait au rythme qu’il avait donné à cette scène pour le moins carnavalesque, laquelle je, Rogerius, assistais des explications que j’avais réunies, bien avant de me lancer dans ce voyage éducatif, dans les pages de mon petit carnet, sorte de petit bout de bois que je ne fourrais jamais en nul endroit de mon corps ou de celui des autres, mais que j’avais l’habitude de sortir pour l’ouvrir à la page qui me semblait correspondre aux enseignements de la situation. L’âne m’observait du coin de son regard rougi au fer de l’angoisse. J’en conçus une espèce de gêne, comme qui est surpris d’être enfin compris alors que tout laisse à penser qu’il ne l’est pas. Étais-je finalement le seul à pouvoir mettre fin au cri de l’âne autrement que par la mort à lui donnée ou par le décret d’un vol dont Cervantès n’a pas mesuré les conséquences sur le culte qui s’en inspirerait depuis ? J’ouvris et je refermai le carnet plusieurs fois, plusieurs fois provoquant le même effet, à savoir une diminution sensible de la portée du cri que l’âne extrayait maintenant avec mesure, comme un troubadour qui assiste impuissant à la formation de son rêve et qui, pour ne pas y croire encore, car il craint de le perdre ou de s’y perdre, impose à un auditoire médusé les signes que le jongleur interprète comme le prodrome d’une maladie nouvelle dont le siècle s’entichera si la première victime meurt en beauté. Les filles s’immobilisèrent. Ginès renonça à un baiser. L’hôtesse cessa de prendre des photos. Etc. Seul Marette buvait et la Présidente eut un geste d’affection pour le berger qui lança un contre-ut à la face du ciel. L’âne, ni mort ni volé, venait de se taire. J’ouvris et je refermai le carnet jusqu’à ce que le silence se remît à peser, c’est-à-dire autant de temps qui m’était nécessaire pour trouver l’exacte formulation de l’expression que je venais d’inventer, car il n’est pas de poète sans invention et pas d’invention sans poésie. Le graphe que j’avais entrepris prenait forme et sens, comme on va en juger dans les suivantes écritures qui sont, est-il encore utile de le préciser, les miennes, rogériennes inaccessibles au plus grand nombre, certes, mais tellement propices à la découverte de ma richesse intérieure, laquelle je n’aurais de cesse d’exposer au soleil tant que la nuit sera celle de mon rêve. Et si tu n’as pas cette curiosité, ô anagnoste qui m’écoute, je ne te conseille pas d’entrer dans la nuit d’Ulysse, ni d’y trouver le sommeil.

 

Exemple de rogérienne aux environs de la Ripare qui est comme qui dirait une rivière à la fois mythique et exemplaire.

Comme elle est belle, la campagne, ce saint héritage qui a tenu ses promesses de bonheur tranquille, entre les arbres et les fleuves, les prés et les étangs, les toitures et la verdure des murs, ô digne reflet de nous-mêmes, bel éparpillement des intentions d’exister, croissance des convictions acquise au fil de l’expérience ! Comme elle est belle aux flancs de ces montagnes d’où s’étoilent les chemins de nos villes, et qu’il est doux d’y fermer les yeux pour ne plus croire à la mémoire ! Car ainsi porté par le gazon et le chant des oiseaux, je n’étais plus ce que j’avais été et tout me laissait à penser que je deviendrais ce que j’avais toujours rêvé d’être ! Disant cela, je suivais l’âne. Il trottinait gaiment sur les herbes à peine fleuries de ce printemps des altitudes et je savais jouer de la flûte si aucune justice ne l’avait souillée pour en fausser la résonnance naturelle. Nous descendîmes jusqu’à la rivière, qui a nom Ripare, lequel rime avec art, pauvrement c’est vrai, mais l’esprit n’est-il pas conçu, Dieu sait par qui, pour ne rimer que pauvrement quand l’heure est enfin arrivée de « suivre l’âne » sans se poser les questions qui lui viennent parce que le passé est mort ab intestat et que le rivage est peuplé de tout ce que le vent n’a point emporté dans d’autres pays moins prometteurs. Et j’ai bu de cette eau, le genou en terre, le cou plié à l’équerre, le front sur mes pouces, comme le fit le poète majeur à l’orée de sa découverte, sans femmes ni animaux domestiques, car l’âne n’était pas aussi familier et conservait ses distances, parvenu à mi-chemin du gué sous les nouvelles frondaisons du futur proche, si proche que je le vis, ombre rapide des ailes, promesse de feuilles mortes, éclats de voix où l’on devine le rire et ses raisons. Un rayon de soleil me tourmenta un instant avant d’aller peupler les arbres environnants. J’étais ivre de toi ! Et les mots me manquaient ou ils ne m’appartenaient pas et j’en crevais d’envie et de soif ! Sainte nature qui ne connaît pas les mots, combien je te priais en ce moment de vertige carcéral ! Que de mots j’ai usé au son de ta lime proverbiale ! Que de rimes ont effacé les mauvais effets de la répétition ! Avec de l’eau jusqu’au bassin, j’étais si proche de l’aventure qui fait les noyés. Une carpe gicla, reflet d’épée. Et mes mains suppliaient l’eau. J’en voyais des raisons d’en finir avec le voyage, mais l’âne avait atteint l’autre rive et ânonnait tristement dans l’effort qui le retenait par les sabots, et même au-dessus des sabots, car ses genoux portaient la trace d’autres blessures dans lesquelles je reconnus ma propre douleur, ô nature, ô montagnes, Ripare bienvenue à cet endroit du récit, tandis que j’avançais, poussant des pieds sur le lit aussi meuble que le drap de mes nuits, à la rame de mes mains appliquées aux profondeurs de l’eau, avançant pour gagner le gué que le courant semblait éloigner de l’autre côté de cette nature tellement rituelle que j’en perdis la connaissance, comme si c’était la fatalité du voyageur d’être détourné de sa route par la matière même de son inspiration. Je pouvais crier, mais je ne criais point ; l’âne m’eût alors interrogé du regard et je ne me voyais pas me voir dans ces yeux témoins de ma circonstance parmi les autres, lesquels nous suivaient, car ils s’amusaient tandis que je découvrais la peau du monde auquel j’appartenais alors qu’ils se contentaient de le peupler, froides matrices de l’imagination éprise de fantaisies aussi désuètes que leurs extases empiriques. L’âne s’aventura enfin sous les arbres. Il savait où il allait. Quant à moi, je gisais au fond d’un trou d’eau, la bouche dans l’air, me pinçant le nez et l’œil à demi fermé, agitant mes jambes qui ne trouvaient plus l’assise de la réalité, mais ne criant toujours pas, car l’âne se retournait de temps en temps pour me regarder et laisser frémir ses lèvres dans l’indifférence générale. Ils empruntèrent tous le gué, soulevant des gerbes d’eau verte et jaune, pliant les herbes sur leur passage, ne criant pas mais au contraire se faisant des signes pour s’interdire mutuellement d’en dire quelque chose qui fût même une pensée. La Présidente les laissa la distancer pour prendre le temps de tremper ses fesses et gémir longuement à la morsure de l’eau. Sa merde courut jusqu’à moi au fil de cette eau qui m’environna comme une atteinte à ma dignité d’écrivain peut-être atteint de graphomanie, certes, mais tellement sincère aux entournures de ses dépenses somptuaires. Je coulais. La carpe me visita. Je ne devais pas être loin de son nid, si tant est que les carpes se nichent comme les chiens pour ne reproduire que l’essentiel de leur présence au monde et l’accommoder aux airs du temps qui ne passe plus de cette manière. Ô résultats de mon analyse, je voyais le temps et il me guettait ! L’âne fut bientôt rattrapé et ils lui passèrent le licol, raison qu’il entreprit d’exprimer en recommençant à crier de plus belle et je me morfondis dans mon trou béant d’eau. Une voix s’éleva. C’était Sancho Panza qui arrivait sur son âne. Les bras nous en tombèrent !

— Qui a dit que j’avais volé cet âne ! triomphait le Ginès au passage du gué forçant l’âne à le suivre.

 

Intervention salvatrice de Louis Marette sans lequel, il faut bien le reconnaître, nous fussions morts de négligence sanitaire alors que nous étions de riche provenance familiale et territoriale.

Tandis que les deux ânes s’entretenaient sous un hêtre aux grands bras, agitant leurs quatre oreilles pour ponctuer leurs discours apparemment épigrammatiques, ce que nous observions du coin de l’œil, car j’étais depuis peu sauvé des eaux et avais pris place parmi les autres autour de Sancho Panza qui pérorait sans son maître, ou profitait de cette absence remarquée pour nous saouler de mordantes et spirituelles remarques sur le temps et son compère l’espace qui est nécessaire pour le dépenser, midi approchait. Nous songions, sans n’en dire rien, à retourner à l’auberge du Bon Repos pour nous dépenser en prenant le temps de savourer tant de perte et si possible sans nous en adresser les reproches, car ce que les uns consomment, les autres en sont privés, comme c’est le principe fondateur de notre société, que cela plaise ou non à l’esprit. Cependant, Sancho Panza n’avait pas ce songe, tant il était nourri par ses propositions, ses explications, ses thèses, hypothèses et patathèses et n’eût été l’intervention salvatrice de Marette, nous eussions péri de faim et d’autre chose sans doute dans le courant de l’après-midi, sans attendre jusqu’au soir qui n’espérait que l’oraison de nos cadavres desséchés et renflés par le dedans comme il arrive au corps, et par conséquent à l’esprit, quand ils ne s’alimentent pas l’heure venue de le faire avant que ce ne soit plus l’heure. Si Marette, dépourvu de la flûte, ou pipeau, n’avait pas levé son verre vide et caressé la peau flasque de son abdomen, nous étions bons pour les uns pour l’enfer, comme ils le méritaient, et les autres pour le néant, car rien ne remplacera jamais le bonheur et ses places fortes. Nous le vîmes élever une médaille, croix enrubannée qui scintilla dans les reflets que renvoyaient les feuilles et les becs ainsi que la surface de diverses eaux déversées dans leurs lits, la secouer pour en augmenter les effets sur nos esprits par l’intermédiaire de cette rétine si peu utile en art, mais parfaitement adaptée à tout ce qui ne l’est pas, et interrompre le flot d’attentes verbales et adjectives dont Sancho Panza ne parvenait pas à se fatiguer tant la rencontre de deux ânes avait frappé son esprit documentaire, alors même que nous en étions à nous poser des questions avec ces mêmes yeux rendus improbables par l’appétit et la soif, ouvertures de plaisirs moins publics, mais tout aussi libres d’entraves et de mauvaises pensées, si la dignité humaine a encore un sens en ces temps d’impostures judiciaires en tous genres sous la houlette de l’action politique conçue comme prétexte à limiter la liberté d’expression, sentiment légitime, au regard de l’actualité, que l’Espagnol devait partager avec nous, car il était de ces hommes qui parlent haut quand les autres s’avisent de parler bêtement, mais sans toutefois envisager de s’impliquer dans notre vision tragique de l’avenir, laquelle commençait par la décomposition de nos apparences, ceci à cause d’une négligence hygiénique, pour s’achever dans la douleur punitive ou la déroute mentale causée par la perte des sens.

 

Où il est dit en quoi consistait l’intervention de Louis Marette, mais cette fois sans références à ses qualités rédemptrices.

L’édile de Mazères s’était mis à danser en claironnant une comptine à boire avec un curé pour personnage principal, ce qui premièrement choqua le vieux chrétien qu’était notre ami Sancho Panza, lequel interrompit sa démonstration aniséenne non sans cesser de secouer impérativement l’index qui lui servait à ponctuer l’haleine qu’il avait étrangement sèche et dénutrie, et secondement rapprocha de nous les deux ânes ainsi plus familièrement perçus comme conseillers de nos attentes citoyennes — et nous laisserons ici à l’idiosyncrasie de chacun le soin de déchiffrer le sens de leurs clés, car il n’est rien de plus vain en littérature que de donner un nom à ce qui n’en porte que par nécessité d’être distingué des autres tant que la vie va. Pris au piège de cette nouvelle conformation de la réalité momentanée réduite encore à l’espace d’une réunion impromptue, nous n’étions pas avares de signes destinés à observer le silence afin de bien comprendre ce qui rendait le maire aussi joyeux et surtout si grossier en paroles. Il était advenu que, s’étant baissé jusqu’au sol trempé d’humus à l’endroit même que nous avions foulé pour ne pas emprunter le fossé, Marette avait posé son œil jaune sur un objet à lui familier selon ce qu’il nous disait et qui n’était autre, comme nous l’avons déjà dit, qu’une médaille égarée là par son propriétaire, ce que l’hôtesse contesta immédiatement, ne laissant pas le temps au maire d’achever sa harangue, car elle faisait la distinction entre voleur et propriétaire dans des termes qui replaçait l’édile au centre même de nos préoccupations, lesquelles valaient bien qu’on s’en inquiète avant de n’être plus de ce monde et peut-être d’aucun autre si le curé de la chanson avait quelque réalité et la médaille une destination inconnue de notre livre de prières. Un dialogue fort embrouillé s’engagea entre l’hôtesse et le maire, celui-ci affirmant « preuves à l’appui » qu’il était le seul propriétaire « incontestable » de la médaille, comme s’il entendait par cette obscurité rhétorique qu’il pût y en avoir de litigieux, ou qu’il nous prenait à témoin, sans distinction d’ânerie, qu’elle était une menteuse, et elle prétendant un ton plus haut, à l’exacte octave de sa colère, qu’il était le voleur et qu’elle avait le moyen irréfutable de le prouver, car selon elle il venait de laisser tomber cette médaille à ses pieds pour tromper notre vigilance et nous prendre pour des cons, ce que nous n’étions pas comme notre nombre, sans les ânes compter, le démontrait sans autre forme de figure y compris celles des ânes. Ils allaient en venir aux mains et se rapprochaient l’un de l’autre, l’une brandissant un poêlon qui étonna notre discernement, et lui serrant ses poings autour de la médaille dont on ne voyait plus que la queue rouge comme celle d’un oiseau de passage au nom momentanément oublié, les noms d’oiseaux se multipliant avec la croissance des enjeux, comme il est naturel que cela soit, et cela était.

— Le moins qu’on puisse dire, fit Sancho Panza avec l’air de celui qui essaie de penser à ce qu’il vient d’oublier, c’est qu’on vole beaucoup dans ces parages. Je ferais peut-être bien de m’en retourner d’où je viens si je veux encore y aller sur le dos de mon âne.

— Salaud sartrien ! lança la Présidente qui s’oubliait elle aussi, mais avec de l’odeur à la place de l’honneur, comme il sied au personnes dont le siège est le ventre, au lieu que Sancho Panza s’asseyait d’ordinaire sur son cul et se sentait donc parfaitement à l’aise quand les choses, amoncelées par son maître, se compliquaient au point de lui inspirer d’autres fuites que par l’anus comme c’était le cas de la Présidente, laquelle n’a d’ailleurs pas l’honneur, en toute justice, d’être passée à la postérité, pas plus comme domestique que comme fosse d’oubli.

Marette grognait. Il avait soif.

— Je vous prie, dis-je sans prendre des airs, de ne pas user du terme « pétainiste », non point en vertu de ce que cette tarée de la dignité humaine étale au grand jour de son insuffisance cérébrale, mais parce que l’auteur que je suis, et que je serais mieux encore à l’heure de donner vie, si je puis me permettre cette exagération calculée à l’aulne de l’envie, au présent roman et à ses petits, se réserve l’occasion d’en dire deux mots dans la divagation qui suivra celle-ci pour alimenter la chronique des délits dont cet alcade est la fable, ainsi que je l’ai entreprise pour me mettre sur la trace de l’Histoire de France.

— Comme je te comprends ! dit Ginès sans ménager ses manches qu’il avait courtes, mais décisives. Qu’en est-il de cette médaille, monsieur le maire ?

— Je l’ai méritée ! répondit Marette à qui on donnait à boire car, comme il tenait fermement la médaille avec ses deux mains, et qu’il n’en avait pas d’autres, une fille l’avait débouché pour y verser un vin d’honneur qui, avec un peu d’imagination, pouvait passer pour un vin de l’amitié, comme cela se pratique dans les assemblées constituantes de la quotidienneté faite maison.

— Ah ! Ça non ! réplique l’hôtesse. La preuve est faite qu’on m’a volé ma médaille cette nuit. C’est donc Marette qui me l’a volée, comme il a volé la flûte et la culotte, et comme l’âne ne dira pas le contraire !

— L’esprit français, dit Sancho Panza, introduit l’âne dans ses oukases et je ne saurais y retrouver moi-même ce que j’ai perdu. Car l’âne ne fut point volé.

— Toute autre expression a perdu son sens et c’est ce que nous cherchons.

Qui parle ? Pendant que je revenais à moi, car j’avais perdu le fil tendu par mes compagnes et compagnons de voyage, tous joyeux lurons de la lurette, à cet instant plus assoiffés que les éponges du sommeil et affamés au point d’en perdre le sens de l’orientation utile en cas de bérézina, la médaille refit une apparition dans les mains agiles des filles qui, toutes vocations confondues, dansaient sans nuances au son de la flûte qui ne déplaisait pas non plus aux deux ânes qui bornaient cette scène champêtre semblant extraite d’un de ces vieux romans où, si ma mémoire est bonne, il ne fut jamais question d’une médaille et encore moins de son propriétaire, et a fortiori de kleptomanie. Ginès agita la marionnette qui ne vit pas d’inconvénient à prendre la parole en mon nom :

— Mes amis, dire que je comprends votre désir de vous désaltérer aux meilleures sources de la réalité, non sans en accompagner la veine des louables emprunts que nous faisons tous les jours à la cuisine de nos grand-mères, et que dire des chasses que nous perpétuons, car les plaisirs de la table sont au lit ce que la nappe est au drap, ne peut pas mettre fin à l’enquête que nous avons décrétée ce matin non seulement pour rentrer en possession de ce que ce maire nous a escamoté sous le couvert de ses représentations constituées, mais aussi et surtout pour que justice soit faite et qu’on n’en parle plus, car la parole n’appartient pas à la justice, pas plus qu’elle ne doit se soumettre aux volontés politiques, et qu’il n’est pas question de la vendre, comme font les domestiques, pour avoir de quoi vivre, tant vivre est autre chose qu’exister, comme nous le savons depuis que les salauds sont des salauds et les chiens des chiens.

— Il va nous parler de son képi, chuchotaient les filles.

— Et ma médaille ? rugit l’hôtesse.

— Oh ! fit Marette entre deux gorgées. Elle est tombée parterre ! Vous la voyez, là ? Je vais la ramasser. Poussez-vous, jeunes filles.

Et tandis que je réfléchissais à ce que j’allais écrire une fois achevé ce qu’on pourrait intituler l’épisode de la médaille, les filles entrainèrent leur patronne, ou maquerelle selon l’usage qu’elle en faisait, dans une ronde à l’orchestique pour le moins dispensée de décence, car nous vîmes plus d’une se donner à la nature sans s’y conformer, ce qui émoustilla Ginès et rendit Sancho Panza moins respectueux des canons de sa religion, la vagabonde allant jusqu’à tomber le haut de son apparence pour renaître comme elle était venue au monde, la tétine sollicitée plus que le sein contenait de bon temps et l’anus aussi mesuré que peut l’être une promesse qui ne sera de toute façon pas tenue. Hélas, la Présidente n’avait pas répondu à l’appel des ânes et nous dûmes supporter son odeur, dont il n’est plus besoin de parler, ainsi que les sentences qui lui venaient à l’esprit parce que la queue des ânes, sans qu’elle pût résister à cette sollicitation, ou parce qu’elle mentait sur ses intentions véritables, lui donnaient des idées quant à la réforme de l’organisation judiciaire et à la place qu’elle y occuperait si elle trouvait le moyen de chier dans une culotte sans en être incommodée au point de n’en jamais porter.

 

Prolégomènes à l’action poétique.

Le lecteur aux aguets, soit par système soit par conscience, ne peut pas avoir oublié ce qui s’est passé hier comme il a été fidèlement rapporté ici par ce que je suis, Rogerius, narrateur plus que personnage, ou personnage entré dans la narration pour les besoins du voyage entrepris en un temps où la rhétorique est l’apanage des imposteurs, fonctionnaires des emplois nécessaires au branlement incessant de la mécanique élective où miroitent les alouettes de la libre pensée et les profits qui s’accrochent à ses ailes pour en mythifier le vol à ras de terre, en quoi l’écrit se vend au prix de la censure et l’honneur au taux de la domesticité la plus bassement acceptée comme solution de ce qui n’a pas été posé comme problème. Dès le prologue j’annonçai ici que d’abord je rêvais éveillé, au sortir de mes lectures à la fois picaresques et hidalgues, de Lazarille à Francion, et d’une manière plus complexe en compagnie de don Quichotte et de son compagnon de voyage, car il arrive quelquefois que des personnages imaginaires prennent forme au beau milieu de la rue, ce qui n’affecte que notre comportement, les autres vaquant à leurs occupations ménagères ou s’adonnant à ce qui les minent, et nous poursuivons notre chemin en bonne compagnie, souriant à l’existence qui ne nous a pas privés, malgré un environnement conçu pour détruire de l’intérieur, des ressorts de l’action, si l’action est le seuil où il faut bien tourner le dos à la réalité pour frapper tranquillement à la porte d’un bonheur qu’on ne partagera avec personne d’autre que soi, et s’il est arrivé de surcroit qu’on ne voit plus que soi-même chaque fois qu’on se regarde, sans esprit de contemplation, dans le miroir de nos mains au travail de l’œuvre que nous signons alors, de notre nom ou d’un nom d’emprunt, peu importe alors qui nous sommes. Nous ne disons pas ici que la rhétorique est mauvaise, mais qu’entre les mains, si on peut dire, des petites gens chargés de politique et de judiciaire, telles qu’on les conçoit aujourd’hui, c’est-à-dire peu intelligentes et surtout sans culture, et nous savons que le larbin inculte est un salaud, ce vade-mecum du style devient un outil de censure et de harcèlement, car en nos vieilles sociétés la censure n’a pas prise sans persécution, veulerie dont l’élu et le magistrat, en parfaite complicité, sont récompensés au plus haut niveau de la reconnaissance administrative, médaille dont nous venons de dire un mot sur le ton de la plaisanterie. Nous ne disons pas non plus que la poétique, conçue comme l’antagoniste de la rhétorique, est le moyen de pallier les effets de la domesticité décrite ci-dessus, car alors ce ne sont plus les salauds qui s’avancent dans la crasse intellectuelle qu’ils servent à l’aulne de leur solde, mais les pédants, poètes aujourd’hui innombrables, qui passent quelquefois, aux yeux de qui les veut pardonner, allez donc savoir pourquoi, pour d’infatigables tacherons ou pire pour de pauvres pisse-copie à qui on ouvre les portes des dispositifs gouvernementaux dont la bibliothèque, souvent élevée au statut de plus-que-bibliothèque, par les artifices de la lecture publique ou d’autres singeries de la jonglerie, est un exemple pour le moins nourricier à la fois des salauds qui abusent la rhétorique et des pédants qui font de la poétique sans le savoir, ou s’ils le savent, ce n’est certes pas pour changer leur fusil d’épaule. De là il faut conclure que la philosophie est le meilleur moyen d’aménager son propre espace scripturaire, usant de la rhétorique par récurrence et de la poétique quand elle découvre. Ainsi nous ne sommes ni salauds ni pédants, poètes peut-être, mais rarement, car le roman, s’il demeure le bon moyen, et peut-être le seul, d’accéder à la poésie, n’en prend pas toujours le chemin, car il est bien souvent, ou trop souvent, nécessaire de se venger ou plus humainement de remettre les choses à leur place, renonçant à en changer le sens et les effets sur notre propre existence. Je n’ose pas imaginer ce qui me fût arrivé si moi, Rogerius, avais manqué de me cultiver à ces sources. Comment espérer quelque chose du rêve sans ces prolégomènes, étant entendu que nous ne sommes pas homme de science, mais plus prosaïquement, et donc poétiquement, sujet à des impressions et que sous ces impressions nous ne fouillons jamais, non pas par crainte de s’y retrouver Gros-Jean comme devant, mais il nous semble, et ce serait notre erreur si nous avons du génie, que nous avons plutôt fort à faire du côté des interprétations qu’elles nous suggèrent en vue, si nous sommes vraiment dans l’erreur, des constructions qui établirons notre réputation, tel ce roman que nous ne nous lassons pas de composer avec ce qui nous est tombé sous la main, à savoir les actes prohibitifs et lâches que nous avons eu à subir de la part de Louis Marette et de la Présidente, pour ne citer que ces deux exemples d’utilisateurs indignes de la rhétorique au détriment d’une poétique, celle de la satire, qui pourtant se situe d’elle-même au-dessus de toutes considérations morales, en quoi il faut bien reconnaître, Francion, qu’elle se fragilise.

 

Des faux pas du corps dans l’esprit des choses entrevues alors.

Et c’est donc partant de cette réalité construite sur les sables de l’ignorance et de l’hypocrisie que nous, Rogerius, ou moi si je suis ce que je suis, ô Iago, entrâmes dans le rêve initiateur de cette nouvelle donnée comme exemple d’un genre peut-être nouveau, bien que l’aubade y sursoie pour l’instant dans l’attente d’un appel moins convenu, ne dormant toutefois que d’une oreille et de l’autre interrogeant la surface du rêve entrevu entre la poésie et la peut-être très exacte antonymie des apparences, moment d’extrême relativité des impressions reçues, relatant des faits dont personne n’est en mesure de vérifier l’inspiration, comme ce képi, appartenant nettement au maréchal Pétain, qui coulait des jours heureux dans la rigole où voguaient les bouchons de bouteille que Louis Marette n’y vidait pas. J’eus alors assez de jugement critique pour considérer en toute clarté que je ne sortirais jamais de ce rêve. Ce que j’en dis, c’est qu’un âne me réveilla et que je fis alors la connaissance de Ginès de Pasamonte qui ne le vola point comme l’écrit Cervantès, lequel s’amuse de ne l’avoir jamais dit, car alors il se serait dédit, situation pour le moins inconfortable, mais moins instable que la sellette des équilibres trouvés dans les jeux de la mémoire avec les efforts constants de la reconnaissance, on s’en souvient, c’était hier. Et j’en pris notre petite assemblée à témoin : l’âne, celui de Ginès, car l’autre appartenait à Sancho Panza, ne portait plus le képi comme il est dit à la fin du prologue de ce roman, et ce n’était pas un fait nouveau, car depuis ce matin nous ne le lui avions pas vu à cet endroit, présence qui n’eût pas échappée à notre attention, quoiqu’en dît Marette qui continuait de chercher la médaille précédemment évoquée, mais cette fois entre les pieds de l’hôtesse qui piétinait cette surface molle naturellement compostée sous l’égide des montagnes environnantes. Avait-il, cet hilote de l’honneur fait maison, caché le képi comme il avait fait de la médaille ? Et en quel endroit de ces parages infrangibles ? Car voilà les questions qu’on se posait alors que je n’avais pas encore pris le temps de formuler celle qui devait impérativement, sous peine d’une démonstration aussi fallacieuse que les jugements de la Justice en matière de liberté d’expression, éclairer l’esprit pour reprendre en toute cohérence le cours de ce roman qui est, comme la rivière, tributaire d’une hydrologie autrement plus complexe que la première question qui vient à l’esprit quand il s’agit de se forger une opinion sur les faits qui nous interpellent de là. Je fus pris de gigue.

— Où c’est qu’il l’a caché ? Où c’est qu’il l’a caché ? (Je grattais la terre avec le bout de mon soulier) Sont-ils bêtes ceux qui m’accompagnent ! Vous l’avez vu, le képi, hier au soir entre deux bouquets de feu d’artifice. Vous avez même touché le képi entre les deux oreilles. Et parce que vous l’avez vu, et que vous ne le voyez plus, vous dites : « Où est-il ? Et s’il n’est plus là, qui l’a volé ? Et qui cela peut-il être, si ce n’est Marette ? » (Ma jambe dinguait follement) Sont-ils bêtes ceux qui prétendent me comprendre !

— Mais enfin, monsieur nous ne savons pas qui ! Laissez-nous chier autant qu’on veut ! Les uns sont payés pour ça, et grassement, car l’État est meilleur père que le Dieu qui l’inspire. Les autres payent et s’en trouvent le mieux possible du monde ! Allez raconter vos romans ailleurs et laissez-nous chercher le képi !

— Le képi ? Mais quel képi, sots que vous êtes de vouloir me donner un coup de main pour résoudre ce qui n’a même pas été posé comme question ! Il n’y a jamais eu de képi que dans mon rêve ! Prétendriez-vous que Marette est entré dans mon rêve pour me le confisquer ?

— Nuance, monsieur nous ne savons toujours pas qui, nuance ! Si le képi appartenait à votre rêve, Marette ne vous l’a pas volé.

— Que le rêve s’avance à la barre ! (Je riais avec les filles) Le rêve a été volé ! Il faut rendre au rêve ce qu’un voleur de képi lui a soustrait ! Et moi, Rogerius, pauvre montreur d’ours, pas même jongleur en ce bas monde, je n’ai plus qu’à me faire voir ailleurs comme si j’en venais !

J’étais fou. L’âne, je ne sais plus lequel tellement ma mémoire a souffert de cette péripétie récréative, me regardait comme si c’était maintenant moi qui criais pour déranger la tranquillité définitive des lieux où nous jouissions avant tout du bon air et de sa lumière florissante. Ginès tenait le cou de Marette dans sa puissante tenaille.

— Moi je crois que tout est possible, déclara-t-il. Je l’ai vu, le képi, aussi bien que je vous vois. Et pas dans un rêve que je serais bien incapable d’interpréter, d’autant que je n’en connais que le récit (Que ceux qui ont sauté ces pages y retournent ! Et que ceux qui les ont oubliées ne se plaignent pas d’autre chose que de leur embarras !) Cherchons, mes amis !

Mais disant cela, il cligna de l’œil dans ma direction, signifiant que j’avais autre chose de mieux à faire que de m’embarrasser moi-même de ces esprits qui ne valaient guère plus cher que le képi en question. Je pris place sur la souche d’un hêtre au voisinage de la berge mordue par les franges de l’eau secouée par la tête de Marette qui hurlait qu’on ne l’y plongea point parce que c’était de l’eau. Quelques verres bien placés eussent suffi à le faire parler, mais je n’en touchais pas un mot à mon compagnon de voyage, car il amusait la compagnie, même la Présidente qui recevait ces gouttes comme autant d’explications narquoises dont je ne pouvais être que l’auteur. Qu’en était-il du képi ? Marette l’avait-il vraiment arraché à mon rêve ? Ou en possédait-il un semblable et alors c’était l’âne qui le lui avait volé pour s’en coiffer pendant que je dormais sous les yeux inquisiteurs de Ginès, lequel cherchait en son esprit le moyen le plus doux de me sortir de ce que mon agitation désignait comme un cauchemar. Qu’est-ce que nous avions ri depuis ! Quelle ventrée de plaisirs ! Et ce n’était pas plus tard qu’hier, alors que nous étions aujourd’hui et que nous n’avions pas encore évoqué notre prochain départ vers quelle destination aux alizées de bon augure combinatoire.

 

Le douzième coup de midi me réveille au bon moment.

— Ce que nous vivons aujourd’hui, nous ne le vivons pas demain, et si demain a quelque réalité aujourd’hui, nous y penserons avec nostalgie, comme il est dit que nous le savons déjà.

Le douzième coup de midi n’avait pas encore sonné au clocher du village dont nous pouvions voir les fumées se dissiper dans la brise remontant la vallée quand Sancho Panza prononça ces paroles pour le moins obscures car il traduisait directement de l’espagnol par un système connu de lui seul, lequel, à ce qu’il disait sans se priver d’ouvrir la bouche pour engouffrer les viandes que l’hôtesse avait répandues sur nos tables, avait le défaut d’irriter le maître de ses œuvres, qualification fort pertinente qui nous autorisa à penser qu’il parlait ainsi de don Quichotte, mais nous le pensions seulement, nous concertant du regard au-dessus des plats fumants et des coudes qui se soulevaient dans la joie de l’instant enfin consacré à des plaisirs moins hasardeux que la critique systématique des données existentielles formant l’épine dorsale de nos accroupissements instantanés dans les moments d’incertitude ou au contraire de certitude condamnée d’avance par les principes nourriciers de la République au nom de la foi accordée d’emblée aux convictions indiscutables du Droit et aux superstitions augustes et substantielles tant de la vénération forcée que de sa contestation éclairée par les feux de la philosophie, car le chevalier errant, ou plutôt son spectre, n’était pas là pour le contredire et nous étions privés de l’explication de son absence et de l’apparente indifférence qu’affectait le valet sans cesser de nous dépasser tant en gourmandise qu’en valeur ajoutée à la mastication et à ses conséquences sur les bruits qui nous signalaient comme de joyeux et francs lurons de la luronne luronnante et luronnée. Que le lecteur inquiet de cette croissante absence se rassure en buvant avec nous sans négliger d’apporter de la consistance à ses mélanges, comme nous le faisons sans façons, car midi vient de sonner et il n’est plus question de rêver mais d’alimenter l’état d’éveil, nous retrouverons le chevalier de la Blanche Lune dans l’épilogue qui suit ce quatrième et dernier chapitre, non point pour lui donner vie ou à dire, mais parce que nous n’avons pas renoncé à en retrouver la trace universelle malgré les bégaiements pitoyables des successions au pouvoir et l’asservissement du vers et de ses cadavres vivants à la farce publique jouée par des couillons bien couillonnés et heureux de l’être à si bon marché et sans couilles nécessiter.

 

Où il est répondu à la question de savoir comment est composé le Roman comique.

Si Sancho Panza avait bonne fourchette et ne privait pas son gosier de s’y préparer en toute conscience de la hauteur de l’enjeu proposé par la table, Ginès le voisinait sans le dépasser, mais avec la même voix, car ils les avaient accordées sans flûte alors même que nous commencions à disposer nos jambes sous la nappe, et le premier cruchon fut pour eux, en toute partialité, laquelle nous saluâmes bruyamment pour protester non moins gaiment, le deuxième ne tardant pas à découvrir le bonheur que nous étions venus chercher ici, entre ces bras et contre ces poitrines, raisons de plus, en ce qui me concernait, de cesser de rêver ou de tergiverser et de remplir cette espèce de devoir avec la même hâte qu’un qui remplit son verre ou mieux encore le donne à remplir pour en admirer avec convoitise les beaux reflets de femmes employées par les divinités de l’oubli et de la tranquillité.

— Deux ânes, deux garçons ! crièrent ensemble les deux laquais de l’Art et de la Justice.

Pour prouver leurs dires, ils exhibèrent fièrement leurs attributs, auxquels je substituerai ici pour l’un la marionnette, qui affectait une étrange agonie, figure de l’Art ainsi que je le veux, et pour l’autre le vieux parchemin de ses possessions aléatoires, car le récit qui en est fait n’en démontre que la possible advenue dans un monde meilleur où l’Homme n’occupe plus la place de forçat de l’évolution, mais celle d’objet de la plus grande curiosité qui soit. Cette espèce d’allégorie me plongea un instant dans l’angoisse héritée du hasard et, pris de vertige, j’exigeai qu’on cessât de remplir mon verre et qu’on m’abreuvât plutôt aux sources mêmes de la poésie finalement acceptée comme plus que luxe, et que calme et que volupté, prière qui fut exaucée par la vagabonde, car si son cul avait toutes les qualités requises pour figurer au fronton de la poésie la plus gratifiante, elle n’en possédait pas moins un conin tantôt fait pour donner que pour recevoir, ce qu’elle et moi démontrâmes dessus la table, elle donnant et moi recevant, figure dont l’explicite fut apprécié pour ce qu’il valait. Ginès me conseilla toutefois de ne point mettre de l’usage où j’avais précédemment abusé du rêve et il me pinça comme on fait au dormeur ou au mort, indifféremment, non point pour qu’il se réveille ou reprenne vie, mais pour s’assurer soi-même qu’on sait de quoi il retourne, détail qui inspira Sancho Panza au point de réciter ceci :

— Mort ou vivant, j’ai été un rêveur, et si je ne le suis plus, c’est parce que le sommeil n’a pas de sens.

On eût dit que René Char était entré dans sa peau, mais je n’en dis rien et, ayant reçu et donné comme je disais, je repris ma place à celui qui avait profité de ma démonstration pour l’occuper, car le spectacle de la fenêtre qui la jouxtait valait la peine, comme il me le dit en riant, de voler son prochain, même si je le mettais maintenant en demeure de me payer sur qu’il me devait.

— Voler est un acte, dit Sancho en engouffrant une cuisse dorée à point, mais être volé n’en est pas moins un.

— Sapristi ! fit Ginès sans rien laisser perdre d’un fond de sauce. Je ne vois pas comment j’agis en étant volé.

— C’est parce que tu n’agis point que tu es volé.

— Je comprends cela ! Mais encore !

— Ne répondez pas à cette provocation, dit la Présidente. Agissez en justice. Elle vous le rendra.

— Salope ! murmura Sancho entre ses dents occupées à autre chose qu’à former des paroles intelligibles.

 

Entrée impromptue d’une imitation grossière du Chevalier de la Blanche Lune.

Salope, elle l’était et ne se privait pas de chier alors que nous étions à table. Elle côtoyait un Marette réduit au silence par l’occupation de sa bouche, laquelle n’hésitait pas entre le goulot d’un flacon sans étiquette et le bec d’une flûte qui n’était autre que le téton percé de la Présidente qui avait elle aussi « perdu » sa médaille sans autre explication, saynète ordinaire de l’honneur où il faut se garder de chercher du sens et surtout d’en trouver, car alors la critique n’a plus le temps ni les moyens de ménager la morale la plus communément partagée pour s’élever, selon les uns, ou sombrer, selon les autres, dans les complexités allusives de la satire accusée ainsi de dénaturer le roman et de pourrir la vie du commun des mortels, chefs dont le premier est discutable car il n’intéresse que les pédants, nombrilistes de l’occasion de se taire, qui sont légions tant en territoire éditorial que sous le couvert du secret familial, et le second sujet aux pires retournements du sens, par le biais des voies judiciaires et des exécutions sommaires par elles autorisées sans autre forme de discussion et qui ouvre le champ médiatique traversé par la loi du silence. Nous en étions là, secouant ce qui nous tombait sous la main et glissant sur les bancs pour nous regarder dans le blanc des yeux et n’en tirer aucune conclusion qui dérogeât aux principes du plaisir attrapé par la queue, car le temps valait cet or plus que toute autre possession provisoire héritée de la nature considérée comme l’objet le moins à même d’apporter des réponses définitives à nos adjurations exemplaires, et mesurant l’écart en croissance douloureuse qui éloignait nos chances respectives de demeurer un exemple aux yeux de nos descendants, moi, Rogerius, caressant les joues d’un visage que je ne reconnaissais pas pour le mien, mais qu’il m’importait de posséder avant d’aller plus loin dans le sens de l’assouvissement orchestré par ma nature et ma conformité aux usages les moins toxiques du point de vue de la tradition et de la prépondérance des reproductions sur l’invention d’un seul cri, de joie ou de terreur selon le moment choisi pour rencontrer ses semblables sur le terrain des jeux de l’amour, quand la porte, qui n’avait qu’un battant, mais bien cinq pieds de large, en comptant celui de l’hôtesse qui avait l’habitude de la tenir quand elle avait fini de l’ouvrir, Clavilègne entra, chevauché par la marionnette de chiffon, laquelle n’avait pas de nom pour ce que j’en savais alors : il brandissait les objets dans la corbeille de ses jambes de devant, étant piqué au vif par les talons de la bamboche, et hennissait à l’autre bout de la table dans la gorge déployée de Ginès qui imitait aussi le cri de la mouette et le pas de côté de tous les crabes qui ont peuplé notre enfance, comme j’en fis soit le rêve, si j’étais assoupi contre les seins qui me nourrissaient, soit le rapport dont un autre procès ferait ses choux gras par l’intermédiaire d’une Presse qui ne croyait plus à mon innocence telle que ces plages infinies en ont témoigné en leur temps. Seul Marette demeura étranger à cette vision et la porte, réduite à quatre pieds, se referma avec un bruit de ressort qui n’éveilla personne pour que la question de l’animation de ces deux pantins fût posée au moins à l’intelligence afin de donner à notre enthousiasme romanesque au minimum les limites du raisonnable, car il n’est rien de plus hostile, du point de vue de la clarté facilement admise comme l’intermédiaire de la joie, que ces projections cutanées qui n’ont de peau que le nom et la douleur pour résistance. Ainsi, alors que le hennissement était l’explication de la bouche grande ouverte du cheval de bois, et que la voix même de Sancho Panza n’en expliquait pas moins que la marionnette fût douée de la parole et partant de la raison, quand bien même celle-ci fût transportée, par effet de glissement sémantique, du cerveau de l’Espagnol à ce qui habitait semblable cavité, car il ne pouvait s’agir que d’un échange de désespoir, quelque part sous les chiffons entortillés qui formait la tête de cet étrange cavalier, lequel ne pouvait avoir nom Lysis, car il ressemblait trop à quelqu’un et n’était suivi d’aucun animal portant lainage, nous éludâmes mille questions qui nous venaient à l’esprit et applaudîmes à tout rompre cette entrée en matière jugée plus divertissante qu’explicative de notre situation en regard d’une cohérence qui n’avait plus d’attrait tant nous n’étions plus, selon ce que nous indiquait le degré de toxicité acquis, en état d’intituler ce qui allait arriver, s’il arrive toujours ce qui doit arriver, même quand ce n’est plus l’heure.

 

Saynète jouée par des acteurs sans chair ni os.

S’il était impossible d’expliquer l’autonomie parfaitement imitée de la marionnette de chiffon, car aucun fil ne l’agitait ni aucun bruit mécanique, comme nous le vérifiâmes en collant nos oreilles humides sur son chiffon tournicoté, par contre il ne fut pas difficile de constater que le cheval de bois était un automate, du genre approximatif, ses bruits exagérant sans finesse les défauts de sa mécanique et les imperfections de son anatomie. Ginès nous rassura : tous les feux d’artifice avaient été tirés la veille. Nous ne risquions donc point de nous enflammer au-delà des brûlures causées à la fois par la curiosité qui nous animaient et les ingrédients moins augustes que nous finirions par nous disputer s’ils venaient à manquer, où l’intervention de l’hôtesse eut un effet tranquillisant, la facturation entretenant d’étroits rapports avec la réalité ainsi créée par nos dépassements. Nos index, d’un commun accord, celèrent nos bouches et le hennissement, qui dans mon esprit remplaçait avantageusement le cri de l’âne, qui braie quand rien ne le force à changer d’instrument, comme cela était arrivé céans, occupa désormais tout l’espace de cet odéon improvisé, lequel était construit selon les règles de la précipitation et de l’ignorance des autres règles en usage dans la profession tant de bateleur que de jongleur. Comme il est dit plus haut ici, il importait peu que la marionnette ne fût qu’une marionnette et que le cheval ne fût construit que de bois, car ce qui avait interrompu les conversations et autres activités relationnelles autour de cette table présidée par les deux étrangers, et en dépit de l’approche prometteuse de délectations soigneusement tarifées par l’hôtesse qui connaissait tous les usages comptables du pied, résidait entre les jambes de devant de Clavilègne qui les haussait comme qui se cabre sous l’effet de talons impératifs, et il déposa le tout sur la nappe, en bout de table où personne ne s’était assis à cause de la proximité de la porte, car nous étions de vieux habitués de ce genre de lieux où la raison commande qu’on ne s’interpose jamais entre une porte et les autres, au risque d’en être incessamment dérangé au cri de « Salut la compagnie ! » ou « Je suis pressé ! », dans un sens ou dans l’autre d’ailleurs. Après un instant de stupeur bien compréhensible et réglée sur notre horloge interne, qui est comme qui dirait le centre névralgique de nos perceptions les moins douteuses, nous vîmes que Clavilègne, ou qui que ce fût qui le monta dans cette perspective, n’avait rien oublié :

 

Les bons comptes font les bons amis.

Nous comptâmes trois médailles de la Légion d’honneur, deux flûtes, ou pipeaux, trois culottes, une fort encrassée et deux autres qui semblaient n’avoir jamais été portées tant elles sentaient bon le printemps, quatre licols du meilleur crû, et cinq képis de maréchal de France avec exactement le même nombre d’étoiles d’or.

La Présidente se leva, saisit sa culotte sans se tromper et l’enfila, réduisant ainsi le nombre de culottes à deux, dont une au moins appartenait à la vagabonde qui fut autorisée, au nom du Peuple français, à recouvrer sa propriété à ses dépens, ce qui ne laissa pas de provoquer des commentaires incestueux dans l’assistance. Quant aux médailles, elles furent toutes les trois distribuées, l’une à l’hôtesse, qui la caressa du bout de son sein extrait exprès pour l’occasion, l’autre à la Présidente, qui exigea quelqu’un pour la lui remettre, mais personne n’avait envie de l’approcher, même en se pinçant le nez, et celle qui restait resta sans attribution, car Louis Marette, maire de Mazères, ne la reconnaissait pas, sous le prétexte qu’il en avait, il s’en souvenait très bien, marqué l’une des branches avec un feutre indélébile sur le conseil d’un colonel présent à cette cérémonie, mais qui renonça à prendre la parole, l’ayant perdue dans un fond de verre qui n’avait plus de fond depuis qu’il avait regardé dedans. Conséquemment, il dut accepter les critiques, qui furent souvent acerbes, mais toujours justes. Demeuraient alors sur la nappe deux flûtes qui avaient perdu leur éclat et par là-même leur tonalité, quatre licols bien frottés, et cinq képis qui ne l’étaient pas moins.

— Si on retire une flûte, un képi et deux licols, constata la Présidente, l’inventaire se limite à une flûte, deux licols, toujours aussi bien brossés, et quatre képis. Est-ce que tout le monde est d’accord ?

Le berger, qui avait non Lysis comme l’indiquait la gravure maladroite qui avait passablement écaillé le vernis de sa flûte, Ginès de Pasamonte, Sancho Panza et moi-même, Rogerius, auteur de la présente relation et de ce qu’elle contient tant de parfaitement clairs que de ce qui relève de trop d’allusions circonstancielles, opinâmes de concert sans cesser de tenter d’accéder à la nourriture et à ses breuvages.

— Qu’est-ce que j’en fais ? demanda la marionnette qui n’avait toujours pas de nom.

La Présidente péta :

— Vous n’en faites rien, déclara-t-elle solennellement, car Marette peu rentrer en possessions de ce qui lui a été volé, à savoir, comme je le disais il y a un instant : une flûte, deux licols et quatre képis.

— Une flûte sans âne, se lamenta alors Marette, deux licols sans maréchaux et quatre képis sans bergers !

— Ne vous plaignez pas, fit la Présidente. Vous m’avez, moi ! N’oubliez pas que je vous fais gagner tous vos procès.

— Oui, mais une flûte sans âne…

— Ah ! Taisez-vous et sucez ma culotte, petit cochon !

Et sur ces mots, nous reprîmes nos activités autour de la table, heureux de n’avoir rien compris à ce qui venait de se passer, comme il arrive dans ces procès que l’on fait en France à la liberté d’expression qui, sous de telles contraintes, s’exprime de plus en plus mal, ou du moins de moins en moins clairement, comme cela doit être l’objectif du législateur sous la botte des exécutants, magistrats y compris, d’un pouvoir central qui n’est pas plus transparent que les satires occasionnées par ses principes fondateurs et fonctionnels. Lysis ne toucha pas à la flûte, car elle sentait, bien qu’aucune trace n’y eût été laissée par l’action de la Justice. Je coiffai le képi sans conviction, juste pour amuser les filles qui me trouvèrent canon. Seuls Ginès et Sancho paraissaient contents du dénouement et ils se levèrent de table pour aller enfourcher leurs ânes respectifs. Une voix cuivrée retentit alors, comme il en sera question dans l’épilogue qui suit, lequel ne manquera pas de résoudre de solvere le logogriphe de la troisième culotte, celle qui a échappé à l’attention du lecteur, et non point cette fois à celle de l’auteur de cette badauderie… culottée.
 

Épilogue

Considérations sur les épilogues des livres qui ont une fin après avoir eu un début et de raisonnables développements des idées ainsi introduites et conclues, et sur cet épilogue en particulier, lequel est comme qui dirait le chemin le plus court de l’annonce de la fin à la fin elle-même. — Première interruption causée par le berger Lysis. — LA PARTIE — Premier lancer de dés dans l’espace imparti par les circonstances ou plus exactement comme conséquence de l’interruption causée par le berger Lysis ou quel que fût son véritable nom. — Question d’une inconnue comme variable de la malchance qui était la nôtre en ce moment crucial du voyage entrepris en même temps que le présent récit. — Deuxième jet de dés comptant pour le cours de ce récit. — Troisième jet sans lequel ce récit n’a plus de sens. — LE COMBAT — De la valeur des cris comme prolégomènes au combat considéré comme examen de la raison avec les moyens ordinaires de la folie. — Comment le conte fut changé en réalité. — Ce que j’entendis alors que la porte était encore fermée et que je redoutais que mon amour se fût enfui pour ne pas perdre la raison. — Préliminaires du rêve que je fis alors, lequel peut être pris pour un tout autre cauchemar. — Petite interruption provoquée par une ou un critique que l’imagination conseille à la pratique de l’écriture narrative exponentielle mise à l’épreuve par Rogerius tant au fil de l’histoire qui est ici racontée que de sa prochaine interruption par l’effet d’une conclusion dont le provisoire sera laissé en jugement à la patience autant qu’à l’intelligence du lecteur. — Considérations nécessaires au bon usage de ce livre à des fins tant morales qu’esthétiques. — Revenons à nos moutons. — Et Carmelin parla, ou peu s’en faut. — Considérations sur la nature du prochain auto alors que nous nous approchons de la fin et que l’impatience se lit. — LA MALLE — Histoire de la malle dans ses meilleurs moments du point de vue romanesque. — Et nous l’ouvrîmes. — Ce que nous trouvâmes derrière la porte de cet agitateur d’éprouvettes. — Ce que nous vîmes ensuite. — Ce que je pensais alors, choses peut-être sans importance pour ceux avec qui j’étais au spectacle de notre propre désir, mais que je reconnaissais comme le lit même de ma pensée en proie aux cachoteries des témoins cachés du voyage. — Ce que j’en dis non sans prendre la précaution de parler dans le creux de mes mains pour ne pas être entendu de cette assemblée d’étrangers peu faits pour me comprendre. — Où il est dit ce que contenait la malle. — Mazette et Cantgetno. — La Scène Mazérienne. — Journal Satirique de Mazères. — LA 3ÈME CULOTTE — De son odeur. — NOCES — Condition sans laquelle ces noces n’eussent point eu lieu. — Fin de ce roman, ce qui ne veut pas dire que c’est le début d’un autre, mais pourquoi ne pas y penser tant qu’il en est temps ?

 

 

Considérations sur les épilogues des livres qui ont une fin après avoir eu un début et de raisonnables développements des idées ainsi introduites et conclues, et sur cet épilogue en particulier, lequel est comme qui dirait le chemin le plus court de l’annonce de la fin à la fin elle-même.

Si l’on en croit la rumeur discrète qui alimente les esprits les plus pressés d’en finir avec la question posée pour enfin apprécier la pertinence et la moralité des solutions qui lui sont ajoutées par le principe de l’écrit commencé avec l’incipit de ladite question inaugurale, encore qu’il faille écarter de cet examen censé pallier les difficultés inhérentes aux raisons qui en inspirent la mise en hypothèse, comme on s’attend à des excuses chaque fois qu’une question vient interrompre le cours des autres solutions posées pour exister même à contre-courant, car la vie elle-même sait mieux imposer des exigences de survie dont la pensée, en proie à sa trilogie de la liberté (à savoir le Vrai, le Bien et le Beau), ne se nourrit qu’avec la peine qu’on connaît à ses pratiquants vertueux à défaut d’avoir trouvé autre chose de plus consistant dans l’arsenal ou les opimes substantiels de l’Histoire, les solutions qu’une réflexion par trop sentimentale inspire à ceux qui choisissent le concret des réalisations pressées aux finesses de l’abstraction confinée par le rêve, comme quoi il est peut-être plus sage de ne rien créer de ce qui est rêvé et de laisser au rêve le principe de ses épanchements herméneutiques, il n’est de meilleur épilogue que le plus court. Or, par le principe même de l’activité scripturaire conçue comme le moyen de donner une réponse au moins éclairée à défaut d’être justement appréciée, l’épilogue est le lieu où ce qui n’a pas été envisagé se retrouve en masse et où ce qui doit être dit n’en finit plus de s’essayer à la meilleure expression possible de ce qui fait son intérêt. Du coup, l’épilogue promet d’ouvrir ses portes à l’infini, comme il en est de cet hôtel sans solution philosophique qui néanmoins satisfait aux exigences de l’abstraction la plus concevable en dehors de toute considération sentimentale, voire mystique, et c’est en quelques-unes de ses parties que s’installe alors l’inachevable et ce que cet état inacceptable provoque d’impatience et de découragement, tant du côté du scribe que de celui qui le lit ou plus exactement, qui est en train de le lire, tant la question d’une interruption, niant toute prétention sérielle, est à la surface de cette communication ce que la vaguelette est aux poumons dans les cas de naufrage loin de tout espoir communautaire. Et ce n’est pas en supprimant ipso facto la possibilité de ces pages infiniment supplémentaires qu’on vient à bout de la forme générale de l’objet en cours, dit livre, pour lui donner l’aspect qui convient à la fois à son exposition en vitrine et à son usage privé, dont le plus conséquent est la lecture, et le moins probable, l’étude systématique. En procédant ainsi par élimination implacable des parties accusées de troubles proprement littéraires, nous ne faisons que remettre à plus tard l’acte même créatif, lequel fera sa proie de futures expériences et ainsi de futur en futur, comme si la mémoire n’en savait pas plus, elle qui végète depuis tant de temps entre les hommes et même entre leurs actes. Certes, c’est ainsi que les objets d’art naissent, mais c’est aussi de cette manière qu’ils en meurent. Les générations finissent par ne plus communiquer que par les canaux de la pédagogie au service de l’éducation et on ne s’étonne plus d’avoir à chercher dans l’obscurité, voir dans la merde, ce qui eût trouvé d’autres voies de découverte si leurs créateurs s’étaient appliqués à ne rien amputer pour paraître conformes ou simplement admissibles. Cependant, il n’y a pas moins de difficulté à laisser branlantes, comme je disais, les portes que le texte a ouvertes sur l’infini, car alors se pose la question de savoir comment on s’y prend. Et c’est à cet endroit stratégique de l’opportunisme littéraire que moi, Rogerius, auteur de ces pages fortement composées sur la grille d’une réalité à l’épreuve de la mémoire collective limitée à ses personnages génériques, et même parodiques, sans qu’aucune fiction n’en vienne corrompre sinon le sens du moins la saveur, prends le chemin d’une espèce de sagesse lectorale en écourtant un tant soi peu à la fois la matière textuelle de cet épilogue et ses possibilités de prolongements générateurs de ce qu’il est convenu d’appeler une œuvre, concept dont je me satisfais à défaut d’y trouver de quoi nourrir l’intense proximité de mes curiosités tant esthétiques que morales, le grand pan scientifique des connaissances ne relevant pas, en l’absence de savoir spécifique, de ce que je connais de ma personne, si celle-ci entretient avec la réalité ce que je suis capable d’en noter par le croquis artistement croqué, épouvantail ou tremblement, et si le rêve qui s’y attache répond aux approximations des apparences et de leur envahissement géométrique.

 

Première interruption causée par le berger Lysis.

— Excusez-moi si je ne m’excuse pas de vous interrompre, dit le berger Lysis en me grattant le rond de l’épaule comme on fait aux animaux assis pour recevoir les témoignages de notre reconnaissance, mais il me semble que votre lecteur, même comme projection d’un avenir assez lointain pour que je n’en distingue pour l’instant que les pieds, qu’il a fort dépareillés, serait plus intéressé par ce qui se passe à table, à savoir ce que le cheval de bois, dit ou nommé Clavilègne par les traducteurs de son sens, est en train de gagner toutes les parties de jacquet que la compagnie a entreprises avec lui.

— Ma foi de Rogerius, moi qui ne suis peut-être que votre Carmelin (qui sait ?), je me trouve du coup en posture d’observateur condamné au silence tant qu’une explication n’a pas donné un sens raisonnable et satisfaisant à cette scène autrement triviale que vos discours sur la raison d’État, ô mon Lysis !

— Et j’ajouterais pour votre gouverne, si cette foi est bien celle que je pense, qu’avant même de s’engager dans les procédures d’une enquête, notre reconnaissance ira au spectacle lui-même, car jamais cheval de bois n’a montré autant d’adresse et d’intelligence à ce jeu qui doit au hasard les souffrances que l’homme endure quand il y joue pour ne pas s’ennuyer, notamment avec les femmes, et à la chance la part incalculable de ses dettes à la société des hommes qu’il défie plus par désœuvrement que par exploit notifié aux tenants du titre.

— Et en effet ce happening impromptu ne nous inspire pas d’autres réflexions que celles que Poe lui-même a entretenues avec Maelzel dans les pages que nous avons relues pas plus tard qu’hier sous l’éclairage du feu d’artifice que Ginès de Pasamonte a offert à nos yeux et nos oreilles avant de se coucher dans le lit où il était attendu, car l’amour connaît ses voyages.

— Mais est-il question, ô Rogerius, d’égarer si vite le troupeau de nos idées dans la forêt que Ginès a exploré sans nous ?

— Certes nous n’y avons pas mis les pieds et ce n’est pas maintenant que nous allons commencer à le faire, Ginès étant sur le point d’entendre le chahut dont nous avons parlé à la fin du chapitre précédent, qui est le dernier, en quoi celui-ci n’en est pas un et, pour revenir à nos moutons, il ne serait pas inutile de continuer nos considérations, où nous les avons laissées car vous les interrompîtes pour attirer mon attention sur un autre objet de la réalité, à savoir ce cheval de bois qui joue au jacquet avec les hommes et qui emporte victoire sur victoire sans que personne, à part nous, qui avons de l’esprit, ne s’en étonne outre mesure, sur les épilogues des livres, disais-je, qui ont une fin après avoir eu un début et de raisonnables développements des idées ainsi introduites et conclues, et sur cet épilogue en particulier, lequel est comme qui dirait le chemin le plus court de l’annonce de la fin à la fin elle-même.

— Ah ! Je vous arrête encore, car une nouvelle victoire vient d’élever ce cheval de bois d’un cran supplémentaire et cette fois très au-dessus du commun des mortels.

— Si cela continue, Ginès n’entendra pas le bruit qui vint à conclure notre précédent chapitre, qui est le dernier, celui-ci étant, comme je le disais…

— Chut ! Écoutez le silence que vient de provoquer ce dernier triomphe…

— Ce n’est pas le moment d’écrire quelque chose de narratif sur ce bruit venu de l’extérieur et qui provoqua la sortie de Ginès et de Sancho, coupant court aux délices dont se régala ce cheval de bois suite à son dernier succès car, mon cher berger Lysis, vous m’accorderez que s’il y eut une fin au chapitre quatre, qui précède cet épilogue, ou qui le précéda selon l’endroit où l’on se tient sur l’échelle du temps ramenée aux proportions de cet ouvrage, ce ne fut point celle de la partie coïncidant exactement avec celle de la joie que le cheval de bois consommait au détriment de la fierté de ses adversaires ludiques, car mon intention de narrateur attentif aux effets produits sur l’esprit en proie aux resserrements du récit songeait non point à « terminer » mais à engager ce qui suit, où nous sommes, si j’ai bien compris…

— Nous verrons ! Voyez comme il manie le cornet ! Il y a un secret là-dedans. La jambe prend l’élan nécessaire. Il eût une crinière, au lieu de cette serpillère, il la secouât. L’œil engage le mouvement plus qu’il ne l’observe. Le secret est peut-être là, sur la rétine qui n’est autre que le réceptacle des informations dans ce temps réel tant aimé des ordinateurs. J’imagine…

— Vous imaginez trop, Lysis ! Ce cheval n’est que de bois. Je vous dis qu’il est plutôt habité que conçu pour le calcul. Ce sont des planches ! Remarquez comme il se sert de l’éclairage. Ce n’est point pour calculer, mais pour jouer !

— Admettez cependant que ce que je vois, vos yeux ne le comprennent pas !

— Et depuis quand les yeux comprennent-ils ce qu’ils voient ?

— Mais c’est le contraire que je vous dis !

— Il a encore gagné !

— Il sait jouer.

— Il est donc habité. Mais par qui ?

— Ou truffé d’une électronique complexe comme le fruit de ses victoires.

— Le fruit de ses victoires ! Cela ne veut rien dire !

— Cela dirait si vous regardiez au lieu de m’interrompre.

— Mais c’est vous qui interrompiez… Ah ! Je renonce.

Et prononçant cette espèce de verdict à l’encontre de mes propres intérêts vitaux, d’un bond je m’associai à la table déjà martelée par les coudes des vaincus, tandis que le cheval de bois lançait ses dés mallarméens dans un espace qui lui appartenait désormais tant il n’en restait plus grand-chose à jouer. Ses yeux, s’ils étaient habités par des circuits autrement structurés que la fibre du bois qui les composait, ne jetaient aucun de ces rayons que la nature du roman, longuement éprouvée au fil des écoles et des contraintes politiques que le laboratoire du temps soumet complaisamment à l’Histoire dans la perspective d’une infinité irremplaçable autrement que par les inventions aléatoires du rêve et du crime de sang, attribue tant aux machines qui ont le pouvoir de regarder qu’aux habitants cuirassés qui les habitent plutôt pour expliquer leurs succès sur des esprits aussi limités en ressources intellectuelles que celui de Ginès, qui croyait que son souffle nauséabond avait de l’influence sur les dés, ou celui de Sancho qui se servait plutôt de ses doigts pour en croiser les sortilèges. L’hôtesse soutenait ces regards sans ciller. Dans son dos, les charmants visages de la jeunesse s’initiaient à l’échec en en recueillant les principes à la surface tremblante des joues que les perdants grattaient avec férocité en attendant de revendiquer leur droit à l’humiliation.

 

LA PARTIE

 

Premier lancer de dés dans l’espace imparti par les circonstances ou plus exactement comme conséquence de l’interruption causée par le berger Lysis ou quel que fût son véritable nom.

Je reçus le cornet des mains, si ces sabots formés de deux lattes de vieux cerisier arrachées aux débris d’un escalier ou d’une charpente en désuétude comme il s’en trouve encore beaucoup dans ces contrées abandonnées par l’homme en recherche constante de ressources censées contribuer à son bonheur ou au moins à sa tranquillité relative, faisaient office d’instrument d’appréhension et de saisissement comme il en est de nos propres paluches, lesquelles, pour ce que je sais des miennes, ne sont douées que de très sommaires aptitudes à la reconnaissance par anticipation, en quoi le geste de jeter les dés recevait l’épithète de hasardeux ou pire d’inconcevable, de Clavilègne, ainsi nommant ce cheval de bois qui sentait encore la poudre et le minerai et n’avait rien perdu de la bonne humeur que tant de pétarades avaient communiquée aux traits immuables de sa face et de son profil. L’ayant reçu, et n’en commentant pas l’opportunité, car je craignais de m’aventurer dans le discours de ma douleur, je me mis à le secouer sans me servir ni de mon souffle ni de ma goétie digitale, prenant soin toutefois de ne pas me laisser influencer par ce qu’en savaient mes partenaires, ceux-ci étant attentifs à la moindre nuance de ma cinétique en action et grimaçant comme des magots dont les membres se sont figés lamentablement dans l’attente d’une récompense ou au moins d’un encouragement à tout recommencer depuis le début, perspective qui alimenta mon angoisse, détruisit encore l’assise de mes certitudes et fit trembler mon popotin. Enfin, comme qui se décharge au sommet du plaisir, ou expire à l’envers de la souffrance administrée par ses juges, j’ouvris la porte de mes doigts, d’où les dés, au nombre de deux, firent une irruption remarquée, virevoltèrent l’un contre l’autre sous la lampe qui éclairait les sabots, ou mains, dont le cheval de bois se servait maintenant pour applaudir ce qu’il appelait ma prouesse, certain qu’il était que je ne réussirais pas mieux que mes amis et que le sort en était tellement jeté que ses effets dévastateurs se lisaient déjà sur mon visage. Aucun souffle ne fut retenu, comme il arrive dans ce genre de circonstance où l’attente ne promet rien tant que la chance ne tourne pas. Au contraire, les respirations s’activèrent toutes au seuil de la chute décrite par le tournoiement des dés. Nous les vîmes ensemble, eux et nous, composer un pitoyable trois, somme dont la décomposition, en l’absence de zéro, ne pouvait être que 1 et 2. Cette suite me parut sinistre, mais je n’en dis rien. Ginès avait simplement dit : « 1 et 2… » et Sancho avait répondu, si cette parole en était la réponse : « 3 »

 

Question d’une inconnue comme variable de la malchance qui était la nôtre en ce moment crucial du voyage entrepris en même temps que le présent récit.

Clavilègne frappa encore dans ses mains.

— Mon bon monsieur, me dit-il, il semble que la chance ne sourit qu’aux chanceux !

Je l’eusse tué ! Ginès cligna de son œil de verre à l’éclat d’émeraude. Il savait comme moi que le cheval de bois était ininflammable. Son projet prit la forme d’une moue électrique puis, s’étant engagé dans le chemin des yeux, se changea en haine. Il me taxa le cornet des mains, sans ménagement. Je couinai pour exprimer le retour d’une douleur ancienne, mais comment pouvait-il en savoir plus que je n’en savais au sujet de ce mal hérité de l’enfance et de ce qu’elle charrie quand elle devient le fleuve de la maturité ? Clavilègne me tapota le dos de la main avec la douceur de sa jambe. Je voyais nettement des yeux dans sa bouche, mais le berger Lysis s’était plongé dans une réflexion imperméable à toute critique supplémentaire et je dus renoncer à l’interpeler sur ce sujet délicat, car si quelqu’un, tel le nain de Maelzel, habitait ce cheval de bois, ce n’était ni lui ni moi ! Constatation qui nous eût jetés lui et moi dans un embarras digne de notre méconnaissance en matière d’automatisme tant psychique que plus prosaïquement inspiré par les nouvelles technologies de la vitesse d’expression et de la capacité de mémoire, car nous n’avions ni l’un ni l’autre envisagé le cas d’une troisième personne à ajouter aux deux que nous interprétions ici, lui pensant que la mécanique ne remplacera jamais l’intelligence humaine, et moi ne voyant pas comment considérer que si nain il y avait, ou autre chose, à l’intérieur de ce cheval de bois, il ne pouvait s’agir que d’un parfait étranger à notre propos et non point d’un troisième homme ou alors d’un personnage inventé uniquement pour donner raison à mon intuition. Pourtant, derrière les dents figurées par des morceaux de sucre, deux yeux me regardaient ! Et je ne manquais pas de les regarder aussi, ne voyant rien d’autre que leurs pupilles dilatées et le fond d’une rétine où se devinaient quelques-uns de mes traits. J’eus la tentation, pendant un instant de folie que j’eus heureusement le temps de reconnaître comme la mienne, de mettre la main dans cette bouche pour en tirer, aurais-je prétexté, mais dans quelle intention, cette langue qui était aussi la mienne depuis que ce cheval de bois parlait, à vous comme à moi, comme il est écrit plus haut, fait que je grossis maintenant que je le dis dans le cas où il vous aurait échappé que ce cheval n’avait encore rien dit avant de dire ce que j’ai dit qu’il dit. Une grosse goutte d’une sueur glaciale se forma au bout de mon nez. Clavilègne me tendit son mouchoir. Aucune broderie n’y témoignait de sa véritable nature et le cornet que Ginès secouait dans son haleine chargée d’autres inspirations s’ouvrit sur une nouvelle tentative d’avoir plus de chance que cet automate dont il était, nous n’allions pas tarder à le lui reprocher, Sancho et moi, le berger Lysis préférant ne pas s’impliquer dans notre contestation, le propriétaire depuis qu’il l’avait volé à on ne savait qui, inconnue dont la variabilité nous donna le vertige.

 

Deuxième jet de dés comptant pour le cours de ce récit.

On s’en doute, cette nouvelle tentative de vaincre la chance n’aboutit qu’au lamentable échec que nos soupirs accompagnèrent de leurs sinistres apagogies et parmi ces visages qui déclaraient ostensiblement que la haine soutenait leur désarroi, moment de mépris rejeté comme les cheveux ornant le crâne rare d’un érudit poussé au suicide rituel que lui impose encore les mœurs civilisatrices, comme quoi le progrès n’est que la conclusion provisoire et approximative des rêves primordiaux jamais exprimés avec les mots de la tribu, je vis qu’on me regardait. Par instinct, car le désir l’emportait encore sur la pusillanimité dont je pouvais faire l’objet en tant que nouvellement admis dans ce sérail romanesque, mon œil ouvert glissa de mes mains, lesquelles étaient occupées à recommencer secrètement la pulsion impliquée au cornet pour en recueillir la substance et les signes fonctionnels les plus capitaux en termes de survie, à celles que ma toute récente conquête féminine, peut-être en état de prostitution, si le récit n’en est fait que pour me déconcerter au-delà de la raison qui l’a initié, mais selon moi, à cet instant de promesses suspendues au fil de l’inconstance, il s’agissait plutôt du charme que j’exerçais sur l’esprit légèrement conçu d’une soubrette surprise au bord de l’eau du rêve et de ses petites barques en allées parmi les nénuphars promeneurs de bien des extases, opposait à mes implications dans le jeu sans se douter que je n’étais avec elle que pour ne pas manquer le prochain coup. Je caressai lentement sa substance.

— Jouer n’est pas bien, me dit-elle de sa grasse voix. Surtout avec cette machine qui fait gagner de l’argent à Ginès.

— Je vois bien avec vous, ma mie, que nous sommes la dupe de ce charmant voleur.

— N’est-il pas entré dans le lit de madame Célestine ?

— Et il en sort pour en confirmer les qualités rituelles.

— Vous ne devriez pas jouer, mon ami. Cet argent vous manquera avant la fin de votre voyage. Et Ginès en aura joui sans vous.

— Mais le jeu, ma mie ! Je n’y peux rien ! Jouer ah jouer !

Elle saisit alors le cornet supposé que je secouai dans ma main. À ce rythme, les dés, tout aussi imaginaires, si vous m’en croyez, ne tarderaient pas à gicler sur sa robe de service. Et sans qu’il m’en coutât un sou ! Je léchai le pli sommaire que son cou formait sur ses épaules.

— Vous ne remplacerez pas votre insouciance par cette chatouillerie ! s’écria-t-elle.

Elle rigolait sans retenue. Dans son tablier, mille cuillers tintaient. Et mon regard, qui ne soutenait plus rien, glissa encore le long de ses bras, rencontrant alors le dossier d’une chaise où était accroché un vieux chapeau de paille que je ne m’étonnai pas de trouver ici. Il appartenait à la marionnette, autre automate dont Ginès connaissait le secret. Elle me regardait, ayant tourné sa tête de chiffon un peu à l’oblique pour ne pas manquer la double concavité de mes rétines.

— Vous ne jouez plus ? me dit-elle.

— Il a tout perdu, dit ma mie.

— Tout, non ! Mais je ne compte pas me refaire. Je n’ai pas assez de chance, voyez-vous… Mais vous-même, on ne vous a pas vu tenter le Diable… ?

— Je ne le tente jamais, répondit la marionnette.

— Si vous êtes le Diable… supposa ma mie en me pinçant le dos de la main.

La marionnette se contenta d’un sourire aussi large que le permettait l’entaille qui lui servait de bouche. Des dents de pailles étincelaient sur ses lèvres jaunes cousus de fils noirs qui s’effilochaient en petites éruptions mais qu’aucune langue n’humidifiait de ses enchantements. Qui était ces deux êtres qui habitaient ces automates fauchés ? L’un gagnait au jeu tandis que l’autre amassait les gains dans sa gidouille. Sa main hérissée de tiges et d’épis formant le paillon métacarpien raflait les mises dans un geste large et rapide finissant dans des entrailles d’or. La monnaie cliquetait. J’en conçus un vertige, que ma mie soutint de toute sa force, me soufflant à l’oreille que « mieux vaut peu que rien du tout » et ces sortes de compliments que la sagesse populaire adresse à l’aventure pour en épargner ses sujets et leurs propriétaires méticuleuses que les maisons bien garnies habitent plus qu’elles n’y conçoivent les ressources du recommencement familial et de l’immobilité des hommes semeurs d’autres pagailles moins justifiées. Une martingale me venait à l’esprit, échauffant ses surfaces aléatoires, tandis que je coulais comme en débâcle entre les vallons que cette chair me proposait en attendant que je revinsse à elle dans de meilleures dispositions sociales et que la marionnette, penchée sur le dossier de la chaise comme si sa colonne vertébrale, n’ayant aucun point commun avec la mienne, pouvait aller dans ce sens et lui donner du sens, versait dans mon oreille les conseils que ma conscience voulait réveiller sans en avoir les moyens ni l’audace, sous se frottant au fond de moi, que la prétendante retenait de ses doigts lestes dans la paille et les fils que la marionnette réussissait à infiltrer dans cette matière à peine vivante que je constituais à fleur de l’existence en attendant de m’y réveiller et de m’y trouver assez dispos pour me remettre à travailler au bien commun comme il sied à l’homme bien formé entre la cuisse et le bahut. Divin à ce moment, je jetai les dés.

— Encore perdu, dit le cheval de bois.

— Et cette fois, il ne te reste plus rien !

On se doute que cette parole fut le signal de ma chute, car la belle fila et je me retrouvai sur le dos comme l’insecte au ventre fragile entre dans la mort sans oublier d’agiter frénétiquement ses six pattes métalliques en guise de mécanique horlogère, et la marionnette s’appuya sur mes épaules pour se donner l’occasion de me seriner sa doctrine, à quoi je répondis que je n’avais plus un sou et que le voyage, mon voyage, venait de prendre fin alors que j’étais si loin de chez moi et qu’il n’était plus question que je m’installasse dans ce bordel, ou villégiature, selon la perception que chacun peut y jouer au risque d’y perdre les plumes de dedans et la housse qu’elle emporte avec elle, pour y jouer le rôle que le destin m’attribuait pour marquer l’endroit médian de mon aventure et lui donner non seulement tout son sens, ce qui n’est pas rien, mais aussi et surtout toute sa valeur affective, caractère occupant à la fin le sommet de la courbe existentielle avant qu’elle ne décline symétriquement dans l’autre sens, à l’opposé de toutes les gestations imaginables, y compris les sources de l’invention et des copies conformes. Mais pleurer au moment où l’on écrit qu’on n’a pas eu d’autre choix que de se placer dans la perspective de la douleur ne sert pas la cause du plaisir retrouvé en même temps que les pénates, aussi en priverai-je le lecteur à l’avenir de ce texte pour me consacrer des pieds à la tête à la stricte fonction de cet épilogue, laquelle me revient à l’esprit car je l’ai retrouvé, là, entre les bras de la marionnette qui ne craint que le feu de ma pipe et s’y tient à une distance qui n’interdit pas, loin s’en faut, la conversation et les compréhensions mutuelles qu’elle inspire aux esprits ordinaires comme le furent les nôtres du temps de ce périple interrompu, négation même des séries imposées par les spectacles historiques et les complots ourdis par les rayonnages du commerce, et comme le mien l’est encore à l’heure où j’écris cela en pensant à ceci.

Troisième jet sans lequel ce récit n’a plus de sens.

Revenant au jeu, je repris place sur ma chaise, qui était sans dossier, ceci expliquant cela, à peine une minute avant que le chahut du dehors ne vînt interrompre la partie, comme il est dit au chapitre précédent dans les derniers moments de son utilité narrative, et trente secondes ou presque après que la femme promise fût, accélérant ainsi le cours du récit, propulsée dans ce même extérieur par les sentiments que je venais d’inspirer aux siens, la porte ayant claqué sans mesure et le linteau ayant laissé tombé un peu de sa poussière dans un rayon de soleil opportun qui ne manqua pas d’occuper nos esprits au son que les dés produisaient sur la paroi conique du cornet agité savamment par les sabots du cheval de bois, en conclusion de quoi nous vîmes les chiffres dinguer à la surface du tapis, le souffle coupé et la mine basse, rongés par l’espoir et déjà détruits par l’espérance. Or, la chance ne souriant qu’aux chanceux, principe qui jusque-là avait présidé à la fortune de Clavilègne, tourna, se replia douloureusement en même temps que nos échines, appliqua des forces contraires sur nos épaules et les coucha comme les côtés d’un polygone autour de la figure que les dés formaient maintenant sans contestation possible : le cheval de bois frappa durement le bois de la table, lui arrachant de drôles d’étincelles. Il venait de perdre sous nos yeux, je dis bien : sous nos yeux, car nos yeux voyaient ce que nos cerveaux ne croyaient pas encore et nos mains, suspendues dans nos cheveux, ne les étreignaient pas encore, mais se préparaient à infliger la plus suave douleur au cuir qui n’attendait que ça pour enfin donner toute la mesure de sa capacité à nous faire hurler de plaisir. La marionnette enfourcha le cheval de bois. Un signe de Ginès l’y avait-elle invitée, commandement dont nous ne perçûmes pas l’intolérable précipitation ? Certes, ce n’était pas moi qui gagnais, mais l’insigne Marette que la Présidente comblait de ses avantages. La bouteille qu’elle avait dans le cul visa juste et atteignit le magot. Marette en avala le contenu et fut le premier à s’exprimer sur ce nouveau sujet de conversation, nous privant du même coup de la joie qui nous était promise. Le berger Lysis accepta de souffler dans le pipeau et en tira quelques harmonies passagères, ce qui ne nous tranquillisa pas, et nous replaçâmes nos tristes mains dans nos poches, décidés à ne plus jouer, pour ceux qui en avaient encore les moyens, et à ne plus en être le témoin, comme je devais être le seul à y croire encore, le cerveau tout plein des pleurs que mon amante laissait couler dehors sous un soleil de plomb comme en témoignait les interstices des rideaux et le craquement lugubre de la charpente et de ses appuis.

Le lecteur attentif, moins vigilant toutefois si le jeu l’a occupé autant que nous, attend des nouvelles de ce bruit qui vint du dehors pour nous inviter à en connaître la nature. Nous avons pris le temps d’une petite partie de jacquet, non seulement parce que nous aimons dépenser le peu de temps qui nous reste à vivre à attendre d’en tirer un plaisir substantiel comme il est naturel que l’homme désoccupé s’adonne à la perte de temps pour pallier l’effritement des conditions de son existence, mais aussi, pourquoi ne pas le confesser maintenant que les dés sont jetés, parce que sans les circonstances de cette partie, dont nous connaissons dès lors les tenants et les aboutissants, la suite n’aurait de sens que ses conséquences, lesquelles constituent la fin de l’histoire qui nous est ici contée, et manquerait alors des évènements constitutifs de sa juste perception. Le fragment qui suit, qui n’est ni acte ni tableau, mais peut-être, comme il en est dans l’ancienne dramaturgie espagnole, auto, décrira un combat :

 

LE COMBAT

 

De la valeur des cris comme prolégomènes au combat considéré comme examen de la raison avec les moyens ordinaires de la folie.

Un spécialiste de l’hostilité, lequel ne peut être soupçonné de m’en vouloir, à moi, Rogerius, signataire et dédicataire des présentes formules narratives et spéculations y afférant, car il est et sera toujours l’auteur incontesté de mes jours y compris les plus sombres et les moins favorables à la reconnaissance, avançait en même temps que ses pions colorés qu’il n’y a rien comme un cri pour annoncer le triomphe envisagé à la fois comme gain de justice et rapport substantiel non négligeable en période de mendicité occasionnée par la sénescence ou la reddition des comptes selon qu’on a déjà donné ou qu’il reste encore à devoir. Je l’écoutais avec l’attention qu’on imagine, plein de cet espoir qui forme les meilleurs jours de notre existence, ceux qui ne reviennent que sous les apparences photographiques que la mémoire, toujours aux prises avec les spéculations esthétiques et morales qui conditionnent les travaux d’approche de la connaissance et les reculades surjouées que l’action implique à l’esprit peu convaincu de réussir là où d’autres ont échoué plus de fois qu’il n’en faut pour détruire un homme à peine construit ou reconstitué avec les moyens de l’imagination mise au service du bonheur ou passagèrement de la joie si le combat envisagé n’a guère plus d’importance qu’un quelconque accident en instance de doublement vu à travers les miroirs des façades ou des lignes d’arbres semblant avoir été plantés pour que ça arrive malgré soi, met à disposition de l’esprit au moment d’en sacrifier l’arborescence au profit des spéculations que le divertissement finit par imposer aux témoins finalement retrouvés. Le cri, qui ne veut rien dire et ne dit rien, me dit cet apôtre futur, sans cesser de becqueter le mégot humide de sa croissance déclinant au rythme de ses litiges métaboliques les plus complexes vus de l’endroit où je me trouvais pour l’écouter, appliquant ma langue aux endroits désignés par ses enseignements hérités de la tradition du doute, n’est que le cri que chacun peut pousser devant soi comme le lépreux agite sa clochette pour qu’on dégage le passage où la nécessité le conduit, triste baladin de la douleur apaisée sans autre explication que la gravité de l’affection, et de ce cri naît en principe le silence qui est comme un autre avertissement inspirant aux fenêtres de se fermer et aux portes de ne s’entrouvrir que pour laisser passer l’alimentaire devenu signe théologal au pire, ou substitut de la poubelle dans les cas les plus probables considérés comme le mieux à faire quand on ne croit plus à rien. Tu ne seras pas cet homme, mon fils !

— Mais quel homme serai-je si je ne sais rien de l’homme que je suis ?

— Car, continua mon pet-de-loup, le cri qui te changera et fera de toi un autre homme que celui que tu es parce que l’homme qui crée l’homme n’a pas le pouvoir de le changer, ce cri ne se pousse pas, il se tire.

— Comme un coup de fusil dans le cul du voisin importun !

— Mieux vaut viser le cœur, fiston. C’est ce que j’ai toujours fait. Le cri est alors poussé par la victime. Mais je t’accorde que le cri causé par une blessure au cul est plus puissant que celui que le cœur s’arrache en perdant son rythme vital.

— Aussi ne me laisserai-je pas tromper par la hauteur du cri, car un cul ne vaut pas un cœur !

— Je connais des cris silencieux. Il n’y a pas là de quoi hurler à l’incohérence ou au blasphème.

— Pourtant, continua mon mentor biologique, le cri poussé comme le lépreux fait sonner sa clochette n’est pas sans avantage et honneur si toutefois il constitue l’assise de cet autre cri qu’on tire de l’autre. Je t’en dirai des nouvelles : Considérons que nous sommes tous des lépreux et agitons la clochette qui vide le passage tant de ses êtres désoccupés que de ses animateurs et contribuables qui ont la préférence des pouvoirs en jeu, lesquels tu ne dois pas ignorer si tu tiens à la vie et à ses contenus jubilatoires tant dans le sens de la douleur que de celui des plaisirs moins aléatoires. Autrement dit, fils de pute, tu viens d’entrer dans le combat. Ton cri, loin des vagissements et des pleurnichements qui ont affecté ton enfance, est ta marque de fabrique, comme d’autres artisans creusent leurs signes distinctifs dans un recoin de leur œuvre, mais avec cette différence que tu ne signes pas, tu t’engouffres plutôt, tu déboules, et la rue, ou passage, s’immobilise un instant pour considérer ton chancre maculeux et s’en effrayer aussitôt au point de disparaître en laissant des traces d’étalages et d’ordures en cours de ramassage, vomissures des rideaux dans les interstices des ouvertures closes, verres abandonnés dans le cercle rompu des guéridons en phase avec l’oubli, et toutes ces choses qu’on n’emporte pas avec soi si l’on tient d’abord à sa peau.

— Mais, ô Papa, ne dis-tu pas que l’endroit est désert ? Où trouverai-je un cœur à transpercer de mon dard si personne n’a l’idée de m’attendre au lieu de fuir avec les autres ?

— Il faudra que tu t’y habitues, ô fifisse. La rue ne contient plus rien que des traces. Or, on ne tire aucun cri d’une trace d’homme. En cela, tu as raison.

— Mais ai-je déjà tort, ô mon papa ? Alors que je viens de commencer à vivre enfin ma vie ?

— Rien ne commence autrement que leur existence de merde ! Or, toi, tu veux vivre. Et il n’y a personne pour te le dire en face. Voilà ce qui arrive aux meilleurs hommes.

— Le désespoir, à peine vivant ma vie… ! Je ne vais tout de même pas la passer à agiter ma clochette. Ça avance, la lèpre ! Et elle finit bien par emporter son dada !

— À qui le dis-tu ! Vois où j’en suis…

— Mais tu es un minable, Papa ! Eux, au moins, ils existent, à défaut de vivre leur vie !

— Tu dois choisir : faire comme ton papa, et passer ta vie à t’arracher la peau et les chairs, ou payer ta sécu et te mettre à l’abri quand passe un lépreux.

— Et le combat alors… ?

— Je ne t’en parle pas car je n’ai pas combattu…

— Mais comment se battre si personne ne sort ?

— Je n’en sais rien… Ils ne sont jamais sortis. J’ai attendu, attendu, agité ma clochette, répandu mes chairs mortes, je suis même allé me faire voir ailleurs, mais rien n’est arrivé…

— Pas de cœur à prendre et à…

— Non. Cela ne t’arrivera peut-être pas. Je n’en sais rien. Je n’en sais rien !...

— Il me faut un combat !

— Tu n’en auras que le spectacle !

Alors, en plein ce cœur du récit qu’est son épilogue, je me mis à souhaiter un combat. Que j’y fusse impliqué comme combattant ou spectateur m’importait peu. Je ne voulais que donner un sens à ce que je racontais aux autres pour qu’ils imprimassent enfin mon livre, preuve que j’avais moi aussi un sens à prendre au fil du temps. Et voici ce que j’imaginai :

 

Comment le conte fut changé en réalité.

Au plus fort de la partie, alors que Clavilègne pestait humainement parce que les dés n’étaient plus pipés à son avantage et que Sancho maudissait le hasard tel que le conçoivent les mathématiciens compositeurs indemnes des éthiques du jeu considéré comme le palliatif de la fortune et de l’amour fait aux femmes et inversement, que Ginès commençait à se faire du mouron relativement à sa bourse cette fois déliée de tout pacte avec les puissances qui l’avaient transporté jusqu’ici sans dommage pour le temps traversé sans autres péripéties que ce que les livres d’Histoire les plus élémentaires conseillent aux pédagogues plus soucieux de vacances au soleil que de promesses d’ensemble, que Lysis, ou qui que ce fût qui pût porter ce nom fameux sans l’assistance d’un carmelin à la clé de ses désirs les plus fous du point de vue de l’héritage qu’il conteste à Francion, plongeait sa flûte dans les théories de la gamme tempérée non point au clavier mais à même les plis les plus secrets que la domesticité offrait à son imagination libertine, que l’hôtesse ne cessait d’alimenter de caresses savantes les passagers de sa frêle embarcation aristotélicienne et particulièrement à la surface frémissante du Ginès qu’elle imaginait avoir convaincu de s’arrêter chez elle pour au moins le temps d’une vie civilement consacrée aux bénéfices les plus concrets, que la marionnette avait enfourché le dos de Clavilègne sans ménager sa crinière ni la queue servant à remonter les ressorts de ses déplacements et autres mouvements témoignant, selon Lysis, qu’il contenait la plus formidable mécanique qu’on eût jamais conçue de mémoire d’homme habitué à se souvenir sans le recours aux artifices moléculaires, que ma mie, s’il m’est aujourd’hui permis d’en parler sur ce ton certes un peu spéculatif, pleurnichait derrière la porte sans cesser d’en gratter les écailles vieillies par le vent et ses pluies de secondes perdues à jamais dans l’éloignement et les fuites perspectives, que j’en étais à me demander ce que diable je venais faire dans cette sorte de galère qui ne m’avait pas conduit jusque-là et m’invitait à descendre dès que le temps se mettrait au beau, car je sentais qu’on avait pitié de moi, que toutes ces choses m’arrivaient en même temps alors que je n’en percevais que la succession insensée, incapable que j’étais d’y mettre de l’ordre, par exemple, comme dans le Coran, en commençant par les plus petites et non point insignifiantes et ainsi jusqu’à la plus étendue qui par sa nature même me condamnerait à remplacer définitivement l’insensé par le divin, croissance que mon esprit était maintenant prêt à accepter comme le meilleur moyen de me taire, alors que les dés retournaient d’où ils venaient, à savoir le tapis curieusement préservé des atteintes de l’usage car on n’y posait jamais les mains même pour protester ou se vider de son désespoir, une voix de stentor mit fin aux larmes de ma belle, laquelle sembla se ratatiner sous l’effet de ce qu’elle était pour l’instant seule à pouvoir regarder, attente qui détourna nos regards de la somme jouée pourtant en toute honnêteté et, tandis que nous nous immobilisions chacun dans l’attitude la plus proche des sentiments inspirés par cet événement, ou phénomène si personne n’en était l’auteur, Sancho se leva comme propulsé par un ressort, ainsi qu’il arrive aux domestiques surpris en pleine activité libertine, et Ginès, qui ne demandait qu’à changer le cours de ce conte, le suivit ou même l’entraîna vers la porte pour l’ouvrir et la fermer le temps d’un ainsi-soit-il.

— Heureusement, dit le cheval de bois, car je perdais encore !

La marionnette lui planta deux éperons de paille dorée dans ses flancs nervurés à l’ancienne et il se cabra comme s’il jouissait de cette impétuosité. Cependant, j’écoutais :

 

Ce que j’entendis alors que la porte était encore fermée et que je redoutais que mon amour se fût enfui pour ne pas perdre la raison.

— Ah ! La grosse feignasse que je n’ai jamais frappée pour lui donner la leçon qu’elle mérite, te voilà surpris dans le péché de luxure et en compagnie de cet illustre voleur qui me doit presqu’autant que toi, fripouilles que vous êtes ! Ah ! Ne prétends pas t’être perdu en chemin. Les routes de France ne sont pas si compliquées qu’un larbin ne sache s’y retrouver sans perdre ses droits à une retraite paisible. Sais-tu ce que cela coute d’entrer en conversation avec les autorités de ce pays qui ne connaît pas la gratuité des transports tels que nous les concevons dans notre propre empire ? Les heures que j’ai passées à expliquer ce que je suis et ce que je ne suis pas ! Et Rossinante qui attendait ! Des femmes, je dois dire fort bien tournées, un peu comme il arrive aux poésies les moins sommaires, l’ont gavé d’aliments aphrodisiaques pour s’amuser de ses effets sur sa capacité à engendrer ou prendre plaisir selon les instances du bonheur. Que crois-tu qu’il arriva ? Et quand enfin je me remets en route, avec mon passeport dans la pochette, je ne te retrouve plus ! Tu as pris un autre chemin que celui que nous avions convenu toi et moi quand ce Rogerius a poussé son cri plus loin que son village perdu. Ah ! Ne me dis pas que je me trompe et qu’il est ici avec toi en cette compagnie tellement complexe que je ne sais plus qui est la putain et qui est la servante, si tant est que la femme n’est ni l’une ni l’autre en période d’amour. La colère guide mes pas ! Je suis sur ta trace, traître à notre idéal et compagnon des damnés, car la traîtrise ne va pas sans la damnation, comme il est dit dans la Comédie, et c’est un chouette tour de force que d’opposer l’idéal à ceux qui n’en ont pas. Remonte sur ton âne si ce voleur ne l’a pas vendu au plus offrant comme c’est l’usage chez les profiteurs de la bêtise humaine. Et reprenons notre chemin pour secourir ce pauvre Rogerius qui n’a que nous au Monde pour verser ses larmes de sang et de feu. Car le sang est symbole de l’idéal et le feu celui de la damnation, si tu vois ce que je veux dire, doctrine pourtant simple que les douaniers n’ont pas comprise malgré le temps que j’ai consacré à m’en expliquer le plus clairement qu’il est donné à un esprit de ma qualité. Que ces fonctionnaires sont inutiles et couteux ! Rogerius ! Si tu es derrière cette porte, sort ! Je n’en veux point à tes épaules, mais j’ai besoin de toi pour chatouiller comme il faut celles de ces deux flémards !

 

Préliminaires du rêve que je fis alors, lequel peut être pris pour un tout autre cauchemar.

Ces paroles nous avaient interdits. La Présidente se torcha négligemment :

— Juste au moment où Loulou gagnait de quoi nous payer un voyage dans un pays de rêve avec des boissons captieuses et des esclaves compris dans le service !

Mais l’hôtesse était chez elle. Elle ouvrit la porte d’un fort coup de pied qui envoya valdinguer mon amour s’il se trouvait encore à cet endroit du récit, hypothèse qui me ravissait car je préférais évidemment le retrouver un peu sonné et peut-être meurtri aux entournures que de descendre dans la vallée pour ne plus savoir où donner de la tête tant ces filles se ressemblent toutes au moment où il est question d’en choisir une plutôt que l’autre, aventure que je ne souhaite à personne et qu’il ne me vient même pas à l’idée d’en charger un personnage imaginaire plus ou moins inspiré de sa réalité tant je sais, certes sans certitude absolue, que ce n’est pas ainsi qu’on conduit les meilleurs romans, ceux qui enseignent que l’existence est un coup de chance joué sur le tapis du désespoir. Mais l’hôtesse, soutenue par la Présidente qui la poussait dans le dos avec ses mains pleines de merde, n’atteignit pas le dehors sans s’y trouver aussi seule que s’il n’avait pas d’autre existence. On n’y vit ni mon amour, qui avait donc descendu la pente comme je le craignais, ni Sancho, pas plus que Ginès ni celui qui avait parlé haut pour prononcer mon nom, lequel était bien celui que j’avais choisi pour me présenter à don Quichotte et lui adresser ma demande d’un secours immédiat sous peine de, disons-le maintenant que tout est joué, car nous en sommes, je le rappelle, à l’épilogue de ce roman écrit pour convaincre et non pas pour plaire, périr sous l’action de mes propres mouvements, comme il arrive à ceux qui ne jouent plus ou font semblant d’imiter les autres en attendant que plus rien ne les inspire aussi prudemment. Avions-nous rêvé ?

 

Petite interruption provoquée par une ou un critique que l’imagination conseille à la pratique de l’écriture narrative exponentielle mise à l’épreuve par Rogerius tant au fil de l’histoire qui est ici racontée que de sa prochaine interruption par l’effet d’une conclusion dont le provisoire sera laissé en jugement à la patience autant qu’à l’intelligence du lecteur.

On sent ici à quel point le récit se précipite vers sa fin. Les séquences de sa progression se raccourcissent comme têtes qui tombent. Ah ! J’entends ici les critiques sommaires. Ce n’est point la tête qu’on raccourcit, mais le corps tout entier tel qu’il est avant qu’on le raccourcisse… d’une tête, dites-vous sans vous priver de me flatter la bosse que j’ai dans le dos. Ah ? Vous ignoriez que Rogerius est bossu ? On ne vous l’avait point dit. Cela n’était pas prévu, cher critique, et cela n’a donc pas eu lieu, de telle façon que cette histoire s’est bien passée, comme on le voit car nous en sommes à l’épilogue, avec un Rogerius affecté, si je puis dire (et c’est bien moi, Rogerius, qui le dis), d’une échine en tout point conforme à ce qu’on attend d’une échine promise à toutes les aventures. Conçoit-on de l’aventure sur le dos d’un bossu ? Pour en revenir à notre tête, sachez que je la raccourcis exactement de la même manière que je me fais bossu pour en illustrer l’à-propos. Cette explication suffit-elle à vos critiques ? Sinon, faites comme si cette tête et ma bosse ne formaient qu’un seul et même argument et permettez-moi de continuer d’écrire pour raconter et non point raconter pour écrire, comme il est dit dans Plaute, je crois.

 

Considérations nécessaires au bon usage de ce livre à des fins tant morales qu’esthétiques.

On se souvient comment, au chapitre troisième des présentes, je m’étais octroyé, dans la perspective du texte que j’allais écrire, le pouvoir de m’élever physiquement dans les airs au-dessus de la scène que je proposais à l’observation à des fins à la fois morales et esthétiques, car il n’était pas question pour moi de m’aventurer plus avant dans les domaines réservés à l’élite de nos esprits commentateurs de la réalité envisagée sous l’angle contraire de la poésie, ou en tous cas de ses moyens, à savoir ce qui relève sans aucun doute possible de la science et constitue le massif des connaissances et des hypothèses qui s’y cultivent, alimentant ainsi le rêve à la source même des apparences, et ce qui, plus proche au fond de l’être tel qu’il se voit quand le temps lui est favorable, ou s’il n’a pas subi les retards occasionnés par les applications des phénomènes sur les évènements, active le mieux la capacité à prendre du plaisir y compris où il est interdit par les moyens de locomotion du droit et de ses usages consacrés, je veux dire par là tout ce qui se comporte, agit, combat, renouvelle, décide, intervient, etc., et ainsi par le simple effet d’un ordre donné au texte je m’élevais, et je voyais, et même je savais ce qui se disait à propos de ce que j’étais justement venu chercher à cet endroit obscur imposé par la narration et ses intentions relatives. C’était là un de ces artifices que l’auteur s’autorise soit pour se faciliter le passage entre les propositions qui lui viennent à l’esprit ou en mémoire, selon qu’il spatialise son objet ou le soumet aux injures du temps, soit pour au contraire approfondir un tant soit peu les raisons qui l’ont mené tambour battant au seuil de cette construction somme toute assez originale si toutefois la copie est conforme et l’invention pas trop tirée par les cheveux. Ici de même, ou plus exactement au voisinage de ces prétentions au sens donné, et parce que la fin réelle de cette histoire est sans intérêt, du moins du point de vue romanesque qui est encore le mieux placé pour autoriser, sans trop se la fouler, d’autres répliques de l’existence et de ses immédiats où l’édification d’un roman est une circonstance peut-être destinée à alimenter la source même des activités cérébrales prises en flagrant délit d’apprentissage et de récurrence des plaisirs qui l’annexent finalement. Nous étions dehors, comme il est dit plus haut, et dehors, il n’y avait rien que le dehors. Le style même de cette information interdit toute conclusion. Or, un roman doit impérativement conclure, sinon il ne se termine pas et l’on se voit forcé de l’abandonner à ce qui n’est même plus un destin. Triste sort que moi, Rogerius, je ne réserve à aucune de mes productions, tant les parties que je joue avec le hasard imaginé par les autres que les preuves de l’amour que je porte aux choses de l’existence et dont la preuve réside dans ce que j’en écris avant de le dire, le plus souvent dans le désert, car mon nom n’est pas connu et mon visage ne suscite pas la curiosité, ma bosse, dont on sait à peu près tout maintenant, ne remplaçant pas ce que mes traits expriment mieux. Encore un peu, un pied bot ou autre chose, et je passais pour l’idiot du village. Heureusement, on me laisse tranquille, sinon qu’aurais-je écris ?

Ces précautions prises, pour le bien de mon entreprise, et parce que je n’en veux à personne, sachez, ô lecteurs émancipés, que ce qui suit, et qui va servir de fin à cet épilogue, est une invention, que j’en suis l’inventeur et que je n’ai pas d’autres explications à donner. Je vais donc procéder de la même manière qu’au troisième chapitre car, à moins d’être complètement idiot, et là je parle de toi, on se doute que la véritable fin eut lieu avec celle de la partie que nous jouions en attendant que la fortune nous sourie, ce qu’elle a manqué de faire en ce qui me concerne, mais je ne vous dirais rien de tout cela. Nous étions dehors. Il n’y avait rien dehors, que nous, à savoir qu’il manquait à l’appel Sancho Panza, Ginès de Pasamonte, ma belle ennemie, que je me promettais encore malgré des signes de fatigues peu prometteurs d’un abandon plus en phase avec mes désirs, et, si l’on veut, ce don Quichotte qui est, je le rappelle, un personnage de roman qui n’a jamais existé que dans l’imagination de celui qui l’aimait, à la fois comme un père et comme un fils, et ne pouvait faire autrement que de lui donner vie et mort.

 

Revenons à nos moutons.

Sur le parvis de cet hôtel qui n’a pas existé que dans mon imagination, nous étions moi-même, Célestine l’hôtesse, la Présidente, Lysis et sa flûte, Louis Marette tenant encore les dés de sa victoire, Clavilègne soulagé et se soulageant dans un parterre de fleurs et la marionnette qui le chevauchait en poussant les cris qu’on réserve d’ordinaire aux assauts entrepris contre l’envahisseur ou le contraire. Le roman ne pouvait se terminer là, nous dans l’expectative d’au moins une explication pas trop fantaisiste. Mon cœur, on s’en doute, était brisé. Je ne pouvais pas me résigner à cette perte. Entouré de putes merveilleuses, ou de servantes attentives, comme on voudra, j’attendais avec les autres et avec la même impatience silencieuse et immobile, paralysé !

La paralysie ne se conseille pas, surtout à la fin d’un roman ! Elle arrive comme la pluie et repart comme le vent, dit le proverbe populaire. À moins que ce fût Sancho Panza qui le dît. Je l’entendais comme s’il était là, trompant ma vigilance par cet impromptu. Et en effet, je vis une tronche aussi peu soignée se rapprocher de la mienne qui sentait encore la lavande et la marjolaine des mains qui m’avaient beaucoup promis et rien donné.

— Carmelin ? fit le berger Lysis.

Je saisis les poils de cette barbe pour en attester la véracité. Ils tenaient à la peau comme ces yeux à ce qu’ils voyaient.

— Où étais-tu ? demanda Lysis toujours sur le même ton.

Carmelin, si c’était lui, haussa ses épaules poussiéreuses et salua les filles d’un coup de chapeau qui éventa son épaisse chevelure.

— Je n’ai pas bougé, dit-il. C’est que je n’ai pas les moyens…

Les filles éclatèrent de rire. Il fallut que Célestine les fît taire pour que nous puissions écouter les explications de Carmelin qui ne disait pas non à la gourde tendue par des mains soucieuses d’en savoir plus que les autres. La marionnette, qui avait un peu perdu la tête, s’inclina pour signifier qu’elle remettait à plus tard l’épreuve du combat qu’elle était bien seule à deviner dans les entrailles du récit. Carmelin se rinça encore la langue et la tira pour en observer la surface rugueuse dans le reflet de mes lunettes.

— Qu’en est-il, Carmelin ? Vas-tu parler à la fin ? Tu nous tues !

— Tunoutu ! Tunoutu ! Tunoutu ! brailla la marionnette.

— Chut ! Carmelin va parler…

 

Et Carmelin parla, ou peu s’en faut.

Que serait-il arrivé s’il n’avait point entrepris de nous entretenir dans l’attente que la réalité revînt nous secouer le pompon ? Dieu seul le sait ! Lui qui ne sait jamais rien ! Et pour cause ! Autant l’avouer tout de suite, avant de perdre le lecteur sur d’autres routes moins aventureuses, je n’ai pas écouté le début du récit, si on peut appeler ça comme ça, de Carmelin qui avait pris place sur une adorable sellette que les filles, les servantes comme les autres, avaient été chercher dans le salon commun où d’autres sellettes attendaient, elles aussi, qu’on leur donnât un rôle dans cette comédie jouée en plein air sur le devant de l’hôtel et à l’ombre de ses ormes vieux comme le monde qui les avait plantés là. J’en pleurais, ou du moins prétextais-je que je pleurais parce que les comédies me font toujours pleurer, et si l’on me demanda pourquoi je me distinguais à ce point du reste de l’humanité, je répondis que je n’en savais rien, mais que j’étais construit de telle manière que c’étaient les comédies qui me faisaient pleurer et les tragédies qui m’amusaient à ce point que j’en riais de bon cœur, ô cœur brisé car elle était en ce moment à la porte de la maison de son père pour lui dire qu’elle n’avait pas trouvé « là-haut » la chaussure qui irait à son pied, disons-le puisque plus rien ne s’y oppose, délicat. Et comme conséquence de ce chagrin inattendu, je zappai la première partie du récit de Carmelin, ne doutant pas qu’elle fût essentielle à la compréhension de la situation dans laquelle nous étions pris comme mouches dans le miel, moi ne zézayant point pour apprécier les actes, mais agitant mes ailes pour en augmenter les fractures et chercher dans cette souffrance croissante la paix qui convenait le mieux à mon échec. Clavilègne me flatta plusieurs fois le cou en me disant que j’aurais plus de chance la prochaine fois comme il arrive qu’on n’en a plus après en avoir eu beaucoup. Je croyais entendre Sancho et rire Ginès en écho, mais j’ignorais toujours qui se cachait dans les entrailles du cheval de bois et quel était son degré de complicité avec celui, ou celle, qui habitait tout aussi clandestinement dans la marionnette. Mais mon histoire n’intéressait personne. On voulait d’abord savoir ce qui se serait passé si un autre que moi avait écrit ce livre et Carmelin, venu du fond des âges, et de la même réalité, avait la préférence de cette assemblée qui m’invitait à pleurer moins fort et à écouter plus bas. Cette situation me révoltait à peine, car je n’avais cure d’en dénouer les fils que j’avais, si ce n’est pas trop demander, emmêlés moi-même avec le talent qu’on me connaît maintenant, à l’heure de se laisser emporter par les inventions de ce valet crasseux et pantouflard alors que mon imagination a enfin atteint l’endroit du récit où tout devient clair comme l’eau que Carmelin ne boira jamais si le vin continue de couler avec autant de sérénité, de charmes et de promesses. D’ailleurs que savait-il de ma fin ? Et qu’en sais-tu toi-même, ô lecteur détroussé ?

J’en étais à hésiter entre écouter le récit de Carmelin, qui pût servir de conclusion et basta, et me raconter à moi-même ce que mon imagination me conseillait, comme il arrive, on ne le sait que trop bien, quand le cœur se trouve brisé par la raison même qui l’a rendu fou et que la solitude devient la seule source d’inspiration, quitte à passer pour un trouble-fête ou pire se condamner à ne plus paraître devant les autres. Et là, recroquevillé comme un ver à moitié écrasé par le pied qui allait ailleurs sans qu’il sache où, je conçus cette suite, qui n’est ni de Carmelin ni de moi-même, mais un peu des deux si je sais me montrer équitable ou autre chose si je viens de sombrer lamentablement dans le mensonge et dans l’imposture. Le lecteur saura reconnaître ce qui appartient à Rogerius et ce qui revient à l’invention de Carmelin, personnage chanceux qui arrive comme un cheveu dans la soupe et qui se sert le premier sans éprouver le moindre sentiment de reconnaissance à l’égard de celui à qui l’on doit d’en être là :

Quand nous sortîmes tous d’un seul bloc au dehors de l’hôtel, car non seulement j’y étais mais Rogerius ne m’avait point encore nommé comme je me nomme, et contrairement à ce qu’affirmait ce même Rogerius pour je ne sais quelle raison qu’il ne m’appartient pas de reconnaître car ce n’est pas mon métier de me mêler des aventures entreprises par ceux qui en espèrent plus qu’elles n’en peuvent promettre, il y avait du monde et ce monde était exactement celui qu’on s’attendait à y trouver car il n’était pas difficile d’en avoir une idée de l’intérieur où nous nous trouvions, passant le temps à divertir nos esprits et à assouvir les désirs selon un mode tarifaire dont il n’est pas besoin de dire un mot sous peine d’affecter le présent récit d’une digression qui n’en relèvera pas le sens à la hauteur de nos espérances et de nos attentes, à savoir que don Quichotte était juché sur Rossinante, l’épée à la main et le verbe haut, tandis que Sancho son domestique et Ginès le donneur de leçon pratique n’arrivaient pas à en placer une et que la demoiselle que Rogerius courtisait avec les moyens douteux de la courtoisie s’en allait presque joyeuse sous les ormes resplendissant de soleil et d’air frais. Nous vîmes Rogerius se jeter dans l’herbe pour s’y vautrer comme un cochon qui a trouvé le lieu de ses plaisirs, mais personne ne fit un geste pour le ramener à la raison, tant il était clair qu’il était devenu fou et que pour lui, le voyage prenait fin dans une flaque aussi peu gratifiante que prospère. Aussi le chevalier ne lui accorda-t-il pas son attention ni une seule parole, ne se lassant pas de discourir sur on ne savait quel sujet épineux qui le rendait enragé au point que Sancho avait perdu, sinon la raison, du moins le fil qui l’avait conduit ici pour être inexplicablement rompu sans doute par cette épée aux reflets rouges que le justicier brandissait comme une bouteille qu’il s’apprêtait à vider sur ses interlocuteurs muets. Les choses auraient pris une toute autre tournure si Clavilègne, attiré par l’odeur de Rossinante et inspiré par sa nature passionnelle, n’avait eu l’idée de sortir avec nous au lieu de s’en remettre à ce que la marionnette lui suggérait relativement aux gains amassés sur le tapis laissé sans surveillance. Sitôt que don Quichotte aperçut le cheval de bois qui avançait plus poussé par des désirs l’échauffant que par la curiosité qui eût pu être la sienne si la nature ne l’avait pas gâtée, il piqua Rossinante pour effectuer avec lui un saut digne de l’inspiration qui prétendait changer son discours en combat pur et simple, saut qui n’eut pas lieu à cause de l’état de la poussière, laquelle devait beaucoup à la basse-cour voisine, où on s’agitait, et un peu aux meules de foins que le vent érodait comme la langue change les sucettes en bâtons. Clavilègne, épouvanté par cet assaut préliminaire, poussa un cri tellement humain que Rogerius interrompit le spectacle de son chagrin pour revenir en détail sur sa « théorie de l’homme dedans », longue tirade qui s’acheva avec les poules et le silence qui s’ensuivit. La marionnette, depuis la porte qu’elle n’avait pas franchie, se frappa le poitrail comme si elle était habitée d’un singe. Sa poussière voleta et fit tousser Clavilègne et comme celui-ci portait son sabot à sa bouche pour la protéger, la marionnette d’un bond le monta et se saisit de la fausse crinière non sans avoir préalablement actionné plusieurs fois la queue en forme de manivelle, les entrailles de l’animal se mettant alors en mouvement jusqu’au bout des jambes et des dents qui s’agitaient comme les touches d’un piano mécanique du genre de celui dans lequel nous déposions nos offrandes au plus vieux métier du monde, et à ses inspiratrices claquées, dans cet intérieur qui, je le dis parce que je m’y plais, se situe aux antipodes de cet extérieur où le combat se prépare sans que nous ne puissions en changer l’issue. Les combattants, juchés sur leurs montures respectives, se mesurèrent alors du regard et nous reculâmes dans l’ombre d’une marquise placée là à cet effet, car ici était le lieu de tous les combats dont la nuit avait réveillé les stratégies. Don Quichotte jeta son épée qui tournoya un moment avant de se poser sur les épaules de Rogerius et nous ne l’entendîmes plus pleurer. La marionnette jeta un peu de paille dans le soleil, ne visant que l’effet, car elle n’avait pas l’air de vouloir franchir la limite que Célestine avait tracée dans la poussière du bout de son pied nu. Ginès poussa un soupir et alla s’asseoir près de ce qui semblait être devenu le cadavre de Rogerius, lequel crâne il flatta d’une main impatiente, soulevant des épis noirs comme les cils qui bordaient son regard de maître du temps quand ce n’est plus le temps. Don Quichotte, qui s’épuisait à piquer les flancs de sa monture, laquelle faiblissait à vue d’œil, jeta aussi sa salade et tout le métal dont il était couvert, rouille qui se dissipa lentement dans les feuillages et les oiseaux qui fuyaient en se tirant les ailes. Cette parade n’offensa pas la marionnette et Clavilègne s’en félicita à haute voix, car, disait-il, il n’avait jamais combattu avec quelqu’un sur le dos et quand il lui était arrivé d’être mêlé à un combat, bien contre sa volonté, personne n’avait exigé de lui une victoire aussi claire que l’eau qui coulait dans ses veines. Rossinante trépigna bien un peu, visité par les poules et l’âne lui envoya des vœux codés entre les planches qui le retenaient à l’abri des regards et de ce que ceux-ci conseillent quelquefois à l’esprit au détriment de ce qui est vu et regardé avec tant d’intérêt. Le combat stagnait, eût dit un conteur. Là-dessus Rogerius revint à lui et repoussa la main de Ginès qui se félicita bruyamment en se frappant la poitrine, non comme le singe qui habitait la marionnette, mais comme peut le faire un homme qui avait perdu l’espoir et qui, ne le retrouvant pas forcément, remerciait l’Être suprême de lui accorder encore une chance. Rogerius sourit à cette idée. Il se releva, essuya la boue de ses larmes sur des joues gonflées d’une douleur encore prégnante et actionna la queue de Rossinante comme s’il se fut agit de celle de Clavilègne. L’effet nous sidéra :

On vit la marionnette sauter à terre, ne prendre que le temps de rassembler la poussière ainsi soulevée et l’emporter avec elle sur le chemin que quelque temps avant la promise de Rogerius (selon lui) avait emprunté pour (toujours selon lui) se perdre parmi ses semblables pour qu’il ne la reconnût plus et soit l’oubliât pour se donner une autre chance d’exister selon les mêmes principes ou soit le contraire et alors on le voyait déjà nouer la branche pour s’y suspendre jusqu’à ce que mort et cetera et cetera s’ensuivît. Et la marionnette disparut. Clavilègne, à genoux sous Rossinante, se plaignait. Don Quichotte mit pied à terre et le releva d’un bras ferme :

— Je ne lutte pas contre les montures, déclara-t-il. Et Rossinante ne combat jamais autrement que dans mon propre combat. Ainsi s’achève cette joute, gentes dames.

Il fut bien vite joliment entouré. Clavilègne se recula dans l’ombre, ôta sa tête de bois et s’épongea le front. Il n’en fallut pas plus à Rogerius pour revenir entièrement à lui. Il saisit les blancs cheveux qui ornaient cette nouvelle tête et la secoua sans ménagement en débitant sa théorie de A à Z.

— Là ! Tout doux ! s’écria cette tête à l’aspect vénérable.

Et il fallut s’y mettre à dix pour extraire cet homme de la pesante et roide carcasse du cheval de bois. Par prudence, don Quichotte ramassa son épée et la cacha dans sa pochette.

— Qui est cet oiseau ? demanda-t-il sans espérer de réponse.

Ginès l’avouait en ce moment même à Célestine :

— C’est André Trigano, le chantre du Chemin de la Liberté.

On emporta ce nouveau trophée à l’intérieur. Le tapis était vide. Louis Marette y passa un doigt soucieux de poussière et la Présidente entreprit de siffler avec lui. Peu habitué à se voir négligé, don Quichotte se procura un siège et s’y installa pour observer le spectacle que les petits personnages de cet intérieur secret offraient à son attente. À l’extérieur, Rossinante ne s’y prenait pas autrement, mais n’avait d’autre choix que de contempler les débris de bois et de clous que formait maintenant le cheval de bois. L’âne ne put s’empêcher de commenter la scène, ce que nous ne ferons pas.

— Ainsi ce combat s’achève sur une énigme, dit don Quichotte.

Je repris la parole :

— De quelle énigme parlez-vous donc, Votre Grâce ? Ne suffit-il pas qu’on écrive que la victoire vous revient faute de combattant ?

— Là n’est pas la question, ami Rogerius. Je n’ai trahi personne, cela est entendu.

— Et d’où vous vient cette soudaine mélancolie ?

— Mon adversaire eût un nom, je l’eusse vaincu sans contestation possible. Mais il n’en eut point.

— L’énigme de son nom n’affecte en rien la qualité de votre victoire. Je ne connais pas d’exemple…

— Vous n’aimeriez pas savoir qui il était ? dit moins tristement le chevalier.

— Certes, mais je n’en dormirai pas moins sur mes deux oreilles. Il était ce qu’il est. Et il n’est pas ce qu’il était.

— Ô Iago ! Incorrigible Iago !

— Demandons à Dédé ! Il doit bien le savoir, lui qui se laissait monter.

— Ginès aussi en sait long. Mais à quoi bon résoudre ce qui n’a point de solution en dehors de l’évidence ?

— Ainsi s’achève le combat, deuxième auto de cet épilogue. Moi, Rogerius, revenu de loin, ai repris le fil et compte bien m’y tenir jusqu’à la fin, quoiqu’il arrive !

— Je n’y vois pas d’inconvénient, soupira Carmelin entre deux effleurements buccaux.

 

Considérations sur la nature du prochain auto alors que nous nous approchons de la fin et que l’impatience se lit.

La lurette étant une petite lure, et une lure n’étant autre chose que ce que la bure est au beurre, toute tentative d’éterniser les faits au son de sa propre langue annonce sa fin en son début, où j’en étais, moi, Rogerius, ami de longue date des passants qu’on ne revoit plus et des morts qui reviennent hanter la vie, à lire le journal, assis derrière la vitre que la rue prend pour miroir de ses furtivités, fumant le tabac d’une pipe ayant déjà servi d’autres circonstances de sa poignée figurant un être à la fois aimable et inquiétant, petit personnage de l’accompagnement des choses qui perdent leur sens premier parce que le livre ouvert en dit encore la nécessité, et buvant, ou sirotant le nez en l’air vers l’axe du rideau qui tombe froissé dans les anneaux d’un radiateur portant maintes preuves de solitude mais aussi de farce, la liqueur d’un instant de joie contenu sous le regard poussif d’une cabaretière usée qui parfait les reflets et change les odeurs, femme qu’on ne présente plus depuis longtemps, qui a son jeu, et qui rechigne à le montrer quand elle a gagné, car l’enfant n’est pas mort et elle le sait. Je lui parlais. Elle imaginait. Nous étions deux derrière cette vitre paravent, ma porte filant à l’horizon du trottoir d’en face dans l’ombre des marches sonores que les parapluies traversaient de leurs gouttes chaudes et d’un peu de cette poussière dont elle époussetait sa chevelure sous ses doigts fins et roses, ongles cassés dans la vaisselle, comme les dents qui lui manquaient, étirant seulement la lèvre supérieure pour affiner la ride et pointant un nez compétent dans l’éventail des cartes non jouées. Le percolateur lançait des rots sous l’horloge marquée par les murs la portant comme la bosse que j’ai sur le dos.

— Ah fichue bordel de vie de merde ! s’écria-t-elle en essuyant une larme rose sur l’écaille de sa joue. Ah ce Cahu ! Quel fils de pute ! Et je parle pas de sa mère ! Voler les pauvres, ya rien de plus vache dans ce monde ! Et de cette manière ! Ah le veau ! J’en reprendrais bien un morceau ! Cuisse de manchot ! Et ça a l’œil sur tout ce qui rapporte, ces vicieux du sang versé pour la patrie ! Ah si j’avais des sous ! Je t’en paierais, des guillotines, ô France ! Une pour chaque fois qu’on se fait voler en y prenant plaisir ! C’est tellement douloureux que je sais plus jouer, té ! On dit qu’une dame ne fait pas le rami, mais sans elle, vous faites quoi, moumoutes à culottes ? Vous faites rien et vous vous la secouez dans la précipitation ! Ça vous gêne pas que je parle toute seule ?

— Je réfléchissais…

— À Cahu ?

— Non… À la suite de cette histoire… là-haut… le Chemin de la Liberté… Carmelin avait cessé de parler et je me suis senti obligé de reprendre la parole pour… pour…

— Vous avez la gorge sèche. On parle pas si c’est pas mouillé, la gorge. Ça met la langue en feu et après, on sait plus ce qu’on dit, bordel de merde !

Un liquide coula sous mon nez, répandant ses molécules d’avenir, et j’observais cette main sûre qui coupa net le jet, me montrant alors son visage rasséréné sans cesser de plier le journal à l’endroit de la photo de Cahuzac, grattant le genou nu d’un ongle précis comme l’outil qui lui venait à l’esprit en ce moment de certitude, douce pulpe me frôlant, sans égard pour la transparence de la vitrine embuée aux angles et parfaitement limpide à l’endroit que j’y occupais alors qu’elle le peuplait. Ces traces, que je reconnaissais de ma fenêtre, trop souvent pour qu’elles ne portassent pas mes signes, recevaient l’illisibilité des comportements comme on referme le livre trop clair pour être totalement vrai. Je n’allais jamais plus loin, mais quelle imagination j’avais !

— Dans la malle… commençais-je.

— La malle ? Quelle malle ?

— Vous savez… la malle…

— Celle où se cachait Cahu ?

— Non… Une autre… Carmelin avait cessé de parler parce que personne ne l’écoutait plus…

— Ah ! La malle…

 

LA MALLE

 

Histoire de la malle dans ses meilleurs moments du point de vue romanesque.

Le lecteur haletant se souvient que j’avais perdu mon amour, peut-être pour toujours, et que la marionnette, habitée par on ne savait qui, avait pris le même chemin, abandonnant sans doute ses chiffons et sa paille dans l’ornière creusée pour recevoir la pente. Quant au cheval de bois, il gisait encore, en attendant que ses débris alimentassent l’âtre que Célestine débarrassait des cendres de la veille pendant que ce qui demeurait de cette assemblée de clients et d’hôtesses, en comptant les servantes, formait le cercle autour de moi, Rogerius, personnage plus que personne, et maître encore des transformations et autres changements dont ce récit fait l’objet sous ma seule férule. On m’éclaira sous le lustre. Derrière moi, Célestine s’activait, maniant la balayette tandis que Ginès, prévoyant, recevait les petites pelletées dans une corbeille où ses doigts voyageaient encore, traçant les lignes infinies du lendemain et des jours l’alimentant de leurs promesses. À mes pieds, la malle…

— Cette fameuse malle qu’il faut distinguer de la malle dégueulasse où on a trouvé Cahu en pleine conférence avec des sous qui ne lui appartenaient pas !

— Celle-là même !

— Et elle était comment cette malle ?

— Comme celle de Cahuzac, mais sans Cahuzac.

— C’est pas facile, hé, de s’y retrouver avec toutes ces malles ! Et qu’est-ce qu’il y avait dedans cette malle qui, si j’ai bien compris, ne vient pas s’emmêler dans notre récit comme un cheveu autour de la cuillère ?

— Il y avait tout ce que je n’ai pas pu mettre dans le présent livre.

— Hé ! L’éternelle question ! Un livre est infini par définition et l’art n’aime pas les définitions. L’art consiste à finir…

— Ou à achever ! Tenez… Comme je ne peux guère envisager de faire entrer toute la matière de mon voyage dans ce livre, qui est un roman, ne l’oublions pas, je vais seulement indiquer ce que je n’y ai pas mis.

— Fameuse idée qui mérite une gorgée bien humide, mon fils !

(J’avais oublié de préciser que moi, Rogerius, je suis le fils, bossu comme on sait, de la patronne du café le plus fréquenté de Mazères…

— Il était temps de le dire ! N’est-ce pas là le genre de choses qu’on dit au début ? Cette manie que tu as de tout dire à la fin ! Tu ressembles bien à ton père ! Et Dieu seul sait où il est enterré celui-là à l’heure où j’en parle !)

— Le livre que vous lisez…

— Là, c’est pas à moi que tu parles… ? Je pose la question parce que je me mélange un peu… En parlant de mélange, goûte-moi celui-là ! Cadeau de Maman !

— …est, comme qui dirait, une œuvre d’art. D’où les limites que vous lui connaissez naturellement, comme le début et la fin. Mais, comme je disais plus haut, ce n’est pas si simple…

— Autrement dit, fifisse, ce qui est compliqué n’est pas de l’art. Je suis d’accord avec toi. Vive la chanson et chantons ! Et que l’eau coule sous les ponts !

— Chuuuut ! Laissez-le parler !

— Je parle. Oui, oui. C’est bien moi. Pas de confusion possible. Je suis ce que je suis.

— C’est pas trop parler, ça, fifisse… C’était mieux au début…

— Chiiiiiit !

— Ouvrons la malle, mes amis !

 

Et nous l’ouvrîmes.

Enfin… nous ne l’ouvrîmes pas vraiment. Ici, le lecteur impatienté l’ouvre, mais les choses ne sont pas aussi simples quand il est temps de terminer le roman entrepris des dizaines de milliers de mots avant d’en arriver à l’ouverture de la malle, moment non point d’hésitation, car tout fut joué d’avance au coup de dés d’un passage de l’existence à ses représentations synthétiques, mais d’attente, comme il en est de merveilleuses depuis que le Monde est enfin monde et que les singularités de la rencontre fortuite ont pris la place qu’occupait trop farouche le raisonnement limité par ses conditions, étrange ou fumeuse catégorie de l’entendement en proie à des crises de reconnaissance et des spasmes d’utilitarisme convaincu d’avance sous l’influence des lois éprouvées de longue date. Nous ne l’ouvrîmes pas d’abord. L’hôtesse, Célestine, nous l’avait simplement désignée, soulevant un pan croissant du rideau affectant l’angle semi-circulaire de l’escalier montant aux chambres et d’un côté de son œil narquois laissant espérer qu’on y trouverait chacun notre compte si nous savions nous y prendre ensemble. Nous fîmes un pas dans cette direction, mais elle nous arrêta, sa paume rosie par des usages reconnaissables s’élargissant comme un sémaphore et le rideau retombant alors dans un souffle qui coupa le nôtre dans l’attente d’une explication qui ne venait pas, mais que les yeux de la maquerelle promettaient de donner si nous accomplissions avec elle les vœux d’un silence impossible autrement que par l’accroupissement de nos multiplications. « Cette malle ne m’appartient pas, dit-elle à peine, mais j’en connais le propriétaire, car comment ne connaîtrais-je pas celui qui se cache dedans ?

— Il y a quelqu’un dans la malle ! »

Les romans sont faciles si quelqu’un est dans la malle, voilà ce que je savais pour en avoir écrit beaucoup et ne m’être jamais éloigné de ses règles les mieux partagées, mais est-il concevable, à ce moment farci d’attente comme un chapon l’est d’un cochon, que celui ou celle qui habitait cette malle ne fût pas simplement dérangé si nous l’ouvrions sans toquer à son couvercle solidement serti ? Le pouce de Célestine se dressa comme aux arènes et s’enfonça sciemment dans l’air opaque que nous respirions pour retenir les mots qui nous venaient à l’esprit. Elle élargit son sourire d’étoile filante du spectacle et ses lèvres formèrent alors ce qui ne pouvait être qu’un nom, celui du propriétaire de la malle. Il n’y avait donc personne dans la malle, mais elle contenait ce que nous étions venu chercher sans même savoir de quoi il s’agissait précisément, comportement qu’il est maintenant facile de nous reprocher, mais que l’instant nous inspirait comme si nous venions de sortir de la réalité (un hôtel somme toute assez banal) pour entrer dans ce qui n’en a pas et n’en a jamais eu, si tant est que notre esprit eût préalablement reçu les informations sans lesquelles nous manquons de jugeote et, suivant le pouce qui semblait forniquer un invisible con tant l’ombre se prêtait aux pires interprétations envisagées sous l’angle fragile des fausses impressions, nous comprîmes qu’en effet nous n’étions pas au complet (sachant que mon amour s’était enfui et que la marionnette le poursuivait peut-être) et qu’il manquait à l’appel celui-là même qui nous avait interrompu, dès le premier chapitre, en nous imposant ses considérations sur l’état de la République et de ses membres les mieux placés pour y trouver autre chose de plus avantageusement privé et de par conséquent plus prometteur sur le plan des satisfactions et même des assouvissements. Nos agitations ne l’avaient pas réveillé. Il était peut-être mort. Nous montâmes sans autre précaution.

 

Ce que nous trouvâmes derrière la porte de cet agitateur d’éprouvettes.

Rien. Le lit était défait, la fenêtre grande ouverte, l’air frais et parfumé envahissait l’ombre, des pantoufles avaient valsé sur le tapis dont un coin était plié en angle, une mouche volait sans bruit, dans un plateau les restes du dernier repas jetaient des odeurs poivrées, bref, tout respirait la tranquillité et rien ne transpirait des murs. Célestine fronça le sourcil, qu’elle avait déjà prévoyant, et fendit aussitôt notre foule étroite pour dévaler l’escalier et lancer un cri de guerre qui nous eût ralliés à son combat si nous y avions compris quelque chose. Certains riaient en se frottant les côtes car l’air, une fois la porte ouverte, s’était mis à circuler sans égards pour nos craintes. Personne ne songea à la refermer et nous descendîmes, agités de questions et cependant paralysés par tant d’incompréhensibles aventures domestiques.

 

Ce que nous vîmes ensuite.

Souriant plus que de raison, la veste négligemment jetée sur son épaule et l’œil éclairé de sa seule lumière, notre tribun attendait qu’on lui remît sa note. La carte de crédit se baladait entre ses doigts agiles comme font les prestidigitateurs sous le regard émerveillés des enfants venus assister à son spectacle pour tirer le rideau de leurs coulisses, lesquelles sont parfois et même quelquefois souvent habitées par les pratiques d’une enfance revue sous l’angle du plaisir, ne sachant pas, moi-même, pourquoi je pensais trouver dans cette scène ordinaire de l’attente qui connaît son dénouement d’autres attentes soumises aux mécanismes de l’érection dans la seule perspective des contractions complexes qui accompagnent l’éjaculation elle-même considérée sous l’angle de celle qui recommencerait le même scénario préparatoire d’une mort enfin acceptée. J’en tremblais. Mon amour m’ayant déserté, je me soumis aux signes, abandonnant toute espèce de contestation. Célestine agita ses lèvres à fleur de la facture, recommença pour en sacraliser le montant et, penchant sa tête heureuse presque sur la manche du bras dont la main manipulait la carte de crédit, annonça un chiffre qui déclencha le mécanisme du paiement. C’était « compris la malle ».

Patricius Cintaso, marquis et comte de la Rubannière, mit sa bouche en cul de poule pour signifier que la malle avait son prix et qu’il ne voyait aucun inconvénient à le payer, d’autant qu’il y avait trois jours qu’elle occupait le dessous de l’escalier principal et qu’on n’avait plus accès à ses balais et autres outils nécessaires au déploiement des diligences ménagères. Il comprenait que tout dérangement de l’ordre social implique le paiement d’une taxe en rapport avec le dommage. Elle niait qu’il y eût dommage, reconnaissait que les balais avaient moins d’importance que le plaisir qu’on était venu chercher chez elle en connaissance de cause et que s’il repassait par là, ce qu’elle souhaitait vivement car il s’était comporté en consommateur éclairé par la seule exigence du sexe faible, il y aurait toujours une place pour sa malle sur laquelle elle veillerait encore avec le même sens de la servitude, car il n’est rien de plus cher, selon ce qu’elle déblatérait, que ce qui se recommence toujours dans les mêmes conditions et se termine sans y avoir manqué un seul instant. Ginès, qui écoutait, un coude planté dans le bois du comptoir, ne cachait plus l’intérêt qu’il portait à Célestine, se mêlant alors de la façon la plus impertinente à cette conversation dont il ne saisissait pas la forme purement commerciale, tant il avait peur de perdre au profit de ce marquis et comte qui traînait sa malle, pour ce qu’il en savait, et il en savait beaucoup, dans tous les hôtels où la femme est payante et les lendemains de bon rapport.

— Peut-on savoir ce que vous transportez dans cette malle, finit-il par dire, ne mesurant pas l’insolence de son propos. Je dirais que, vu son poids, car je fus celui qui la tira sous cet escalier, elle ne peut contenir que du papier, n’étant pas assez légère pour que ce soit du tissu, ni assez lourde que ce soit du métal.

— Bizarre, fit Célestine en grimaçant, que tu n’aies pas songé à quelques robes pour les filles ou aux pépites d’or qui me rendent marteau.

— Il a vu juste, dit le marquis et comte. C’est du papier, d’innombrables feuillets couverts de ma fine écriture et des émotions qu’il m’arrive de confier à la solitude. Et comme je n’ai pas l’habitude de parler pour ne rien dire…

…il ouvrit la malle sans autres précautions oratoires. Je poussais un cri, comme si le fer venait de s’abattre sur mon crâne, l’ouvrant comme un fruit trop désirable pour n’être pas cueilli.

 

Ce que je pensais alors, choses peut-être sans importance pour ceux avec qui j’étais au spectacle de notre propre désir, mais que je reconnaissais comme le lit même de ma pensée en proie aux cachoteries des témoins cachés du voyage.

[…]

 

Ce que j’en dis non sans prendre la précaution de parler dans le creux de mes mains pour ne pas être entendu de cette assemblée d’étrangers peu faits pour me comprendre.

Mon Dieu !

(Il m’arrive rarement d’évoquer ce concept, mais les circonstances en décident quelquefois autrement et je m’applique alors à ne pas déclencher les ardeurs théoriques qu’il inspire aux esprits les moins conçus pour demeurer avant tout et quoiqu’il arrive l’empreinte de l’être dans la chair de l’infini alors témoin de sa propre impossibilité.)

Mon Dieu !

(répétai-je,)

ce que cet individu donneur de leçons est en train d’ouvrir, ce n’est pas la malle que mon imagination a trouvée dans les aventures du Seul Chevalier, mais cette sorte de malle, ou valise, ou coffre encore, soute du vaisseau emporté par son but, qui n’est autre que le roman que je suis en train d’écrire et même d’achever car je n’ai pas ménagé mes efforts ni mes nerfs pour que le texte confine à cette seule fin que je désire plus que tout, en tous cas pour l’instant, au monde où je suis le seul en attendant de me multiplier par la magie (ô invocation de l’Histoire !) de la reconnaissance uniquement inspirée au frottement d’une énigmatique tendance à trouver ce qui est sans cesse reperdu. Le texte ainsi ouvert, d’un coup d’épée qui a l’air d’une clé plutôt tournée, ne se refermera plus que sur ce qu’il contient. N’est-ce pas là l’ambition de toute littérature ? Car le texte du roman contient aussi le texte de ce qui n’est plus littérature. Et qu’est-ce donc que cela, sinon ce que l’on cherche et qu’on ne trouve pas ? Ah misère de l’homme qui est parti en voyage pour ne plus revenir ! S’arrête-t-il chez les filles pour être servi en maître ou pour se préparer à revenir sur ses pas ? N’est-ce point de cette manière qu’on retrouve ce qui ne s’est pas perdu tellement elle allait vite dans la forêt obscure que je n’ai pu franchir parce qu’elle simulait trop bien l’enfer ? Bonheur ou paradis, cette chair de l’esprit est la perfection même ! Et j’assiste à ma trépanation symbolique par le simple fait qu’un autre voyageur vient d’ouvrir sa malle en me regardant d’un air narquois et cependant posé. Il n’y a pas d’épée dans ce récit, même si don Quichotte prétend le contraire. Et pas de clé non plus car Célestine n’en possède pas d’aussi nécessaire au recouvrement de l’esprit. Le pied du marquis et comte, de sa pointe seulement, suffit à soulever le couvercle et à en faire grincer les charnières vieillissantes. Car je suis vieux, ô ma blanche colombe ! Je n’ai plus l’art de te le dire ! Et comme les charnières avaient beaucoup vieilli, l’une d’elle arracha ses clous et entraîna le couvercle sur le côté même où je me trouvais, passablement étonné de ne rien éprouver d’autre qu’un soulagement, mais avec la volupté en moins, si ce n’est pas trop dire que d’ajouter en soustrayant. Le contenu…

 

Où il est dit ce que contenait la malle.

« On prétend à tort que les romans ne peuvent souffrir les insertions qui interrompent la série de leurs actes, poursuivit le marquis et comte sans que je susse par où il avait commencé. C’est que cette série est dramatique. Or, le drame est une action qui ne supporte que les coups de théâtre, jusqu’à ce que fin s’ensuive. On voit ici à quel point le drame a envahi le roman. Et chaque fois que le théâtre commande au roman, celui-ci veut exprimer sa nature et sa seule révolte consiste à déranger la série des actes et même quelquefois à s’en passer ! L’inverse est d’ailleurs aussi vrai, où l’on voit le théâtre se romancer et perdre sa nature de temps à passer alors que le roman est étranger au temps. Vous verrez ainsi des romans divisés non point en chapitres mais en actes et des pièces de théâtre ordonnées selon le principe des chapitres. Cette connivence du roman et du théâtre doit avoir un sens…

(Ici, notre marquis et comte marqua une pause, car nous réfléchissions avec lui.)

Loin de moi la prétention de connaître à tous prix ce qu’il en est de cette… intelligence. Je constate que le roman s’ouvre en un endroit précis de son texte pour extroduire, si ce néologisme m’est permis, tout ce qui manque à son véritable achèvement, lequel du coup n’est est pas un mais bien au contraire un inaccomplissement, et que le théâtre, en introduisant, autre néologisme même s’il n’en a pas l’air, court à sa fin avec toute la vitesse que le temps qu’il explore lui accorde sans délai.

(Nous opinâmes.)

Rogerius, avance !

(J’avançai.)

C’est à toi que je parle et à toi seul. Tes personnages ici présents n’entendent pas si c’est ce que tu veux. Et d’ailleurs, qu’entendraient-ils si tu le voulais ? Mais enfin, tu en feras ce que voudras. Je n’y suis que pour y être. Et sans moi, ô Rogerius, tu n’es plus.

(J’opinai.)

J’ai donc mis dans cette malle ce que tu m’as demandé d’y mettre. Ton roman peut s’en passer, mais tu as raison de consacrer un des autos de cet épilogue à ce phénomène non point marginal, mais ordinaire. Car il n’est point de roman digne de son auteur sans cette ouverture de la malle. Elle contient deux autres ouvrages dont le premier est achevé, et donc théâtral, sans interdire toutefois une suite à cette série de pas moins de vingt actes, et le deuxième inachevable, preuve s’il en est que l’activité journalistique relève au moins un peu du roman. Libre bien sûr à ton lecteur d’y jeter un œil. Pour cela, il devra refermer ce livre et ouvrir les deux autres, en quoi, il me semble, il ne s’échappera pas de celui-ci et y reviendra même s’il n’a pas pris le temps de le terminer avant d’en sortir provisoirement.

Le premier de ces textes extroduits est une tétralogie bonne pour le théâtre. Elle a pour titre

 

Mazette et Cantgetno

Quatre opérettes se succèdent dans une dramaturgie rondement menée qui ne fera de tort à personne dans le monde déjà vieux du théâtre. Le ton est burlesque. La farce sans limites autres que celles du rire.

Quant aux personnages

Toute ressemblance est fortuite. Par contre, les analogies, pas toujours formelles, font florès.

Mazette, Cantgetno, Tintin et Bousquet sont des personnages parodiques, comme dans la tradition de la farce, typiques de la satire sociale.

Hollande et Sarkozy sont des sosies, comme dans la moralité, satire des superstitions en tous genres.

Roger, Nanette, Frank et le Gosse sont des personnages tout court.

Les autres sont des personnages génériques ou accessoires, comme dans la sottie, créatures anonymes de la satire politique : la Présidente, le Journaliste, les Gendarmes, le Préfet, etc.

Le tableau suivant aidera le lecteur à comprendre que cette extroduction n’est pas sans rapport avec le corps même du roman intitulé Les Huniers.

 

Personnages

Genres

Cibles

Parodiques

Farce

Satire sociale

Sosie

Moralité

Satire des superstitions

Générique

Sottie

Satire politique

 

Du coup, par le fait même de cette première extroduction, nous avons créé ce qu’il convient d’appeler

 

La Scène Mazérienne

Il est aussi important que l’écrivain laisse sa trace dans les murailles de sa ville. Un théâtre est une bonne idée. Nous le bâtissons dans cette même pierre qui nous conduisit à écrire pour le théâtre conçu comme extroduction dans le roman. Il a nom Scène Mazérienne, ce qui n’est pas vilain. On y jouera la Tétralogie de Rogerius une fois l’an, à l’heure du printemps car l’esprit y est vivifié par d’autres désirs que les applaudissements encouragent à se reproduire sans relâche. Le reste du temps, on s’y amusera selon les mêmes principes qui fortifient le rire plus qu’ils n’en disent trop long au risque d’ennuyer et de porter l’attention sur d’autres facettes de l’être humain qui en comporte d’innombrables comme sont les espèces. Nouvelles en seront données le plus régulièrement possible dans le

 

Journal Satirique de Mazères

Celui-ci, empruntant au roman comme au théâtre avec la même gourmandise du rire, s’emploiera à mettre en spectacle les ridicules de l’homme politique français réduit aux dimensions de premier magistrat de sa ville. Le contenu étant soumis aux évènements, et ceux-ci n’étant point prévisibles mais imaginables, le journal ira son chemin sous les lampions sans se soucier de sa fin ni même d’ailleurs de ses moyens. Les textes, dits articles, car ils sont mis à l’étalage comme de vulgaires mais utiles accessoires ménagers, ne verront point d’inconvénient à se laisser illustrer par le dessin satirique et la chanson parodique, aux antipodes de l’apologétique et de la soumission. Et non content d’y donner, force régularité, des nouvelles documentées de la Scène Mazérienne, on y lira aussi les chapitres, dûment encadrés de leurs indispensables prologue et épilogue, de ces Huniers où la malle que j’y ai transportée pour le bien de tous reprend tout son sens au voyage entrepris par Rogerius ici présent, amant malheureux qui pleure sa belle envolée après la forêt obscure de ses désirs, et écrivain complet, pour ne pas dire plus, dont moi, Patricius Cintaso, marquis et comte de la Rubannière, avec un ou deux n selon les circonstances, je me fais le héros comme don Quichotte se fit celui de Dulcinée du Toboso. Qu’on ne cherche pas plus longtemps notre Sancho, ou Carmelin si ce livre est un roman champêtre et non point chevaleresque, car nous l’avons, un peu cavalièrement je dois l’avouer, ou trop bucoliquement si l’on préfère, emprunté à l’habitant des chevaux de bois, André Trigano qui, par un mot aimable écrit non moins bienveillamment, nous a déclaré n’en avoir plus l’utilité et nous en céder la propriété et l’usage autant que faire se peut d’un être réputé humain et qui l’est peut-être encore après tant de maniements et de travaux impairs, Louis Marette, maire de Mazères.

Ceci étant dit, il ne nous reste plus qu’à procéder aux noces, car il n’est point, ô Rogerius, de roman champêtre qui ne s’achève avec des noces en veux-tu en voilà, comme le roman chevaleresque est censé s’achever avec la mort de son héros et le retour à des choses plus probables. »

 

LA 3ÈME CULOTTE

De son odeur.

« Pardon de t’interrompre, ô Patricius Cintaso, maître de mes jours et contempteur de mes nuits, mais je ne peux passer au plat suivant si l’entremet de la troisième culotte ne m’est pas servi dans les règles qui s’imposent au roman en matière de résolution de tous les problèmes et non pas d’un choix limité à ce qui le rend parfaitement lisible, car si nous avons méthodiquement apporté une solution à toutes les questions qui se sont posées d’elles-mêmes au cours de ce roman, il ne t’a pas échappé qu’une troisième culotte est restée sans solution à la fin du précédent chapitre. Comme il n’est pas souhaitable que le lecteur, celui-ci ou celui-là, en fasse une maladie et comme il n’est pas possible non plus d’apporter cette solution dans un plateau qui s’annonce comme un deuxième roman non point extroduit mais suivant (nous en sommes à trois néologismes), je propose que ce roman soit écrit et qu’il le soit à la suite de celui-ci, comme si de rien n’était, sans d’ailleurs douter un seul instant qu’il ne soit lui-même extroduit par d’autres créations qui vaudront, ô espoir, la Scène Mazérienne et le Journal Satirique de Mazères. Si bon te semble, et par un coup de baguette magique dont tu as le secret, revenons à nos moutons et refermons cette malle avant qu’elle se sente sa culotte ! »

Sur ce, le marquis et comte de mes deux referma la malle avec le même pied qui lui servit à l’ouvrir on se demande bien pourquoi et, chaussant son chapeau de campagne d’un geste large et prometteur, reprit possession de sa carte de crédit sans accorder de réponse aux flatteries dont Célestine le couvrait sans mesure, ce qui faillit le relancer dans un discours, mais je le poussai, un peu familièrement je dois le dire, car j’avais hâte d’être enfin seul avec moi-même et de me lamenter le plus douloureusement possible sur le sort qui m’était réservé depuis que mon amour m’avait fui comme la peste. Nous le vîmes alors chevaucher sa malle et s’envoler dans l’air pyrénéen en poussant des cris d’orfraie, car cet aigle des mers connaissait les voyages et je n’en avais pas rêvé. On me secoua cependant, au bord du puits où ma gueule apparut comme si je m’y regardais.

Quand je repris connaissance, sans le savoir, on m’annonça gaiement que tout était prêt pour les

 

NOCES

5ème et dernier auto de cet épilogue dramatique

après, rappelons-le, un 1er auto consacré à une partie de dés,

un 2ème qui rendit un compte fidèle du combat que nous eûmes à assister,

un 3ème où la malle eut son importance,

et un 4ème où une culotte n’en eut point encore.

 

Condition sans laquelle ces noces n’eussent point eu lieu.

Franchement, ô lecteur patenté, ce roman pouvait-il s’achever sans que j’y épousasse ma moitié ? Et crois-tu que n’importe laquelle de ces filles, putain ou servante, pût faire office d’épouse sans jeter un voile indiscret sur ma pratique de l’autre ? N’as-tu pas compris, depuis le temps que tu me lis, que je ne suis pas du genre à remplacer le nécessaire par l’infidélité ? Aussi, à peine les yeux ouverts, et arraché au puits où je prétendais mettre fin à ma douleur, je me lamentai en ces termes :

« Ô incompréhensible beauté ! Ô désir parfaitement clair ! Ne suis-je rien si je suis ? Et comment ne serai-je pas puisque j’aime ! Mais qui prier pour qu’elle revienne ? Qui invoquer pour me désigner sa maison ? Elles se ressemblent toutes ! Quelle perspective que cette errance entre les maisons où elles habitent ! Pourquoi y trouverai-je ma vieillesse au lieu de l’attendre dans d’autres bras ? Donne-moi une seule raison de ne pas attendre et je retourne au bord de ce puits pour m’y voir et m’y haïr ! Ah je n’ai pas assez vécu pour tout dire ! Et je ne dirai jamais assez que c’est elle seule que j’aime ! Sacré bordel de merde d’enculée de pute ! Je n’ai qu’une envie, cradoque du poussif ! C’est de t’enculer devant tout le monde et de le faire comme il faut ! Ya rien qui m’fasse du bien comme tes jupes relevées sous les seins ! Et tes reins en accordéon parce que je pousse comme une bête ! Han ! Han ! J’ai la queue en feu à force de t’aimer à la place de la nature ! Bouffissure d’errance ! Crevure des fossés de l’aisance et des retraites bien payées ! Sans toi je me fais chier ! Je jardine dans le foutre ! Je plante des arbres morts et ça me fait un bien fou ! Troglodyte d’en face ! J’ai les couilles en vadrouille chaque fois que je sors ! Des envies de violer n’importe qui surtout si c’est pas humain ! Ah dieux qu’on ne retrouve pas après la terre, donnez-moi la force de l’aimer encore sans rien donner aux autres ! Je la battrai tous les jours s’il le faut ! J’y gonflerai l’anus avec du nerf de bœuf ! Je t’y foutrai la langue pour saliver en dehors ! Ya rien comme les caresses du vent quand plus rien n’existe que ce désir ! Donnez-moi une fenêtre pour m’y mettre ! Et des fleurs pour pisser dans son con sans attraper de maladie vicieuse ! Ah ce que je l’aime ! Ah que je donnerais tout pour qu’elle revienne même cloquée à mort ! J’en boufferais des enfants des autres ! Même des tordus du trognon avec pourriture du gras et mamellement des trous ! Confession ! Confession ! J’en suis à un point que je sais pas si je vais pas mourir à force de pas savoir ! »

J’avais dû crier bien fort, ou ce fut la qualité de mon cri qui jeta les dés à ma place, ou toutes ces choses que rien n’explique autant que ce qu’elles amènent avec elles, car elle était là, entre moi-même et le puits, frottant ses mains l’une contre l’autre pour en éliminer la suée, balançant une jambe devant l’autre sous la jupe froissée, mon regard remontant le V de ses bras jusqu’au cou qu’elle me tendait pour que je le serrasse ou que je l’embrassasse, selon ce que m’inspirait son beau visage de putain devenue servante, ou le contraire, je ne savais plus, je ne savais plus ! Je me jetai sur elle :

« Là ! Tout doux, mon bel ami que je ne connais pas encore ! Je ne suis pas une chose ! On ne me bave pas dessus tant que je ne l’ai pas demandé ! On attend encore un petit peu avant de bander ! Et on ne touche pas à ces pointes qui ne sont pas faites pour ça, vous devriez le savoir vous qui avez été à l’école si longtemps que j’ai honte de me faire aimer de vous ! Revenez dans le monde si ça vous chante, mais sans moi si vous ne m’aimez que pour mon joli petit cul ! J’attends de l’amour qu’il me rende heureuse…

— …et, sans trop demander, qu’il n’oublie pas les bienfaits de la propriété ! conclut l’astucieuse Célestine que les bras de Ginès soulevaient toutes cuisses dehors.

 

Fin de ce roman, ce qui ne veut pas dire que c’est le début d’un autre, mais pourquoi ne pas y penser tant qu’il en est temps ?

Nous n’étions certes pas aussi divinement organisés qu’au château de Durcet à Silling, notre fin, provisoire pour les uns, symbolique pour d’autres, et, comme on le verra, définitive pour celui ou celle qui n’y trouva pas son bonheur, ne consistant pas à s’éterniser autant que faire se peut dans les joies de la chair et de l’esprit qui l’accompagne quand elle a atteint le sens des sens, mais à conclure du mieux que l’âme peut l’envisager sans trop trahir ses insuffisances aux yeux d’un lecteur, ou d’un autre plus exigeant, qui court plus vite que la pensée même de l’auteur de ses lignes, ce qui d’aventure est devenu un voyage et de voyage une source de considérations qu’il n’est pas outrecuidant de qualifier de philosophiques si bien sûr on devient philosophe en commençant par ne pas l’être. Il faut dire, presque comme excuse auprès du lecteur qui s’attendait à un édifice de personnages serviles et de narrateurs non moins utiles, prétextes à bien des sauts dans l’impossible de la part d’autres acteurs épris de connaissances pratiques dans le domaine du plaisir, que l’endroit ne se prêtait guère aux inventions et que ses habitants avaient d’autres chats à fouetter, selon le principe que l’argent contribue et que le bonheur ne se partage pas aussi facilement qu’un plat de haricots. Nous limitâmes donc nos ambitions à l’accouplement, non sans cérémonie, car la mémoire ne retient pas grand-chose de l’autre sans les repères que les autres apprécient à vue de nez, comme cela se constate à toutes les époques, qu’on y voyage derrière un cheval, une locomotive ou une fusée. Bref, nous décidâmes de procéder au mariage des couples que nous avions formés et de nous séparer ensuite, par couples pour ceux qui envisageaient cet avenir ou en solitaires dans les cas de projections annexes, sans que ces lendemains ne nous préoccupassent le moins du monde d’ailleurs. L’endroit ne possédant que deux espaces assez libres pour accueillir nos rêves conjugaux, la salle à manger et le dehors, entre basse-cour et l’ensemble constitué par la porcherie, l’étable, l’écurie et la grange, nous ouvrîmes toute grande la porte d’entrée afin de nous donner tout l’espace possible, d’autant que le soleil s’était invité et que le vent s’était adoucit. Après nous être enivrés autant qu’il était raisonnable de le faire sans y perdre connaissance, limitant l’abus aux questions que l’entendement connaît de source sûre, nous nous mîmes à brailler comme font les gens de Lettres sur les paillassons du pouvoir, courant dans tous les sens comme poules dans un feu de paille, mais sans arrachements de vêtements ni salivations abusives, plutôt comme des enfants qui ne pensent qu’à s’amuser en attendant qu’on distribue les sucreries et les jouets éducatifs. On nous eût pris pour des fous si, dans le même temps, nous n’avions pas mis la table, et de belle façon, à la française, sans oublier la serviette amidonnée en éventail dans le verre parfaitement lustré au frottement des chiffons en usage chez les filles de joie. Puis, comme au jeu des chaises musicales, nous prîmes place. Les pieds, ceux des chaises, grincèrent sur le dallage de brique rouge, et les nôtres se joignirent en attendant de se livrer à de plus primitives résolutions du problème posé par le désir dans les moments de paix où la consommation des biens prime sur la destruction des interdits. Un gloussement conclut cette action collective :

— Et moi ?

L’auteur de ce cri solitaire n’était autre qu’André Trigano, lequel se tenait derrière la chaise qu’occupait Louis Marette en partage avec celle que la Présidente souillait de sa merde. Ce moment nous parut tragique. Nous recomptâmes et il fallut bien se rendre à l’évidence : nous avions mal compté : nous n’étions pas pairs comme nous l’avions pensé avant de commencer le jeu. Trigano, au seuil de la mort, était donc seul. La Présidente, lâchant un pet, consulta le dictionnaire des usages judiciaires : il était bien seul.

Comme on ne fait rien avec les autres quand on est seul, Trigano était en train de mourir d’inquiétude. Nous le vîmes pâlir, rapetisser, se tasser des pieds à la tête, et non point dans l’autre sens comme font ceux qu’on sauvera malgré la gravité de leur mal, et enfin se coucher avec les chiens près de la cheminée où rôtissaient nos viandes et nos abats sous l’œil condescendant d’une horloge limousine dont le balancier portait le signe des temps. Personne ne se leva, chacun tenant à son siège et craignant de le céder comme un chasseur. Il ne nous restait plus qu’à attendre que Trigano pérît, ce qui pouvait durer plus longtemps que l’attente que nous avions envisagée d’un autre œil avant de procéder à la première instance du jeu de mords-moi l’anus avant que je te suce, une variante à deux de la proposition solitaire de Catulle qui veut enculer tout le monde avant d’être sucé. Il était bien temps de ne plus rire !

— Mais enfin merde ! Sacrée pourriture de Juif ! cria Célestine qui avait peut-être l’excuse d’être juive, mais qui prétendait le contraire.

Trigano rouvrit son œil torve, le cligna et essuya ses cils, mais Cécile n’était pas là. On avait fort mal compté. Cécile était en ville. Célestine se mordit la langue. Elle avait oublié et c’était sur cette erreur que nous avions fondé notre jeu. Du coup, nous étions impairs et c’était sur Trigano que le sort avait décidé de s’acharner. Il avait l’air plus que rompu et se grattait l’entrejambe sans rigoler, comme font les roués qui n’ont plus que le ciel pour spectacle.

— C’est con… fit Ginès, mais il n’y croyait pas.

— Qu’est-ce qu’on fait ? demanda tristement Trigano.

— Rien ! dit quelqu’un.

Comme il n’avait pas l’intention de mourir tout de suite, il fallait faire quelque chose AVEC LUI ! Oh le problème sans solution ! Nous pâlîmes. Le blanc va bien avec le mariage, dit don Quichotte, mais le cœur n’y était pas.

— On ne peut tout de même pas s’arrêter là à cause de ce… de ce… bafouilla Lysis.

Trigano se leva complètement :

— Et bien tant pis pour moi, dit-il d’une voix blanche comme ses cheveux. Je serais sans doute mort quand Cécile reviendra des courses. On ne peut pas naître et avoir tété, ajouta-t-il en riant comme si cette simple pensée le chatouillait sous les bras.

Nous nous rassérénâmes d’un bloc, cous tendus dans la direction du naufragé qui avait retrouvé, au moins pour l’instant, sa joie passée.

— Je vais faire le rabbin, dit-il sérieusement.

Nous nous interrogeâmes du regard. Moi, Rogerius, antisémite de tradition satanique, avoue ici, puisqu’il en est encore temps, que la tradition judaïque me berce depuis mon enfance et que le Talmud a sa place au chevet de mon lit, celui que je vais partager au moins ce soir avec mon amour préféré si le prix convient à ma bourse et si je n’ai pas trop mangé, car quand l’occasion se présente j’exagère et quand elle me fuit je cours après elle, ce qui m’éloigne toujours de mon repos. Je fus le premier à me lever pour applaudir, puis l’ovation fit rougir Trigano qui scanda en sautillant sur ses petits pieds :

— Laban ! Laban ! Fils de pute ! Et toi, Jacob, soulève le voile !

Nous brisâmes le verre d’un seul homme.

— De la joie ! De la joie ! Mais pas trop ! criait Trigano sans cesser de dinguer comme une pirouette sans pirouettes.

Il monta sur une table et imposa le silence d’un geste de sa main molle comme pâton.

— Formez les couples ! commanda-t-il.

— Toute entourloupe a sa solution, me confia Ginès en me pinçant le cou.

— Si la marionnette ne s’était pas enfuie, dis-je en réponse, car il venait sans doute de réactiver un circuit que je croyais mort depuis longtemps, on n’aurait pas eu besoin de Cécile…

— Mais si Cécile n’était point allée aux commissions, dit Célestine, qui Trigano aurait-il choisi, de la marionnette ou de Cécile ?

— Ah ! C’est un mystère cette marionnette ! m’écriai-je. Nous ne saurons jamais qui était dedans !

— Qui a dit qu’elle n’était pas vivante comme vous et moi ?

— Mystère ! Comme cette troisième culotte… Qui la portait ? Cécile ou la marionnette ?

— Nous ne le saurons jamais !

— Quelle angoisse !

Nous étions partis pour une de ces conversations coincées entre la métaphysique et la thérapie par la métaphysique, zone dangereuse où l’esprit ne reconnaît pas le danger tant que le corps s’y trouve à son aise, mais qu’une troisième entité, qui n’est ni corps ni esprit, finit par dénoncer comme on souffle dans un cor au plus fort de la bataille. Don Quichotte, qui m’écoutait religieusement, me donna raison sans rien dire.

— Maintenant les couples ! lança André Trigano comme s’il était habité par l’âme de son frère.

Et nous formâmes les couples en nous tenant la main.

Ginès avec Célestine.

— הרי את מקודשת לי בטבעת זו כדת משה וישראל

Moi, Rogerius, avec l’amour de ma vie.

— הרי את מקודשת לי בטבעת זו כדת משה וישראל

Don Quichotte avec Lysis.

— De façon symbolique, précisa Lysis.

— הרי את מקודשת לי בטבעת זו כדת משה וישראל

Carmelin avec Sancho.

— Idem ! s’écria l’un ou l’autre.

— הרי את מקודשת לי בטבעת זו כדת משה וישראל

Les filles entre elles, une servante pour une putain.

— הרי את מקודשת לי בטבעת זו כדת משה וישראל

Louis Marette avec la Présidente.

— Parce qu’on aime la merde !

— הרי את מקודשת לי בטבעת זו כדת משה וישראל

Dehors, le vent s’assouplissait. Le soleil déclinait avec la même douceur languissante. Les ânes semblaient interroger le vieux canasson, cueillant du bout des dents l’offrande du talus. Des poules visitaient les trous. Un canard offrit son bec. Partout, ces petites joies qui ne sont rien sans au moins une âme pour en apprécier la discrétion. On pouvait être aussi bien en marge d’un champ de bataille enfin apaisé qu’au pied d’une fontaine vivante qui semble parler aux oreilles qui savent écouter. Nous n’étions pas là, nous étions ce bruit étouffé de derrière la porte refermée sur notre spectacle, nombre pair au comble de la joie en prévision d’une nuit payée rubis sur l’ongle. Au matin, j’ouvris ma fenêtre. L’air de la chambre en profita pour s’enfuir et il fit bien. Mon amour ronflait comme s’il n’avait pas compris que je l’aimais encore. Et parterre, entre le poulailler et les auges, Trigano dormait d’un autre sommeil, seul comme Job avec Dieu.

 

FIN