Patrick Cintas
La trilogie française
roman rap
© Patrick Cintas
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Table
Je chante et si je sais chanter,
en toute bonne foi dictés
les amours du pays de France
dont je connais la fine errance.
Et tout commence dans la nuit,
sans principe ni sauf-conduit,
par un poème ridicule
que la chouette peut-être ulule
plutôt que le merle amoureux
n’en trille les vers deux à deux :
« S’il faut soulever le couvercle
et de vos mains fendre le cercle,
passer derrière vos écrins
un peu au-dessous de vos reins,
trouver le temps de vous écrire
alors que la nuit vous étire
entre coussins et pied de lit,
soumettre encore à vos délits
l’idée d’une aubade assassine,
ah ! que vos noces me butinent
et que l’attente sur le seuil,
les mains en croix sur le cercueil
de ce qui fut votre aventure,
ne compte plus pour l’écriture
et que seule la voix enfin
toque sur le bois du matin. »
Ainsi s’exprimait à la porte
avant que le vent ne l’emporte
un amoureux impatient,
mais sans excès de vrai tourment.
Venu de loin, à pied sans doute,
ayant secoué de la route
les traces d’un trop vif combat
contre ce vent qu’il n’aimait pas
comme il aimait l’or des feuillages,
il allait vif et sans bagages,
le nez en l’air et l’œil discret,
l’esprit pas très frais il est vrai
car ce qu’il savait de la femme
il l’avait trouvé au sésame
de la bouteille et de son cul,
reconnaissant, s’il avait su,
que l’endroit n’est pas si fortiche
qu’à sa mesure on devient riche.
« Je vous sais seule et sans passion.
Si vous connaissiez la chanson
comme je pratique l’extase,
amie nous ferions table rase
des témoins de la nuit qui vient
de mettre fin au lendemain.
Ce trou est une belle aubaine.
Je n’en veux d’autres pour ma peine.
Je crois qu’il n’en sortira pas
car les morts sont tombés trop bas
pour retrouver le goût de vivre.
Seuls les vivants peuvent poursuivre
ce que la nuit inspire au jour.
Ouvrez la porte, mon amour,
avant l’apparition de l’aube,
brisez le fer qui se dérobe
car le vent pense m’emporter
et je n’ai pas le cœur léger. »
Mais le fruit toujours sans paraître
n’ouvrait ni porte ni fenêtre.
Le vent interrogeait le corps
et traversait les arbres morts :
« Si vous avez peur de l’automne,
dans la maison que j’abandonne
vous trouverez de quoi passer
plus d’une nuit à rêvasser
sur la peau tendre d’une veuve,
qui quoique pas tout à fait neuve
a le sens remis à l’endroit
par la prière et par la foi,
car rien n’est plus sain et propice
que le vent qui se fait complice
du lendemain et de ses feux.
Perdez du temps entre les deux.
Ce qu’elle pense sous ses voiles
ami c’est votre bonne étoile.
Grattez toujours votre violon.
Le vent n’a pas de ces façons.
Je ne suis pas le proxénète
du temps qui passe et qu’on arrête.
Vous venez peut-être trop tôt,
ou c’est déjà tard pour le pot
que vous pensiez prendre avec elle.
Je suis le vent des ritournelles,
de celles que vous connaissez.
Qui sait ce qui peut se passer
derrière les murs de l’attente
quand ce n’est pas le temps qui tente… »
Le vent froissait comme papier
l’ombre qui semblait lui parler
et poussé par ce vent d’automne
qui n’avait rien de monotone,
poussé au cul, tiré par l’œuf,
pelé à vif comme un sou neuf,
l’homme était pressé sur la porte,
la clé en l’air, surtout pas morte,
vivant dans cet écrasement
ce que ne peut savoir le vent,
sucrée comme goutte d’abeille
à l’appel de la fleur qui veille
à ce qu’aucune goutte d’or
ne revienne d’entre les morts
sans la saveur de l’existence
qui promet tout à ce qui pense
et ne tient plus si ce n’est rien.
« Je te veux ô douce catin !
Putain des morts, vaine promesse,
je réussirai dans la fesse
ce que le vent donne aux puceaux
quand la mer revient à l’assaut
de la plage et de ses noyades,
pauvres chômeurs des escapades
sous les fenêtres des hôtels
et dans la mire des missels.
Ouvre la porte à la main leste
qui t’apporte le palimpseste
ouvré dans le noir contrejour
des exercices de l’amour
avant que le plaisir devienne
l’incipit de toutes les chiennes
qui ont peuplé ma niche d’arts
et de ce que l’art fait à l’art
quand il n’est plus questionde vivre
mais de savoir ce que c’est vivre ! »
Les portes font du bruit souvent
quand on y exerce sa dent
et qu’il n’est permis de le faire
qu’en cas de vent et de tonnerre.
Dans les poésies de l’horreur
on ne peut pas avoir plus peur.
Or la nuit était si tranquille
qu’aucun ne pouvait tombait pile
entre la morale et la foi
sans donner des raisons au droit.
La porte demeurait muette.
Ce n’était plus une bluette.
On n’était plus dans l’inconnu :
mais que faisait cet homme nu,
enfin nu du nombril aux cuisses,
avec la chose qui s’immisce,
comme on connaît bien le détail
si on a les pieds sur les rails,
dans l’œil noirci de la serrure
qui ne sait pas ce qu’elle endure ?
Et des enfants quittent le lit,
ce qui augmente le délit.
Un œil froissé sort en chemise.
Il appartient au juge en crise
qui sait bien que juste est la loi
si ce n’est pas le bon endroit
pour se livrer au gaspillage,
à l’inutile ou au tapage.
Le texte est fleuri là-dessus.
Il y en a même qui vont nus,
le pot en main à la va-vite.
On ne sait plus où on habite
quand le dehors et le dedans
ont des airs de vrai ressemblant
que même un tragédien classique
y perd la rime et la musique.
« Cet homme est nu, approchons-nous…
et pas que du bas au genou...
On voit qu’il a un bon mobile.
Si on ne fait pas dans l’habile
notre procès sera un four.
Il aura vite fait le tour
de notre sens de la justice
en prétextant que pour la cuisse
c’est le poulet qui en sait trop
et pas assez le populo. »
Notre homme s’appelait Virgile.
Il n’était pas né en Sicile.
Qu’on se rassure sur ce point.
Les personnages ne sont point
des monts ni des cités lointaines.
On ne se donne assez de peine
que s’ils naissent sans précisions,
du moins pas trop car en mission
le poète n’est pas critique
au point de passer pour un flique.
La poésie n’a rien à voir
avec l’état et le pouvoir
et le civil en poésie
c’est un peu comme dans la vie
de la mort en paquet-cadeau
et beaucoup de froid dans le dos.
Virgile était né à la veille
de voir le jour avec sa vieille.
C’est tout ce qu’on peut dire ici
car depuis qu’il n’est plus assis
pour en parler avec ses potes
le silence a un goût de crotte.
Et dans ces tristes conditions
mieux vaut ne pas faire mention,
entre nous soit dit sans manières
car nous sommes de bons pépères,
de ce qui est ou qui n’est pas
selon les uns ici ou là
et pour ce que savent les autres
autant suer des patenôtres.
Le monde est bien trop compliqué
et il sait se faire discret.
Ne sachant rien de sa naissance,
ni de son nom ni de l’audience,
pas plus que ce qu’il faisait là
et pourquoi il paraissait las,
chacun voulut donner la preuve,
en dehors du fait de la veuve,
de sa connaissance du droit,
de celui qui revient à soi
quand l’autre a pris l’initiative
de donner sa propre salive
au son de la langue de bois
sous l’influence du surmoi.
On alluma les lampadaires
fin de faire la lumière
en cas de fuite par devant.
On fit rentrer tous les enfants
car le spectacle était immonde.
On est à peu près tout le monde
dans la ruelle où l’homme est seul.
On a préparé le linceul,
le noir linceul de l’habitude
aux blancs plis de la certitude,
le linceul qui couvre le mort
de sa défense et de ses torts.
On attend que la veuve sorte,
malgré le gardien de la porte
qui n’a pas remué d’un poil
le gland cloué dans le métal.
Elle a le droit d’être victime.
La justice a le droit au crime
et nous celui d’être témoins.
On ne le serait pas à moins
si l’homme s’appelait Virgile
et qu’il vît le jour en Sicile.
Sur ce le juge s’avança,
tenant sa robe par le bas
car il avait plu dans ses rêves
et dans ses draps un peu de sève
agitait l’esprit d’un curieux
qui savait faire beaucoup
mieux en matière de vie commune.
Dehors on pouvait voir la lune
se refléter dans le miroir
à double face du couloir
où Virgile tentait le diable,
enfer à l’anus véritable.
« Mais enfin monsieur le cochon,
dit le magistrat en chausson,
que veut dire cette attitude ?
En quoi consiste l’habitude ?
A-t-on saisi sur les emprunts ?
Est-on bien sûr que c’en est un ?
Nos portes ne sont pas conçues
pour recevoir votre sangsue.
Vous signez là un délit pur.
Ah ! Vous pouvez en être sûr
la dette à payer sera forte
et je suis là pour faire en sorte
que vous en assumiez les frais
jusqu’au bout de la vérité.
On n’est pas juge pour des prunes
et j’en suis un sans en être une.
Veuillez, monsieur, vous retirer
afin de pouvoir déclarer
ce que l’oreille veut entendre
sans regarder et à tout prendre. »
Le juge avait-il bien parlé ?
Virgile n’avait pas bougé.
A peine vit-on sur sa fesse
l’effet produit par la caresse
de ce vent qui l’avait porté
devant la maison du damné.
Il faut ici, c’est la nature
de ces récits de forfaiture
qu’on vend à bon marché au vent
et que le vent revend par temps
de pluie ou de neige qu’importe,
révéler que voici la porte
d’un mort qui n’est pas mort vivant.
Le lecteur se trouve devant
le beau derrière de Virgile,
bien éclairé et fort agile,
entre chemise et pantalon
dans l’esprit comme dans l’action,
qui par devant commet un crime
dont une veuve est la victime.
Dans ces sortes de long récit
où vie et mort font l’incipit
il est de tradition encore,
car l’héritage vient du More,
de rompre comme le bon pain
le temps qui vient du lendemain
et au passé simple conjugue
le vrai début qui nous subjugue
alors de ses explications
toutes aptes à la raison
qui nous inspira ce théâtre
dans un commencement folâtre.
Du jovial il faut passer
au tragique des trépassés,
voici en un mot une affaire
qui n’eût pas la chance de plaire
aux plus hautes autorités
qui commandent à la cité.
Si la maison de cette veuve
avait été en sa cour neuve
et par-dessus le toit aussi
prolixe en airs et en récits,
lecteur nous n’aurions pas nous-mêmes
manqué d’ajouter à ce thème
les péripéties du bonheur
qui s’attache aux entrepreneurs
du plaisir donné à l’office
et retrouvé comme un complice
soit dans un verre aux doux reflets
ou dans quelque genou replet,
secret qui ne peut en être une
si le revers a sa fortune.
Mais trêve de joyeusetés,
car ce qui vaut d’être cité
dans les plus fidèles annales
doit maintenant comme on empale
revenir au point de départ
et dans le sang verser sa part.
Verju, c’était son patronyme
bien que le besoin de la rime,
qui connaît des impératifs
autant sur le mort que le vif,
à Nîmes ne le fit pas naître
mais dans un lieu qui, sans paraître
mieux adapté à son récit,
n’en est pas moins, de sens rassis,
un point nommé de ce bas monde
ailleurs qu’en mer où il abonde,
plus par confort de la raison
que par expérience exerçons.
Il eut comme à peu près
les autres une vie qui vaut bien la nôtre,
avec une enfance aux tisons
et des envies sans les leçons.
D’un métier il nourrit sa hâte
et d’une femme il carapate
sans toutefois donner le jour
à un fruit digne de l’amour.
Ce détail eut son importance
car l’homme avait des exigences,
notamment quant à ses outils
qu’il avait reçus tous gratuits
et qu’il comptait donner en gage
de son respect pour l’héritage.
Mais il avait beau s’échiner,
donner la preuve à ses aînés
qu’il possédait l’art et l’office,
sa substance sans sacrifice
ne trouvait pas l’accroissement
et pressait les ressorts du temps.
A bout de souffle il abandonne,
ou plutôt voilà qu’il s’adonne
à ce qu’il convient d’appeler,
par souci de réalité,
la violence domestique.
Il connut vite la musique
et d’une fesse à l’autre allant
il battit la mesure autant
que ses nerfs avaient d’importance.
« Puisque je n’ai pas eu de chance,
dit-il parlant au trou ouvert
qui crottait sa valeur en vers,
c’est par cette male ouverture
qu’il faudra bien que l’aventure
continue avec ou sans toi.
Non vraiment il n’y a pas de quoi
fouetter un chat mais quand j’y pense
je n’ai vraiment pas eu de chance ! »
Et disant cela il battait
criant plus fort que le fessier.
De son côté la pauvre Armande
(oui, elle a les yeux en amande,
car pour la rime on est faisan)
allait son train chemin faisant,
soulageant ses douleurs de fesse
avec ses propres mains d’ânesse,
n’oubliant pas que pour l’anus,
dont Verju aimait le corpus,
un doigt suffit pour l’exercice
si c’est celui d’un gros complice.
« En effet pourquoi maniérer ?
disait la belle à cet effet.
Verju n’a point dedans ses couilles
ce qui convient à sa dépouille,
alors que moi j’ai du dehors
une idée qui vaut bien tout l’or
que le bon dieu met à l’ouvrage
pour qu’on en fasse un bon usage. »
Elle eut pour amants le gratin
de la société du crottin,
mais les odeurs de la campagne,
qu’on aille lent ou qu’on se magne,
perdent leur charme avec le temps.
Elle visita d’autres camps,
en épuisa les expériences,
exerçant même une influence
sur les idées et sur les mots
qui revenaient au grand galop.
Enfin elle trouva chaussure
où son pied sans nulle blessure
put agiter ses petits doigts
sans que l’odeur, qui en fait foi,
changeât le cours de l’existence,
ni du côté de sa patience
qu’elle exerçait sans se trahir,
n’avouant rien de ses désirs,
ni de celui de sa trouvaille
qui consistait, dans la ripaille,
en un beau mec fait pour bander
sans avoir besoin de chercher
ailleurs que là les mille astuces
qui font du bien à ce qu’on suce
et point de mal à ce qu’on mord.
Il ne manquait plus que le mort.
« Je suis encore appétissante.
Je suis même reconnaissante.
J’ai de l’avenir devant moi
et pour y rêver j’ai de quoi.
Pourquoi ne pas penser au crime,
comme au bout d’un vers une rime,
et comme une fée assumer
la magie et ses beaux effets ? »
Disant cela d’une voix douce
comme un téton qu’elle trémousse
pour mieux convaincre en attendant.
Le beau qui s’appelait Vatan
et qui jamais, si d’aventure,
ne répondait à la nature
de ce prénom original
sans perspective de régal,
se retira de l’orifice
et s’appuya sur une cuisse
pour y penser à tête aussi
reposée qu’il pouvait ici
espérer que le sortilège
ne fût ce prévisible piège
qui menaçait son bon confort
depuis qu’il vouait tous les torts
au sort de ses nobles conquêtes,
disait-il, « autant que vous êtes
roturières dans l’âme si
l’occasion en fait le récit.
Aussi je ne vais point si vite
que vos esprits de sybarites
et prends toujours du temps conseil
avant de mettre un appareil
à vos passions exorbitantes.
Je ne dis pas que ça me tente
ni que j’ai raison de penser
qu’en principe il vaut mieux laisser
les créateurs à leurs ouvrages
et notamment l’aréopage
à qui l’on doit tant le meilleur
que le pire et même l’ailleurs.
Si tu permets, ma belle Armande,
je comprends ce que tu demandes,
car un de trop c’est un de mort.
Mais après ce genre d’effort
il n’est pas rare que la vie,
qui est un bien plus que l’envie,
par un décret et sans recours
compte deux morts, prix de l’amour
qu’à payer cash tu seras seule,
nos deux moitiés, nos grandes gueules
n’ayant à la fin du procès
plus rien à dire de sensé. »
Sur ce Vatan prit de la poudre
l’escampette et ce qu’il veut moudre
dans le moulin encore chaud
de sa vision de l’échafaud.
Deux têtes mortes c’est facile
mais mieux vaut se tenir tranquille.
« Je ne pars pas sans revenir, »
dit-il en fuyant les soupirs
de la belle qui sans scrupule
peut y changer une virgule.
Et il referme le volet,
en un mot il a bien filé.
Armande en conçoit de la haine,
mais comme sa culotte est pleine
elle s’emploie à effacer
de ce qui vient de se passer
et l’esprit et surtout la lettre
car il s’agit de reparaître
pour recevoir ce que Verju
veut renouveler sur son cul.
Comme il n’est pas plus de dix heures
elle se nettoie et en pleure,
ne jetant l’eau que par dépit.
Et en effet sur le midi,
l’artisan qui a fait son beurre
revient en avance d’une heure,
déclarant que pour travailler
il n’a besoin que d’un fessier,
d’un trou parlant digne de Plaute
et d’une poignée de ces crottes
qui font le bonheur de l’esprit
et de la vie à deux le prix.
« Si tu as remis ta culotte,
dit-il en caressant sa glotte
avec le bout de son engin,
je te ferai savoir, catin,
si l’homme que je suis à table,
et j’en suis un plus que capable,
vaut la femme que tu n’es pas
contre promesse de repas.
Chie-moi donc une de ces merdes
avant que le secret se perde,
dans la nuit de mon descendant
né déjà mort et sans parents. »
Il s’ensuivit de ces pratiques
que les habitudes classiques
laissent sans voix dans les beaux vers
des tragédies où de l’envers
c’est l’endroit qui remet la nappe.
Il faut savoir où on se sape
si c’est au spectacle qu’on va.
Et l’après-midi se passa
en ces compositions obscènes
que Verju croyait mettre en scène
mais dont la belle maîtrisait
autant le détail que l’effet.
De l’autre côté de la rue,
Vatan interrogeait la grue
dont il était le protecteur.
Dire qu’elle était sa consœur
n’eût pas déplu à sa conscience,
mais ce n’est pas sans indécence
qu’il en parlait comme son bien.
« Mieux vaut avoir un peu que rien,
avait-il expliqué au juge
qui n’appréciait pas le grabuge
dont se plaignaient aussi les gens
qui en voulaient à son argent.
— Ce n’est pas que ce que tu gagnes
revient de droit à ta compagne,
décréta le juge aux abois.
Il n’y a pas que ce que tu crois
qui dicte à ces gens leur conduite.
Ceci ne peut rester sans suite.
Nous avons tous nos professions.
Nous avons même des passions,
mais l’épaisseur des murs est telle
qu’il n’est question de bagatelles
au pire dans les escaliers,
au mieux au niveau des paliers.
Ferme la porte à tes ouvrages
et ne dis rien sur le péage.
Tout le monde en sera d’accord.
A chacun son idée du corps
car le plaisir sans la justice
est un véritable supplice. »
Et depuis cette activité
mise sous le sceau du secret
connut, comme les bruits vont vite,
une croissante réussite.
D’ailleurs le juge est un témoin
capital de première main :
Vatan ne vend que la promesse
et c’est toujours à sa maîtresse
que tout le mérite revient.
Sinon il ne se passe rien
qui d’un procès vaille la peine.
Je suis putain mais je suis saine.
Mais Vatan n’avait pas tout dit.
Le commerce est un bon crédit.
Qui se plaindrait de sa balance ?
On en voit qui n’ont pas de chance.
Vatan n’en avait pas de trop,
sachant partager son éco.
Mais la femme avait des principes
pour ce qui concernait les pipes,
elle fumait sans rouspéter.
Ses ronds étaient même avalés.
Et quand aux relations anales
elle se limitait au sale
mais pourvu que ce soit le sien.
Et quant à trouver le moyen
d’aller plus loin dans le morbide,
autant se préparer au bide
et rembourser sans expliquer
ce qui pourtant était payé.
Si donc il fallait reconnaître
qu’elle avait le talent d’un maître,
toutefois il manquait un sou
pour aller salement au bout
de ce travail de la promesse
qui au fond vaut bien une messe.
Du coup Vatan devint chagrin.
« Pour l’argent, dit-il, tout va bien.
Mais pour la monnaie et j’en passe
des vertes et des moins salasses,
il faudra bien que le métier
me rende ce que j’ai donné.
Sans le plaisir on est en panne.
Les pipes c’est bon pour les ânes.
J’aime bien les traces de pets
et même au vol les attraper,
mais tout ceci n’est pas l’extase.
Il faut que je change de phase
sinon je vais devenir fou
et faire du mal à mon cou. »
La fille qui l’écoutait braire
pensa qu’il manquait de quoi faire
et proposa que son caca
servît de base à ses repas.
Elle avait de l’intelligence,
mais il lui manquait cette science
qui dans la tête de Vatan
le rendait esclave du temps
au point que même dans ses rêves
sa libido faisait la grève.
« Ah ! Si je dois me suicider
je veux que ce soit éveillé ! »
Ce fut donc sur ces entrefaites,
comme quoi la vie est bien faite,
qu’il se trouva sur le chemin
de sa voisine un beau matin.
Comme elle s’appelait Armande
et qu’elle sentait bon l’amande,
il lui parla de sa maman
qui avait connu du bon temps
en offrant ce que sa culotte
supposait avant qu’on la saute.
Armande y vit une occasion
de se venger sans permission
de Verju et de sa violence.
Vatan crut avoir de la chance.
« Dans cette chaude profondeur
je trouverais pour mon bonheur
le nid dont a besoin mon rêve.
— Mais avant il faut qu’il se lève
car sans lui je ne suis plus rien
que fleur au vent sans les moyens
de papillonner la chenille.
— Ah ! Donnez-moi cette guenille.
Je veux en respirer les fonds
et m’en barbouiller tout le front ! »
Disant cela il la malmène.
Elle en éprouve de la peine
mais sans la douleur le plaisir
a la faiblesse du zéphyr.
Les papillons seraient sans ailes
pauvres puceaux des ribambelles.
Comment imaginer l’éros
sans la torture du héros ?
Et la voici, la belle Armande,
folle d’amour pendant qu’il bande
et qu’il arrache le tissu
pour le porter à son front nu.
Dans la vigueur de son vertige,
fleur crispée au bout de sa tige,
elle a failli fermer les yeux,
s’abandonner à l’amoureux,
laisser au temps les circonstances
et au désir la connaissance.
Mais son instinct est en éveil.
Elle en sait trop sur le sommeil.
Alors elle ouvre une paupière,
aux aguets comme une guerrière,
« On ne sait jamais avec eux.
J’en ai connu des bienheureux,
mais je n’ai pas toujours la chance
qui sourit aux bonnes consciences. »
Et tandis que Vatan frottait
la culotte dessus son nez,
dans le plaisir elle découvre
qu’entre les lèvres qui s’entrouvrent
les mots expriment le dégoût.
Elle ouvre grand les yeux du coup.
« Quoi ! Faut-il déjà que je pense
à vous quitter ! Quelle malchance
et avant d’être tout pour vous !
Si j’avais su pour ce dégoût… »
Alors Vatan mord la dentelle,
en croque même les parcelles.
Sa langue passe sur les dents
pour montrer comme il est content.
Il roule des yeux pleins d’ivresse
et gonfle des joues en détresse.
« Ce que vous prenez pour des hauts-
le-cœur sont en fait les plus beaux
témoins de ma passion naissante,
ô belle enfant dont je me vante
d’avoir fait naître le talent
pour les choses que l’esprit lent
relègue avec les plus mauvaises.
Cette culotte que je baise
contient enfin ce que je tiens
pour le plus brillant des moyens
d’atteindre les plus hautes sphères
du plaisir que tout homme espère
de l’existence et du destin.
Ah ! Que j’adore ce festin !
Ce produit frais que je tenaille,
sorti tout droit de vos entrailles,
change ma vie et pour toujours.
Voilà ce qui s’appelle amour,
amour au beau nom de substance,
amour enfin sans complaisance,
et non complicité de droit
comme trop souvent on le voit. »
Armande écouta ces instances
d’une oreille moitié méfiance
moitié preneuse du repas.
Ce discours ne lui déplut pas.
Et elle remet à sa place
l’objet qui a laissé sa trace
sur le visage tourmenté
de Vatan qui sait où il est,
car si selon les apparences
il faut voir qu’il a de la chance,
en vérité il n’est est rien.
Tout bon début connaît sa fin.
Puis les amants se font la bise,
l’une retourne à sa remise
où Verju dort du bon sommeil,
l’autre plus gai prend le soleil
à témoin de cette aventure
mais sans jacter outre mesure.
Aussitôt dit, aussitôt fait.
A peine enfin est-il rentré
que dans un bain il précipite
son apparence décrépite
sous les effets de l’excrément.
Il n’a pas même pris le temps
de chauffer l’eau de la cuvette.
Pourtant le réchaud de Lisette
anime l’ombre de ses feux
dont elle connaît tous les jeux.
La belle enfant qui se repose
d’un coup tiré entre deux poses,
commente en se pinçant le nez
cette drôle de nouveauté
qui n’ajoute rien aux affaires,
complique le publicitaire,
rend l’hygiène pas très coton
et fait douter de la raison.
« Je veux bien que tu te barbouilles
avec ce qui plus rien ne mouille.
La merde c’est comme l’argent :
pour la fenêtre on a le temps,
mais bonjour pour la vie notoire
et le sens qu’on donne aux histoires
si on n’a pas tout bien compris,
surtout que le mauvais esprit
va plus vite dans la besogne
que ce qu’on fait avec ses pognes.
Je t’adjure d’être discret
et pour éviter d’ébruiter
de t’en tenir à ma culotte
et aux principes de mes crottes.
Je crois que c’est trop demander
à mes vertus d’en ajouter
d’autres qui n’ont plus rien d’intime.
Peu m’importe ce qui t’anime.
On a chacun de gros défauts.
Je ne sais pas ce qui est beau
et ce qui peut manquer d’allure,
j’ai trop à faire en aventure
pour me payer ce luxe en sus.
Toi et moi pour le consensus
on ne sait plus où on habite.
Si donc on est à la limite
de nuire aux bonnes conditions
sans quoi c’est notre profession
qui se passe de bénéfices,
Vatan je ne suis plus complice
et que je ne te revois plus.
Ah ! J’aurai fait ce que j’ai pu
pour que jamais on me remplace ! »
Sur ce elle quitte la place
laissant allumé le réchaud
et dans le bidet bouillir l’eau.
Vatan récure son oreille,
frotte son nez avec l’oseille
qui est resté sur le chevet.
Il frotte longuement son nez
pensant qu’à force d’équivoque
« C’est sûr on deviendra des vioques
et même avec de beaux enfants
la vieillesse est un vrai tourment,
car il n’est pas d’enfant précoce
dans cette espèce de négoce
qui bientôt quitte le foyer
pour servir ailleurs d’employé
et oublier de sa naissance
le détail qui met dans l’aisance.
Ah ! Je ne sais ce qui me prend !
Je vais tout perdre en m’adonnant
au plaisir des fonds de culotte,
d’autant que ce n’est pas la crotte
ni la petite commission
qui font que j’ai de la passion
pour la dentelle et les coutures.
Je suis fait pour l’autre aventure. »
Il allait dire en quoi tout haut
consistait ce triste défaut
quand Lisette ouvrit grand la porte
et laissa passer un cloporte
qui se frottait déjà l’endroit
sur l’envers de son côté droit.
Vatan s’éclipsa à l’anglaise
car le client doit être à l’aise
du début jusques à la fin.
Dans le métier on se maintient
à force d’une discipline
qui fait la douceur des mimines
et la vigueur du paturon.
Celui qui veut gagner des ronds
met la tête après la pratique.
Si on veut devenir cacique
c’est après qu’on réfléchit bien
et toujours avant qu’on devient.
Tandis qu’il descendait la cage
où l’escalier se tenait sage,
il se mit à penser tout haut
que si la vie vous rend marteau
ce n’est pas faute de programme,
mais on finit par rendre l’âme
à cause d’un petit détail
qui vous distingue du sérail,
de la crème de la bourriche.
On ne veut plus devenir riche.
On a beau faire on ne fait rien.
On ne reconnaît plus les siens.
On ne fait plus cas des usages.
On était digne, on n’est plus sage.
Dans le fond du slip et des frocs,
tout ce qui brille vaut du toc.
Et tu n’expliques rien aux femmes,
rien au curé, blâme sur blâme
avec inscription au dossier.
Il faut avoir un cœur d’acier
quand on est plus seul que l’unique.
Alors va savoir qui rapplique.
D’un coup de pied dans l’à-peu-près
il ouvrit d’un estaminet
la porte avec son garde-chiourme.
« Ah ! Mais qui t’as causé ces gourmes ?
fit la Lulu en les grattant
de ses ongles étincelants.
Ça m’a l’air d’être plutôt grave !
En plein visage qui se lave
après un usage excessif.
Pissat ou bran, c’est du kif-kif !
Avec trois trous dans la dentelle
on fait le slip mais pas la belle.
Moi je sais bien ce qu’il te faut.
Viens par ici, c’est sans défaut. »
Et Vatan se laisse conduire
dans l’escalier qu’on fait reluire
en montant et en descendant
dans le même et facile élan.
Le pourliche il a l’habitude.
Pour l’éloge il a des études.
Sauf que cette fois c’en est trop.
Jamais il n’est venu au trot
pour satisfaire sa cervelle
entre les cuisses d’Isabelle.
A douze ans elle a du ressort
et il n’a pas tout à fait tort.
Ah ! Le duvet qui se hérisse !
A cet âge on est sans malice.
« Ça tombe bien, pile et au poil,
fait la Lulu sans penser mal.
Je garantis, à la bonne heure,
ce que j’appelle la meilleure.
Aujourd’hui ça saigne à bouillon
et ça vaut cher en caleçons.
Deux, trois et quatre à la minute !
Avant que le rideau ne chute,
tu en auras pour ton argent.
Qui dit mieux, mon brave Vatan,
que la Lulu qui sait tout faire
et qui fait tout pour les affaires ?
L’armoire en est pleine à foison.
Se priver mais c’est sans raison !
Voilà la clé, une par une,
et surtout n’en rate pas une ! »
Et dans la chambre aux volets clos,
Vatan pose un doigt aussitôt
sur ce sang qui se coagule
sous l’ongle en forme de lunule.
Il ne voit pas le nez mutin,
ni l’œil qui n’est pas plus malin,
pas plus que la bouche entrouverte
qui agite sa langue verte,
mais ne dit rien car ce moment
n’appartient pas à cet enfant.
« Enfant, il faut que tu apprennes
à reconnaître entre les scènes
de ton enfance de catin,
ce qui au lanternier revient,
quel est le bonheur du fidèle,
ce que dieu prend dans la gamelle
et en quoi consiste ta part.
Chacun y gagne, comme en art.
C’est une question de manière.
Retiens ta langue de vipère.
Tu parleras à l’occasion,
plus tard, et même sans raison.
Tu seras l’enfant de mon âge,
le lien qui manque à mon veuvage.
Mais que sert-il de te parler
si tu entends te révolter,
expliquer ton adolescence,
dénaturer ma connaissance
avant que ce slip indiscret
ne m’ait livré tous ses secrets ? »
Alors Vatan plonge sa face
dans la complexité des traces,
des signes bornant son cerveau,
empreintes sur sa propre peau,
qu’il observe et juge et appelle
tandis que la pauvre Isabelle,
qui n’en peut plus de rien pouvoir,
crache dans les plis du mouchoir
que Lulu presse sur ses lèvres
sans se soucier, grise de fièvre,
de ce qu’elle enferme dedans.
« N’y pense pas, ma belle enfant.
Moi je sais tout de cette enfance.
Tu sauras tout si tu y penses
et le moment est mal choisi
pour en reconnaître le prix.
Pourquoi choisir si l’existence
promet la vie quand tu y penses ?
La vie n’est rien sans le sentier
et celui-ci est tout tracé.
Ne pas penser et ne rien dire,
ne rien savoir et tout maudire,
il n’y a pas d’autre sort ici,
en tout cas pas sans moi au lit.
Tra la la, enfance qui rêve,
la la lère, imagine ou crève. »
Mais Vatan n’a pas entendu
la chanson que chante Lulu.
« Pas de plaisir sans la culotte, »
chante-t-elle encore à voix haute
alors que son esprit n’est plus
là pour encaisser le surplus.
Vatan se lève et il emporte
la culotte et ouvre la porte
sans se retourner une fois
pour enfin du joli minois
apprécier la verte innocence.
Il n’a pas eu d’adolescence.
Et il s’arrête sur le seuil.
Le soleil lui fait bon accueil.
Le vent prodigue ses caresses
et dans les feuillages détresse
les têtes ravies des oiseaux.
Les murs ont des chaleurs de peaux.
Des femmes lisent des grimoires.
La fontaine se laisse boire.
Il se sert des mains d’une enfant.
Elle rit et montre des dents
qui ne sont pas faites pour mordre.
Le trottoir n’est pas sans désordre
et les paillettes des rideaux
bruissent dans l’air, légers fardeaux
qui finissent leurs existences
dans l’ombre des efflorescences
et des pauciflores massifs.
Pas le moins du monde rétif
à la petite poésie
de tous les jours, qui fait la vie,
il prend le chemin le plus court
pour retrouver un peu d’amour.
Verju est endormi encore.
Tel est le lieu où il s’adore.
Il faut dire pour expliquer
cette sieste qui veut durer
que la belle et patiente Armande
connaît beaucoup mieux que l’amande
pour changer le cours du destin.
Encore un peu, elle a la main,
et le Verju part en voyage
pour laisser tout son héritage.
« Mais tuer ce n’est pas mon fort,
gémit-elle pendant qu’il dort.
Profites-en, c’est plus facile,
tords-lui le cou, rends-toi utile,
transperce-le, sors-lui le sang !
Es-tu à moi ? Combien de temps ? »
Mais Vatan sur le sein repose.
Le téton a l’air d’une rose.
Ce n’est point par plaisir qu’il mord.
En la matière il se sent fort.
Prendre la vie comme on pagine,
c’est plus dur qu’on ne l’imagine.
Un jour il la fera saigner.
Elle qui dit ne pas rêver,
ne saigne plus dans sa culotte
et ne reconnaît pas sa faute.
Sur sa peau il fera un trou,
un petit trou de rien du tout,
à fleur de peau une piqûre,
sans douleur ni fioriture.
Il goûtera peut-être à tort
ces gouttes qui valent de l’or,
même si elle n’a plus l’âge
d’apprécier ces enfantillages.
Mais sans le slip le sang est-il,
est-il encore, ainsi soit-il ?
« Je n’ai jamais blessé personne.
Qui donne la douleur maldonne.
Ne rien tenter contre le temps.
L’enfant qui saigne d’un enfant
est aussi pur que je suis père.
La souffrance me désespère.
Personne ne saura jamais
en dehors des murs où je nais
chaque fois qu’Isabelle saigne,
que de sa haine je m’imprègne
et qu’elle se tait pour toujours,
car la vie m’a ôté l’amour.
Je n’ai jamais troué dans l’être,
jamais traversé pour paraître,
jamais sucé la goutte d’or
u’un tel effort exerce à mort.
Ah ! Regretter de ne pas croire
que dieu paraît comme à la foire
et que le manège aux enfants
est éternel comme le temps.
Je n’ai pas fait philosophie,
perdu ainsi moitié de vie.
Être vivant c’est être mort
et être mort n’est pas la mort.
Ces idées-là m’auraient fait sage.
Au lieu de ça j’ai passé l’âge
et de demain en lendemain
tout est devenu incertain,
au point que quand l’enfant demande
je ne donne rien et je bande
pourvu qu’elle saigne avec moi.
Des turlupins je suis le roi.
J’ai l’art de compliquer les choses
et pas en bien même si j’ose.
Mais pour la question d’un grand trou
à pratiquer dans le dégoût
dans l’existence d’un faux père
qui ne doit rien à sa misère,
je ne suis pas l’homme qu’il faut
à la femme qui par défaut,
’a pas trouvé mieux que moi-même,
revenu d’aussi loin qu’on m’aime,
pauvre rêveur de sang, après
avoir épuisé le sujet,
mis le feu à mon industrie,
et inventé la boucherie.
Lisette m’a foutu dehors
alors que j’étais déjà mort.
Signe qu’il vaut mieux que je file :
Verju d’un air qui m’assimile
demande en bâillant si je suis
aussi amoureux que je fuis ! »
Et pendant que Vatan s’évade,
considérant que l’incartade
a passé le seuil du courtois,
Verju reprend son bout de bois
et sur le derrière d’Armande,
soucieux de jouir de sa prébende,
il trace en croix sans discussion
le graphe de sa conception
de la chose matrimoniale
avec privilège du mâle
et recommandation du droit.
Vatan est loin quand il sursoit
à l’exercice de la fesse.
Humant une dernière vesse,
il ne lui faut pas si longtemps
pour en finir sans tremblement
avec l’apogée de sa transe
qui n’a pas même extrait l’essence
d’un commencement de plaisir.
Il plonge mais sans rejaillir.
Il peut chercher mais sans trouvaille
il n’y a pas d’ivresse qui vaille
qu’on revienne en piètre voleur
des aventures de l’ardeur,
mais Verju croît dans le laxisme.
Il ne connaît du paroxysme
que la colère et la raison,
fragments poussifs de la passion
aux extrêmes de la licence.
Il n’est pas homme à délivrance.
Il attend ce qu’il ne croit plus
nécessaire à ce qui est dû.
Regardez-le frotter la puce
qui boutonne sur son prépuce :
dirait-on un homme ce gus
qui recherche le consensus
avec les moyens d’une enfance
qui n’a connu de résistances
que dans l’attente sans émoi ?
« Non, cet homme ce n’est pas moi,
je ne reconnais pas l’image.
Ce miroir reflète un mirage.
Je ne suis pas dans le désert.
Je ne sais pas ce que je sers.
Rien n’est compliqué que moi-même.
Avant l’aurore il faut que j’aime.
Tant pis si la nuit n’appartient
qu’à celui qui sans elle tient
à ce fil qui joint la jouissance
aux compromis de l’existence.
Cet homme c’est peut-être lui,
celui qui me ment et me nuit
chaque fois qu’avec toi j’approche
les tares que tu me reproches ! »
Seul devant ce miroir sans tain,
objet vieilli des lendemains
que l’ascendance en pure perte
de sa mémoire a recouverte,
il voit que ce n’est pas fini,
que l’amour se donne à l’envi,
que l’approximation commence
à l’instant même où la malchance
s’est promis de promettre tout.
« Qui suis-je moi-même debout
face à ce que voudrait la femme ?
Elle seule connaît la flamme
et je suis cendres en amour. »
Ainsi de suite tous les jours.
Noir onirisme en solitaire,
naïvetés et vains mystères,
dernière chance du destin
ou commencement de la fin.
Insensible aux plaintes d’Armande,
il croque la petite amande
noire et lisse de son caca,
tirant la langue à son papa
qui est apparu par miracle
dans le vieux miroir au spectacle
de son histoire et de sa loi.
Dehors Vatan est aux abois,
Vatan est loin, Armande morte
ou peu s’en faut qu’il ne lui sorte
de la chair les signes de mort
que la vie refuse à son sort.
Couchée en travers d’une chaise,
elle mesure le malaise
comme on dit dans les jugements
prononcés sans atermoiements
en faveur des suites heureuses
et contre celles des pleureuses.
Pleure-t-elle les yeux fermés
pour ne pas voir ce qu’elle sait
de l’une et l’autre preuve d’homme
chacune posée comme axiome
du social vécu dans la foi,
la raison du plus fort en droit
et les mœurs revues à la baisse ?
« Si ce vin vaut bien une messe,
murmure-t-elle entre les dents
que Verju a noircies au bran,
voyons si l’homme est un spectacle
et si l’autre fait des miracles. »
Mais comme elle allait se lever
pour prendre le temps de rêver
malgré les douleurs en fragrance
et les promesses de la chance
qui tient quand on ne la tient plus,
voici que reparaît Verju,
avec son odeur de lavande,
suçant encore son amande,
mais sans lui mettre sous le nez
les lanières du martinet
dont elle frotte un peu la trace
en espérant qu’il en espace
les douloureux atermoiements.
Mais le Verju n’a pas le temps,
car il sort. Elle a l’habitude.
Il ne change rien au prélude.
Il frotte la soie de ses gants
sur la joue noire qu’elle tend,
ne dit mot ni donne des signes,
« Si tu témoignes je t’aligne ! »
Et voilà qu’il franchit le seuil,
le bonnet penché sur un œil
et le bâton en bandoulière.
Il est fringué comme à la guerre
et n’a pas oublié le vin
qui mousse dans ses intestins.
Comme il fait chaud il déboutonne
sa chemise et même s’étonne
qu’elle ait cousu tous les boutons
sans oublier à reculons
celui d’en haut qu’elle suçote
quand il barbouille de confiote,
un mélange à base de fruits
et de raclures de kiki,
les poils peignés de sa moustache
qu’il met aussi sec à la tâche.
Il y pense en voyant tout nu
un rejeton pas même ému
qui fuit devant une matrone
hystérique qui lui chiffonne
à la fois l’herbe des cheveux
et le gazon qu’il a aux nœuds.
Une fillette en ras de cuisses,
qui s’y connaît en sacrifice,
rit aux éclats pour la photo,
car pour le reste il est trop tôt.
Une gonzesse entre deux âges
fait des rougeurs à son visage.
En regardant dessous les bras
on voit bien que question caca
elle en a gros sur la patate
et c’est pour ça qu’elle s’éclate.
« Et puis les vieilles me font chier, »
chante Verju sans promener
ses yeux sur ces genoux de crasse
où il ne mettrait pas en grâce
le bout de sa queue et l’étron
qui va avec à la maison.
« Ah ! J’y perdrais mes habitudes,
j’en aurais des vicissitudes
que pour retrouver le chemin
me faudrait payer à la main
au moins trois fois ce qu’elles valent.
Des trous j’en ai mais pas aux balles.
L’économie c’est le premier
des protocoles du fessier.
Rien en dessous de la rayure
et au-dessus pas d’aventure.
Alors les vioques c’est réglé,
rentrez vos genoux en papier
et les journaux qui les racontent.
Pour les amis on a des comptes
et pour les morts des échafauds.
Les illusions ce n’est pas faux,
mais s’il faut la vérité dire
le mieux c’est d’éviter le pire. »
Et le cerveau tout guilleret,
car le vin faisait son effet,
Verju pénétra chez les putes
avec dans l’idée la culbute.
Mais Lulu qui veillait au grain
le cueille aussitôt par la main :
« Alors mon Verju de première,
on oublie les bonnes manières.
Quand on entre il faut en sortir
et sans les moyens du plaisir.
On veut d’abord de l’accessoire
et encore sans des histoires !
Je vais t’en faire à la vertu,
et sans raconter le début,
parce que pour ce qui commence,
tu n’es pas le premier qui pense.
Viens dans mon bureau pour parler.
Et pas que du fric à donner.
Quand on fait des enfants aux putes
c’est pas la faute à la turlute. »
Du coup Verju se trouve là,
pas mort de froid mais vraiment las.
Le vin fait encore une bulle.
L’ensemble des effets s’annule.
Lulu ouvre une porte en or,
qui fait un bruit de gros effort,
et d’une voix de cantatrice
appelle encore au sacrifice.
Et qui qui descend l’escalier,
avec aux pieds de beaux souliers,
si c’est pas la belle Isabelle
qui a des airs de vraie femelle,
pas des gravois comme Lulu
sous la truelle de Verju.
Malgré ses douze ans d’expérience
et pas plus de deux dans la science,
un amour de curriculum,
de la femme elle est le summum,
de l’avenir elle tient l’homme,
sans héritage et sans diplômes.
« En parlant d’hériter du bien,
dit Lulu en poussant le sien
dans les bras de Verju en transe,
ce qui serait bien quand on pense,
et pour penser je ne suis pas
la dernière à penser tout bas,
ce serait que tu reconnaisses,
sans te faire mal à confesse,
que si son nez ressemble au mien,
pour les pieds ce sont bien les tiens.
Qu’en penses-tu, ma vieille histoire ?
Ça pourrait devenir notoire,
mais pour la chienne que je suis
les vers sont toujours dans le fruit… »
Verju embrasse une joue rouge.
« A l’atelier c’est à la gouge
que je travaille dans le bois,
dit-il en flattant le minois.
A la maison je suis bravache
et je me sers d’une cravache.
Partout j’ai l’outil qu’il me faut.
Jamais il ne me fait défaut.
Mais avec toi, belle Isabelle,
la dure question matérielle
n’est toujours pas de mon ressort.
Je ne crois pas t’avoir fait tort
en te donnant à cette femme
qui est la honte de mon âme,
mais ce qui est fait est bien fait,
dit-on au pauvre infortuné
qui ne peut pas le reconnaître
car chez lui il n’est pas le maître.
Je t’aime comme un bon papa.
Cela ne te suffit-il pas ?
On dit que l’amour n’a pas d’ailes,
car quand il vole c’est sans elles.
Quand bien même cette putain
me donnerait un fils demain,
je demeurerais sans notaire,
pas sans amour, tu me vois faire,
j’ai le cœur gros comme la main…
— Et la veille c’est pas demain !
dit la Lulu montrant la sienne.
Sors le pognon et puis dégaine.
Ah ! L’amour tu n’es pas fait pour !
Tu vaux pas même le détour.
Tu vois, ma fille, on est des choses.
J’en ai connu des mecs qui osent,
de ceux qui changent l’avenir
à la demande et sans frémir.
Tant pis pour toi, mais pour l’oseille
je crois encore à ses merveilles. »
Voilà Verju qui met la main
dans la poche qu’il a au train.
Il en sort quelques billes neuves
sans qu’Isabelle ne l’émeuve.
Quand il est parti la Lulu
dit qu’il a la tête en alu
« Moitié métal moitié guimauve.
Regarde un peu comme il se sauve ! »
Dehors le temps est de retour.
Le vin revient comme toujours
et l’esprit saute à la marelle
au rythme d’une ritournelle,
petite culotte en papier
que la main froisse et puis c’est fait.
« Ah ! C’est le monde qui complique !
Pourtant c’est simple la musique.
Petit caillou deviendra grand,
à la marelle et à l’encan.
Le noir galet de mes marelles
sort du cul de mon Isabelle.
La criée aux poissons d’argent
sort de ma poche maintenant.
Ça se complique et je perdure
et ce n’est plus mon aventure. »
Dehors il fait si beau si clair
que le soleil n’en a pas l’air.
Ni beau ni clair il est fenêtre
où une fée peut apparaître
et du bout de sa bouche en fleur
changer l’amour en vrai bonheur.
Cette putain en est la preuve.
Payer n’est pas faire peau neuve.
Verju le sait depuis toujours :
« C’est le hasard qui fait l’amour.
Il le fait dehors comme bête
et comme enfant rien ne l’arrête.
Montons là-haut si je descends.
Remonte avec moi si tu sens
que le trottoir propriétaire
ne fera plus vraiment l’affaire.
Faut-il pourtant passer la nuit
avec les causes de l’ennui
et les effets de mon angoisse.
Je ne suis pas fait pour la poisse !
La ligne droite est le chemin.
Creuser ce que j’ai sous la main.
On verra bien ce dont le rêve
est capable avant que j’en crève ! »
D’un drame pop voici le cœur.
On en a vu tous les acteurs.
La trame étend ses fils pérennes.
On observe des phénomènes
à la lumière de ces mots
et l’idée vaut ce qu’elle vaut,
mettant en jeu plus d’impatience
que n’en veut notre connaissance
des relations de la fiction
avec les nœuds de la passion.
Ainsi souvent la vie se joue,
comme la douleur sur la roue,
sachant que l’homme est dans le dé
et que dans le fond du cornet,
plus facétieux que pile ou face
et dans de terribles angoisses,
il change sans savoir pourquoi
le cours de la rivière en soi.
Mais une fois que le théâtre
soulève son rideau folâtre,
tout est déjà dit clairement
et dans son triste logement
le poète ment à ses muses,
qu’il s’en suicide ou qu’il s’amuse,
et le chant poursuit les raisons
de forcer les combinaisons,
de parfaire le mieux possible
dans la farce et dans le terrible.
Pourquoi laisser Verju reclus
dans la nuit où il ne peut plus
ne pas se voir tel qu’il ressemble
à l’ascendance qui s’assemble
dans un mur ou dans un miroir,
plans excessifs de l’étouffoir,
dans les yeux d’une tourterelle
dont même la faute est vénielle,
et à la fin dans cet anus,
ombilic nu des habitus,
qui saigne et merde comme morte
dans les rituels qui l’emportent.
Les objets reflètent toujours
les aspects sombres de l’amour.
Organisés comme sorites,
et non point comme de beaux mythes,
vient le moment où le premier
est conséquence du dernier.
La vie n’est pas dans l’existence
mais ailleurs dans cette présence
qui vient de loin pour ajouter
à ce qui ne peut augmenter.
L’esprit de Verju sans maîtresse
ne connaît pas d’autres ivresses
et dans cette nuit qui l’étreint,
ce noir qui lui brise les reins
et cette blancheur qui le fouette,
Verju a des airs de Tourette,
rat d’égout dans les escaliers
d’une maison où tapiner
est la moindre des politesses.
« Monsieur le rat vient pour les fesses.
Le fouet non plus n’est pas gratuit.
Vous pensez avec ou sans lui,
mais sans lui c’est aussi sans traces.
C’est par ici que ça se passe.
C’est jeune et ça sent le pipi.
On en voudrait toutes les nuits,
on en trouve chez la voisine,
je vous l’accorde sans saisine,
mais voyez-vous si l’excrément
qui sort par ici vertement
se lave à l’eau sans savonnette,
par contre le sang que vous faites
couler de l’anus par-devant
nécessite un médicament
dont le prix est une gageure,
monsieur le rat, je vous le jure,
jamais je ne mens au client
qui vient passer un bon moment
parce que les moments sont rares
quand le temps est un accessoire. »
Mais Verju n’entre pas dedans
cet aimable établissement.
Il allait en ouvrir la porte,
bousculant la noire cohorte
des amateurs de plaisirs vrais,
quand soudain il est arrêté
par l’apparition très soudaine
de Vatan qui fait de la peine
à une utile femme en noir
dont il veut prendre le pouvoir.
Ce menteur né pour les affaires,
qui de ses mains ne sait rien faire,
possède il est vrai le métier,
cette fausse veuve le sait.
Il n’y a pas de vraie tromperie
dans ce monde de la série.
Verju plie un de ses genoux,
car l’autre même s’il est mou
ne connaît pas les joies sommaires
de l’exercice de l’équerre.
Il s’assoit presque sur le gras
de son mollet gros comme un bras
et guette avec grande impatience
en comptant avoir de la chance.
Dans sa poche il y a un couteau,
dont il se sert au bonneteau.
Quand il joue il tente sa chance.
Gare à celui qui mal y pense.
Il n’est pas venu pour gagner.
Jouer c’est jouer pour jouer.
Il ne sait pas ce qu’il recherche.
C’est le destin qui tend sa perche.
La veuve pose un pied prudent
sur le seuil que le fier Vatan
a balayé de son écharpe.
« Ma mie savez-vous que la carpe
est un bien précieux au Japon
où elle a l’écaille façon
petits coups de pinceaux habiles.
A croire que c’est plus facile
quand on a le regard bridé
par deux mille ans d’antiquité. »
La belle venue pour en rire
ne se prive pas de le dire
et d’un saut la voilà dedans
exhibant le blanc de ses dents
pour vérifier si sa morsure
n’a rien perdu de sa mesure.
« Je suis venue pour la douleur,
celle qu’on inflige à mes sœurs
quand le cœur n’est plus à l’ouvrage
et qu’il faut bien que l’on partage
mais sans cracher au bassinet.
De faire bien j’ai le secret
surtout si le mal est une œuvre.
Venez me voir à la manœuvre
de la surface et du dedans.
Pour les appareils j’ai mes dents
et la croissance de mes griffes.
Peu importe comme on s’attife.
Je travaille nue si l’on veut
et si l’on ne veut pas c’est mieux.
Voyons avant que tu médises
la marque de la marchandise. »
Et Vatan d’un saut l’affranchit,
tirant par les cheveux le prix
de son inspiration contraire
aux principes du ministère.
Isabelle a poussé un cri,
mais elle ne fait pas un pli,
Vatan la tient pour proie facile.
« Pour ça tu peux être tranquille !
Elle a le sang couleur de l’eau.
Je te ferai goûter sa peau
dans la fraîcheur de ses fontaines.
Approche, donne-toi la peine
d’apprécier les innovations
qu’elle découvre à la passion. »
Et la veuve noire est cliente
à peine touchée l’apparente
facilité de séduction.
« Montons et sans hâte passons
à de plus sérieuses méthodes.
Les façons dont je m’accommode
ne souffrent pas l’observation.
— Mais que dis-tu, douce Marion ?
Avec quelle rime tu jongles ?
Ai-je payé rubis sur l’ongle ?
N’avons-nous pas bien convenu
que je verrai tout et tout nu ?
N’ai-je point payé par avance
ce que ton art de la dépense,
bien connu des amateurs d’art
qui subissent ton bon vouloir,
a promis à mon expertise ?
— En ai-je entendu des bêtises,
chaque fois que l’homme s’est pris
les pieds dans son propre tapis !
Quand je parle c’est pour moi seule,
mais si tu viens, c’est pour ta gueule !
— Obscure Marion tu fais peur !
Mais tu sais tout de mon bonheur.
Celui qui te suit sans entraves
est aussi aveugle qu’esclave.
— N’oublie pas que l’enfant est roi
au pays des meilleurs émois.
Celle-ci a des avantages
qu’elle a reçus en héritage.
Cela se lit dans ses beaux yeux.
Comme regard il n’y a pas mieux
pour inspirer mieux que fringale
à qui attend avec la dalle
pour seule promesse de dieu.
Si ce n’est pas pour rendre heureux
qu’il nous fait toutes ces histoires,
prenons le temps d’une avaloire.
A trois dont la première est don
on est bien sûr d’avoir raison ! »
Sur ce elle pousse Isabelle
et insulte la ribambelle
des curieux qui n’ont pas le fric
pour se payer mieux que le chic.
Vatan pousse un cri de victoire
pour amuser son auditoire,
mais ce qu’il atteint c’est le cœur
de Verju qui sous les gouailleurs
ronge son frein comme monture
qui ne croit plus à l’aventure.
Autant tout à l’heure il tapait
son vieux cul sur le parapet
en se tenant les côtelettes,
autant à cette heure il regrette
de n’être pas un assassin.
« Le trottoir est dur aux catins,
et pas qu’à cause des poussières,
mais que dire du prolétaire
qui croyait prendre le plaisir
avec la nuit qui fait bleuir
même les ciels les moins à même
de rasséréner le morphème.
La moindre chose en plaisir pur
c’est de se prendre pour un dur.
Ah ! J’en ai gros sur la patate.
J’en ai le cerveau qui me gratte.
Ça me démange où je n’ai rien.
Je lutte avec des acariens
qui n’ont jamais eu d’existence
que dans notre fosse d’aisance.
Je ne tue pas ce que je hais.
C’est un tort, ce n’est pas bien fait.
Pour vivre il faut qu’on assassine
les héros de nos héroïnes.
Mais j’ai tort aussi du côté
de ce que j’aime sans compter.
Ou bien je compte trop les heures
et pas assez l’or de mon beurre.
Mon Isabelle est mon malheur.
Mon malheur est un cavaleur.
Et je cavale et je m’échine
sur des chemins semés d’épines.
Mais cavaler sans le cheval
ça sert à rien et ça fait mal. »
Pensant cela il se faufile
entre les jambes qui s’enfilent
devant la porte du bordel.
Le monde devient irréel
chaque fois qu’il s’y abandonne.
« Mais pourtant, voilà, ça fonctionne,
ces fictions à dormir debout.
Je suis là et je serai tout,
ou je ne suis pas une histoire,
minus habens de la mâchoire.
Ah ! Si pourtant j’avais le choix !
Je sais bien que sans une croix
l’enfant n’est pas celui du père.
Le bienfait revient à la mère.
Quel est le sens de la douleur
entre les cuisses de ma sœur ?
N’ai-je vécu dans la souffrance
que pour en prendre connaissance ?
Vos catéchismes me font chier.
Donne un enfant à mes essais !
Celui que portera ta fille
ne sera pas de la famille.
Ce que tu joues n’est pas perdu
mais pour gagner, c’est bien foutu.
L’existence est une poubelle,
ou la chemise d’Isabelle.
Que la nuit tombe sur mes yeux
et qu’on ne parle plus de dieu ! »
Disant cela il monte encore,
se fait gronder par la pécore
qui lui réclame quatre sous
pour se poser sur ses genoux
et lui chatouiller l’entrejambe.
« Ici tu balaies ou tu flambes.
Pour le balai j’ai de bons poils
et pour le feu, si ça fait mal,
j’ai un secret qu’il faut pas dire
sinon Lulu peut déconstruire
et alors on ne comprend plus
pour quel motif on est venu.
Je t’indique le truc qui masse.
Pour rien du tout ça a la classe
de ce qui vaut cher à l’encan.
Ah ! Maman tu m’en diras tant !
Qui c’est ce mec qui pue la merde
et qui au tric trac veut rien perdre ?
Arrêtez-le ! Il faut payer !
Ah ! Papa quel foutu métier
que tu m’as conseillé de faire
pour améliorer tes affaires ! »
Oyant la verte exclamation
qui dénonce la progression
de Verju dans le haut des marches,
Lulu sans soigner la démarche,
ce qu’elle sait faire en tout temps
mais elle est dans l’étonnement,
sort furax de son officine
et sans souci de médecine
à appliquer en cas de mort,
ou de malchance avant les torts,
causée dans une ambiance telle
qu’on la dirait professionnelle,
jette dans l’air un cendrier
qui fait deux fois le tour entier
de cet empirique bastringue
qui plus d’un a rendu très dingue,
avant de venir s’appliquer
avec le temps d’un horloger
sur le crâne fort mal en plumes
de Verju qui plus ne s’assume.
Il redescend la patte en l’air,
revoit celle qui a du flair,
à son soutien fait des manières,
tant et si bien qu’il est derrière,
gueule un bon coup pour dire non,
« Tu sens vraiment toujours pas bon
et comme j’ai l’esprit très large
en présence des meilleurs barjes,
tiens prends ce marron sans odeur
et sans critique de trop meurs ! »
Deux cendriers en une passe,
c’est correct pour perdre la face.
Et il la perd en se plaignant,
preuve qu’il est toujours vivant,
et que si ça n’est pas trop grave,
vu que le mec à des airs caves,
il rentrera chez lui sur pied
avec ou sans canne au soulier.
« Ah ! Salopard, j’en ai vu d’autres !
gueule la Lulu qui se vautre
dans les odeurs du cafardeux
qui veut parler de vie à deux
alors que c’est chez le notaire
qu’on s’est juré de tout bien taire
à propos des anciens rapports
et des fruits qui ont fait du tort,
ou ont failli en faire dire
pour le meilleur et pour le pire.
Je ne veux plus te voir ici
si c’est pour donner du souci
à mes vieux jours de maquerelle.
On a convenu qu’Isabelle,
et c’est écrit avec du noir
sur le blanc que je te fais voir,
méritait mieux que le scandale
et tes produits de trou de balle.
Ou tu la reconnais en bien
et je t’en donne les moyens,
ou tu te tais et tu supportes
mais sans jamais passer la porte.
Et pour les gens on se tient coi,
pas besoin de dire pourquoi
ni même d’inventer des ruses.
Pour le cendrier tu m’excuses,
mais j’étais en train de fumer
et à mal je n’ai pas pensé. »
Pendant ce temps dans la chambrette,
Vatan se déguise en soubrette,
avec un joli tablier
bordé de dentelle en papier,
ayant soin de nouer derrière
le ruban noir que la guerrière
enfonce dans l’anus en fleur
d’un doigt qui connaît le bonheur
du battement hémorroïde
et de la pulsation des fluides.
Elle est nue de la tête aux seins,
portant l’épée du spadassin
et la lorgnette du pilote.
On ne voit rien de sa culotte,
et comme elle a chié dedans
elle mord le nez de Vatan :
« Monsieur, vous ne serez point homme.
Fille serez ou du tout comme.
Pour la faute de trou pallier
on se servira du fessier.
Ce sera notre fantaisie
et je vous priverai de vie,
foi de guerrière par le sang
que je tiens de mes ascendants,
chaque fois que vous ferez celle
qui ne sait rien des jouvencelles.
Celle-ci connaît la chanson
mais je n’aime pas ses façons
de sourire en me voyant belle
comme un preneur de citadelles.
Pour la punir de son aplomb
par la poitrine commençons ! »
Et touchant le sein d’Isabelle,
elle mord le téton rebelle
et fait couler un sang mêlé
à la salive qu’elle y met
en prononçant une prière
qui sort tout droit de son derrière.
Isabelle retient son cri.
Elle est payée pour ça aussi.
« Si je suis fille et si tu m’aimes
comme au combat on se blasphème,
propose Vatan que le sang
soumet à un plaisir croissant,
fais-la pisser dans ton urine
et forces-y ma sainte pine.
Si pour un soir je suis le dieu
et si dieu est un dieu joyeux,
mélange-toi à cette artiste
dont je suis le dur essayiste.
Frottez vos vains lithopédions
l’un contre l’autre à l’unisson !
— Ce n’est point là désir de fille !
Ton escargot dans sa coquille
doit demeurer droit et muet !
Sinon nous serons deux bouchers
pour te fourrer dans le derrière
le pénis qui te sert de frère.
Et toi pucelle des cercueils
si je te vois lui dorer l’œil
je te le crève à la lorgnette
et je te jure, mignonnette,
que tu ne verras plus ton con
avec ses vers de mirliton
dinguer comme un oiseau en cage
pendant que monsieur de passage
renifle ton slip en suspens
sur la corde à linge du temps. »
C’est ici que le bon Virgile,
qui n’a pas que le pied agile,
nota qu’en matière d’amour
on fait mieux que les troubadours,
du moins quand le bordel enseigne
que pour aimer il faut qu’on saigne.
« Ainsi, lui dit le magistrat,
tu étais quand ça arriva
là sur le bord d’une fenêtre
à reluquer ce que des êtres
conçus dans l’immoralité
pratiquaient dans l’obscurité
propice à ce que la justice
interdit à nos orifices.
Si tu veux vivre encore un peu,
et même autant que tu le veux,
tu dois me dire sans salades,
dans une prose plutôt froide,
ce que tu as vu de tes yeux
et entendu d’industrieux
si tant est que le prix des femmes
vaut ce qu’on en dit dans la flamme
et ce qu’on ne sait plus pourtant
quand s’est éteint le ver luisant. »
Ainsi parla sur son pupitre
ce juge sans faire le pitre
car bon français sans une croix
au tribunal ne se conçoit.
Virgile examina la chose
en spécialiste de la cause
et demanda à réfléchir
non sans donner à son soupir
le distinguo qui met en fuite
les preuves de la réussite.
De l’expérience il en avait
mais sans tout donner à rêver.
Aussi recula-t-il sa chaise
pour tenter de se mettre à l’aise
comme il l’était avant les faits.
Depuis qu’on l’avait arrêté
et traité comme on fait aux choses
qui n’ont du sens que si on cause,
il était devenu prudent,
montrant l’ivoire de ses dents
si le moment était propice
aux ustensiles du supplice.
Rire un bon coup quand ça va mal
ne nuit en rien au principal.
Mais le magistrat n’avait cure
de ce que l’impétrant endure
avant de se rendre innocent
en toute logique ou en sang
selon les hasards du tragique
et les prévisions du comique.
« Si vous êtes un bon Français,
ce qui reste encore à prouver,
vous me direz tout sans mesure,
n’oubliant rien de l’aventure,
pas le plus petit ornement,
car je suis juge seulement
et non point un homme de science.
Comprenez-vous la différence ? »
Et Virgile plia son cou
pour signifier qu’il savait tout
et que par conséquent justice
trouvait en lui le bon complice.
« Ainsi soit-il, dit le prévôt.
On sait bien que tout ça ne vaut
que comme endroit des hypothèses,
l’envers de toute bonne thèse
étant comptable de nos droits.
Toute main comporte cinq doigts.
Je dis cela sans laisser place
aux avis de la populace
qui met la rime au bout du vers.
On se demande à quoi ça sert
de faire de la poésie
un exemple de fantaisie
alors que tant d’attendus sont
mieux appropriés en leçons
à donner à la république
qui est la religion laïque
de tous les hommes de bon sens.
Mais ne gâchons pas le suspens
et commençons par le finale
qui est la chose la plus sale
qui peut arriver à Machin
aujourd’hui et même demain,
tant la mort donnée sans nature
est l’expérience la moins sûre.
Nous constatons d’après l’état
que ledit Verju n’est plus là.
Sans corps il n’est guère possible
d’affirmer ah ! Que c’est terrible !
qu’il est ailleurs dans le soupçon
ou bien de quelque autre façon.
Ne soyons pas chiens à deux faces
et donnons à pile sa place.
Verju était, dit le témoin,
encore en vie de bon matin.
Je vous explique ma méthode :
en droit criminel l’épisode
est l’unité qui reconstruit
comme l’arbre porte des fruits.
Mais ce n’est pas à un poète,
témoin avant que je m’y mette,
que j’apprendrai l’art de rimer
dans l’ordre conforme des faits.
Sachant que le cadavre existe
et que nous sommes sur la piste,
nous avons la curiosité,
c’est la moindre des qualités,
d’en savoir plus sur la personne,
je le dis comme on le raisonne,
que nous avons saisie au vol,
reconnaissons que c’est du bol,
d’un vasistas en perspective,
malgré l’heure disons tardive
ouvert et sans aucun rideau,
offrant, c’est bon pour le tableau,
tous les éléments de ce drame,
les messieurs ainsi que les dames
sans oublier certains objets
utiles quand on veut garder
à la cérémonie son style
et au sexe ses ustensiles.
Virgile ou qui que vous soyez,
(je ne dis rien pour étayer
l’hypothèse selon laquelle
ce nom cache une curatelle)
ai-je bien levé le rideau
sur le théâtre d’un Godot
tombé à pic comme Byzance
pour mettre fin aux apparences ? »
Virgile approuvait du hochet
mais pour l’instant restait muet.
Le juge offrit des cigarettes
que ses doigts fins dans la cassette
avaient trouvées pas par hasard.
Virgile en prit une pour l’art.
Le juge craqua l’allumette.
On se regarda les mirettes.
On attendit encore un peu.
Le fond de l’air était fumeux.
Enfin Virgile ouvrit la bouche,
ne cachant plus qu’il était louche
en regardant yeux dans les yeux,
ce que le juge trouva mieux
que ces regards en demi-teinte
qui ne valent pas qu’on s’éreinte
à démontrer qu’on n’a pas tort
alors qu’on l’a et dans l’effort.
Virgile n’étant plus risible,
et même plus compréhensible,
(des fois quand on est fatigué
on est plus clair qu’on l’a été)
le juge recula son siège
pour ne pas se prendre à son piège,
ce qui arrive quelquefois,
tous les magistrats savent ça.
« Maintenant qu’on s’est, faut le dire,
rassuré l’un sur l’autre et pire,
dit Virgile en écrasant le
mégot noir comme scrofuleux,
je me sens comme un jour de sacre,
pas roi mais dans le simulacre,
si vous voyez ce que je dis
et sinon moi je dis tant pis.
— Ah ! Là, Virgile, je m’insurge !
Le temps est pressé quand ça urge.
On avait dit pas compliqué,
des mots en dur avec étais
pour que tout le monde comprenne.
Sinon ah ! Ce n’est la peine
de se crever le bourrichon
à préparer une instruction
qui posera à l’hermétique
alors qu’on est en république.
Témoigner n’est pas abuser
du bon vouloir des mecs usés
par la lenteur des procédures
qui finissent dans les ordures
de l’humanité et consort.
S’il est vrai qu’on a toujours tort
d’en savoir plus que la moyenne.
Pour avoir raison et sans peine
il faut se placer au niveau,
regrettons-le, du populo.
Revoyez le vocabulaire
sans oublier que la grammaire
a aussi son rôle à jouer
dans le facile et l’à-peu-près.
Prenez plutôt un bon cigare.
Je n’ai pas assez crié gare.
Tirez un bon coup là-dessus
et reprenons dès le début. »
Virgile savait d’expérience
qu’avec les mecs de cette engeance
il vaut mieux regarder dessous
avant de leur donner des sous,
voire tout autre sémantisme
sans signature dans les « ismes ».
Comme le juge avait sorti
le prépuce de son kiki
entre les boutons de braguette,
il en conclut que pour les « ettes »
il paierait la même chanson
avec ou sans bonnes façons.
Quand on est pauvre on n’est pas riche.
Un pois chiche c’est un pois chiche.
Le magistrat branlait du chef
sans se douter que ses reliefs
se voyaient dans le patrimoine
où le tabac de La Havane
un peu sec à ses doigts experts
prenait le frais comme en enfer.
L’image est peut-être un peu forte,
mais il est bon qu’elle ressorte.
Pour ce qui est du paradis,
inaccessible sans radis,
surtout de loin et sans lunettes,
chaussé pas cher dans la tripette,
Virgile y avait fait long feu
et même sans avoir vu dieu.
« Par où il faut que je commence ?
demanda-t-il avant semence.
— Au début elle était à poil,
avec un casque colonial
pas sur la tête mais en face.
Que voulez-vous que ça me fasse
moi dont le père était au pieu
quand soudain l’empire a pris feu !
dit le juge en allant plus vite.
Dépêchez-vous, la France est cuite !
Et quand on n’a pas eu d’enfant
on se sent pressé en allant
où d’autres n’iront jamais puisqu’
on voit bien que grand est le risque ! »
Le moment était bien choisi.
La porte sentait le moisi.
« Si ça se fait, pensa Virgile,
c’est un placard pour les utiles.
Or comme je ne sers à rien
à tous les coups c’est le moyen
d’aggraver mon cas déjà sale.
Mais qui n’a pas le choix détale ! »
Dans les moments de désespoir
il faut se montrer débrouillard.
D’un bond il saute sur la porte,
pas s’élançant, non, mais en sorte
que son épaule sous le choc
ne souffre pas comme le coq
qui pour les besoins d’une rime
avait avoué tous les crimes
qu’un autre juge avec la main
avait convoqués au turbin.
« Je n’ai jamais fait le contraire
de ce que l’homme sait se faire ! »
pensa Virgile en traversant
le contreplaqué pourrissant.
« Tu peux crier, fou onaniste,
pour le plaisir unijambiste
ou pour mes guibolles de bois,
je ne saurais jamais pourquoi ! »
Dehors le soleil astronaute
fait des reflets sur les menottes.
Et voilà Virgile dehors,
pas libre mais fier de l’effort.
Il va si vite dans la rue
que même l’appel des morues
ne parvient pas à ses tympans
qu’il a sans crasse en ce moment.
Comme il file vers l’aventure
sans compagnie et sans biture,
et que le juge est interdit
(pas vraiment mais c’est ce qu’on dit)
les doigts refermant la braguette
(geste ordinaire après la fête)
laissons-le courir tout son saoul,
la tête en feu, jambes au cou,
laissons-le porter la nouvelle
à nos lointaines citadelles
et revenons à nos moutons,
sur les faits patents insistons
car il y a peut-être mort d’homme.
« Je ne comprends pas votre idiome, »
dit le juge au greffier venu
pour signifier par le menu
qu’il a la braguette entachée
comme une clause mal léchée.
« C’est ce voyou qui a craché
sur mon habit pour me tâcher.
Il n’ira pas loin ce poète
car nous avons toutes les bêtes
dans notre camp depuis toujours.
La délation c’est de l’amour
pour la patrie et la justice.
La poésie comme jocrisse
préfère toujours le foyer
et le poète est mal payé
s’il chante hors de la demeure
où sa langue à battre le beurre
est condamnée sans rémission
à de ménagères missions.
Veuillez frotter cette surface,
afin d’éliminer les traces
et retourner à vos travaux
qui valent bien ce que je vaux. »
Ici l’amateur de poèmes
mesure à quel point le problème
a consisté à éviter
un récit pour le moins salé
qui eût, pourquoi ne pas le dire,
changé la nature en empire.
Aussi par le moyen osé
d’une évasion style ciné
on a évité les séquences
d’une intrigue sans conséquence.
N’exagérons pas toutefois
la sublimité des poussahs
qui font le succès des cinoches.
Pour le juge c’est dans la poche.
L’instruction va suivre son cours.
On trouvera bien au détour
et même avec un peu d’astuce,
un autre poète qui suce
comme d’autres écrivent mal.
Le juge aime écouter l’anal
sans le pratiquer sur les femmes.
Ce qui ravit surtout son âme,
c’est le récit sans la photo.
Il est transporté par les mots
qui traduisent bien les pratiques
sans en changer l’herméneutique.
Il en a tellement soupé
des petits morts, des coups loupés,
du sang piétiné des parterres,
des gendarmes qui font la paire,
du témoin qui a retrouvé
sa langue dans un escalier,
du revenant qui fait l’affaire,
et du voisin qui sait se taire,
de tous ces personnages creux,
de ces notables soupçonneux
qu’on vide parce qu’ils sont vides
et que le rien c’est du solide.
Alors mesdames et messieurs,
pour une fois qu’un homme heureux,
heureux en justice et en sexe,
redonne du sens aux annexes
de la morale et du bon goût,
jouissons avec lui un bon coup.
Rien n’est court comme l’existence
et rien n’est moins sûr que la chance.
Selon notre maître Chrétien
le protagoniste peut bien
se passer de son patronyme
si coucher dehors ne l’anime
au point de prendre le dessus
comme en sa charrette on l’a vu.
Aussi qu’on juge ou se déjuge,
l’affaire en sac fit un grabuge
dans les médias et au bistrot,
et même à la pêche au gogo,
car un flic faisait la vedette,
avec un nom gros comme on pète.
Et pourtant ce n’était pas lui
qui en savait trop, c’était lui,
ce petit magistrat en forme
de mandarin qui se déforme
dans la mode qui fait le vent.
On le prend derrière et devant
et la photo sort en première
avec un très beau commentaire
qui vante un passé en béton
et un présent bien dans le ton.
Je suis fier d’être journaliste
et j’aime les protagonistes.
« Monsieur le juge on veut savoir,
si jamais c’est qu’on veut vous voir,
et vous savez que dans la presse
on a un penchant pour la fesse,
à quelle enseigne il faut frapper
sans trop risquer de se tromper,
car selon ce qu’on sait de source
sûre et vérifiée deux fois l’ourse
qui crèche la porte à côté
de celle où vous la poursuivez
de vos intentions cutanées
n’est pas faite pour être aimée.
Son patronyme peut rester
un insoupçonnable décret.
Le vôtre serait bien utile
surtout depuis que le Virgile,
par la magie du franc-parler,
à votre sort s’est associé.
Allez hop ! On fait bonne mine
et sans rougir on le décline.
— Je dois dire sans intention,
dit le juge pour l’émission,
qu’on n’est pas trop de trois en somme
pour mettre à genou le bonhomme.
Au nom de Roussot le flicard
et de Mulat chef du placard,
vous pouvez ajouter Bébère,
car c’est le nom de mon grand-père.
— Juge Bébère, on l’applaudit
bien fort ! Ce qui est dit est dit ! »
Et voilà comme on dénature
l’épopée de nos créatures.
On allait dans le sens du vrai
et dans le faux on est sevré.
Laissez entrer pisse-copies
dans l’âme de la poésie,
le verbe bas sur les écrans,
trousse-élections, gratte-pan-pans,
et on est plein qu’on se tripote
la patte en l’air et bien manchote.
Il va finir par nous manquer
de la scansion la belle clé
et dans le journal numérique
se la faire mettre et bernique !
Pourtant on avait prévenu :
les ronds-de-cuir c’est des vendus.
Servir l’État et notre terre,
c’est du barbouze au forfaitaire.
S’il faut choisir entre bordel,
histoire de monter au ciel
et alcazar de la justice
où le poème est un supplice,
amis le choix est vite fait :
on suit Virgile pour l’effet
à produire sur la jeunesse
et Bébère on lui met aux fesses
les clous de la planche à presser.
Mais à l’époque du PC,
chacun est libre de sa chance.
L’aléatoire et la séquence
sont au service du patient.
Virgile ou Bébère à l’encan !
Voir le menu qui se déroule
comme un tapis fait pour la foule,
avec de la simplicité
et surtout rien à calculer.
Le désir est philosophie.
Ça fait mal à la poésie,
et pour finir ça rend amer,
tellement qu’on veut voir la mer
des fois qu’après un beau voyage,
le monde ait changé de visage
et que pour rien on ait beaucoup,
ce qu’on mérite et même tout.
C’est l’armada des fonctionnaires
qui fait passer tous les clystères
et pas question de dire non
alors que selon l’élection
on a dit oui dans un ensemble
qui fait que tous on se ressemble.
Ami lecteur, voici venu
le moment crucial du menu :
Virgile a franchi la limite.
Bébère caresse sa bite.
Depuis Chrétien pas de roman
sans antagonisme navrant.
Mais avec un pc à l’œuvre
on est fin prêt pour la manœuvre !
Alors qui choisit, toi ou moi ?
Je sais que le client est roi
mais s’il est souverain qui suis-je ?
Finissons avant que je pige
les corollaires du discours.
On ne voit pas ça tous les jours,
sur la scène la parabase
et sur la chaise un bout de phrase
qui veut tout dire avec un mot.
Les temps changent mais pas en beau,
en bien dirait le moraliste.
C’est le copain du vers-libriste.
Le rapsode l’a dans le dos
et pour le théâtre rideau !
Ça fait des chansons à la mode
qu’avec du fil on raccommode
pour que ça ait l’air d’un tricot
fait à la main avec des os.
Mais si tu vas au cimetière,
le dimanche après la galère,
il faut la coller au plus près
sur les ex-voto des crevés
ton irascible portugaise
pour ne pas ouïr leurs foutaises
et la gamme qui va avec.
Heureusement on a bon bec
et pour Paris on assassine
à la fourchette qui bouquine
des choses rimées dans le sud.
Pour les dents on a le scorbut.
Alors on ménage sa langue,
des fois c’est mou, des fois exsangue,
ça dépend comme on est levé.
Ah ! Mais vous avez deviné !
Celui qui parle, c’est Virgile !
Un mec sympa mais pas tranquille
qui écrit dessus du papier
comme à l’école l’écolier.
C’est la loi du menu nature
qui construit la littérature :
vous avez cliqué Virgilio
à droite et en haut du folio
qui sert d’écran aux épisodes.
Résultat de cette méthode :
on s’est remis à voyager,
et dans le pasquin ouvrager.
On dit qu’il a cassé la porte
et qu’il est parti sans escorte.
Tout le monde peut se tromper,
mais cette fois c’est pour de vrai.
Il n’a pas attendu qu’on pèse
le pour qui n’est qu’une hypothèse
et le contre qui fait la loi.
Car aujourd’hui comme autrefois
le credo de la contredanse
peut toujours fausser la balance.
Pour le juge on ne sait jamais
s’il veut sentir bon ou mauvais.
Les processus de la carrière
sentent quelquefois le derrière,
même souvent si l’on en croit,
et mieux vaut croire qu’avoir foi,
celui que le nez de Virgile,
qui est son meilleur ustensile
en matière de jugement,
a senti reculer le temps
de mieux sauter dans l’arbitraire.
Quand le sujet est un derrière
et que le verbe est magistrat
la poésie et cetera
mieux vaut la porter en visière,
les yeux au ras en visionnaire,
(la poésie depuis Rimbaud
ne fait rien si ce n’est pas beau)
et ne pas lâcher la casquette.
Comme il l’a toujours sur la tête,
et qu’il a pris en marche un train,
on ne sait pas ce que demain
réserve au manuscrit en route.
Point de quartier ! En avant toute !
S’il y a un fou dans cette nef,
les lois de la SNCF
seront violées comme gamines
en âge de goûter la pine !
Le poète porte sur lui,
comme s’il cherche des ennuis,
alors qu’il erre sans viatique,
un caoutchouc très élastique
qui sent la lessive à maman
moins le mousseux épanchement.
« Ça fait longtemps que la romance
ne m’inspire là où je pense.
Dans les WC on est au mieux
quand il s’agit de faire un vœu.
Mais dans les endroits qu’on occupe
on n’est jamais seul pour la dupe.
Je vais plutôt me rincer l’œil
puisque je suis dans un fauteuil
et même près de la fenêtre.
La discrétion et le bien-être
font bon ménage quand on veut. »
Féal il avise sur ce
un bonnet qui coiffe une tête.
Sous le bonnet, fière et coquette,
elle fait pour tromper l’ennui
la même chose qu’il fait lui.
Tournant adroitement les pages,
elle est plongée dans un ouvrage.
Lui ne tourne pas très longtemps.
Il est vrai qu’il a l’air savant.
« Je n’ai jamais tué personne,
mais quand j’y pense je raisonne.
Ce n’est peut-être pas l’endroit
le mieux choisi pour faire ça.
Il faudrait que je m’imagine
que je parle à une voisine
de la pluie, même du beau temps.
On se connaît de très longtemps.
D’ailleurs vous lisez mes poèmes.
Je les écris à la troisième.
Mes héros sont mes héroïnes.
Je suis le moteur de l’usine
mais la poésie personnelle
n’affecte pas mes ritournelles.
De moi je ne parle jamais.
Sur l’inconscient je tire un trait.
Bien sûr les sentiments diffusent
tous les parfums dont je m’amuse.
S’il faut pleurer, je sais pleurer.
Mais pour l’aveu, je suis discret,
à moins que la sainte nitouche
qui me dit oui jamais n’y touche.
Je sais, tout ça, c’est compliqué.
C’est même trop soliloqué.
Mais qu’y puis-je si je vous aime ?
Après tout vous êtes la même,
ni plus ni moins, au détail près,
et vous êtes dans le secret. »
Coup de sifflet, voilà Virgile
qui ne se sent plus très tranquille
en entrant dans le noir tunnel
qui fait disparaître le ciel.
« En voilà de dures secondes.
Je n’ai pas l’humeur vagabonde.
Je n’entends même pas les doigts
frotter le dos de mon patois.
Moi quand dans le noir on me plonge
je m’accroche à ces vieux mensonges.
Je les fais miens en attendant
que le tunnel prenne le temps
d’épuiser la mélancolie,
source de toutes les folies,
et en folie je m’y connais,
on dit même que j’y suis né. »
Cette fois le regard oblique
du poète qui se complique
en puissance d’un assassin
trouve réponse à ses refrains.
La belle liseuse referme
le volume qu’elle tient ferme
et que ses doigts aux ongles durs
n’ont cessé par frottement sûr
de caresser dans quelle quête ?
« Ma belle adepte si vous êtes
aussi saignante que je crois,
il faut que je reste sans voix.
Ce n’est pas que je surestime
vos capacités de victime,
mais l’hétéronyme est mon nom.
Je signe dans la vocation.
En poésie il est d’usage
de remettre à plus tard l’ouvrage,
et ce qu’il suppose de vrai,
d’exigence et de probité,
quand l’occasion qui se présente
est aussi rare qu’elle enchante.
Vous voudrez bien mourir de mort
facile sans un mot d’accord.
Je viole mais dans la minute
qui suit le terme de la lutte.
Vous serez l’ange de la nuit
et je réveillerai l’ennui.
Pauvre de moi, pauvre Virgile,
ma fausse apparence virile
dans la complication des plis
s’est perdue dans l’inaccompli.
L’esclave chargé du prétexte
n’a rien compris à l’hypertexte.
Et l’adolescent que je fus
a donné cet homme confus,
pauvre métier, triste retraite,
mais l’existence est ainsi faite
qu’en cas de poème mort-né
on ne retrouve la clarté
que dans la scansion exemplaire.
Je sais, tout ça, ça reste à faire. »
Il y pensait quand sur le quai
elle est apparue en beauté,
distante comme un rêve étrange,
étrange car rien ne change.
Il la suivit, mais du regard,
regrettant que pour le rencart
il n’eût pas éprouvé sa science.
Coup de sifflet, quand on y pense
la poésie ça ne vaut rien.
S’il faut jouer à l’assassin,
le silence est la loi du genre.
Et voilà que parmi les gens,
ces gens qui ne servent à rien,
oiseux capital des scrutins,
celle qui eut de l’importance
perd les couleurs de sa présence.
Le train parfait ce beau tableau,
corrige le moindre défaut
des fuites de la perspective
et des frontières intuitives
en éloignant le meurtrier
des lieux où il a versifié.
« Si je ne suis pas le Virgile
de l’inconnue qui tombe pile,
qui suis-je quand je ne suis plus ? »
Mais à peine s’est-il complu
dans les limbes de sa réponse,
qu’une voix beaucoup moins absconse
exige un titre validé
qui porte le nom de billet,
chose à son cœur si peu fidèle
qu’il n’a pas songé aux séquelles,
vieux mot français qu’il a choisi,
tandis que de lui se saisit
un enragé de l’expertise,
pour sa valeur de mot-valise.
« Fuir, là-bas fuir, que me sert-il
d’avoir étudié le babil
que le rossignol me jalouse
si c’est pour finir la partouze
entre les bras d’un gros poulet
qui ne craint pas que le minet
d’un coup de griffe poétique
remette en question politique
et décret que la tradition
soutient à l’aide du piston
et de l’honneur des préférences ?
Tout ça était couru d’avance.
Fuir sur ses pieds ça rend feignant
et donc on devient imprudent.
Si j’avais écouté ma profe
je serais toujours philosophe,
armé jusqu’aux dents pour l’exploit
et en tous points conforme aux lois.
Au lieu de ça je me débine,
je fais l’impasse sur l’usine,
et en croyant aller là-bas
je me retrouve encore là
où mon papa coulait du bronze
pour donner à manger aux bonzes
qui jouent avec le capital
pendant qu’on essaie au plus mal
d’épargner trois sous en partage.
La poésie des héritages
n’a pas fini de nous donner
à penser qu’on l’a dans le nez. »
Virgile disait ça menottes
vissées au radiateur des chiottes
car il s’était laissé avoir
par la psychose des trous noirs.
La porte ouverte et sans musique,
il laissait faire la colique,
tortillant le rouleau sali
par d’autres amours qui ont fui
et qui sont revenus là même
où se soupçonner si on s’aime,
si on a retrouvé le la
perdu dans la paranoïa,
ou si on est comme les autres
pas faits pour se dorer l’apôtre.
La prophétie est un enfant
et la nation se voit dedans.
« Quand t’auras fini ta harangue,
dit le flic dans sa belle langue
qu’il tire sans de vrais efforts,
on pourra changer de décor
et passer aux choses sérieuses.
Ta merde n’est pas si précieuse
qu’on prenne le temps d’apprécier
ton art plus ou moins bien torché.
— Ah ! Maintenant on fait critique !
On sait tout même la musique !
Si j’avais su j’aurais perdu
mon temps avec des parvenus
qui pigent dans le fonctionnaire
pendant que d’autres font la guerre.
Pour diviser la société
collaborons dans la fierté.
On est conçu dans la médaille.
Papa voulait que je travaille
(lui qui crevait dans un fourneau
et pour pas cher vendait sa peau)
dans un bureau pas à l’usine,
à la surface de la mine
où le soleil est un loisir
et le football un vrai plaisir.
Mais je n’étais pas fait en plâtre.
J’avais du goût pour le théâtre
pas pour le moule entre les mains
des industriels du larbin.
Et je suis devenu poète.
C’est le destin quand on s’arrête
net à la croisée des chemins.
— Non mais qui c’est ce malandrin
qui ne sait pas qu’un fonctionnaire
a du talent quand il faut faire
aussi bien que dans les bouquins !
C’est bon pour le français moyen.
C’est donc conforme aux bons principes
de la société qui nous nippe
comme jamais on s’est fringué.
Si j’avais su j’aurais flingué
ta mère avant que tu paraisses.
Pauvre de moi si je m’abaisse,
mais quand je vois que les WC
par des fuyards sont occupés
alors qu’on a aussi ses rêves,
de la mesure dans la grève,
pour la science de l’intérêt
et pour les vacances l’été
des idées dedans la cervelle
et pas au cul des ritournelles,
alors je prends mon révolver,
je sors tout nu même en hiver
et en visant bien dans l’oreille
je dis merde au hasard merveille
et je reviens pour le café
ah ! Comme si de rien n’était !
La république est monarchiste.
On tuera les surréalistes.
Sors de ce trou où je t’y mets !
Fais gaffe je l’ai déjà fait ! »
Et Virgile sous la menace
d’un doigt qui musclé lui fait face
abandonne le torche-cul
où les mots étaient parvenus
à lui redonner du courage.
Ici on voit que l’avantage
de la poésie qui s’écrit
sans les ressources du crédit
que le gouvernement accorde
aux domestiques qui le bordent
avant que d’aller se coucher,
est une poésie à chier.
Il était sur le point d’en prendre
une sans pouvoir de la rendre
quand le juge Bébère entrant
lui fit d’emblée un compliment :
« Permettez que j’appelle frère
un si adorable derrière !
Gégène veuillez profiter
que le pantalon est baissé
pour appliquer vos électrodes
à ce songe-creux à la mode
depuis qu’en parlent les journaux.
On connaît le coup du stylo,
surtout dans la magistrature,
qui n’est pas une sinécure
quand le dialogue est mis à mal
par un événement total.
Il m’est arrivé dans l’histoire
qu’on se foute un peu de ma poire,
mais à ce point c’est un excès.
Revenons calmes sur les faits.
Le serein fait ployer les cannes
mieux que la froide tramontane.
Notre procédure interdit
la cruauté pas les lazzis.
Remontez-moi ce falzar crade
et mettez fin aux jérémiades
car le langage des procès
est sans douleur comme on le sait. »
Rassuré par cette préface
Virgile fait une grimace :
« Je n’ai fui que devant la peur
sans intention de batailleur.
Souvent quand je me casse en trombe
sur l’amour il faut que je tombe.
Mais cette fois je suis tombé
avant même de me casser.
La chance est un bien difficile
surtout quand on a nom Virgile.
Avouez monsieur qui jugez,
qui de l’indépendance avez,
que le hasard fait mal les choses
quand la poésie est en cause.
— Sans doute il faut croire au hasard,
répond le juge en cambrousard,
mais quand c’est l’homme qu’on recherche
la justice nous tend la perche.
On peut reprendre l’entretien
où on l’a laissé sans moyen.
Pour la facture elle est en route.
Ne comptez pas qu’on me déboute.
Le contribuable a bon dos
quand celui qui fait les cadeaux
fait aussi des vers pour la gloire.
Un bon juge connaît l’histoire.
Je ne vais pas chercher des poux
et mettre sens dessus dessous
votre tignasse qui s’embrouille.
Une cathode dans les couilles
et l’anode sur un téton,
il n’en faut pas plus à tonton
pour en savoir plus que madame.
Si je passe pour un infâme
ça restera entre nous deux.
La vérité fait des heureux
chaque fois que l’enfant en pleure.
Après l’heure ce n’est pas l’heure.
Cinquante volts alternatifs
ça se calcule et pas au pif ! »
Ayant apprécié le martyre
pour le meilleur et pour le pire,
Virgile aux muses renonça
et à la prose s’adonna.
Il en fit toute une tartine
un peu comme on se baratine
au paroxysme du baiser.
C’était de la vraie prose mais
il y manquait un peu d’angoisse,
car sans le secours du Parnasse
le poète ferme les yeux
et on fait de lui ce qu’on veut.
« Verju était vivant encore,
concluait-il dans l’inodore,
quand vous m’êtes tombés dessus.
— Ah ! On ne serait pas venu
si une de ces lourdes tuiles
n’avait fracassé de l’édile
le crâne en sortant du boxon.
Trouvez-vous que c’est des façons
pour un hacker de la métrique
de jouer le scoptophilique
à un âge où l’agent d’état
ne fait plus grève sur le tas ?
— Ah ! C’est la faute à pas de chance !
J’en veux à ma triste ascendance !
Il a fallu que cet élu
sorte au moment que j’ai perdu
à retrouver mon équilibre
à cause d’un court-jus au chibre !
Du coup je n’ai rien vu tout.
Comme témoin je vaux des clous.
— Mais je ne dis pas le contraire !
Des témoins qui me désespèrent
j’en ai connu et des meilleurs !
Et même beaucoup de voyeurs.
Finalement, mon bon Virgile,
pour la prose dédiée aux tuiles
vous ne valez pas un penny.
Ah ! Mais rien du tout ! Que nenni !
On va vous remettre en cabane,
avec un seau rempli d’avoine
et une corde au cou en cas.
Pour le plaisir on n’en a pas.
Si vous voulez de quoi écrire
vous vous adressez à mes sbires.
Selon comment ils sont lunés
ils vous font des faveurs sans nez
ou alors ils ont des excuses
parce que pour la science infuse
il faut chercher dans le privé.
Mais on est fier et bien payé.
Allez ouste ! Suivez gégène !
Débarrassez ! Quittez la scène !
Parler en vers ça sert à rien.
En justice on n’est pas devin.
La conviction est une aubaine.
Pourquoi se donner de la peine
si d’avance est fait le travail ?
Regardez-moi cet attirail !
C’est fait pour gagner pas pour perdre !
Et tant pis si c’est dans la merdre
qu’on met les marques du respect.
L’art est une question d’aspect.
Vite mon chapeau et ma toge !
La presse affûte mon éloge ! »
Et revoilà Virgile au trou.
De profil il a l’air d’un fou,
mais de face il est empirique.
Spécialiste de la métrique,
au fait du moindre avancement,
plagiaire le cas échéant,
il écrit sur du papier chiotte,
trempe le doigt dans la parlotte,
trace une rime et trouve l’air
qui contient prose comme vers.
Au bout d’une heure il se confesse,
il trahit même sa maîtresse.
Et relisant l’ode en entier,
strophe après strophe se fait chier,
redonne à la blanche cuvette
tout ce qu’on voudrait qu’il y mette.
« C’est pratique au fond les WC,
bien plus concrets que le PC.
Que ferait-on sans numérique,
mais sans la chasse d’eau publique ? »
se dit le juge en observant
ce que reproduit son écran.
Content il allume un cigare.
Content de quoi ? De la bagarre.
De quoi voulez-vous qu’il soit fier ?
Qui gagne un œuf jamais ne perd.
« La vérité c’est un coupable.
On la doit au contribuable.
La poésie n’a pas de prix.
Ça, tout le monde l’a compris.
Aussi en cas de voyeurisme
ce qui prime c’est le civisme.
Je raisonne en bon citoyen.
Pas de culot sans les moyens
d’une justice en bonne prose.
La prose est une bonne chose.
Je veux bien me laisser aller
de temps en temps à versifier,
mais rien ne se fait sans coupable
et sans nos bons contribuables.
De ce trio je suis le haut,
le sommet disent les fayots.
Il est vrai qu’en géométrie,
je n’ai pas vraiment du génie.
La figure qui tombe à pic
n’a pas pour moi cet air laïc
qui a valeur de république
où je suis né pour qu’on m’applique
en toute rigueur pas en vers.
Vive la prose sans revers !
Pas de fiasco dans la défaite.
On a du goût pour la retraite.
La fortune a de bons côtés
mais sans les côtés du carré. »
Content du discours il se lève,
il sent monter en lui la sève,
de lui on parle déjà bien
dans les journaux de ce matin.
Mais au fond le soleil se couche.
Il va dormir comme une souche
avec l’ami qui fait greffier
et qui ne s’est pas fait couper.
Mais comme il va par les ruelles
de cette rude citadelle,
l’envie lui prend de boire un coup
avec ceux qui n’ont pas le sou.
En descendant ses yeux se vissent,
rue du palais de la justice,
dans les niches de ces vieux murs
où crève à petit feu l’obscur
côté de l’humaine existence.
« Voyons si j’ai un peu de chance.
Les mecs taillés comme des durs
ne courent pas les rues, c’est sûr.
Mais si j’en crois mon expérience,
ce qu’il faut appeler la science
des choses conçues dans le vrai,
j’en connais un qui pour sevrer
les pires désirs de l’humaine
destinée et même la peine
qu’on se donne pour le plaisir,
possède l’homme sans l’aigrir
et lui laisse dans la mémoire
quelques détails dont je veux croire
qu’ils alimentent pour longtemps
ce qu’on peut espérer du vent.
Je le trouverai dans la niche
où il habite avec un riche
exemple de la pauvreté
qui fait la leçon aux gauchers.
Bonjour, monsieur, je cherche Antraxe,
car il faut que je me relaxe
avant de rentrer chez Gaston
qui m’attend pour d’autres raisons,
car je suis aussi la bourgeoise
et dans l’ego je me pavoise.
Votre chien n’a pas l’air content.
On dit qu’il aboie tout le temps.
Ah ! Ne dites pas le contraire !
Des plaintes j’en ai au parterre,
ah ! Mais des raisons d’avoir mal
et d’alimenter le pénal,
avec morsure et de quoi faire,
sans se fouler dans la matière,
un procès à vos conditions
d’existence et de relations.
Non, ce n’est pas une menace,
mais la mauvaise foi me lasse
et j’en perds la sérénité.
Ce butor veuillez écarter
afin que dans l’ombre je glisse
pour m’adonner à des délices
qui dans le domaine privé
par la loi sont autorisés.
— Dans ce cas monsieur l’arbitraire
je ne suis pas homme à en faire
des monticules et des tas.
Pour en reluquer c’est par là,
car si ma mémoire est en panne
pour les choses de la banane,
nonobstant je me souviens bien
d’avoir ablati ce pelvien
par un bien placé coup de pompe,
mais dites-moi si je me trompe,
qui en enleva l’intérêt
sans toutefois le supprimer
puisqu’à vos yeux l’art se regarde
pourvu qu’inflexible on le darde.
— Dédé ! Veux-tu lâcher le bout
de ce client et ton toutou
lui conseiller la muselière
avant de moi avoir affaire ! »
Celui qui ainsi présentait,
Antraxe on dit qu’il s’appelait.
Dédé fit un trou dans la patte
de Cristobal qui avait hâte
d’en finir avec ces laïus
et expliqua que mordicus
ce chien ne comprenait rien d’autre.
« Tais-toi ! Monsieur est un apôtre
du plaisir sans le génital.
De l’autre il nourrit son anal.
Et si jamais la voix lui manque
il a aussi un compte en banque.
Et d’abord c’est pas avec toi
que ces artisans font la loi.
Avec moi non plus mais je vote
même si c’est pour des gnognotes.
Je vote avec les ronds-de-cuir.
Ah ! Imagine le plaisir !
Les chiens ça mord pour pas grand-chose,
alors que nous on a des causes,
des traditions du bulletin,
de journalistiques potins,
des réseaux en fil électrique,
des relations atmosphériques.
Jamais dans le règne animal
on a vécu si bien, si mal !
Cristobal mon toutou d’Écosse,
avec tes poils tu te défausses.
Mais quand on joue il faut jouer
et pas se mettre à aboyer
parce qu’on est conçu pour faire
ce qu’on peut avec ses manières.
Monsieur le juge est un expert
de la chose jugée qui sert
les intérêts de l’âge adulte.
De la justice il a le culte
et des idées plein de bouquins
qui dans le fond vieillissent bien.
Les enfants sont des chiens de race.
On a beau faire il faut qu’on fasse.
La femme est faite pour baiser,
pour en souffrir et enfanter.
Mais il faudra m’expliquer comme
un chien qu’on met dessus un homme
peut participer au plaisir
sans dénaturer l’avenir !
A soumettre à mon avocate
avant qu’elle se carapate !
— Le problème avec le Dédé,
dit Antraxe qui veut bander
mais qui subit les influences
de ce discours sur l’existence,
c’est qu’en art il veut savoir tout
et qu’il est doué du bagout
et même de la rime chère
aux partisans du savoir-faire.
Le mieux est de quitter les lieux
et de s’aimer vraiment à deux.
Sinon la partie est remise
comme Aliocha avec la Lise.
Je connais l’endroit idéal.
Pour la discrétion c’est au poil.
Les voyeurs sont à la fenêtre.
C’est chouette pour se faire mettre
et stimulant pour l’enculeur
qui ne crache pas sur les mœurs
si c’est ce qu’il faut pour le faire.
En plus ça coûte une misère.
Pourquoi se priver d’un bon coup,
et laisser ce fou gâcher tout ?
— J’étais dur avant qu’on me coupe.
Il était rare que je loupe.
Je ne sais plus comment ça vient.
Je sais qu’il en faut les moyens.
Mais je n’aime pas la souffrance
des clébards qui se font violence
pour exister devant la loi.
Remettons à une autre fois. »
Là-dessus le juge Bébère,
qui de l’amour plus rien n’espère,
lâche l’oiseau qui reste mou
et se remet à pas de loup
sur le chemin de ses pénates.
« Pas moyen de mettre la patte
et la main d’un commun accord.
Ah ! J’en ai assez d’avoir tort
parce que j’ai perdu la trace.
Chaque fois que je suis en chasse
un chien rencontre un autre chien
et me fait perdre mon latin.
Je suis par malheur cénobite
et Gaston l’a toute petite.
Mais anachorète pourtant
je ne saurais être content.
Après tout pourquoi pas, en piste !
Je suis fin exhibitionniste.
Dans ma jeunesse j’ai donné
le spectacle de mon passé,
(si cette hyperbole est permise
au poète que je défrise)
à des garçons en pantalons
et des fillettes sans jupons
qui avaient à peu près mon âge
et des problèmes d’entourage.
De ce pas allons nous livrer
aux voyeurs qui te font bander
et qui comme moi en principe
sont majeurs pour le casse-pipes. »
Et voici notre magistrat
et Antraxe pressant le pas
en route pour de doux partages
en un lieu que notre village
n’a pas pris soin de baptiser
car les enfants pour écouter
ont des oreilles entraînées
aux secrets des contes de fées.
Au bordel Lulu valdinguait,
chantant la valse des billets.
La poésie, ô chères muses,
est une prose qui s’amuse.
Mais le roman, dit en passant,
se nourrit de ses accidents.
La bonne Lulu en chemise
comme toujours rafle la mise.
Elle accueille un hôte masqué,
sachant sans doute qui il est.
Et pour jaser elle en profite,
raille la loi contre le rite
du voile qui est interdit
dans les lieux où sans contredit
les gens vont en habits de ville
et en tout se tiennent tranquilles.
« Mais ici, mon cher commensal,
le loup moque le droit pénal.
On est chez nous entre acolytes.
La sainte table se délite.
On voit à travers les vitraux.
Que des amis, point de rivaux.
Voici le meilleur de nous-mêmes.
Prenez un doigt de ce doux chrême.
Pas de pénétration sans lui.
Le coup suivant n’est pas gratuit. »
Est-il bien sage de ces rites
donner la teneur et la suite ?
Est-il utile d’exercer
sur ces pratiques les effets
de notre impatiente musique ?
En plein excès de sa supplique
le juge Bébère empoigna
l’espagnolette qui grinça
et fit reculer les esthètes
qui sur la toiture un peu bêtes
en compagnie de chats errants
pensaient déjà au coup suivant.
Que seulement il soit utile
de regretter que le Virgile,
que nous avons laissé au trou
et qui pense en devenir fou,
ne soit pas là pour reconnaître
sur la fesse droite du maître,
détail qui amuse parfois
si l’on se trouve au bon endroit,
le stigmate de la famille
qui renaît de fil en aiguille
et souvent a servi de preuve
au paroxysme de l’épreuve.
Ce n’est pas là un accident
que poésie naïvement
jette dans le feu de l’oubli
d’où la mémoire rejaillit.
Ce n’est pas non plus l’occurrence
qui altère les circonstances
au point de rendre à l’opéra
le naturel que la prima
perd sans solution sous le masque
d’une conversation fantasque.
Ceci est une trahison.
Ni poésie, ni feuilleton.
Attendu extrait de la page
arrachée à l’aréopage.
Il faut en trouver la raison
à la fenêtre où des grisons
font le spectacle du spectacle,
ânonnant malgré les obstacles
de la tuile et des chiens-assis.
L’un a pour nom Coquepassy.
Ah ! On peut dire qu’il arrive
à point nommé et qu’il salive
plus que les autres sans mentir.
Il sait calculer le plaisir.
Chacun a répandu sa laite
sauf trois ou quatre qui halètent
et l’un d’eux est Coquepassy
qui veut remporter le pari.
Et c’est à qui, foi d’onaniste,
arrivera dernier en liste.
Coquepassy connaît des trucs,
de l’infaillible et pas caduc.
En plus il est le plus rapide.
Ça fait des ombres sur son bide.
Deux s’extasient pendant ce temps.
Il en reste un, mais il est blanc.
Coquepassy cache sa joie.
Il n’est pas chien, mais il aboie.
« Ça me montait depuis les pieds,
confesse-t-il à son curé
deux ou trois jours avant dimanche.
— D’ici la messe et vu le manche,
dit le curé dans le missel,
fais attention au carrousel.
Les petits chevaux ça galope.
Dans le cerveau ça fait des tropes.
Revient samedi en marchant
sur tes œufs et sans prendre élan !
— Promis ! Juré ! Je serai sage.
J’en prends à témoin le village.
Bébère m’a trop questionné
et depuis, disons-le, je sais.
Quand j’ai vu qu’il avait sur l’aile
le signe de ma curatelle,
chose que l’ayant droit au cul
pas pu ne pas voir de visu,
ah ! J’en ai perdu la rythmique !
Je me suis vu dans l’anthropique.
J’allais accuser ce coup tors
des maux qu’il causait à ses torts
quand ma houssine a fait des siennes.
Je me dis que c’est pas la mienne,
mais elle refroidit soudain
et qu’est-ce que j’ai dans la main ?
Bien sûr on rit dans l’entourage
et le gagnant me donne un gage :
« Puisque c’est ça un empereur
je veux qu’il joue comme ma sœur
et sans crier que je la viole. »
J’allais gagner quand ce mariole
m’a révélé sans doute aucun
qui il était si j’en suis un !
Et j’ai filé comme une Anglaise
avant que ce fraudeur me baise.
J’ai tout dit, monsieur le curé.
Veuillez en tout me pardonner
et surtout pardonner la farce
que je vais faire à cette garce
de juge dès demain matin.
— Ah ! Mais je ne pardonne rien !
répond le curé qui y pense.
L’affaire a bien trop d’importance !
Dieu veut bien absoudre les cons
mais il y met des conditions.
— Quand j’agis mal, je me confesse !
Ce que j’ai vu sur cette fesse
c’est signé et je sais de qui.
— Je sais de qui c’est moi aussi !
Je suis né un jour de tempête,
mais quand je fais parler la bête
je le fais seul et aux WC.
Ni vu ni connu, on le sait,
la vie privée est un mystère. »
Ayant prévu que la poussière
fait plus mal que la poudre aux yeux,
le curé ni une ni deux
renvoie son ouaille à domicile.
« Si tu parles je te refile,
sans mettre en péril mes loisirs
et même en y prenant plaisir,
une maladie sans la fille
avec des grosseurs plein les quilles. »
Et il se met à réfléchir :
« L’existence est un vrai loisir.
Quand on sait la moitié des choses,
l’autre moitié en est la cause.
Coquepassy connaît le sceau
qui orne le cul du prévôt.
Voilà une moitié facile.
Et l’autre moitié tombe pile.
Mais le tout n’est pas un roman.
Un juge pris la main dedans
le pot aux roses d’une passe
ne fera pas que le Parnasse
ni la Presse plus de deux jours
n’attirent grand monde alentour.
En art comme en philosophie,
c’est la loi même de la vie,
un tout n’est rien sans coup de pot.
Savoir c’est bien et même beau,
mais la morale et l’esthétique,
ça décore le dramatique
et quand le rideau est tombé
tout le monde va se coucher.
Je n’appelle pas ça théâtre.
Dans un combat il faut se battre.
Or entre les coups au plancher
et le moment de se coucher,
entre la première réplique
et la pénultième mimique,
la bataille n’a pas eu lieu.
Comme théorie on fait mieux.
Et justement cela arrive.
Pressons ! Il faut que je l’écrive
avant que tout nous soit permis !
Vite un clavier, un azerty,
l’inspiration a des limites
et on connaît trop bien la suite. »
Et notre curé d’expliquer
que le signe sur le fessier
n’est pas la marque de Bébère,
pas l’exclusif de son derrière.
« Ce détail de propriété
le jugement peut altérer.
Ce signe est signe de famille.
Et ma mère qui était fille
(le dira-t-on jamais assez
pour Satan de moi expulser ?)
non point de ce sang mais d’un autre
eut l’avantage, et c’est le nôtre,
d’avoir donné le sein à qui ?
A qui ce lait qui m’a nourri ?
Mais à Virgile le poète,
troubadour que Bébère embête
pour lui tirer les vers du nez
à propos d’un mort pas prouvé
alors que leurs semblables fesses
en tous critères apparaissent
comme le cul d’un même nom.
Je possédais un demi-ton
et par la magie du bécarre
je retrouve le tintamarre
d’un roman autrement salé
que par les us asexués
d’un magistrat qui fait la belle
sans foi ni verge ni mamelles. »
On reconnaît l’art du roman
au signe qui change le temps
en savante chronologie,
altruiste cosmogonie.
La question de l’emplacement
sur l’épaule ou le fondement,
au hasard de l’imaginaire
ou par souci de commentaire,
n’était point ce que le curé,
courant quasiment sans arrêt
pour arriver avant l’office,
se répétait avec délices,
à voix haute et sans se soucier
de ce qu’on pouvait l’écouter.
Sous les orangers de l’allée,
qui fruits ne portent ni couvée,
son discours eût paru disert
au paroissien, mais pas très clair,
voire enfanté sans queue ni tête.
Que dire de l’analphabète
auquel il s’adressa enfin
pour lui demander de sa main
le coup qui était l’apogée
de la suite de ses idées.
« J’ai besoin de ton beau vélo, »
lui dit-il en répétant « Beau »
car l’animal qui lui fait face
en a un avec double place,
peint à la main et au minium
avec un penchant pour l’omnium,
pas beau du tout mais efficace.
En plus Popo a de la grâce,
un mollet à double ressort
et ne recule dans l’effort
que pour mieux franchir les limites.
Il promet d’aller aussi vite
que c’est permis par les panneaux.
« Je savais faire du vélo,
dit le curé levant la jambe.
Mais en ce temps j’étais ingambe.
Avec deux jambes ce n’est plus
la même chose, c’est connu. »
A cette énigme le cycliste
pousse le vélo sur la piste,
tenant le curé par le cou,
et maudissant ses deux genoux
à son tour il se met en selle.
« Pour revenir aux tourterelles
qui refusent avec mépris
de construire au moins deux trois nids
dans les orangers sans oranges,
un jour il faudra que ça change.
On attend depuis trop longtemps.
C’est bien beau les neiges d’antan
mais quand on est jeune on est jeune.
Je ne suis pas fait pour le jeûne,
continue Popo pédalant
pessimiste mais plein d’allant.
Le tour de France la faim donne.
Monsieur le curé me pardonne,
mais quand on a un beau vélo
pour se lever il est trop tôt. »
Le curé aime qu’on raisonne
et les bénédictions qu’il donne
ne servent pas à mesurer
mais à ménager les effets.
« Pour les causes sans conséquence
il faudra un jour qu’on y pense. »
Au vent claquaient comme drapeaux
de ses feuilles les oripeaux.
Les imperfections de la roue
communiquaient à ses bajoues
un tremblement qui provoqua
dans le rétroviseur un cas
pas commun de problématique
en rapport avec le physique.
Mais Popo sur le pédalier
de la ressource retrouvait
et remontant de la justice
la rue exempte de supplices,
détail qui modifia le cours
de sa pensée sur le retour,
il sauta de la bicyclette
et se retira les pincettes,
coquetterie peut-être en trop
mais on arrivait au bistrot.
Le curé crut à une chute
et à l’angoisse fut en butte.
Cependant le bras en béton
de Popo tenait le guidon
et le curé d’un coup de latte
put se remettre sur ses pattes.
Il remet sa jambe de bois
dans le bon sens et à l’endroit.
« Tu attendras à cette table,
dit-il se sentant très instable,
et te feras servir un pot.
Surtout, mon fils, ne boit pas trop.
La messe est à dix heures trente.
Si jamais l’ivresse te tente,
discute un bon coup sans faiblir.
Boire ou conduire, il faut choisir. »
Ayant envoyé le message
à l’idiot qui dit qu’être sage
et faire tout pour être beau
en même temps que le vélo,
c’est possible mais difficile,
il s’en va pas aussi tranquille
qu’il aurait voulu en partant,
mais le temps pressait au cadran.
« Quand on choisit on est à l’aise,
sinon on soigne le malaise, »
se dit-il en prenant tout droit
vers le palais qui fait la loi
ou la défait selon l’histoire.
Il toque sur le dos sans gloire
d’un flic qui tient debout tout seul.
« Moi aussi je suis venu seul,
dit-il sans penser qu’il offense.
Comme on est deux et que je pense
et que pour la pensée aussi
vous avez peut-être un souci,
puis-je vous demander sans rire
(mais arrêtez-moi si j’empire)
si le poète qu’on retient,
pour examen de ses moyens,
est le Virgile de l’histoire
ou si c’est moi qui de trop boire
me fait des idées sur le droit,
peut-être même sur la foi,
et m’amène ici sans malice
pour influencer la justice. »
Le poulet entre deux hoquets
dit qu’en soi il n’est pas choqué.
Quand il était petit la poire
avait de la soif la mémoire.
Il n’a pas lu tout ce qu’on veut.
La poésie et lui c’est deux.
« Mais si vous voulez voir le juge,
ajoute-t-il dans un déluge
de bouquets choisis sur le tas,
c’est le greffier qui veut ou pas.
Vous connaissez la procédure.
Regarde-moi faire et assure. »
Et là-dessus il pose un pied
sur la marche de l’escalier
qui dans le bureau du copiste
pousse les vains opportunistes.
Dans le fond du bureau Gaston,
relit sa prose dans le ton,
le crâne dur à la lumière
et dans la bouche une cuillère.
Le flic retire son panard
et disparaît avec un art
qui n’appartient qu’à cette race
de serviteur qui fait la crasse.
« Ah ! Bonjour monsieur le curé ! »
s’écrie Gaston qui s’est levé
et dans le café sans manières
replonge ladite cuillère.
Il essuie l’air avec passion
en se servant d’un vieux chiffon.
« Asseyez-vous ! J’ai à vous dire
des choses qui de mal empirent. »
Les jeux de mots c’est son dada.
Aussitôt le curé s’assoit.
Il faut dire que l’épisode
qui a précédé la période
du beau vélo utilisé
pour se retrouver au palais
n’a pas fait l’objet ici même
d’un exposé par pure flemme.
Ce trou narratif est béant,
mais il figure le néant.
C’est la suprématie moderne
debout sur le classique en berne.
La belle excuse, on ne sait rien
mais ce curé, on le voit bien,
a plus d’un coup joyeux dans l’aile.
Son allégresse est matérielle.
Gaston aime les jeux de mots,
et plus encore les ragots,
mais si l’aumônier il accueille
à bras ouverts comme l’on cueille
dans un chapeau de beaux brugnons,
on veut en savoir la raison.
Et bien si le curé y rogne
Gaston est aussi un ivrogne.
Ce sont là joyeux compagnons,
l’un à l’office en pâmoison
comme il convient au catholique
et l’autre pas moins alcoolique
dans la copie prote claustral.
Tout ça dans un calme royal.
S’il s’agit de lever le verre
le parquet n’est point un parterre
et l’autel ne fait pas hôtel.
Le fait n’est pas accidentel.
Pour se rencontrer il faut croire
à un similaire exutoire.
Entre Camette le curé
et Gaston qui fait le greffier,
entre ce larbin du calice
et ce tire-bouchon d’office
la joie est un anneau nuptial.
Le concept est matrimonial.
Ainsi quand Bébère est aux anges
malgré la blancheur de ses langes,
Gaston ému fait son devoir
et dans l’action il faut le voir !
Nous avons là l’exemple même
de la société du vingtième :
trois amis et deux amitiés.
Le concept fond l’humanité.
Le point commun du trilatère
est un greffier qui fait la paire.
N’est-il pas bon de profiter
de ce que notre liberté
laisse à l’estime du poème
pour raisonner en apodème
des grandes questions de l’esprit ?
« En parlant d’esprit à tout prix,
dit Camette en sifflant un verre,
peux-tu me donner sans te taire
des nouvelles du troubadour
que, je ne sais si par amour
ou par devoir patriotique,
Bébère a placé dans l’optique
d’une condamnation à mort ? »
Quand Gaston se sent le plus fort
on ne retient plus ses rondades :
« Camette mon cher camarade,
toi qui bois cul sec au goulot
(je sais que c’est un vrai boulot)
tu devrais savoir qu’en justice
le secret n’est pas un supplice
mais un outil de l’instruction.
Nous sommes toi et moi des cons,
(prends ça comme œuvre de culture
et point zéro de la censure)
toi parce que tu ne sais pas,
comme on a fait à ton papa,
moi parce que je sais me taire.
Voilà ce qui plaît à Bébère.
Les relations à trois c’est sain
à condition que le quatrain
dans la tonalité explique
les prétentions de la métrique.
Quand on est quatre on s’est trompé. »
Là-dessus Gaston fait le pet
comme si ce qu’il vient de dire
à voix haute pour s’interdire
n’avait pas valeur d’amitié.
Camette fait celui qui sait
et reprenant son air ganache
sur le tapis fait une tache
pas plus grosse qu’un margouillis
d’idées reçues et de vieilli.
« Pendant que d’un œil tu surveilles
pour voir si c’est demain la veille,
je fais semblant de m’activer
sur ce pâté fort bien tombé.
Que sais-tu que tu peux me dire
sans la réalité réduire
(tes méchants défauts je connais
comme si ferment j’en étais)
aux proportions du journalisme ?
— J’en sais assez pour qu’un tropisme
de la taille d’un gros lombric
te donne des airs de laïc.
— Voilà qui me fait de la peine !
Reprends un peu de cette saine
potion reçue des mains de dieu.
— Partageons puisque c’est le mieux.
A t’en dire plus je m’applique.
Tu vas tomber de haut épique.
— Encore un coup, je deviens sourd !
— Figure-toi, là c’est du lourd,
que le Virgile de poète
qui se morfond aux oubliettes
est aussi innocent que toi
et moi réunis une fois !
— A peine, Gaston, tu m’étonnes.
Le poète est une personne.
Ce que n’est pas un assassin.
J’ai appris ça tôt ce matin
dans le livre de l’intranquille.
— Tu lis des choses bien utiles.
J’envie ta liberté de choix.
Dans mon métier, quand on s’assoit,
on a un coussin sous les fesses.
— Pressons car l’heure de la messe
est vite là si rien ne vient
alimenter le citoyen !
Ne me dis pas que le Bébère,
dont je connais le beau derrière
(pas comme toi tu le connais)
dans un cachot a enfermé
ce pauvre diable sans mobile !
— Et là tu mets bien dans le mille !
— Je crains le pire, ô mon ami !
Quand Bébère fait à demi
c’est qu’il en a sur la conscience !
— Hourrah ! Voilà ce que j’en pense !
— Mais penser ne suffira pas !
Il faut examiner le cas.
Ouvrir la porte à ce poète.
Il faut qu’il sache qu’on l’arrête
pour des raisons sans foi ni loi.
Ah ! Mon ami, si j’étais toi
(mais je n’ai pas le goût des hommes
bien que toi et moi nous en sommes)
je violerais tous les secrets,
quitte à me faire enguirlander ! »
Gaston alors, comme il s’approche
et roule ses yeux d’un air gauche,
laisse filer franche gaîté
et mouille le bout de son nez.
« Qu’il soit innocent ou coupable,
dit-il en posant sur la table
des mains abonnées au délit,
n’est pas mon affaire, l’ami !
Je sais bien que le faux Bébère
n’a de projets que pour me plaire.
La jalousie nous entretient.
En confession nous verrons bien
ce que vaut cette pénitence.
— Pas de mots dans l’intempérance !
Tu me dessoûles bien avant
le moment prévu au cadran
de mes petits calculs diurnes.
Vos culpabilités nocturnes
guérissent le mal imposé
à mes vaines nécessités.
— Ne gémis pas avant que l’heure
soit la bonne heure et non un leurre !
Car pour alimenter tes jeux,
ai-je de quoi te rendre heureux ?
— Je suis venu pour voir la fesse
de ce Virgile avant la messe ! »
Sur ces mots Gaston boit un coup
et pensif se gratte le cou.
« Mais qui le premier d’une échine
souple comme la soie de Chine
s’est penché sur ce popotin ?
— Redis-le-moi si tu y tiens !
— Mais je n’ai rien redit encore !
Je sais mais comme la pécore.
Je sais ce qui se sait déjà.
Qui le sait si ce n’est pas toi ?
— Tu as deviné ma pensée.
A boire trop on est aux fées
ce que la baguette est en vrai.
— Mais ce n’est pas là le secret.
— Je suis venu pour voir la fesse
de ce Virgile avant la messe !
— Tu la verras, foi de Gaston !
Comme je l’ai vue sans raison.
Je n’ai rien fait pour qu’il l’expose
et que mes yeux y voient des choses.
Je n’ai pas regardé pour voir.
Et ce signe que tous les soirs,
moins par plaisir que par tendresse,
chasseur chassant la chasseresse,
je caresse du bout des doigts,
ce signe est maintenant la loi ! »
Camette alors jette son verre
comme un Russe casse par terre
le contenu de son plaisir,
en mille morceaux démolir
pour mettre fin à une attente
qui ne promet plus rien qui tente.
« Bébère en sait plus long que nous ! »
Sur ce propos dit à genoux,
le silence fond comme un aigle
dont le jouet selon la règle
attend calme d’être emporté.
On a changé le policier,
qui n’a rien vu dans ses lunettes
et qui salue d’un salut bête.
En descendant les escaliers
qui ramènent à la cité,
Camette voit une hirondelle
qui semble avoir du plomb dans l’aile.
Elle disparaît dans les tours,
ne revient plus comme toujours.
De loin Popo qui est à table
fait des signaux invraisemblables.
« Qui est le diable, qui est qui ?
Qui n’est personne et qui je suis ?
Il faudra bien qu’un jour ou l’autre,
on voie clairement qui est l’autre
et qui n’est pas ce qui n’est pas.
Revienne le temps des sabbats,
du riche et du pauvre en déroute,
vivement que sur notre route
un cadavre enfin dise vrai
et rempoche tous les secrets,
vivement que ce temps arrive,
et si pourtant plus rien n’arrive
qui n’est arrivé de tout temps,
que la chance sourie au vent
et qu’il emporte nos enfances,
les premiers mots de l’espérance,
comme si nous n’étions pas morts
et qu’avec encore un effort,
pas grand-chose une main tranquille,
on retrouve chacun son île.
— Je t’écoute, mon frère fou,
toi que le registre d’écrou
nomme Virgile, un vers-libriste
aux trochées un peu passéistes.
Que faire ensemble maintenant
que je te tiens comme tenant
le marteau agile et sans maître
d’une inspiration qui veut être
et n’avoir été que néant ?
Nous ne sommes plus des enfants.
Quel est le chemin de la source
où s’arrêtent toutes nos courses ?
Certes nous n’avons pas connu
la même enfance et revenus
il faut que l’un enferme l’autre.
Qui suis-je si je suis cet autre ? »
Là-haut dans la tour du palais,
le juge en pleur s’est enfermé,
prend des photos pour se distraire
et mesure le jet de pierre.
Il voit le vélo de Popo,
le curé prend le temps d’un pot.
« L’après-midi la guillotine
sèche au soleil, belle orpheline.
Et la tête du condamné
mutine fait un pied de nez
entre les cuisses qui frémissent.
Les morts c’est vivant en justice.
Il faut tuer pour le savoir,
mais hélas tout ce qu’on peut voir
n’est plus à la hauteur du risque.
Gaston, s’il te plaît, passe un disque !
— Qu’est-ce qui te plairait, mon chou ?
Pour la chanson, on a de tout.
Du Brassens en habit verdâtre
au Ferré façon bâton pâtre.
Très en dessous, on a Renaud
qui fait des vers avec trois mots
mais une fois que ça recolle
on est sur les bancs de l’école.
— Ah ! Gaston ne me fait pas chier !
Basta du rock en casse-pieds !
Du Richepin, j’en ai ma claque.
Dans la chanson il faut qu’on saque.
La poésie, c’est pas du toc.
Marre de ces groupes de rock,
des professeurs, des politiques,
et des stars du ciné comique.
La résistance a fait long feu.
Depuis on a fait beaucoup mieux.
Mets-moi quelque chose qui gratte
et qui nous fait lever la patte,
de l’arabe ou du japonais,
de l’apache avec Louis Jouvet
ou qui tu voudras d’exemplaire,
mais basta de l’apollinaire ! »
Et pendant que les deux amis
dans leur confortable logis
entretenaient leur connaissance
dans la musique de plaisance,
Verju montait les escaliers,
tenant en ses mains un béret
qui n’avait plus le caractère
d’une coiffure militaire
tant il l’avait soumis en vain
à l’expérience de ses mains.
Sur le paillasson il transpire.
Il réfléchit avant de dire.
Sèche sur un mot pas fréquent
comme quand il était enfant.
« Je vais me prendre une gamelle.
Ce sera surtout la plus belle.
Si j’étais mort je le saurais.
On m’a tué, mais pas en vrai.
Enfin c’est vrai pour tout le monde.
Ah ! Ça fait mal quand on vous sonde
avec le fer d’un parasol !
Je suis resté cloué au sol
au moins des heures sans personne
pour me dire que quand ça sonne
c’en est fini, pas d’hôpital !
Et en plus là j’avais très mal !
A qui j’ai pensé, à ma pomme !
Au fond je suis pas plus qu’un homme.
Je n’ai pas eu froid dans le dos.
Mais dedans, je me suis vu beau.
Je peux témoigner pour la science.
Sauver des vies de l’existence,
ma foi ça me plaît bien aussi.
Oui, je vais tout, pas de souci,
raconter à monsieur le juge
qui va faire un sacré grabuge
quand il saura que je suis plus,
plus vivant que mort et en plus
que j’ai vu avant que je rentre
des choses qui font peur au ventre.
On n’est rien quand on n’est pas mort,
mais quand on l’a dedans le corps,
à tournicoter les entrailles,
on s’accroche, vaille que vaille,
et tant pis pour l’éternité !
Si je suis mort, je l’ai été.
J’ai des penchants métaphysiques,
c’est de longtemps que je m’applique
à frôler sans vraiment toucher.
Même les mots à se loucher
finissent par aller au diable.
Et je reviens, méconnaissable.
Je ne suis pas rentré chez moi.
Il faut d’abord qu’avec la loi
de haut en bas on me révise. »
Verju en position assise,
car il avait dans les genoux
un objet pointu comme un clou,
peut-être deux sous les rotules,
(ah ! les ennuis quand ça pullule
on les sent bien passer aussi)
Verju, disais-je, était assis
à portée de main de la barre
et pour éviter qu’il se barre
un huissier l’avait menotté
sans oublier de reclouer
le vieux dossier couvert de cire.
Comme tableau on a vu pire
dans cette cour où croît l’humain
sur le fumier de ses deux mains.
Pour les chaussons il rendait grâce
à Mulat qui était en face,
assise mais plus haut que lui,
entre deux bras droits enlaidis
par la nature et par l’usage.
La cour du crime est un village
et ses habitants en badauds
entraient et sortaient dans le chaud
sans se soucier des conséquences.
Tout le monde était là, je pense.
Et comme il y en avait beaucoup,
Bébère avait dit : « Après tout,
pourquoi pas la salle d’assises ?
La foule adore être comprise.
On sera tous là, un seul bloc,
avec l’esprit gonflé à bloc
pour écouter la comédie
que Verju non pas sans génie
a mise au goût du grand public.
— Bien, d’accord, mais pas sans les flics,
avait sifflé la présidente.
Quand le public est en attente
on ne sait jamais ce qui peut
arriver enfin comme on veut. »
Et voilà Verju à l’affiche.
Du coup il se croit déjà riche.
« Pour la dimension du guichet,
voyons en fonction des billets, »
suggéra-t-il avant de mettre
de côté l’argent de ses maîtres.
Mais comme il n’était pas très clair
et qu’ainsi il polluait l’air,
l’instruction le tenait en laisse.
Il n’allait pas sans sa maîtresse,
une jolie poulette en chair
et en os experte des fers
et autres soins que la police
expérimente quand ça glisse.
Bref, tout le monde l’a compris,
faute de place on s’est assis
dans le tribunal où le crime
de la conviction est victime.
Il faut dire que le conseil
avec un maire dans l’orteil
et un petit doigt sans culture
n’avait pas voté l’aventure.
Les élus avaient fait un front
pour épargner l’argent des cons.
« Les one man show c’est égoïste,
avait dit le maire aux frontistes.
Les guignols qui font ça solo,
n’ont rien à dire au populo.
On ne va pas se laisser faire
par les idées du vieux Bébère
qui s’y connaît en instruction
mais rien du tout dans la chanson.
Donc la salle polyvalente
ne peut servir à cette attente. »
Et le conseil a voté pour
ou contre comme on fait toujours.
Du coup Bébère est sans ressources
et comme il ne joue pas en bourse,
le spectacle qu’il a écrit
sur la base de ce que dit
Verju de sa grande aventure
en enfer et dans la nature
ne pourra pas être donné
comme il l’avait imaginé.
« Je n’ai jamais tué personne,
dit-il sans que ça le chiffonne,
et je ne me vois pas tuer.
J’avais pourtant un bon dossier.
Mais que le public ne s’affole
et tienne bon sur ses guiboles.
Je n’ai pas dit mon dernier mot. »
Il retourna dans son bureau
et convoqua toute la troupe.
C’était une heure avant la soupe.
On avait le temps d’y penser.
Les lits on se mit à pousser
pour que chacun pût sans souffrance
profiter de toute l’audience.
Bébère mit de son côté
toutes les chances de gagner.
Son bureau devint un espace
propre à se donner de l’audace.
Des petits fours fumaient gaiement.
Sur les tréteaux on voyait grand.
Dans le couloir une banquette
servit à ranger les assiettes.
« Si vous manquez de petits fours,
dit un huissier fait pour l’amour,
j’en ai en stock dans ma cuisine.
— Ah ! Ils élisent la voisine
pour cultiver dans nos esprits
le ménager et les bas prix !
On voit comment l’ode s’encrasse
dans la vaisselle et les lavasses.
La strophe est mise au pilori
du coq en pâte et du curry.
Pour les enfants on a la farce.
Quoi encore dans la carcasse ?
La poésie a du croupion
ou elle ne vaut pas un rond.
Ah ! Mais attention ô justice
l’élue est une institutrice
qui fait de la planche à billets
en vacances à Saint-Tropez.
L’élu dans la locomotive
a seriné les leitmotive
de sa passion pour le ballon
gonflé à l’air ou au litron.
Du coup on est mis à la porte
et ils n’y vont pas de main morte
les larbins de l’exécutif
élus dans le législatif.
Mais on a trop donné au vote
et pas assez à nos menottes.
Aussi me voici en état
de mettre les pieds dans le plat
pour redonner à la justice
le goût du malheur et du vice. »
Là-dessus applaudissements.
Ça claque et en haut ça s’entend.
Tout le palais de pied en tête
réclame le sang du poète.
On ouvre grand le poéthon
et bientôt on en voit le fond.
Même Mulat qui d’habitude
fait plutôt dans la certitude
se joint aux nouveaux idéaux
dont l’hypothèse est le noyau.
« Si on peut porter la médaille
sans recevoir de la merdaille
en pleine poire comme avant,
je suis avec vous les enfants ! »
Elle soulève un pan de jupe
et fait des ronds avec la huppe.
« Quand vous aurez l’âge que j’ai
vous ferez bien dans le clergé,
mais j’en ai encore à la croupe,
bien trop pour laisser l’art aux troupes.
Un pas en avant pour le haut,
un coup de reins car il en faut,
un pipi dans les coins tranquilles
et pour le cul des imbéciles
mon petit doigt qui me dit tout ! »
Le Bébère de joie est fou.
« Quand on a un palais, madame,
on en a deux et on s’y crame ! »
Il met ses pied, du jamais fait,
sur le bureau et fume un vrai.
Gaston croit qu’il l’a plus insigne
et sur le cul se met des bignes.
« Grâce à Verju qui a tout vu,
à deux doigts qu’il était foutu,
on verra nous aussi Pantruche,
avec sa tour et ses nunuches,
ah ! qui n’en a jamais rêvé
me file l’hépatite C ! »
Voilà comme au palais la fête
battait son plein et dans la tête.
Verju tout seul y avait mal
tant ça battait l’occipital
qu’il a fin comme la moyenne.
Bien sûr la sujétion carpienne
mise à l’épreuve par Gaston
n’inspire pas l’exaltation.
La liberté en a vu d’autres.
Cette contention est la nôtre,
s’il est permis en plein barouf
de métaphoriser le gnouf
pour en tirer des incidences
qui ont valeur ou pas de sciences.
Pour dire choses comme sont,
et sans y mettre la façon,
Verju n’était pas à la fête.
En plus il avait l’air très bête.
Habillé manière apollon,
avec un trou au pantalon
à l’endroit où prenait racine
le lien qui lui tenait la pine,
il n’allait pas loin même à pied.
Mais sa gardienne le poussait
sans menacer de faire grève.
Elle avait elle aussi ses rêves.
Il lui disait deux ou trois mots
et selon le sens du dico
elle tournait à droite ou gauche
ou l’amenait dans les cinoches
où impatiente elle attendait
que ça cesse de canarder.
« Je n’ai pas le canon facile,
lui dit-elle mais sans la bile.
Le jour où je tuerai quelqu’un
ça fera bien plus ou moins un ? »
Elle questionnait les réponses.
Une vocation ça s’annonce.
Enfin elle était là pour ça.
Le vrai souvent ne se voit pas.
Verju pensait à autre chose,
pour ne pas se remettre en cause,
encore changer de métier
et dans un pétrin se fourrer.
L’existence est un tas de merde.
Et ce qu’on a bien qu’on le perde
en attendant c’est mieux que rien.
Pour penser on a les moyens,
qu’on pense bien ou mal, on pense.
Mais aller bien, c’est de la chance.
De rien il était devenu
ébéniste et moment venu,
suite à une belle descente
dont il avait aimé la pente,
l’enfer lui avait inspiré
une vision à prendre après
avoir avalé tout le reste.
« Ce n’est pas que je me déteste,
confia-t-il aux médias conviés
par Bébère qui prenait pied
lui aussi dans l’apothéose
comme la meilleure des choses.
Mais voilà j’ai bien vu l’enfer,
j’ai poussé la porte de fer
qui est rouge comme la honte
et là-bas j’en ai vu des pontes !
Tellement que je me suis vu
moi-même aussi par le menu.
Le détail a son importance
au moment de faire bombance
dans le feu de l’action en cours.
Mais je sais ça depuis toujours.
Il aura fallu qu’on attente
à mes jours pour qu’enfin je tente
de m’expliquer et de changer.
Essayez donc et vous verrez ! »
Enfin après une bonne heure,
lors que Verju malheureux pleure
et que son doux gardien le plaint,
Bébère enfin lève la main
et déclare que tout le monde
dans la même passion abonde,
veut que faute d’un lieu public,
avec ou sans ou trop de flics,
les assises feront l’affaire.
Et avec l’appui de ses paires
auront pouvoir de présenter,
même en dimanche et jours fériés,
de Verju le fameux voyage
qui de l’enfer et ses rouages
le ramena dans nos foyers
où nous le fêtons volontiers.
« Que l’enfance salue l’aubaine !
s’écrie Bébère hors d’haleine.
Que les âges d’un seul élan
portent les fruits de cet enfant !
Ma plume a retrouvé la vie !
Ô France je te la confie
comme le bien le plus précieux,
car je ne saurais faire mieux.
Ah ! J’ai lutté contre l’aisance.
Je n’ai pas manqué d’élégance.
Une tête tombe et voilà
que sur le fil du coutelas
s’inscrit en lettres majuscules
le jour où l’enfant s’émascule
non point sans le vouloir exprès
mais parce qu’il est demeuré.
Heureusement un bon ministre
fit abolir cette sinistre
manière de me rappeler
le geste fou qui m’a coupé.
Et comment ne pas se confondre
comme celui qui se fait tondre
quand je pense à notre Gaston
que de la copie nourrissons.
Je porte avec lui la cuculle
sans visière quand il m’encule.
Je sais bien que l’amour jumeau
sous le harnais vite prend l’eau
mais même à fleur de ma peau chauve
ce doux greffier est un vrai fauve.
A cette athlétique amitié
aujourd’hui je peux ajouter,
et de ceci je te rends grâce
ô peuple de France et d’Alsace,
la féconde fraternité
qui vient à ma porte frapper
pour donner au pays que j’aime
l’épopée de son grand système.
Quel pays peut, sans y rester,
de la légende se passer ?
Voici Verju, ex-ébéniste,
qui revenu se met en piste
pour partager avec les gens,
et sans réclamer de l’argent,
ce qui a refondu son âme
dans le plus noir des amalgames,
cet enfer qui demeure en bas
et que dans ma plume voilà.
Verju debout ! Hausse la chaîne !
Voici le peuple pour ta peine !
Jamais homme ne mourut tant
et il est revenu pourtant !
Verju ma plume à ton service
replonge avec toi dans l’abysse,
entraînant l’entière nation
dans le minerai des passions.
Merci ô fans des cours d’assises
d’avoir prêté, qu’on se le dise,
votre main-forte à mon projet.
Sans vous le théâtre serait
le désespoir de la rigole.
Voici l’esprit qui dégringole,
avec les eaux des utérus
et les produits de nos anus,
dans les égouts de notre ville.
Mais maintenant on est tranquille.
Vous êtes de notre côté.
Veuillez acheter des billets.
Pour le pipi, c’est là qu’on verse.
On a ouvert un bon commerce.
Autant par personne qu’on veut.
Quand on veut bien, c’est qu’on le peut.
Ne soufflez pas dans la baudruche
avant que Verju vous épluche.
La peau se vend si bon marché
qu’on perd à ne point l’acheter.
Un sou le kaléidoscope.
Dessous un peu de psychotrope.
Et par-dessus des rêves fous
dont le peuple se contrefout. »
Ainsi le tour, le tour pendable
était joué carte sur table.
On se pressa au tribunal
sans toutefois se faire mal.
Verju sur une grande affiche
donnait des leçons aux plus riches.
Aux pauvres qui étaient légion
il recommandait de l’action.
Ah ! Sur l’affiche il était jouasse.
Il avait même de la grâce.
On lui aurait donné le pied
pour le bec-de-cane forcer.
On le fit même avec un feutre
donner son avis dans le neutre.
Mais dans sa chaise il croupissait,
pissait, vomissait, paraissait
plus triste qu’un bout de réglisse
qu’on prend pour un bout de saucisse.
Le lecteur ici va penser
que cette vaine parenté
entre réglisse et puis saucisse
par les deux bouts de l’exercice
du style de l’auteur seraient.
Qu’il se rassure en vérité
le mot n’est pas non plus du style
de Verju qui souvent mieux file.
Il est dans sa chaise roulant
ne voyant pas même les gens.
Sa dragonne le voyant triste
lui fit ce cadeau symboliste.
Il en sourit, se promettant
de profiter d’un contretemps
pour refiler cette disgrâce
à Bébère comme préface
de leur commerce en devenir.
En attendant, c’est un plaisir
de constater que l’entreprise
cahin-caha familiarise
avec les charmes du profit
et le trac qui sort de l’ennui.
Car le commerce et le théâtre
c’est la jouvence du gériatre.
Verju en comédien se voit.
Il est parfait, c’est ce qu’il croit.
Il a du cran, mais sans la joie.
Il n’est pas triste, il a les foies.
Il jette un œil sur son mentor.
Il a du style, un matador.
Bébère est devenu poète.
La nouvelle n’est pas complète
selon ce que sûr nous savons,
mais cependant l’explication
n’est pas demandée par la foule,
donc le concept point ne s’écroule :
c’est bien Virgile qui les fait
ces poèmes au bel effet
que Bébère met dans la bouche
de Verju qui toujours en couches
quand se soulève le rideau
en sent tout le poids sur son dos.
Voilà le soir de la première,
en plein jour car les fonctionnaires
sont connus pour ne pas dormir
si le soleil donne au désir
des raisons de croire aux vacances.
« En sortant il faudra qu’on pense
à tous ceux qui n’ont rien compris.
Toutes les choses ont un prix.
Cela mérite qu’on y glose
car si tout effet a sa cause
on n’imagine pas d’effet
sans un revenu net de frais. »
Sur le parvis de la bastille
prise d’assaut par la coquille,
le public est venu nombreux
et même parfois deux par deux.
Le guichet manque de monnaie.
« Avec le grain on a l’ivraie,
glousse Verju au resquilleur.
Et pour le pire et le meilleur ! »
On reçoit bien la sous-préfète
qui a la cervelle bien faite
mais plein de défauts par-dessus.
On en rigole à son insu.
Le ministre de la justice
s’est excusé sans artifices.
« On l’aurait reçu comme on doit, »
dit la sous-préfète du doigt
menaçant le troupeau des gauches
unies encore dans l’ébauche.
A droite c’est sous le drapeau
qu’on se sent bien tous dans la peau.
Dans sa loge Bébère en crise
le synopsis par cœur révise.
Il a tout revu en détail.
« Avec Virgile au gouvernail
et Verju prêt à l’abordage,
ce procès fera un carnage.
Je vois la foule en feu, en sang !
Et pas que des mille et des cents !
Il faut bien qu’en toute justice
l’opportunité me nourrisse.
On finira avant la fin,
la langue dans le chicotin
de la critique et du bon beurre.
Ah ! De ma gloire enfin c’est l’heure !
Et sans besoin de versifier
ni de mascarade jouer.
Venez à moi, mes petits anges !
Mon Virgile qui fait aux langes,
mon Verju qui revient de loin.
Venez profiter du tintouin
avant de retourner incultes
d’où vous venez, tristes adultes ! »
Virgile en un coffre attendait
que ça se passe mais sans frais.
Verju tortillait sur sa chaise
son anus mais pas sans malaise.
Alice en un coussin chantait
mais sans y mettre tout l’effet :
« On m’appelle la douce Alice
et pour bouffer dans la police
je rends des services polis.
Je trouve ça plutôt joli !
Ah ! Dites-moi ô bon Virgile
comment qu’on fait le difficile
et facile enfin on paraît
sur les tréteaux de ce palais
pour approfondir les atomes
qui font qu’on est ce que nous sommes.
Moi aussi j’ai toujours rêvé
de mon casse-croûte gagner
sans me la fouler dans l’urgence
ou pire dans la permanence.
Mon papa était ouvrier.
Dans l’inflation il en a chié.
— Fifille, dit-il avant l’heure,
pour vivre il faut gagner son beurre.
On n’a pas trouvé le moyen
de faire facile sans bien.
La vie est faite pour les riches
comme les chiens sont à la niche.
A l’usine tu n’iras pas,
tu ne seras comme papa
ni tributaire de la crève,
ni de la peur des jours de grève.
Le dos est un bien trop précieux.
Les mains c’est fait pour être heureux.
Il faut soigner son apparence.
Et puis tu auras des vacances
entre les heures de travail,
les doigts de pied en éventail
sous un bureau tout doux, tout calme,
presque la plage avec ses palmes
et à la fenêtre la mer
avec ses beaux poissons ¡joder !
— Le mal au dos, mon pauvre père,
souvent le jugement altère,
surtout quand pour notre malheur
tu méditais sur le bonheur.
Maintenant tous les fonctionnaires
rêvent en solo de se faire
la malle dans le gai savoir,
et de voyager quelque part,
n’importe où mais ailleurs qu’en France.
Excusez-moi cette ingérence,
messieurs qui en art savez tout,
est-il trop tard pour qu’avec vous
je vive enfin mieux que les autres ?
Regardez-moi, je suis des vôtres.
Toute nue j’ai un charme fou
et quand je le dis on se fout
de ce que disent les critiques.
Ah ! Que cette mouche me pique !
Au peuple me donner je vais
et de son argent profiter
pour me refaire un peu la gueule
et me consoler d’être seule. »
Mais Alice parlait aux murs.
Les trois cabots au regard dur
soulevant un coin de tenture
de la salle prenaient mesure.
Verju très blanc avait le trac
mais il était dosé au crack.
Déjà Mulat entrait en scène
flanquée de ses deux bois d’ébène.
Sur le trône elle reposa
la symétrie de son baba.
La salle attendit indécise
que l’ouverture des assises
fût prononcée par le greffier.
Mais Gaston s’était absenté
pour réviser avec Bébère
qui voulait entier le refaire
le discours d’inauguration,
un chef-d’œuvre de prétention
qui ferait de la sous-préfète
la risée de tous les poètes.
Enfin on ferma le grand huis.
Sans lumière il aurait fait nuit.
Trois coups frappa la présidente
pour tout signe de prépotence.
Le rideau ne se leva point
car les tribunaux n’en ont point.
Bébère en habit de métèque
entra pour gagner son biftèque.
Dans l’orchestre on retenait tout.
Aux balcons on respirait mou.
Bébère admit une immondice.
Il était nu jusqu’à mi-cuisse
mais tout rentrait bien dans le slip.
Il était conscient que le trip
pouvait choquer la bourgeoisie.
« Mais ici pas d’hypocrisie,
commença-t-il pour rassurer
la ménagère et l’ouvrier.
Et je soutiens l’absentéisme
qui forme les académismes
car le temps des loisirs est court
et l’homme n’a pas tous les jours
le temps de penser au posthume.
Je suis venu dans le costume
de la plus vieille tradition
de cette versification
qui turlupine qui postule
aux promesses de la plumule.
Veuillez excusez pour l’odeur.
Elle est la gloire de l’acteur.
Peuple me voilà ton poète !
Dans ce sens-là rien ne m’arrête.
Je suis né pour vous dire tout
et je serai votre chouchou.
Ceux qui me connaissent le savent :
dans la raison les mains me lavent.
Que ceux qui craignent la douleur
de mon art mesurent l’ampleur.
Et que ceux qui plaisir y trouvent
dans la tranquillité l’éprouvent.
Il y en aura pour tous les goûts,
mais si d’aventure les coups
n’occasionnent nulle blessure,
il faudra s’en prendre aux augures
et les châtier sans compassion.
Mon épopée est ma mission.
Je suis le doux intermédiaire
qui sait vraiment ce qu’il faut faire.
Cet homme que vous voyez là
vécut en enfer son trépas
et il le méritait sans doute.
Dans cette nuit, il n’y vit goutte.
Il erra sans savoir où c’est,
ni pourquoi on le condamnait.
Le diable enfin paraît à force
de s’occasionner des entorses
sur ce pavé trop déchaussé.
— Ami, dit Satan, je ne sais
d’où tu viens ni ce qui t’amène.
On dit que l’erreur est humaine.
C’est peut-être ici la raison
de ta venue dans ma maison.
Je te souhaite la bienvenue.
Excuse la déconvenue.
Nous allons vite et sans retard
mettre fin à cet avatar.
En attendant ici repose
et ne pense plus à ces choses.
Tu n’es pas mort, c’est une erreur.
Il faut réparer ce malheur.
Et le diable part en fumée.
Verju tout seul dans l’empyrée
n’a ni soif ni faim, il est vrai.
Ah ! si l’enfer a un secret,
se dit-il reprenant la route
sans peur que quelqu’un le filoute,
(car dans la nuit il croyait voir
les animaux d’un abattoir)
si je suis digne de mon père
en un jour j’en sais le mystère.
— Peuple, ici commence le chant
que je destine à tes enfants ! »
Sur ces mots Bébère s’avance,
puis recule et fait révérence.
Il prend le temps d’un entrelacs.
Émet un son a capella.
Son bras souple au coude se plie.
Dedans sa bouche on voit la lie.
Comme le cou, sous le harnais,
porte les marques du passé,
il en enveloppe les traces
dans les mèches de sa tignasse.
L’effet sur le public est bon,
confirme en coulisse Gaston.
Dans la salle une mère accouche
sur un strapontin qu’on débouche.
Un professeur fait le curé.
Un curé s’est aventuré
dans les habits d’un trapéziste.
Il n’y a plus rien qui lui résiste.
Pour le ballon qui a volé
dans les tringles sans les toucher,
la présidente est pessimiste
mais elle se sent si laxiste
que l’espoir encore est permis.
En y pensant elle rougit.
Dans sa tête la noctiluque
entre les jambes de l’eunuque
fait des signaux, tropes confus.
« Allons, allons ! Pas de refus !
Veuillez accepter la médaille.
D’un héros vous avez la taille. »
Alors Bébère fait un saut,
laisse la place à son cabot
et vite referme la malle
où Virgile dans d’infernales
douleurs de crânes se morfond
tant il en a touché le fond.
Mais Gaston dans la prévoyance
(un art où il fait référence)
a fait installer pas très cher
en face d’un vieux rocking-chair
un écran où on voit la salle.
« Ah ! Mon Gaston ! Ah ! Quel beau mâle !
Tu es l’indispensable atout
de mon triomphe et sans surcoût.
Il faut que sans tarder j’embrasse
tes deux joues dont je ne me lasse.
Une idée ce n’est rien en soi,
mais qu’est-ce que je suis sans toi ?
Viens sur mon corps aimer la vie !
A ce plaisir je te convie. »
Bébère à ces mots quitte tout
et fou de joie se met dessous.
Mais Gaston d’un geste sans force,
la larme à l’œil le désamorce.
« Songes-tu que nous sommes là
pour triompher et pas pour pas !
Reprends tes esprits et la place
qui te revient dans le Parnasse ! »
Bébère alors se ressaisit.
Il coiffe en rebelle l’épi,
premier signe de la couronne,
et dans le voltaire ronronne,
acceptant un petit muscat
qui ne dira pas non en cas,
mais foin de cette perspective !
Suivons Verju, quoiqu’il arrive !
Sur l’écran attendent les gens.
En effet Verju prend le temps.
« Voyez, dit-il, comme les choses
arrivent aussi sans leurs causes.
Il faisait chaud et dans le noir
j’ai marché sans même me voir.
Ne m’attends pas, disait le diable
à ceux qui se mettaient à table.
J’entendais ce curieux placet
sans voir à qui il s’adressait.
Sous mes pieds était-ce la terre
qui me portait sans commentaire ?
Ce silence me terrifiait.
Seule la voix du grand mauvais
le troublait de sa seule énigme.
Ce n’était point le borborygme
dont on nous donne la leçon.
J’y devinais un unisson,
un peuple né pour la justice,
pour que le temps s’y accomplisse.
Et nu dans cette obscurité
il me fallait les écouter,
eux qu’on ne peut pas reconnaître
parce qu’ils sont l’envers de l’être.
Là-bas, il fait tellement chaud
qu’on veut y aller nu plutôt.
On ne se plaint que d’être encore
l’objet des prurits des pandores.
Et j’y allais, sûr de ma mort,
saignant caillots par tout le corps.
La nudité nous rend fragiles.
Pas même un signal érectile.
Ici pas d’eau, ni feu ni air.
On ne visite pas l’enfer
avec les moyens du touriste.
La géométrie symboliste
n’a pas de sens et tout est noir.
Je deviens fou de ne rien voir.
Et tout est voix, elle l’unique
dans mille bouches platoniques.
On ne peut y vivre longtemps,
me répétai-je en avançant,
ne sachant plus si de ma tête
j’avais fait des pieds de poète.
— Es-tu toujours là, mon Verju ?
dit la voix. Je ne te vois plus.
Approche donc dans la lumière.
La parole y est toujours claire.
— De quelle lumière veux-tu
que je m’éclaire ? On n’y voit plus !
Ce que je touche est invisible.
Tout est possible et impossible.
— Je te le dis : tu n’es pas mort.
L’erreur doit venir de dehors.
Détends-toi plutôt les guiboles.
Ce royaume a un côté drôle.
— Mais si je marche je vais où ?
Je ne sais plus ! Je suis partout !
Tomber plus bas est improbable.
Et les autres qui sont à table ?
On est qui quand on est plusieurs ?
— Ah ! Ces questions font ton malheur.
Patiente pendant que je cherche.
— Mais c’est que j’en ai plein le derche
du hasard qui tombe dessus
alors que je ne jouais plus !
Qui c’est le chef ? En république
on a un chef et c’est pratique.
Pour le pouvoir je suis français.
L’ordre il faut bien le mériter !
Donnez-moi donc de quoi écrire !
— Ah ! Verju ne me fais pas rire !
On écrit bien que dans le noir.
Mais la lumière c’est l’espoir.
Je ne connais pas de poète
qui voyage sans allumettes.
Sans les yeux on n’est rien du tout.
Et je ne parle pas du goût
qui à défaut d’être convive
change la saveur de l’archive
en je ne sais quel vieux ragoût
qui met en fuite à tous les coups.
La langue et l’œil sont les deux rôles
de l’infernale casserole.
Je ne parle pas du toucher
car ce serait comme noyer
le poisson dans l’eau du poème,
mais sur ce feu vient en deuxième
ce joyau qu’aussi vous avez
dedans les narines du nez.
On le tient ici sans nuages
car le souffre ça vous dégage
sans nécessité de mouchoir.
Aspirez un bon coup pour voir,
en fermant la bouche aux corneilles.
Enfin, merveilles des merveilles,
en haut du podium près des dieux,
l’esse nous fend la tête en deux
en rendant à la symétrie
l’art de la stéréophonie.
Sans ce double organe, mon vieux,
tu ne serais plus rien au mieux
dans cette maison où entendre
est bien le seul parti à prendre.
La musique c’est du grand art
et de cet art je sais ma part,
n’en déplaise à l’être suprême
qui t’a fermé, bien que tu l’aimes,
la porte au goût, à l’œil, au nez,
et à ta peau que pour sauver
tu viens ici jouer à gage.
Au fait, en parlant d’avantage,
voyons ce que contient ton sac.
A vue de nez, du tac au tac,
à part ta chanson préférée
avec sa voix de mijaurée,
je n’entends rien qui sonne creux !
Quand on vient ici, on fait mieux,
sous peine d’avoir calebasse
paralysée sous la menace
du chorus et du vite-fait.
— C’est que c’est sans vouloir exprès
que je suis mort et dans la terre.
Je suis tombé sur le derrière
quand on m’a dit que j’étais mort.
Mort et cependant dans mon corps !
ai-je rétorqué à l’incube
dont je craignais fort qu’il m’entube
car mon épouse était au lit,
facile jouet du délit.
« Ta mort vraiment, dit ma canaille,
pas besoin qu’on la retravaille.
C’est de la mort des deux côtés
beurrée à point pour se bâfrer.
Tu n’es pas gros ni gras ni même
fort et vicieux comme on les aime,
mais tu es mort, c’est du sérieux.
On ne peut guère faire mieux.
Dehors, dedans, plus rien ne bouge.
Le sang est resté longtemps rouge.
Par contre pour l’enterrement,
qui ne dépend pas de Satan
mais de la société des hommes,
pas responsables nous n’en sommes.
Pour l’instant d’après ce qu’on sait
ton corps sans âme fait l’objet
d’une analyse judiciaire.
L’inquisiteur a nom Bébère.
Le voilà qui pince son nez
et contracte fort le fessier
car tu sens déjà la charogne,
ce qui de la part d’un ivrogne
étonne un peu le grand public,
tant l’alcool est au basilic
ce que le saint est au miracle.
On peut regarder le spectacle
sans se pincer le bout du nez
grâce au journal télévisé.
Notons au profit de la science,
pour lequel l’enfer se dépense
sans compter depuis jésus christ,
et pour être en tout bien compris,
que chaque fois qu’on se mutile
d’un sens dans les choses du style,
on se rapproche de l’enfer
qui n’est point de l’endroit l’envers.
Ainsi la télé sans effluves
est une approche de l’étuve
et des mille autres ingrédients
que la mort réserve au patient.
Je dis cela sans appétence.
Le mort c’est vous, quoiqu’on en pense.
Veuillez me suivre sans râler.
Où je vais vous devez aller. »
Ainsi, monsieur le grand monarque,
vous voyez comme on me débarque.
Vous me prenez au dépourvu.
De jazz je ne suis point pourvu.
Je sais la chanson qui se danse,
bien du pays, sans discordances.
Tenez, je vais vous faire un pas
comme on fait après le repas.
— Cette musique n’est pas drôle.
Au lieu de faire le mariolle
prends un instrument de ton choix,
souffle dedans comme tu vois
et entretiens sans plus attendre
le feu qui couve sous ma cendre.
— De quel instrument parles-tu ?
Dans le noir on ne les voit plus !
Je serais bien aise de plaire
aux oreilles de ton derrière,
mais avec quel bruit les charmer
si du tien tu ne mets jamais ?
La mort est pire que l’attente !
Vite un trou, un nid, une fente !
Je veux naître encore une fois.
Et cette fois, je serais roi.
Même sans métier et sans femme,
toujours sans enfant de ma dame,
je serais roi de ce pays,
sans peuple pour être obéi,
dans le plaisir et dans la guerre,
je serais roi pour tout refaire.
Que peut signifier cette nuit
sinon que l’enfant qui vagit
c’est encore moi, fils de pute,
de la langue et de la turlute,
qui revient tout nu et braillant
pour ne pas perdre au coup gagnant
et ne cesser jamais de vivre.
Voilà comment je me délivre
des incohérences du temps.
— Homme, tu parles à Satan !
Ici le temps est une occase.
En la matière tu es naze.
Non mais c’est quoi ce gagne-pain ?
A-t-on idée, sans les deux mains,
de mélanger dans le physique
la fellation et la musique ?
Tu n’es enfant de rien du tout !
Si on te voit un peu partout,
vendant ta mèche au politique
au détriment du poétique,
de l’optique c’est un effet.
Depuis toujours voilà les faits !
Pour être enfant il faut qu’on s’aime.
J’y vois le summum du blasphème.
Avec la bouche on ne fait rien
qui ressemble à ce qui est bien.
Tu n’as rien fait avec l’idiome
sinon rechanter ce que l’homme
refile comme le virus.
Pour ça il suffit d’un anus.
Te voilà bien dans cette auberge.
Et c’est bien moi qui tiens la verge.
Regarde en bas voir si j’y suis.
Et ne me cherche pas d’ennuis.
Les culs à baiser sont flopée.
J’en connais toute l’épopée.
Le tien est sec comme mon puits.
Voyons si le gras de la nuit
ménage tes hémorroïdes.
Du balcon la vue est splendide.
Je ne regrette pas le prix
que j’ai payé pour être ici.
Un strapontin à ras d’orchestre
m’eût privé de ce bond équestre.
Levez le rideau sur Verju !
Ce qu’on voit est vu et bien vu !
Et dans l’horreur contre nature
je me soumis comme monture.
Mais le diable me rassura :
« Les enfants conçus comme ça
ne font pas long feu sur la terre.
La chose un peu me désespère,
mais tu connaîtras les douleurs
de la gésine et de ses mœurs.
Pour le repos je te conseille
les charmes du bouche-à-oreille.
Ici vont vite les rumeurs.
Une bonne jamais ne meurt.
Dans la cacophonie murmurent
les sourdines de la censure.
Quand un vacarme se produit
on ne sait plus trop qui est qui,
mais je suis celui qui dépense.
Avec le son, point de carence.
Ainsi le monde fut conçu
en musique stricto sensu.
— Mais pourtant tu l’as dit toi-même :
je ne suis point mort sans baptême.
Cet incube m’a bien bluffé.
Ce qu’il voulait, et il l’a fait,
c’est mettre son truc dans ma femme
à l’endroit que nous avisâmes
elle et moi de me réserver
pour un emploi mieux indiqué.
Quand on se sent mort c’est la poisse
qui vient d’entrer dans la paroisse.
Je suis là suite à une erreur
et voilà que pour mon malheur,
le plus grand que je me connaisse,
moi qui jamais ne rate messe,
un enfant va naître de moi
et fils du diable de surcroît.
— Je te dis que je suis stérile !
Je fais tout bien mais sans le style.
Autant que j’y mette mon doigt,
mais le doigt jouir ne me fait pas.
— Elle est où donc l’erreur fatale ?
On était dans la noce anale
alors que j’étais bien vivant.
— C’est ça l’erreur, et c’est navrant.
Ah ! Tu ne comprends pas rapide !
Pour un peu j’étais dans le bide.
Je me suis cru et pour toujours
la victime d’un de ses tours !
Avec lui jamais de relâche !
— S’il l’avait commis sans panache,
j’en aurais ri sans sourciller.
Mais avant de décaniller
elle se fond en gratitudes
et en reveut pour l’habitude.
J’ai vu comme si j’y étais.
Et pourtant je baissais le nez
pendant que dans mon ouverture
le diable éprouvait ma culture.
— Chante toujours, mon vieux Verju !
La chanson française n’est plus
ce qu’elle a été à l’époque
des jeunes devenus des vioques.
Avec le temps on se sent las.
Voilà pour qui sonne le glas. »
Ainsi finit le premier acte
de cette relation exacte
représentée au tribunal.
Comme poème national,
certes on fait mieux au théâtre,
mais quand il s’agit de combattre
de la poésie les effets
sur les esprits des plus mal faits,
mieux vaut justice que critique.
Dans son fauteuil, Mulat réplique
aux attentes du grand public.
« On est ici pour faire chic,
prononce-t-elle pour la forme.
Si le public n’est pas conforme,
je le fais changer illico.
J’ai du pouvoir sur la déco.
Le mieux c’est de me laisser seule
et de fermer vos grandes gueules.
La justice n’a rien à voir
avec ces discours de foutoir.
Quand j’étais jeune j’étais pute,
j’en sais un bout sur la turlute,
sur plein de détails très cochons,
et comment qu’on fait des façons
pour mieux taxer la performance,
et même j’ai connu des transes
que si j’avais été canon
aujourd’hui je serais trognon
au lieu de me casser la tête
à juger poème et poète.
L’expérience a toujours du bon
quand il faut juger les passions.
L’enfer et ses belles descentes
j’ai connu ça adolescente.
Je me faisais accompagner.
Dans le feu on ne sait jamais.
Quand on n’a pas l’âge on est seule.
Comme on aime on pose ses meules.
Pour les poser sur la moto
et sortir bien sur la photo,
il faut regarder sans connaître
et être vue sans le paraître.
De l’enfer j’avais le secret
et du paradis le forfait.
Alors pas question de me faire
passer pour une bonne affaire.
La rime n’a pas de raison
et ce n’est pas une raison
pour s’en passer sans rien se faire
surtout que pour faire on sait faire.
Quand le mort est encore là
on peut se demander pourquoi.
Et bien c’est ce que je demande.
Poser la question à Armande
pourrait peut-être, c’est sensé,
cette instruction faire avancer.
Monsieur Verju, veuillez reprendre
la place qui vous fait attendre.
Et que madame sans délai
nous alimente de son lait. »
On vit alors la belle Armande,
dont aussitôt on redemande,
s’avancer vers l’immeuble en bois
sur lequel trônaient de guingois
les trois vestales de justice
avec au milieu en pelisse
Mulat plus tarte que jamais.
Grattant sa légion elle met
l’autre main sur un vieux grimoire
qu’elle a sorti de son armoire
pour l’occasion qui est sans mais
quelque chose à ne pas manquer.
Repoussant du menton la presse
qui était saisie d’allégresse
à la seule idée de sortir
de l’ordinaire du plaisir,
elle met ses mains en prière
et montre à tous comme il faut faire
quand on est au sommet de l’art.
« Veuillez jurer et sans retard
ce que vous savez nous le dire. »
Armande est une dure à cuire.
Cela se lit sur son faciès.
Et elle sait le pataquès.
Elle essuie une chaude larme,
montre un profil qui a du charme,
tousse pour essayer sa voix
et enfin se cloue sur la croix :
« Verju a reçu à la fête
un coup navrant dessus la tête.
Il m’est revenu tout confus,
tenant des propos décousus
tout en me caressant l’échine.
— J’ai abusé de la bibine,
reconnut-il entre les coups,
mais ce que j’ai vu entre vous
n’est pas berlue de mon cadavre.
Faut-il qu’ainsi la mort me navre ?
Où est passé ce chenapan
qui est plus vif mort que vivant ?
— Arrête plutôt de me battre
comme gendarme en son théâtre !
Je n’ai rien fait, je te le jure,
qui mérite tant de blessures.
Dans mon sommeil, je fais des rêves.
Voilà comment tu les achèves.
— Mais c’est que j’ai rêvé aussi !
Et c’était dans le même lit.
J’y revenais pour te le dire,
qu’on venait de me bien occire
et que de vie je n’avais plus
que l’idée et le superflu.
Ce que tu vois dessus ma tête
n’est point coiffure de poète,
mais bien fente avec le cerveau
qui dégouline dans mon dos.
J’ai beau crier qu’on m’assassine
et que déjà me turlupine
l’idée que c’est pour t’enculer
et de ta merde me priver,
personne un petit doigt ne lève.
Voilà comment c’est dans ton rêve !
— Ah ! Pas du tout ! Je t’ai vu mort
plus d’une fois dedans mon corps
si c’est là que je m’ensommeille,
même que quand je me réveille
je me demande si c’est vrai
et si je vais devoir payer,
mais cette nuit, pas un reproche !
La preuve est que tu me chevauches,
ce qui me surprend bien un peu
vu que même quand je le veux
par-derrière tu as tes aises
et tu voudrais que ça me plaise.
Surprise comme je l’étais
j’ai fait de mon mieux pour t’aider.
Jamais je ne l’ai vue si grosse.
Encore un peu, c’était atroce.
Mais une fois que c’était mis,
j’ai cru me voir en paradis.
— Pendant que moi, dans la fournaise,
je cherchais en vain qui te baise !
Mon tueur était dans mon lit.
« Tu es mort, pour toi c’est fini, »
me dit-il quand j’étais par terre
en train de renifler ses erres.
Je voulais savoir qui c’était
et cependant j’étais tué.
Je vis mes morceaux de cervelle
sur le pavé faire la belle
alors que moi j’étais cloué
et de surcroît pas très doué
pour me sortir de ce contexte
dont je connaissais le prétexte,
tellement que j’en enrageais
et que j’en avais mal assez
pour te haïr sans que personne,
ni même dieu, ne me raisonne.
« La vue du sang te rendra fou ! »
criai-je à mon bourreau voyou.
— Ah ! Si j’avais su qu’au derrière
c’est un autre qui fait l’affaire,
crois-moi, il aurait entendu
ce que j’ai à dire aux tordus
qui se permettent de me faire
des compliments sur mes manières.
Si ce n’était pas toi, qui c’est ?
— Lequel ? Mieux que moi tu le sais !
A qui on demande ces choses
quand on ne connaît que la cause ?
J’étais mort, je le suis toujours.
Je ne reviens pas pour l’amour.
C’est l’honneur seul qui me motive.
— Tu parles d’une initiative !
J’ai eu du plaisir par erreur.
Faut-il qualifier d’agresseur
un mec qui s’est trompé d’adresse ?
En plus tu reviens et me presse
de questions que tu sais poser
car c’est que moi qu’on veut baiser.
Si j’ai payé qu’on me rembourse
pas la monnaie, toute la bourse.
Je te dis que j’avais sommeil.
J’avais remonté le réveil
et mis à l’heure la sonnette
des fois que rentré de la fête
tu aies des envies sans merci.
Ah ! Je pense à toi moi aussi.
— Mais il est passé où ce type ?
En voilà un qui te constipe
alors qu’il vient de me tuer !
On est logique ou on se tait !
Non mais je veux qu’on me l’explique !
Qu’il me bute pour que j’abdique,
on peut comprendre, pourquoi pas.
Le monde est compliqué pour ça.
Mais une fois que je suis naze,
que pour ma peau plus rien ne gaze,
pourquoi s’en prendre à ton caca
alors que je ne suis plus là ?
— Tu ne comprends rien à la faute !
On sait comment ça se tripote.
Ou ça sort ou ça ne sort pas.
Rien à voir avec ton trépas.
Ça m’a constipée, je l’avoue.
Tu peux me frapper si j’échoue,
mais réfléchis avant d’oser :
un laxatif, du bien dosé,
te fera oublier l’offense
tout bien pesé dans la balance.
— Les morts n’oublient pas qu’ils sont morts.
Si tu sens les coups sur ton corps
c’est que toi aussi tu es morte.
Alors que le diable t’emporte !
… et là-dessus voilà qu’il sort
nu comme un ver qui n’est pas mort.
Il court ainsi dans les ruelles
de notre digne citadelle.
Les gens me demandent pourquoi.
Je réponds que je ne sais pas.
Devant ma maison on s’assemble.
On est tellement que j’en tremble.
« Il est fou, on l’a toujours su, »
dit un de ceux qui sont venus
pour faire écho à ce tapage.
« Je suis d’avis qu’on le ménage,
dit quelqu’un d’autre en me toisant.
Un homme qui perd tout son sang,
et je parle de bien connaître
ce qu’on apprend à la fenêtre,
peut encore expliquer pourquoi. »
J’explique que ce n’est pas moi.
Ensemble le dos on me tourne.
Interrogée je me retourne
et qu’est-ce que je vois dedans,
si ce n’est pas ce vieux Vatan
qui me dit qu’en sortant des chiottes
il a trouvé une culotte
non point à la taille que j’ai
mais en dessous de ce qu’il sait.
On est entre chiens de faïence
et pas du tout dans la confiance.
Je leur ferme la porte au nez.
« Si Verju nu s’est débiné
et perd son sang à grosses gouttes,
on a droit d’avoir de gros doutes
et d’exiger explications.
Que l’un de vous reste en faction
pour prévenir du gars la fuite
car ce n’est pas là qu’il habite. »
Voilà ce que j’entends dehors.
Et Vatan s’en prend à mon corps
pour reprendre du cours les choses.
« Là, mon Vatan, il faut qu’on pause.
Quand les gens posent des questions,
il faut ménager les passions. »
Et voilà comme, ô bonne dame,
je me suis retrouvée infâme
aux yeux de la population
qui n’a pas tout à fait raison
mais pas tort non plus dans l’ensemble. »
De tout son corps Armande tremble.
Mulat en haut se gratte fort
au bout du nez ce qui en sort.
L’assistance retient son souffle.
On sait bien qu’Armande camoufle
sous son aile des petits riens
qui finalement pourraient bien
changer le cours de cette affaire.
Dans le public, on désespère :
« Ah ! La vache de tremblement !
Ça lui donne des airs d’enfant.
J’en ai la dragée dans la faute
et pourtant je me la tiens haute.
Quand elle dresse le téton
je deviens dur comme béton.
Arrêtez-moi si je me trompe
et avant que le sang me rompe,
mais si enfin tout est permis
que je sois le premier admis ! »
Ce sont les plus vieux qui se branlent
quand la justice enfin s’ébranle.
Mais revenons à nos moutons.
Dans les rues court sans caleçon
notre Verju qui sans soin saigne.
L’air lourd et délétère règne
comme dans un mauvais roman.
Pour les drames c’est le moment.
Des ombres sûres se rassemblent
autour des bouches qui ressemblent
à autant de portes d’enfer.
Des parieurs croisent le fer.
Des femmes montent et descendent.
Verju entre dans la légende.
« Il fait froid quand on est à poil.
On est bien mieux dans un futal.
Monte avec moi, j’ai la chemise.
Je peux te faire une remise
vu que sans rien dessus dessous
tu n’as rien prévu pour les sous.
J’en ai connu des mecs bizarres,
que des flambeurs et des avares.
Mais pas un pour te la montrer
avant de l’affaire traiter.
J’achète comme tout le monde,
de tout et rien, pas la Joconde. »
C’est Lisette qui sur le tard
propose à Verju un costard.
Ce soir elle est tombée en panne
et pour pallier elle cancane
et jette un œil qui vaut le trip
sur ce mec qui enfile un slip
en expliquant qu’il a fragile
la peau de la chose virile.
Du coup elle a de l’affection
pour cette leçon de passion.
« Si j’en mets pas un je boutonne.
— J’aime les mecs qui se raisonnent.
— Et puis c’est propre pour sortir.
— Sans ça on redevient tapir.
— On se retourne et c’est l’école.
— On prend plaisir et on s’y colle.
— Ça fait combien que je vous dois ?
— Mais rien du tout ! Mets-y le doigt.
— Des fois je fais avec le pouce.
— Oh ! Moi, du moment qu’on me pousse… »
Et il la pousse comme il peut.
Pousser c’est ce qu’il fait de mieux.
Dans le ciel la lune est très claire.
De noirs oiseaux bâillant s’aèrent.
Pour un beau soir c’est un beau soir.
On n’a envie que de s’asseoir.
On se raconte aussi des choses,
comme elles sont blanches les roses
et qu’il serait peut-être temps
de se donner deux trois enfants,
et que des fois on a la chance,
que d’autres fois c’est ce qu’on pense.
« Ce que tu es con, mon biniou !
Tu en as pris un sacré coup !
Tu as perdu l’art et l’aisance.
Je n’envie pas ton existence.
Encore un peu et tu crevais.
On voit de l’os où c’est coupé.
Si tu veux que je te recouse
ce sera sans une piquouse.
Dis-moi si tu veux, je ferai.
J’en ai cousu des balafrés !
Du haut en bas et des châtaignes
qu’à côté ce n’est rien les beignes !
Le mec qui t’a fait ça, mon chou,
s’est servi d’un vieux coupe-chou,
un affûté avec sa rouille,
mais massif pour que ça dérouille.
Laisse-moi faire avec les doigts.
Tu serais presque mort sans moi.
— Je te dis ou plutôt je gronde
que je ne suis plus de ce monde !
J’ai perdu la vie sans vouloir.
Je suis descendu dans le noir
et j’ai causé avec le diable.
Sans lui je me mettais à table.
Cette putain donne son cul.
J’ai une chance de cocu.
— Si ramasser c’est de la chance
c’est pire que ce que je pense !
N’explique rien et penche-toi.
— Me pencher encore une fois !
Plus jamais ça ! J’en ai ma claque !
Ça fait mal et ça sent l’arnaque !
En personne je ne crois plus.
Je suis mort, ni vu ni connu.
— J’en ai appris ce soir des choses !
Et sans en connaître la cause.
Comme quoi si le fou est mort
mieux vaut ne pas rester dehors.
Je prends mes cliques sans médire
et dans mes claques je me tire. »
Lisette disparaît d’un coup.
Verju n’en revient pas du tout.
Dans le grand parc seul il demeure.
« Si je suis vivant, que je meure.
Et si je suis mort, je suis fou. »
Le disant il tombe à genoux.
Il n’a pas peur, mais ça l’angoisse.
La voix d’un vieil hibou l’agace.
« Mais pourquoi vieux si dans le noir
jeunesse sait se décevoir ?
Les bras de la nuit dans les arbres
découpent ta dalle de marbre.
Tu n’es pas fou ? Tu le deviens.
Tu n’es plus mort ? Tu le sais bien.
Verju... ? Mon ami… je te parle.
Coucou ! Verju ! Je suis le marle.
Je viens chercher ce que tu dois.
A la fin une part m’échoit.
Voilà qui est bonne justice.
Chacun reçoit selon l’abscisse. »
Verju entendant cette voix
sur la pointe de ses dix doigts
se dresse et tend sa sourde oreille
dans la nuit qui tout ensommeille.
Mais le silence est revenu
comme il était parti, pas plus.
Un silence d’oiseaux de proie,
un rien de poisson qui se noie,
vacuité du noir en couleur,
blanc aveugle de ses noirceurs.
« Comme l’angoisse est imprécise
chaque fois que je l’exorcise. »
Cette fois il ne peut tenir
sans vite se mettre à courir.
« Ici l’enfer, il est de glace.
De glaces ces puissants espaces.
Le vent est un symbole fort.
Le contraire de ton effort.
— Voix ! De qui es-tu ? Qui m’appelle
dans l’ombre de la citadelle ?
Je veux mourir, devenir fou !
— Tu es déjà bouffon, mon chou.
Et moi je suis bien le poète
qui ce soir te casse la tête,
par jeu, pour rien, pour tout savoir,
pour exister au moins un soir
et me parler comme on se charme
quand on a déposé les armes,
vivant au milieu de ces morts
qui sont le rideau du décor.
Je suis Virgile au cœur de glaise.
Sur la scène je suis à l’aise.
Je ne sais pas comment je fais
pour finalement retrouver
le sens que l’autre en pure perte
avait donné à sa disserte.
Je dois avoir un beau talent.
Je fais, je défais dans l’élan.
Je ne sais plus qui est ma mère.
Pas de jeunesse et pas de père.
Si je suis né c’est nulle part.
Il faut reconnaître ma part.
Les vierges sont mes haruspices.
Au fond il faut que j’accomplisse
une sorte de grand écart,
avec ce que je sais de l’art,
qui n’est classique ni moderne.
Je suis peut-être la lanterne
qui se balance au bout du train.
Je suis la gare un lendemain
de voyage au bout de la terre.
Je ne suis rien, je peux me taire
ou dire tout ce que je sais.
Pour toi je n’ai pas de secret,
mais d’abord il faut que tu meures.
C’est dans ta mort que je demeure.
Comprenne qui verra, Verju.
On ne te reconnaîtra plus
quand j’aurai d’un beau bleu de Prusse
coupé le frein de ton prépuce. »
Verju s’arrête là-dessus :
« Sur terre je suis revenu,
dit-il sans vraiment trop y croire.
En voilà une sale histoire !
Et maintenant j’entends des voix.
La nuit, comme purée de poix,
m’enferme dans sa folie douce.
Qui peut venir à ma rescousse
ou plutôt qui veut m’égarer ?
(Mulat demandait à l’huissier
de faire usage de la force
et même d’employer l’entorse
si le témoin, qu’on rappelait,
à témoigner se refusait.
Derrière elle dans les coulisses
on encourageait la milice,
mais Bébère veillait au grain
et d’un beau geste de la main
au souffleur fit passer la suite
du texte à propos de la fuite
qui s’était conclue dans la nuit
par le face à face fortuit
de Verju qui s’arrêta pile
sur la tranche du bon Virgile :)
« Ne pensez pas que le hasard,
qui a son importance en art,
y est, Verju, pour quelque chose,
dit la voix qui du coup s’impose.
Tout ceci est bien calculé.
Nous n’en sommes qu’à la moitié,
mais jusques ici tout se passe
comme prévu par contumace.
Quand je le prends c’est pied à pied
ce long et pénible sentier
qui va depuis la solitude
à de meilleures habitudes.
— Moi, je vous trouve un peu abstrait,
s’écrie Verju sans voir de près
ce déjà terrible adversaire
qui semble sorti de la terre
tant il brûle de dire tout.
Veuillez, monsieur, de là dessous
sortir et montrer vos usages.
A la clarté je vous engage.
Il semble en effet que la nuit
ait oublié ah ! Quel ennui !
Les bonnes façons et le reste.
Encore un peu, c’est indigeste ! »
Verju porta sa main au front,
levant la hanche comme font
au cinéma les courtisanes
en présence d’un bel organe.
Virgile engagea son museau
dans la lueur venue d’en haut.
On eût dit une douce chatte
selon ce que Verju en hâte
prit la liberté de penser.
Une patte ôta en effet
l’attente d’une feuille grise
qui sur les lèvres s’était mise.
« Les cheveux aussi sont feuillus,
plaisanta Virgile apparu
dans la lumière inexplicable.
Tout nu vous êtes adorable.
La nuit efface les moyens,
dit-il sans exposer les siens.
L’idée d’aller nu comme l’Ève
ressemble beaucoup à un rêve
que je fis pas plus tard qu’hier
entre paradis et enfer.
Voulez-vous que je vous le dise ?
Vous entrerez dans ma chemise
pour de ma chaleur profiter.
Je ne me refroidis jamais.
Je sais aussi faire des rimes
car il faut bien que l’on s’escrime
avec la fantaisie des mots
quand c’est l’enfer qui sonne faux.
Passez le seuil de cette porte
avant que le feu ne s’emporte.
A force de souffler dessus
on provoque d’étranges flux.
Ainsi jamais vous n’eûtes maille
à partir avec la trouvaille ?
— La maille est un vilain défaut
et je sais faire ce qu’il faut
pour que le bois d’œuvre conserve
les qualités que je réserve
au riche comme au pauvre aussi.
C’est le premier de mes soucis.
Là-dessus il n’y a pas de doute !
Ce n’est pas ce que je redoute.
Qui ne connaît pas son métier
il prend le risque de douter.
Ma main comme ma tête est sûre.
Les tourments qu’aujourd’hui j’endure
n’ont rien à voir avec le bois.
Il peut flamber, je suis adroit !
— Ce n’est pas ce que je veux dire.
Moi aussi j’aime, sans maudire,
les beaux métiers de l’homme fort.
Je reconnais que dans l’effort
l’esprit la belle part se taille.
Vivre comme la valetaille,
mais le poète connaît ça.
La matière est un bon en-cas.
Taillons, forgeons, et sans réserve
plions le fer qui nous préserve
d’aller chercher plus loin l’essor.
La vie se peuple de consorts
qui font plus ou moins bon ménage.
Aux métiers qui font les villages,
rien ne va mieux que l’appétit
même pour le gagne-petit.
Et puis la femme est un ouvrage
qui a aussi ses avantages.
Ébéniste, je connais ça !
Mais la maille que tu vois là
n’est pas celle qui pour ta peine
fend le cœur de ton bois d’ébène.
Approche encore et entre donc.
D’une seule voix travaillons.
La mort dont je suis l’interprète,
(car une fois mort le poète
devient l’organe de ce mal)
des métiers se fiche pas mal.
Travaille-t-on dedans la tombe ?
N’est-ce point à la vie qu’incombe
le lourd devoir d’alimenter
les vivants pour la repeupler ?
Concevons-nous une justice
qui n’engendre ni ne nourrisse ?
Certes la vie est dure mais
la mort est faite pour chômer.
Ne dit-on pas que ne rien faire,
(j’entends quand on est sur la terre)
c’est s’associer avec les morts ?
On fait ce qu’on veut de son corps.
Il n’est pas question d’esclavage.
Mais s’il faut se mettre à l’ouvrage
du coup nous sommes les premiers.
La preuve est faite, pour gagner
le bon choix c’est un bon salaire.
Mais ce pauvre mort qu’on enterre
que lui reste-t-il maintenant ?
— Je ne sais pas ! Je suis vivant !
dit Verju tâtant la chemise.
Espérez-vous que j’agonise
pour alimenter le moulin ?
Si vous voulez moudre du grain
adressez-vous au vent qui souffle.
— Votre inspiration m’époustoufle !
Vous n’êtes pas encore mort,
comme le prouve votre corps,
et vous faites des vers fort dignes.
Cet art mérite qu’on le signe.
Voici ma plume et mon bureau.
Je vous promets un fier tombeau,
monsieur qui nu entrez en scène
sortant des coulisses sans peine.
Ce vent qui souffle sur vos grains
est un chef-d’œuvre pour les reins.
Poussez à fond entre les meules.
La grande poésie se gueule !
— Voici la preuve que je suis
vivant et même mieux bâti !
On fait de bien belles rencontres
comme ce diable le démontre
malgré le manque de clarté.
Je veux qu’on vive en société
et que le travail facilite
les avantages du mérite.
Comment vous sentez-vous, monsieur,
depuis que je fais de mon mieux
pour servir d’écho à vos odes ?
— Mais fort bien je m’en accommode.
Il y avait longtemps d’ailleurs
que je n’avais, comme employeur,
aussi bien payé ma personne.
— Si en poète je raisonne,
ceci serait un avant-goût
de ce que la mort sans bagout
me réserve après l’existence.
Ne rien faire c’est, en silence,
écrire après avoir scié.
— Ce sera du plus bel effet.
Tous les morts sont de bons poètes,
qu’ils aient été anachorètes,
sybarites ou rien du tout.
Chez les morts il n’y a pas de fous.
Cette engageante perspective
ne vous inspire ni motive ?
Quand vous serez mort et bien mort,
après séparation de corps,
la poésie sera la vôtre.
Et ensuite à la bonne nôtre !
Vous et moi mais c’est du gâteau !
Laissez-vous tenter par le saut !
— Je saute mais voilà j’y pense ! »
dit Verju en rendant semence.
Il avait un peu le tournis
et dans les jambes des fourmis.
« Si je suis tombé dans un piège… »
Sur cette glose il prend un siège
et accepte une pipe en bois
que Virgile tient dans ses doigts.
Quelqu’un lui craque l’allumette
et pour le coup il fait la bête.
« Je suis un mauvais ouvrier.
Aussi je ne sais pas aimer.
Ce qu’il me faut c’est la matière,
mais la volupté me fait taire.
J’ouvre la bouche et rien ne sort.
Pour le plaisir j’ai du ressort,
mais pour le dire je m’ensuque.
— Tu n’es pas comme cet eunuque
(nous le savons maintenant que
ce procès dévoile son jeu)
qui porte sur la fesse gauche
le signe que nous sommes proches.
— J’ai vu ça sur ton beau cucul.
Mais de quel cul me parles-tu ? »
Ici Virgile fait des gestes
en agitant un pan de veste.
Il serre ses lèvres d’enfant
après avoir montré ses dents.
Il tourne dedans les orbites
les deux grands yeux qui les habitent.
« Pour un mystère c’est sérieux, »
pense Verju qui voit le feu
répandre ses langues voraces
sur ce qui bouge et qui se passe.
« Qui suis-je si je ne suis rien ?
De parler j’ai bien les moyens
mais le dire c’est autre chose.
Il n’est pas poète qui l’ose.
Vivant je dois devenir fou
et mort serais-je rien et tout
comme les chansons de Virgile ?
Le bois ce n’est pas de l’argile.
Un coup de ciseau de travers
et la rime n’a plus de vers.
Tandis que les mots sont faciles.
Même le poète est docile. »
Ici Mulat frotte son œil.
Des larmes elle a fait son deuil.
Elle a renoncé aux sous-genres,
le mélo ce n’est plus son genre
depuis si longtemps maintenant
qu’elle n’en fait plus un enfant
chaque fois que sudoripare
le témoin venu à la barre.
« Il va falloir montrer son cul,
regrette-t-elle à son insu.
On voit de tout, même des fesses,
dans le courant de nos espèces.
Voyons ensemble ces signaux.
Et distinguons le vrai du faux. »
C’est du drame l’instant suprême.
La joie du public est extrême.
On se prépare à applaudir.
Les mains se caressent le cuir.
Les fusils lorgnent les casquettes.
Un coup de trop et c’est perpète.
Verju pour la démonstration
avait quitté tous ses haillons
et montrait sur sa fesse gauche,
au public et à la basoche
(qui le voyaient, notons le fait,
pour la première fois en vrai)
le signe que nous, anagnostes,
le livre ouvert aux avant-postes,
connaissons depuis le début.
Mulat observant ces trois culs
poussa un cri dans l’atmosphère
et citant les noms des trois frères
les convoqua dans son bureau.
Le public se grattait la peau,
la poule, la pêche et le manque.
La vice-présidente manque
de peu le bas de l’escalier
et plus bas se prend le soulier
dans le fion de la sous-préfète.
La justice n’est pas parfaite,
dit la presse qui veut savoir
mais qui ne voit rien dans le noir.
Et le soleil qui se recouche
du public laisse bées les bouches.
La bobinette choit sans bruit.
Bientôt tombe sur nous la nuit.
Le ciel redonne ses étoiles.
Sur la scène tombe la toile.
Le flic jette un dernier regard
sur le parvis où en retard
Gaston les mains pleines se presse.
Le bon curé le tient en laisse.
« Il s’agirait, cher compagnon,
je dis cela sans intention,
de ne pas se laisser abattre.
Tout ceci se joue au théâtre
et non point dans un tribunal.
L’inquisition n’est pas un mal
quand c’est le poète qui chante.
Il va être minuit pétante !
Il faudra rentrer sans vélo.
L’ami Popo se couche tôt. »
Et jusqu’à l’enseigne ils titubent.
Ils pensent s’en jeter un cube
mais l’établissement est clos.
« Ah ! J’ai vu mieux question prolo
quand j’étais jeune et à l’étude.
— Ami, puisqu’on a l’aptitude
allons de ce pas nous saouler ! »
Sur la muraille du palais
une fenêtre est éclairée,
rideaux tirés sous la feuillée.
L’ombre qui bouge c’est Mulat.
« Ah ! Les mecs on me la fait pas !
Je veux bien faire du théâtre
et sans compter me mettre en quatre
alors que je suis déjà deux.
Et même tirer les cheveux
pour que ça ait un air classique.
J’en sais plus sur le priapique
que les malades du pénis.
Je veux bien desserrer la vis
pour que ça sorte sans supplice.
Vous avez vu comme en coulisse
j’ai le conseil au poil à l’œil.
Ne vous plaignez pas de l’accueil.
Et pas un sou que je demande !
Du gratos et sans contrebande.
Et je fais ça depuis toujours,
avec ou sans ou trop d’amour.
Jamais payée quand je me donne.
Ah ! Que la nation me pardonne
mais j’ai le droit d’être au courant !
J’ai encore une âme d’enfant
mais pour les pieds c’est du solide.
Ici je joue la cariatide,
les dents serrées sous le plafond
sans mise à nu de mes nichons.
Qui c’est qui dit que la manière
et moi ça fait deux chicanières ?
Non mais posez votre croupion
et réfléchissez dans le fond.
Trois culs signés ça me complique.
On a foutu la loi salique
depuis longtemps dans les égouts.
Et mes frères, ce n’est pas tout.
Moi aussi je suis cachottière.
Il faut dire que mon derrière
je suis la seule à l’avoir vu
depuis qu’au lit je ne fais plus.
Monsieur Mulat est un classique.
Il écarte et ne se complique.
Un cri étouffé, il s’endort.
Je dis ça mais pas sans remords.
Vous pouvez oublier la chose.
En confession même je n’ose.
Mais j’aurais mieux fait de me taire.
Bref , comme les trois mousquetaires
on est un de plus au menu.
C’est con mais c’est du déjà vu.
Si vous n’y voyez pas malice,
je propose qu’on s’accroupisse
et que d’un seul regard ensemble
on entérine ce qui semble. »
Voilà qui les laisse babas.
Ils pensaient subir un tabac,
et on se retrouve en famille.
Des fois de trop jouer aux quilles
on se fait mal dans les genoux.
Et puis en plus ce n’est pas tout.
On avait prévu du tragique.
A trois on est toujours logique.
A quatre on n’a pas de Dumas
le talent qu’il faut pour ne pas
sombrer dans le jus de chaussette
d’un chœur joué sous escampette.
On a des fourmis aux orteils.
L’instinct de fuite est en éveil.
On ne se sent pas très agile.
« On fait comment ? pose Virgile
qui conserve par-devers lui
le sens galopant des ennuis,
un avantage en cas de suite
à donner aux idées de fuite.
— On regarde dans le miroir,
dit Mulat qui ouvre un tiroir.
— Ah ! Celle-là, gémit Bébère,
pour terminer c’est la dernière.
— Tu deviens clair comme l’abscons.
J’ai eu beau donner des leçons
aux meilleurs esprits de ce monde,
quand l’à-peu-près en moi abonde
je deviens trouble et même obscur.
— Moi je suis bon quand je suis sûr.
— La fraternité est un leurre,
mais de la nation c’est le beurre.
La liberté c’est le dessus
de la tartine des déçus.
Je préviens pour ne pas défaire
ce que vous ne saurez refaire.
Pour l’égalité on verra
car c’est une question de droit.
— Si c’est ça causer entre frères,
avec une sœur au derrière
et un passé qui se complique,
la fin ne sera pas tragique
ni sans danger pour les esprits.
Il faudra rembourser le prix !
— Frères, cessons ces sécessions !
Veux-tu, ma sœur, que nous fessions
avant de se mettre à l’ouvrage ?
— Nous sommes des oiseaux en cage ! »
Mulat referme le tiroir.
Ça fait un bruit sec de couloir.
Dans la main droite une cravache
et dans la senestre elle crache.
« Ça va les mecs ! Je suis Marion,
une spécialiste du fion
et des plaisirs qui s’y attachent.
Avec ça je vous les arrache
les cris que vous avez dedans.
Au claquement et sans les dents.
Veuillez retirer vos culottes
et protéger vos échalotes.
J’y vais sans joie les yeux fermés.
Je ne sais plus ce que je fais
et quand je sais, dieu me pardonne !
le signe c’est moi qui le donne
comme Zorro au cinéma
avant Anouck qui préféra,
après analyse esthétique
et considérations éthiques,
l’acier trempé de son fleuret
au cuir cinglant du martinet. »
Les trois histrions sans culotte
sur une file côte à côte
placèrent leur anus devant
un affreux miroir assez grand
pour contenir leurs trois andouilles.
« Veuillez vous protéger les couilles,
gloussa Mulat suçant le bout
du fouet qui ressemblait au knout.
Je ne dis pas ça pour Bébère
qui a tout le devant derrière.
On aime ça et on se tait
tant que je n’ai rien fustigé.
On se comporte en vaillant homme.
On mérite son chromosome
en mousquetaire ou en cochon.
C’est bien mieux qu’un coup de torchon.
Si les mouchent volent encore
après un pareil oxymore
je ne suis plus ce que j’étais
et je vous livre mes secrets. »
Le fouet claque dans le silence.
Une fraction d’attente intense
et un seul cri tandis que trois
signes se forment toutefois
l’un après l’autre sur les fesses
des trois frangins qui le confessent
avant de se frotter le cul.
« Ah ! Je vous avais prévenus !
Je suis précise comme veuve.
Ça fait mal et je m’en abreuve.
Ça me donne tellement soif
que ça me fait lever le piaf !
Ne bougez pas ! Je recommence !
Vous allez voir ce que j’en pense ! »
Et comme elle lève le fouet,
ce qu’on voit net dans le reflet,
le bras, la main, les doigts d’Alice,
qui s’est inquiétée du supplice,
se referment sur le poignet
de Mulat qui un genou met
dans l’entrejambe de la flique.
« Tu veux tout savoir du clinique !
grogne Mulat en refaisant
la même chose mais devant.
Je vais augmenter ta sapience
sans rien perdre des connaissances
que j’ai acquises sur le tas
dans la joie et dans la cata.
Quand la Marion se met en quatre
le caquet il vaut mieux rabattre ! »
La pauvre Alice ne voit plus.
Mulat lui a craché dessus.
« Pour du venin c’est de l’acide !
explique la veuve arachnide.
Quand je crache je le fais bien.
Voilà pourquoi tu es un rien
et que moi j’ai trouvé ma place.
Les petits c’est de la surface.
Nous on a le trou bien profond.
Quand on le veut ça fait siphon.
C’est comme ça qu’on y arrive.
La monarchie est élective.
C’est un défaut qu’il faut pallier.
On collabore et c’est gagné ! »
Mais la Mulat n’est pas vorace.
« Ah ! Il faut bien que ça se passe,
dit-elle en tendant tous ses doigts.
Allez ! On parle et on s’assoit.
— Qu’est-ce que j’ai pris dans la gueule !
dit Alice frottant ses meules.
Je remercie pour la leçon.
— Mais pas de quoi ! C’est sans façon.
Je fais gratuit si ça va vite
mais si on insiste je bite.
Le mot paraît peut-être faux,
mais il convient à ce défaut.
Car pour biter j’ai de quoi faire.
Pendant longtemps au baptistère
on a cru que j’étais garçon
tellement que je l’avais long.
Mais puisque tu es là, ma fille,
je te présente ma famille.
Bébère en avait mais avant.
L’abolition a pris le temps.
Virgile en a mais pour les dames
il a du mal entre homme et femme.
Verju tu le connais déjà.
C’est un amateur de caca.
Pas de famille sans prodigue,
je te présente en clair mézigue. »
Alice sautait sur ses pieds
pour son bonheur manifester.
« Avec les mains c’est plus facile,
dit Mulat qui devient civile.
Tu peux aussi baiser mon cul.
On profitera de l’insu
pour constater que j’ai le signe.
Ne pas confondre avec la grigne
qui fend le tout par le milieu.
Mettez-vous là pour acter mieux. »
Et elle pousse tout le monde
sur le miroir dans la seconde.
Ici l’auteur ne voudrait point
préjuger du lecteur le groin,
mais si vous avez sous la pogne
de quoi assumer la besogne,
que ce soit conçu pour pincer
parce que là, même en reflet,
l’odeur devient insupportable.
D’ailleurs Virgile est sous la table
pour se boucher les trous de nez
avec la crasse du parquet.
Bébère le met dans un vase
ce qui l’empêche dans l’emphase
de respirer comme il devrait.
Mais pour le Verju il est vrai
que l’occasion est une aubaine.
On voit bien qu’il se rassérène
sans rien cacher de sa gaîté.
Alice n’est dans le secret
et ouvre grand par conséquence
tant les yeux que les trous qu’on pense.
Mulat soulève son habit,
fait apparaître sans hauts cris
les mollets dessus les chevilles,
car si le spectacle des quilles
n’est pas le meilleur de ces vers
ce n’est pas son pire travers.
Aux genoux Bébère est en transe
et sans tarder perd connaissance.
Et comme Alice avec raison
lève les yeux vers le plafond,
Verju qui tant n’en redemande
est le seul témoin de l’offrande.
Le fond de la cuisse est écru
et ce qui se peint là-dessus
doit au rehaut et à la pâte
plus qu’au glacis qui fait la patte.
L’habit poursuit son ascension
comme rideau d’un odéon.
Et soudain le cri qu’il expulse
sur la scène Verju propulse.
On croit qu’il n’a pu contenir
les exigences du désir.
Il n’en est rien comme le prouve
l’endroit dans lequel on le trouve.
Il n’a pas du tout enfoncé
son visage dans ce qu’on sait.
On le voit plutôt d’ordinaire
mettre son nez et ses alaires
jusqu’aux oreilles sans biaiser.
La joue à ces détails se plaît.
La tempe avoue une finesse.
Et la narine en est l’hôtesse.
Mais au lieu de ça il émet
une opinion à deux doigts près.
« Ma sœur ne porte point culotte ?
Je reconnais là une faute
tant de goût que de respect dû
à l’exigence du mordu.
Et quand je mords, je ne mordille.
Fi de la peau ! De la coquille !
Sans dentelle pas d’escargot.
Pour rien je suis mauvais cagot,
un défroqué, un faux tartufe !
Je n’aime pas que l’on me bluffe !
— Je regrette de décevoir,
fait la Mulat sans s’émouvoir.
On fait ce qu’on peut dans la vie.
Et moi je fais quand j’ai envie.
Mais la culotte il faut laver,
et pour laver faut se lever !
Ne pas en mettre il faut le faire
si on y fait dans les affaires.
Les gens qui ne font rien dedans
et qui le font quand c’est leur chant,
voilà des gens heureux de l’être
qui cul couvert peuvent paraître
et satisfaire l’amateur.
Mais moi je n’ai point ce bonheur.
Je ne jouis pas de l’avantage
ni du piston je fais usage.
C’est que je fais à tout moment.
Et ça ne rentre pas dedans !
— Mais enfin, ma sœur, la culotte
n’est pas du trop-plein l’antidote !
Ce qu’on y fait a valeur d’art.
C’est la collection des flambarts,
le marché aux puces des aises,
le soin apporté aux malaises
quand on se sent trop bien ailleurs,
et là j’en passe et des meilleurs
parce que l’art a des usages
que le commun mais n’envisage !
— Pour le commun j’y vais souvent,
précise Mulat remontant
le froc qui perd de sa souplesse.
J’y repose même mes fesses.
Des fois je lis et ça me plaît.
On a des livres au palais
même si beaucoup ça ne pèse.
J’en emporte pour l’antithèse
et je commente à travers bois.
Plus loin que ça porte ma voix,
mon cher frère au goût exotique.
— Je ne dis pas non aux expliques,
surtout quand ça vient de si haut.
Je sais me tenir s’il le faut.
Mais ce n’est pas dedans mes poches
que je transporte mes ébauches.
Sans culotte je me sens vieux.
Chez les autres je vois les yeux
et je ne sais plus où me mettre.
— Les autres mal tu interprètes.
Ce qui te manque c’est la loi.
Pour le conseil regarde-moi.
J’applique et je reviens à l’aise
à la maison où j’ai du pèze
pour faire tout ce que je veux
plus ou moins ce que je ne peux.
Au total je suis dans la mouise
mais c’est la mienne et j’analyse.
— Je n’ai pas assez réfléchi,
reconnaît Verju sans ennui.
Mais maintenant que j’y repense
de ce doute je me dispense.
Tant qu’on y est, profitons-en.
Comme ça on fait les enfants.
— Ouais mais alors deux trois minutes,
propose Mulat qu’il culbute.
Je n’étais pas venue pour ça.
Tu le vois bien le signe là ?
— Il faudrait passer à la douche.
Des signes j’en ai plein la bouche.
— Avec la langue ça devrait
se voir mieux une fois après. »
Et le frère et la sœur profitent
d’être seuls pour se donner suite.
Virgile a tout bien nettoyé
à force de bien renifler.
Bébère est presque mort en vie
et renaît sans vraiment l’envie.
Pour ces deux-là pas de souci,
ils reviennent dans le récit.
Il faut dire qu’ils sont utiles.
Pour ça on peut être tranquille.
Par contre Alice est au plus mal.
Elle a chuté sans son futal.
Allez savoir pourquoi elle ôte
le pantalon et la culotte
avant de perdre ses esprits
comme dans les romans on dit.
C’est comme ça depuis petite.
Un choc et avant qu’on se quitte
elle enlève plutôt le bas.
Mais ce chant national n’est pas
endroit propice aux analyses
qui font florès dans l’entreprise.
Virgile est en train de crever
sous la table et sur le parquet
quand Alice avant l’inconscience
descend sur sa proéminence
la ceinture et le pantalon.
Il se ramasse à croupetons,
sans rien soigner de l’apparence,
et pour se renseigner avance
non point le nez qu’il a bouché
mais ses yeux dont il veut user.
« Nous sommes cinq et non point quatre !
crie-t-il sans se laisser abattre.
Dumas n’est point au rendez-vous.
Enid Blyton est avec nous ! »
A ce cri de folle énergie,
Verju qui croit à son génie
sort ce qu’il avait mis dedans.
La Mulat qui plus rien ne sent
tourne une fois sur elle-même
et confirme dans le blasphème
que le chiffre est le numéro
qu’elle tient même de Zorro.
Bébère trouve un second souffle
et son visage se boursoufle.
Le poisson rouge du bocal
connaît bien son métier buccal.
« Nous sommes cinq et non point quatre ! »
répètent-ils comme au théâtre
tandis que mort ou sans esprits
le coryphée par terre gît.
Le joli et nu cul d’Alice
dans la lumière est un délice.
Bébère qui vient de quitter
le vase où il n’a pas noyé
ce qu’il voulait pourtant y boire,
élève comme le ciboire
ce vase qui contient de l’eau
et le penchant de bas en haut
la verse sur le beau visage
d’Alice qui de son nuage
redescend pour leur demander
ce qui a bien pu arriver
à la partie de l’uniforme
qui ne préserve plus ses formes.
On la retient de remonter
et contre rien elle ne fait.
« Tout ceci sort de l’ordinaire,
s’écrient les quatre mousquetaires.
Dumas n’est pas un compliment,
mais le club qui charmait maman
nous fera passer pour des mômes,
des poètes sans un diplôme,
des exclus de la subvention
qui alimente les passions,
des aventuriers en chambrette,
des policiers en bicyclette
à la poursuite du méchant
qui tient d’une auto le volant,
toutes ces choses populaires,
mais pas seulement rastaquouères.
A quatre on fait de la télé.
On vide les rues des cités,
mais cinq ce n’est plus du commerce,
c’est du landau et on le berce,
le mystère en plus est gratuit,
il faut rentrer avant la nuit.
Nous autres on veut être quatre !
Un loup et trois cochons folâtres.
Trois bons mousquets et un en plus.
On en avait pris l’habitus.
On avait un plan de carrière
basé sur nos quatre derrières.
Et voilà qu’elle arrive en rab !
Et nous on est les bons toubabs.
Car on ne l’a pas dit encore,
mais celle qui veut qu’on l’adore,
et qui fait baisser le niveau
rien que parce qu’elle est de trop,
cette prolo de l’accessoire,
cette émigrée en bleu est noire ! »
Ça sent la merde et la sueur.
Alice connaît du tueur,
suite à un stage de huit plombes
sur les vertus de l’outre-tombe,
les signes qui ne trompent pas.
« Tu vas l’avoir dans le baba
avant de dire ouf pour la forme, »
pense-t-elle selon la norme
qu’elle s’efforce d’observer,
regrettant d’avoir oublié
le dernier gloria à la mode
pour les cas d’ultime épisode.
Mourir n’est rien si on y croit.
Ça fait dit-on ni chaud ni froid
mais pour ça il faut la manière
et si on oublie la prière
bonjour l’angoisse et la douleur !
« Mais puisque je suis votre sœur !
s’écrie-t-elle craignant le bide.
Le geste serait fratricide.
J’en connais un bout là-dessus.
Vous allez être très déçus
par la vulgarité du crime.
Vous risquez même la déprime,
les fausses joies du placement
et des tas de médicaments
qui coupent l’envie de le faire.
Sans ça on n’est plus rien sur terre.
Je peux enseigner le bon choix
des fois qu’allez savoir pourquoi
vous auriez plus envie de faire
ce que tous les gens font sur terre
pas seulement pour en avoir.
Pour faire bien il faut vouloir. »
Et disant tout ça elle tente
de mettre un doigt sur la détente,
mais le pantalon est en bas.
« Et la ceinture dans tout ça ?
Ah ! Ce truc venu de l’enfance !
C’est plus embêtant qu’on le pense.
Je baisse avec complication.
Je n’ai pas le bras assez long.
Jamais je l’ai eu aussi mince. »
Elle tend même les deux pinces
en agitant plus de dix doigts
comme il arrive dans l’effroi,
tellement que les mousquetaires
d’un commun mouvement s’atterrent
et saisissent le pistolet
que Bébère met de côté
car il est seul de la famille
à avoir fait dans l’escadrille
des classes dignes de ce nom.
Virgile n’avait pas dit non
mais il a le pied en galoche
et de profil l’effet est moche.
Un pied dans le feu de l’action
vaut mieux que magique potion.
Verju n’avait jamais eu l’âge
suite à un bête enfantillage
dont la nature connaissons
si l’on a appris la leçon
que cette chanson nationale
dit de ses pratiques anales.
« Messieurs, je veux bien apprécier,
dit Mulat rentrant le fessier,
vos habitudes militaires,
mais vu l’ampleur de cette affaire
on pourrait se remettre au four
et sans délai travailler pour.
Nous voulons être mousquetaires
et à quatre faire l’affaire.
Comme il est dit plus haut Dumas
Dostoïevski ça ne vaut pas,
mais nous ne sommes pas si russes
qu’on en apprécie les astuces
et d’un frérot adultérin,
qui joue d’ailleurs à l’assassin,
compléter le trio typique
qui sombre dans l’allégorique.
Si cette intruse est notre sœur,
comme le prouve par malheur
cette initiale hollywoodienne,
à notre tour et non sans peine
nous sombrerons vite et à pic
dans des aventures de flics
indignes de notre âge adulte.
On est larbin mais pas inculte. »
Alice écoutant ce discours
demanda police secours
mais on n’est rien sans téléphone
même si recta on raisonne.
Elle fit un petit caca
que Verju aussitôt croqua.
Le fouet de Mulat sur ses fesses
lui rappela la bonne adresse
et dans ce sens réfléchissant
il proposa que dans le sang
enfin s’achève cette histoire.
Bébère tenant la pétoire
et sachant s’en servir déjà
fut invité à faire ça
sans mettre en retard la fratrie
qui de Dumas avait envie
et pas du tout d’Enid Blyton.
« Tire un bon coup et finissons ! »
dirent les trois qui en arrière,
dans la chaleur procédurière,
firent un pas fort décisif
en attendant que l’inventif
mette un point final à ce conte.
Bébère pourtant se confronte
à sa conscience car enfin
s’il sait se servir de ses mains
jamais il en a usé comme
d’un remède contre les hommes.
« J’ai tiré et même gagné
mais l’homme était en faux papier.
En plus cet homme est une femme,
et l’honneur veut que l’on rétame
son équivalent en civil.
Si je le fais je serais vil !
Et vil je serai mauvais juge.
Je ne veux pas qu’on me l’adjuge.
Virgile a un défaut de pied,
il sonne faux quand il s’assied,
mais rien ne dit que sa nature
n’est pas faite pour l’aventure. »
Mais Virgile refuse aussi.
« N’allez pas croire, les amis,
que l’assassinat ne m’inspire.
Des épopées j’en ai vu pire.
Je pourrais tuer des enfants
si seulement j’avais le temps.
— Ah ! Non, dit Verju sans attendre.
Jusque-là je ne veux descendre.
J’ai connu l’enfer avant vous.
Voyez si Marion après tout
n’est pas qualifiée pour la chose.
Moi le caca j’en ai ma dose ! »
Et reculent les trois frangins
en se donnant toutes les mains.
« Mais qu’est-ce que c’est que ces types ?
dit Mulat qui se fend la pipe.
Ça veut du Dumas et gratos
et ça se fait piquer son os !
A coups de fouet je vous l’achève !
Tellement qu’on croit à un rêve.
Et puis ne fermez pas les yeux.
Vous allez voir comment je veux ! »
Alice pousse un cri terrible :
« Ah ! J’ai la peau hypersensible !
Trouvez autre chose et basta !
Renseignez-vous aux usa. »
Le fouet claque mais rien ne touche.
On entend voler une mouche.
Alice attend les bras en croix.
Elle a perdu même la voix.
« Mais voyons je suis déjà morte.
Au cimetière qu’on me porte ! »
Mais c’est en vain qu’elle leur ment.
Ils attendent le bon moment.
« Au pistolet, à la cravache,
tu vas crever comme une vache !
Mais pourquoi cinq ? Pourquoi pas six ?
On avait un bon synopsis,
avec du sexe et des chapitres,
et du vrai sang à tous les litres !
On comprenait tout à la fin.
Onze pieds à l’alexandrin,
le douzième pour la salive.
Il a fallu que tu arrives,
avec ton joli cul tout noir
et ton bel accent du terroir.
On était bien en mousquetaires.
On tuait le temps en affaires.
Verju revenait de l’enfer
sans même avoir revu la mer.
Marion avait deux existences
et Mulat d’autres résidences.
Virgile faisait de l’amour
ce qu’ovidé n’a pas fait pour.
Et Bébère sans ses deux couilles
et sans le petit bout d’andouille
qui fait qu’un homme c’est un mec,
Bébère m’aimait aussi sec. »
Le mouchoir sur une main coule.
On croirait entendre une poule
qui pleure la mort de son coq
dans une tragédie ad hoc.
Dix yeux se tournent vers la porte.
« Si vous demandez que l’on sorte
parce qu’ici on est en trop
et qu’en famille les défauts
se corrigent sans la voisine,
pas de problème de doctrine,
on se recasse et on revient
et cette fois on vous prévient.
— On a un peu fêté l’occase.
La cervelle vite s’embrase
dans ces bistrots qui ouvrent tard.
Mais on n’a pas fait de pétard.
De suite on s’est mis à l’amende.
— Et maintenant on se demande
si un peu de bruit mais pas trop
n’eût pas évité quiproquo.
Des fois on tue à la bouteille,
mais moi je vous le déconseille.
— D’ailleurs on ne veut rien savoir,
au risque de vous décevoir,
de ce qui en ce lieu se passe.
Sur ce les amis on se casse. »
Les deux intrus qui conversaient
entre la porte et le palier
on l’a deviné n’étaient autres,
que le donneur de patenôtres
et le copieur d’assignations,
lesquels suspendaient leur action.
Autrement dit en d’autres termes,
le croyant donateur de sperme
et le pourvoyeur d’attendus
qui pour ça ne sont pas venus.
Voyant qu’un prêtre vient à elle
Alice tend une main frêle
et bientôt se met à baver.
Les bulles ça fait de l’effet
comme à l’écran mais en plus sale.
« Notre visite est amicale,
dit Camette en se gardant bien
de donner suite et les moyens
aux desiderata d’Alice.
Moi aussi j’ai pour la police
une grande curiosité,
ajoute-t-il sans se citer
en reluquant les fesses noires
qui ont de beaux effets de moire.
— Remarquez bien, dit le Gaston
qui s’avance mais à tâtons,
que tout ceci ne nous regarde.
— Et même qu’on n’y prend pas garde.
Continuez, jouez sans nous.
On nous attend aux douze coups. »
Mais derrière eux Marion referme
la porte dans les mêmes termes.
« Nous voilà sept, grogne Verju.
Le chiffre est faux, c’est bien connu.
Trois morts en plus sur la conscience
on va croire que pour la science
j’ai plus d’un atome crochu. »
Gaston qui se sent prévenu
jette un regard plein d’amertume
à Bébère qui se parfume
dans les volutes d’un encens
qui cherche en vain à prendre un sens
en attendant que ça se passe.
« Relativisons la menace,
dit Camette sur un genou.
Mais enfin que nous voulez-vous ?
Quand on s’en prend à la police
c’est souvent en toute justice.
Nous n’avons rien vu de si mal
qu’on n’en oublie pas l’anormal.
Pour ce qui est de la famille,
voilà que de fil en aiguille
on en sait plus et même mieux.
Mais à mon âge on se fait vieux
et ces choses perdent leur charme.
Quant à l’usage de ces armes,
nous n’en savons pas plus que vous,
car il semble que pour le coup
le drame connaît une attente
et que dans la mauvaise pente
il est en train de s’égarer.
Sans vouloir des conseils donner,
je puis au moins de mes lumières,
en dehors du plan judiciaire,
vous éclairer et vous guider
et le pire vous éviter. »
Ainsi parla le bon Camette
et content de sa pirouette
il prit place en un grand fauteuil
qui lui fit le meilleur accueil.
Gaston alluma le cigare.
Encore un coup, il est hilare.
« Nous sommes sept, nous sommes trop,
chante Verju qui cherche un pot.
Ils étaient sept et pour l’histoire
trois devaient trépasser sans gloire.
Mais qui connaît cette saga ?
Qui sait comment se termina
ce drame qui n’en est pas une
et qui cependant fit la une ?
— Moi je connais, pour l’avoir lu,
le dernier acte et même plus.
Quatre fois sur la grande place
le couperet fit la grimace.
Car le pourvoi est rejeté
avant même d’avoir été. »
Disant cela, le bon Camette,
satisfait de sa pirouette,
redemanda qu’on lui servît,
sans faire part de son avis,
un de ces fameux petits verres
qui favorisent les affaires
et participent au bonheur.
« Tuer son prochain sans tueur
est une erreur de générique.
Aucun de vous, même la flique,
n’est en mesure de tirer
sans son inconscient affecter.
Aussi voilà je vous propose
de confier cette sale chose
aux mains d’un véritable expert.
J’en connais un, tueur d’enfer,
qui par plaisir et sans monnaie
saura pratiquer cette plaie
pour le plaisir et au comptant.
Ne me demandez pas comment
à ces relations je m’abaisse,
mais il se trouve qu’à confesse
dieu n’a pas de secrets pour moi.
Pour garantir ma bonne foi
je laisse Gaston en otage.
Ne ménagez pas les breuvages
qui favorisent le bon sens.
Gaston sera reconnaissant.
De la plus belle de ses plumes
il forgera sur son enclume
le chant qui manque à votre cœur.
Pour moi ce sera un bonheur
de vous servir et de conclure
votre inoubliable aventure
par autre chose que le sang
que la guillotine consent
aux malheureux qui par bêtise
terminent mal leur entreprise
et perdent tout leur contenu
dans un panier pour ça prévu. »
Satisfait de la pirouette
se relève le bon Camette
prêt à sauter sur son vélo
pour parfaire le scénario.
« Mais Popo dort avec sa mère
et la bicyclette est derrière
la porte close du donjon
que toquer il ne fait pas bon
s’il est prisonnier de son rêve,
dit Gaston qui manque de sève.
— A confesse on veut tout savoir,
dit Camette sur l’accoudoir
remettant dans son équilibre
un vieux flacon qui se sent libre.
Quand Mulat reprend le chemin
que Marion la nuit connaît bien,
qu’elle refait par habitude
et sans excès d’exactitude,
n’use-t-elle pas d’un vélo
qui sans moteur et sans grelot
la conduit dans les lieux infâmes
où la douleur enfin l’affame ? »
Mulat rougit comme une enfant
et prisonnière du moment
cherche la clé dedans sa poche,
la trouve et gamine s’approche
du curé qui secoue le doigt
pour reprocher comme il se doit
à Marion de manquer de science
quand il s’agit de la prudence.
« Nous attendrons, ô mon bon père,
dit-elle en embrassant la pierre
qu’il porte sur son doigt majeur.
Vous comprenez bien que ma sœur,
ne peut pas vivre en mousquetaire
et que moi-même je dois faire
des concessions à l’âge adulte.
— Je comprends tout grâce à mon culte
qui est la religion du roi.
Ne bougez pas, attendez-moi,
je promets tout, je m’exécute.
Profitez de cette minute
pour mesurer la profondeur
de ce drame venu d’ailleurs,
de ce dehors qui rend les choses
si distantes de leurs vraies causes.
— Faites vite et ne trahissez
nos intentions dont le succès
dépend de son lointain mystère, »
dit Mulat que ce ministère
a transporté dans cet ailleurs.
Mais Verju se pose en censeur.
Il retient encore la manche
de l’habit et cale sa hanche
contre le dossier du fauteuil
car avant de franchir le seuil
selon lui il faut que Camette
s’il veut monter à bicyclette
doit d’abord bien se dessoûler.
« L’accident est vite arrivé, »
grogne Verju qui est en crise
et refuse de lâcher prise
tant que le curé n’est pas clair.
« Mais enfin, Verju, tu te perds ! »
dit Mulat tirant la soutane.
Et d’un puissant coup de tatane
envoie Verju dans le décor.
« De revenir je me fais fort !
s’indigne le père qui dingue
en tirant lui aussi la fringue
du côté où il va tomber.
Je l’ai dit et je le ferai !
Camette n’a qu’une parole
et il connaît très bien son rôle ! »
Mulat menace avec son fouet
Verju qui veut se relever
mais qui sur une crotte glisse
et de nouveau en l’air dévisse.
Gaston qui n’a pas tout compris
veut expliquer tout ce mépris
et pointant un doigt pédagogue
demande le chemin des gogues.
« Tu ne sortiras pas non plus, »
dit Bébère grattant l’affût
d’un ongle qui sent sa détente.
« Alors on se met dans l’attente ? »
demande Virgile voyant
que pour avancer maintenant
un vélo même au molybdène
ne suffira pas à la peine.
Un silence de mort se met
péremptoirement à régner.
On entend des oiseaux lugubres
et l’esprit devient insalubre.
Pour l’attente encore augmenter
d’une expectation de ciné
des anus croissent les dictames
et plus d’un pense rendre l’âme
sans autre forme de procès.
A genoux les trois condamnés,
soumis aux lois de la tremblote
qui fait que pas un ne fayote,
marmonnent des confiteor
attendant que les matadors,
au fouet, mains nues ou à la balle,
rendent verdict de la kabbale
qui de trois plus quatre fait un.
Le fait est que tout un chacun
sent enfin que son heure approche.
Le point de non-retour est proche.
« Sommes-nous seuls quand tout est nu
et qu’on voit qu’on est bien foutu ?
questionne Camette mains jointes
en forçant le ton de sa plainte.
Avons-nous seulement voulu
nous trouver là comme poilus
dans la tranchée qui sent la poisse ?
Et on attend que ça se passe.
Mais qui a prévu ce départ ?
Je le demande à tout hasard,
sachant que rien ici n’annonce
les prémices d’une réponse.
Je ne veux même pas prier
pour dans le ciel me retrouver
en bien meilleure compagnie
qu’ici bas sans cérémonie
la tête prise dans l’étau
de celui qui retient la faux
pour être maître de ma vie.
Moi qui rêvais d’une agonie
avec un peu de la douleur
que tout homme pour son malheur
mérite moins que son semblable
même après s’être mis à table.
Moi qui rêvais d’un croquemort
qui pour conclure bien mon sort
vidât mon corps de ses entrailles
pour de deux urnes sans mitraille
borner les marches de l’oubli.
Moi qui rêvais d’un blanc sans pli
comme la vague sur la plage
rempoche les blancs coquillages
et recommence à l’horizon
ce que déjà sait la raison.
Moi qui rêvais d’une parole
qui me donnât le dernier rôle
et emportât loin du désir
la mémoire de nos martyrs,
laissant aux poètes la place
perdue en allant à la chasse.
Moi qui rêvais et qui buvais
ne ménageant pas le chevet
ni de livres mangés d’histoire,
ni de procès inquisitoires.
Table munie d’interrupteurs
que j’actionnais dans la douleur
pour faire plaisir à la femme
qui me donna le calligramme
et l’or du temps que j’ai perdu
et que je ne retrouvais plus
juché sur une bicyclette
en m’adonnant à la branlette.
Moi qui rêvais je vais mourir.
En attendant je peux souffrir
sans que ces lanières s’appliquent
à mon échine qui rapplique
au moindre sifflet entendu.
Et je ne parle pas du cul
qui dans les plis de cette robe
à la merde ne se dérobe
tant la puanteur est sa loi.
Dispense-moi de cet exploit,
ô femme de loi que le double
habite et mon pauvre nez trouble !
Avez-vous jamais reniflé
pareil empyreume cagué ?
Vous n’êtes pas quatre mais mille !
Ici pas une drosophile
à l’expérience ne se veut
prêter sans exiger un peu.
C’est un million de lucilies
qui dans la merde communient !
Bouchez le trou qu’on vous a fait,
madame à qui on n’a rien fait !
Ou bien tirez-nous une balle
voire dans nos trois trous de balle
et mettez fin à cet enfer
qui de l’asphyxie est le vers
le plus bancal que jamais rime
eût à conclure par le crime.
Mais enfin songez-vous messieurs
au posthume de vos adieux ?
Quand on travaille pour la gloire
on n’en fait pas toute une histoire.
Et surtout pas en contraignant
la victime ou bien l’aspirant,
(je laisse le choix du baptême
à votre senti du lexème)
à crever de ne plus savoir
si c’est du vrai ou du polard.
De cette mort privée d’angoisse
acceptez qu’on nous débarrasse. »
Ce long discours fit son effet
sur les cavaliers sans mousquet.
Eux aussi pinçaient la narine
sans prononcer le mot latrine
mais très conscients de sa valeur.
« A dire vrai, ma chère sœur,
entonna Virgile sans armes,
j’avoue vous trouver bien du charme
mais pour poursuivre ce débat
qui mort mordicus en est là,
bien monsieur le curé raisonne
qui sait saigner la polissonne
comme il l’a démontré très bien.
Pour tuer avoir les moyens
il faut faucher chez les escarpes.
Il en connaît nés de la carpe
qui au Japon pond l’œuf tout cru.
Écoutons-le et même nu
laissons-le aller où il pense.
— Ah ! Il en a bien de la chance,
celui qui a compris un mot
de ce que ton poème vaut !
s’écrie Mulat battant des fesses
pour mettre fin à cette messe.
Les poètes c’est con à chier !
Rimer c’est bon pour tout rater.
Et ne vaut pas mieux l’ébéniste
qui se prend pour un exorciste.
Puisqu’il n’est pas question ici,
du moins tant que debout je suis,
d’envoyer une des victimes
chercher l’auteur de notre crime,
et qu’il n’est pas question non plus
que l’un de vous trois sache plus
sur le milieu de la justice
que ce qu’on sait dans ses coulisses,
il faudra donc que ce soit moi
qui sans le soutien de la loi
aille chercher cet homicide.
A y aller je me décide !
Et sur mon superbe vélo
que jamais sauf sur le billot
je ne prêterai fût-il prêtre
celui qui voudrait disparaître
en laissant nos traces sous lui.
Allez ! Je m’en vais dans la nuit,
je bois cet intense breuvage
et je me mets dans le veuvage.
Huit pattes c’est ce qu’il me faut.
L’insecte sait ce que je vaux ! »
Les victimes le front par terre
forment des ronds dans la poussière.
Les trois frères d’un ferme pied
promettent de bien surveiller.
Mais Marion qui dans la méfiance
ressource son intempérance
ferme la porte à double tour
et d’un troisième sans discours
condamne les lieux au silence.
Et quatre à quatre elle s’avance
dans la descente d’escalier
qui se gondole sous ses pieds.
La bicyclette est en attente
entre latrine et rossinante.
Ici s’impose explication.
Hormis les questions de factions
qui des palais sont les limites
et participent à leur mythe,
(à négliger le surhumain
on finit au mieux comme adjoint)
jamais personne ne conteste,
(pour ça on est bien trop modeste)
l’utilité des lieux communs.
C’est l’endroit où tout un chacun
peut et doit vider ses entrailles
sans se mettre dans la pagaille.
La porte porte à la hauteur des yeux
qui servent leur auteur
de la fonction les initiales.
Pas de fièvre paradoxale
sur ce sujet qui vaut de l’or
quand au ciné c’est le décor.
Dans la vie c’est le nécessaire
qui fait office d’arbitraire.
Bien sûr un WC ne vaut pas
question mythe le bel extra
d’un flic qui a bien fait son stage.
Associé à cet autre usage
on comprend mieux à quoi il sert
et qu’en privé il est offert.
Mais qu’en est-il de rossinante,
ce fier compagnon de l’errante
chevalerie qui disons-le
en France est encore le mieux
à défaut de bien sous tous angles ?
Qui veut monter bête la sangle.
A part la carpe du Japon,
le kinbaku est à l’action
ce que l’action est à l’aisance.
Certes se soulager la panse
est d’un bien fou l’acquisition.
On voit aux portes des factions
qui profitent de l’avantage
pour en revendiquer l’usage
alors que le lieu est sous clé
avec dedans un occupé.
Mais jamais de mémoire d’homme
on a vu dans notre royaume
un garde formé au serment
être victime de tourments
occasionnés par le moins grêle
et exiger sans bagatelle
qu’on lui cède avec le papier
la place que le chevalier
occupe dans les ministères.
Se réservant bien au contraire
de son opinion exprimer
dans l’urne et le plus grand secret,
le moindre de ces fonctionnaires,
en dehors de la pissotière
ou pire d’un plus gros dépôt,
ne fait usage par défaut
ni de l’acquis ni de l’égide.
Il s’en tient à ses euménides
et se garde bien de frapper
si ce n’est pas là des WC
la porte prévue par l’usage.
Or, porte dans le paysage
de ce palais il n’y avait point.
On le faisait, mais dans les coins.
Le nouveau venu pouvait croire
qu’on se fichait bien de sa poire
et las enfin de poireauter
dans un coin il se dépêchait.
Passant pour ne pas donner prise
aux critiques de l’entreprise,
il voyait pourtant un panneau
sur une porte sans marteau,
signe qu’elle n’était conçue
pour s’interposer à la vue.
Il passait ainsi son chemin
et allait faire un peu plus loin.
Mais repassant devant la lourde
il revoyait sous la lambourde
le panneau qui ne disait rien
à son esprit moins que moyen.
Mais à tout hasard et sans gêne
de le comprendre il prend la peine.
Et l’ayant lu à haute voix,
il se souvient du palefroi
qui sans hanter son existence
lui a laissé des résonances
sans toutefois le révéler
à lui-même et à ses aimés.
Il revient ensuite à son poste
de nouveau prêt à la riposte.
Un fait finit par le troubler.
Tout le monde pour y aller
prend le même chemin derrière
le grand mur qui est fait de pierre.
Chacun y va comme il le veut,
les uns s’approchent peu à peu.
D’autres franchement le franchissent.
Enfin pourvu que s’accomplisse
ce qu’on est venu faire seul,
les seuls témoins sont les tilleuls
qui font de l’ombre sur ces rites.
Pensant qu’il a ce qu’il mérite,
car il n’a pas les résultats
de ses gros efforts sur le tas,
le garde observe ce théâtre.
Ceux qui ont le teint olivâtre
reviennent avec le teint frais.
Ceux qui ont prévu le papier
n’ont pas vu grand et dans leur poche
ils en ramènent des ébauches.
Pour dire choses comme sont,
s’il faut en tirer la leçon,
ces allées et venues critiques
ne manquent jamais de logique.
Mais en regardant de plus près,
on voit que l’un des usagers
défie les lois de la méthode.
Lui aussi pressé par l’exode
que le besoin excite en soi
selon nos naturelles lois,
il y va seul et les mains vides
et revient sans cet air stupide
de celui qui s’est soulagé
et se remet à travailler
comme le fait la sentinelle
dont nous avons fait notre échelle
pour que le tour soit bien compris
même des plus mauvais esprits.
Et les mains que nous avons vues
de visu parfaitement nues
serrent les poignées d’un guidon
qui défie plus que la raison.
Cet être pousse et puis le monte
un vieux vélo qui lui fait honte.
Lors le gardien fait un salut
car il reconnaît in actu
la tronche de la présidente.
Aussitôt avec rossinante
il fait le bon rapprochement.
« Bonjour, madame, quel beau temps !
Surtout si c’est en bicyclette.
Tournez ! Tournez l’espagnolette !
A Séville quand il fait beau
on se rencontre au grand galop !
— Je vois qu’on est un peu poète,
dit Mulat pas tout à fait prête
à converser avec un con.
Pédaler la nuit c’est très bon
pour ce que j’ai dans les guiboles.
Et je trouve ça même drôle.
Essayez, vous verrez après
comment que ça fait de l’effet.
— Ah ! Mais c’est que je les ai molles
à force de faire en bagnole
ce que je pourrais faire en vrai.
— De la forme j’ai le secret
et même plus quand je me pète.
Je vous laisse à vos amourettes
et je vais me forcer le mou
sans me faire couper le chou.
— Le chou c’est quelquefois le pire ! »
Elle rit sans le contredire.
Les cons c’est con et puis c’est tout.
On ne peut pas être partout.
Cette nuit elle est à l’ouvrage.
Pas le temps de ces badinages
avec de l’échelle le bas.
Elle saute en selle et s’en va.
En haut du palais on rigole.
Contre le mur avec la fiole
on dit des choses pour sortir
mais personne ne semble ouïr
ces appels qui pourtant fébriles
devrait inquiéter le vigile.
Il vient de perdre ses esprits
à l’extérieur de son abri
car Marion en levant la patte
a démontré que la savate
a bien perdu son charme fou.
Le garde a plutôt pris un coup
de fil de fer de la culotte
et ses réflexions sur les chiottes
ont pris le chemin à l’envers.
Il dort la langue de travers,
pas content du tout de son rêve
qui la réalité achève.
Le nez en fleur sur le carreau
les six prisonniers pour leurs peaux
craignent le pire et la souffrance.
On voit que pour la vigilance
il est vain de faire du bruit
et de croire que dans la nuit
le moindre cri la foule ameute.
La nuit tout le monde se pieute,
pour dormir ou ne pas rêver.
Les autres peuvent bien crever.
Ça fera des journaux le titre
si la mort a droit au chapitre.
Et se complique le récit
que nous entreprenons ici,
car le cours là se multiplie
au fil de la chronologie.
A part le rêve du gardien
dont on sait bien qu’il ne vaut rien,
mais ce pourrait être le vôtre,
comme vous dites « quelqu’un d’autre »,
l’imagination sur trois plans
poursuit sa recherche du temps.
Là-haut derrière la fenêtre
on écoute encore le prêtre
qui ne sait rien ni de la clé
ni de ce qui va se passer
si cette nuit, nuit entre toutes,
n’a pas de fin comme il redoute.
Pas un bruit ne vient de dehors.
Silence d’or, le monde dort.
Voyez Marion à bicyclette
qui se faufile à la sauvette
dans les rues qu’elle connaît bien.
Pour l’instant rien ne la retient.
Elle ne reviendra pas seule.
A son passage un chien dégueule.
Un habitué des trottoirs
s’écarte presque sans la voir
mais il la voit et il l’appelle.
« Vieille pute ! Ma toute belle !
Je ne suis pas encore mort.
A cause de toi c’est dehors
que je reprends goût à la vie.
A mes honneurs je te convie.
Le vin ne me manquera pas.
On le dit meilleur qu’ici bas.
Mais regardez comme elle file !
Avec un vélo c’est facile.
Et moi qui ai le gosier sec.
Dans ce cas on ferme son bec
et sur le trottoir on se couche.
Mais qu’a-t-elle ? Je l’effarouche
ou c’est moi qui parle de moi
et de la nuit ne le dis pas.
Oui, c’est la nuit plutôt, bien noire
et non point ce que j’ai pu croire
quand j’ai vu passer ce vélo.
Pour rêvasser il est trop tôt.
Le malheur s’abat sur ma tête
et d’un chapeau je me sens bête !
Ah ! Boire je n’aurais pas dû !
Femme m’en voudra, c’est foutu !
Jamais ne couche avec l’ivrogne
qui ne lui fait pas belle trogne
pour réclamer satisfaction
de ce qu’il appelle passion
et qui en vérité n’est autre
que la raison où il se vautre
car il ne connaît du métier
que l’astuce et les bons côtés.
Au fait, j’ai bien vu cette femme
qui n’est mienne mais que je dame
quand à l’occasion on se voit.
Je n’ai pas la berlue, ma foi !
Je la reconnais entre toutes.
Et c’est souvent que sur ma route
je croise avec elle le fer.
Elle est ma porte de l’enfer.
Et quand je dis fer je dis rare
car j’ai des dons pour la bagarre.
Elle allait vite et à vélo.
Je suis à pied, c’est un défaut.
En allant vite j’ai des chances.
Pressons le pas dans l’espérance.
Bien sûr il faudrait aller droit.
Pour aller vite c’est la loi.
Mais j’ai trop bu et j’ai encore
une de ces soifs de pléthore !
Ah ! J’ai bien dit vélo, monsieur !
Oui, je fais dans le besogneux
et gagne plutôt bien ma croûte.
Je suis prêt pour toutes les joutes.
J’en ai vaincu de plus heureux.
Quand je veux c’est ce que je peux
et quand je peux je m’émerveille.
Ah ! Ce n’est pas demain la veille
qu’on me prendra la main dedans.
Quand je m’y mets c’est pour longtemps.
Celui qui va loin se ménage.
Connaissez-vous bien les parages ?
Il me semble que j’ai déjà
marché sur ce trottoir, oui là
où vous mettez vos pieds d’argile.
Vous affectez un air tranquille
mais sous cette terre je sens
que votre cœur manque de sang.
Les uns vous tuent, d’autres vous créent.
La vie est un conte de fées.
Quand j’en aurais fini avec
cette femme qui cloue mon bec
(voyez où j’en suis en ménage :
un oiseau fait mieux dans sa cage !)
chaque fois que je reconnais
dans l’homme l’ami qui me fait
ce que je suis quand j’abandonne.
Une partie qui se maldonne
est signe que dieu est sorti
laissant porte ouverte à la nuit.
Que voulez-vous que d’elle on fasse ?
J’en ai assez de ses grimaces
et du prix qu’il me faut payer
pour qu’elle cesse d’ennuyer
(vous connaissez l’ennui des femmes :
en voici tout le mélodrame !)
jusqu’à mes amis et mes fils !
Ici je range mon pénis
et j’ouvre une bonne bouteille
qui comme je dis émerveille
et fait de la nuit un doux lit.
Qu’on me pardonne ce délit
qui ne mérite pas instance.
Quand on est malheureux on danse
avec qui connaît le trottoir.
Vous me trouvez un peu rasoir,
mais vous ai-je par pièce jointe
demandé d’écouter ma plainte ?
Monsieur, lâchez ce bras qui est
le seul bien que je me connais !
L’autre est moins leste à la détente.
Prenez-en soin si ça vous chante ! »
L’homme qui ainsi s’exprimait,
et qui avait l’air déprimé
de celui qui dans l’aventure
a perdu quelques procédures,
c’était Vatan et le golem,
sorti tout droit de son harem,
le menait usant de sa force
dans une ambiance de divorce
qui ameuta deux ou trois ploucs
mais sans les abonner au souk.
« Encore un mot et je me planque,
dit Vatan qui était en manque.
Des fois je dis n’importe quoi.
Mais, croyez-moi, pas cette fois.
La loi est claire en la matière :
quand on se retrouve par terre
et que la femme est la raison,
on tolère que la boisson,
s’explique mieux en une phrase
que ses effets dans l’épectase.
Comprenez que par conséquent
je m’insurgeai sur le moment.
Mais maintenant qu’un ange passe
et qu’à l’abri de mes menaces
votre ordre et tout le saint-frusquin
mes châtaignes ne risquent point,
je propose qu’on me relâche
pour ne pas compliquer la tâche. »
Disant cela Vatan a l’air
de reconnaître que l’impair
n’est dû qu’à de compréhensibles
défauts du voir et du visible.
Il monte un petit escalier
et en suivant signe un papier.
Une clé cherche son passage
dans l’acier qui d’un bon graissage
manque et par deux fois fait le tour.
La lumière d’un nouveau jour
disparaît et la nuit s’installe
tandis que quelqu’un d’autre râle.
Et pour ne pas le réveiller
notre homme se met à gratter
ce qui à un tuyau ressemble.
Aussitôt le radiateur tremble.
Il ne lui faut pas très longtemps
pour comprendre que le moment
est mal choisi pour l’heuristique.
L’autre soumis au morphéique
sur sa couchette est un ressort.
En plus de sa voix de ténor
il soumet l’art et les oreilles
aux reproches de la bouteille.
Le poème a la vocation
et même connaît la passion.
Vatan qui est influençable
à ce concert gratuit s’attable
et ne trouve pas le sommeil.
Dans le noir de cet appareil
il voit des visions apparaître.
De lui-même il n’est plus le maître,
d’autant qu’il redevient conscient
dans les pires de ces moments.
« Quand c’est trop on devient lucide,
explique-t-il de l’air candide
qui est le sien quand il est paf
et ne cesse pas d’avoir soif.
Je ne sais pas à qui je cause
car les linéaments des choses
ont besoin au moins d’un filet
de lumière pour exister.
Et je n’ai pas cette allumette.
Du feu je ne suis point l’athlète.
On dit que je suis né en sang
et que le cri dont je descends
ne fut point poussé par ma langue
mais par un père tout exsangue
tant l’accouchée avait saigné.
Voilà dans quoi j’ai dû baigner
pendant ce qu’on dit de l’enfance.
On peut dire que pour la chance
j’ai un don tout particulier.
Ça, tu ne peux pas le nier.
Pour le tison ça peut attendre.
Je n’ai pas de clope à défendre.
Mais si tu veux faire couler
un contenu pour partager
et de là rompre ce silence,
je suis avec toi jusqu’à l’anse !
Et je te laisse le goulot
si tu me cèdes le culot.
Fait-il jamais jour dans ce bouge ?
Et arrive-t-il que tu bouges
à part ce pied qui fait ressort
et ce discours d’où rien ne sort ?
Dans ce noir le couteau Bowie
donne du sens à ton envie
de régler toute la question
par une entière suppression.
Mais connais-tu cette légende
ami dont frémissent les glandes
quand vient le temps de dire non
à ce monde qui dit son nom ?
Tu n’auras pas même à l’amiable
ton combat sur le banc de sable.
Ami ne me laisse pas seul !
Je n’ai pas le goût du people.
Je ne sais pas qui t’ensommeille
mais je connais qui me réveille. »
Pendant que Vatan seul tremblait
dans le mitard des assoiffés,
Marion sur son vélo véloce
sur la route croisait les gosses
qu’on amenait aux abattoirs.
Elle questionna le trottoir
et tomba enfin sur Lisette.
« J’ai foutu dehors ce poète,
dit celle-ci pour rencarder.
La culotte quand c’est bien fait
je ne dis pas non et je flippe.
Je respecte tous les principes
de l’industrie et même plus.
J’aime l’habens pas le minus.
Le goût a besoin d’un arbitre,
pas d’un ingrat qui fait le pitre
avec le slip d’un bout de chou
qui de la vie sait déjà tout
alors que quand on n’a pas l’âge
on est faite pour l’affichage
sans acte et sans rien d’autre à voir.
Il en faut peu pour m’émouvoir,
aussi je l’ai mis à la porte
des fois qu’en mal je ne m’emporte.
Vous le trouverez chez Lulu
à moins qu’il n’y soit déjà plus.
Que peut faire un mec sans fortune
d’une souillon qu’il importune ?
Des slips j’en connais mais des vieux,
chercher ailleurs vous ferez mieux. »
Marion sur son vélo ressaute.
Elle en a mal à la marmotte.
Les vélos d’homme et d’occasion
ont deux défauts sans crevaison.
Elle craint les clous des chaussées
mais jette un œil aux gynécées
des fois que Vatan dans un trip
ait trouvé la reine du slip.
Chez Lulu on lui fait la gueule.
« A t’informer tu n’es pas seule,
dit une grosse comme un tas.
— Non mais des fois ! Ne me dis pas
que je suis aussi la dernière !
— Et quoi ! Je ne suis pas ta mère !
Quand je dis tout on me refait.
Et quand je ne dis rien on sait.
— Moi aussi, Vénus, j’ai mes règles.
Et quand je saigne j’en dérègle
et des pas nés sans privation.
Le talent n’est pas la passion
mais sans passion on est des caves,
les pieds dans l’eau comme le zouave.
Si tu ne sais rien je te mords
et si tu sais fais un effort !
Sur le dos j’ai la grosse affaire,
pas vraiment du diamantifère,
mais si tu viens je te vernis.
— Mais je n’ai encore rien dit !
Tu vas vite et on perd la boule.
Les mecs c’est fait pour qu’on les soûle.
Je l’ai fait mais je ne sais plus
qui était ce bel inconnu.
— Ah ! Mais tu te fous de ma gueule !
Je vais t’en mettre plein les meules.
Et pas deux trois comme tu veux !
Aller au bout du licencieux
c’est plus que du pain sur la planche.
Je suis l’as des effets de manche.
Montons là-haut pour discuter.
— Tu es un chou quand tu t’y mets !
Tu me diras pour la prière.
Pour le par cœur j’ai l’ouvrière.
— Je fais confiance à tes secrets.
— Tu m’en mettras sur les nénés
et des pas trop forts sur la tronche.
— Je vais te souffler dans les bronches,
avec des airs que les chanter
c’est tout ce qu’on peut se souhaiter,
comme un chef de service en rogne
qui s’est fait marteler les pognes
parce que tu n’y connais rien.
— Moi ce que j’aime c’est le bien
qu’on se fait quand on n’a plus l’âge.
Surtout, Marion, rien ne ménage.
Vas-y franco et sans le port.
— Tu sais que j’aime les efforts,
mais quand tu auras bien ton compte,
il faudra qu’enfin tu me contes
ce que tu as fait de Vatan.
— Tu peux compter ! Et du comptant ! »
Là-dessus les deux garces montent,
l’une devant baissant ses fontes,
l’autre lui coupant le jarret
de l’appendice de son fouet.
« C’est pas tous les jours que je paye,
mais il faut bien que je débraye.
Ah ! La Lulu elle a bon cœur.
J’ai même eu droit à l’accoucheur,
un qui le fait mais sans baptême,
même que quand j’ai eu l’énième,
avec perlouze ou bien Totor,
il a ligaturé les cors,
et je suis repartie en chasse
pour finir de rompre la glace.
— Mets-toi à poil et ferme-la !
J’ai laissé mon vélo en bas.
Je ne voudrais pas qu’on le fauche
et que j’y soye de ma poche.
— J’envoie Totor faire le pet.
Ah ! Faudrait avoir du toupet
pour chouraver la présidente !
— Mets-la en veilleuse, ma tante,
et reçois ce premier cadeau !
— Ah ! C’est bon en plein sur la peau ! »
Laissons Marion à son office
et revenons dans la police.
Vatan est toujours dans le noir.
C’est la couleur d’un bon polar,
mais sans lumière on fait des rêves
et dieu sait que les nuits sont brèves,
ou bien on garde l’œil ouvert
sans de l’endroit ni de l’envers
pouvoir dire enfin quelque chose.
La gorge à sec veut qu’on l’arrose
mais la salive mise à part
on est mesquin pour le taulard.
L’autre qui est de la famille
n’a plus soif et calme roupille.
Il a l’odeur qu’on sent l’hiver
quand on prétend faire des vers
pour se soigner à la va-vite
de l’intérieur où on habite.
Des fois on sort et dans le vent
qui mouille le nez mort vivant
dans une feuille morte on mouche
et aussi sec on se recouche.
On rit parce qu’on n’est pas seul.
Dans le jardin les épagneuls
se ressemblent comme des gouttes.
Ça boit et ça casse la croûte
dessus des chaises sans coussin.
Dehors c’est déjà le matin
et quand on rentre sous la lune
on n’a pas ni de la rancune
pour ceux qui se portent sans nous.
En avoir ou pas des genoux
c’est la question que le théâtre
pose aux chiens qui veulent se battre
mais après que retombé soit
le rideau qui sacre les rois.
« De la poésie tu veux faire ?
dit l’autre qui se désespère
venant de perdre le sommeil.
Dans le malheur je fais pareil.
Il faut que ma gorge soit sèche
et la peau de la langue rêche
pour retrouver l’inspiration.
Sinon le vin fait la fonction.
C’est l’un ou l’autre, c’est tout comme
la nuit et le jour chez les hommes,
à ceci près que chez les chiens
ce sont les mots qui font du bien,
le mal pesant de son silence.
Ah ! Si je connais ça, tu penses !
J’ai essayé par tous les bouts.
Du Rimbaud, du Brassens et tout
ce que j’ai trouvé dans la rue
chaque fois en tombant des nues
comme qui croyait tout savoir
à force de broyer du noir.
Des années je pourrais te dire
si je n’avais pas connu pire !
Le cœur de la terre est en fer,
comme quoi ce n’est pas l’enfer,
mais le cœur de l’homme est en vie,
c’est le paradis de l’envie. »
Le vieux avait l’air d’être assis.
Vatan était assis aussi.
« Pour le coup je n’ai rien à boire,
dit-il comme si pour y croire
il fallait que quelqu’un soit là.
— On reboira et puis voilà !
Pourquoi se biler avant l’âge ?
e suis l’idiot de mon village.
Comme de juste c’est Léon
qui te cause d’accordéon,
sans l’accordéon je t’accorde,
mais tu as fait vibrer ma corde.
Toi tu as bu, moi j’ai tué.
Nos instruments faut accorder
sinon on joue la différence
et on se voit des préférences.
Pour trucider je bois beaucoup.
Deux ou trois fois j’ai fait le coup.
Plutôt trois mais peut-être quatre.
On verra avec le psychiatre.
J’ai la série dedans la peau.
La nature fait les cadeaux.
On ne choisit pas de les rendre.
Pour en finir il faut attendre
que le hasard y mette un point.
Tu en es où du popotin ?
— Pour en avoir comme le monde
il faut jouer dedans l’immonde.
J’ai trouvé un truc par hasard
et je m’y tiens comme césar.
— Tu es cultivé dans l’histoire !
Je m’en tiens à l’exécutoire.
Tout est devant et même après.
On voit ça dans tous les procès.
C’est vite fait et pour la place
ça n’en prend pas et ça décrasse.
Tu verras un jour le couteau
en photo dans tous les journaux.
Du pur Bowie mais sans le manche,
avec une lame qui tranche
des deux côtés du trou qu’on fait.
Le rouge est du plus bel effet.
La douleur n’est pas mon affaire.
Avec la main je la fais taire.
S’il y a des mots je me fais fort
d’être le premier à l’effort.
Toi tu te donnes en spectacle.
Tu dois croire un peu aux miracles.
Je suis d’un réalisme obtus.
La scène est réduite au fœtus.
Toi tu es comme le vers libre,
ne tuant rien de l’équilibre
et surtout pas la voix du mort
qui veut paraître dans l’effort.
Moi j’ai la rime léonine,
à la perfection je m’échine.
La plaie est nette comme un fil.
Je soigne même le sourcil
si la victime est une femme
et je connais toute la gamme,
en huit, en douze et même plus.
Je la tisse dans le byssus.
Du viol je ne peux rien en dire
car si je joins sans m’interdire
au geste l’acte du climax,
je m’en tiens toujours à l’hapax.
— Je dois dire que la culotte
à côté c’est de la gnognotte.
Car la nature de ce sang
ne doit rien à ce que je sens
à force d’y penser et même
d’en retrouver le théorème.
Ce sang n’a pas la même odeur.
Aucune plaie pour mon bonheur
ne le produit ni ne l’étale.
D’Isabelle j’ai la fringale.
Pas un cheveu ne toucherai
sur cette tête qu’il est vrai
j’adore aussi pour son enfance.
C’est là toute la différence.
— Ah ! Mais là tu parles d’amour !
Et des façons qu’on met autour
pour que ça ressemble à la femme.
J’en connais l’usage et m’affame
plutôt que d’y céder de go.
Et j’en épargne mon ego
dans d’incroyables perspectives !
Je ne veux point d’alternative,
car mon chemin est tout tracé.
Certes je suis bien arrêté
et si donc rien on ne me coupe
je serai exact à la soupe
et même au lit pour en rêver.
Je ne mourrai pas sans passé.
La consolation est poussive
mais dans ces cas on se motive.
— Alors merci pour la leçon !
Il faut connaître la chanson
avant de faire le mariole.
Maintenant je connais mon rôle.
Je fais des vers comme on en rit.
Au matin je serai sorti
avec le papier d’une amende
et les mots d’une réprimande.
Et puis je recommencerai.
Ainsi je ne me suis pas fait.
On m’a fait et je me supporte.
Voyez comme je me comporte.
Une culotte, un peu de sang,
et dans la rue je me descends
à la bouteille et à la blanche.
C’est peu de chose dans ma branche.
— Chacun son poème et son vers.
En une fois le fait divers
détermine toute une vie.
Tu recommences, je convie.
Ton casier bouffe du papier.
Le mien en un mot tient entier.
Ta fête dure et on m’enferme
à peu près dans les mêmes termes.
Mais n’en pleurons, car au final
dans le cagot municipal
ni toi ni moi tombés ne sommes.
Ce qui s’appelle être des hommes
et non Vercey ou bien Fournier
qui ont le cul bien mal léché.
Nous les ferons, dedans l’histoire,
entrer comme suppositoires
afin que dans le grand colon
ils trouvent le temps un peu long. »
Et pendant que nos deux poètes,
Léon l’idiot qui à perpète
peaufinera sa perfection,
et Vatan qui de la passion
connaît un détail fort utile,
en haut du palais pas tranquilles,
nos six prisonniers attendaient,
trois qu’on vienne les libérer
et trois autres qui incapables
de perpétrer sur leurs semblables
l’irréversible et sa leçon,
leur faisaient la conversation.
Bébère recomptait les balles
dans la paume de sa main sale.
Verju essayait de donner
à son reflet des coups de fouet.
Virgile qui était sans arme
sur lui même versait ses larmes.
« Attention avec ce joujou,
dit Alice pressant le mou.
Les pétards n’ont pas de cervelle.
Leurs décisions sont casuelles.
Ça part même si on veut pas.
En stage j’ai étudié ça.
Ils en font même intelligentes
mais ça ne vaut pas qu’on commente.
J’ai vu un pouce mis en vrac
dans les coulisses de la bac,
un genou privé de rotule
suite à un manque d’opuscule,
et il s’en est fallu de peu
que moi-même je fasse mieux.
— Les trucs qui tuent ça émascule,
dit Bébère qui le simule
en faisant avec ses grands bras
des gestes qu’on ne comprend pas.
Ah ! Je ne conseille à personne
d’être obligé qu’on les lui clone.
Heureusement, Gaston en a.
Sinon je ne serais pas là
à attendre que ça arrive.
On fera bien dans les archives
et c’est peut-être mieux ainsi.
Que quelqu’un voie si j’ai durci.
Des fois la mort fait des miracles
si rien de vrai n’y fait obstacle.
— Les fous ça m’a fait toujours peur ! »
dit Gaston qui manque d’ardeur.
Mais plus il ne peut pas en dire
tellement il ne veut s’instruire.
« Mes enfants nous ne sommes plus,
prie Camette qui sent le flux
entre ses jambes faire flaque.
De poireauter j’en ai ma claque.
Si quelqu’un veut se confesser
qu’il aille, moi je vais danser ! »
Et il se lève dans sa pisse
en se secouant la saucisse
qui sur Alice fait le jet.
« Ah ! Je ne suis pas un objet !
crie-t-elle en se prenant les pattes
dans le pantalon qui épate
(il faut voir comme il les a bleus
les orifices de ses yeux)
le curé toujours à l’office.
J’ai toujours rêvé qu’on me pisse
dessus avec amour et tout,
mais là mon père on est sans goût !
— Ne me dis pas que ma biroute
à ce point ton esprit déroute !
J’ai du centimètre en rabiot
et pour le reste ce qu’il faut. Tiens je te montre
pour l’occase !
— Il est devenu fou, ce naze !
Je veux être abusée en faux !
Et avant consulter l’info.
— L’Afrique c’est le cœur du monde.
Cette terre en vierges abonde.
A côté on est riquiqui.
Ils ont les diplômes requis.
J’en ai vu quand j’étais plus jeune.
Tu sais avec quoi on déjeune ?
Un enfant à tous les repas.
Et l’église ne s’en plaint pas.
Baigne-moi ça dans la salive.
Les noirs c’est con mais ça cultive ! »
Heureusement un coup de fouet
met le ratichon à l’arrêt.
Il a même le bout qui saigne
et un gros bleu sur les châtaignes.
Il saute partout comme un chat
qui se prend pour un beau dada
depuis que coule sa cervelle
suite à un grand coup de truelle.
« Tu t’en souviens ? Maudit curé,
dit le diable ressuscité.
— Je m’en souviens et je regrette !
Je n’avais pas toute ma tête.
Je bossais sur ce sacré toit
et qui voilà ? Monsieur le chat,
qui veut que son dos on caresse
sinon il dit tout pour l’abbesse.
Tuer ça ne prend pas de temps.
On passe même un bon moment.
Non mais quelle était ton idée ?
J’avais la truelle citée
dans une main et dans le seau
le ciment tout frais d’un tombeau
à la dimension de ce diable.
Entre deux tuiles adaptables
son cadavre pouvait tenir.
Alors je le laisse venir.
Il me propose son échine.
Sur le câlin je ne lésine.
J’en viens même à éjaculer
et là-dessus je vais glisser
quand Jésus de son bras solide
m’épargne une chute perfide
qui eût mérité des questions
car j’avais la queue en faction.
Du coup me prend une colère
qui encore me désespère.
Je lève la truelle en l’air
comme si j’entrais en enfer
et elle s’abat très mortelle
sur le crâne de ce rebelle
qui répand le gris du cortex
sur la tuile de mon duplex.
Ah ! Tu te venges sale bête
en venant devant le poète
rejouer le dernier tableau.
Le fouet m’a écorché la peau.
Ça me fait un mal dysphorique
qui augmente le priapique.
Je vais bander toute la nuit
encore sans me mettre au lit.
La souffrance n’est pas un rêve
et de sa majesté j’en crève.
Même Marion qui s’y connaît
jamais ce coup n’aurait osé.
Va de retro maudite bête !
Des années que ce con m’embête.
Si je pouvais mais je ne peux !
Je suis un curé malheureux.
Et l’abbesse est morte d’angoisse
sans même faire la grimace.
Jésus pourquoi m’as-tu sauvé ?
Cette mort je la méritais.
Le diable ce n’est pas sur terre
qu’il faut lui mettre dans sa paire
ce qu’il mérite de l’humain.
Là-haut, crois-moi, je saurais bien
lui défoncer la brèche anale
et mettre en pièces sa caudale.
Dans le mystère de ta voix
je cherche les raisons du choix
qui me condamne à ces félines
commémorations de ma pine.
— Moi je veux bien ! Je suis hors jeu !
murmure Alice dans le vieux.
Chez nous aussi on a un diable,
un séducteur qui met la table,
un grand Satan aux cheveux blancs
qui s’amuse avec les enfants.
Donne-moi ça et puis respire.
Tout ça il fallait me le dire
avant de proposer en dur.
Si ça fait mal, mets-le moi sur,
et si c’est bien dedans la fourre.
Il a fallu que tu te goures !
Mets la charrue avant les bœufs
mais pas la poule après les œufs.
Mais c’est fini, on recommence.
Voyons ce que vaut la semence
des repentis du colonial.
Si je crie c’est que c’est pas mal,
mais si je me tais on se quitte,
pas bons amis mais en ermite.
La religion a des couleurs
que l’arc-en-ciel, pour son bonheur,
ne connaît pas comme on sait vivre.
Voilà comment on se délivre. »
Maintenant dans le noir cachot,
c’est Léon qui manque de mots
pour exprimer la solitude.
Le noir il en a l’habitude.
Parler à des ombres aussi.
Et souvent même c’est concis,
si bien que ça ne veut rien dire,
ou ça demande, ça inspire,
et ça retombe dans l’oubli.
Ainsi on ne fait pas un pli.
Glisser sur la peau de personne,
les yeux fermés comme Antigone,
il fait ça tous les jours Léon
et le refera en prison.
Vatan qui veut dormir l’écoute
mais se voit déjà sur la route
avec un vieux sac sur le dos
et une Amérique en cadeau.
« Seul et dehors, c’est mieux pour l’homme
qui a reconnu les prodromes
de ce qui finira enfin
par donner tort aux carabins.
Seul et dedans et à perpète
et bien à l’abri des tempêtes
qui agitent le genre humain,
si c’est écrire des bouquins
qu’on veut se donner pour fringale,
elle est pourrie ta martingale.
Tu peux changer de casino,
en parler à tous les journaux
et faire ficher ta trombine.
On ne vit pas, on s’achemine.
Comme on l’écrit en machadien
si le chemin est un chemin
c’est que tu te trompes de route.
Sinon il faut gagner sa croûte
et secréter dans l’isoloir.
— Tu parles obscur dans le noir.
Ça arrive aux plus perspicaces
dès qu’on les jette dans l’espace
où il faut attendre et rêver
en empilant sur le chevet
les souvenirs et les études.
Et attention à l’inquiétude
qui fauche mieux que le repos
et d’un homme fait un cagot.
Demain nos routes se séparent.
Tu retournes à la bagarre
et moi j’assiste à mon procès.
L’un et l’autre on est dans l’excès.
Moi dans le temps irréversible
et toi dans le monde visible
qui peut changer, mais c’est pour quand ?
Ne m’oublie pas, mon cher Vatan.
Si jamais tu commets un crime,
explique-le sans la victime.
Devant la nuit demeure seul,
pas un enfant, pas un aïeul,
et surtout pas ce que la femme
verse en douce dans nos dictames.
La souffrance jette les dés
avant notre destin fixer.
Mais si tu veux, je t’assassine
sans même savoir ta trombine.
Je fais ça comme on ne fait rien.
Je rends service et je fais bien.
Et pour que ça ne soit pas drôle,
je te supprime la parole.
Dans le noir on fait ce qu’on veut.
Et on le fait si on est deux.
Je n’aime pas qu’on me suicide.
Le vrai crime est un homicide.
Se tuer soi-même avec rien
à la solitude revient
et à l’horizon pas un homme !
Tu connais un meilleur royaume
que l’homme lui-même et à deux ?
A ce monde fait tes adieux,
et ne cherche pas à me dire
ce que personne ne t’inspire !
Et laisse-moi faire le mal,
ce qu’ils appellent l’immoral.
— Moi aussi quand je suis en manque,
je me prends pour un saltimbanque !
Je montre l’ours à l’ouvrier
et au bourgeois je vends l’herbier.
Les rendez-vous sont sur la place.
Je n’en connais que la préface.
Et merde pour ce que je suis !
Si je ne sais rien je traduis.
— C’est dingue ce que tu t’accroches !
Sans arme et même sans valoche !
C’est que tu ne veux pas crever.
Tu te fous pas mal de rêver.
Chaque fois que tu t’ensommeilles
tu maudis l’âge de ta vieille.
Le sommeil c’est du temps perdu.
On est vraiment bien mal foutu.
Pour le travail et la licence
on est construit sans connaissance.
Avec ces mains je te refais
comme moi-même je ne sais.
Tu souffriras une minute.
C’est peu payer pour une pute
que tu ne reverras jamais.
Tu veux savoir comment je sais ? »
Chez Lulu aussi le dialogue
prenait des dehors d’épilogue.
Le corps de Vénus est en sang
mais le fouet continue cinglant
de chercher l’os et la nature
sous la peau qui se dénature.
Vénus se sent comme à l’hôtel.
Pour profiter du gestuel
et du savoir des domestiques
rien ne vaut de bons coups de trique
et dans les endroits qu’on ne voit
pour ainsi dire pas chez soi.
Quand pour le plaisir on invite
l’art ne connaît pas de limites.
Marion donne un coup de chiffon
avec le style des garçons
qui pour servir sont des lumières
et sans secouer la poussière.
Pour le balai c’est dans les coins
et elle y met aussi le poing.
Bref du plaisir qui fait limite
et garantit la réussite
à la torture on est passé
et Vénus a bien dégusté.
D’ailleurs elle respire à peine
et se sent maintenant chrétienne.
Pour Vatan elle voudrait bien
savoir si tous les poils pubiens
que Marion lui prend à l’arrache
serviront la cause et la tâche.
« J’en avais et je n’en ai plus,
gémit-elle crachant du pus.
Je n’aurai plus besoin du peigne
pour me débarrasser des teignes.
Mais je le garde à tout hasard
des fois que prévu a ton art
de me laisser dessus la tête
les cheveux que depuis lurette
je porte comme un vieux signal.
Par contre ça me ferait mal
si je perdais sous les aisselles
les poils qui toujours font la belle
quand j’ai sué dans les efforts
surtout quand les mecs c’est des morts.
La main je l’ai toujours eue lisse,
le dit ma fiche de police.
J’en ai commis des vrais impairs.
Et tellement que j’en ai l’air.
Je n’ai jamais trahi personne !
Pour ça je porte une couronne
et j’y tiens comme si c’était
un objet de curiosité.
— C’est terrible quand on fatigue
et qu’on n’a pas fini l’intrigue !
râle Marion changeant de bras.
Puisque parler tu ne veux pas,
je suppose qu’à l’existence
tu ne tiens pas comme tu penses.
J’irai me renseigner ailleurs.
— Mais tu iras où, ma consœur ?
Quand ça presse les nuits sont fraîches.
Tu es réchauffée mais n’empêche.
Si quelqu’un sait où est Vatan
ne cherche plus, tu l’as devant !
A tout te dire j’étais prête.
J’en avais l’eau sur la languette.
Ça me démangeait sous la peau.
Mais trop c’est trop et puis rideau !
Fais de moi un exquis cadavre.
Je le regrette et je m’en navre.
Mais de Vatan tu ne sauras
ni le début d’un aléa.
J’en fais quoi, moi, de ces peaux mortes ?
Au fond qu’est-ce que ça rapporte ?
Car c’est ici la vraie question
nous dit Racine sans passion.
Des mois, peut-être des années
qu’il faudrait pour que retapée
je retourne enfin au futur.
Je dis peut-être et rien n’est sûr. »
Et puis voilà, ainsi de suite.
Le récit explore ses rites
et que ça finisse on attend.
Les bons vers ménagent le temps.
Sur les trois endroits de la scène,
n’importe comment qu’on s’y prenne,
il faut bien que d’un point commun
du tout on ne fasse plus qu’un
sinon la chanson s’éternise
et le public dans sa remise
retourne non sans exiger
qu’on lui rembourse le billet.
Et nous voici avec la lampe
éclairant les feux de la rampe,
comportement on l’avouera
peu digne d’un si beau caca.
Donc éteignons cette lumière
et revenons, mais par-derrière,
autrement dit, en termes clairs,
par les coulisses de l’enfer.
D’ailleurs dans son abri agame
le souffleur a rendu son âme.
En fait nous n’attendons plus rien,
ni du dialogue des putains,
dont l’une veut achever l’autre,
ni des oiseuses patenôtres
qu’au palais on romance un peu,
ni même de ce que nos deux
taulards sans se voir négocient.
Nous serions dans l’ataraxie
après tant d’alternance au vers
et de rimes au fait divers.
La situation est banale.
On voit ça dans toutes les salles
et surtout dans les cinémas.
Le public sait qu’il ne sait pas,
et il a beau dans sa mémoire
les trucs importants de l’histoire
réviser en vitesse car
sur l’écran voilà ça repart,
il n’a pas trouvé la bricole
qui va lui remettre la fiole
sur le cou qu’il avait plié
pour sur le plan un œil jeter.
Et en effet la sentinelle
que Mulat se mettant en selle
a empêché de respirer
vient à peine de retrouver
sinon l’esprit du moins la face
qui s’éveillant fait la grimace.
Cette moue ne s’adresse pas
au jour qui devrait être là
pour mettre fin à la nuitée
et faire payer la journée
pour à la maison s’adonner
sans aucunement se priver
aux joies qui toujours s’y attachent.
Non, si notre vigile arrache,
non sans marquer quelques arrêts,
une grimace à son portrait
(un bâillement c’est trop peu dire
de ce qu’ainsi il nous inspire)
c’est qu’il voit bien à son poignet
que l’heure n’a pas avancé.
Un coup de feu fait qu’il se dresse
et que même il tâte sa fesse.
Et son cerveau lui dit enfin
que c’est le second ce matin.
Il frappe du pied sur la dalle
et se fracture l’astragale.
Il va crier qu’il a très mal
quand un troisième coup fatal
perce le meneau d’une vitre.
Il porte la main à son litre
pour vérifier le contenu
qui bringuebale au ras du cul.
Il en reste assez pour le dire.
Il est déjà dans le martyre
qui affecte les policiers
quand ce n’est plus sur le papier
que ça se passe mais sur place.
Et ça déforme sa grimace.
Il dégaine son pistolet
et décroche le cran d’arrêt.
Puis, plus rien, les bruits du silence,
les feuilles qui en l’air s’élancent
et retombent sur le pavé.
Dans ces moments, on croit rêver.
Il refait mal à l’astragale
comme s’il était en cavale,
serre les dents et le sphincter,
dessous il est dur comme fer
et tire à blanc dans la culotte
où le testicule boulotte.
« Si ce n’est rien, je reviendrai.
Une fois je l’ai déjà fait.
Ça m’a valu une médaille
que même dans la valetaille
elle a certaine la valeur.
Il ne faut pas se faire peur,
mais si c’est l’autre qui se taille
il faut engager la bataille
et ne pas craindre dans le dos
de lui mettre bien ce qu’il faut ! »
Seulement il ne vient personne.
Et le factionnaire résonne.
« Sans dos nous voilà bien foutus !
Dans le règlement c’est prévu,
c’est même décrit en trois phases
dont la première est bien la base.
Certes mais c’est de l’abstraction.
Et nous voilà sans solution !
Dans la fonction on se biture
et c’est quelquefois l’aventure.
Mais on n’est pas payé pour ça.
Si quelque chose ne va pas,
on peut retrouver la pointure
par le jeu des demi-mesures.
Le règlement est notre loi
et l’usage a sa bonne foi.
Si on n’est pas seul le stagiaire
peut servir de bouc émissaire
et sans stagiaire on a le bleu,
de la fonction le cul-terreux.
Sur ce sujet les circulaires
sont avisées et même claires.
Le rond sans le cuir c’est mesquin
et le cuir doit être fait main.
Voilà de notre politique
la raison et l’assertorique.
Ce sont de notre fondation
les principes et la chanson.
Nous travaillons pour la retraite
car l’existence est ainsi faite.
Point à la ligne et puis c’est tout !
La poésie parle pour nous
du premier barreau de l’échelle
aux oasis du CNL.
L’échelle est en forme de croix
et même de plus près on voit
que sans tomber dans le symbole
la croix est notre parabole.
Nous en avons pour tous les trous,
les grands, les petits et les mous.
Au morpion on est imbattable
et notamment dessous la table.
D’un geste nous tirons le trait.
C’est bien beau de vivre cloîtré,
encore faut-il la soupape
actionner sinon ça dérape
dans l’abus de médicament
dont le pastis est l’ingrédient
le moins soumis à la censure.
Et foin de vos caricatures !
On glisse vite sans piston
et il faut payer l’addition
avec les sous de tout le monde.
C’est dans ce sens que l’on abonde,
au profit de tous les marchés
dont nous sommes les chevaliers.
De profiter et sans réserve
on a raison car on observe
le principe bien arrêté
qu’on aurait tort de s’en priver.
Vous n’allez pas nous faire croire
que vous les pions de l’exutoire
agiriez d’une autre façon
si donnée était l’occasion !
Nous sommes faits comme des hommes.
Ces mains, ces bras, c’est du tout comme.
La différence sur le tas
c’est que les uns y font caca,
ce qui est interdit aux autres.
Les uns font comme les apôtres
qui ne posent que les questions
auxquelles c’est dieu qui répond.
Voilà comment ces uns profitent
de la destinée bipartite.
Ce qu’il vous manque c’est un dieu.
Et des dieux il n’y en a pas deux.
Vous pouvez chercher dans les marges.
De l’unité on a la charge.
La preuve c’est quand on est mort,
les uns c’est parce qu’ils ont tort,
les autres parce qu’ils s’en servent.
Peu importe que ça énerve.
Les barricades c’est du vent.
On le sait depuis si longtemps
que même les plus grands artistes
se font collaborationnistes
plutôt que la dalle crever.
Allons, il ne faut pas rêver,
nous voulons tous, après l’enfance,
trouver la place qui l’aisance
nous assure pour tout le temps
qu’on va passer la vie durant.
Qu’on soit de l’état fonctionnaire
ou de l’héritage notaire,
est tout de même mieux que rien,
car rien, si on n’est pas un chien,
est un os de croquemitaine
qu’aucune dentition humaine
ne peut ronger sans éprouver
la douleur d’être bien mal né.
C’est tout juste si la papille
y trouve des airs de famille.
— Ah ! Pour chanter tu vas chanter !
Me disait papa ouvrier,
si maintenant tu t’imagines
trouver le bonheur à l’usine.
Pour travailler l’homme n’est fait !
Mais s’il s’agit de surveiller
et de donner en bon complice
un coup de balai par service
sur le plancher où ces messieurs
et dames vivent que toi mieux,
alors mon fils surtout n’hésite !
Et choisis bien ton Aphrodite
chez le voisin ou si tu sais
en montant dessus l’escalier,
car les femmes c’est des pécores
et dans la fonction plus encore.
— Puisque c’est ça, mon cher papa,
dans l’immédiat ne crève pas.
Elle est noire mais sur l’épaule
elle a plus que moi d’auréoles.
Alice est son nom, pourquoi pas ?
Je m’appelle bien Nicolas.
Si tu veux bien que je l’épouse
je le fais après la partouze.
Et si cette idée te déplaît
ne te gêne pas pour crever… »
Mais soudain tandis qu’il y pense
et même à rêver recommence,
dans la nuit où les chats sont gris,
pas un chat et pourtant jaillit
un coup de feu, le quatrième,
qui signifie qu’un stratagème
est bien l’origine du feu.
« Pour le coup on y verra mieux
quand j’aurai informé la cheffe
qui en ce moment dans le greffe
fait de l’amour la condition
et que c’est même la raison
qui explique que son oreille
qui d’habitude fait merveille
cette fois n’a pas entendu
ce qui se produit au-dessus.
Mais si elle en est la victime
et que je m’approche du crime,
alors que je ne suis formé
que pour calter et informer,
ne se peut-il que mon mariage
finalement ne se ménage ?
Ah ! Tout cela est bien joli !
Ce n’est pas comme dans un lit
où être couché prédispose
à réfléchir bien à la chose
avant de refermer les yeux.
Ma foi, si je veux être heureux
je dois calculer la distance
à mettre entre moi et la chance,
si s’en prendre une c’est du pot !
Mais je crois bien que c’est plutôt,
en dépit de la bonne planque,
comme ça hélas qu’on en manque. »
Disant cela à haute voix,
bien malgré lui comme on le voit,
entre l’index et puis le pouce
il refait sans une secousse
le pli de son beau pantalon
qui n’est mouillé que dans le fond.
Deux plis c’est long quand on y pense,
et il y pense avec patience,
peut-être avec résignation
car la tolérance est un don.
« Se présenter devant du monde
avec des souliers qu’on inonde
n’est-ce pas le meilleur moyen
de convaincre le citoyen
qu’on vient d’assister à un drame
que même sans être une dame,
de plus ayant prêté serment,
on est en droit non seulement
d’avoir pris le temps de l’audace
mais aussi celui de la chiasse ?
On me croira certainement
car l’odeur qui en ce moment
donne un sens à mon apparence
ce n’est plus mon haleine intense
mais ce que je sais de l’anus
en attendant d’en savoir plus.
J’en ai parlé avec Alice
avant d’entrer dans la police :
— Des fois je me trompe de trou,
mais cependant ce n’est pas tout.
Vu la couleur de ton ensemble,
et la ressemblance il me semble
de tous les endroits de ton corps
il se peut que pendant qu’on dort
je me livre à des exercices
que ne verrait pas la justice
d’un bon œil comme je les vois.
Je ne voudrais pas que ces choix
te donnent de moi une image
pas assez conforme au mariage
qui est inscrit dedans la loi
que je respecte autant que toi.
— Je vois ce que tu veux me dire.
Mon papa était blanc et pire.
Mais le mariage, mon ami,
implique bien d’autres soucis.
Le corps je sais, ne t’en fais pas,
en maîtriser les aléas,
même si ce n’est pas le mien.
Avec la main on ne fait rien
mais avec les dents qu’on affûte
jour après jour dans la culbute
on peut mettre fin aux défauts
que les discussions de bistrot
dans la tête de l’homme enfoncent.
Pour pratiquer j’ai la réponse
et même à tout, ne t’en fais pas.
Tu ne me rattraperas pas.
Pour m’en faire il faut que j’en fasse,
mais quand on vit sous la menace
on pisse beaucoup dans le pot
pour les couilles mettre au repos.
Papa m’a dit tout ça en prose
dont il était un virtuose… »
Cette fois ce n’est pas le feu !
Mais le coup, s’il n’est pas furieux,
n’en ébranle pas moins l’espace.
Nicolas se fige sur place,
les yeux vissés dans la noirceur
qui ne trahit rien de l’horreur.
Son front suinte et ses dents claquent.
Il ne se voit pas dans la flaque.
On arrive sur le gravier !
« Si c’est l’auteur de ces péchés,
de tous ces morts qui crient encore
car la mort n’est pas indolore,
de ce monde je ne suis plus !
Et dire que je n’ai rien vu ! »
essaie de penser notre ilote
qui n’a plus le temps des parlotes
chères tant au cœur qu’à l’esprit
de l’agent qui a tout compris.
Il se voit mort et dans la terre.
Soudain dans la demi-lumière
une ombre prend forme et esprit.
Il n’a pas le temps d’un pipi.
Elle a fondu sans crier gare
sur son épaule et contrecarre
le geste qu’il fait pour tirer :
« Halte-là ! Tu pourrais tuer !
Alors que j’ai encore en bouche
le goût de la vie et des mouches
qu’on voit voler en attendant
que de s’en aller il soit temps !
Je te sens raide comme un manche
qui fait le mort entre deux planches ! »
Il se recule car la voix
s’est exprimée dans le patois
d’une province de l’Afrique
dont il connaît bien la musique.
« Partir n’est rien si on revient.
J’ai bien cru que dans le cyprin
j’allais justifier le syndrome.
Quand on parle le même idiome
on met du temps mais on finit
par apprécier d’être d’ici !
— Mais enfin, mon amour, Alice !
Je vois que tu es au supplice.
Tu as dans les yeux la lueur
des moments d’amour les meilleurs !
Encore un coup et je dénonce.
Mais tu m’apportes la réponse.
Ah ! Le bruit que tu fais jouissant
quand je ne suis pas là pourtant !
— Il faudra que je te raconte,
mais là, mon biniou, j’ai mon compte !
— Dis-moi si je te vois cul nu
ou si j’ai encore trop bu !
— Tu es dans le vrai ma feignasse !
Il a bien fallu que je fasse
ce qu’on me demandait sinon
plus là je ne serais pour ton
esprit informer sur le style
de préoccupation virile
que je satisfais sur le champ
quand l’occasion c’est le moment,
si tu vois ce que je veux dire.
On voudrait bien se l’interdire,
mais la douleur a des ratés.
Je ne dis rien sur les aspects
de la demande que m’a faite
mon agresseur qui est poète,
heureusement car sans les vers
je le prenais pour un pervers
tant il a des goûts qui dégoûtent.
Mais je vois que c’est dans le doute
que tu encaisses mon rapport…
j’ai pourtant fait un gros effort
pour ne pas dans le mélodrame
introduire de la réclame
pour les pratiques du désir
qu’on ne peut pas pour des loisirs
prendre sans passer à la caisse.
J’en ai vraiment pris plein les fesses !
— Je vois bien qu’il est arrivé
quelque chose pour expliquer
de ton pantalon la lacune.
Dans la lumière de la lune
qui ce soir éclaire la nuit,
à ce manque je n’applaudis.
— Mais si par ton odeur je juge
de l’influence du grabuge
sur ta pauvre imagination,
je n’applaudis pas sans raison.
Filons avant qu’on nous descende !
— Pour le coup qu’est-ce que je bande ! »
Mais déjà Alice a filé.
Du cul nu il suit les reflets.
Nos deux fiancés s’évanouissent
prenant du palais de justice
la tangente de son trottoir.
Nous voici seuls et dans le noir.
Là-haut, la fenêtre illumine
des arbres silencieux la cime.
Pas une voix ne nous parvient.
Et de la cheffe on se souvient.
Nicolas dit qu’elle profite
des locaux et qu’elle coïte
à l’abri des indiscrétions
dont il est la seule exception.
Croire une simple sentinelle
fait courir à notre nouvelle
le risque de laisser ce trou
dans le vague de l’avant-goût.
On est ici tenté de prendre
la saine liberté d’apprendre
ce qu’en vérité elle fait.
Pourquoi ne pas voir de plus près ?
On a vu des récits plus denses
en ce genre de redondance.
Et puis l’œil en est averti.
Il n’en sera pas si surpris
qu’il en apprenne quelque chose.
La pornographie est la cause
que nous en savons beaucoup plus.
En trois pages tient le corpus.
Et dans la minute la science
exerce ses travaux en France
comme ailleurs en les imitant
on les recommence vaillant.
Parions même que la rime
dans l’ardeur de ses synonymes
se retrouve mieux que les mots.
Je veux dire par là qu’en pot
un cornichon avec l’olive
rime aussi bien que la gencive
avec les belliqueux travaux
du vinaigre mis sans défaut.
Du sel autant on peut en dire
qui plus d’un troubadour inspire.
Comment ne pas être tenté
par ce contre-feu éprouvé
par plus d’une réminiscence ?
La douleur n’est pas la souffrance.
Cette idée du frémissement
qui déplace le bon moment
pour n’en tenir que la promesse,
pour moi vaut bien toutes les messes.
Ici je peux abandonner
tout ce qui a constitué
de ce récit la vaine attente.
Cette perspective me tente.
Ainsi va la vie pour tous ceux
qui travaillent pour gagner mieux
et qui au hasard des visites
qui de l’amour sont les limites
tombent sur l’opportunité
qui n’est contretemps ni sujet
à de soucieuses assurances.
Voyons si j’ai un peu de chance.
Là où Nicolas est figé
par la peur qui peut s’expliquer,
certes, mais qui aux lois l’oblige
à se mettre dans les litiges
de la logique du récit,
de sa fin qui en fait le prix,
l’auteur sur le gravier s’avance
et vers la porte sans défense
(il faut qu’elle le soit sinon
on intrique d’autres questions)
du greffe où la cheffe s’amuse,
il va comme on se donne aux muses,
c’est-à-dire de son talent
aussi sûr que c’est élégant.
Un premier pas se fait en force
car il faut assumer l’entorse
faite à un roman qui trouvait
sa conclusion en peu de faits
nouveaux à mettre dans la forme.
Il y a loin entre qui déforme
le récit pour d’autres raisons
et celui qui sans déraison
l’abandonne à ses personnages.
Il hésite, craint le blocage,
et même du lecteur frustré
au cul un fameux coup de pied
qui ne serait pas sans mérite.
Reconnaissons que les limites
de l’élégance et du devoir
se sont mieux fait qu’apercevoir.
Un deuxième pas pour la cheffe,
qui disons s’appelle Josèphe,
jette le trouble dans l’esprit
de cet auteur qui s’en est pris
à des lois que jamais personne
de sensé et même épigone
n’a violées sans cher le payer.
Toute intention a son loyer.
Nous connaissons tous des exemples
de ces échappées hors du temple
qui se terminent dans l’oubli
après avoir dicté l’ennui.
Pauvres de nous qui d’aventure
avons souffert de ces lectures !
Il est d’usage d’achever,
même si on veut compliquer,
les romans surtout s’ils s’achèvent
d’eux-mêmes comme dans un rêve.
Et c’est le cas de celui-ci.
Alors pourquoi tant de soucis
à propos de cette Josèphe
qui se fait sauter dans le greffe
dans la très coupable intention,
et non sans préméditation,
de se venger de nos libelles.
Cette femme est une poubelle.
Tu ne vas pas abandonner
de ce roman le beau projet
parce qu’elle en connaît la porte !
Mais qu’elle y entre ou qu’elle en sorte
ne peut, ne doit conditionner
ce que tu voudrais achever
sous peine de gâcher ta vie !
Et voilà que tu te confies
au lecteur que ton vain nombril,
en proie à de méchants périls
dont ton inconscient est la voie,
n’a pas le bonheur et la joie
de convaincre de ton talent.
Ah ! Mal choisi est le moment
pour reparler de ta Josèphe
et de ce que la nuit au greffe
avec elle tu as commis
et même ailleurs s’il est permis
d’en dire deux mots pour parfaire
la confession que tu veux faire
alors que personne jamais
ici ne t’a rien demandé.
Introduire ce personnage
pour t’adonner aux commérages
que l’écrivain en mal d’écrit
refait à coups de bistouri
mérite que là on te plante
et que pour rembourser l’attente
on te coupe au moins les deux mains.
A ton roman, auteur, revient,
et de la fin qui se propose
dis-nous encore de ces choses
qui avec toi n’ont rien à voir.
Pour cela il te faut t’asseoir
et fermer la porte à Josèphe.
Éloigne-toi donc de ce greffe
et dans la bonne direction
cours toi aussi pour la fiction.
Il semble que tes personnages
ont de l’avance sur l’orage
qui se prépare pour la fin.
A la lorgnette on les voit bien.
Voilà ! Un rien fait qu’ils existent.
Tu vaux mieux que cette égotiste.
Cours ! Apprenti ! Méchant voyeur !
Va mettre à l’abri ton bonheur.
Et laisse tomber cette femme
pour retrouver ton mélodrame.
— C’est bien pour te faire plaisir,
lecteur impatient de saisir
le sens caché de cette histoire,
que je poursuis, si tu veux croire
qu’ainsi se fabrique romans,
sur le papier ou autrement.
Dans la ruelle allait Alice,
le cul aussi nu que le vice
le permettait à sa leçon.
Nicolas qui non sans raison
courait sans haleine et moins vite
contre les effets de sa cuite
luttait aussi mais sans succès.
On voit ici que les excès
nuisent autant à la nature
qu’au procès de nos aventures.
Cela te convient-il, lecteur,
qui exige pour mon malheur
que la conclusion je poursuive ?
— Je veux ! — La clause est abusive,
mais tu préfères le ciné
aux aléas que promettait
Josèphe dans l’amour surprise,
si c’est aimer qu’on se dégrise
en prononçant le dernier mot.
Pour revenir au fabliau
qui servira à bien conclure
l’ambition de notre peinture,
je te dirais, mon Engeli,
qu’il n’est point de discret délit
qui à la fin ne trouve place
au spicilège du Parnasse.
Mais pour le coup, tu avoueras
qu’ici le morceau est bien gras !
Lit-on en effet des nouvelles
aussi incroyables que celles
qui sont rapportées en détail
dans cet extravagant travail ?
Le fait est que la belle Alice
qui vient de subir le supplice
d’une sodomie sans aveux,
sans pantalon et pour les yeux
cours sans rependre son haleine
et ainsi privée pour sa peine
de ce qui l’eût peut-être mieux
placée dans un roman sérieux,
elle prend une bonne avance
sur Nicolas qui par malchance
vient d’égarer un des souliers
qui d’urine trop contenait.
Il s’en plaint mais la douce Alice
qui ne veut plus qu’on la sévisse
à portée de la voix n’est plus.
Nicolas pied nu en conclut
qu’il ne serait pas raisonnable
qu’en sus d’un fond imprésentable
il fasse état devant ses chefs
d’un second et piteux relief
qui outre qu’il sent plus que honte
de l’inventaire fait mécompte.
Il faut retrouver le soulier.
Voilà ce qu’aime le papier !
Foin de Josèphe et des complexes
qu’elle provoque question sexe !
Si le récit s’était fourré
dans les arbres de sa forêt,
qui sont de très haute futaie
comme le prouvent trop les plaies,
du bacille à couteau tiré
aux croûtes dues à maints essais,
que par tout le corps elle exhibe,
cette histoire dans la diatribe
serait tombée assurément.
Non, ce qui convient au roman
ne se trouve pas dans le sexe.
Ce choix nous a laissés perplexes.
Ce n’est pas sans hésitation
que pour d’autres complications,
suivant le cul de notre Alice,
nous nous sommes fait les complices
d’un feuilleton qui se promet
à la conclusion d’arriver.
Mais l’occasion nous est donnée
de soustraire notre épopée
à la fois du simple porno
dont Josèphe est la mécano,
et du roman à l’eau de rose
qu’Alice veut remettre en cause.
Nicolas connaît son métier.
Il nous propose son soulier.
— Le roman dans cette recherche
de la nouveauté tend la perche.
Laissons de côté le détail
qui veut qu’on retourne au bercail
un peu en avance sur l’heure,
détail qui peut être le beurre
dont s’accommode l’épinard.
Du travail il faut avoir l’art
sinon on en devient malade
et avant la retraite en rade.
C’est une règle sans options.
Peu importe la conclusion
si conclure à la fin se paye.
C’est avant l’heure qu’on débraye
et non point avec du retard.
Je le répète c’est un art !
Et cette fois j’ai une excuse :
il ne s’agit pas d’une ruse
pour éviter de me fourrer
dans un fâcheux et noir guêpier.
Plus que moi-même j’aime Alice
et je veux être son complice
dans les meilleures occasions.
Ne doutons point de mes raisons.
Et cela suffit à ma peine.
Je suis meilleur que la moyenne.
M’eût-elle aimé si je n’étais
chaussure qui va à son pied ?
Parlant de pied où est la mienne ?
On dirait qu’elle est à traîne.
Voilà qui me met en retard.
Je vais passer pour un fêtard.
Voyons, je courais sans mesure,
autant dire qu’à bonne allure
je suivais un agent pressé
de rendre un compte détaillé
d’un outrage dont la fréquence
est relative à la malchance.
Soudain je me suis aperçu
qu’à mon pied gauche n’était plus
la chaussure que j’avais mise.
Pourtant quand je m’uniformise
je mets les deux sans me tromper.
Il fallait bien que ce soulier
eût échappé à ma vigie.
Je me connais des allergies,
mais aucune pour les souliers.
Aussitôt je suis arrêté
par cette plus que pertinente
réflexion qui me désoriente.
J’en perds de vue qui je suivais
et mon regard qui se connaît
scrute la nuit qui est obscure
à cet endroit de l’aventure,
ce qui, ne nous méprenons pas,
oblige à méditer le pas
que nous osons en pure perte
car en noir la nuit est experte.
Si je retrouve mon soulier
ce sera comme un étranger
qui est entré par une porte
une seconde avant qu’on sorte,
ce qui arrive fréquemment
dans les meilleurs de nos romans.
Le pied déchaussé sur la dalle
rend un son que l’autre sandale
répète comme un contrepoint
un ton plus bas malgré le soin
apporté à mon apparence,
et malgré l’obscurité dense
qui reprend son sens à l’effort
dont je suis le vaillant ressort.
Un chat peut-être noir me frôle
mais je ne perds pas le contrôle.
Si je dois tirer dans le tas,
peu importe qui crèvera !
Dans les situations tragiques
on a l’excuse de l’unique.
Je ne suis pas venu exprès.
Je veux ma chaussure à mon pied !
D’ailleurs j’ai froid dans l’entrejambe
chaque fois qu’aveugle j’enjambe
les choses qui peuplent la nuit.
Ce sont des choses qu’on déduit
non de l’effet mais de la cause !
De ne pas les voir on suppose.
L’endroit serait fort bien choisi
pour disserter mieux qu’à l’envi
sur un sujet qui me passionne :
l’instant même où on déraisonne.
Je ne sais pas si Engeli
apprécierait de ce souci
les précieuses inflorescences,
mais je ne veux, de son absence,
profiter pour donner au texte
autre chose que son prétexte.
Et j’avoue, bien que policier,
et pour ce faire bien payé,
que le sujet m’eût d’aventure
placé dans d’autres conjectures
que celles qui de ce rapport
circonstancié rendent l’effort.
La nuit était disons obscure
et je claquais de la denture,
le pied chaussé de sa chaussette
et la pisse sur mes couillettes
devenues froides comme mort
qui mort ne se sait pas encor.
Quand enfin sous une lanterne
à deux genoux je me prosterne,
voilà Josèphe qui en sort,
qui avec moi-même fait corps,
pour donner tort, je le redoute,
à tout ce qui sans aucun doute,
depuis que je me suis pissé
et que le texte m’est laissé,
nous avons décidé de taire.
— Mon chou ce que tu peux me plaire !
dit-elle en cherchant mon soulier
où il ne peut pas se trouver.
J’ai passé la nuit toute seule
à faire une drôle de gueule
parce que j’entendais des bruits,
des coups de feu, même des cris,
comme quand c’est qu’on assassine
et que ça donne des toxines
qui font plus de mal que de bien.
Moi aussi j’ai crié pour rien !
J’étais seule, je te l’assure,
pas ennemie de la luxure
qui fait du bien quand ça fait mal.
J’avais même un projet anal
à soumettre à ta pertinence.
Pas de souci ! Je le finance.
Et pas avec l’argent public.
Avec Persil ou Basilic,
comme tu voudras qu’on se donne.
Les sabbats fleurent les vacances.
A deux on peut former un club.
Une chambre avec ou sans tub
et des nudistes qui nous servent
et de protagonistes servent.
Tu connais mieux dans l’ici-bas ?
Mais pourquoi ne le dis-tu pas ?
On est entré dans la police
pour que rien nous nuire ne puisse.
J’étais en train de rêvasser
et de préparer mon fessier
à de réelles réjouissances
quand dans le cabinet d’aisance
qui se trouve juste à côté
quelqu’un fait des efforts pour chier.
Au mur je colle mon oreille
pour profiter de la merveille
et peut-être la partager.
Après tout on ne sait jamais.
La nuit les chats donnent la patte.
Il est rare ainsi qu’on se rate.
Mais au lieu d’un bruit de sphincter
quelqu’un se parle de l’enfer
et que jamais sa bicyclette
même au plus voleur ne la prête.
Du coup elle en oublie de chier
(je dis « elle » car en effet
ce n’est pas homme qu’il faut dire)
et laissant là son beau martyre
referme la porte en gueulant
que si son vélo on lui rend
elle promet que le service
sera retourné sans le vice
qui l’entache au premier abord.
C’est alors que je penche au bord
de la fenêtre ma poitrine
pas dans le but qu’on l’examine
mais ça me fait sortir les yeux
et qu’est-ce que je vois le mieux
si ce n’est pas la présidente
qui dans le noir de sortir tente
des WC où est enfermé
d’habitude son vtt.
« On m’a piqué ma bicyclette, »
pleurniche-t-elle à l’aveuglette.
Ça me fait je dirais pitié
et de la lumière je fais
en l’éclairant en plein visage.
J’ai appris ça pendant un stage.
La formation c’est pour les cons,
mais quand on sait c’est pour de bon.
« De me chier dessus j’en ai marre ! »
Et d’un pet elle me rembarre.
« Mais enfin, dis-je pour savoir,
un vol ne peut se concevoir
sans mes sinistres compétences !
On appelle à ma clairvoyance
chaque fois qu’on se fait voler.
Veuillez l’usage respecter
et d’une voix pas moins verbale
me dire ce qu’un trou de balle
n’entendrait pas comme j’entends.
Pour ça on se donne du temps.
— Ah ! Pas ce soir, je suis pressée
et ma bicyclette est volée.
Elle était avec le papier.
Du coup je me retrouve à pied
avec à faire d’importantes
et vraies choses qui dans l’attente
de caractère vont changer
ce qui par malheur sans effet
ne restera pas sur la suite,
chose qu’en principe j’évite.
Et avec le défaut que j’ai
je n’y arriverai jamais.
— Je peux faire la bicyclette
bien que je ne l’ai jamais faite.
Je sais tout faire si on veut.
Ce soir mon anus est en feu.
Le réseau m’a tout excitée
par connexions interposées
et je suis seule à le savoir.
— A ce manque je dois pourvoir.
L’affaire est pour le moins urgente.
J’en connais des moins impatientes.
Sur ton dos on n’ira pas loin
et à pied je ne vaux plus rien. »
Et là-dessus elle se jette.
Elle n’est pas dans son assiette.
Je saute et d’un bond la rejoins.
Quand on revient du petit coin
on sent souvent la savonnette
comme le chantent les poètes,
mais Mulat d’y aller n’a pas
besoin car elle fait caca
dans son absence de culotte.
Je me penche et je la dorlote.
— Demain tu en achèteras
une autre et même deux ou trois,
lui dis-je pour sécher ses larmes.
Je ne vais pas donner l’alarme
alors qu’on a toute la nuit
pour se battre contre l’ennui
et même plus si je t’inspire
des chiasses qui te feront rire
comme jamais tu n’en as ri.
Allons effacer nos soucis
en nous livrant les mains liées
à la face cachée d’Orphée.
— Mais c’est que je suis en mission !
Sans bicyclette dans l’action
je perds l’art et la connaissance. »
Interrompant la conférence
que Josèphe le triturant
à pleines mains, la foi aidant,
comme supplément de jouissance
lui donne non sans complaisance,
Nicolas dit qu’il a bien vu
la présidente au pied fourchu
aller vite et à bicyclette
peut-être chez la sous-préfète.
« Mais je l’explique clairement,
dit Josèphe en lui taquinant
le bout du pied sans la chaussette.
J’ai retrouvé la bicyclette.
— Ton récit fait perdre du temps !
Tu inventes ce vert galant
qui sort de son bois pour soustraire
un vélo sans quoi désespère
notre présidente aux abois.
Ce que nous savons toi et moi
c’est que cette nuit il se passe
des choses pour le moins cocasses.
Des coups de feu, du foin, des cris,
il faut expliquer tout ceci !
— J’ai retrouvé la bicyclette !
Pour la police je suis faite.
Et que tu le veuilles ou non !
Tu me dois assez de pognon
pour que la nuit je me permette
d’avoir une âme de poète
et de jouer avec les mots
pour changer un peu le tableau
et revenir sur le théâtre
car tous les jours pour en rabattre
nous sommes de l’art les champions.
Mais revenons à nos moutons…
— Certes non ! Rejoignons Alice
qui dans le poste de police
doit être arrivée maintenant
car c’est ici que le roman
commet enfin son dernier acte.
Au rendez-vous elle est exacte.
C’est avec elle qu’on finit
ce qu’on a commencé ici.
Et non point avec toi Josèphe,
pythie qui passe pour ma cheffe
alors que je suis son amant,
ni avec ce soulier manquant
dont j’ai même oublié l’excuse.
Ah ! Vois comme Engeli s’amuse
de notre piètre traduction !
Dès lors il faut que nous montions
pour remettre dans le bon ordre
ceux qui ont causé ce désordre.
Alice sera de retour
avant qu’il ne refasse jour.
De ta ceinture sort ton flingue
et me suis comme je m’embringue
dans ce sombre récit de fous
que le diable invente pour nous.
L’honneur commande le courage,
comme on nous l’a appris au stage ! »
Puisque voilà notre récit
dans son juste chemin remis,
en espérant que l’épisode
ci-dessus enfin baguenaude
dans les marges sans autre effet
qu’un petit sourire amusé,
revenons un peu en arrière,
au moment où le beau derrière
d’Alice traverse le temps
d’une cité pour le moment
endormie sans autre mémoire
que le rêve prémonitoire
frappant la porte du sommeil
avec le gras du gros orteil.
N’allons pas plus loin pour la clore,
cette impensable métaphore,
et posons-nous sur ce beau cul
pour en donner un aperçu.
Comme elle court elle s’excite.
Au vent son clitoris s’agite.
Elle en conçoit un doux plaisir
et ralentit pour s’en offrir
les promesses du paroxysme.
Mais le devoir a ses truismes.
La tautologie de l’action
impose sa loi aux passions.
Elle repart d’un pied plus ferme,
pensant au plaisir mettre un terme
dès que l’honneur sera sauvé.
Mais l’air dans le poil infiltré
a des saveurs que la conscience
quelquefois et sans qu’on y pense,
(d’ailleurs la pensée est ici
la cadette de nos soucis)
ne pèse déjà plus à l’aulne
des satisfecit qu’on se donne
pour ressembler à nos aînés
qui eurent les doigts dans le nez
de bien semblables épisodes
à composer comme l’on brode
pour ne rien dire d’important.
Alice s’assoit sur un banc,
non point pour laisser sa pensée
suivre le cours de ses idées,
mais au contraire pour ne plus
se laisser dicter d’autre flux
que celui qui entre deux cuisses
connaît bien son adoratrice.
La scène a bien sûr ses poncifs
et le tarif est dégressif.
D’un doigt qui connaît son affaire
elle se met devant derrière
comme d’autres de bas en haut.
En d’autres mots, nous voilà beaux.
Nous qui comptions surtout sur elle
pour nous priver des sexuelles
dépendances de la fiction,
nous voilà servis en action.
Lui expliquer l’état des choses
que ce roman en vers se cause,
n’est pas de tous les palliatifs
le mieux choisi ni décisif.
Les romans sont toujours complexes
à cause des actions connexes
qui font oublier leur raison.
Alice sans autres questions
eût enfin atteint la personne
capable de changer la donne,
on assistait à un final
où la question de l’us anal
rejoignait les trous de mémoire
et laissait la place à l’histoire.
Nous en sommes là et pas plus.
Alors mettre fin au laïus
et avant la fin à la niche
cramer la dernière cibiche
en voyant le jour se lever
sur les créneaux de la cité,
semble à tout prendre la meilleure
des résolutions qui effleurent
l’esprit d’Engeli dans son lit,
lequel d’ailleurs ne désemplit
car il est couché haut la pine
en compagnie des héroïnes
de ce roman qui est le sien
comme Don Quichotte appartient
à l’inventeur de ses errances.
Que lirait-on en son absence ?
Le romanesque sur trois plans
comme poussin fait le roman.
Mais ici nous sommes en France
et Engeli, quoiqu’il en pense,
est un immigré patenté.
De ce lit il doit se lever
à heure fixe pour reprendre
le travail qui à bien l’entendre
doit se conclure par la mort.
Il a dressé dans cet effort,
outre sa verge bien coupée,
l’échafaud avec sa poupée
à la tête déjà deux fois
tombée par terre dans l’effroi
qui est le sien quand il essaye
de ne plus porter la bouteille
quand il porte plume et papier.
Disons-le, il est fatigué.
Comment traduire la fatigue
quand contre l’écrivain se liguent
les personnages inventés
pour un rôle précis jouer
dans l’amusante perspective
d’un roman plein d’alternatives ?
Sans oublier que nous avons
par un effet, non sans raison,
d’analepse dès l’ouverture
de cette joyeuse aventure,
tenté d’expliquer pour le moins
la présence d’un des témoins
devant la porte et même en elle.
Porte qui d’aventure est celle
par qui le scandale ou roman
est arrivé conséquemment.
En attendant que notre Alice
mette fin à son doux supplice,
un effet de prolepse aidant
revenons dans les premiers temps
de ce récit avec Virgile
qui retourne à ce domicile
pour se livrer la queue à l’air
aux dérèglements de la chair.
La nuit était, disons, tranquille.
Nous l’avons dit avant Virgile.
Il arriva tard dans la nuit
comme nous l’avons déjà dit.
Il avait bu, point dans les thermes,
mais pourtant il se tenait ferme
sur deux jambes passablement
exercées pour être un amant
tant doué pour la sérénade
que pour être par une aubade
averti du lever du jour.
Il avait un don pour l’amour
et le portait entre les jambes,
non point dactyle mais de l’iambe
tenant sa force et son allant.
Ça lui faisait un beau pendant.
Autrement dit deux grosses couilles
avec au milieu une andouille
qui en dépit des proportions
qu’elle prenait en érection
au repos paraissait petite
entre ces deux œufs insolites.
Et la chose aux femmes plaisait
qui des merveilles en faisaient
avec les mains ou autre chose
sans ménager entre les poses
l’ardeur de leur musculation.
Virgile avait dans la faction
une douloureuse expérience
mais comme il avait de la chance
s’il avait attendu longtemps
il n’en était pas moins content
d’être payé monnaie sonnante
aussi souvent que les amantes
pouvaient en faire le calcul
en prenant un certain recul
dans les affaires conjugales
dont elles tenaient les annales.
Mais comme on le sait maintenant,
ce n’est pas en se surmenant
que Virgile en vint au scandale
dans les conditions anormales
d’un procès qui mal s’acheva
comme bientôt on le saura
si Alice enfin se termine
et rend au récit sa cyprine.
Nous en étions donc au début,
par cette nuit où demi-nu
il se livra à une offrande
à la porte de notre Armande
qui n’ouvrit pas comme on le sait.
Il ameuta tout le quartier
et on vit le juge Bébère
se précipiter pour le faire
au moins taire devant tous ceux
qui s’agglutinaient sur les lieux,
autrement dit devant la porte,
exactement comme on colporte,
et la rumeur allait bon train.
Bébère le prend par la main
et tente en se pliant l’échine
d’au moins ôter la forte pine
de la serrure où elle prend
des proportions qu’un jugement
par la suite et sans grande peine
qualifiera de « phénomène ».
Nous n’irons pas jusqu’au procès,
car il faudrait crever l’abcès
que ce roman mit sur les lèvres
au paroxysme de sa fièvre.
Bébère en nage s’arc-boutait,
ayant même calé son pied
sur un détail de la poterne
où vacillait une lanterne
sans laquelle il n’eût point agi
comme en cette nuit il le fit.
Les grosses couilles de Virgile
qui ne se tenaient pas tranquilles
sur l’huisserie donnaient des coups,
tant et si bien que sans bagout,
détail qui eut son importance
quand il fut question de la chance
qui à Virgile avait manqué,
Armande défait le loquet
et d’un coup d’épaule aguerrie
au défaut de cette huisserie
en provoque non seulement
l’ouverture des deux battants
mais sur le trottoir en projette,
non point notre sérieux poète,
mais Bébère qui suffoqué
met dans la rigole le nez.
Voyez en quelles circonstances,
qu’on peut qualifier de malchance,
Virgile d’un poil ne bougea.
Armande étonnée fit un pas
et ouvrit une bouche énorme
qui en grognasse la transforme.
Le jet de sang l’atteint en plein
la ceinture où elle a les mains
comme jointes dans la prière.
Les grosses couilles sans matière
se rapetissent drôlement.
Puis Virgile prenant le temps,
les yeux ouverts, en cœur la bouche,
la langue sortie noire et louche,
tombe sur le dos et s’endort.
En fait on croit bien qu’il est mort.
Le jet de sang enfin retombe.
Quelqu’un approche une calbombe.
Dans la serrure la chair pend,
dérisoire et vidée du sang.
Dans son déshabillé de soie
Armande à l’horreur est en proie.
Sur la poignée tremble sa main.
Elle pousse un cri inhumain
qui referme sa grosse bouche.
Dans la flaque ses deux babouches
retiennent des doigts excités
qui ne pourront plus la porter
si pas un ne lui vient en aide.
Remis debout Bébère plaide
car il sent venir le procès.
Les témoins proches de l’excès
lui reprochent déjà son manque
de jugement à la pétanque.
Et pour ce qui est du bouchon
Armande il n’y pas de raison
fera les frais de la partie.
Un homme est mort et la folie
s’empare de l’attroupement
qui trouve tout ça très marrant.
On met le mort sur des épaules
et le bout dans une bagnole.
Bébère se met au volant.
« Montez ! » crie-t-il en agitant
une main à travers la vitre.
Armande bouscule des pitres
qui en profitent pour tâter
la dimension de ses nénés.
Elle monte dans la voiture
et c’est parti pour l’aventure !
« Je le mets avec les glaçons, »
dit Armande au coup de klaxon.
Il faut d’abord fendre la foule
qui pour cette occasion se soûle
en attendant que les journaux
se prennent pour des tribunaux.
« Elle est bonne cette bagnole,
mais le volant est de traviole, »
se plaint Bébère qui jette un
œil atterré sur le défunt.
Armande qui a un diplôme
a mis un doigt expert en homme
dans le trou qui ne saigne plus.
« Des fois ça marche, c’est connu !
Regardez dans le pare-brise,
car avant que ça cicatrise
il faut atteindre l’hôpital.
Vous pensez si ça lui fait mal !
Mais pas un cri ne sort de cette
bouche qui se donne au poète.
— On dit qu’il faut boucher aussi
tous les trous qu’on fait au récit
car il n’est pas toujours facile
d’être aussi soigné que Virgile.
— J’en ai connu des plus tordus !
En commençant par le Verju
qui débouchait mais dans la joie
le trou à merde de sa proie.
Regardez donc droit devant vous !
Sur la route il y a plein de trous
qui menacent nos pneumatiques.
On est peut-être en république
mais à Rome vont les chemins.
La veille ce n’est pas demain
qu’on bouchera les orifices
pour que l’oracle s’accomplisse.
— Si ça doit devenir obscur
je choisis de me faire un mur
ou le poteau télégraphique
de nos poésies sans métrique.
Sauver Virgile c’est ma loi !
Je vais avoir besoin de toi,
o ma belle et facile Armande
qui a les deux yeux en amande
uniquement pour les raisons
de la rime et de sa chanson. »
Ici comme veut la coutume
commence le second volume
de ce roman qui n’a de fin
que l’invisible séraphin
qui l’inspira à son poète
ou mieux dit à son interprète.
On sait de bien meilleurs adabs
mais en connaît-on tous les dabs ?
Mais n’entrons pas dans ces finesses
qui malgré quelques vraies justesses
ont plutôt l’air de culs-de-sac
et laissons notre bric-à-brac
s’épancher comme fait le rêve
qui jamais ailleurs ne s’achève.
Voici, le temps est arrivé
de voir le premier achevé.
« Mais n’est-ce point notre Isabelle
qui vêtue de noir fait la belle
dans la rigole du trottoir
que sous ses pieds me semble voir ?
Nous aimons les petites filles
faute d’avoir une famille
avec la femme que pourtant
nous avons prise en l’épousant.
Mais prendre ce n’est point en somme
ce qui convient le mieux à l’homme.
Celui que je suis malgré moi
de la France serait le roi
si plus souvent et sans attendre
on lui offrait ce qu’il veut prendre.
Ce choix est un vrai piège à con !
Du coup je paye la leçon
et je dois dire qu’Isabelle
en connaît bien la bagatelle. »
Le promeneur qui y pensait
à son occupation allait,
car ce soir il était d’astreinte.
Ce personnage sans conjointe
qui vaille la peine et le temps
est celui qui va du roman
écrire la fin sans l’écrire,
certes mais ce n’est pas le pire,
car sans ce pitoyable intrus
rien ne nous serait advenu
pour justifier le façonnage
de cette épopée de notre âge.
Au commissariat il allait,
mais par un chemin détourné.
Il était toujours en avance
du moment de sa délivrance
qui ne durait pas bien longtemps
car toujours prématurément
se contractait sa vésicule.
C’est dedans que ça se bouscule
parce que dehors il a l’air
de n’avoir pas beaucoup souffert.
Isabelle avait l’expérience
du bonhomme dans l’appétence
qui veut beaucoup mais rien n’y fait.
Grand le projet, petit l’effet.
« Ah ! Mais c’est notre commissaire !
minaude-t-elle de sa chaire.
Justement j’ai appris un truc
pour faire patienter le suc.
Sans produit, sans rien de chimique.
Pas de danger, pas de critique.
Avec la main et sans les pieds.
Vous voulez peut-être essayer ?
— Tu m’as déjà mené en barque.
Tu es la reine de l’arnaque !
Car tu connais la vérité :
par toi je veux être arnaqué.
Je vais vite, c’est ma nature.
Ça m’évite les courbatures.
A mon âge on peut en crever.
Sur le trottoir con ça serait !
A moi je n’ai pas la minute
et tu le sais, petite pute !
— Mais enfin ce n’est pas plus cher !
Je le fais au poids de la chair
comme gâteau d’anniversaire.
Pour les bougies, c’est une affaire !
Ah ! Laisse-moi souffler dessus !
Avec moi on n’est pas déçu.
Viens te frotter à ma bobine.
Si jamais je te contamine
tu te plaindras dans les hauts lieux.
Je suis un ange pour les vieux.
(là elle fouille dans sa poche
et en sort un papier très moche
dont elle lit le contenu)
Allez ! Choisis donc ton menu !
Car je n’ai pas que ça à faire !
Il faut être dure en affaire
si on ne veut pas en vieillir.
Je vais te le tanner ton cuir !
(elle reprend un peu son souffle
et le visage se camoufle
pour moucher son tout petit nez)
Dis, tu ne vas pas me taper ?
J’ai oublié toute la suite.
Voilà comment on se débite
quand on n’est pas foutu d’aimer !
Ah ! Je vais me mettre à chialer !
— Mais je préfère quand tu chiales !
Pose tes gouttes sur mon phalle.
Ah ! C’est chaud comme le métal !
Je vous salue, mon général ! »
Jean-Jack Roussot était gaulliste
et pas seulement onaniste.
La première goutte effleura
qui un orgasme provoqua
et cette goutte sur sa face
Isabelle d’un doigt l’efface.
Roussot s’appuie contre le mur,
comme qui vient de son fémur
sentir le col dans la fêlure.
Il en a perdu la chaussure
et Isabelle qui connaît
d’autres trucs qui font de l’effet
sur la dimension cérébrale
du fonctionnaire qui fait mâle
uniquement dans ces cas-là,
lui noue le lacet sans compas
car elle a appris à l’école
tous les rudiments de son rôle.
Pour les détails, voir les journaux.
Le réalisme c’est bien beau,
même en dessous de la ceinture,
mais ce n’est pas dans ma culture.
Je ne vais pas tout raconter
sous prétexte qu’il faut taxer
sinon on devient misérable.
Chez les flics on se met à table
mais ici on fait le bouquet,
pour ça il n’y a pas de secret,
et on choisit la mieux rimée
qui est aussi la moins grimée.
Pour la morale, il faudrait voir.
Les bonnes mœurs et le trottoir
c’est dans la rue que ça se passe
et le bourgeois fait la grimace
sans cesser de se la sucer.
Je ne dis rien de l’ouvrier,
je suis poli surtout en rimes.
Si Roussot a fait des victimes,
elles ont grandi en enfer.
La connerie on paye cher
surtout si on ne l’a pas faite.
En morale je suis poète
et ça n’est pas toujours très beau.
Le parfait n’est pas sans défaut.
On est humain, on devient chose.
La seule mort en est la cause.
Pour atténuer les effets
d’un réalisme trop poussé,
je propose le témoignage
de Nicolas comme éclairage.
L’homme commence et puis finit.
C’est ce qu’on sait de l’infini.
On sait avancer sur la piste
mais pour reculer on est triste.
« Je l’ai rencontrée bien plus tard.
Elle avait troqué le trottoir
pour le commerce des esclaves
et j’étais disons-le son zouave.
On faisait la conversation
sur notre nature d’alcyons
et comment que sans de la chance
on aurait fini dans l’aisance
au lieu de prélasser souvent
mais pas systématiquement.
Roussot était à la retraite
et réclamait de la fillette,
pas en dessous, ni au-dessus.
Il vieillissait dans le cossu
sans regarder à la dépense.
« J’ai du dix ans mais pour l’ambiance
à part les traces d’un pétou
qui garantit le bout de chou,
vous n’irez pas loin avec elle, »
prévenait la verte Isabelle.
Et c’est comme ça qu’il est mort,
dans le tracas et sans remords,
le nez fourré entre les fesses
d’une innocente pécheresse.
L’autopsie fit marrer ses gens.
On en parle encore entre agents,
mais avec le temps on se lasse
et on devient de vraies feignasses.
Enfin, vous voilà renseigné.
J’en ai d’autres si vous voulez.
Merci de prendre ma retraite
avec humour et des pincettes. »
Et voilà pour la digression
à usage d’exhortation.
Revenons près de la rigole,
avec Isabelle qui colle
sur le visage de Roussot
les rogatons de son Popo.
Il a des douleurs à la hanche
et se recueille sur la tranche,
priant peut-être le seigneur
qui en principe vit ailleurs.
« Je crois que j’ai comme un malaise, »
dit-il sans se soucier du pèze
alors qu’Isabelle en pleurant
fouille les poches cependant.
« Mon vieux, j’ai autre chose à faire !
La question est trop tarifaire
pour que je donne avant d’avoir.
On peut mourir sur le trottoir
mais on n’y creuse pas sa fosse.
Quand on s’en va c’est en carrosse
ou alors fallait pas venir !
En attendant tu peux courir !
Et même battre la chamade.
L’existence est une embuscade,
pas un siège qui prend du temps.
Si j’en veux c’est pour mon argent !
— Ma poule, tu deviens obscure.
J’ai des notions dans la culture
mais pas assez pour en crever.
Trompe-moi et fais-moi rêver,
mais ne complique pas les choses.
J’ai un problème de sténose
et rien sur moi pour le régler.
Pour mon malheur, je dois payer.
Telle est la loi de l’existence.
Je reconnais son excellence.
Mais le plus tard sera le mieux.
Prends mon pognon si tu le veux
et trouve quelqu’un qui en sache
plus que le dernier des potaches.
Ah ! Le plaisir m’aura perdu !
Et par malheur j’ai tout vendu !
— Ne te plains pas ! Tu vis encore.
Tu as l’âge du dinosaure.
Je suis morte depuis douze ans.
Et je vais mourir très longtemps,
et même vivre bien vivante
d’une maladie outrageante.
On a le destin comme on peut
quand on n’a pas l’âge qu’on veut.
(elle fait trois pas sur l’asphalte.
Au quatrième elle fait halte)
— Ne t’en va pas ! C’est trop risqué !
On ne sait pas qui va gagner.
La crevaison est au pinacle !
Imagine que par miracle
je survive à ce gros caillot.
Tu diras quoi au crapouillot
de l’instruction si je renseigne ?
— J’y dirais rien s’il ne me beigne !
Pour tout savoir il faut payer
et surtout ne pas m’ennuyer
parce qu’alors je deviens teigne.
Cours-y avant que je me plaigne.
Les caillots ça me fait gerber.
Non mais tu veux m’exacerber ?
A douze ans j’ai la peau coriace
et j’en connais sur la culasse,
tellement que je peux tirer
sans vraiment trop me la fouler.
Alors ton mortier de justice
qui cherche des poux dans le vice,
tu lui dis que papa Noël
a des problèmes artériels
et pas la faute à Isabelle
qui jouit sans faire la poubelle.
— Mourir seul ce n’est pas mourir !
Je n’ai pas envie de rôtir
pour une faute de jeunesse
qui vaut bien que tu la caresses
de temps en temps et en payant.
Je serai mort dans un moment.
Ne me laisse pas seul, faucheuse !
Pour mourir les bras d’une gueuse
valent bien le prix demandé.
— Tu n’as pas l’air bien inspiré
pour quelqu’un qui se fait la paire.
Si tu insistes je sais faire.
Tu connais ma réputation.
Pas de plaisir sans addition.
Mais j’ai beau fouiller dans tes poches
tu es à sec pour la débauche.
Il faudrait voir à mieux pourvoir
quand tu te mets sur le trottoir.
La gratuité dans l’aventure
n’est rien moins que fausse facture.
Bon, je te laisse à tes caillots
et je retourne à mon boulot
qui paye moins que la justice
alors qu’on est dans le service.
Je t’ai laissé mon numéro
des fois que ton petit caillot
se goure même d’anévrisme. »
Sa jupe frôlant le tropisme
elle disparaît dans la nuit.
La rue déserte s’en déduit.
Roussot referme sa braguette.
« Appeler ce serait très bête.
Les gens posent trop de questions.
Mais j’en appelle à la raison.
Je n’ai pas d’autre alternative :
la mort et ce qui la motive
ou la vie et ses attendus.
Allons-y ! Perdu pour perdu ! »
Il pousse un cri et s’en étonne.
Ce n’est pas l’écho qui résonne.
Au bout de la rue apparaît
la moitié nue d’un policier.
Le poil crépu scintille comme
les étoiles d’un astronome.
De la cuisse ferme est la peau.
Il reconnaît le bitoniau.
Dans le triangle un appendice
nomme son utilisatrice.
Il veut en croire ses deux yeux
qui reconnaissent le vicieux
même dans le cœur des églises.
Presque mort il en analyse
le détail qui le sauvera.
Et il gémit : « Là ! Je suis là !
Ah ! Pas d’erreur ! C’est bien Alice !
Ce qu’on est bien dans la police
quand ça va mal à l’intérieur !
Si j’étais devenu boxeur
quel boxeur nu jusqu’à mi-cuisse
m’eût sauvé de cette injustice ? »
Et il l’embrasse avec deux bras
qui le retiennent par le bas.
« La situation est confuse, »
dit-il sans trouver une excuse
pour expliquer ce qu’il fait là.
Mais Alice n’explique pas
pourquoi elle montre ses fesses
quand de derrière on se confesse.
« J’ai un problème avec le cœur,
dit-il en mesurant l’ampleur
de l’état des faits et des choses.
— Il faudra que je vous expose
les raisons qui font que sans froc
je me vois forcée à un troc, »
dit-elle sans un seul des signes
qu’on montre quand on se résigne.
Et aussitôt son pantalon glisse
et descend sur ses talons.
Comme le trottoir est humide
et qu’elle l’a mis sur le bide
il a du mal à respirer.
« Mais comment je vais expliquer ? »
dit-il tandis qu’elle s’active
pour expliquer ce qui motive
cet échange peu théâtral :
« Sans pantalon je me vois mal
débarquer parmi les collègues
qu’au bout de la nuit on relègue
alors que c’est un cauchemar.
Imaginez le traquenard.
Une gonzesse sans culotte
ça motive le patriote.
Je vous laisse le slip dessus.
Vous passerez inaperçu.
— Mais je ne peux sans ma culotte
me présenter la tête haute
au service de l’hôpital !
— Il faut choisir le moindre mal.
Sans pantalon un mec peut faire
jusqu’à des prouesses altières
même si le cœur va très mal.
Je me sens mieux dans un futal.
J’en ai cherché dans les poubelles.
Et j’ai tourné dans ces ruelles
pendant plus d’une heure à fouiller
dans les détritus ménagers.
Des gisements de boustifaille
sans en trouver un à ma taille.
J’en ai les paumes sur le dos.
Mais l’odeur n’est pas un défaut
du moment qu’on est en culotte.
Si on me saute qu’on me saute,
mais si je veux et quand je veux !
J’y cours, j’y vole, allez ! Adieu ! »
Et notre pauvre commissaire,
qui a bien compris sa misère
et sait qu’il ne pourra jamais
tous les détails bien expliquer,
voit s’éloigner la belle Alice
qui a bien fait dans la police
de rentrer pour ne rien changer.
Il n’a personne à qui parler
en attendant qu’elle revienne,
« Mais pour parler comme Diogène,
qui vivait dedans un tonneau
parce que c’est bon pour la peau,
on n’a besoin que de soi-même.
Et en plus il faudrait qu’on s’aime !
Heureusement qu’on a l’Etat
pour nous épargner le combat. »
Pendant ce temps, Alice arrive
au cœur de l’action répressive,
un petit poste de quartier
dont la façade est en chantier.
En passant près d’une poubelle
elle en mesure les séquelles
et frémit rien que d’y penser.
Veuillez, lecteur, imaginer
qu’elle y fût à poil arrivée
et la stupeur de la chambrée.
Ainsi nous avons donc bien fait
de ce récit agrémenter
de la présence d’Isabelle,
cette occurrence éventuelle
introduisant dans le récit
ce qui manquait à son sursis.
Alice gonfle la poitrine,
qu’elle a déjà fort assassine,
heureuse de pouvoir entrer
sans la confusion provoquer.
Un premier flic bondit sur elle,
cachant sa hargne sexuelle
derrière un nez qu’il frotte à vif.
Le geste paraît excessif,
mais Alice accepte qu’il ouvre
la porte et enfin se recouvre.
Il a la casquette en travers
d’un nid d’oiseau fort découvert.
L’haleine est forte mais sommaire.
Comme il ne sait pas la grammaire
il évite de conjuguer
et met le tout au singulier.
L’astuce lui vient de l’école
où il perd toujours la boussole
car il a deux enfants conçus
dans de rapides aperçus.
Un deuxième oiseau de passage
qui porte le nom d’un village
comme jésus christ un fardeau
lève la patte et fait le beau
sans lâcher du stylo la bille
qui lui vient bien de la famille
comme le prouvent ses pâtés.
Mais d’écrire il s’est arrêté,
si écrire c’est la consigne.
D’Alice il apprécie les signes
et reconnaît le pantalon.
Sur son patron, il en sait long.
Il imagine que l’échange
dans le noir complet d’une grange
a conclu la conversation
qui meuble ainsi de la passion
les trous qu’il faut qu’on y pratique.
« Ce n’est pas que je vous critique,
dit-il en se grattant les cils,
mais ce pantalon est civil.
Je crois même le reconnaître, »
ajoute-t-il tout bas pour n’être
pas la dupe qu’on dit qu’il est.
Alice rougit jusqu’au nez
car le pantalon vert olive,
bien que d’origine adoptive,
en dit plus long sur son statut
que son loufoque substitut.
Le critique se tient la panse,
mais ne dit rien de ce qu’il pense
et l’autre qui s’est approché
regrette que pour expliquer
il est le dernier à comprendre.
« Je comprends qu’on peut se méprendre, »
dit Alice pointant le sein
dans ce climat un peu malsain.
« Quoique des fois, coïncidence
rime très riche avec malchance,
dit le premier des policiers
dans l’ordre qu’on vient de donner.
Je ne dis pas que ça arrive
au meilleur de nos détectives,
mais on voit ça dans les romans,
preuve que c’est en arrivant
que les choses les plus bizarres
jettent le pavé dans la marre.
— Je sais ce qu’il faut en penser,
dit le second des policiers.
Mais moins je pense et plus j’y pense !
— Ne pas se fier aux apparences
est tout de même mieux penser,
dit Alice pour comparer,
sans les moyens mais en conscience,
ce qui cause la connaissance,
le vert olive et le bleu roi.
Quand on a vécu comme moi
ce que je viens de vivre en France,
on ne sait plus quelle importance
accorder aux complications.
Avoir perdu le pantalon,
son bleu roi et son pli moderne,
peut éclairer votre lanterne.
Mais je ne sais vraiment comment
expliquer que pour le moment
je porte mieux le vert olive !
— On sait bien ce qui vous arrive !
Et Nicolas n’en saura rien.
Vous pouvez compter sur les siens.
Vous devriez vous mettre à l’aise.
Que diriez-vous de cette chaise ?
Croisez les jambes pour le coup.
Quand c’est l’amour qui le rend fou
rien ne peut soigner le malade.
Et tout dépend de l’escapade,
si on s’est blessé en courant,
ou si au contraire en cédant
on a trouvé l’olive bonne.
Voilà comment on se raisonne
quand on sait faire avec l’amour
et même refaire toujours ! »
Mais Alice pose ses fesses
dont elle veut rester maîtresse
sur l’angle droit d’un vieux bureau
qui porte d’un autre apéro
les flaques jaunes et les miettes.
Tranquillement elle époussette
le vert olive qui lui va
comme le cor à la java.
Les deux autres sont dans l’attente
que par prescription elle attente
à la pudeur qu’ils voudraient voir,
l’un pour enfin la concevoir,
car depuis que la belle Alice
est en fonction dans la police
on n’a rien vu de son genou
et encore moins son minou,
l’autre qui a pour les dialogues
des impulsions de bouledogue
qui se fait fort de mieux gueuler
si plus que l’autre il en connaît.
Mais avec un ongle elle gratte
sur le pantalon les stigmates
d’une jouissance, on le voit bien,
dont Roussot n’a pas les moyens.
Chacun cultive son suspense
et fait ce qu’il peut de ses pinces.
On n’est pas là pour expliquer
ni pour des questions se poser.
Chacun son truc en cas d’attente.
L’une la ferme en dilettante
et d’un ongle très indiscret
se plaît à encore gratter
car la tache doit disparaître.
L’un menace le tensiomètre
d’un excès qui le fait trembler
et comme il se met à suer
de sa tendre et charmante épouse
il revoit la noire bagouse
comme dans l’hallucination.
Et l’autre sans cette tension,
car il vit seul de ses phantasmes
si permis est ce pléonasme,
trouve même le premier mot
qui fera de lui au bistrot
la vedette d’un éphémère
qui laissera dans l’atmosphère
sa trace lente d’escargot
dont le seul rite est le bingo.
« C’est bon, les mecs, je suis fin prête ! »
dit Alice qui la braguette
remonte d’un calme coup sec,
ce qui de leur clore le bec
ne cesse malgré l’atmosphère
qui s’est chargé de leurs affaires.
Un troisième homme eût ébranlé
cette instable immobilité.
Négligemment elle balance
une écaille de la semence
oubliée sous l’ongle employé
et debout elle se remet.
« On ne peut pas être plus prête, »
dit-elle de façon abstraite.
Et elle remet son calot,
un peu sur l’œil comme un tringlot.
L’une après l’autre ses deux glandes
on voit qu’elles en redemandent.
Bichtard le mec qui veut savoir
comment avant qu’il ne soit tard
dans son slip cause avec sa barre.
Et Vilage qui se prépare
à en dire plus dès demain
n’empêche plus sa grosse main,
qu’il a pourtant dûment battue
avec l’autre qui s’était tue,
d’entrer dans la poche qu’il a
remplie jusqu’à ras bord déjà.
En plus elle ouvre grand la bouche !
La langue en remet une couche.
Elle salive sur les dents.
Un doigt tout droit rentre dedans.
« J’ai vu le faire à ma gamine,
pense l’un d’eux qui se tartine,
et quand j’étais petit aussi
ma sœur se le mettait ainsi
chaque fois que dans sa culotte
elle invitait la main d’un pote.
Ah ! Les gonzesses c’est du temps
et on le perd en se branlant. »
Et voyez comme les histoires
qu’on raconte dans les grimoires
avec la vie n’ont rien à voir,
car au moment de recevoir
dans son slip la chaude semence
on interrompt son abondance
en ouvrant la porte qui fait
un bruit comme dans les buffets
de l’ancien temps car les modernes
on est fort si on en discerne
la poésie du tape-à-l’œil.
Mais il faut penser à l’accueil.
On n’est pas là pour la chandelle
moucher sans faire d’étincelles.
Il remet la main où il faut
et corrige un ou deux défauts
dont il a depuis l’habitude.
On reçoit bien dans la quiétude.
Pour ça il faut savoir peigner
l’épi qui songe à se dresser.
Et si quelque chose dépasse
point ne mouvra si tu l’agaces.
Mais à peine il ouvre le gras
de sa bouche qu’il se met la
main sur le nez pour qu’elle pince
les narines qu’il n’a pas minces.
Ici on peut mettre au concours,
sans s’absorber dans un discours,
la nature et le patronyme
de l’intrus qui nous envenime
rien qu’à l’odeur qu’il met en jeu,
car comme dans le religieux
tout le monde a gagné ô joie !
Nous voilà de nouveau la proie,
ce qui les uns, n’en doutons pas,
réjouit enfin mais d’autres pas,
de Mulat qui vêtu de voiles
Marion la noire nous dévoile.
« Ah ! Te voilà, pauvre Vénus,
crie-t-elle en se frottant l’anus.
La nuit les chattes sont si noires
que tout devient aléatoire.
— Mais, Madame, je n’ai pas tort !
dit Alice que l’inconfort
trouble à ce point qu’elle vacille.
— Mais on était une famille !
Le père et la mère en premier
et la flopée des héritiers.
Tout allait comme sur des roues.
Je fournissais le pare-boue
et la raclette pour les nuls.
Je ne comprends pas ton calcul ! »
Vilage qui plus ne respire
veut encore sauver l’empire
et d’un doigt qui fait le colon
signale que ce n’est pas bon
ni pour la santé qu’on a faible
depuis qu’on la soigne à l’yèble,
ni pour la caisse dont le fond
n’est pas équipée d’un siphon.
« Ce qu’il veut dire, et je résume,
s’écrie Bichtard qui se parfume,
c’est que c’est devenu obscur
et que pour l’art on n’est pas mûr.
Nous, on passe des nuits tranquilles
et pour des riens on s’assimile.
Si vous pouviez nous expliquer
mais sans ce qui peut compliquer
on vous dira ce qu’on en pense
et on fera ce qu’on avance.
— Voilà, dit Alice, mes vieux,
Roussot, je veux dire monsieur
le commissaire est en détresse
sur le trottoir et nues les fesses.
Je ne veux pas vous compliquer
mais si ce pantalon était
encore autour de ses guiboles,
ce que vous verriez, les marioles,
vous aurait déjà vidangés.
— Moi je trouve ça compliqué !
dit la Mulat que point n’amuse
toutes ces mauvaises excuses.
Vous dites que Roussot est mort
ou qu’en tout cas question ressort
il est poussif et va se rendre ?
— Voilà qui peut bien se comprendre,
dit Bichtard qui voudrait crever
mais qui s’accroche avec les pieds.
— Comprendre ça devient complexe
uniquement quand c’est du sexe
qu’on veut s’entretenir à deux,
dit Vilage qui sur ses deux
joues bat la chamade sans honte.
— Si vous voulez que je raconte,
dit Alice en se l’enlevant,
je veux d’abord le voir vivant.
Parler des morts ça me rend triste.
Je n’ai pas l’esprit futuriste.
Voici le falzar qui lui va.
Allez, ne me regardez pas !
Roussot, je dis le capitaine,
qui frise bien la soixantaine,
doit se geler plus que les os.
Dans ces situations l’éros
est au plus bas et on fignole
le discours que les roubignoles
vont remettre sur le tapis. »
Les deux poulets se voient marris.
L’un grince une dent sur une autre
et quant à ce que tente l’autre
on sait bien que c’est interdit.
En tout cas c’est ce que l’on dit
quand on en a dans la cervelle
et qu’on le sent sous les aisselles.
Mais Alice a mis un cahier
devant son triangle, en papier.
Elle a la cuisse sans phanères
et le genou qui fait la paire.
Le pantalon est bien plié.
On voit qu’il est déboutonné
et la boucle de la ceinture
donne à l’aspect de la monture
des airs que si on y était
on changerait d’activité
sans rien dire à la hiérarchie.
Sous le harnais elle est blanchie.
« Il est dans la rue pince-moi,
précise-t-elle sans émoi.
Remettez-lui la zigounette
dans ce futal façon minette.
Ne lui donnez rien à bouffer,
je crois que ça peut l’étouffer,
et portez-le chez Esculape
avant qu’un malheur ne le frappe. »
Les mecs c’est con quand ça descend.
En haut du front monte leur sang
si c’est la fille qui le monte.
Et en plus ils n’ont jamais honte.
Ce n’est pas Mulat qui fait fuir,
mais la jouissance d’obéir
à une collègue en vadrouille
au pays de la carambouille.
Quand on veut vendre il faut payer,
rouspète-t-on à l’étranger.
Tu parles si c’est nous qu’on paye !
Sur cette pensée en bouteille,
qui vaut ce qu’elle vaut ici
et pas ailleurs dans ce récit,
les deux poulets d’un bloc s’avancent
et d’une joyeuse assurance
mettent la main sur le futal.
« Ah ! dit Alice, en général
c’est l’un ou l’autre et pas ensemble !
Voyez donc comment ça vous semble
avant d’y faire avec vos mains
des trous mais alors pas malins. »
Mulat que ces trois-là énervent
à d’autres plaisirs se réserve,
mais pour ce qui est du falzar
elle peut dire quel hasard
l’a mis entre ces six paluches,
deux pingouins et une greluche,
que si on tombe le rideau
pensant aller faire dodo,
on ratera une partouze
qui veut qu’après on le recouse.
Pour entendre il faut écouter.
Or elle a beau les agiter
en parlant haut des conséquences
qu’un grave défaut d’abstinence
pourrait causer dans le travail,
les deux poulets voient des détails
qu’ils veulent toucher pour les mettre.
De leurs instincts ils ne sont maîtres.
Elle est esclave ou bien n’est rien,
le concept est baudelairien,
pensent-ils en parlant d’Alice
qui du chemin dans la police
fera sur un vélomoteur
et non point comme les auteurs
sur une vieille bicyclette
ou pire comme les poètes
à pied sans même un seul ribouis
et les pattes dans le cambouis.
On a besoin d’une casquette
quand on a du plomb dans la tête.
Et du plomb on n’en manque pas.
Du fondu à tous les repas.
Et de la soupe avec des lettres
pendant que les autres vont paître.
Pour lire il faut avoir des yeux.
Il se trouve qu’on en a deux.
Et même deux autres derrière,
ce qui nous vaut du fiduciaire
et des vacances dans le vent.
« Ah ! Ils en ont des arguments
ces deux condamnés à l’astreinte !
Et ils vont te la mettre enceinte
si je ne fais rien pour pallier ! »
s’écrie tout haut sans mesurer
Mulat qui voit la belle Alice
mettre les mains sur les justices
qu’ils ont plus raides que des morts.
Le pantalon sent son rapport.
Elle y veillera sans faiblesse.
Bichtard pousse un cri d’allégresse,
resalissant le pantalon
comme un champion de pentathlon,
ce qui augmente la bavure
et s’en prend même à la doublure.
Il recule avec l’œil en haut
et en berne met le drapeau.
Mulat lui fait sauter la goutte
et d’une plainte le déboute.
Les mains d’Alice à deux battants
claquent sur le deuxième gland
qui donne des signes d’aisance
mais l’homme est dans la résistance
et mord sa langue à pleines dents.
Mulat qui mesure le temps
perd patience et met dans la bouche
l’organe qui sent qu’on le touche
au point exact de sa fierté.
Il se met à collaborer
et en moins qu’il n’en faut pour dire
qu’on ne peut plus rien interdire,
toute la sauce avec grand art
gicle sur le même fendard.
Mulat se bidonne et crachote
pendant qu’Alice se tripote.
« Ah ! Il est beau mon pantalon !
En cuisine c’est un torchon.
Et que dire quant au service !
Heureusement que la police
est notée par les policiers !
Ça ferait beau dans les papiers ! »
Sur ces mots le monde se fige.
Debout mais comme un vieux vestige,
Roussot se dresse le front haut.
Le bas est couvert d’un drapeau
qu’il a piqué à une cloche.
Et en plus il a fait les poches
du misérable qui pétait
parce qu’il n’avait rien mangé.
« Imaginez pour l’historiette
qu’il eût dîné, même croquettes !
Et j’étais bon pour les fumer !
Il en avait tout un paquet ! »
Il sortit une cigarette
et se craqua une allumette.
« On est sans rien dans le caca
et on se paye du tabac
et importé de l’Amérique
qui domine l’économique
et le bonheur qui va avec !
Ah ! Je lui ai cloué le bec
à ce tordu du domicile !
Comment on fait le difficile
quand sans rien faire on peut l’avoir ?
Je suis contre les abattoirs,
mais il est des cas qui échappent
et ça vaut bien qu’on se décape
quand la couche n’est plus du blanc.
Qu’est-ce qu’on fait en attendant ? »
Il prend le falze avec prudence
et voit que dans l’effervescence
on est meilleur qu’avec la main.
Mais pourquoi donc l’air est malsain ?
« Ah ! C’est vous chère présidente !
Excusez-moi si je vous tente,
mais j’ai perdu mon pantalon.
— Et je pourrais en dire long
si je n’étais pas si discrète. »
Alice sous une affichette
croise ses jambes avec mépris.
Vilage qui n’a pas compris
prend une prudente parole
pour exprimer ce qui est drôle :
« Le problème est plus épineux,
si j’ose ne pas dire mieux.
Jusqu’au nombril est nue Alice
faute d’un pantalon propice.
Du capitaine le drapeau
se fait une seconde peau,
ce qui l’honore sans nul doute,
mais le déçoit, je le redoute.
Peut-on sans heurt lui demander
comment son cœur s’est amendé ?
Nous le savons pauvre et fragile.
— Pour la pauvreté, sois tranquille,
il en est de plus mal loti.
Cacochyme, c’est vite dit,
mais je le dis si ça inspire.
Pour la crise eh bien j’ai vu pire.
J’ai retrouvé tous mes esprits
mais ma voix avait bien faibli
et Alice qui impatiente
s’éloignait comme une cliente
n’a pas entendu mon appel.
— Vous pensez bien ! Dans un tunnel
je poussais ma locomotive.
Je suis tellement émotive
que je finirais moi aussi
par avoir les mêmes soucis. »
Bichtard se souleva la tête
car il était sur la banquette
et se fatiguait du plafond.
« Tout ceci est un peu bouffon,
dit-il sans ménager ses forces.
Je vois que concernant les torses,
bien respectée est la pudeur.
L’argument est même vendeur.
Mais je voudrais bien qu’on m’explique,
sans s’égarer dans la critique,
et je n’en dirais pas plus long,
pourquoi il manque un pantalon. »
Marion fait claquer sa cravache.
« Il faut se remettre à la tâche !
Vous deux, quittez vos pantalons
et ne faites pas de façons.
— Mais c’est ma femme qui repasse !
fait Bichtard avec la grimace.
Je ne veux pas entrer dedans
ce pantalon, même en payant ! »
Il soulève avec des pincettes
le vert olive et ses mouillettes.
« Alice et Roussot avec moi !
crie Marion qui ne se sent pas.
Le palais est dans la pagaille.
On n’y voit plus et ça déraille.
Le moment est bien mal choisi
pour refaire avec vos zizis
des trucs qui sont passés de mode.
Je mets fin à cet épisode
que tout auteur bien embouché
n’aurait pas même osé torcher.
Je ne comprends pas vos reproches
au sujet de ce froc de gauche
dont le vert olive majeur
par le sperme est mis en valeur.
Voyez ma robe et mon hermine.
Je lui dois mon teint et ma mine.
Ne laissez propres que vos mains.
Et laissez faire le chemin.
Moi je suis double et je m’en flatte,
mais je vois bien qu’Alice épate
parce qu’elle est un seul morceau
de sa belle couleur de peau.
Et vous Bichtard, qui l’avez grasse
mais dure en dedans et finasse,
vous êtes plus de trois credo
en ville, ailleurs et au dodo.
Je vous prédis bien des voyages.
Non mais visez-moi ce Vilage
qui ne voit pas d’inconvénient
à travailler sans un fendant
et qui l’offre à la belle Alice
en même temps que ses auspices.
Le capitaine est moins construit
mais ça ne se voit pas la nuit.
Et d’une moitié il s’augmente.
Pas plus de dix ans et ça chante.
J’en ai connu des plus tarés
qui faisait ça sur des bébés
avec au piano la défonce.
On se croirait dans un caf’conc’.
Mais tout ça si c’est bien joli
ça ne vaut pas et sans répit
un bon boulot au ministère.
J’en ai un et je sais le faire.
Pour le faire j’ai un palais.
Je dois dire qu’il n’est pas laid,
sinon l’auteur m’en fait la farce
et je ne suis pas sa comparse.
Or voici que bien malgré moi
par bêtise je me déçois.
Je laisse entrer dans l’officine
ceux avec qui je m’acoquine
au bordel et sur les tréteaux.
Je comptais sur leurs capitaux.
Est-ce un mal de vouloir en vivre ?
A l’or je préfère le cuivre.
Mais qu’est-ce qu’on sait du démon
quand on y joue sans le sermon ?
Les procès comme la roulette
du sursis jusques à perpète
ce n’est quand même pas l’enfer !
Dans l’aliment on met le ver
et l’aliment qui ver le pousse.
C’est le métier qui veut qu’on glousse.
Mais par erreur je fais entrer
le Méphisto des poulaillers.
Au début j’ai de la cyprine
tellement que je contamine.
Mais le début c’est à la fin
qu’on en mesure les pépins.
Mon palais est dans le sinistre !
Je ne deviendrai pas ministre.
Même le droit n’est plus un jeu.
Quelqu’un veut y foutre le feu !
Sans solution je m’assassine.
Je me cloue même avec des pines.
En termes clairs, sans contretemps,
je suis venue chercher Vatan. »
Déclaration inattendue
qui d’une attente un peu tendue
s’augmente de lourds grattements,
dans le bas du dos notamment,
d’autant que Bichtard et Vilage
ont le salutaire avantage
de l’avoir nu jusques aux pieds,
Alice et Roussot soulagés
ayant enfilé leurs culottes
comme on disait entre vieux potes
du temps où les malins bourgeois
en cultivaient dans leur bon droit.
« Suis-je ou non votre présidente ?
questionne Mulat qui fermente
comme un bidet dans un hôtel.
Le palais est dans un bordel
tel que je cherche un coq en pâte,
un christ en croix sans les stigmates,
un mec pour me monter au ciel,
enfin l’homme providentiel
qui s’y connaît en exorcisme
mais du calé en athéisme,
pas du faux derche dans un froc
ni du virtuose en pébroc.
Autrement dit de l’efficace,
même nourri à la vinasse.
Il m’est revenu que Vatan
dont le sang est un peu gitan
manie le couteau dans la plaie
et réveille le macchabée
à la demande et pour pas cher.
Il est chez lui même en enfer.
C’est bien le mec que je désire
mettre à l’ouvrage et même pire. »
Roussot prend un air embêté.
Il ne cesse de se gratter.
Les deux condés voyant qu’Alice
ne dit pas non à la justice
en élève le monument
alors que si c’est le moment
il n’est pas choisi dans la forme.
Sans la moitié de l’uniforme
ils redeviennent ce qu’ils sont :
des hommes faits pour la chanson.
Mais Marion lève la cravache
et l’une des deux se relâche
tandis que l’autre met du temps
à baisser le front de son gland.
« Il me semble que cet ivrogne
ne connaît pas d’autre besogne,
fait remarquer Jean-Jack Roussot.
A mon avis ce n’est qu’un sot
qui n’a pas compris que les femmes
mettent l’amour et même l’âme
au-dessus de tous les bienfaits
qui font que leur sexe est bien fait
alors que celui que je porte
peut connaître devant la porte
comme qui dirait l’avatar.
On a beau avoir un pétard
et pouvoir tirer sur les hommes
pour peupler avec des fantômes
(on dit aussi des revenants
si l’humour on met en avant)
les dessus des bancs de justice,
quand on est à l’œuvre des cuisses
il faut tirer dans l’au-delà
sur un tout autre matelas.
Je préfère le parapluie,
mais je vois que je vous ennuie…
— Pas du tout ! Vous avez raison,
dit Mulat en penchant le tronc
pour souiller d’un bureau la chaise
où elle veut se mettre à l’aise.
Pour l’ouvrir je connais des trucs
qu’à côté tous les volapüks
c’est du langage des langages.
Peut-on négocier sans péage ?
Cela se fait souvent des fois.
Je n’ai rien sur moi à part moi…
— Pour signer il faut que je bande,
mais faire ça à la demande
c’est bien ce que je peux le moins…
— Alice peut en prendre soin.
Allez ! Ce soir je fais des dettes !
Je me sens l’âme d’un poète !
Elle est ferme comme un bon pain…
— On vient d’essayer mais en vain…
— C’est que ma demande est urgente !
Le diable n’attend pas qu’on tente.
Veuillez le faire sans délai !
Mais faire quoi si je le sais ! »
Mulat du fouet tous les menace.
Du coup Roussot fait volte-face
et tapote le premier cul
ou bien choisit le plus charnu.
Bichtard fait un saut côté hanche.
Sa face devient toute blanche.
« Quand c’est l’heure je ne dis pas !
rouspète-t-il faisant un pas
sur le bureau où il se couche.
Ne mettez rien dedans la bouche ! »
Roussot se découd les boutons.
Il sort un frêle saucisson
ou c’est un pan de la chemise.
Au premier coup, c’est la surprise :
une des couilles avec lenteur
donne des signes de vigueur.
Bichtard se plaint et veut du pèze.
« Je veux bien mais rien sur la fraise,
propose-t-il dans l’exégèse.
J’en ai besoin pour me vider.
Sur la fesse taper veuillez. »
Marion n’y va pas de main morte.
On peut croire qu’elle s’emporte.
Elle en saigne même des dents.
Jean-Jack se secoue le prépuce
et met en œuvre des astuces
qui font qu’on perd un temps précieux.
« Le palais est peut-être en feu,
grogne Marion qui se fatigue.
Contre moi voilà qu’on se ligue !
Pour une fois que je sais tout
je mets le pied dans tous les trous.
Ah ! Si je perds mes privilèges
à moi seule je vous assiège !
J’ai toujours haï les enfants.
Ce sera mon commencement.
Et pour finir je prends vos femmes
et je boucle le mélodrame
en émasculant les moins bons ! »
Et en plus elle y met le ton,
tellement bien qu’elle se dresse
entre les doigts et sans gonzesse.
Jean-Jack est prêt de s’éclater.
Il va vite et du mal se fait.
« Voilà que maintenant ça saigne !
dit Marion mettant une beigne
sur cette gueule qui s’enfreint.
A ce train-là on est demain !
Je sens que je vais tout le monde
tuer dans le sens que j’abonde ! »
Alice petite se fait,
secouant du trousseau la clé
qui mettra fin à ce martyre.
Vilage que la scène inspire
en profite pour l’occuper.
« Je dis adieu à mon palais !
dit Marion mesurant l’angoisse.
Puisque tu me mets dans la poisse
et qu’en compote j’ai le bras,
je me suicide de ce pas ! »
Et elle interrompt la séance,
tombant sans aucune élégance
dans les humeurs de son colon.
Au vol Jean-Jack pas mollasson
cueille le fouet mais par la pointe
et appliquant le manche éreinte
Bichtard ému qui sous l’effet
ouvre les fesses et à nu met
l’anus qui reçoit la mandole.
Du coup il en perd la boussole,
se met à gueuler comme un porc
qu’on égorge et qui n’a pas tort.
Vilage en perd la turgescence
et gâche toute la semence
sur la joue alors que c’était
dans les deux yeux qu’il la voulait.
Jean-Jack referme la braguette
et veut tailler une bavette
avec qui voudra expliquer
comment on fait pour critiquer.
Ça fait un raffut pas commode,
d’autant qu’il est passé de mode.
A l’époque de l’internet
on met les épures au net
en appuyant sur une touche
qui remet le papier tue-mouche
dans l’état qu’avant il avait,
sans les mouches le prix grever.
« Des fois aussi je participe.
Je peux faire le prototype.
J’ai passé l’âge des discours.
Des promesses j’ai fait le tour.
On peut compter sur l’expérience
que j’ai acquise de la science.
Je suis entièrement gratuit
et même je donne à autrui.
Des hypothèses j’en ai marre.
Dans la théorie je m’égare.
Je fais dans le genre concret,
et en plus je le fais discret.
Si j’ai des fuites je rembourse.
Jamais autrement je me course.
On en voit qui compliquent tout.
Moi au contraire en bon matou
je mets au début le facile
et on se sent vraiment tranquille.
Si on veut une fin en soi,
je peux aussi vous mettre en croix
tout près du ciel et de ses anges.
Et j’en ai une de rechange.
Ouvrez la porte pour l’amour.
A la chandelle on voit le jour. »
Cette voix qui dessous la porte
parlait dans la poussière en sorte
que Marion d’abord n’en perçut
que l’odeur que font les pieds nus
quand sans vouloir on les déchausse
alors que le prix est en hausse,
la réveilla du cauchemar
qui mettait un sacré bazar
dans la plupart de ses neurones.
Déjà elle était dans le jaune,
pas loin du vert qui fait les morts.
Elle avait froid dans tout le corps,
ne chiant plus qu’à la sauvette
quelques gnognotes de biquette.
Se croyant morte pour toujours
elle se faisait de l’humour
et en riait sans retenue.
Dans la poussière elle éternue.
« Ah ! La vache mais quelle odeur !
Les conséquences de l’aigreur
ont fait de toi une poubelle.
Que de haines tu amoncelles !
Dis-moi qui tu es je te dis
si tu mérites le sursis. »
Cette voix lui est familière.
Malgré les bruits de la poussière,
elle en reconnaît les façons.
« Vatan, c’est toi ? Ah ! Mon garçon !
Je prends la clé, je te délivre !
Figure-toi que pour survivre
j’ai besoin de tuer quelqu’un.
— Je veux bien te servir d’emprunt,
dit la voix qui pourtant s’amuse.
Mais dans l’usure ne m’abuse.
Le couteau a ses bons côtés,
mais s’il s’agit de calculer
l’outil en perd ses compétences.
— Pas de soucis ! On est en France.
Tu me connais, j’ai du piston.
Ne t’inquiète pas, mon fiston,
pour les idées j’ai de la suite.
Il faut organiser ta fuite.
Avec la clé c’est du gâteau !
Je mets la main là où il faut ! »
La mettant sur la pauvre Alice
qui veut encore qu’au supplice
on s’exerce avec elle au jeu
qui de son corps fait ce qu’on veut,
elle trouve la clé idoine
et en change le patrimoine.
« De la liberté j’ai la clé !
Toi et moi on va se sauver.
Je ne sais pas où mais qu’importe.
De là il faut que je te sorte ! »
Disant cela à haute voix
l’œil de Vatan elle entrevoit.
La flamme du crime l’éclaire
dans les soupçons de la poussière.
Elle a un doute mais l’action,
surtout si c’est de la passion,
plus forte que la connaissance
qui de la morale est la science,
met la philosophie à plat
et c’est beau comme ce gars-là
qu’elle a connu dans la souffrance
infligée sans grandiloquence.
« Ne parlons plus et agissons !
Tourne la clé, pas de rançon !
Je connais le prix de tes rêves.
Mais avant que la nuit s’achève
tu prendras la vie à Satan.
Viens sur mon corps, mon beau Vatan.
Je suis docile malgré l’âge
ou c’est lui qui me met en cage.
Sait-on ce qui arrive enfin
quand le jour devient sibyllin
et que la nuit de soi s’éclaire ?
Ceci est-il bien nécessaire ?
Je me poserai la question
quand j’en connaîtrai les options.
Tue pour moi ce qui me fascine.
Quand je te vois, je t’imagine.
Renouvelons l’autofiction.
Peu importe la perfection.
Foin de toutes ces précellences.
Ce qui compte c’est l’élégance,
le chic de notre égarement.
Toi et moi joints facilement
hors des fonctions matrimoniales.
Sans position horizontale
comme des fées le rendez-vous. »
Malgré la puanteur d’égout
que Mulat répand autour d’elle,
Marion impose son modèle.
Reprenant le fouet à Jackou
elle en flagelle les bijoux.
Et dès que la porte est ouverte
l’homme qui apparaît disserte :
« La femme est l’avenir de tout.
Mais si je n’en mets pas un coup,
dites-moi quelle est mon histoire ?
Quel enfant pourra bien me croire
s’il n’est de ces couilles sorti
avant de s’extraire d’ici ?
(il met la main dedans la moule
et sous elle de grands yeux roule)
Je sais tout faire avec la main,
mais je suis l’hôte du festin.
L’homme sans passé s’agenouille
et s’en arrache jusqu’aux couilles.
(A ce moment on s’aperçoit
que de falzar il n’en a pas.
Il met ses deux genoux à terre,
la main toujours dans les matières,
de l’autre caressant le gland
qui porte des poils sur le flanc)
Je ne serai jamais ton double.
Ah ! Comme cette idée me trouble !
Que serais-je si tu n’étais ?
Quel nom porterait cette clé ?
(il se rapproche de la porte)
Amis, avant que je m’exporte,
vous comprendrez, sans un violon,
que j’ai besoin d’un pantalon.
J’en vois un qui désavantage.
Les deux autres sont en usage.
Ces deux messieurs qui n’en ont pas
ont ma foi de très beaux appas,
mais faute d’avoir de la toile
comme moi pour mettre les voiles
à l’amarre ils sont retenus.
Sans pantalon, on se sent nu,
demi-vérité sans mensonge.
De la matière, quand on songe,
pour le philosophe en tonneau.
Votre esprit n’a pas de repos
qu’il retienne le réfractaire
qui du coup revient en arrière
et se remet entre vos mains
en espérant que dès demain
un procès en bonne et due forme
résoudra sans perdre la norme
cette figure où le falzar
est un attentat au hasard.
Madame, je suis un poète
et je conçois que l’on m’arrête,
non point comme on met dans les fers
le bougre qui vient de l’enfer,
mais au prix d’une métaphore
qui vaut bien que je vous adore.
Faites de moi ce qu’il vous plaît !
Même cul nu je vous suivrais. »
Et comme il offre son derrière,
aux belles fesses en prières,
pour preuve de sa soumission,
Marion que toutes ces fictions
hermétiques n’inspirent guère
en fouette le savant mystère,
retenant toutefois son bras
car n’étant pas venue pour ça
elle en a toujours la maîtrise.
« Tu me serviras en chemise,
déclare-t-elle avec hauteur.
De troubles ne soit point fauteur
si tu veux vivre avec ta tête.
Les minus habens qui s’entêtent,
j’en fais la croûte du pâté.
D’ailleurs la loi, de mon côté,
son esprit ainsi se l’affine.
Je n’aime pas qu’on m’imagine
sans un palais pour me loger.
A ça il ne faut point songer.
Ce serait beaucoup de temps perdre.
Et comme Ubu, je sais la merdre.
Il faut maintenant qu’au palais
on me suive sans rouspéter.
J’ai des projets pour tout le monde
sauf pour les agents de la fronde.
Roussot et Alice devant.
Et moi je suis après Vatan.
Vous deux refermez bien la porte
et attention qu’on vous en sorte ! »
Ils s’élancent d’un pas pesant
dans la rue où de noirs faisans
paraissent pourtant invisibles.
Mais Bichtard qui est infaillible
quand il s’agit de la question
de savoir qui est de faction
ses grosses mains en l’air agite
ce qui surprend son acolyte :
« On allume le radiateur !
De cette idée je suis l’auteur !
— En plein été ! Et en famille ?
dit Vilage qui s’égosille.
Tu veux quitter le haut aussi ?
J’ai de l’avance sans taxi,
mais pas question de dionysies !
J’imagine la fatrasie
à la une demain matin !
DEUX FLICS UNIS PAR LE SCRUTIN
S’ELISENT SANS LAISSER DE TRACES
Sur la photo on voit de face
nos urnes remplies de papier.
— Le radiateur, c’est pour sécher !
On sèche bien et puis on gratte
comme Alice avec les deux pattes !
On en a un pour tous les deux !
— Ah ! Comme idée on a fait mieux !
Ça devient obscur ou je rêve ?
C’est le moment de faire grève.
— Je te dis que le pantalon
vert olive qui est marron
pour des raisons que je m’explique
et qui supportent la critique,
on le met à sécher dessus.
Et on est à moitié déçu
par cette maudite existence
qui nous joue des tours et j’en pense ! »
Vilage gratte son menton
à la place de son bouton.
« L’idée me paraît excellente,
d’autant qu’elle est concomitante
avec le brillant exposé
de Vatan qui tout bien pensé
n’est pas aussi que nous stupide
en matière d’humanoïde.
Allumons-le, ce radiateur !
— Reconnais que je suis l’auteur ! »
Le radiateur est électrique,
du genre soumis à critique.
Il met du temps à se chauffer.
Quand il est chaud il a séché
le pantalon de cette intrigue.
Sur les visages la fatigue
de la veillée se fait sentir.
On n’est pas loin de s’endormir
lorsqu’enfin le témoin s’allume.
« C’est rouge ! dit Bichtard. Aux plumes ! »
Et il se jette dans un lit
qu’il n’a fait que dans son esprit.
« La connerie a des limites,
dit Vilage qui met en fuite
des mouches faites pour voler.
Dans la vie il faut contrôler
les complications du langage
qui dans la merde nous engage.
Sinon on ne devient pas flic.
Les limbes poussent l’ombilic
(permettez que de ma culture
je signale au moins l’aventure)
plus loin qu’il eût voulu aller.
Je le sais, ça m’est arrivé.
Mais j’étais jeune à cette époque
et je vivais avec mes vioques
qui ne lisaient que le journal
du cyberespace papal.
Depuis je me relativise
et de penser je ne m’avise
qu’en cas d’urgence sur l’écran.
Et alors je prends tout mon temps.
Rien ne presse de ce qui presse.
A quoi bon se serrer les fesses
si on n’a pas envie de chier ?
A deux fois il faut regarder
dans le trou avant de s’y mettre.
Dans le noir on n’en est pas maître.
Et s’il fait jour on ne voit rien
tellement c’est luciférien.
(Râlant il ôte sa chemise)
Je veux bien qu’on me sodomise.
Le concept n’a rien d’un procès.
Et puis quand on connaît l’accès
pour presque rien on se redonne.
Sinon les coups on collectionne.
J’en ai reçu qui font très mal.
Pour le populo c’est normal.
(Il est maintenant sans costume.
Le témoin rouge se rallume.
Bichtard émet un ronflement.
Vilage patiente un moment
puis étend le futal olive
sur le radiateur qui salive)
C’est fou ce que ça peut dormir
un type qui laisse faiblir
ses facilités cognitives
au profit de plus lucratives
et sociales occupations !
Je me dis que c’est la passion
qui manque le plus à nos rêves.
Mais à la pensée rien n’enlève.
Elle devient n’importe quoi
et ses idées sentent le moi.
Pas de marché sans égoïsme.
Lésine assurée des tropismes.
Je me sens moite quand je sors.
Les vitrines sentent la mort.
Je deviens fou sans rien en dire.
Je détruis ce que je désire,
vendant ma force de travail.
Et quand je reviens au bercail,
entre médias et turgescences
filant doux d’autres complaisances,
je me connecte et je m’endors.
Je rêve nu et sans effort.
Je m’alimente de merveilles,
des goélettes en bouteille
aux fantaisies du mythe en kit.
Sur l’écran je trace des bits
et engraisse mes folles puces
qui au cul de mes bugs me sucent
pour que je meure ab intestat.
Je condamne les apostats
et les voleurs qui s’anarchisent.
Ce que je veux est en franchise
sur tous les sites du bon prix.
Je suis celui qui a compris
que le bonheur est dans la soupe.
Il n’est pas question que je loupe
le chabrot de la tradition.
Je suis expert en finition
et quand je suis plein je me couche.
Mes propres désirs j’effarouche,
soignant mon ombre sur les murs,
qui chasse le déléatur
que ma conscience leur conseille.
La caméra qui me surveille,
j’en ai voté l’institution.
Je finance des commissions
et des conseils qui moralisent.
Pas de sujet qui ne m’épuise
et qu’à perpète je remets.
Pour récolter il faut semer,
mais entretemps on me jardine
dans la fiction que j’imagine,
pas sans influences d’ailleurs.
Je ne serai pas le meilleur,
mais je suis bon à ma mesure,
e qui me promet l’aventure
avec Boeing ou bien Airbus.
De l’habens je suis le minus. »
Sur ces mots sort Jojo Vilage
nu comme un ver, le corps en nage
car la pensée sauve sa peau
et le rêve ses oripeaux.
A poil il entre dans la rue
et surprend plus d’une morue
qui se gratte, le pied au mur,
la rotule de son fémur :
« Il serait temps que tu répondes !
On se demande où va le monde.
Des heures et plus que je t’attends.
J’en ai le slip dans le mitan.
Demain ce n’est pas les vacances.
Plus tard si on a de la chance.
Un roupillon à Saint-Martin
chez Balkany qui le tapin
ne le fait pas mais sait y faire.
En moins bien on a les affaires
de DSK qui l’a petit
mais ambitieux à ce qu’on dit.
Plus tu es riche et plus tu bandes.
Et la justice en redemande !
Sans parler que dans les médias
sur le parquet on fait des tas,
tellement que si tu respires
on sent que tu veux déconstruire.
C’est bien joli tes beaux discours,
mais ça ne vaut pas le détour.
Je te dis que je suis luthière !
Les instruments je les digère
et quand j’ai tout bien digéré
je fais des gosses au forfait.
Donne-moi ça que je m’engrosse.
Du repeuplement j’ai la bosse.
Les riches c’est bon pour frimer.
Mais quel poète veut rimer
en ces jours de déclin tendance ?
Laisse-toi faire et recommence. »
Mais Jojo filait sur ses pieds,
chassant le moustique tigré
qui s’en prenait à ses organes.
Il repoussait les artisanes
avec le même énervement :
« Quand on le sait on me comprend,
ânonnait-il dans la rigole.
Je crois qu’au palais on rigole.
Suivez-moi et vous verrez ça !
Sans les putes pas de doxa !
Et sans doxa on est jean-foutre.
De la charrue je suis le coutre.
Qui m’aime me suive là-bas ! »
Mais les proxos au profil bas
faisaient des signes sous les porches.
« Il faut vivre comme on se torche, »
continuait l’affreux Jojo
tout nu grimpant dans les rideaux.
Mais il ne laissait pas de traces
comme font nos chères limaces.
Encore un, mon cher Engeli,
qui sort des limbes du récit,
promettant d’autres circonstances
qui n’en finiraient pas, je pense,
de multiplier les chemins
pour aller où nous n’allons point.
Le roman n’est pas un théâtre
dont les coulisses seraient l’âtre
et la flamme le comédien.
Son style serait trop ancien.
Nous ne jouons plus au poète
qui hameçonne ses boëttes
caché dans l’ombre du décor
et jette ses fils sans ressort
pour qu’à pleines dents on y morde.
Même au milieu de notre exorde
le personnage qui s’en va
accroît l’ampleur du canevas.
On peut prévoir autant de suites
que le récit admet de fuites
et même laisser au lecteur
le soin de choisir les acteurs.
Petit à petit s’amenuise
des personnages l’entreprise
et à la fin il en est un
au comportement opportun
qui sert à conclure ou à faire
en sorte que toute l’affaire
est achevée pour le moment.
Si je connais d’autres romans
que celui-ci parfois appelle,
il se pourra que leurs nouvelles
viennent un jour le compléter.
Mais celui-ci doit s’achever.
Et voici comment je l’achève :
— Mais avant d’accroître ce rêve,
car c’en est un, je le redis
si jamais on n’a point compris,
une parenthèse s’impose :
le présent poème est la cause
et nous y avons donc trouvé
au moins deux classiques effets,
le tout formant le trilogique
roman de ce poème épique.
Voyez comme la création
relève plus que de l’action
de l’esthétique des colonnes
où le toit repose ses tonnes.
A la suite de ce premier
récit qui cause les effets
nous avons prévu sans promesse,
car nous avons d’autres maîtresses
qui apprécient de nos bijoux
les facettes d’un même fou,
un récit où l’on voit Virgile,
mené en auto pas tranquille
par son Armande à l’hôpital
car elle lui a fait très mal
comme on le sait avec la porte.
Avec Bébère elle l’emporte
pour qu’on recouse son pénis
et qu’on se remette au tennis
en passant de bonnes vacances
loin de ces tristes apparences.
Voilà un roman qui promet !
Et à l’ouvrage je me mets
sitôt que celui-ci s’achève.
Ou alors je suis en plein rêve…
dans un genre tout différent,
suivons Jojo sans vêtement
jusqu’au palais où un ministre
prétend mettre fin au sinistre
causé par le méchant Verju
et ceux qui l’ont trop bien connu.
Nous connaissons les personnages
et nous savons sans autre otage,
par le volume ci-dessus
ébauché à grands traits têtus,
au moins comment je les engage
dans un premier effet d’usage.
Nous verrons un fort bel assaut
commandé par un gros conaud
et nous saurons de source sûre
de quels cadavres la censure
nous a injustement privés
au spectacle de la télé
sous le règne des sarkozistes.
Un grand souffle antimonarchiste
passera sur le corps couché
de ce second récit d’effet,
troisième dans la trilogie.
Se clora la cosmogonie
sur ce passable enterrement.
Mais n’anticipons ce moment
car il s’agit pour bien conclure
ce premier récit sans brûlure
d’en choisir le dernier héros
qui remettra au point zéro
le sens à donner à la forme.
Il était question d’uniforme,
plus précisément de falzar.
Ce n’est pas vraiment par hasard
si dans le poste de police
se termine notre caprice,
mais ce n’est pas avec de l’art
que l’on explique le hasard.
On se rencontre sur la scène
car nous ne savons de l’ancienne
que ce que la nouvelle peut
et nous faisons de notre mieux
pour que de l’au-delà les choses
demeurent faits et non point causes.
Nous avons donc laissé Bichtard
couché au sol sans son falzar.
Vatan avec la présidente
devrait en combler les attentes
si toutefois c’est au palais
qu’elle mène son bout de nez.
Léon est donc dans la cellule
où il se dore la pilule
sur un matelas assorti.
Jojo Vilage étant sorti,
c’est entre ces deux personnages
que se joue notre bon ramage.
Bichtard ouvre un œil ensuqué,
se reproche d’avoir pioncé,
et grattant une de ces couilles
dit que l’estomac le barbouille
et que le remède il connaît
si on veut bien lui repasser,
sans le bouchon si c’est possible
car de migraine il est la cible,
la bouteille qui le contient.
Mais en attendant rien ne vient.
Il ouvre l’autre œil et le pose
sur les objets qui se proposent
et le radiateur notamment
lui remet instantanément
toutes les choses en mémoire.
Comme il voit et commence à croire
il établit la relation
entre le sens du pantalon
qui sur le radiateur pétune
de ses diverses infortunes
et la chemise de Jojo
qu’il n’a donc plus dessus la peau.
Et Manu Bichtard craint le pire.
Quand Jojo ses habits retire
ce n’est pas pour aller au bain.
Bichtard connaît bien son copain.
« Il va falloir fermer boutique,
prêter le flanc à la critique,
se laisser encore blâmer
avec inscription au dossier.
Mais pour Jojo ce serait pire.
D’ailleurs qui connaît son martyre ?
A moins que ce soit un plaisir,
la nudité comme élixir,
le népenthès de la croissance
avec la mort pour renaissance.
La chlorophylle avec la chair
comme un avant-goût de l’enfer.
Virgile parlait de « couvercle »
et des mains qui refont le cercle.
Ah ! J’entrave mieux maintenant
ce début dont je suis la fin ! »
Bichtard est un pote à la coule
jamais ivre quand il se saoule.
Il enfile le pantalon,
sautant d’un coup sur ses talons,
et quatre fois dans la serrure
tourne la clé qui la clôture.
Nous savons que Jojo allait
tout nu et joyeux au palais,
mais Manu commence l’enquête
par le début, à l’aveuglette.
C’est ainsi que commencera
le tome trois de la saga.
Ah ! Je vois ça d’ici, mes ouailles !
J’en serai le passe-muraille.
Rien n’est plus fort que de savoir
qu’on est ici dans l’assommoir
et qu’en sortant on est encore
sur le fil de la métaphore.
Cela finira-t-il jamais ?
Ah ! Laissons ce lieu malfamé
et revenons dans notre poste.
Mais sous la tricolore imposte
la porte nous a arrêtés,
car nous n’en avons pas la clé
et peu de chance qu’on l’invente.
Comme à la fin on s’impatiente,
considérant que mettre fin
de cette manière n’est point
de l’élégance l’arbitrage,
il se peut que le bouquinage
dans l’inutile s’est fichu.
Et le lecteur est fort déçu.
Le voilà devant la vitrine
d’un commissariat d’origine,
certes mais où est enfermé
des personnages le dernier,
celui que de la fin on charge
avant d’enfin prendre le large
et à d’autres se consacrer
pour un neuf récit commencer,
tellement neuf qu’on n’y voit goutte
et que de sa soif on ne doute.
Je sais tout cela, même plus !
J’ai la phobie des terminus.
Et voilà comment je l’arrange !
Sans clé personne ne le change.
On s’en va retourner chez soi
et pester en parlant de croix,
de toutes sortes de supplices
dont le poète est le complice
alors qu’on ne voulait qu’aimer
et même des sous dépenser
chez cet ami qu’est le libraire.
Au lieu de ça on désespère
devant une porte sans clé
alors que savamment on sait
que la fin bel et bien existe,
qu’à l’intérieur elle subsiste,
se nourrissant comme un secret
d’un illégitime décret !
Tout ceci n’est pas supportable !
Une autre fois, on passe à table
sans avoir pris l’apéritif.
— Je vous trouve un peu agressif !
Dedans Léon n’attend personne.
Il ne sait même pas qui sonne.
Certes je n’ai pas cette clé,
aucun moyen de l’inventer
et d’une fin aucune idée.
L’imagination est sacrée,
à moins qu’on veuille me prêter
de la fantaisie les attraits.
Avec la magie on peut faire
même des enfants à un père.
On voit cela en religion
où même sans fornication
on conçoit dans l’impérissable.
La chose est inimaginable,
car la pensée qui voit le ciel
voit bien qu’il n’est pas éternel,
mais une claire fantaisie
à cet inconvénient pallie.
Je peux vous traverser les murs,
ou la nuit comme un vrai lémur.
M’élever dans l’air de la ville
et par les toits comme un missile
entrer dans les conversations.
Pas de limite à la passion
si c’est la fantaisie qui prime !
L’imagination nous opprime !
Libérons l’esprit du roman !
Et fêtons-nous comme en aimant !
Demande-t-on mieux au poète ?
Inventons malgré qu’il rouspète
et entrons même sans la clé !
Sur ce banc vous asseoir veuillez
et écouter comment s’achève,
à peu près comme dans un rêve,
ce faux roman qui n’en est plus
à vouloir que ce qui conclut
soit forcément imaginaire.
Pour moins que ça on désespère
de ne jamais savoir la fin.
Pour la nuit c’est bien le matin.
On se lève et on recommence.
De l’art on a la connaissance
et de l’action le jugement.
Voyons, sans plus d’atermoiements,
ce que le mot fin nous réserve.
Nous n’entrons pas, comme en conserve,
dans la cellule où Léon dort.
Nous n’entrons pas, comme on en sort,
dans son sommeil ni dans ses rêves.
Ce n’est pas ainsi qu’on se lève.
La journée nous priverait trop
des conséquences du défaut.
Il faut laisser à la pensée
le souci d’invoquer sa fée.
Et cette fois, imaginons,
sans vraiment lui donner raison,
que dans le noir de la cellule
où la contingence pullule,
que Léon par le cou pendu
des genoux ne s’agite plus.
Vous direz que c’est trop facile !
Tuer dans son dernier asile
le personnage qui fini
doit disparaître du récit,
n’est pas ce que l’on s’imagine
ni ce que pour que l’on termine
la fantaisie met en avant.
Je reconnais que c’est navrant
et qu’il est temps que je m’explique.
Comment faute d’esprit critique,
après avoir autant écrit,
avoir mis les points sur les i
au lieu d’ouvrir la porte au rêve ?
C’est là manquer beaucoup de sève !
…je vous accorde encore un peu
de cet air qui paraît vicieux.
Si vous vous lamentez encore
c’est que je sais ma métaphore…
et je vous pose la question :
combien y a-t-il de pantalons
dans cette impossible cellule ?
Nous savons bien comme ils circulent
sur les fils tendus du roman.
Vatan en étant sorti sans,
il faut bien que sans hypothèse
on en compte deux sur la chaise.
Passons sur les évènements
qui expliquent pourquoi Vatan
l’avait ôté, ce que constatent
les témoins devant ses nues pattes.
Léon pendu porte le sien.
Sur la chaise de falzar point.
Notre regard imaginaire
sur le cou que le nœud enserre
voit bien que c’est un pantalon
qu’on a accroché au crampon
soutenant une lampe éteinte.
N’émettant plus aucune plainte,
Léon est pendu haut et court
avec le pantalon d’amour
(selon ce que chacun estime
des actes précédents le crime)
de Vatan, rien n’est plus certain.
Nous avons donc trouvé la fin,
tué le dernier personnage
et détruit cet échafaudage
qui ne mérite rien de mieux
qu’un renvoi de la balle à dieu.
Et pourtant ce coup de raquette
ne semble pas valoir tripette,
non point que dieu, qui est mal fait,
ne s’y conçoive mieux qu’en vrai,
mais plus haut, pas au pifomètre,
il est écrit en toutes lettres,
que jamais de la vie Vatan,
autrement que par accident,
n’eût attenté à l’existence
pour la priver d’autre échéance.
Il déçut Armande en fuyant
plutôt comme un vrai délinquant.
Si donc tel est son caractère
de Léon pendu il s’avère
que c’est un suicide parfait
et que comme fin il est vrai
à désirer elle nous laisse.
Déçu serai, je le confesse
si l’épilogue du roman
plus bas que terre allait tombant !
Mais il est plus sérieux encore !
Car ce que Mulat élabore,
menant ses troupes au palais,
dans l’eau très vite va tomber.
Dans son cerveau elle imagine
Vatan très fort qui assassine
le diable incarné dans Verju.
Or, Vatan pour nous, c’est connu,
ne peut assassiner personne.
Ce n’est pas qu’elle déraisonne,
mais le récit n’est pas le sien.
Il est de plus en plus le mien.
Et là j’avoue que je m’effraie !
Le couteau remue dans la plaie.
Imaginons, pour un instant,
en ceci prenant les devants
sur ce que sera le troisième
volume après le pénultième
où il sera question d’assaut
comme nous le disons plus haut,
qu’alors Vatan comme une fille
Verju jamais ne décanille…
c’est toute mon œuvre qui prend
le fil de l’inachèvement !
En conséquence je déclare,
…tant pis si de moi tu te marres
mais je tiens à mon avenir
qui vaut ce qu’il vaut en plaisir
et qui m’appartient si je pense
…que le pendu qui plus ne danse,
tirant la langue sans façon
dans le nœud de mon pantalon,
n’est point Léon, tel je l’impose,
j’en assume toutes les causes,
et pour ce qui est de l’effet
force de loi, je m’en défais !
Qu’on le sache, c’est ma nature.
Je ne dis rien de l’aventure.
Et s’il n’est donc ledit Léon,
en dehors de tout pantalon,
il est Vatan, je l’assassine,
comme Unamuno contamine
les pas que dans l’obscurité
je fais pour enfin vous quitter.
Et pour continuer je chante
les aventures de l’amante,
Armande veuve de Verju
qui dans la terre fut mis nu,
car ainsi vont dans la géhenne
depuis que le Monde est en peine
ceux que Justice a mis aux fers.
On dit même que deux enfers
c’est un troisième qui s’annonce.
Il semble que l’Homme s’enfonce
non point dans le Temps comme il veut,
mais dans l’origine du Feu.
Certes ce chant n’est point la place
de tergiverser sur la Race,
l’unique malgré les couleurs
qui font de l’ombre à nos douleurs
où la lumière est une farce
qui dénature ses comparses,
mais le Poète quand il sait
de chanter ne peut s’empêcher
et certaines fois il ergote
en se faisant à la culotte.
Est-ce la Vie qui ne vaut rien
ou le Monde qui dans son sein
porte ce que l’Homme s’explique
en abusant de la critique ?
Je ne saurais, moi qui médis,
me réveiller après midi.
Déjà je foule cette terre
dont le trou n’est pas un cratère,
car ce qui parle ici n’est point
de la profondeur le tintouin.
Je me nourris de ces surfaces
et d’en chanter je ne me lasse.
La prosodie me fait rêver.
Je me recueille à son chevet,
trouvant la lampe peu idoine,
mais la tête dedans l’avoine
je baragouine avec les dés
qu’en témoin têtu j’ai lancés
comme le noyau de la prune
qui mes papilles importune.
Comme le temps est long des fois !
Un roi sans bouffon n’est pas roi
et je suis un bouffon sans reine.
L’aiguille du cadran égrène
plus qu’elle tourne en son ressort.
Je donne de la clé au sort
ne sachant quelle destinée
mon mal déjà m’a cuisinée.
Sans reine je suis un bouffon
et sans moi elle tourne en rond.
Dans la maison je suis le vice
et dehors en toute justice
je possède et le fais savoir
menant la bête à l’abattoir
et ses promesses à la banque.
Et pourtant je sens qu’il me manque
de la seconde la fraction
et de l’infime la passion.
Voilà comment je m’impatiente.
Personne ici-bas ne m’invente,
pas même qui je fus enfant,
qui demeure pour le moment.
Je suis le produit de mes rêves,
comme dans le gâteau la fève.
Sans le sommeil je suis marteau
et l’enclume me fait la peau.
Il faudra bien que je couronne
la compagne qui m’environne
de son principe et de sa foi.
Et la fève me fera roi,
roi sans bouffon au pied du trône,
bouffon sans reine qui ronronne
comme chat qu’on caresse un peu
en rêvassant devant le feu.
Mon Engeli, je déraisonne !
Mais n’es-tu point mon Antigone
toi qu’en français je mets en vers ?
Tous les chemins vont en Enfer.
Nous allons par la même route,
droits comme l’i qui point ne doute.
Ce pays m’a crevé les yeux.
Je ne crois plus rien, même Dieu
du curé a perdu le charme
et l’r roulé de ses gendarmes.
Pourtant ceci est un roman !
Il faut qu’encore le chantant
par la fin on se le termine !
Sinon nous aurons bonne mine
sur ce parterre de croyants
qu’on dit feignants et arrogants.
Nos bourgeois et leurs domestiques
ont élaboré la critique
dans un impeccable concert
qu’à huis clos on joue en Enfer.
Voici nos ours et puis ces quilles
que sur un fil et en famille
nous jouons dans les feux du ciel.
Nous connaissons le logiciel
et les histoires qu’il colporte.
La Poésie prête main-forte
à nos saisies sur les tréteaux.
Mais c’est derrière le rideau
qu’on joue le mieux à ne rien faire.
Voilà comment on désespère,
que le soleil au rendez-vous
dans la chair enfonce ses clous
ou que manquant de peu l’outrage
il se coiffe d’un vrai nuage.
Mais revenons à nos moutons.
La digression redoutons.
Elle envenime le partage
au point que certains en enragent.
Si le lecteur en est ici,
c’est qu’il a suivi le récit
depuis le début de sa trace
au chant premier qui ne se lasse
de dire tout de l’essentiel.
Que remercié en soit le ciel !
Celui où foisonnent missiles
et autres produits de la bile.
Nous avons vu que l’arrachant,
je crois même en la refermant,
à sa porte elle nous l’ampute,
sans toutefois passer pour brute,
du membre qu’il a inséré
en lieu et place de la clé.
Le voilà se frottant les couilles
et passant plus que pour andouille
car il ne trouve pas le vit.
Ainsi nous tenons l’incipit
de ce chant qui est le deuxième.
Nous n’en lâcherons pas le chrême !
Comme Bébère a une auto
et veut réparer le bobo
qui lui rappelle bien des choses
dont il veut oublier les causes,
on y met Virgile et le bout.
Armande le doigt dans le trou
prévient la fuite hémorragique
et sa consommation tragique.
Le moteur de la 2CV
sous la pédale du prévôt
emporte les protagonistes
non point chez un bon bouquiniste,
comme il est dit dans le Coran,
mais vers un établissement
spécialisé dans la couture.
Ainsi commence l’aventure
dont ce chant est la relation.
Bébère tout à sa passion
fait du 60 et des poussières,
une main tenant la portière
et de l’autre voyant venir
sans toutefois contrevenir.
Armande qu’un rien désespère
sent la pulsation de l’artère,
signe que Virgile est vivant
et qu’il se tient à ce roman
comme si c’était la dernière
occasion de ne plus se taire.
La nuit est sale comme un pou.
« Ah ! Conduire ce n’est pas tout,
dit Bébère dans les virages,
car les enfants de nos villages
traversent rues sans prévenir
et ne sont pas tous des tapirs.
— En pleine nuit ! Ah ! Je m’étonne !
crie Armande qui la sort bonne.
Des enfants j’en ai vu des vieux,
mais pas au point de faire mieux !
Ne respectez pas les feux rouges
et écrasez tout ce qui bouge !
Appuyez sur le champignon !
Pensez un peu que le moignon
sans glace est pressé qu’on le couse.
Je veux être une bonne épouse
et commencer par le début,
sinon il ira au rebut.
Je n’imagine pas Virgile
sans girouette au campanile.
Les cloches c’est bon pour les saints,
mais si on n’a rien dans les mains
pour les secouer dans le temple,
on professe le contre-exemple
et l’esprit peut s’en trouver mal.
Et je ne dis rien de l’anal
qui a aussi ses exigences !
Sans oublier que pour la science
la langue a des petits effets
qu’on améliore avec le nez.
— Vous devriez mettre le pouce.
Avec l’index ça éclabousse.
J’en ai même dans les cheveux.
— Je ne fais pas ce que je veux !
J’y mettrais bien surtout la langue.
Encore un peu, il est exsangue !
— Je connais bien le prix du sang !
Si je pouvais, en ce moment,
je vous montrerais ma blessure.
— Je ne crains pas la vomissure !
J’en ai vu et des pas jolis,
mais des qui pissaient pas au lit,
des bien branchés avec des fuites
heureusement restées sans suite.
Et surtout pas du sang. Du sang !
— Je n’y peux rien ! On est à 100 !
Et encore on est en descente.
— Mais je veux que je suis décente !
Je ne fais pas ça tous les jours.
Attention dans les carrefours !
Des fois la nuit il y a du monde !
Quand ils ont bu ils font des rondes
et pas qu’au carré leurs plumards !
Enfin, chacun choisit son art.
Virgile c’est la Poésie
et pas que dans la fantaisie.
Il connaît des trucs que j’y vais
sans pourquoi me le demander.
Il vous met dedans la métrique
et du coup il en a la trique.
Sans ce moyen, il est fini.
Il faut recoudre ce pénis
chaque fois que je le sectionne…
— Je vois ! Vous êtes amazone.
Avec un arc, on peut voir loin.
C’est avec deux bouts qu’on se joint.
Quand c’est coupé, on recommence.
Ô métaphore de la France !
Voilà que je deviens obscur
comme la nuit des temps futurs !
Ici la Justice est eunuque,
portant au lieu d’une perruque
les traces de leurs bigoudis.
De l’anus je suis le dandy,
propre sur moi et ailleurs même,
toujours partant pour le poème
que je relève avec le doigt
faute d’en exercer l’emploi.
L’amour qu’on ne fait pas pour faire
serait une façon de plaire
si les trous n’étaient à ce point
de mes extases les témoins.
Votre sein qui deux fois se gonfle
ne me nourrit que quand je ronfle.
Quel homme ainsi alimenté
peut retrouver sa liberté ?
J’étais enfant et ne suis homme.
De quel côté ce faux binôme
fait pencher du mort le fléau ?
Je me construis un beau tombeau ! »
Paroles qui, dans la voiture,
et sous l’effet de sa toiture
qui prend le vent comme elle peut,
malgré des larmes dans les yeux
n’inspirent pas la belle Armande.
« Ne dit-on pas que s’il rebande
le mutilé en perd le Nord,
à tel point qu’il devient ténor
et veut coiffer sa cantatrice
sur le poteau et sans complices ?
J’en ai connu un qui coursait
non plus comme un cheval de trait
mais monté comme un bucéphale
sacrifiait dans son encéphale
ses anévrismes poussiéreux
et les synapses des aïeux.
On dit qu’il en devint poète.
Sans une amazone à la fête
l’homme devient un employé
qui peine à payer son loyer.
Il ne craint pas qu’on le recouse
car il a choisi son épouse.
Le poète ne choisit pas.
Il ne sera jamais papa,
mais comme expert dans la couture
il connaîtra des aventures
dont le commun ne peut rêver.
Voilà comment il peut crever
sans se soucier de la famille.
Le vers est au fil de l’aiguille
ce que le chas y met dedans.
Alors je mords à pleines dents !
— Mais cette fois c’est une porte
que vous fermâtes de la sorte… »
Dans ce passage dialogué Virgile
ouvrit ses yeux fermés.
Il vit d’abord la nuit atroce
et les platanes qui véloces
provoquaient des scintillements
sur le carreau très joliment.
« Ces souples échines qui s’arquent
dans les reflets ce sont les Parques,
Nona, Decima et Morta.
Je retrouve le placenta
où l’a laissé mon innocence,
heureux de faire connaissance
avec d’aussi pures beautés.
La voilà donc, la liberté,
entre ces six mains spécialistes
auxquelles pas un ne résiste.
J’eusse aimé revenir entier,
avec vous remettre en chantier
l’œuvre chassée par l’Amazone.
Est-il temps que je me raisonne ?
Je n’ai plus d’âge, je suis mort,
étant ni dedans ni dehors.
Quel est ce lieu automobile
où gît la cendre de Virgile ?
Mon sang est encore si chaud
qu’avant de me mettre au caveau
on prendra soin de mes oreilles
et en silence dans la veille
on ne chuchotera pas mot
dont la puce moderato
pourrait achever ma beuglante
par un trop concerté andante.
Un drap noir sur moi est tendu
comme un soir où je suis perdu
à force d’y trouver à boire.
Sur la flamme est un vieux grimoire
que pourtant je n’ai pas écrit.
Rien sur la hauteur de mon cri.
Je vois d’ici ce que vous êtes,
noirs chapeaux ou joues sans fossettes,
lèvres tues des jolis garçons
et fillettes qui sans façon
mettent le doigt sur ce qui blesse.
Des nouvelles de ma maîtresse,
non point celle qui fait l’amour
mais celle qui me veut toujours,
courent comme l’oiseau farouche
sur les gouttières de vos bouches.
On sait qui je suis mais pourtant
rien n’est dit de ces bons moments.
Dans un bocal en transparence
flotte peut-être pour la science
ma bite vidée de son sang.
Je trouve ça un peu blessant…
mais avais-je toute ma tête
quand j’ai choisi d’être poète ?
Je m’en vais avec mon cerveau,
bien habillé et sur le dos,
comme un nageur sorti des noces
qui dans l’écume se défausse
du coquillage trop nacré
maintenant qu’il l’a épousé.
Je salue le marquis de Sade
et accepte son ambassade.
— Vous serez mon hôte toujours,
me dit-il dans le demi-jour
qui frisonne sa chevelure.
Je pratique la dictature,
mais seulement en vase clos.
Je vous nomme ma dactylo
car vous avez le doigt rythmique.
Vous ménagerez la critique
chaque fois que je perds le fil.
Enfin vous avez le profil
qu’aucune érection amicale
ne peut donc de sa verticale
épouvanter, voire violer
l’esprit qui fait de la télé
la poubelle de la culture.
Je ne veux point qu’on vous couture !
Vous avez le tréma de l’i
et je dis que ça vous suffit
pour taper sur votre machine
le renouveau de ma Justine.
Saisissez-vous de cet extrait
et refaites ce que je fais
en le disant pour bien comprendre.
A mon plaisir il faut prétendre,
sinon la mort est un enfer.
Vous pouvez même mettre en vers
ce qu’en prose je veux qu’on suce.
Les poètes manquent d’astuce,
mais le romancier que je suis
on le lit encore aujourd’hui
et pas seulement à l’école.
Appuyez-vous sur mon épaule
et de la main gauche branlez
hardi ! Tant que vous le pouvez,
le vit qui me sert à écrire,
ce qu’autant vous ne pouvez dire
du vôtre qui dans le formol
ne peut plus prendre son envol.
D’ici je vois une fillette
qui s’imagine que poète
est un métier pour les oiseaux
qu’on coupe au fil de ses ciseaux,
car elle est déjà amazone.
Voilà longtemps que je braconne
sur ces terres que leur seul sein
nourrit sans faire de bambins.
Il faut bien que ce soit des hommes
qui ensemencent leur royaume.
Dieu n’existant que pour l’esprit
notre succès est garanti.
Je plains le poète sans bite
qui ne sait point où il habite.
Voulez-vous bien presser un peu ?
Je ne jouis plus comme je veux.
Voilà qui est mieux, ma poulette !
Quand ça rime c’est d’un poète.
C’est en prose que je le dis.
On se croirait au Paradis ! »
Une giclée fend la capote
de la 2CV qui cahote
entre les mains du magistrat.
Ce n’était pas dans le contrat,
mais le doigt de la belle Armande,
et malgré qu’elle s’en défende
quand on lui pose la question,
peut établir des connexions
que même un as en chirurgie
n’en peut imiter l’énergie.
« Je me réveille et je suis mort !
crie Virgile se donnant tort.
— Non point, mon ami ! fait la belle.
C’est une angoisse sexuelle
qui vous travaille le chignon.
Je tiens en main votre moignon,
bien au chaud comme une saucisse
dans le pain qui ouvre ses cuisses
et les referme si on veut
mordre dedans à qui mieux mieux.
J’ai un doigt dedans votre artère
et un œil pour vous satisfaire.
L’oiseau qui se tait n’est pas mort !
Il est encore dans l’effort,
tant que ma main lui est petite.
Voyez-vous bien ce qu’il mérite !
Il en demande et je n’ai plus.
Mais ce n’est plus le gros joufflu
qui fait mieux que des hypothèses.
Il faut dire que sur la chaise
d’une deudeuche on est hip hop.
Comme tape-cul c’est le top.
De Zénon c’est la chélonienne.
Qui veut descendre à la prochaine ?
On fera des enfants plus tard,
à l’aise et fous dans un plumard.
Il faut d’abord qu’on vous recouse,
mais pas sans deux ou trois piquouzes
dont les aiguilles font du bien.
On le fait même avec les chiens.
C’est dire si c’est à la mode.
De tout et rien on raccommode.
Il faut voir les chantiers qu’ils ont !
Du hiatus à la crevaison,
le catalogue des manières
de retourner à la poussière
avec des preuves en béton
qu’on a usé de ses roustons
comme a voulu le bon Moïse.
Ah ! La partie n’est que remise !
On recommence dès demain,
mais cette fois avec les mains
à la besogne de l’orgasme
si je peux par ce pléonasme
abonder dans la gravité
qui sied aux choses du métier.
Le sexe c’est avec Racine
que dans le texte on se l’affine.
— Peut-être mais je suis foutu !
dit Virgile qui n’en peut plus.
C’est douloureux et même atroce !
Moi qui l’avais toujours précoce !
500 vers et du prodigieux
à la journée et même mieux
si le lit était confortable
et le décor abominable.
Des jours entiers à secréter !
Et à la fin du breveté,
des royalties plein les pochettes.
Et toujours l’air d’être un ascète.
J’en ai vécu des jours heureux !
Même quand je n’étais pas deux.
— Puisqu’on te dit qu’on peut recoudre !
On sait comment il faut résoudre.
Dis-le que je l’ai fait exprès !
Et refais-le dans l’à-peu-près.
Voilà comment c’est un poète :
on veut lui faire la causette
et il s’élève dans les airs,
comme si le dieu des éclairs
pouvait lui rendre des services
qu’il refuse dans les hospices.
Je me sens vieille et bonne à rien !
De l’Art je n’ai pas les moyens,
car ce n’est pas moi qui encule.
Encore un trou et je m’annule !
Ah ! Et puis j’en ai plein le cul !
De mon sang je sens un afflux.
C’est chaque fois la même histoire :
je me donne et je veux y croire
mais le mec fait ça en solo.
Ah ! Je suis au bout du rouleau ! »
Sur ce elle ouvre la portière,
se cambre fort bien en arrière,
mais ce n’est point pour se jeter,
ni même pour se suicider.
Son bras dans l’air moite mouline
et le ressort de son échine
donne à la main qui est au bout
l’énergie d’un lance-caillou.
Virgile en conçoit une angoisse
car il est en mauvaise passe.
Le vit n’a pas même le temps
de se vider de tout son sang.
Il virevolte avec les mouches
qui dans la nuit blanche ont fait souche.
A 100 à l’heure il disparaît.
Virgile croit avoir rêvé
et la portière se referme
ou quelque chose dans ces termes.
Pourtant le doigt n’a pas quitté
l’orifice qu’il tient bouché.
Armande a retrouvé son calme
comme celle qui bien empalme
avant d’aller au lit rêver.
Il en a le souffle coupé.
« A 100, dit en riant Bébère,
on peut en perdre la portière
et le siège qui va avec.
La Deuch ne vaut pas un kopek
quand c’est le vent de la vitesse
qui décide de sa détresse.
Veuillez ne plus recommencer.
Certes je suis trop bien payé,
mais je ne suis pas fanatique
des rogatons de l’Amérique,
même que plutôt ils font chier
à nous faire tout dépenser
alors qu’on croule sous la dette.
Il va falloir que ça s’arrête.
Le refroidissement par air
par la République est offert.
La Deuch pour la classe moyenne
et plus bas du vélo qui peine
et même rien pour les chômeurs.
Je ne dis rien des doux rêveurs.
On est là pour servir les riches
et eux nous servent des bourriches
que quelquefois c’est une auto
qui fait la une du loto.
La France c’est un gros village.
On en a marre du doublage.
On veut vivre avec notre temps.
— Peut-être mais en attendant,
soupire Virgile à l’arrière,
mon zob va devenir poussière
avant que je devienne vieux.
Je ne trouve pas ça heureux.
L’homme est construit dans la déroute,
je veux bien, mais sans la biroute
il retourne dans son passé
ou plus malin se fait curé.
Mais moi je me suis fait poète,
zigoteau de la zigounette.
L’anticonformisme me va
comme le gant dans le baba !
— Puisqu’on te dit qu’on va recoudre !
grogne Armande comme la foudre.
Pour l’artère on a le bouchon.
Ça aura disons l’air trognon.
Tu pourras faire avec les gosses
des trucs que même un gâte-sauce,
et j’en connais des saligauds
qui ratent même l’aligot,
n’imagine pas qu’on peut faire.
Pour moi c’est une bonne affaire.
Pas vrai, monsieur le magistrat,
que tout est permis au castrat ?
On en voit même qui sont juges.
En bleu et rose comme à Bruges.
La liberté il faut payer.
Ah ! De philosopher assez !
— Peut-on savoir de quoi, ma chère,
dit le juge comme en affaire,
vous parlez de cette façon ?
Je n’en comprends pas la leçon…
— Elle a jeté ma grosse bite
sans que la Loi ne l’y invite !
— Voilà qui est mieux que bien fait !
s’écrie Bébère satisfait.
Je vous aurai à part entière,
si je peux de cette manière
exprimer la joie qui me prend.
Je vous jalouserai autant
qu’il vous plaira de me déplaire.
Et d’ailleurs comme locataire
vous ne paierez aucun loyer
si vous me laissez caresser
tant qu’il plaira à ma patience
ces deux objets qui ensemencent
sans rien dresser devant mon nez.
— Mais c’est que moi je veux bander !
J’en ai pris la bonne habitude.
Parlez-en à ma solitude.
— Et bien tu ne banderas plus !
tranche Armande, pas de surplus !
Monsieur aime les grosses couilles
et moi je veux qu’on y gazouille.
Nous formerons un couple à trois,
la reine, un bouffon et un roi.
Et bientôt nous serons à quatre.
Conçoit-on un bon vieux théâtre
sans un enfant pour animer
d’autres enfants bien accouchés ?
Une fois fermée la blessure,
c’est dans la puériculture
que nous trouverons le bonheur.
Monsieur le juge en bon jongleur
nous distraira des infortunes
qui limitent la vie commune.
— Et pourquoi pas un monteur d’ours !
Et qui chantera les mamours
du rossignol avec sa poule ?
Dans la farine tu me roules !
Comment un roi sans érection
peut-il inspirer la passion,
ce sentiment dont ne se passe
pas même l’art de la grimace,
aux dames qui peuplent la Cour ?
Pas de roi sans un troubadour
dans le cœur qui le lui pardonne !
L’enfance n’est pas une aumône
et c’est à deux qu’on fait l’amour !
On n’en voit pas autre au labour.
Ainsi veuillez, monsieur le juge,
freiner avant que du grabuge
je ne fasse dans cette auto.
Si je suis un bon zigoto
je n’en suis pas moins un athlète.
Ainsi se conçoit le poète :
certes il est un peu guignol,
mais si ne chante rossignol
l’arbre s’en trouve fort bébête.
Veuillez admettre qu’on me prête
ce que je possédais avant
qu’on me fasse perdre du temps.
Je serai roi en république
si le décret qu’on y applique
dit quelque chose de mes vers.
Tournez le guidon à l’envers
et retournons à 100 à l’heure,
zélés et sans plaindre le feurre,
à bord de ce fragile engin
qui mérite l’alexandrin
au lieu de cet octosyllabe
qui vaut plus cher que l’astrolabe
mais beaucoup moins que le compas,
sur les lieux où on ne voit pas
mais qu’on éclairera de flammes
pour retrouver mon oriflamme. »
Bébère d’un coup de volant
implique à la traction-avant
un demi-tour qui la déplace
et surtout la met sur la trace
du moignon qui n’est pas perdu
car on est en terrain connu
malgré de grosses affluences
et les revers du coup de chance.
Virgile seul bouche son trou.
L’autre main menace le cou
du juge qui sans sa salive
pense que ce qui lui arrive
ne peut tenir qu’à un cheveu.
Armande à genoux sur l’essieu
dont elle croit à l’existence
invoque les dieux de la science.
Les phares balaient le brouillard
qui ralentit le tortillard.
Bébère ajuste ses lunettes.
Cette aventure n’est pas nette.
Il en paiera le pot cassé.
Ça lui est déjà arrivé.
Mais la lardoire de Virgile
qui le pique est plus qu’incivile.
Il en a le poil tout dressé
comme un cochon qu’on va tuer.
« Si on avait une lorgnette !
bronche-t-il pour faire causette.
Ah ! Vous parlez d’un trou du cul !
Pourtant des Noirs j’en ai connus.
On n’y voit rien si on s’enfonce.
Et puis personne n’y renonce.
Quand on y est c’est pour toujours.
— Rien à foutre de vos amours ! »
dit Armande qui fait bien pire
quand il est question de l’Empire.
Virgile va tourner de l’œil.
« Tout ça à cause de l’orgueil,
pense-t-elle en ouvrant la vitre.
Et puis à la fin du chapitre,
on est revenu au début.
Pour en avoir c’est bien foutu.
J’y ai pensé toute ma vie.
Mais passer par la chirurgie
me fait hérisser tous les poils.
J’ai peur que ça me fasse mal.
Ce n’est pas que ça me dégoûte,
mais a priori j’ai des doutes.
C’est vrai qu’on n’a pas tout le temps.
Et puis l’enfant reste l’enfant.
La femme qui veut être un homme
de la fillette a les atomes.
Que faut-il penser de l’esprit
qui s’éteint quand on a tout pris ?
Je hais la société civile
et dans le fond j’aime Virgile. »
Elle se frotte un peu le nez
dans un mouchoir et le remet
à sa place dans le corsage.
Elle y penche son fin visage
et Virgile ne cherche plus
dans les bas côtés inconnus
les traces de son oiseau lyre
qui des fourmis feint le martyre.
« Elle a toujours sa bague au doigt.
Ce n’est peut-être pas l’endroit
ni le moment d’une dispute.
Il a fallu qu’elle m’ampute
de ce que j’ai de plus précieux.
Et me voilà plus suspicieux
qu’un cocu qui n’a pas de preuves
et qui rage d’être à l’épreuve.
J’en trouverai dans le cyber
plus facilement qu’en enfer,
une bien droite avec des glandes
comme les veut la belle Armande.
J’ai lu des bouquins là-dessus.
J’en connais mieux que l’aperçu.
Il paraît que c’est en Russie
qu’on trouve les meilleurs sosies,
façon maison et même mieux
à la lime et au périgueux.
J’en veux une toute pareille,
pas la merveille des merveilles,
mais une place au critérium
et sur les marches du podium.
Ce que je crains c’est la critique
qui fait le lit de la clinique.
Elle vous met dans de beaux draps
et paye même de gros bras
si jamais on se sent malade
au point de faire l’escapade.
Mais par bonheur dans les réseaux
on a pour rien tous les jumeaux
que la vie nous rend nécessaires.
A Moscou c’est même par paire
qu’on les trouve sur le marché
entre les fruits et les poulets.
La turgescence est en conserve
dans des espèces de minerves.
On vous offre même le pieu.
Elle n’y verra que du feu. »
Deux fois on croit l’avoir trouvée
mais la limace est bien crevée
et on voit la trace des pneus.
On devient vite besogneux
et même esclave de l’angoisse
qui fait des trous dans la carcasse
quand la menace est un effet
d’une colère sans délai.
Bébère en perd jusqu’à l’extase
sans pouvoir faire table rase
des faims qu’il éprouve à foison
depuis qu’il a vu la Toison.
Et on respecte le silence
de peur de perdre la patience.
Quel mot n’attise pas l’effet
que la cause dans l’heure met ?
La route se perd en biffures
et la nuit devient très obscure.
« Où c’était que tu l’as jeté ?
Tu n’as pas les lieux repérés ?
Voilà ce que c’est les gonzesses !
Elles reviennent de la messe
mais sans le corps du Saint-Esprit.
Le mec dit qu’il est incompris
et parle de mort volontaire
dans sa confession littéraire.
Bien sûr elle ne comprend pas.
Elle prépare le repas
car aujourd’hui on est dimanche.
Elle veut prendre sa revanche.
Les crucifiés ça fait joli
sur le mur au-dessus du lit,
et même la Vierge a du charme,
souriante malgré les larmes.
Le vieux Joseph parle patois
et les enfants des ayants droit
font des cacas farcis au sucre.
A la télé, chacun son lucre.
Dans le jardin on joue au chien
dont la baballe est le maintien.
J’en ai soupé de ces familles
au point d’en avoir mal aux quilles.
Sans musique j’ai orchestré
des fugues mais dans le sacré.
La pourriture naît du père
et la lâcheté de la mère.
On devient flic ou ouvrier,
voire esclave de leur chantier.
Pas étonnant qu’à la lurette
on se sent des airs de poète.
Je ne veux pas non plus d’amis.
Je fais les choses à demi
sinon je perds le fil d’Ariane.
Pour ce qui est de la banane
rien que des cons et des rivaux.
Et je les charcute in vivo.
Ça fait du bien à ma patience
et enrichit mon expérience
sans la névrose me coûter.
Je ne suis pas aussi pressé
que j’en ai l’air quand je vais vite.
Je sais me servir de ma bite.
Moitié terrain, moitié bouquins.
Je n’admire que les requins.
Quand on ne manque pas de souffle,
on ne porte pas de pantoufles.
Les lèche-culs me font plaisir.
Les délateurs sont des martyrs.
Même les putes magistrates
font d’excellentes bureaucrates
qui manqueraient à nos essais
si par quatre coups de balai,
comme on le voit dans le spectacle
des meilleurs remèdes miracles,
du palais on les expulsait.
Et puis je sais ce que je sais.
Je recommence mon enfance
autant de fois que je m’avance
pour ne plus jamais reculer.
Tout le poème est annoncé.
Pas dans un esprit de revanche.
Je laisse ça aux vieilles branches
qui font la guerre à la Nation
au lieu de s’armer en chanson
contre l’État de leurs monarques.
Avec le plaisir je m’embarque,
moral ou pas et jusqu’au bout.
La Connaissance n’est pas tout.
Rien pour les autres si je crève
et pour les uns je fais des rêves.
Mais Armande ne comprend pas !
Elle prépare le repas.
Je t’en foutrai des nappes rondes
à la place des mappemondes ! »
Virgile est tout surexcité.
Heureusement, il est bridé,
comme le dit plus haut le texte.
Il lui faudrait, dans ce contexte,
au moins une troisième main
et des doigts forgés dans l’airain
pour la secouer par la gorge
comme au Dragon fit le saint George.
« Des fois je me sens malabar !
Pas le chewing-gum ! Le furibard !
— Comment veux-tu qu’on la retrouve ?
Là, mon vieux, je te désapprouve.
Il fait nuit noire et c’est minuit !
On va au-devant des ennuis.
Il faut à tout prix qu’on te soigne.
Et de l’hôpital on s’éloigne.
— Je veux ma bite et au civil,
même cousue avec du fil !
Je sais que le cyberespace
est une invention peu cocasse.
La couille avec un processeur
est un fantasme de ma sœur.
C’est par l’anus que la prostate
fait des petits quand on la tâte.
Quand le hardware est un peu dur
c’est un disque, ça j’en suis sûr !
Et le sucre n’est pas durable,
même en suçant dessous la table.
— Il faut compter avec les morts !
Ça en fait des morceaux de corps !
Et pas que du vieux à l’occase.
Du jeune sans la paraphrase.
Et en plus tu pourras choisir
celle qui te fera plaisir.
Tu peux même essayer sur place
dans le cul d’une autre connasse.
Même les poils sont à l’encan.
Les rouquins sont même fréquents.
On les fait venir de Sicile
des fois que le pauvre Virgile
ne puisse plus se les sauter.
Et si tu veux me consulter,
je feuillette le catalogue
pour t’en trouver une analogue.
Je sais bien comment elle était
à force de te la sucer !
Même du goût j’ai la mémoire.
Ma langue est calée en Histoire.
Certes douée je ne suis point
pour calculer le contrepoint
qui fait le charme de tes odes,
mais j’ai le sens de la période.
Allons visiter les frigos.
Des bites froides à gogo !
Un Alaska des turgescences !
Du sorbet en pleine croissance !
Je ne crains pas de m’enrhumer.
Sur ma science tu peux compter.
La femme est en elle un diplôme,
d’après ce que je sais des hommes…
— Dieu sait dans quel état elle est !
On en voit des foulées au pied,
ajoute Bébère qui saigne
comme le con d’une duègne.
Les insectes sont des gourmands
qui ne laissent rien au passant.
Le loup-garou est sans astuce
s’il ne sait pas que ça se suce.
Même le feu peut arriver
à cause des mégots jetés
par des assassins en puissance.
Le monde est vaste sans la science !
Mais un mort ne coûte pas cher
tant qu’on se garde de l’Enfer.
Je vous sens bien sans une bite
et vous propose qu’on habite,
chacun son lit et sa télé,
dans cette espèce de palais
où j’ai déjà jeté mon ancre.
Nous sommes à l’abri du chancre
et grâce à la conservation
de vos couilles dans la passion,
nous aurons dans une éprouvette
de quoi justifier la layette.
Vous me direz : « Et le Gaston ? »
Ne comparons pas les roustons.
Les vôtres ont atteint la taille
qui dispense de la bataille.
Il a un tout petit kiki,
mais c’est à peine un vieux croquis
auquel il manque l’aquarelle.
Il faillit être demoiselle
(je vous en confie la primeur)
en un temps où le cascadeur
à l’écran prenait de vrais risques,
mais on sacrifia le ménisque
et le prépuce qui vaqua.
Il couchera avec le chat
ou vivra d’autres aventures.
Je lui en laisse les brochures.
Nous y acquîmes le savoir
et le vivre sans décevoir.
Mais le temps a fait son office
et voilà comment deux complices
ne laissent rien à l’avenir.
Vous et moi pouvons convenir
des termes qui vous avantagent.
J’ai du retard à l’allumage,
mais j’en accepte les options.
Quelles seraient vos conditions ? »
Entre le bouffon et la reine
Virgile avait bien de la peine
à décider d’un avenir.
Quand tout va bien, on voit venir,
mais il suffit d’une occurrence
pour que changent les circonstances.
Et le choix était cornélien :
bander à mort sans les moyens
ou faire bander la dépouille
d’un mort qui inspire la trouille.
« L’existence est en érection.
On peut le dire sans passion.
Le personnage en carton-pâte
aujourd’hui personne n’épate.
Mais entre les prêchi-prêcha
du Classique encore à l’achat
et les pets poussifs de sirène
du Populaire qui fait peine,
le Moderne fait ses petits
dans les trous de leur appétit.
Le restaurant n’ouvre ses portes
qu’à l’heure où les autres en sortent.
Racine n’est pas rancunier
car le vrai reste toujours vrai.
Et les rigolos de la scène
sont trop payés, jusqu’à l’obscène,
pour qu’on les plaigne plus que ça.
Le vrai moderne est un poussah.
Il revient à la verticale
pour des raisons grammaticales
et non point parce que les mots,
qui plaisent tant aux vieux gogos,
de l’aristo au prolétaire,
des vers peuvent faire la paire,
au féminin comme au macho.
Dans le pays des maréchaux
la langue s’en prend plein la gueule
côté lexique pour people.
Ça ne lui fait ni bien ni mal
et ça reste même moral.
Mais le Moderne a la grammaire,
seul lien naturel au sommaire
de tous les jargons de l’humain.
Les voilà les petites mains
de l’Universel en cavale,
face aux attentions générales.
On donne à boire et à manger
pour le travail faire payer.
On est encore à la caverne
à s’armer contre le moderne
avec des grands et des petits
et des vieux qui font de l’anti
mais dans le sens de la morale
sous l’égide préfectorale.
Pour la morale je veux bien,
mais il faut avoir les moyens
et pas du fric qu’on ne partage
qu’en fonction de l’héritage.
On moralise si on sait.
Si on ne sait pas on se tait.
Mais la parole est à l’écume
et la vague prend du volume
pour noyer les petits poissons
de l’art qui connaît la chanson
de l’aubade à la sérénade.
Le Moderne est à la noyade
parce qu’ainsi le veut papa
et que maman qui sait tout ça
ne dit pas non à la dernière.
Il aime torcher son derrière
avec du papier comme il faut.
Il faudrait prendre le bateau
et reconstruire l’Amérique
ailleurs que dans l’océanique.
L’indigène a aussi ses lois
et sur ses trônes de grands rois,
et des batailles pour la frime,
qu’on se demande à quoi ça rime.
Entre ceux qui portent la croix
et ceux qui entendent des voix,
entre les pantins du royaume
et la farce qui est dans l’homme
on s’invente des jacuzzis
adaptés au néonazi.
Au bout du compte on se ressemble
et même parfois on s’assemble
pour reproduire et s’amender.
Le Moderne veut parler mais
parler au bourge est inutile.
Il ne quitte son domicile
que pour vaquer dans les sénats
et montrer qu’il est toujours là.
Vulgum Pecus qui le décline
n’entrave rien si ça le mine.
Il vote toujours en secret
mais on sait bien où il le met.
Entre la Loi qui fait des siennes
et le Jeu qui se met en scène,
Burgus et Pecus ne voient rien
et si jamais ils voient trop bien
parce que l’effet de la cause
n’a rien à voir avec la chose
selon ce qu’ils savent de tout
ce qui n’est rien pour le joujou
que la Loi planque sous la couche,
alors ils tirent dans la bouche
comme ils se torchent le croupion.
On peut avoir de la passion
et de l’honneur sous les aisselles,
s’il s’agit de remettre en selle
le Marius qui en a trop dit,
c’est bien après qu’on l’applaudit.
On a tous reçu dans la tronche
de l’ode les plus belles bronches
et même pour pas un radis.
Le travail de l’après-midi
efface les matins qu’on chiade
de l’aubade à la sérénade.
Je me demande si la nuit
et la lumière qui s’ensuit
ne serait point l’échappatoire,
entre matelas et armoire.
Après tout si je dois bouffer
et des grands froids me préserver,
que reste-t-il à la patience
sinon le jour et ses cadences ?
Autant fermer avec les yeux
la porte au nez des besogneux
et des payeurs qui les inventent.
Mais si le sommeil est en vente
comme le dit mon petit doigt,
je suis chez qui si pas chez moi ?
Pas étonnant que je demande
du sexe au moins les dividendes.
Entre le jour où on se voit
et la nuit que je te conçois,
c’est à peine si l’interstice
laisse passer mon appendice. »
Disant cela Virgile atteint
l’orée que le petit matin
réveille dans les interzones
et artiste comme personne
crible partout de ses lueurs.
On voit même dans les hauteurs
les feuilles qui dans la ramée
secouent le fer de leurs framées.
« On est au poil quand il fait jour !
dit Armande faisant le tour
d’un gros buisson tout feu tout flamme.
Ici même nous le jetâmes. »
Du coup on se jette dessus.
On l’effeuille à peine aperçu,
car le soleil sur ses deux cannes
peine à trahir le filigrane
des toiles qu’on déchire en vain
en s’énervant avec les mains.
Des baies traversent l’autoroute.
Des branches craquent sous les gouttes
de la sueur qui sent mauvais.
Et chacun se bouche le nez
car les buissons des bords de route
ont des palais, quand on y goûte,
l’odeur de derrière les murs.
Des grands et des petits l’impur
y trouve une fin pacifique
que les égouts de la critique
troublent plutôt de leur bon bec
dont le chic est souvent à sec.
Quand on y fait le nécessaire
aux torche-culs on se repère
et mettant les pieds où il faut
en principe c’est sans défaut,
à moins d’une sainte colique
ou d’un iléus empirique,
(ce sont là les deux affections
qui limitent de la passion
les excès de l’herméneutique)
que l’étron qu’on veut poétique
se pose comme un ange fait
quand il faut la vierge informer.
Le papier ou la poignée d’herbe,
comme le dit le bon proverbe,
est laissé au goût de chacun
qui prend le temps de son emprunt
ou dérangé par de fâcheuses
rencontres qu’on voudrait heureuses
il se presse et avec les doigts,
comme les ongles en font foi,
il achève dans l’impatience
un ouvrage qui mal y pense.
Moïse a son buisson ardent.
Celui de Virgile est parlant.
Entre la flamme et la parole
pullulent pourtant les écoles.
Il y a même un juste milieu !
Et quelquefois on y met Dieu.
On n’y enseigne rien qui vaille
la mémoire de ces batailles.
Aux chiottes on est enfermé,
à double tour l’intimité
se livre à ce qu’elle veut faire
et le fait quelquefois par terre
au grand dam de Dame Pipi
dont la serpillière est aussi
importante en littérature
que ce que d’autres créatures
font de la merde en vase clos.
Dehors si ce n’est pas trop tôt,
on peut refaire comme aux chiottes,
en ôtant ou pas sa culotte,
le même ouvrage référent.
Le cadre seul est différent.
Mais en plein jour et sans l’ombrage
d’un buisson conçu pour l’ouvrage,
l’affaire est corsée autrement.
On voit les traces clairement,
petits papiers ou herbes mortes,
mais personne pour la main-forte
prêter comme juge le veut.
On fait vite et pas toujours mieux.
Que le mollet touche la cuisse
ou qu’il y cherche une complice,
la contenance n’est jamais
le spectacle qu’on veut donner
à l’anthume comme au posthume.
Enfin s’il faut qu’on se résume,
sur la table de dissection
de notre bon Lautréamont,
à une rencontre fortuite
qui l’achèvement précipite,
(avec ce que cela hélas
montre de notre cher atlas)
que le hasard au moins s’emploie
à déterminer une proie
qui soit facile au moins à fuir,
quittant la place sans désir
de s’y retrouver dans le titre
qui suit la fin de ce chapitre.
Mais revenons à nos moutons,
nos trois qui cherchent à tâtons
dans le buisson que la lumière
complique donc de ces matières.
« Tout cela est bien beau, ma foi,
mais je ne vois pas bien pourquoi
vous voulez qu’un vous le recolle !
Mon frère c’est à bonne école
que vous allez en me croisant.
Ne croyez pas celle qui ment ! »
Ainsi parlait le vieux Bébère
qui du bout d’un bâton dans l’erre
secouant plus d’un papier gras
cherchait ce qu’on ne trouvait pas
malgré un soin systématique
dont Armande menant la clique
à coups de pied et à la voix,
comme cela se fait parfois
sous la houlette de Justice,
était en fait l’inspiratrice.
Qui d’autre qu’elle pût trouver
ce morceau dont point ne rêvait
Bébère attaché plus aux couilles
qu’à leur nécessaire quenouille.
Virgile son petit frérot
prétextait n’avoir pas de pot
quoiqu’il fît pour que le contraire
lui arrivât pour tout bien faire.
« L’un veut m’avoir pour ce que j’ai
mais que je ne peux lui donner
et l’autre pense à me recoudre
comme si ça pouvait résoudre
le traumatisme que j’ai là,
que rien jamais n’effacera
d’autant que question cicatrice
celle-ci promet exercices
que je ne suis voilà pas prêt
à recommencer sans arrêt.
La vie de couple me dégoûte
si je n’en suis coûte que coûte
celui qui décide de quoi
sera construit l’amour courtois
qui se passe de la matrice
et quand le veut bien la complice
ne connaît à fond que ses seins.
Je le dis, j’ai d’autres desseins !
Je m’en irai du côté russe
où l’on trouve au marché aux puces,
sans trop chercher et pour pas cher,
pour ersatz de la bonne chair
des braquemarts en molybdène
et pour se donner moins de peine
du software aux petits oignons.
— Où trouveras-tu le pognon !
La Poésie trop cher te coûte.
Sais-tu qu’à Moscou on voyoute
plus facilement qu’au pays ?
D’étonnement on est saisi
quand un poète de ta taille
prétend dédaigner la broussaille
où il faut bien que son moignon
se trouve encore là sinon
c’est ailleurs qu’il faut qu’on le cherche.
Veux-tu que j’en ai plein le derche
avant de faire ton bonheur ?
Ah ! Tu n’es pas si bon auteur
qu’on le dit dans les magazines !
Entre le frère et la cousine
l’interzone serait cyber ?
Tu ne l’as pas lu dans Flaubert,
moins encore dans ton Homère.
Le russe est une sale affaire.
Il te prive de carburant
toujours dans les meilleurs moments.
J’en ferai quoi de ta prothèse
si jamais c’est dans l’exégèse
qu’il faut chercher de quoi nourrir
la RAM qui construit l’avenir
dans l’orgasme et la surenchère ?
Ah ! Vraiment tu me désespères !
— Non mais c’est quoi ce faux discours ?
Madame veut faire l’amour
et se fout de la cicatrice !
Elle a vu ça au box-office !
Et Monsieur se voit en robot
connecté pour faire le beau
dans le forum et le web site !
Tu parles d’une réussite !
Entre le rêve et l’à-peu-près,
entre le rien et les excès,
je lui propose la famille
et la reproduction sans fille.
Une vie à deux sans raté
et dans la consanguinité.
Du temps à foison pour écrire
avec les couilles ou la lyre
des choses que le populo
met au compte des travelos,
ce qui l’empêche de les lire.
Il tient trop à sa tirelire,
à ses cochons qu’on va tuer
au Mali ou dans les cinés,
à ses vacances bien payées,
à ses maladies remboursées,
à son idéisme mono
et à ses chansons de conaud.
— Viens ma poupoule, je t’adore,
le patron il en veut encore
et j’ai besoin d’un beau vélo
pour dépasser les travelos.
Allons ensemble à la retraite
pour faire nous aussi poètes.
Dire que nous venons de là !
De l’ouvrier au tralala,
quand on est naze pour écrire
la poésie se donne à lire.
La France est un beau trou du cul,
et les Français sont mal foutus.
Mets dedans mon beau corbillon
les ailes de ton papillon.
Quand je te vois je me sens fille,
je veux te faire une famille.
Pour la trompe on verra plus tard.
On deviendra peut-être anar
avec des gosses fonctionnaires
et la légion dans le derrière.
Des poètes le déshonneur
clôt le bon bec des cafardeurs.
Quand je pense à ce qu’il faut faire
pour qu’on nous prenne pour des pères !
J’en ai les dents qui me font mal
et je trouve ça très normal.
Du rendez-vous je suis la fée.
— Ah ! Le salaud ! Il l’a trouvée !
Regarde ce qu’il en a fait !
— Mais, Madame, je n’y étais !
Si le voilà tout écrasé
ce n’est pas la faute à mon pied
ni à l’autre qui fait la paire.
Vous avez très bien pu le faire.
Le vôtre aussi est un suspect.
Ne sombrez pas dans l’irrespect. »
Armande exhibe haut la bite
aussi plate qu’un cénobite
qui à cause d’un sous-marin
qui vient de lancer un engin
ne retrouve plus sa coquille
et se sent seul sans sa famille.
On dirait un morceau de peau
collé sur le bleu d’un drapeau
un jour de gloire sans empire.
« N’angoissons pas, j’ai vu bien pire,
dit-elle en mesurant l’effet
qu’un de leurs pieds a provoqué.
Ça leur donnera une idée
de la dimension débridée
et du style qui est le sien
dans le lit quand je m’y prends bien.
Ils ont des morts de toutes sortes,
même des morceaux qu’on emporte
sans être obligé de payer
le mort dans sa totalité.
Au bout du compte on s’y retrouve
quel que soit le mal qu’on éprouve.
Et puis c’est fort bien présenté.
L’emballage peut se jeter
même à côté de la poubelle.
Allons ne fais pas le rebelle.
J’en veux un avec un gros gland
et un prépuce bien pendant.
Ça ira bien avec tes couilles.
Allez ! Viens-y ! On se débrouille.
Laissons la justice à ce plouc
et investissons dans le look.
A la guerre comme à la guerre !
On a les moyens de parfaire
et on ne veut pas s’ennuyer,
comme chien qui veut aboyer
et qui choisit de ne rien faire
pour à son amphitryon plaire.
Un mec sans queue est un pédant
à qui on veut montrer les dents.
Soyons fiers et patriotiques
et marchons avec la musique ! »
Disant cela elle se met
à souffler dans le vit aimé.
En vain car la viande est hachée.
« Elle est salement amochée,
dit tristement le troubadour.
On y voit comme dans un four
et c’est par pure inadvertance
que privé de son apparence
je lui ai mis le pied dessus
et l’épargner je n’ai pas su.
Mais dans le fond je me pardonne
comme le fit aussi Personne.
— Ah ! Quel beau couple en vérité !
s’écrie Bébère sans flirter.
L’une dans la nuit le balance
à 100 à l’heure dans l’aisance
et l’autre qui n’a pas le pied
léger quand il court au forfait
le réduit en triste bouillie
qui ne peut inspirer l’envie.
Et moi je conduis une auto
sans fatiguer mes biscoteaux !
Il en veut une en métal russe
avec au frein de son prépuce
du logiciel bien connecté.
Mais elle a entendu parler
des prouesses que font en France,
selon l’Académie des sciences,
qui est l’église du savoir
surtout si on se fait bien voir
dans les coulisses de l’arrière,
ceux qui ont l’art et la manière
de faire du neuf d’occasion
avec les vieux de la fonction,
les citoyens anachroniques
qui n’ont vécu que de l’antique,
des vieux dépourvus d’anticorps,
tellement vieux qu’ils en sont morts.
Voilà comment on perd un frère
qui avec elle croit mieux faire
en Russie, en France ou ailleurs,
selon une loi que mon cœur
ne peut juger sans la connaître.
Rabat-joie je ne dois paraître
et seul je m’en veux retourner
pour me faire bien enfourner
par Gaston, Antraxe ou qui sais-je
qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige !
Aimez-vous tant que vous voulez
si toutefois sur le décret
vous trouvez un accord tacite
sur la nature de sa bite
que je ne veux pas même voir
ni en peinture décevoir.
Adieu donc, amants impossibles !
Sur l’échelle de l’indicible
voici le silence à tout prix.
Épargnez-moi votre mépris. »
Ayant parlé de cette sorte,
Bébère aigri ouvre la porte
côté chauffeur sans se presser.
Il prend le temps de redresser
le rétroviseur et s’installe
au volant de l’auto qui râle
sous l’effet de son démarreur.
« Ce salaud veut notre malheur !
crie Armande en y prenant place.
Tu veux la fin de notre race.
Dans une heure Virgile est mort
avec la gangrène où ça sort.
J’ai déjà vu comme sans bite
un homme sain peut mourir vite.
Tu n’iras nulle part sans nous
et même sur les deux genoux.
On a besoin de ta bagnole,
pas que tu fasses la fofolle !
— J’irais où je veux quand je veux !
Je m’en balance de vous deux !
J’ai besoin que quelqu’un m’encule
et ces mauvais effets annule.
Me voilà bien tout retourné
bien qu’en ces lieux je sois resté !
Dans un rêve je cauchemarde
en compagnie de la Camarde.
— Maintenant tu veux du viril !
On ne comprend pas ton babil.
Tu fais partie de cette engeance
qui dit oui quand non elle pense.
— De la Russie je ne veux rien
recevoir surtout cybérien !
Et quant aux morts je les déteste
surtout quand ils ont de beaux restes.
— Et on ne comprend toujours rien !
Si par hasard les os tarsiens
de Virgile en pleine recherche
avaient plutôt botté ton derche
au lieu d’écraser son pénis,
dans quel état tu l’aurais mis ?
Je vois bien ce que tu complotes.
Mais tu n’as rien dans la culotte
et je vais te casser les dents
pour te remettre comme avant.
Ensuite je prends ta voiture
et je me livre aux conjectures
en compagnie de mon amant
qui sera aussi comme avant
avec du macchab ou du russe
et sans que tu me laïusses.
Je crois encore à mon bonheur
et Virgile en sera l’auteur.
Dégage avant que je te casse
ce qui te reste de ta race ! »
Armande avait les poings serrés.
Elle était prête à le taper,
mais sur le volant il s’arc-boute
et la 2CV met en route.
Elle s’ébranle dans la nuit
qui revoit le jour sans ennui.
Ils font au moins du dix à l’heure
en direction d’une demeure
dont le portail est presque ouvert
mais pas assez pour qu’à l’envers,
à reculons si l’on préfère,
du véhicule le derrière
n’en brise le bois et les fers.
On croit descendre dans l’Enfer.
On traverse sans une barge
un fleuve d’un mètre de large
où s’éparpillent des crapauds
dont la langue sans à-propos
répand ses noires médisances.
On devine des arrogances
dans les rouges reflets des yeux
qui trouent l’obscurité des lieux
au vol plus noir d’oiseaux lugubres
tandis que dans l’ombre élucubre
un voyageur là en faction
dans une étrange position
qui fait douter de son essence.
Papier en main il se dispense
de commentaires et d’un bond
met les pieds jusque dans le fond
de l’eau noire qui sent la vase.
On pourrait dire qu’il se case
mais ce n’est pas son intention.
Les fesses encore en action
il achève son vil ouvrage
mais c’est la peur qui l’encourage.
Plus loin l’auto tous feux éteints
bute contre un tas de crottin.
L’homme qui redoute le pire
d’un regard tente de s’instruire.
Il ferme les yeux à demi
comme le font les agamis
dont le cri vient d’une trompette
qui en dit long sur la binette
que fait le chasseur médusé
dont les ressorts se sont usés
sur le fil d’une nuit terrible.
Il ne faut être hypersensible
dans cette sorte de climat
où le regard ne porte pas
assez loin pour que la cervelle
estime que ce n’est point elle
qui invente ce noir locus
où l’on se sent plus que solus.
Et la bête s’immobilise.
Encore un peu, on s’éternise.
L’homme qui veut sauver sa peau
croise un pauvre et jaune crapaud
qui a perdu sa voix sonore.
On nage dans la métaphore.
Comme il a perdu son fusil
d’un rameau vert il se saisit,
avise un coin clair de la berge
où plus d’une racine émerge.
Il en saisit une au hasard
et se hisse sans son falzar
sur la rive où le chiendent pousse.
Encore deux ou trois secousses
et le voilà en position
cette fois de faire attention.
Ce qu’il voit est une voiture,
une 2CV sans toiture.
Il attend, on ne sait jamais
ce que réserve au mois de mai
l’instinct qui la vie encourage
à se reproduire à tout âge.
Inutile de déranger
si on est venu pour baiser.
Et en effet, comme il s’approche,
il voit nettement deux caboches
dont les yeux pourtant bien ouverts
semblent ne rien voir à travers
le pare-brise où l’essuie-glace
imite le bruit de sa trace.
Un phare pend sur le côté.
On entend un bruit indiscret
ou peut-être mieux dit très louche.
Pas un mot ne sort de ces bouches.
L’homme remet son pantalon
sans se soucier de ses flonflons
qu’une peur croissante compresse.
Sont-ce deux morts qui se connaissent
et qui venus de l’au-delà
se souviennent que ce n’est pas
la méthode la plus facile,
du moins quand on est cinéphile,
de perdre la vie pour toujours
que de la perdre en plein amour.
Quel est ce bruit qui trop ressemble
à un pet tel que les murs tremblent
quand il est mûr en société ?
On en conçoit de l’anxiété,
mais l’incongruité est telle
qu’on peut la croire accidentelle.
Puis un craquement de buisson
signale que dans le frisson
il va falloir se faire face
et même avoir un peu d’audace,
voire beaucoup si le zombi
n’est point le biffin du gambit,
car les revenants quand ils viennent
ne s’en retournent pas sans peine
et celle-ci n’est pas son mal
mais le vôtre comme le pal
commence bien ce qui s’achève
dans une atroce et male crève.
Sanchaise, c’est le nom dudit,
frotte le chien de son fusil
avec un doigt non sans retouche
malgré le manque de cartouches,
ou du moins celles-ci dans l’eau
se sont mouillées. Le voilà beau !
Il tremble mais de la carcasse
car dedans il est même jouasse
tant l’occasion le rend marteau.
Mais pour le dire il est trop tôt.
Le buisson s’ouvre mais sans flamme.
Et le voleur qui, sans sésame,
apparaît alors est hideux !
Sanchaise qui n’est pas peureux
menace l’être de sa crosse
et promet même plusieurs bosses
en cas de conflit à venir.
Comme il le dit sans déplaisir,
car la bagarre est prometteuse
de voluptés fort ambitieuses,
le spectre recule d’un pas,
un pied de retour au trépas
et l’autre encore dans le monde.
Sanchaise qui sorti de l’onde
et porte les traces sur lui
semble appartenir à la nuit.
On dirait une hamadryade
qui déracinée se balade,
humide et froide comme mort
et qui comme lui sent très fort.
Les deux suppôts se paralysent
et l’air autour d’eux s’électrise.
L’un pense qu’on vient de très loin
et qu’on veut dans ce triste coin
le condamner sans agonie
à un séjour dans l’uchronie
dont il est bel et bien question
dans les meilleures des fictions.
L’autre voyant que même en France
les vieux mythes dans l’endurance
peuvent encore influencer
les ouvrages les mieux pensés,
oublie que c’est par son artère
qu’il se vide sur le parterre,
lequel en ce trouble moment
est composé exactement
de feuilles en tous points semblables
à celles que l’abominable
déesse autour d’elle répand.
On voit même un lierre grimpant
la retenir par ses racines.
Et en effet Sanchaise opine
que si le sorcier veut de lui
il court au-devant des ennuis
que lui réserve la nature
qui voit dans la mort une injure
quand dans la vie elle prétend
changer non seulement le Temps,
dont nous savons l’irréversible
depuis que des pieds à la cible
Achille n’en finit jamais
de contester même le fait,
mais aussi ses vastes espaces
où croissent des millions de races,
races de poils et de couleurs
aux parentés non sans douleur
dont quelques-unes, pour la chasse,
ont de l’esprit et de la classe.
Et sûr qu’on ne peut l’arracher
sans de ces liens le délier,
Sanchaise enfin prend la parole
et pas peu fier d’avoir un rôle
à jouer face à l’ennemi
qu’il défie sur le tatami
d’une éthique mieux qu’éprouvée
dans les chansons les moins chantées,
il invite ce « Vieux zombi »
à retourner dans son bouiboui
sans faire plus de commentaires
car l’homme n’est point sur la terre
ni la femme qui en fait cas
et lui cause bien des tracas,
pas même l’enfant qu’on fait taire,
pour laisser faire ses sorcières
et verser le sang des poulets,
prêtant le flanc aux triboulets
qui en amusent les parterres
au détriment de l’adultère,
pratique soit dit en passant
sans laquelle pas un roman,
ni le cinéma qu’il inspire,
ni les procès faits aux vampires,
ne donneraient vie à trépas.
« Ainsi l’ami, n’est-ce pas là,
et je vous parle sans mémoire
de ce que je sais sans y croire,
preuve que je suis de mon temps
et qu’au vôtre il faut maintenant
que vous retourniez plus que vite.
On est bien qu’en ce qu’on habite.
Vous voulez repeupler l’Enfer
qui n’est plus à la mode en vers.
Et même en prose on le méprise
car ce n’est plus sous son emprise
que nous connaissons le malheur,
mais dans ce délirant ailleurs,
ce succédané de l’extase,
invitation à l’épectase
(surtout si on est sans radis)
qui est ici le Paradis,
tant pour ceux qui bien en profitent
que pour ceux qui ne le méritent
et qui en rêvent tous les jours
au lieu de payer le débours
que le travail toujours propose
car l’effet naît des bonnes causes.
Voyez comme un symbole fort
ce lierre qui retient mon corps
et tout ce qui dedans sommeille
comme le Juste sous la treille. »
Et se tournant d’un geste beau
vers le sinistre et beau tombeau
que la 2CV représente
sur ces tréteaux que la mort hante,
Sanchaise comme l’avocat
de sa manche fait un grand cas
et poursuit sa belle harangue :
« Si nous parlons la même langue,
vous la vôtre qu’on sait par cœur
et moi celle de l’arpenteur
qui n’entre dans la citadelle
que pour avoir encore d’elle
un peu de sueur à son front,
pourquoi résister dans l’affront,
moi sous le lierre qui me grimpe
et vous dans cette étrange guimpe
qui féminise votre mort
et la fait même, sous le corps,
saigner pour nous y faire croire.
Vous subîtes d’affreux déboires
si j’en juge au saignant trauma,
comme dirait le vieux Thomas,
qui prouve que dans l’injustice
on vous prive même de pisse.
Ce doigt que vous mettez dedans
ce qui fut un arrachement
vous prive aussi de cette joute
et presque vous met en déroute.
Un bras vous reste pour gagner
mais je vous veux, moi, épargner,
pour vous inspirer le dialogue
et remettre dans la pirogue
tous les objets du rituel,
afin que devant l’éternel
vous fassiez suite à ma demande.
Ces deux amoureux dont l’un bande,
l’autre donnant à cet oiseau
ce qu’elle fait de son museau
quand l’amour par-dessus la cime
trouve la léonine rime
qui convient à sa diffusion,
ces amoureux que sans raison
vous voulez mettre dans l’abîme,
je veux les sauver de ce crime ! »
Sous l’effet de ce baratin
adressé tel au diablotin,
celui-ci devient plus que pâle.
Il en a mal au trou de balle
que sa main libre veut boucher
comme l’autre sait emboucher,
avec un doigt qu’il esthétise
pour pallier certaine méprise,
le trou qu’on lui a fait devant.
Le voilà sans main maintenant.
Et un seul pied dessus la terre,
l’autre ne faisant plus la paire.
Voyant facile le combat
Sanchaise envisage tout bas
qu’à portée il a la victoire.
Il élève alors sa pétoire
et d’un fort coup sur le sommet
du crâne qui porte toupet
et même lauriers en couronne
qui a pompon comme dragonne,
il envoie ce diable à Vauvert
et les doigts ainsi de travers
laisser pisser d’un côté chiasse
et de l’autre non sans grimace,
car les morts qu’on remet dedans
mettent dehors toutes les dents,
un sang dont la faiblesse est telle
qu’on peut dire sans bagatelle
que seul un mort peut en verser
quand on l’oblige à traverser
dans l’autre sens le paroxysme
qui fait de l’existentialisme
le sommet qu’à peine arrivé
il faut redescendre au jugé.
Plus on s’éloigne de la science
et plus on mise sur la chance.
C’est la règle en toutes saisons.
Confiner à la religion
provoque en plein sommeil des choses
dont le réveil n’est pas la cause.
L’affaire pliée en beauté
notre Sanchaise veut tirer
un coup de fusil au feuillage
que l’autre secoue davantage
car il veut encore en sortir,
vouloir qui ne fait pas plaisir
au chasseur qui sur les cartouches
souffle l’air qui sort de sa bouche
et les secoue pour estimer
le degré de l’humidité.
Pendant que l’un dans l’hystérie
veut mettre fin à l’agonie
qui le ramène d’où il vient,
l’autre qui se connaît trop bien
et qui en verres se mesure
au seul degré de son usure,
ne veut pas croire ce qu’il voit
et même rit en voyant quoi ?
Mais l’un des morts de la voiture
qui en sort pour dans la nature
exprimer un simple besoin
dont il parfume tout le coin.
Et comme l’odeur est vivace
l’autre mort fait une grimace
et en dit même quelques mots
qui ne sont pas d’un Eskimo
mais d’un gars du pays de France
qui fait savoir ce qu’il en pense :
« Pouvez-vous faire ça ailleurs ?
J’ai le nez plus fin que l’odeur
que vous répandez sans scrupule.
Sur ce la Loi rien ne stipule,
surtout que le cas est la peur
qui relève d’un bon docteur
et non d’un juge qu’on agace,
mais l’usage veut qu’on le fasse
dans les coins les plus retirés
pour la morale préserver
et soulager dans l’esthétique
ce qui s’épargne la critique
en faisant bien ce qui fait mal.
Je ne sais rien du Code anal
qui étend la loi du mariage
aux dangereux libertinages
prétendant faire des enfants
sans la nature dans le bran.
J’en veux un mais pas sans les couilles !
Vous me prenez pour une andouille ?
Virgile est bien comme l’a fait
la succession stricte des faits.
— Je ne sais pas ce que vous êtes
mais on voit beaucoup de poètes
qui écrire ne savent pas.
Faire des lignes à tout va
entre les vides de la page
présente plus d’un avantage
à qui veut gagner les lauriers
sans l’esprit trop se fatiguer.
Les professeurs de nos écoles
quand ils n’enculent pas nos drôles
prennent le temps de leur nombril
et savent même sur le fil
les infortunes du tiers-monde
car leurs vacances sont fécondes.
Et même ils y côtoient des flics
qui leur refilent tous leurs tics.
Sans trop se crever la patate,
car se fatigue qui baratte
et le beurre est bien mal payé,
ils font des lignes à gros traits
entre lesquelles il faut lire
ce que soi-même on peut écrire.
Et en plus pour être compris
ils se distribuent tous les prix
qui font bien dans les ministères.
Le vrai poète doit se taire,
ou passer pour un emmerdeur
qui n’a pas la légion d’honneur.
Voilà ce qu’en France on sait faire :
manger à même le parterre
et trouver ça bon pour l’esprit
surtout si là on l’a appris.
Et le poème-serpillière
prétend égaler Baudelaire.
Le descendant de l’ouvrier
pour sucer n’a pas oublié
qu’il faut d’abord tirer la langue
ce que facilite la gangue.
Tous les pendus vont le diront.
Vous ne savez pas comment font
les Rimbaud et les vieux Verlaine.
Pourquoi vous donner cette peine ?
Devenez prof et écrivez.
Le temps ne peut pas vous manquer.
N’inventez rien, faites des signes,
n’importe quoi avec des lignes
et Brémond le pizzaiolo
vous en tartine le vélo
pour faire un tour à la campagne
au lieu de crever dans le bagne…
à Biribi sans rien voler
et en volant à la Santé…
de l’écriture qui travaille,
qui ne doit rien aux épousailles
du larbin qui prie au Sénat
aux patelins du juvénat
avec l’artiste qui sait faire
et l’employé thuriféraire.
République des professeurs,
intermédiaires des censeurs,
mouchards payés pour la popote
inculquer à nos petits potes,
ces vieux marmots qu’on a payés
et qu’en pensant au cher loyer
on fait car il faut bien en faire.
On a un trou et des affaires
qu’on se met dessus quand on sort.
On a du respect pour le corps.
Ah ! Merde on est rien quand j’y pense !
— Peut-être mais, fosse d’aisance
et coin tranquille pour pisser
font de l’homme une société.
Les animaux sont des poètes.
Ça leur sert à quoi d’être bêtes ?
Et ça revient tous les printemps
pour critiquer nos chers enfants
qui aiment bien la poésie
inspirée par la bourgeoisie
à nos poètes-professeurs.
On est des frères et des sœurs.
Si l’inconnu est dans le père
du moins on sait qui est la mère.
Vos Arabes, Grecs et Latins
on les lessive le matin.
On leur arrache le langage
pour que dans nos jolis villages
on s’assemble sous le drapeau.
Et quand se lève le rideau,
c’est la France, pas l’Arabie,
ni les sources de l’Italie,
qui dans l’air prend de la hauteur,
les pieds sur terre et le bonheur
garanti par le ministère.
Les poètes doivent se taire,
laisser la place aux professeurs
qui sont aussi de bons censeurs,
des domestiques véritables
qui savent comment sur la table
on dispose assiettes et plats
qui font à eux tout le repas.
A quoi servent les vers qui pensent ?
A rien du tout sans les vacances.
Dessous la terre on les mettra
même vivants, comme des rats.
Leur pourriture est nourrissante.
Reconnaissons cette variante
de l’engrais qui sert au jardin.
Enseignons-la même au larbin
en formation dans nos collèges.
Mais le programme qu’on allège
par ces trous vite à la raison
revient car dans notre maison,
je veux dire la République,
on a le sens de la critique.
Les profs ont de l’inspiration,
quelquefois même des passions,
on en voit qui portent couronne
et chevauchent de vraies personnes
qui trouvent tout ça très normal.
Et ma foi s’ils écrivent mal
ils inventent une poésie
qui vaut bien l’adab d’Arabie.
Bientôt on pourra grâce à eux
éditer tout ce que l’on veut,
des petits papiers en musique
de Nougaro qui a la trique
car son oiseau qui fait pipi
à autre chose sert aussi,
(c’est le côté pédagogique
qui dit avec quoi on fornique)
aux notes mises dans le ver
de Bénezet qui en Enfer
signe des œuvres incomplètes,
preuve qu’il fut un vrai poète.
Entre Breton et Aragon
il veut prendre une décision
qui dans l’esprit laisse des traces
dont le professeur ne se lasse
s’il ne préfère la chanson
et son Renaud qui a tout bon.
Alors veuillez, madame Armande,
faire ce que je vous demande
et ne point chier dans mon giron
car le juge est, à sa façon,
un professeur qui veut écrire
et ne sait jouer de la lyre,
ce qui n’empêche pas le droit
de s’appliquer et même au roi.
— S’il faut trouver un roi sans reine
dans ce royaume à la douzaine,
les poules y auront des dents
avant que naisse leur enfant !
Je chierai, ne vous en déplaise…
— Savez-vous que mon nom, Sanchaise,
dit en avançant le chasseur
car les morts n’ont pas cette odeur,
vient à point vous faire la rime.
— Et pour cela je vous estime, »
dit Armande en torchant son cul.
Elle remet bien par-dessus
l’aile fendue de sa chemise
et cause ainsi une surprise
chez le chasseur dont le quibus
est déjà rogné par l’anus
et ce qui en sort le dimanche.
Au lieu du bras, il prend la manche
et l’extrait ainsi du buisson
où elle a déposé l’étron.
« Décidément, le vieux Moïse
connaissait bien son entreprise,
dit-il cultivant l’allusion
qui en principe et sans raison
fait le succès de ses rencontres.
— La Bible je ne suis pas contre, »
dit Armande pour en parler.
Mais Bébère posant le pied,
qu’il a comme la main de large
et long surtout entre les marges,
sur l’étron qu’il n’est pas question
de céder ainsi sans passion
à l’intrus qui point ne se cache
d’avoir du goût pour ce qui crache,
le regarde de bas en haut
et ne voyant rien comme il faut
le condamne à prendre le large
car ici on voit qu’il surcharge
une situation déjà
fort compliquée par le caca.
« Savons-nous bien ce que vous êtes,
dit-il en redressant sa tête
qu’il a cognée sur le volant
quand la 2CV s’arrêtant
eût atteint une plate-bande
qui finissait dans la lavande
après avoir dressé un mur.
— De cela je ne suis plus sûr,
dit Sanchaise faisant la bête.
Mais c’est pourtant comme poète
que cette dame j’approchai
pour rimer avec les effets
qu’elle produisait sans silence
au profit de son apparence.
On vient souvent ici chier
comme en témoignent ces papiers.
Et souvent je jouis du spectacle
sans chercher à y faire obstacle…
— Pourquoi donc empêcheriez-vous
le voyageur qui après tout
en l’absence d’un bon office
fait ce qu’il peut quand il en pisse ?
crie Bébère qui veut châtier
l’atteinte à son autorité.
— C’est que je suis propriétaire
de ces sauvages sanitaires,
ainsi que de ce pauvre mur
qu’on voit mieux quand clair est l’azur,
il est le mur de ma demeure
mais la nuit en compte les heures,
je le reconnais sans dessein.
— Qu’avons-nous besoin d’un dessin !
glousse Armande que le plombiste
ne déçoit pas quand il insiste.
— On a des poètes de nuit
et de jour on a de l’ennui,
dit Sanchaise que le distique
met sur le plan de la critique.
— Je trouve bien beaux vos oiseaux,
s’écrie Armande un ton plus haut
pour donner dans le monostique
dont elle ignore le tragique.
— On en voit un seul cependant,
dit Sanchaise qui le montrant
apprécie la stichomythie.
— Ces choses-là sont bien jolies.
— Cette chose a de l’avenir.
— Mais je vous crois sans déplaisir !
— Avec le temps on s’améliore.
— Que veut dire la métaphore ?
— Je dirais plutôt procédé.
— Vous dites bien s’il faut céder !
— C’est le miroir de ma fortune.
— Et de la gloire la tribune.
— Je la connais bien mieux que vous.
— Mais j’en connais d’autres surtout !
— Le monde est un mouchoir de poche.
— On y voit des choses bien moches !
— Pourquoi vouloir les regarder ?
— Vous prétendez m’en empêcher ?
— Je ne joue bien qu’à la marelle.
— Il faut que je me fasse belle !
— On n’y joue bien qu’en la prenant.
— A pleine main ou la baisant ? »
On voit ici que le dialogue
prenait d’un premier épilogue
le chemin qui mène tout droit
aux choses qui ne se font pas
quand les latrines à l’air libre
faussent le sens de l’équilibre
du témoin qui ne veut pas voir.
Bébère d’un pas sans s’asseoir
entre les deux oiseaux qui causent
son autorité interpose :
« Il est bien temps de folâtrer
comme si le temps des bergers
trouvait encore des bergères
pour faire beau dessus la terre !
Laissez là ce morceau de roi
et plus même donnez-le-moi !
— Je ne me donne à la Justice,
dit Sanchaise dans le calice,
qu’en cas de fillette et encor,
si privé de son doux accord,
je me vois contraint de le faire !
On me vit prendre l’adultère
par les cornes qu’il a sur lui
et satisfaire sans ennui
tant le mâle que la femelle.
L’un se prend dessous les aisselles
et apprécie sans attendus
l’enfoncement qui lui est dû.
L’autre arrive sans sa culotte
et se passe tant de parlottes
que le coup en un seul est fait.
Le seul témoin est le greffier.
On peut compter sur son silence.
Il n’exige rien en balance,
car ce n’est pas dans les palais
qu’on contamine les valets.
Par contre les hôtels de ville
relâchent les mœurs de l’édile
qui peut sans culture et sans foi
faire subir sa propre loi
au point que la magistrature,
qui n’est pas franche par nature
comme on le voit quand ça va mal
et que le sillon proverbial
ne tient pas même ses promesses,
se sent gagnée par cette ivresse
et laisse aller comme on se vend
le grison qui vient du couvent.
La France est un pays de moines
qui conservent le patrimoine.
— Je ne sais toujours pas, Monsieur,
quand même sont à vous ces lieux,
qui vous êtes, pourquoi vous l’êtes
et comment dans la vie vous faites
pour ne pas finir en prison.
On en voit perdre la raison.
Même souvent, car j’en suis juge
et jamais je ne me déjuge !
— Ne me dites pas que Gaston,
qui pèche un peu côté bâton,
fait partie de vos connaissances.
En voilà un sans accointances !
Pas moyen de le dépraver.
La cause ne le fait rêver.
Heureusement, le juge est pire !
— Vous faites bien de me le dire,
d’autant que je le connais bien
et je crois avoir les moyens
d’en dire plus que vos postiches,
car la corruption il s’en fiche.
L’amour seul le met en état
de commettre des attentats
sans blesser ce que la personne
à ses ouvrages lui redonne.
— Pardi ! C’est que l’homme est petit !
A cet endroit les concetti
dépendent trop de leur contexte
pour discuter leur vrai prétexte.
En large et dans la profondeur
l’homme déclare son bonheur
comme il sait le mettre à sa place,
avec des mots qu’il dédicace,
même sans rien si l’inconnu
ne dit pas d’où lui est venu
ce charmant défaut de la langue
qui disserte et point ne harangue.
Un pet vaut bien tous les poulets.
On voit le dogme s’écrouler.
Je suis ravi de vous connaître
et vous invite à vous remettre
mieux que dehors à l’intérieur
où je réside avec ma sœur.
Je vous réserve des surprises
qui sont de ma seule entreprise.
— On ne veut point vous déranger,
dit Armande sous le berger.
La conversation est finie,
mais non point votre litanie.
Je sens que vous baissez le ton
si j’en estime par le fond
la dimension de la prouesse.
En ce savoir je suis maîtresse
et en sais plus que des notions.
Finissez la conversation
sous peine que je sois déçue.
Pour ces choses je suis conçue.
Je n’avais point d’âge au premier
et vous n’êtes pas le dernier.
Encore un mot et on achève ! »
Et Sanchaise s’y met sans trêve.
La tôle de la 2CV
se plie sous l’effet des travaux.
Armande qui, la cuisse haute,
ne se repent point de sa faute,
se mord la langue jusqu’au sang
et le chasseur y met dedans
la sienne en gonflant les deux joues.
La glaise gémit sous les roues.
Et un oiseau qu’on ne voit pas
dans un arbre fait un faux pas,
secouant du rameau les feuilles.
« Mon ami, la gloire se cueille
comme les fruits avec le cœur.
Ainsi se conçoit le bonheur
et à l’ouvrage on le mesure.
Vous êtes faible de nature,
en tout cas de ce côté-là
même si ça ne se voit pas.
Ou je suis trop forte pour l’œuvre.
Il faut penser à la manœuvre
et non point vous mettre à rêver
quand c’est dans la réalité
que nous agissons forts et libres
pour ne pas perdre l’équilibre
et que les sens tout excités
on s’emploie à la volupté.
— Je ne sais pas ce qui m’arrive !
Je fais de mon mieux et j’active.
Le trou est peut-être trop grand.
J’ai l’habitude des enfants,
des bonshommes comme des filles
qui héritent de la famille
et l’ont étroit des deux côtés.
Je m’y suis trop habitué.
C’est le cerveau qui me l’impose.
Vous en êtes la seule cause.
Il vous a pris pour un enfant,
mais ne peut rien si c’est trop grand.
On n’a jamais vu d’expérience
un cerveau agir à distance,
sinon, croyez-moi, je finis
et je vous remplis votre nid
comme jamais depuis l’enfance
vous ne le vîtes dans l’aisance.
Quelquefois on explique tout
même avant de rater son coup
car c’est suite à une peur bleue
que la veine dedans la queue
ne laisse point passer le sang
qui remonte alors qu’on descend.
— Vous en parlez comme la science.
En attendant la déficience
est patente ou je me fais tort.
Ah ! L’humain des fois est retors !
Et de l’inavoué abuse,
ce qui me laisse bien confuse.
Il veut jouer avec les nerfs
et le puceau se met au vert.
A cinquante ans on est rosière
avec un coussin au derrière,
les seins blanchis comme du lait
et pour compagnon un balai.
Retirez-vous ! J’en ai des crampes.
Je n’ai pas dit que tu décampes !
Aide-moi à les refermer.
La position me compromet.
Je me sens immobilisée.
Et en plus je suis mal baisée ! »
La resserrant par les genoux
Sanchaise voit bien qu’il est mou.
Dans l’effort voilà qu’elle pète.
« On finit et rien ne s’arrête !
dit-elle en riant aux éclats.
Chaque fois les pieds dans le plat
elle a des envies qu’on confesse.
Ainsi Diane la chasseresse
avec Minerve veut baiser.
J’en veux pour preuve le brasier
qui s’emparait de leur vieux frère
quand il ne savait pas quoi faire.
Que fais-tu de ta pauvre sœur
quand tu grilles le processeur ? »
Cette fois Sanchaise a l’air bête.
Plus loin Bébère fait la tête.
Armande ferme ses genoux
et d’un saut se remet debout.
« Ce n’est pas tous les jours la fête,
dit Sanchaise rentrant sa bête.
Si tu veux avec le fusil
je peux très bien le faire aussi.
Avec le canon ou la crosse
selon l’état que tu endosses.
Je n’ai jamais tiré dedans,
sauf pour la fiction et à blanc.
— C’est bien ce que je te reproche !
Tout dans la tête et dans les poches !
Je veux du vrai comme Apollon.
Du physique jusqu’au colon.
Tu me proposes des astuces
mais sans te secouer les puces.
N’y pensons plus ! Pas de cadeaux.
A l’échec on tourne le dos
pour planifier l’ère prochaine.
Pas plus d’une fois par semaine,
sinon je fatigue et deviens
la princesse du va-et-vient.
Va donc, mon roi, ne te soucie.
On refait dans l’orthodoxie
et si ça foire de nouveau
on consulte les hôpitaux.
Quand on construit des barricades,
on s’attend à la fusillade.
— Ah ! J’ai foiré, mais je reviens,
dès que ce truc je le sens bien !
Des fois quand ça presse on va vite
et on a tort quand on s’invite
alors qu’on ne se connaît pas.
Qui c’est qui l’a dans le baba ?
Toujours le même et ça fait rire
les nanas qui veulent s’instruire.
Si Dieu n’était pas masculin
on serait sans doute malin
et moins sujet à la lésine.
On fait trop dans la vaseline
et pas assez dans le bouquin.
Allez ! Hop ! J’y mets les deux mains.
Il faudra que je me maîtrise
si je veux que mon entreprise
vieillisse moins que mes arpions.
Veuillez entrer dans ma maison
et dans le fond vous mettre à l’aise.
Je ne suis pas pour rien Sanchaise. »
Bébère remet son chapeau.
Armande se frotte la peau.
Sanchaise dedans la clé tourne
et ses nouveaux amis enfourne.
On se croit chez Dostoïevski.
Pas une trace de yankee.
Un samovar lâche des bulles
quand on passe le vestibule.
Une table sans rien dessus
sous la lampe stricto sensu
reçoit des mouches énervées.
Et pour compléter la travée
une chaise sans vrai dossier
porte les ors d’un vieux gilet.
On ne voit pas les ustensiles
qui rendent la vie plus facile.
Pas une image sur les murs
qui semblent même de l’azur
ne pas connaître l’avantage.
Rien ne dit qu’on est en ménage.
Une veste pend au tuyau
qui surmonte un crasseux réchaud.
Dans l’ombre une seule fenêtre
où le jour ne doit pas paraître
car le rideau en est épais.
Et dessous craque le plancher.
On voit deux pieds qui se déchaussent
et le mollet noir d’un molosse.
S’il est muet il a des dents,
sans doute pas par accident.
Il est posé sur une cuisse,
haletant sur des immondices
tandis qu’une main sur son front
avec les ongles fait des ronds.
« J’arrive juste, ma jocasse,
dit le chasseur comme préface.
J’amène de bons vieux amis
qui par malchance en pleine nuit
ont cassé leur automobile.
Aussi se font-ils de la bile,
car le fantôme est de retour. »
A ces mots parlés sans humour
les deux pieds vite se rechaussent
et la main pousse le molosse
qui veut voir et se tord le cou.
Quelque chose se met debout.
« Tu l’as vu comme dans un rêve,
dit la personne qui se lève,
et ceux-ci en sont les témoins ?
Tu sais qu’on est pas des rupins
et que de tout il faut qu’on manque,
comme ils le savent à la banque.
— Je l’ai vu comme je te vois.
Il avait besoin de ses doigts
pour se boucher les orifices.
— Et tu ramènes des complices.
Tu vas encore raconter
comment tu fais pour le rater
avec double de chevrotine !
— Mais je t’assure, ma Justine,
que le plomb ne peut le trouer !
Je tire et ne peux pénétrer !
Pas un tremblement ne l’anime.
Voilà comment je me déprime…
— Mais dans quels trous il met ses doigts ?
Il est fait comme toi et moi ?
Il était qui avant qu’il crève ?
A mon avis c’est toi qui rêves.
— Je rêve et il en met partout !
Je ne suis pas encore fou.
Il en met même sur les feuilles.
— Mais il faut que tu en recueilles !
On montrera ça à papa.
Au cas où vous ne savez pas
c’est un prix Nobel de chimie.
Il est même à l’Académie.
Du dernier cri et à l’encan.
Il est mort on ne sait pas quand,
mais à Lachaise on exorcise.
On fera comme c’est qu’ils disent. »
Justine pense s’adresser
aux amis qui viennent d’entrer.
Ceux-ci font des saluts timides
et ce qu’ils peuvent sur leurs bides
pour de rire se retenir.
Et Justine y prend grand plaisir.
Elle en pisse sur le parterre
dont la planche est dans la poussière.
Elle rit mais sans se montrer.
Le mâtin monte sur ses pieds,
hérissant les poils de ses pattes.
Tant pis si c’est un sociopathe.
On entend sa langue lécher.
Qui donc pourrait l’en empêcher ?
se demande la belle Armande
qui note combien il l’a grande.
Les couilles surgissent du poil,
avantageant tout l’animal.
Justine sans sortir de l’ombre
encore une fois les dénombre.
Comme elle dit n’importe quoi
on a des doutes sur son cas.
« Vous mangerez bien quelque chose ?
dit Sanchaise qui se cyanose.
Les émotions nous donnent faim.
Nous avons des haricots fins
cuits dans la soupe d’une poule.
Il se peut bien que l’on se saoule,
car le vin ne manquera pas.
Partageons ce joli repas.
Asseyez-vous à cette table ! »
Le décor est abominable
mais la promesse d’un festin
aussi frugal pour l’intestin
peut aussi finir dans la joie
si l’esprit veut être sa proie.
Le mieux est de laisser aller
et de s’attendre à arriver.
Sanchaise dans l’ombre s’enfonce
et sans compléter sa réponse
en sort deux chaises sans les pieds.
La paille envahit le dossier
ou le dossier, par habitude,
est mis en bas sans inquiétude.
Un noir tissu cloué dessus
donne un ensemble bien conçu
quoique les poches qui sont pleines
ont une bien mauvaise haleine
et trahissent l’humidité
d’un corpus qui n’est pas cité.
Le tout repose sur des caisses
et là-dessus on met les fesses.
Les coudes s’ajustent fort bien
à la table qui les maintient.
Et Justine quitte la pièce,
suivie du cerbère sans laisse.
D’une porte un encadrement
donne une idée du flamboiement
à la cuisine nécessaire.
On entend même un bris de verre.
Une gamelle sur le feu laisse
gémir à qui mieux mieux
ses poignées qui, peut-être grasses,
de s’enflammer tout net menacent.
Le chien qu’elle appelle Kolos
fait sa fête à un « vieux nonos »
qui dans sa puissante mâchoire
lui sert peut-être d’exutoire.
Depuis Baudelaire on est fort
pour mettre en vers même le corps.
Des choses tombent dans la sauce
et aussitôt le met rehaussent
d’un piquant qui s’en prend au nez,
raidissant le poil qui y naît,
avant d’irriter les papilles
et de s’en prendre aux deux chevilles.
Néanmoins comme on est courtois
on fait preuve de bonne foi
sans ménager le commentaire.
« Tu vois, Justine, ma mémère,
on apprécie sans y toucher.
On va peut-être les priver
de la réalité des choses
et nous en tenir à la cause ! »
dit Sanchaise qui est debout
et qui pourtant s’en contrefout.
« Pardonnez-moi si je badine,
mais je me sens l’humeur câline.
Calez-vous bien sur les coussins.
Ces chaises-là, qui n’en sont point,
n’en restent pas moins confortables
surtout quand on se met à table.
Vous verrez que pour le couvert
rien d’incongru ne le dessert.
Nous mettons le vin en bouteilles
comme l’usage le conseille,
quoique bouchon dans le goulot
n’augure point de son soûlot.
Nous brûlerons une chandelle
qui en lumière est un modèle.
La manche nous sert de mouchoir
et la semelle d’éteignoir.
Et si l’esprit nous met en veine
nous nous donnerons de la peine
et d’une bûche ferons bois
comme l’on faisait autrefois
pour achever à la volée
la fort agréable veillée
que nous nous promettons déjà
alors que nous n’y sommes pas,
du moins pas tout à fait encore,
car qui attend point ne dévore
et qui a faim ne saurait point
espérer mieux que l’embonpoint. »
De profil il montre la courbe
qui par le devant le recourbe.
« L’accueil est mieux qu’on espérait,
se trémoussant Bébère fait.
Le choix promet de l’abondance,
preuve que malgré la malchance
on peut espérer du hasard.
Ai-je dit qu’il est déjà tard
et que j’ai dedans les entrailles
des restes de la cochonnaille
qui me font penser qu’à l’orteil
il se peut qu’avant le réveil,
que j’ai toujours bien difficile
surtout hors de mon domicile,
j’éprouve comme une douleur
que rien n’arrive, par malheur,
à soulager sans qu’on m’assomme.
Pour ripailler, je suis votre homme,
mais ce sera sans me charrier
si ce n’est pas trop demander.
Je ne veux, si rien ne l’exige
que cette douleur on m’inflige,
même si bonne est l’intention.
Je sais bien que votre attention
est pure de toute inconscience.
Je suis à vous sans résistance.
Mais, voyez-vous, mon intérieur
est depuis peu d’un grand malheur
affecté tant que j’en expire.
Médecin savant n’a vu pire
alors qu’il sait tout de ce corps.
Car l’un de nous est déjà mort,
comme on le saura sans méprise
au chant trois de cette entreprise.
Moi aussi je vous en promets
et à l’ouvrage je me mets
sans craindre de me contredire. »
Comme il parlait pour ne rien dire
et qu’Armande aussi se taisait,
Bébère sans doute avisé,
observé sous l’angle de l’hôte
qui en nourrissait sa jugeote,
jetait sur la chaise au gilet
des regards qu’on dit égarés
quand le feuilleton s’envenime
de l’implicite qui l’anime.
La chaise tenait sur trois pieds.
Un quatrième haut coupé,
ou plutôt brisé à l’équerre,
sinistre projetait par terre
une ombre qu’on voyait bouger
car un insecte s’occupait
à en transporter la sciure.
On remarquait dans la pliure
le fil de fer bien torsadé
qui à le retenir servait.
Les insectes à tour de rôle
en grattant prenaient la parole.
La paille était à son endroit,
celle où le derrière prévoit
de se mettre tout à son aise,
car ce qu’il sait de toute chaise
vaut aussi pour l’éternité.
Mais à cheval sur le dossier,
montrant des ors dans les torsades,
non point mis en capilotade
comme on voudrait le supposer,
mais bien soigneusement briqués,
col, boutons et toutes les manches
dignes du meilleur des dimanches,
le gilet pose la question
de savoir si son invention
au sens de ce récit ajoute.
Il est loin le bout de la route
comme l’atteste l’épaisseur
de ce volume bâtisseur.
Un objet mis en évidence
met à l’épreuve l’impatience
et en boîte plus d’un lecteur.
Pour en connaître la valeur,
tant sur le plan du romanesque
que de sa traversée burlesque,
il faut bien que sur Engeli
on compte avant d’avoir au lit
des rapports avec l’omniscience.
Le lecteur peut faire confiance
à cet Arabe que manchot
et pourtant sans manquer de pot
Cervantès eut pour maître d’œuvre
avant de se mettre à pied d’œuvre
comme avec la main Reverdy
en un gros volume le fit.
Avec raison on imagine
que ce gilet d’ors qu’on affine
pour les besoins de la fiction
entretient quelque relation
avec le métier de Sanchaise
qui n’est certes pas le trapèze,
car l’homme est gras au bout des doigts,
ses pieds témoignant de la foi
qu’il accorde au plancher des vaches.
Comme il exhibe une moustache
peut-être est-il monsieur Loyal
dans quelque spectacle amical
qui divertit plus que l’enfance
dont il a dit un mot d’avance
pour expliquer ce qu’il faisait
quand les autres point n’y pensaient.
Mais on ne voit pas chapeau claque
ni bottes comme les Polaques
et point de clown à l’horizon.
« Je dois me tromper de maison,
pense Bébère qui s’inquiète.
Celui-ci est valet ou bête
dans quelque autre palais social
où bien loin de monsieur Loyal
il ouvre et referme des portes.
Ah ! Que le Diable nous emporte
si nous n’avons pas mis les pieds
dans ce qu’on appelle un guêpier ! »
Dans son habit de chasseresse,
Sanchaise fait des politesses,
des ronds de pied, le dos plié
comme on enseigne à nos valets,
pendant que Justine frangine
s’active au sein de la cuisine.
Et il ne s’assoit pas dessus !
Au contraire et à simple insu
il s’en éloigne et prétend même
que cette position extrême
lui fait le repas apprécier
comme un Romain veut se coucher.
« Je mange debout et pour boire
je me couche si par déboire
ma langue ne peut supporter
de se laisser ainsi traiter.
Ce qui entre par cette bouche
n’en sort qu’à l’endroit où je couche,
encore que pour le meilleur
il demeure dans l’intérieur
et n’en sort que devant le Diable
à défaut de remède amiable.
Ce qu’il faut bien mettre dehors
est inutile pour le corps,
car les travers qu’on nous pardonne
peuvent aussi servir d’aumônes.
Mais en regardant de plus près
des tas de promesses verrez
qui valent mieux qu’aphrodisiaques
dont tous les jours on nous arnaque.
L’homme est fait pour être debout,
comme je viens de bout en bout
de vous le prouver sans les preuves
dont je ne veux plus comme épreuve !
Des jugements j’en ai soupé !
Justine il faut se dépêcher ! »
Disant cela, Sanchaise est rouge.
Sur les chaises pas un ne bouge.
On le voit debout et fort droit,
pas mécontent de son patois.
Justine en tablier s’avance.
Elle est plus belle que l’on pense.
Elle a de je ne sais quel dieu
le vert antique dans les yeux.
Sur le front la mèche est rouquine
et elle a entre les babines
de quoi parler et pourlécher.
Et pour achever le portrait
des dents blanches et bien rangées
comme en ont quelquefois les fées
qui dans les films de Walt Disney
ont aussi un bien joli nez.
« Ah ! Si j’avais une baguette,
pense-t-on en voyant la bête,
j’en fais une marie-graillon
pour mettre à l’abri mes arpions.
A-t-on jamais vu ménagère
qui tant la beauté désespère ?
Une pareille perfection
rend caduque toute passion.
Dieu est injuste avec les hommes,
mais pas au point que l’astronome
le trouve en train de faire mal
par ce moyen peu amical.
On voit des beautés qu’on admire
tant et si bien qu’on s’en inspire,
mais cette fois le coup est dur !
On en mesure tout le fur.
Mais à payer trop on calcule
et à l’égoïsme on postule.
On devient même un assassin
si quelque chose dans la main
autre qu’un poil y fait des siennes.
On se destine à la géhenne
si le bonheur est de chez nous.
On en redemande à genoux
chaque fois que le cas arrive.
Trop de beauté le mal active
chez celui qui veut posséder
et que l’autre ne veut céder.
La laideur inspire en principe
la compassion qu’on anticipe
d’ailleurs avec humanité,
mais quand il s’agit de beauté
il faut en fixer les limites !
Surtout si c’est là qu’on habite !
L’ensemble ne doit point passer
ce qu’on entend par tracasser !
Au-delà on a droit au crime !
Imagine-t-on qu’on opprime
celui qui sauve ses lauriers
comme on épargne ses deniers ?
Le Monde est fait pour qu’on y vive
et non point pour qu’on y survive !
Faire le bien est toujours bien.
On en mesure les moyens
comme il sied à la tempérance
qui ménage notre existence.
Mais la beauté qu’on laisse aller
est un signe à nous envoyé,
dieu sait depuis quelle distance
qui doit avoir son importance,
pour prévenir la désertion
qui laisse seul dans l’affection,
avec en tête de la fièvre
que marie-jeanne ni genièvre
ne soulagent quand il fait nuit
et que le drap nous déconstruit.
Vous allez me dire qu’encore
à la tribune je pérore
au lieu de voir dans la beauté
ce que Dieu pourtant en a fait.
Certes la laideur nous dégoûte
et souvent même elle en rajoute,
mais vient-elle nous séparer ?
La voit-on à l’un arracher,
comme la fleur à sa potiche
ou à la bouche une ratiche,
ce que l’autre ne peut céder,
à l’aventure abandonner
sous peine d’en devenir dingue ?
La laideur jamais ne l’embringue
loin du nid qu’il trouve douillet.
Il faut que pour nous embrouiller
ce soit la beauté qui s’impose.
Ce serait donc fort bonne chose
que vite le législateur
prévoie avec le sénateur,
comme on le fit pour la vitesse
dont la route n’est pas maîtresse,
la ligne de démarcation
qui sépare de la Nation
tout ce qui trop beau nous menace,
mettant en péril notre race
et les usages ancestraux
qui font du bien à nos bobos
(oui, j’ose emprunter à l’enfance
la magie de sa clairvoyance)
lesquels de toute éternité
ne nous ont jamais empêchés
de deux à deux nous reproduire
et de trois toujours reconstruire
pour le pire et pour le meilleur
ce qui sera notre bonheur
si jamais beauté trop charmante
séduisant l’un, l’autre tourmente. »
Pardon pour cette digression,
mais égarer votre attention
n’est pas ici notre entreprise.
Au contraire on ne vous méprise
au point de ne vous accorder
que le discours et non les faits.
La grande beauté de Justine,
qui revenait de la cuisine
transportée par des aromates
aux inspirations délicates,
peut inspirer au philosophe
dont le cerveau est en surchauffe
le doute qui d’autorité
s’applique aussi à la beauté.
Pour manger il faut bien qu’on vive
et vivre est sans alternative.
D’où l’intérêt du torche-cul.
Elle portait au ras du cul
un short plié selon la fente.
On eût dit une gouvernante
dans un de ces vieux films d’horreur
où s’annoncent tous les malheurs
sur le fil d’une longue cuisse
qui promet une opératrice
capable de vous en priver.
Le spectateur en est rivé
au point qu’avec elle il fusionne.
Ici pas d’esquisse brouillonne.
Ce qui arrive est étudié
pour le dandin désennuyer.
Elle tenait une cuillère
et de sa palette ancillaire
se tapotait négligemment
la pointe acérée d’une dent.
Bruit qui inspira aux convives
quelques alarmes auditives
cependant qu’entre ses doigts fins
le manche mis en contrepoint
semblait apprécier la caresse.
On voyait bien que la gonzesse
était consciente de son art.
On la voulait en grand écart,
mais pour l’instant les jambes jointes
elle penchait sa coloquinte
et sur la suite renseignait :
« J’ai poivré sans vous demander !
J’arrête ou j’en mets trop encore ?
Je ne suis pas bonne en tortore.
J’ai mis des boîtes avec dedans
du préparé sans excédent.
Aussi il faut bien qu’on excède
sinon la vie comme intermède
ne vaut pas qu’on y soit réglo.
Pour ça on a un ciboulot. »
Et en plus ça la faisait rire…
on eût préféré un sourire,
car le rictus était prégnant
et l’impression un peu gnangnan.
« On fait à la bonne franquette,
dit Sanchaise dont la binette
portait de la joie le fardeau.
Je ne dis pas qu’on boit de l’eau !
On y met même de la gnole,
améliorant le protocole
qui trop étreint les bonnes mœurs.
En France on est des bricoleurs,
mais dans le fond on est artiste.
Allez ! Hop ! Tout le monde en piste !
(Ici Bébère repensa
au Loyal dont il se douta)
maintenant il faut qu’on le bouffe !
Et que personne ne s’étouffe !
Le poivre on le fera passer
sans de Justine les casser
les pieds qu’elle a mis en cuisine.
On ne chatouille pas Justine
sur la question de l’aliment
qu’elle a préparé savamment
sur le feu d’une gazinière
qui a connu pères et mère,
tailladant dedans le fer-blanc
ses doigts de fée qu’on vit peinant
et abusant du sardonique
dont le spasme est une critique
pour donner soif aux invités.
Ce flacon il faut déboucher ! »
Et saisissant cette bouteille
Sanchaise veut qu’on s’émerveille
rien qu’à l’odeur de son bouchon.
Comme il est ici le patron,
fait que personne ne conteste
car l’événement est funeste,
et que Justine a le téton
percé d’un massif mousqueton
en acier trempé à l’acide,
on se colore le livide
jusques à la goutte de trop
comme l’on fait dans les bistrots
quand on veut épater bobonne
qui voit bien comment les neurones
fichent le camp malgré les soins.
« On a aussi un petit coin,
dit l’hôte qui à la dépense
ne veut pas retarder l’aisance.
Si Madame ou bien son monsieur
veulent d’un besoin impérieux
satisfaire les exigences,
nous avons pour la circonstance
le trou qui convient à l’effort.
On ne fait plus tout ça dehors.
Nous contribuons au septique
sans nous pencher sur le clinique.
Ah ! Je suis bien aise d’avoir
de la compagnie pour ce soir !
Vous coucherez dans une couette
après qu’on ait bien fait la fête.
Commençons par ces rogatons
et trempons-y notre bâton
comme Ubu y faisait bombance !
— C’est que nous sommes dans l’urgence.
Nous avons un pneu bien crevé,
le moteur ne veut plus marcher
et on a perdu la capote.
— En plus j’ai peur qu’on la barbotte.
En la poussant c’est vite fait.
Ah ! Dans le genre ils sont parfaits !
Dans la banlieue on les cultive
comme dans l’huile les olives.
J’en ai vu et des plus méchants.
On était beaucoup mieux avant,
d’un côté on avait l’Europe
pour habiter en philanthropes,
de l’autre on pouvait voyager
et même se faire pousser.
Comment on a perdu l’Empire
est pour moi qui ne suis qu’un sbire
comme un mystère américain
qu’on a filmé sans les requins.
Je n’ai pas peur qu’on me la morde
et ne crie pas miséricorde
pour la retrouver où elle est.
— Je comprends, mais se la fouler
dans la nuit avec un fantôme
et des histoires que peu d’hommes
peuvent sans trembler écouter,
à mon avis, sans me tromper,
n’est pas preuve d’intelligence…
— Sauf s’ils sont cons comme je pense !
Et j’en vois tous les jours au gnouf.
Les psychotiques de la chnouf
pour des riens se mettent en quatre
et même peuvent vous abattre
si la gueule vous ramenez.
Ah ! Je les sens à vue de nez !
Ils ont repéré ma voiture
et le couteau dans la blessure
ils remuent pour que ma douleur
me pousse à être l’un des leurs.
Pour la voir il faut que je sorte !
S’il vous plaît ouvrez-moi la porte !
Vous ne savez pas ce que c’est
de savoir qu’on va vous voler
un bien acquis par héritage
après la fièvre du partage !
Une deux pattes qui a vu
la naissance de la Sécu !
A cette époque on était naze
même avant d’en avoir l’occase
et on mettait tous les paliers
dans un seul et grand escalier.
On était plus pauvre que riche.
Pas de papier pour la cibiche
et pour le cul je ne dis pas !
La preuve c’est que mon papa
n’est même pas mort à la guerre.
Je veux mourir à sa manière !
Laissez-moi sortir de ce trou !
Je n’ai pas faim ni rien du tout !
Si on me vole ma voiture
je leur mets une procédure !
Je ferai tout pour la garder !
Ouvrez la porte et regardez ! »
Les mains jointes dans sa prière
Bébère sur son gros derrière
choit et se fait du mal à l’os
comme le Quinn jouant Stavros
dans Les canons de Navarone.
Sur le plancher il s’abandonne
en donnant des coups de talons
et sur le coude fait des ronds,
langue bavant sur la manchette
tandis que sa voix musagète
monte d’une octave le ton.
Il lui en tremble le menton
comme qui ne veut point qu’on coupe
et rêve même qu’on le loupe.
Que reste-t-il du cauchemar
quand ne braille plus le braillard ?
On voit des cages thoraciques
interpréter sans la mimique
le cri qui ne peut pas sortir,
mais quand c’est fait, on est martyr
au panthéon de la patience.
Sanchaise craint pour le silence :
« On a des voisins pointilleux !
Si ça va mal, dites-nous-le !
N’hésitez pas à long le faire,
mais de grâce comme en affaires
sans abuser de leur bon droit !
Je vous trouve bien maladroit
pour un magistrat spécialiste
du voisinage antagoniste.
Si vous n’avez pas faim, tant pis !
Mais Madame peut-être ici
se sent même mieux que chez elle ?
La rencontre est accidentelle,
si je puis me permettre de
badiner comme je le peux,
mais là point de mésaventure !
Nous sommes si près de conclure
qu’il serait fâcheux de briser
sans avoir au moins boulotté
et descendu à la bouteille
ce que les usages conseillent
au citoyen comme au civil
et je ne dis rien des pénils
qu’au peulven on a à la pelle.
Monsieur le juge, j’en appelle
à votre bon sens proverbial.
Mon voisin est un animal
qui dort la nuit si ça lui chante
et le jour comme en l’an 40
applique à son propre fessier
les promesses de Louis Mercier.
— Mais puisque je vois qu’on la vole !
Après ça rien ne me console,
pas même un procès mitoyen
avec vos proches citoyens.
— C’est qu’ignorant leur vraie nature
vous n’en voyez pas la denture ! »
Disant cela Sanchaise sort
ses dents dans un suprême effort.
On voit bien comment il en use
et même pourquoi il abuse
du dentifrice et de ses poils.
L’information qui lui fait mal
laisse Bébère sans sa langue.
Il en est même tout exsangue,
plus pâle qu’un mort croqué vif
et cependant très attentif
car jamais on a vu vampire
aux dents cariées se reproduire.
Sanchaise en a deux sur le point
de démontrer sans autre appoint
qu’il n’est pas comte ni de force
suppôt qui de mouches renforce
sa condition de fou à lier.
Il a les crocs d’un journalier,
pas d’un déçu de l’existence
qui se sert de son arrogance
pour se venger de nous vivants !
« Je suis un mec depuis longtemps !
s’étonne bouche bée Sanchaise.
J’ai fait mes classes chez les jèzes.
Je fais peur mais aux animaux
et encore en me levant tôt.
Qui voudra de votre voiture
a un problème de structure.
Veuillez, Monsieur, vous relever,
mettre debout le corps entier
et en suivant le mettre à table.
L’incident est bien regrettable ! »
Confus d’avoir pour un instant
manqué aux usages voulant
que l’invité ferme sa gueule
même avant les amuse-gueule,
Bébère se remet debout,
doutant à cause d’un hibou
dont la race pourtant pullule
quand les problèmes s’accumulent
et que la nuit fait des petits.
Au silence il se convertit,
car il ne sait plus quoi en dire.
On voit des coquecigrues nuire.
Reprenant sur le noir coussin
la position dont le dessein
n’est pas expliqué dans la suite,
d’un premier devoir il s’acquitte
et d’un coup sec le contenu
d’un gobelet est parvenu
à l’endroit où l’esprit se trouve
quand le dégonflé le retrouve.
Il sait tout ça depuis toujours.
Il s’y connaît bien en recours.
Ses joues de rose s’attendrissent
et au-dessus son front se plisse.
« Vous allez rire, s’écrie-t-il,
mais au pénal comme au civil
le temps impose la marelle.
Jouez-vous quelquefois comme elles,
monsieur qui paraissez fort preux
quand je ne suis qu’un vil peureux ?
J’aime pousser avec la pointe
que la règle ne veut pas jointe
à l’autre qui doit demeurer
en l’air avec ou sans souliers.
Ces jeux de filles me passionnent !
Si vous voulez, je vous abonne…
— Je ne saurais m’y adonner
sans perdre mon beau coup doublé !
Voyons plutôt si à la soupe
vous remportez aussi la coupe.
Nous le ferons sans les fusils,
car Madame en est elle aussi
et nous voulons dans l’avantage
l’associer au libertinage
que nous avons ici prévu
pour lui plaire façon cucul.
— Pourtant ce hibou que vous dites
avec vous ici même habite
et cela nerveuse me rend.
Votre tranquillité surprend.
En tout cas elle m’impressionne.
— C’est que jamais je ne braconne,
étant sur mes terres rentier.
Le hibou peut y babiller
autant que la nuit l’en inspire.
On n’est maître de son Empire
que sous le soleil si Dieu veut.
— Ah ! Je le veux, mon cher neveu !
La question est métaphysique
et même un peu anachronique !
s’écrie Bébère en revidant
de son verre le contenant.
Le jour il faut que je préside
et la nuit le palais se vide.
Comme la nuit on ne voit rien,
on se sent même moins terrien
et de nos dieux on se rapproche
par le moyen de la débauche
ou au contraire du décent.
Nous avons l’âme dans le sang
et non point comme on pourrait croire
entre le fait et la mémoire.
— Houlala ! Que c’est épineux !
glousse Armande qui en veut deux.
Je ne sais pas ce que j’en pense,
mais quand j’y pense je m’avance
et j’ai bien peur de m’y cogner
comme on le fait sans faire exprès
contre les murs qui sont sans portes.
Je dis que quand je serai morte
ici je ne serai plus là
pour en savoir autant que ça !
— Mais alors ces voisins qui mordent,
procéduriers de la discorde
et je suppose bien dentés,
y êtes-vous apparentés,
vous qui possédez l’héritage
et qu’on force ainsi au partage ?
J’ai vu les films de la Hammer
où le vampire à la fin meurt
mais comme meurent les vampires
qu’on transporte dans des navires
car le ciel est leur ennemi.
C’est dur de n’avoir pas d’amis
parce qu’ils veulent du pactole
goûter la nuit et ses bricoles.
Je serai de votre côté
si vous leur faites un procès !
Y aurait-il de la justice
si le mal se trouvait complice
en la personne et en l’esprit
du juge qui a tout compris ?
Et je ne veux rien en échange,
pas même du drapeau la frange !
Ceci dit, laissez-moi sortir !
Ici je ne veux pas moisir !
Je finirai par tout vous dire.
Je l’écrirai s’il faut l’écrire !
Gardez la femme et ses appas !
Croyez-vous que je n’en veux pas ?
— Ah ! Mais plus salaud tu en crèves !
Voilà comment un homme achève
la relation et sans enfants !
On est mieux chez les éléphants
qui ne savent rien sur le couple
à part comment c’est qu’on s’accouple
et encore une fois par an !
Ce que la femme met devant
passe après et surtout derrière
ce que Monsieur pense lui faire.
Des hiboux j’en ai vu des grands
et pas au ciné seulement.
Si c’est celui de la voisine
il est bien temps qu’on le bassine.
Mis au vert qui est la couleur
de la frousse et de sa pâleur,
on verra bien qui la dernière
rira sans se jeter par terre,
comme Monsieur qui en a l’air
et se cache au premier éclair.
On est peut-être dans l’orage
et on est venu sans bagages,
mais l’aliment nous est offert,
même le lit comme dessert.
Moi je trouve monsieur Sanchaise,
quoiqu’il me mette mal à l’aise
parce que pas franc du collier,
est un bien aimable rentier.
Je dois dire que je regrette
d’être venue à bicyclette
avec ce pâle foutriquet
qui n’a rien pour me forniquer.
— Ah ! Madame veuillez abstraire !
Réservez à l’épistolaire
le secret qu’on vous a confié
sans hélas de vous se méfier.
Si j’avais su que jamais femme
ne tient promesse à qui l’affame,
vous ne sauriez rien de mon slip !
Ah ! Je vais sombrer dans un flip
que vous m’en direz des nouvelles !
— Mais je connais la ritournelle !
Monsieur veut me faire chanter
et dans le thriller me planter.
S’il s’en va je me carapate
de mon côté et sur mes pattes !
Ouvrez deux portes, s’il vous plaît !
Tout à l’heure je plaisantais. »
Et Armande dans la poussière
du plancher pose le derrière.
Elle secoue ses petits pieds
et se mordille les poignets.
Les deux tétons de sa poitrine
font du chasseur lever la pine.
Elle arrache même des poils
en criant que ça lui fait mal.
« Je veux sortir de cette crotte
sans me faire dans la culotte ! »
crie-t-elle en se frappant les poings.
Bébère aussitôt la rejoint,
mais pas comme le fait un homme
qui de l’amour connaît l’idiome.
Lui aussi s’arrache les tifs
dont décroît le maigre effectif.
Sanchaise qui se la caresse
dans l’acte découvre ses fesses
et Justine avec un torchon
façonne un long tire-bouchon
qu’elle prétend dedans lui mettre.
« Ah ! Bien fou qui veut le paraître !
grogne Sanchaise en s’entrouvrant.
Je dis que c’est un revenant
qui est revenu pour vous prendre
et dans l’abîme vous descendre
car il sait que vous êtes morts.
On voit que vous avez le corps
marqué par ce qu’on dit de l’outre-
tombe où jamais même bon foutre,
fût-il extrait de nos héros
in vitro ou in utero,
ne reproduit ce que nous sommes.
J’ai mis en fuite le fantôme
qui vous connaît et vous veut tel
que vous avez été mortels.
— Laissez-vous faire, les aminches !
Car quand le vieux Sanchaise grinche
il est plus dangereux que fou. »
Ainsi a parlé malgré tout
Justine qui comme un ver nue
reconnaît la déconvenue
dont souffrent les deux invités
qui se tordent sur le plancher
comme de vulgaires cloportes.
Et soudain voilà que la porte
qui était fermée s’ouvre grand.
Et l’intrus s’arrête en entrant.
On ne voit rien de son visage.
Chacun selon son personnage
lui donne un nom ou la fonction
qui trahit la situation
de sa psyché mise à l’épreuve
d’une réalité trop neuve
pour être vraie sans vérifier.
Ainsi notre chasseur rentier
voit apparaître le fantôme
qu’il sait tenace comme un homme.
Des yeux il cherche son fusil,
mais soudain il se sent aussi
seul que le mort qu’il n’envisage
jamais sans perdre ses bagages.
Attendre ne dit rien du temps
et chaque fois il en attend
plus que la mort, qui est avare,
ne peut en dire sans bagarre
que l’homme perd comme les sous
parce que le jeu le rend fou.
Armande referme les cuisses,
geste qui n’est pas sans malice
depuis qu’elle en connaît l’effet
sur l’homme qu’encore elle a fait.
Elle ne croit pas aux fantômes.
Aussi pour elle c’est un homme
qui vient d’entrer sans s’annoncer.
Comme son style est élancé
et même plus long qu’ordinaire,
en silence elle désespère
de se sortir sans trop de frais
de cet incroyable merdier.
Elle en pisse dans la poussière
chauffant ainsi le gros derrière
de Bébère qui lui non plus
ne croit pas que dans l’inconnu
de méchants fantômes complotent
et l’esprit des vivants tripotent
pour alimenter la fiction
quand lui manque la solution.
Il ne craint pas non plus qu’on viole
son intimité sans contrôle.
« Les magistrats sont à l’abri
de ces sortes d’a priori.
Le jugement est comédie,
car l’homme se joue à l’envie,
à l’avarice et au bigot
comme le dit Unamuno.
Ajoutons que la jalousie,
pour expliquer l’hypocrisie
(mettons que c’est là le défaut
qui fait que l’art est vrai ou faux)
à l’égoïsme s’associe.
Le juge épris d’ataraxie
chez l’autre ne fait pas long feu
s’il prétend que le malheureux
n’est pas fait pour qu’on lui réplique.
Au théâtre des républiques
la fiction trouve solution
dans la logique des passions.
Or quelle passion plus bipède
que le vol qui nous dépossède
parce qu’il enrichit l’auteur ?
Acquérir comme l’acheteur,
l’héritier ou le signataire,
est comme on dit dans les affaires,
mais venir dessus ces contrats
apposer comme un magistrat,
par conviction ou par paresse,
les principes de sa noblesse,
voilà qui met l’esprit en vrac
et ennemi de tout fric-frac
même si de ses personnages
on tient quelquefois le verbiage
pour un art qu’on voudrait avoir
et protéger de tout pouvoir.
Le vol est à la vigilance
ce que l’art est quand on y pense.
On peut pardonner au tueur,
car il est souvent le meilleur
ou bien le pauvre a des excuses
que pas un cœur ne lui refuse
même si pourtant le cerveau
n’apprécie guère le cadeau.
Au contraire le vol inspire
à l’esprit de joyeux empires
qu’on met quelquefois en roman
pour en applaudir les moments.
Par contre le cœur se révolte
tant l’acte paraît désinvolte
et pire que l’injure fait
que le vol est bien un méfait,
sans excuses ni esthétique,
et le voleur un hérétique. »
Voilà en gros ce que pensait
Bébère tandis que rentrait
peut-être chez lui comme l’hôte
ce long et fin compatriote
à mon avis interloqué
par le spectacle à lui donné.
Il tenait en main la poignée.
Dans l’autre une grise fumée
montait et puis disparaissait.
Qu’allait-il faire après rentrer ?
Bébère avala sa salive,
car l’atmosphère était nocive.
Si l’homme n’était point voleur
peut-être était-il fin noceur.
Bébère qui était eunuque
pensa en se frottant la nuque
qu’il en profiterait alors
pour aller faire voir dehors
ses abattis qu’il avait minces.
« Les femmes il faut qu’on en pince
et je n’ai rien pour les pincer,
pensa-t-il alors vite fait.
Pour les hommes j’ai la patience
même si l’on me fait violence,
mais qu’on me pique mon auto
a de quoi me rendre marteau.
Je m’en sortirai par la ruse,
à moins que de moi on abuse. »
Et comme il pensait sainement,
selon ce qu’il savait vraiment,
aigrement il se mit à rire
comme s’il voulait tout écrire
et qu’il ne trouvait pas les mots.
Pendant ce temps, l’homme au chapeau,
détail prégnant que nous omîmes
car nous étions dans le sublime
inspiré par le contrejour
que la nuit dispensait autour
(il semble que ce sont les phares
de la 2CV qui se barre),
demandait qu’on lui expliquât
force détails, au cas par cas,
ce qui s’ouvrageait à cette heure
dans sa respectable demeure.
Justine plia le torchon
et le posa sur ses nichons,
une main se chargeant du reste.
Armande eut un autre beau geste
en refermant ce que l’on sait.
Sanchaise se voulant fessé
exhiba une tige molle
dont il avait perdu contrôle,
mais le regard de l’importun,
ainsi appelle-t-on quelqu’un
qui est encore quelque chose,
lui en imposait par l’hypnose
et il remonta son futal
sans autre égard sentimental.
« Le peuple a raison de le dire,
dit l’homme qui voulait décrire
ainsi cette situation,
quand le chat n’est dans la maison,
les souris la java y dansent.
Je n’ai rien contre l’évidence,
mais si je me suis bien cité
c’est dans la domesticité
que les souris donnent spectacle.
Je constate que le cénacle
s’est augmenté de petits rats
comme on en voit à l’Opéra.
Excusez-moi si je dérange,
mais j’ai oublié, c’est étrange,
l’accessoire de mon métier,
celui qu’ici je viens chercher,
troublant le valet et la bonne
qui s’amusent comme personne
quand je suis allé travailler
pour notre pain commun gagner,
honnêtement car je suis noble,
heureusement pour mon vignoble.
Sanchaise, vite, mon gilet !
— Oh ! Sa chaise il n’a point quitté ! »
s’écrie le valet qui s’annonce.
Et sans attendre une réponse,
il époussette le gilet
dont il chiffonne aussi les lais.
Justine montre un peu ses fesses
en s’en retournant à confesse,
quelque part dans l’ombre des murs
où elle doit, de son futur,
préparer les extravagances.
Abandonnant d’un os les transes,
Kolos arrive en secouant
la queue et surtout en bavant.
Il bave pour qu’on le caresse
et l’homme tout joyeux se baisse
pour lui mordiller le museau.
Sanchaise enfin sauve sa peau
après avoir remis au maître
le gilet propre qu’il dit être
l’outil du métier que la nuit
il exerce pour son profit
« Et pour celui, dit-il encore,
de mes nécessaires accores
sans qui ma coque se pourrit
dans les eaux troubles du récit
que je tente pour vous d’écrire
en tentant de me reproduire. »
Armande remise debout
par cette main fine et surtout
munie de doigts qu’elle caresse,
de tout expliquer bien s’empresse.
Bébère rouge comme fer
qui rapplique de son enfer,
arque deux jambes qu’il veut fermes
mais dont le mollet est inerme.
Pourtant la rose veut piquer
mais sans à l’autre s’appliquer,
détail qui amuse notre hôte.
Il sourit en montrant sa glotte :
« C’est à moi de me présenter,
car en principe l’invité
a son carton dans sa bourriche.
Allez savoir qui est plus riche,
de l’hôte qui ne se souvient
ou du convive qui y tient.
Mais la demeure est déplorable.
On n’ose pas s’y mettre à table,
quoique vous le fîtes sans moi
si j’en juge à ce que je vois. »
Armande aussi devient pourprine
et sent ramollir ses épines.
Elle remplit d’air ses deux seins,
ouvre un peu la bouche à dessein,
frotte son nez avec le pouce,
ses joues rosies elle trémousse
et laisse la langue parler
comme téton laisse couler
quand la fatigue prend la place
de la meilleure des grimaces :
« Voyez, Monsieur qui recevez
sans cartons ni même poulet,
(j’ai beau n’être que roturière,
je connais aussi vos manières)
nous sommes ici par hasard
suite à un drôle de bazar
(j’ai toujours peur que l’on se moque
de mon humeur disons baroque)
que je me garde d’expliquer
car vous allez vous en moquer.
— Mais Dieu me garde d’y souscrire !
Hôte je ne suis pas le pire…
— Ainsi, Monsieur, vous comprendrez
que je me plains tant du valet
que de la bonne et du service.
— Nous avons ici tous les vices !
Même Kolos est un vieux fou
qui dans la terre fait des trous
pour y cacher l’os qu’on lui donne.
— Monsieur il faut que l’on raisonne !
Je ne suis pas ici pour ça !
— Et bien si vous n’y êtes pas
dites-moi ce que vous y faites.
— Vous l’avez bonne, vous, poètes !
— Comment savez-vous que des vers
je compose même en hiver
quand mes mains sont toutes gelées
qu’on les dirait mal embaumées ?
— Vous avez tous, oui le même air,
je ne sais quoi qu’on dirait chair
et qui ne l’est point si j’approche.
— Mais vous n’êtes pas du tout moche !
On vous estime d’un seul trait
comme un artiste vrai le fait
qui vous le met dans la peinture
comme d’autres dans les jointures.
Je veux que je peux vous aimer !
Mais ce soir je dois travailler
comme ce beau gilet le prouve.
Dites-moi où on se retrouve.
Ici même si vous voulez.
Mais je vois bien que le valet
aussi bien que moi vous estime.
Entre nous ce n’est pas un crime.
Quant à ce monsieur qui se tait,
je dois dire et ne point cacher
que la bonne est au proxénète
et que s’il veut lui faire fête
d’avance il doit payer le prix.
En principe tout est compris.
Quand on regarde à la dépense
on ne fait plus comme on le pense.
— Ah ! Mais c’est que, mon bon monsieur,
je ne suis point et c’est tant mieux
celui que vous pensez accroire !
Je n’écris pas sur l’écritoire.
Et quand je lis je ne fais rien.
C’est que j’ai perdu mes moyens
dans des circonstances tragiques…
— Dans ce cas rien je ne réplique.
Au théâtre on a des rigueurs
qu’on peut jouer si par malheur
on ne sait plus comment les vivre.
— Bien que j’ai du mal à vous suivre,
messieurs qui savez tous les vers,
à l’endroit tout comme à l’envers,
je me permets de moins en dire
et de rappeler sans ma lyre,
dont je ne joue pas aussi bien
mais qui d’aussi loin que vous vient,
que l’objet de notre visite
n’est point de savoir qui habite
dans ce taudis qui sent mauvais,
ni d’expliquer ce qu’on y fait
pendant que Monsieur en costume
travaille pour que le volume
de sa fortune qui n’est plus
soit de la misère au-dessus.
Je le dis façon entreprise :
on s’est foutu dedans la mouise !
— Et voilà comment on en sort !
On ne sait plus où sont les torts.
— On ne sait plus où nous en sommes !
On peut parler comme des hommes
et rechercher la femme en tout,
je vous l’accorde, petits fous !
Mais ce soir la cavale est folle
et nous perdons notre boussole.
Il faut qu’on se mette au travail !
— Ici n’est point votre bercail !
On vous accueille, on vous invite,
et on pare même au plus vite,
qu’on soit dans le vrai ou le faux.
Nous avons tout ce qu’il nous faut.
Et nous faisons tout par nous-mêmes,
ménage, cuisine et blasphème.
Et voilà tout le personnel
dont a besoin le fictionnel
pour mettre le lecteur à l’aise :
un valet qu’on nomme Sanchaise,
qui s’occupe de mon gilet,
brossant ses ors fac-similés
sans du carat changer la donne.
En plus ce patelin s’adonne
à la chasse qui me nourrit
et même pêche la souris
si d’aventure la Justine
rend visite à une cousine
qui morte ou vivante, on ne sait,
entretient avec le décès
des relations dont le notaire
est le principal actionnaire.
La vie fait de l’intermittent
quand on y consacre son temps
au lieu de se donner entière
aux choses qui vous font rentière
et non possiblement rupin.
Mais Justine a sur le turbin
des idées qui lui appartiennent.
Aristote avait bien les siennes.
D’ailleurs chacun y va de soi
et charbonnier, maire chez soi,
ne craint plus que le roi le pende,
car celui-ci en redemande.
Il en fut quitte pour la peur,
ce qui n’est point un déshonneur.
Je suis monsieur de Gonzalèze.
Si j’ai l’artère un peu anglaise
on y trouve de l’espagnol
et un soupçon de l’éthanol
qu’en un certain voyage en France
on ordonna à l’intendance.
Au Juif nous devons la chanson
et au Berbère la rançon.
Ainsi l’Histoire des Familles
se perd dans le lit de ses filles,
mais leurs fils sont de vrais marlous
et j’en suis un, bon en bagout
et point tire-au-flanc s’il faut vaincre.
Ne dit-on pas que pour convaincre
dans ce pays moins que germain
il faut un titre dans la main
et dans le cul un domestique.
Je ne suis pas fort en critique,
pourtant des fois je perds le Nord,
je vis et je couche dehors,
et la tramontane me pousse
en compagnie de ce maousse
vers le Sud où je me fais roi.
Kolos est le dernier emploi
de nos ressources en faillite.
C’est le gardien de la marmite
que fait bouillir notre boulot.
On fréquente le populo,
on partage avec lui l’essence
et on va loin dans la dépense,
mais sans lui faire des enfants.
Kolos n’est pas aussi méchant
qu’il en a l’air quand la Justice
veut rendre à un de ses complices
l’équivalent en mobilier
de ce que trois passe-lacets
flambent comme à la Belle Époque
pour s’élever dans l’équivoque.
Voilà fait le tour du logis,
bien sûr sans compter ce qui gît,
car la Mort ici se promène,
maîtresse de tout le domaine.
Elle sort la nuit sans le feu
et le jour éclaire l’aveu.
Mettez le nez à la fenêtre
et laissez la terre apparaître
dans sa nuit aux tombeaux ouverts.
Comme la jeunesse est au vert
sur ces routes qui la déciment
comme prisonniers de la rime !
Tirez le rideau à l’envers.
Posez le front sur cet enfer.
Laissez l’œil voir ce qu’il regarde.
Les victimes de nos guimbardes.
Des centaines de concessions
multipliées par les arpions
et les petits doigts de l’adage
rien qu’à l’endroit de ce virage
où vous jetâtes, me dit-on,
un petit bout de mirliton,
que par malheur vous retrouvâtes
comme le laissa la savate
posée pourtant sur le goudron
avec la meilleure intention.
Ici la mort se décarcasse
et jamais on ne la vit lasse.
Ces hauts murs que l’on peut franchir
sans même l’effort du désir,
c’est la demeure que je garde.
Avec elle je me lézarde.
Notre toiture prend le vent,
ici le noir ou blanc autan,
là croisant l’Ouest aux pluies cradingues
la tramontane qui rend dingue.
Aux fenêtres point de volets.
L’hiver il faut bien se chauffer
et bientôt dessus les solives
il faudra bien que l’on s’active.
Heureux celui qui n’a jamais
rien eu à détruire au forfait.
Heureux celui qui rien n’hérite
et qui nulle part déshabite.
Heureux celui qui s’appartient
et malheur à celui qui tient,
qui s’accroche à sa vieille Histoire,
malheur à celui peut croire
à la prunelle de ses yeux.
Voici venir le temps des dieux,
ceux qu’on a cru vouer aux mites
dans l’armoire des parasites.
Un seul Dieu ne suffira plus
à contenir hurluberlus
et polymathes en vadrouille.
Il faut gratter où ça gratouille.
L’homme redevient ce qu’il veut,
autrement dit autant de dieux,
autant de poussières d’étoiles
qu’il n’en peut compter sur la Toile,
autant d’intrigues sans raison
qu’il en trouve dans la fiction.
Et qui dit dieux dit autant d’hommes,
des handicaps et des diplômes,
des héritiers et des auteurs,
des proies pour le temps grignoteur
dont les souris sont maquerelles.
Et vous appelez ça querelle ?
Le Moderne contre l’Ancien,
le tout nouveau qui ne vaut rien
contre le vieux qui sent la merde ?
Voulez-vous donc que l’on se perde
au lieu de trouver le chemin ?
On en voit du soir au matin
qui dans le métro se choisissent,
pour être ensemble quand ils pissent,
sentir bon si ça sent mauvais
et même mauvais si c’est fait
sans un agrément hiérarchique.
Les dieux sont bien plus prolifiques !
Au lieu de deux on en a plein.
Et non point trois comme les mains.
— Comment trois ? Mais, je vous l’assure,
nous en avons deux par nature !
Et deux pieds que je vous mets là !
En même temps car ce n’est pas
difficile en vous de les joindre.
Dans vos théories on voit poindre
le mal qui menace le fou.
Autrement dit, trop de bagout !
Que vous rimiez, bien ou mal passe !
Ainsi des fois on se surpasse
et alors il faut admirer.
Pourtant il faut pour mieux sauter
bien reculer, même en retraite
battre autant qu’on sait la sauvette.
Nous sommes deux et resterons
tant qu’un et un deux nous ferons.
Il faut compter avec soi-même.
Et en prime il faut bien qu’on s’aime.
Il faut, voilà le maître mot,
ce qu’il faut porter sur le dos
sans se plaindre d’être deux hommes,
l’un entrant pour faire la somme
et l’autre souffrant en dedans
car l’esprit est accommodant
et explique tout par l’extase
comme le soleil le pétase
et le Basque son beau béret.
A deux on peut bien s’admirer
et pourquoi pas, dans la bataille,
se faire de grandes entailles.
Le sang y reconnaît les siens.
Nous n’y changerons jamais rien.
Il y a plus que belle lurette
que l’affaire entendue est faite.
Laissez la marmite tiédir,
ses lois finissent par tenir
à un principe qu’on achève.
Et tout ceci n’est pas un rêve
que nous causerait le sommeil,
mais un fait comme le soleil.
S’il vient à point c’est de la science
et s’il n’est plus là, de la chance
il nous faut tirer le conseil.
Ce jugement est sans pareil.
Il n’y a point de vie sans sa cause
et je ne veux pas qu’on m’impose
les corollaires de vos dieux
en lieu et place de mon Dieu,
gloire à ses actes sur la terre
et à son verbe autoritaire,
ce Dieu qu’on ne fera pas mieux,
qui unique fait qu’on est deux.
Cette Loi est bien naturelle
comme le jeu de la marelle.
Si à un vous enlevez un,
vous supprimez tout un chacun,
mais si de deux la populace
se reproduit comme bestiasse,
c’est que vous n’avez point raison
et qu’il faut vite au diapason
vous mettre sans attendre l’heure.
Je prendrais bien un petit beurre… »
Les doigts du juge allaient au plat
et revenaient pour que l’en-cas
qui fut servi par la Justine
ne retournât point en cuisine
où Kolos mettait son museau
sans avoir à faire le beau.
Il eût été vraiment dommage
de se priver de ce partage,
aussi Bébère se gavait
et à personne n’en laissait :
« Ça fait deux heures qu’on séjourne,
s’écrie-t-il. Il faut qu’on ajourne !
Vous allez vous mettre en retard.
Le patron fera un pétard
et vous sucrera le salaire.
La règle est de ne point déplaire
quand on veut prendre du galon.
Je vois que de toute façon
vous en avez dessus les manches
et faits en or fin d’outre-Manche
qui est le meilleur pour balai
et autres outils du valet.
Vous voudrez qu’on vous accompagne
comme le souhaite ma compagne.
— Je n’y vois pas d’inconvénients.
Je ne vais point aller niant
que Madame a beaucoup de charme.
Votre silence est un vacarme. »
A ces mots tendres dits tout bas,
Armande veut faire un tabac.
Ses yeux tout vifs lancent des flammes.
« Monsieur, vous faites l’amalgame !
J’ai des passions, je ne nie pas
et je m’adonne sans combat
car je suis du genre soumise
avec en prime la surprise.
Je lis des livres en papier,
je milite pour les rentiers
et je jardine dans ma terre,
même dans les cas d’adultère
que je traite dans le secret,
sans coups de fil et sans poulet.
Je ne veux pas mourir seulette.
A me conjuguer je m’apprête
avec un as du vers compté
qui sait aussi comment rimer.
Par malchance je deviens veuve
au moment où j’en ai la preuve.
Le mec en plus l’a en acier.
Dieu seul sait où il l’a trempé.
Que voulez-vous que j’y refisse ?
On ne choisit pas ses complices,
c’est bien connu des médaillés.
Avec lui je veux me tailler
et oublier cette existence
que j’ai perdue pour un vieux rance
comme la queue qu’il me mettait,
dieu seul sait vraiment où c’était.
Une fois mort ce candélabre
et mis en terre sans palabre,
voilà Virgile qui paraît,
tout nu, bandant sans cran d’arrêt,
et il me couvre de paroles
que si je les dis je m’envole !
Un vrai plumard pour les oiseaux !
J’en ai parlé dans les réseaux
au cas où d’autres en profitent.
Souvent les cas de réussite
dans les sérails font des petits,
ce qui promeut le chuchotis.
Bref j’étais disons-le aux anges,
encore dans le libre-échange
mais sur le point de codifier.
A mon instinct je peux me fier
si j’ai connu d’autres jouissances.
J’avais même choisi l’alliance
et refait mes dents de devant.
Mais voilà que par accident
je cause un drame réparable !
Le sort vengeur enfin m’accable.
Du sang partout, même sur moi !
On se croirait dans un tournoi.
Je tourne de l’œil et m’étale
sur ma paroi abdominale.
Heureusement monsieur est là.
Il a deux chevaux sur le tas,
mais du français qui va peu vite.
Pourtant il faut que l’on s’acquitte
à deux pattes et deux chevaux.
Va falloir trouver du nouveau !
Et sans compter sur la critique
on s’embringue pour la clinique
du docteur Schwartz qui est un as
depuis qu’il œuvre avec Cintas.
On en vient à causer de choses
qui compliquent quand on les cause.
C’est là, Monsieur, vous le savez,
que du mirliton j’ai jeté
ce que je voulais qu’on lui sauve.
Sans cet objet il se sent chauve
à la façon d’un nid d’oiseau
mais sans l’oiseau qui fait défaut.
Que croyez-vous qu’alors nous fîmes ?
J’en étais à mon premier crime.
Le cœur m’en battait en dedans.
Mais comme on retrouve en cherchant,
partout on passe notre peigne.
Et personne qui nous renseigne.
On se trompe plus d’une fois
et la limace nous déçoit,
sauf quand elle a subi l’outrage
du pneu qui met fin à l’ouvrage
qu’elle était venue se donner
au bord du chemin désolé.
Plus d’une heure nous le cherchâmes !
De plus fous y ont rendu l’âme.
Et soudain comme il fait très froid
je le vois comme je vous vois !
Peut-être gras, mais très en forme,
et alors rien ne le déforme.
On dirait même qu’il en jouit !
Me voyant il s’épanouit,
s’agite dedans son prépuce
comme un curé dans son capuce.
Je me dis qu’il va décharger.
J’ai tout vu mais pas tout payé !
Et au moment que je vois rouge,
qu’il ne faut pas que je me bouge,
un pied se pose tout dessus
et en écrase les tissus !
Par les deux bouts voilà qu’il gicle
sur les carreaux de mes besicles.
Et de qui est ce maudit pied
si ce n’est pas celui qu’y met
son maladroit propriétaire ! »
Fondant en larmes pour se taire,
Armande se cache les yeux
et se tortille les cheveux
que Gonzalèze aussi caresse
pour en soulager la tristesse.
Cependant Bébère est pensif.
Sur son visage inoffensif
pas un sentiment ne larmoie.
Mais de quoi donc est-il la proie ?
Il se salit l’ongle d’un doigt
en se grattant comme un bourgeois
une narine qui s’épanche.
Il l’essuie au creux de sa manche,
cherchant une issue à son fait.
Il renifle un douteux méfait.
C’est son métier, ne vous déplaise.
Mais voilà que revient Sanchaise,
car ce qu’il met aussi longtemps
à dire nous impatientant
le laisse sans voix sur la touche
figurée ici par la souche
qui n’est point racine à son pied.
Sans me montrer je vous épiais,
connaissant bien votre faiblesse
pour les effets de la vitesse.
La linguistique a des leçons
que ne connaît pas la chanson.
« Je veux bien que tu nous bassines,
dit Gonza que la carabine
de Sanchaise rend très nerveux,
mais dis plutôt ce que tu veux,
si jamais valet en ce monde
à en parler se dévergonde. »
Sanchaise ne veut pas tirer.
D’ailleurs le doigt sur le pontet
en est la preuve indubitable.
A ce point on est ajustable !
Il a les yeux tout retournés
et de la bave dans le nez,
la morve sortant de la bouche
comme sur le papier tue-mouches
la colle goutte à faire fuir.
On ne peut pas mieux s’abrutir.
En plus la peau de son visage
s’écroûte comme un vieux fromage
et inspire la même odeur.
« Mais qu’est-ce qui donc te fait peur ?
frémit Gonza qui sur Armande
s’est penché pour qu’elle l’entende.
— Je viens de retomber dessus !
dit Sanchaise qui n’en peut plus.
Il est sorti du noir feuillage
où je l’avais pris en otage.
De sa bouche sortent des mots
qui si je ne suis pas idiot
sont comme ceux quand on se parle !
Ah ! Le gonze est un sacré marle !
Il est avec un bout de chou
que si j’avais l’âge du trou
je serais en train d’y refaire
ce qui m’a déjà coûté chère
au point que j’en ai des renvois.
Je ne crois que ce que je bois.
Si je mens qu’on me mette en perce
et sans compter je me déverse ! »
Entendant ce galimatias,
Gonza qui veut parler tout bas
dans l’oreille que tend Armande
son domestique réprimande
sans perdre la tranquillité
qu’il destine à cette beauté.
« Mais c’est que, Monsieur, j’ai la trouille,
et que mon langage cafouille
tellement que je n’entends plus.
La folie c’est dans le confus
le plus obscur qu’elle ambitionne.
On voit de parfaites personnes,
faites comme tous les humains
de chair et d’os sans lendemain,
ne plus savoir qui se conjugue.
Et plus d’un psychiatre subjugue !
Je ne veux point terminer là
ce que j’appelle mon blabla.
Il vaut ce qu’il vaut sur la chaire.
C’est un travail alimentaire.
Qui me donnera à manger
si là-bas j’ai déménagé ?
On vous y nourrit d’expériences
qui si vous avez de la chance
ne vous tuent pas avant procès.
Toute industrie a des excès
et la pharmacie est prospère.
Je ne veux point que l’on m’enterre
dans le jardin de nos labos.
Je vous dirai quand j’ai bobo
et rien si je me sens à l’aise
debout à côté de la chaise.
Pensez que j’ai tiré deux coups
en plein là où ça fait des trous
et que le mec toujours avance
sans avoir besoin d’ambulance !
Un troisième fort bien placé
l’a durablement aveuglé
alors que selon le principe
il est Virgile et non Œdipe
et s’aidant d’un joli bâton
qui est peut-être d’un garçon
mais que ma vue préfère fille,
il est ici comme en famille
et nous réclame le bouchon
de je ne sais quel saint flacon
qui le rendra en tout hilare !
Je deviens fou si je compare.
Mais c’est que, Monsieur, sur le seuil,
il a amené son cercueil !
Un cercueil en forme de bête,
avec des cheveux sur la tête
que c’est peut-être des serpents
comme quoi le mythe nous ment.
Mais c’est que, Monsieur, sur les ailes
il a deux yeux et des prunelles !
Et sur les pattes des boulons,
carapaces des carafons !
Mais c’est que, Monsieur, il arrive !
Et nous n’avons plus de chaux vive ! »
Et en effet, un coup frappé
fit sursauter pêne et loquet.
Chacun eut sa paralysie,
donnant des signes d’aphasie
qui mit les dents toutes dehors.
On eût dit que dans l’athanor
des mannequins livrés aux flammes
reprenaient vie et même une âme.
J’en conçois une peur d’enfer
rien que d’en respirer les airs,
car qui écrit y croit duraille
comme l’on dit de la ferraille.
Mon fils, je dis : n’écris jamais !
On se voit vite victimé
par l’inattendu qu’on explique.
Toute stupeur est atavique.
On voudrait être original
et réinventer l’ancestral,
mais une porte est une porte
et tant qu’il n’y prête main-forte
l’huissier redescend l’escalier
sans avoir son petit papier
remit à la pauvre victime
du non-paiement qui devient crime.
Mais n’a-t-on jamais vu huissier
à la porte venir frapper
alors que la nuit les ténèbres
même les crimes enténèbrent ?
Jamais non plus témoin ne vit
comme la nuit les chats sont gris,
car ils sont tels qu’on les colore
depuis que les grands dinosaures
ne marchent plus sur les trottoirs
et que d’ailleurs pour les revoir
il faut aller là où ils marchent.
On reconnaît à la démarche
le poète qui vaut le coup
d’être lu sans chaise debout.
Le gonze à l’aise est un critique.
On peut sucer ce qu’il fornique
mais le plaisir n’est déjà plus
dans celui qui s’y est complu.
Vous trouvez la saillie obscure ?
Je n’en peux dire rien qui dure
ce que rose veut dire au cul.
Je m’en suis souvent aperçu !
Mon fils, n’écrivez qu’à vos miches.
Posez-les comme à l’hémistiche
Boileau s’entête par moitié.
Du coup votre propriété
tient porte close à la surprise
et ce n’est que partie remise.
On est chez soi comme chez eux
sûr de son fait et besogneux.
Aussi je n’ouvre plus la porte
même si de l’huissier l’escorte
montre les muscles de la Loi.
Écrire n’est pas un emploi
et moins encore un way of life.
Ici je suis le seul calife.
Je me surprends sans intrusion.
Frappez, refrappez, je réponds
que je n’ouvre pas à la force.
A ce postulat pas d’entorse !
Vous pouvez essuyer vos pieds
sur le paillasson du palier
et promettre qu’on me mandate
un montant tel qu’il vous épate,
je ne suis pas là pour gagner.
Et quant à vous raccompagner
ne comptez pas sur l’obligeance.
Je veille trop à la dépense.
Je vous conseille l’ascenseur,
dans les deux sens pour les censeurs.
On vous voit errer dans la ville,
porteurs de nouvelles faciles
dont n’a que faire délicat
qu’on reconnaît à son caca
comme le mien vous fait la nique.
Si vous connaissiez la musique
la sonnette vous parlerait
comme entre les raies je le fais.
On dit que Célia aussi chie,
mais je ne suis pas une amie
dont les cadeaux charment le cœur.
Je chie chez moi en inventeur
et non point comme tout le monde !
Et quand j’ai l’humeur vagabonde,
ce qui m’arrive une fois l’an
quand s’achève le Ramadan,
je le fais dans les vespasiennes,
laisse ma pièce à l’Arlésienne
et me finit dans un café
où l’on me juge assez bien fait
de la taille que j’ai bavarde
et de l’esprit où je musarde
comme sur les quais l’ahuri.
Quelquefois même on me chérit.
On veut monter à mon étage
pour voir comment je me partage,
mais si je viole c’est dehors,
avec ou sans vos désaccords.
Finissons là ce coq-à-l’âne !
Chieur je suis, pas pétomane !
Mon fils, songez à votre cul.
Ne le levez pas pour l’intrus.
Pourtant il faut que cette histoire,
que nous écrivons pour mémoire,
se continue jusqu’à la fin !
Nous n’avons fait tout ce chemin,
au grand péril de la conscience
que nous avons mise en balance,
que pour en dire l’intérêt.
Reprenons après cet arrêt
qui nous apparut nécessaire.
Un coup frappé, pourquoi le taire,
sur la porte sans prévenir
l’esprit de chacun sut saisir,
à savoir tous les personnages
excepté ceux qui, sur la page,
ne sont point de ce côté-ci.
Le lecteur en est averti au cas
où plus loin il reproche
à l’auteur d’ici une ébauche
alors qu’il fait tous les efforts
pour en libérer les ressorts.
Mais refermons la parenthèse
et laissons à de Gonzalèze
(la particule est ornement
quand il manque un pied bêtement)
l’incipit d’un nouveau chapitre
qui se passera de son titre
comme le font les précédents
et s’y soumettront les suivants.
Chacun respectait son silence.
Pourtant les bouches, fort intenses,
comme on peut penser les trouver
quand à la porte on vient frapper,
étaient ouvertes toutes grandes.
Croyez-vous que ce fut Armande
qui prononça ce qu’on dit haut
dans une langue sans défaut
quand l’exigent les circonstances ?
Ce serait se faire violence.
La rime ne commande point !
Elle ne peut servir d’appoint
aux imprévus de la nouvelle.
Que nenni ! Ce ne fut point elle,
mais Gonza qui à grosse voix
demanda qui, dessus le bois,
appliquait pareille demande.
Si c’est l’huissier, qu’il s’en défende !
« Je ne sais de quoi vous parlez,
fit une voix sans retaper.
Nous avons là un cas typique
qui exige que l’on s’explique
ou qu’on l’explique seulement. »
La voix qui parle appartenant
au côté féminin de l’homme,
Gonza, qui est fin économe
en matière d’allocations
telles qu’on les conçoit quand on
en pratique les avantages
sans en payer les arrérages,
lui redemande qui elle est.
« Je suis fille de policier
et moi-même dans la police. »
Gonza pressent un fort supplice.
Il en a déjà mal aux dents.
Il eut bien d’autres précédents.
Son visage devient un masque
mais en dessous la chair est flasque.
De sa langue il en sort le bout
et l’agite comme un joujou.
« Je suis un employé de banque,
dit-il enfin comme on se manque.
— Nous avons chacun un destin
mais pas un n’est assez malin
pour en savoir plus que les Parques.
Je dis ça pour qu’on me remarque. »
Cette fois c’est une autre voix,
celle d’un mâle au ton grivois.
Chacun ravale sa salive,
les uns sentant que leurs olives
se rapetissent en dedans,
et les autres considérant
que la situation empire.
Et personne n’a le fou rire,
surtout Bébère qui s’en fait
et qui sent que ça sent mauvais.
Sa bonne conscience s’effrite.
Pourrait-il pour y donner suite
décliner son identité
et tranquillement affirmer
qu’il instructionne la justice
comme on le dit dans la police ?
Il se lève pour s’échapper,
mais Kolos lui tient le mollet.
Il en conçoit comme une plainte.
La dénonciation n’est pas feinte.
En témoigne un affreux rictus
dont on lui donne le quitus.
C’est un cas de force majeure.
Il pousse un cri dans la demeure
et quand il cesse de crier,
quand l’air manque de l’essouffler,
que son estomac plein se vide
et que plus bas fuient ses liquides,
un silence de croquemort…
je veux dire après son effort
attendant que se manifeste
le signe qu’il n’est pas en reste…
pèse partout, dedans, dehors,
comme quand on attend du mort…
ce mort que la terre fomente
là où la vie se réinvente…
mort que l’on mord et qu’on remord…
qu’il atteste qu’il est bien mort,
moment qu’on ne souhaite à personne
tant il se peut qu’on déraisonne,
ou qu’il se taise à tout jamais
pour mourir cette fois en vrai.
Suite à cette péripétie
que chacun pour soi apprécie,
qui en parlera le premier ?
Le coupable ou le policier ?
Comme Chico, ou j’en profite
ou tout seul je me mets en fuite.
Je choisis d’ouvrir les paris.
Tout est bon pour que le récit
s’alimente et jamais ne crève
d’avoir renoncé à son rêve.
Alors, lecteur, qui parlera
pour agir sur ce qui sera ?
A qui le premier la parole ?
Qui veut se risquer à ce rôle
et sur la rampe s’avancer,
comme à la barre des procès,
pour peut-être brûler ses ailes
et perdre alors sa clientèle ?
— Vous en parlez comme un savant !
Néanmoins est-ce le moment
de le perdre avec tant d’emphase ?
Au théâtre la parabase
se conçoit comme une exception.
Tout système est une invention
dont se passe le romanesque,
d’autant que celui-ci, burlesque,
réclame d’abord un bon train,
de la pointe dans le refrain
et de joyeuses circonstances.
Or, on me condamne au silence !
Je veux parler mais ne suis point
l’auteur de ces alexandrins…
— Octosyllabes, pour la France !
Votre oreille a des préférences
qui tiennent au vers espagnol.
Nous avons d’autres rossignols
au panthéon de l’impatience
qui enrichit notre expérience,
que ce semblant de majesté
coupé en deux ou trois quartiers
qu’on prétend plus ou moins tragiques
selon que le pays s’applique
à être occupé ou dispos.
Je vous conseille le repos,
mon Engeli qu’en poésie
on égale par courtoisie.
Vous n’êtes plus à la hauteur
du plus petit de ces auteurs.
Reposez-vous sur mon oreille.
Je vais vous dire des merveilles
de ce bec qui n’est bon à rien.
Vous savez, j’en ai les moyens !
Ne troublez plus mon homélie,
d’aucune façon, je vous prie !
Coupez court à votre caquet.
Je disais donc : On a frappé.
— Vous en étiez, si ne m’abuse,
un peu plus loin, et pas par ruse !
— J’en étais où vous le voulez !
Ainsi me foutrez-vous la paix ?
Je connais toute cette histoire
comme si pour ne pas y croire
je l’avais inventée ici.
Connaissez-vous d’autres récits ?
Moi, je connais bien tout Virgile,
et en latin, soyez tranquille.
Je suis fort en déclinaison.
D’ailleurs décline ma raison
depuis que j’écris pour les autres.
Direz-vous un mot de la vôtre ?
Mais qui peut m’avoir rendu fou
si personne ce n’est pas vous ?
Le poème est un grand mystère,
comme chemise que le père
prétend léguer à son vieux fils.
Et tout ça pour faire gratis
sans que rien ne vous y oblige.
On connaît mieux comme prodige.
On s’étonne que la chanson
n’en soit que la contrefaçon,
mais paye-t-on ce qu’on imite
pour améliorer la marmite ?
— Voilà trois sous et rien de plus.
Pouvez-vous reprendre le flux ?
Votre chandelle n’est pas morte.
Nous en étions devant la porte…
— Et j’y retourne de ce pas !
Et si Bébère ne crie pas… ?
— Il a crié dans le silence !
— Ou il l’a provoqué, je pense…
— Faites comme vous le voulez !
Qu’il ait crié ou pas crié
n’a plus maintenant d’importance !
L’effet n’oppose résistance
que si la cause est un effet.
Voulez-vous bien, pour terminer,
retenir Kolos par la laisse ?
Ainsi ne mordant plus la fesse…
— Il s’agissait de son mollet…
s’il faut examiner les faits,
tenons-nous-en aux véridiques.
On se met à dos la critique
pour moins que ça dans les journaux.
Vous en connaissez le fourneau.
Un mot de trop et ça explose !
La mort en son apothéose !
Pas plus tôt arrivé que mort !
Ça va du dedans au dehors !
Et mort avant d’avoir pu naître !
Ce qui s’appelle disparaître
sans n’avoir jamais rien été !
Vous parlez d’une majesté !
Ce pays associe le bide
aux tentatives de suicide.
Ce qu’on voit dessous la Sécu
est un trou et non point un cul.
Et on s’assoit dans l’inconnue !
— Je comprends la déconvenue.
Soyez sûr de mon amitié.
Nous sommes de l’un les moitiés.
Mais si vous voulez me traduire,
commencez par bien vous conduire
et ne point ici ajouter
du commentaire sans arrêt !
On en conçoit de la fatigue.
L’art de conter veut qu’une intrigue
se dispense des à-côtés
qui nuisent à ses facultés.
Prétendez-vous la rendre folle ?
Condamner à la camisole
le contenu de ce roman ?
Passe de l’écrire rimant,
la fantaisie à ses adeptes
et la morale ses préceptes.
L’un dans l’autre c’est édifiant.
Je vous sais même bienséant.
Vous connaissez de l’esthétique
les confins les moins hygiéniques.
Vous n’y mettez jamais les pieds
comme le veut notre amitié.
Vous ne passez jamais les bornes.
Prendre le taureau par les cornes
de la fantaisie mise en vers
ne devrait vous mettre à l’envers
que pour en rire avec moi-même.
Nous n’en crèverions qu’à l’extrême !
Si je puis conseil vous donner,
c’est de ne point abandonner,
et ceci sous aucun prétexte
qui en abolirait le texte,
le fil tel qu’il vous est offert
par l’original qu’on vous sert
sur un plateau de poésie
qui veut guérir votre aphasie
sans vous en demander le prix.
Veuillez reprendre vos esprits
et considérer que ces gloses
ne peuvent pas être autre chose
que le traitement qui convient
à celui qui perd ses moyens
en plein milieu de son extase.
— Pour en finir avec l’oukase
que vous imposez à mes nerfs,
disons qu’aucune mise en vers
à ce récit se superpose.
Nous ne sommes point virtuose,
mais écrivons comme ça vient,
tout comme le fait Trissotin.
Quant au récit on a beau faire,
et tout tenter pour s’en défaire,
de digressions en faux-fuyants
et d’abouts en embrèvements,
il suit le fil de sa chronique,
linéaire et anthologique
comme hélas ses contemporains,
dans un autre wagon du train,
s’efforcent de le voir paraître.
Suivons les pieds de notre mètre :
mais Kolos lui tient le mollet,
écrivions-nous pour bricoler.
C’est le fin mollet de Bébère.
La chique d’un bas y adhère.
Au-dessus le jarret est plat,
plutôt maigre que délicat.
En bas la cheville est d’un vioque,
augmentée des éconocroques
qu’il a gagnées en se foulant,
varices que dans un élan
de son siège aux rostres contraires
il exhibe pour se distraire
du morose de ses procès
intentés aux mauvais Français.
Le chien a une grosse gueule,
mais ici ce n’est pas la seule,
car les acteurs de ce mélo
en manigancent le complot.
Aussi n’ouvre-t-il pas la sienne
et d’un fort coup de pied dans l’aine
il se casse l’os de l’orteil.
Un deuxième cri tout pareil
au fond de sa gorge se coince.
Il s’en croque les badigoinces.
Le sang coule sur son menton
et comme l’un de ses talons,
tandis que l’autre s’y accroche
comme une furie on chevauche,
avec le sol n’a plus de lien,
sur un seul pied il se soutient.
On admire la performance,
oubliant qu’avec de la chance
il a perdu sur deux jarrets
celui qu’il n’a pas déclaré.
Une poignée de vieilles pièces
roule dans les pieds de l’hôtesse,
Justine qui pousse le cri
que dehors les deux roussins gris
analysent selon la norme
qui distingue le cri qu’on forme,
au Parc des Princes ou ailleurs,
de celui qui s’en prend au cœur
tellement il nous fout la trouille.
Nicolas sent que ses deux couilles
(on l’avait deviné un peu,
l’un des deux flics est celui que
nous avons rencontré en lice,
gardien du palais de justice)
prennent d’étranges proportions
et même angoissent la fonction.
Il en avale sa salive
et se met dans l’expectative,
ayant reculé d’un bon pas
comme le faisait son papa
qui avait l’art et la manière
dans cette impériale matière.
On sait des choses chez les flics,
qu’on les sait mieux avec un bic
si le papa savait écrire.
Les stages c’est fait pour le dire
des fois qu’on n’aurait pas compris.
Pas tant que ça on est pourri.
Et donc d’un pas il se recule.
On voit bien comment il calcule.
Il en a l’œil tout à l’envers
et la chemise de travers.
Mais à son poignet les menottes
tiennent bon un compatriote
que le cri n’a pas fait bouger.
Il est toujours sur ses deux pieds,
froid comme le sont les statues.
Le mythe seul il restitue
du héros qui ne s’en fait pas
quand d’autres craignent le trépas.
Cependant son autre paluche
tient dans celle d’une greluche
qui son autre main sur le trou
presse comme on serre un écrou.
Voilà bien comment se compose
des trois personnages la pose
provoquée par le cri dedans.
De ce curieux agencement,
on peut sans effort en déduire,
afin peut-être de s’instruire,
qu’une seule main ne fait rien.
C’est en y réfléchissant bien
qu’on en conclut que la sixième
qui tendue s’agite à l’extrême
de ce ready-made de chair,
de Nicolas, quoi de plus clair,
est le bien le plus légitime,
car la main droite qui s’escrime
sert mieux l’homme que son cerveau.
On en peut conclure sans trop
s’écarter de notre partie
que c’est celle, sans modestie,
qui frappa l’huis tout au début
de ce volet qui a connu
comme on l’a lu maints épisodes
dont un entretien net de fraude
sur ce qu’est ou n’est pas roman
quand adapté du castillan
il ne se sent vraiment à l’aise
que dans la tradition française
de l’emprunt fait au souverain,
à l’indétrônable, au fait main
dont la preuve n’est plus à faire
tant la République en est fière.
Continuons, cher Engeli,
car la lancée, dans ce grand lit,
ne se peut plus, que tu le veuilles,
arrêter où elle recueille
le meilleur de nos deux esprits.
Justine poussa donc un cri.
N’ayant plus à frapper la porte,
la main de Nicolas s’emporte
et ne trouvant le pistolet
où pourtant il l’avait placé,
il la montre à la belle Alice,
comme l’ont fait quand le complice
(on avait aussi deviné
que c’était elle qui parlait)
lance un regard pas moins qu’hostile
qui n’échappe point à Virgile,
car c’est lui qu’on amène ici,
comme on l’a prédit sans souci.
Le jeu se fait comme au théâtre
sans les murs du décor abattre.
Il ne manquerait plus que ça
pour empêcher notre poussah
de reprendre la verticale
qui convient à son animale.
Voyez comme je m’en sors bien,
car tout est dit, sans les moyens
que d’ordinaire on met en lettres.
C’est utile quand on veut être
moderne et classique à la fois
et sans privilège du roi.
La scène était ainsi conçue,
montrant cette étrange statue
dont une main s’élevait haut,
de la hauteur de son manchot,
et faisait l’objet d’une œillade
qui se voulait moins fusillade
(on lit ça chez Dostoïevski
quand la femme qui a compris
rend la pomme à son faux reptile)
que couteaux tirés dans le mille.
Mais ce que vit Sanchaise ouvrant
la porte machinalement,
car quand s’agite la sonnette
à recevoir bien on s’apprête,
ce ne fut point cette œuvre d’art
comme il le raconta plus tard,
le lire plus haut dans ces pages.
L’épouvantable personnage
qui se dressait sur ses deux pneus,
(pardon d’anticiper un peu
mais j’écris sous des influences
qui me conseillent la nuance)
avait allumé ses deux yeux,
tellement qu’on y voyait peu.
Agitant des ailes bruyantes
elle n’avait pas l’air contente.
Sur sa tête de noirs cheveux
s’agitaient dans le vent pluvieux.
Elle avait l’odeur de l’essence
que sur les bûchers on dispense.
On aurait dit qu’elle toussait,
comme Jeanne d’Arc le faisait,
car la fumée était épaisse
comme à l’arrière d’une caisse
qui a cramé tous ses pistons.
Elle prit Sanchaise au menton
et le secoua sans finesse,
tant qu’il en trembla des deux fesses.
Il s’en fallut de peu ainsi
que le pantalon il perdit
en même temps que l’assurance.
Et sans montrer moins d’impatience,
le fantôme le regardait
et semblait vouloir bavarder.
De quoi ? De qui ? En quel langage ?
se demanda sans caquetage,
la bouche pourtant en avant
comme qui veut passer devant
aux feux rouges des citadelles,
notre chasseur qu’on interpelle
alors qu’on est venu le voir.
La courtoisie, qu’on doit avoir
toujours sur soi quand on démarche,
veut que dès la première marche
on laisse la parole aller,
dans le style le moins calé,
je veux dire sans fioritures,
telle qu’elle est dans la nature,
du visité au visiteur.
Or le visité a très peur
et ne dit rien qui peine vaille
d’être écouté par la poulaille
venue sonner pour s’informer
et notre Virgile sauver
d’une mort à peu près certaine
car l’artère a bien de la peine
à ne pas fuir sous la pression
de la main qui, prompte à l’action,
le sifflet nettement lui coupe.
Sanchaise qui craint l’entourloupe
referme bruyamment les gonds
sans comprendre un mot du jargon
qu’entre moteur et forte pluie
les flics veulent qu’il apprécie.
Mais revenons à cette main
que Nicolas agite en vain
tandis qu’Alice s’évertue
à faire bouger la statue
que déplace la 2CV
vers un noir et triste ruisseau
qui reçoit en plus des eaux sales
la pluie qui devient anormale.
Les roues patinent sans chasser,
bien droit où ça va se passer.
Le vent à cette action s’ajoute
pour en lever le dernier doute.
Et l’ensemble atteint le fossé,
au moment que l’on a pensé
être le dernier en puissance.
Dans les moments de résistance,
on peut s’empêcher de crier.
Maint maquisard au pied levé,
trahi par la magistrature,
laquelle était sous signature
et s’y tenait comme à l’honneur,
sut qu’arrivent tous les malheurs
quand la fièvre soudain retombe,
laissant la place à l’hécatombe.
Et ce fut ce qui se passa.
La 2CV d’abord roula,
puis ne pouvant rouler encore
se mit dessus les deux pandores
comme à cheval sur deux bidets
qui ne se laissent plus guider
et pourtant dans la même pente
suivent le chemin qui serpente.
Car le ruisseau n’était pas droit.
Et en plus il était étroit,
de la largeur de la Deux Pattes
moins ce qui reste d’une chatte
quand on lui est passé dessus.
En un séjour ainsi conçu,
tout ce qui flotte s’accumule,
du gros tas au fin corpuscule,
et le flot commence à monter
ellement qu’à la fin les pieds,
qu’on soit entier ou cul-de-jatte,
avec ou sans cacodylate,
ne touchent plus ce qui était,
depuis avant que l’on soit né,
notre éternel plancher des vaches.
Et alors il suffit qu’on lâche
la main qui vous tenait dessus
pour dessous se retrouver cul
en l’air si dans l’eau le syntagme,
peut-être en bloquant le diaphragme,
a encore un sens à donner
à ce qui va vous arriver.
Virgile lutta bec et griffes
contre l’espèce d’escogriffe
qui le retenait par le fond
de son falzar en pur coton.
Il ouvre la bouche pour dire
et ne dit rien car il expire.
En plus on tire sur ses mains,
ce qui est loin d’être un câlin.
Les menottes à la surface
comme le crin sur la godasse
se tendent désespérément.
Les flics sont comme deux enfants
qu’à leur destin on abandonne.
La vie n’est plus si folichonne
quand malgré de graves efforts
on n’a pu tirer de la mort
le troisième enfant de l’équipe.
Le malheur a ses archétypes.
En voici le plus primitif,
symbole clair du plumitif.
L’un écrira de longs poèmes
au long d’une vie de bohème,
et l’autre ne les lira pas,
se méfiant toujours du faux pas
qui met fin à toute expérience.
Mais restons dans l’insignifiance,
dans le bonheur de dire vrai
sans oublier de s’amuser
de notre propre connerie
et laissons la bouffonnerie
nous mener là où elle veut
que spontanés soient nos aveux !
Virgile était donc sous l’eau froide.
Il serait bientôt bleu et roide,
comme on imagine le corps
quand enfin l’a quitté la mort.
Et l’eau montait sans donner signe
de sa décrue ah ! Quelle guigne !
Elle montait sans rémission,
menaçant même la mission
que les deux flics s’étaient donnée
au début de cette soirée.
Ils étaient entrés dans l’auto
en comparant leurs biscotos.
« Vous me ferez une patrouille
sans aventures et sans couilles,
avait dit Roussot en donnant
l’ordre de mission laissé blanc.
Vous ne tirerez sur personne.
Pas de séries anglo-saxonnes.
Faites-moi d’abord des enfants,
des en couleur et puis des blancs
puisque le couple rend possible,
dans le domaine du sensible,
toutes les formes de beautés.
Miracles et miraculés
doivent retourner d’où ils viennent.
Notre douleur est trop ancienne
pour mériter l’éternité.
Allez joyeux, mes beaux poulets,
fendre le monde en deux parties,
mais que jamais dans la sortie
l’un des deux se retrouve seul.
Quand on est trois, on est plus seul. »
Jean-Jack Roussot fait des émules
même parmi les incrédules.
Voici ce qu’en dit Nicolas
qui aime son apostolat :
« Vous en connaissez, des poètes,
des vrais qui riment la perpète,
qui font flic rien que pour bouffer ?
Dans l’œuf ils se font étouffer
avant de prendre la retraite.
Quand on est bête on devient bête.
Et pourtant Roussot résistait.
Dans les marges il écrivait
des trucs qui sont dans la police,
même souvent dans la justice,
et pourtant ils n’étaient pas cons !
Dans ces trucs il y avait du bon,
et pas du bon bon pour les caves
et mauvais pour ceux qui entravent
sans avoir besoin d’étudier.
Du bon jamais vite expédié
comme on en voit chez les libraires.
Du bon qui prend le temps de faire
et qui le fait avec la foi
comme nous l’impose la Loi.
Ah ! Des fois j’ai les nerfs aux fesses
et je sombre dans la bassesse
tellement que ça me fait chier
qu’on me marche dessus les pieds
parce que je n’ai pas d’études
bien que je n’ai pas l’habitude
de ne pas étudier aussi.
Et le portrait n’est pas grossi.
Je fais du sport et je suis mince.
Je me savonne et je me rince.
J’ai une solution à tout.
Je prends les choses par le bout,
un seul suffit à mon aisance.
Et puis je dis ce que je pense
si jamais j’en trouve le temps.
Les vaches c’est en le broutant
qu’elles font du pré des vacances.
Elles se trouvent bien en France.
Vous voulez le leur reprocher ?
Attention on peut amocher !
On a des moyens à la pelle.
Un mot de trop, on interpelle.
Les juges sont tellement cons
(je ne dis pas connes mais bon…)
qu’on se croirait en zone libre.
La démocratie équilibre
la balance et le pot pourri.
Si vous n’êtes pas bien guéri
on vous injecte des poètes
qui font le printemps à la fête.
Et des mots que quand on les voit
on les lit sans avoir la foi !
Il faut être vraiment fortiche
pour être à la fois pauvre et riche.
J’en ai vu comme je vous vois !
Et je vous vois comme je bois !
Au marché de la poésie,
on dit même qu’elle est saisie.
Saisie par quoi, je ne sais pas.
Les huissiers marchent le nez bas.
Quand on leur cause ils parlent neutre.
Je prends la mouche au stylo-feutre
dans les marges de mon carnet
où mon indignation je mets
pour autre part ne pas la mettre.
Je suis poli avec les maîtres
et convenable avec les dieux,
surtout s’il y en a un ou deux,
et peut-être un seul dans le monde.
Qui sait dans quel sens je m’abonde ?
J’ai bien écrit le premier vers,
un truc vraiment que c’est l’enfer,
ce qui de rime me dispense.
Ne rime pas qui bien y pense.
Mais j’ai l’espoir d’y arriver
et le Nougaro égaler,
en termes clairs comme sur scène,
et un peu dans tous les domaines,
à Toulouse et plus loin s’il faut.
Le premier vers est sans défaut.
J’ai compté toutes les syllabes
et même avec l’accent arabe
qu’on dit qu’il a de l’avenir.
En poésie on voit venir.
La correction grammaticale
est une question abyssale.
Je m’y risque mais sans payer,
car j’ai déjà un gros loyer.
Quant aux mots du vocabulaire,
je fais selon mon dictionnaire
qui va de là jusqu’à ici,
ce qui limite mais ainsi
je mise sur la différence,
ce qui pourrait, d’un coup de chance,
me propulser sur le devant
que je peux l’attendre longtemps.
En attendant, je suis derrière,
prenant bien soin de ma carrière,
que j’ai l’échelle qu’il me faut
pour m’accrocher à un barreau,
à deux pas de la réussite
que quand ça vient ça va très vite.
On se mariera quand tu veux.
J’aimerai vraiment être deux. »
Nicolas montrant sa denture
disait cela dans la voiture.
Alice au volant l’écoutait
sans cesser de tout surveiller,
les trottoirs comme les poubelles,
les feux rouges et les chapelles,
les grands murs, les petits, les gros,
les matelas, les vieux frigos,
la tristesse et la pure joie,
la mélancolie de la proie,
un pull noué sur un poteau,
le sens à donner aux photos
des affiches qui se décollent,
les volets fermés d’une école,
les portes ouvertes au vent,
la pluie qui tombait en chantant
et celle que rien ne raisonne,
les animaux et les personnes
qui se croisaient sans dire un mot,
les vieux méchants, les jeunes beaux,
toute cette folie qui rêve
ou ne rêve à rien qui s’achève,
près de la gare ou sur les quais,
sur la péniche et au clandé,
la ville qui dort et réveille,
la nuit blanche qui s’émerveille,
la silhouette d’un bébé
qui fait de la publicité,
les néons de ses yeux bizarres
qui de loin cherchent la bagarre,
cet enfant qui la suit partout,
mais pas comme font les toutous.
Il veut savoir ce que l’Afrique
doit à son cœur mis en musique
par tant d’attente sans bonheur.
« Pas avec moi ! Je suis ta sœur ! »
dit-elle sans vouloir le dire.
Nicolas ne peut pas traduire,
cette langue qui ne dit rien,
ni bien ni mal, ce prix lointain
des impressions qu’on improvise
à fleur même de la bêtise.
La nuit salit ce qu’elle prend
et ne donne rien au passant.
« C’est comme ça dans la patrouille,
quelquefois tout se barre en couille, »
dit-il pour changer de sujet.
Et comme il le dit un objet
au loin lentement se déplace.
Il cligne les yeux et grimace.
La perspective le dessert.
« Je rêve et je n’en suis pas fier ! »
Il ouvre la vitre et la pluie
sur ses joues joue la litanie
du bon poivrot qui s’en remet
à ses salutaires effets.
Comme la pluie est efficace !
Et comme je suis perspicace !
jubile-t-il en son esprit.
Le véhicule a ralenti.
La grande route est désertique.
De loin en loin, du pique-nique,
une aire installe ses W.C.
dont les fanaux sont allumés.
On compte peu de véhicules.
Dans la plupart, on s’y encule.
La vie privée a tous les droits.
La lune est basse sur les toits.
Les arbres sous la pluie se mouillent.
Quand passe tout près la patrouille,
des yeux s’allument dans le noir.
Des platanes le promenoir
laisse tomber de grosses gouttes.
Après le pont le restoroute
a fermé ses volets d’acier.
A la croix dite des Bouquets,
car on y meurt dans son virage,
un noir hérisson envisage
d’aller voir de l’autre côté.
Mais il attend, intéressé
par la progression indolente
d’un animal qui ne serpente
ni ne sautille sur ses pieds.
L’engin marche sur le côté
comme ces crabes de la plage
où il termina un voyage
un peu par hasard mais aussi
par manque de bol, mais ici
la bête allume ses deux phares
et fait un fameux tintamarre
en secouant son corps d’acier
et son capot mal arrimé.
Le pot crache de la fumée.
Une aile fort mal amochée
visite l’ombre des fossés,
pliant des branches sans succès.
Quant à la toile d’araignée
elle est violemment déchirée
avec un bruit de caleçon
qu’on arrache sans permission.
Mais ce n’est pas tout, les aminches !
Voyez l’homme qui devant guinche
dans les ornières du chemin.
Il n’a pas assez de ses mains
pour s’épargner la molle chute
qui conclura sa vaine lutte
par un écrasement affreux
sous la friction des quatre pneus.
Dans ses mains les branches coulissent
et ses pieds sur le talus glissent.
Hurle-t-il comme un animal
à la mort qui veut que le mal
commence son œuvre barbare ?
Il est fourbu, il en a marre,
il donnerait tout pour cesser
d’amuser ses joyeux jurés
au jeu de la dernière chance.
Et tandis que la bête avance,
ne ménageant point ses efforts,
secoués par tous ses ressorts,
ouvrant une gueule bavarde
et crachotant de la bouffarde,
Virgile, car c’est lui qu’on voit,
à l’approche d’un petit bois
perd du terrain et se tourmente
car les dieux veulent que la pente
ne remonte pas de sitôt.
Comme il n’est pas vraiment costaud,
il sent qu’il n’aura pas la force.
Dans son dos une dure écorce
le tient comme fait le bourreau
du couperet ou du garrot.
« Il semble même que des branches
qui veulent prendre leur revanche
sont animées par les esprits
de maints poètes incompris
pour qui l’heure de la vengeance
a sonné cette fois en France.
La douleur aime que les morts
se souviennent que c’est le corps
qui d’abord en fut la victime.
Car telle est l’extase du crime
qu’elle commet au nom de tous,
avec ou sans leurs orémus,
de condamner l’homme à l’angoisse
dans un corps déjà mort de crasse.
Ainsi l’esprit souffre l’enfer !
Sans eau, sans terre et sans cet air
que le feu réduit à ses affres !
Et telle est l’immonde balafre
qui marque la joue à jamais
de celui qui perd son procès. »
Ayant prononcé ces paroles,
Virgile en accepta le rôle
et ferma les yeux pour mourir,
mais nous savons que l’avenir
dit le contraire, et ici même !
Car le récit que ce poème
donne à l’esprit comme à son corps,
malgré de louables efforts
en trouble la chronologie
au point que même un vrai génie,
comme il s’en trouve en ce pays
si l’on veut bien chercher ses fruits
et les trouver même par terre
(il se peut qu’on sache le faire),
ne peut tuer ce qui vivra
ni donner vie à qui n’est pas.
Et on peut croire à un miracle.
Comment expliquer le spectacle
d’un être qui ne mourut point,
car il vécut d’autres matins
et d’autres soirs même plus tristes ?
En quoi le miracle consiste ?
Simplement en contradiction
de ce qui est sans rémission.
On dit la règle générale
et même parfois libérale.
Un dieu, voire plusieurs titans
en autorisent l’accident.
Ce qui est fait peut se défaire.
Ce qu’on défait ne peut se faire
que si on l’avait trop mal fait.
Voilà comment on voit les faits.
Prenons Virgile par exemple.
On le voit bien entrer au temple
pour recevoir la clé des champs.
Et il en ressort cependant !
Le voilà entré dans l’Histoire.
Nous n’y pouvons rien, c’est notoire.
Il en meurt, mais beaucoup plus tard.
J’ai vu passer tout le brancard.
Venu d’Allemagne en touriste
au pays des colonialistes.
Bien traduit avec tous les mots.
Le monologue c’est très beau.
Ça en dit long sur la patience
et met au vert l’inexpérience.
On n’en fait plus des comme ça.
Aujourd’hui le couci-couça
fait la Une et crée l’opulence.
C’est même sans équivalence
depuis que le bon menuisier
surpris dans son bel atelier
ne vaut pas mieux que le poète
qui tout pareil pète et répète.
Ce que dure rose est en dur.
Voyez comme passe les murs
l’artiste qui a fait fortune.
Il monte même à la tribune
et nous prodigue ses leçons
comme le cul de Robinson
que l’horizon aussi explique.
C’est l’époque qui communique.
Un bon coup de publicité
et ma foi le tour est joué.
Le placement est lourd sans doute
mais le populo n’y voit goutte.
On rapplique avec Cyrano
et on le met sur un vélo
pour le pousser sur le théâtre
de l’État qui paye l’emplâtre.
Et pas donné le substitut !
On le fourre dans l’Institut
avec son épée d’opérette
et ça passe pour un poète
qui fait des vers avec les trous.
Le con se donne rendez-vous
et seul il compose les fientes
d’une saynète fort méchante
qui fait de lui un général
ou un arbitre de football
si dans son camp est la baballe.
On arrive en demi-finale
et on se tire avant la fin.
On laisse en rade le biffin
et on prend de bonnes vacances
à l’abri des sillons de France
avec la femme et les enfants.
Du déshonneur on se défend
avec Churchill ou bien Poutine.
Et qui encule la Marine ?
Ceux qui votent pour son baba ?
Le retraité qui l’a en bas
ne baise plus par cette voie.
Du non-amour il est la proie.
Il aime la sécurité,
le bien et la propriété.
Le loisir est sa vraie dépense.
Il se fout de ses conséquences
sur le guignard qui chôme dur
marqué par les deleatur,
le plus pourri de tous les signes
qu’à la naissance on nous assigne,
de la faute et de ses emplois.
Jouer sans se coincer les doigts
voilà ce que c’est la retraite.
Alors, vous pensez, les poètes,
si ça donne aux petits-enfants
des idées de rentre-dedans,
on se fout pas mal de leur crève !
Pas de mouchoirs pour les vieux rêves !
Mouchez-vous avant de crever
et laissez-nous, les vieux, rêver.
Mais là, Engeli, on s’égare.
Le train n’est pas entré en gare
qu’on a le pied sur les deux rails.
Ah ! Ce roman, ça fait un bail
qu’on ne finit pas de s’y prendre
les pieds et de tout le comprendre !
Notre Virgile n’est pas mort,
(dis-je en tendant tous les ressorts
du bons sens et de la métrique).
Et pourtant une peur panique
ça vous tue même un éléphant
qui a encore des enfants
à mettre au monde et dans des livres.
Tremblant de peur il veut survivre.
Il ferme les yeux, fait caca,
« Oh ! Rien, un petit reliquat
avec dedans de gros pois chiches
cuits dans de la flotte à l’angliche
avec un collier de mouton
et une paire de roustons
dont l’obèse propriétaire
s’est peut-être servi sur terre.
Au ciel on n’en a plus besoin.
Quand on le fait, c’est dans les coins
comme au château de ce Versailles
dont je me souviens où que j’aille.
On a beau dire, on est français
et les autres c’est des ratés.
Cette fois, à moins d’un miracle,
je vais y passer sans obstacle
et de ma chair faite pâté
des animaux alimenter.
C’est le destin de la piétaille
qui toute la vie en rimaille
quand les autres sont très sérieux
au travail et aux pieds de Dieu.
Être bouffé avec la sauce
alors qu’on est dans le négoce
des idées pas piquées des vers,
ça me met le cœur à l’envers
et à l’endroit mes idées saintes.
Je sors enfin du labyrinthe
avec Minotaure en morceaux
et d’Icare les oripeaux.
Et déjà de méchants insectes
dont je ne sais pas le dialecte
pondent leurs œufs où j’ai les miens.
J’ai trop parlé aux béotiens,
perdu mon temps dans leurs cuisines,
trop espéré des magazines,
du film d’horreur et de l’amour,
des subventions et des discours,
et pas assez vu de mirages
dans les déserts de mes voyages.
Chameaux du temps que je n’ai plus,
éloignez ces hurluberlus,
changez l’espace en autre chose
dont je me fiche de la cause
et emportez-moi loin de tout,
loin de ces inconscients surtout.
La part du temps me décompose.
Ce qui reste n’est pas grand-chose,
mourir est tout et tout n’est rien.
Les mots sans rimes font du bien
à la modernité en marche,
mais ne meurt pas le patriarche
dont les enfants ne riment pas.
Qui suis-je si je n’en suis pas ?
Chameaux du temps, tuez l’angoisse.
Pétrifiez ma pauvre carcasse.
Méduse me voit sans me voir,
tel est le sens du désespoir.
Mourir ainsi dans une farce,
sans compagnie et sans comparses,
pouvait-il pire m’arriver,
moi qui veux encore rêver,
à n’importe quoi d’accessible,
de facile, de corruptible.
Encore un peu, dis-je au bourreau,
tant je tiens encore à ma peau.
Mais ce n’est pas l’homme qui tue
ce que j’étais, tue ma statue
de sel, de marbre ou d’illusion.
Je suis tué par conclusion,
par chute, effet, jeu, par mon œuvre
qui ne doit rien à cette pieuvre
trop mythique pour exister
où j’existe pour me tuer.
Chameaux du temps, dieux des voyages,
ne marchez pas jusqu’au rivage.
Je sais bien y aller tout seul.
J’emporte avec moi un linceul,
au cas où la vie continue.
Marche sur l’eau, méduse nue,
je suis tes pas vers le soleil.
Qui sait ce qu’on est au réveil
à part le regard exemplaire
que tu empruntes aux calvaires ?
Chameaux du temps, arrêtez-vous !
Je suis à l’heure au rendez-vous. »
Comme il parle de cette sorte,
l’engin que la gadoue emporte
rencontre un assez gros caillou.
Dessous le carter prend un coup,
le capot un instant gondole
les gibbosités de sa tôle,
le tout pivote sur un pneu
et la toile serre ses nœuds
sur l’antenne qui dans l’air fouette
la pluie oblique et centripète.
Virgile en reçoit le revers,
ce qui le met tout de travers.
Il glisse sur les feuilles mortes
et dans un cri affreux exhorte
son esprit à plus de mépris
pour la douleur qui a tout dit.
Il lui semble que c’est un gouffre
qui sent l’ail et surtout le souffre.
Mais au lieu de brûler tout vif
il se fracture l’os du pif
et prend un pain sur une oreille.
Deux grands yeux jaunes le surveillent.
Ça fait mal mais pas tant que ça.
Il se laisse aller au pissat,
retenant un besoin plus crasse.
S’il est mort ce n’est pas d’angoisse,
pas comme il l’aurait bien voulu
pour s’assurer un grand salut
et faire bouillir la marmite.
La poésie a ses limites.
Il va parler, au diable, à rien,
qui sait si le parler ancien
au-delà de la vie se parle !
Rêvons un peu ! Tu parles, Charles !
Il va parler, mon Engeli,
quand l’un des yeux sans stimuli
s’éteint tout noir et fou le laisse !
Et l’autre œil a la vue qui baisse !
Il clignote encore un moment,
fignole dans l’atermoiement
et à la fin se désallume.
« J’aurais dû lui prêter ma plume, »
pense Virgile le nez dans
la boue qui lui rentre dedans.
Plus loin des suppôts en casquette
cassent des branches sans trompette.
Ils sont armés de longs couteaux
et semblent au moins très brutaux.
Ils ont aussi de la lumière
et transportent une civière.
« Ne bougez pas ! » lui disent-ils.
Mais peut-il bouger un seul cil ?
Ils sont marrants dans la géhenne !
La situation est malsaine.
« On a tout vu ! Pas de souci ! »
disent-ils joyeux comme si
on avait envie de sourire
au moment de changer en pire.
« J’ai glissé mais je me retiens ! »
dit l’un à l’autre qui s’en tient
à une grosse rigolade.
Virgile sent une cagade
lui envahir le pantalon.
Il se sent mieux côté colon.
Le nez saigne à petites gouttes
et l’oreille comme elle écoute
ne sent plus rien de la douleur.
L’œil gauche voit tout en couleur.
Le droit a une grosse poche
qui pend dessous et s’effiloche.
« C’est grave mais je me sens bien, »
pense-t-il en épicurien.
Une fois quand il était gosse
il avait fait chier un colosse
de la classe au-dessus au moins.
Un Russe qui avait des poings
mais par sur les i comme en France.
Et il s’était pris une danse
qui était son premier ballet
dans l’enfer où on peut aller
pour se faire une idée précise
de la valeur de l’entreprise.
Il avait payé le billet
deux fois son prix sur le marché.
Bien sûr c’était du provisoire.
Pas du tout comme cette histoire
qui est un fait définitif.
« Je ne suis pas un grand sportif,
dit Nicolas qui s’en excuse.
— J’eus bon commerce avec les Muses,
dit Virgile en tendant la main
à ce suppôt vraiment malin,
mais celle-ci a un tel charme
que j’en ai toute droite l’arme
que je dois déposer ici.
— J’y pense beaucoup moi aussi ! »
dit Nicolas voyant Alice
derrière un arbre de justice
torcher son cul à pleine main
car le trouillard est trop humain.
« Vous me direz ce qui se passe.
Elle est à vous, cette carcasse ?
demande Nicolas aidant
Virgile à remettre devant
ce qui vient de passer derrière.
— Elle est à mon frère Bébère
qui veut me sauver de l’enfer !
Mais me voilà tout de travers
et je ne sais comment y faire
pour distinguer le vrai du père.
Vous qui avez, comme suppôt,
l’expérience de l’à-propos,
ne m’en voulez pas si je saigne.
Je me suis pris plusieurs châtaignes.
Mais celle qui de mon pipeau…
— Je ne suis pas un vrai suppo !
dit Nicolas qui prend la blague
au premier degré et l’élague
pour en apprécier le bon jus.
Dire qu’on a les flics au cul
n’implique pas que l’on s’y mette.
On se retient d’être poète
même si c’est dur pour l’esprit
que nous avons fort mal compris.
Ainsi vous connaissez Bébère ?
— Il est même mon petit frère !
Mais voyez-vous, c’est mon pipeau…
— Pipo, suppo, dans un bateau,
je connais la plaisanterie,
sorte de contrepèterie
qui est de l’exemple l’humour.
Mais j’aime aussi le calembour
dont je me fais fort de vous plaire.
Ainsi vous connaissez Bébère ?
— Et comme j’avais le pipeau…
— Je l’ai moi aussi dans la peau.
Sans humour on est dans la grosse.
On s’y colle comme des gosses.
En république comme ailleurs
le flic devient instituteur
et donc le premier de la classe.
Voici la brosse qui efface
et la craie qu’on se met derrière !
Ainsi vous connaissez Bébère ?
— Je le connais et même mieux !
C’est mon complice devant Dieu.
Si j’avais su, pour mon pipeau…
— Et songez à notre drapeau,
qui est en couleur sur trois faces.
Je vois bien à votre grimace
que je soulage la douleur
sans avoir recours aux branleurs
qui ont fait de longues études
dans la meilleure incertitude
qu’on dit que seuls les grands savants
en comprennent les adjuvants.
Ainsi vous connaissez Bébère ?
— Il se peut que je désespère
en attendant fort patiemment
que votre collègue chiant
remonte sa jolie culotte
et fasse preuve de jugeote
car à la place du pipeau…
— Ah ! Il y tient à son flûtiau !
A tire-larigot lanlaire !
Ainsi vous connaissez Bébère ?
— Quand elle aura fini de chier,
et avant que vous vous penchiez
sur mon cas qui est difficile,
dites-lui que je suis Virgile…
— Virgile qui fait de beaux vers ? »
dit la voix qui vient de l’Enfer
où elle chie sans bien s’y prendre.
Un flic ne peut pas tout comprendre.
Sans remonter son pantalon
elle se met sur ses talons :
« Ainsi vous connaissez Bébère.
Forcément il est votre frère.
Nous y étions, ce fameux jour,
quand le monde et ses alentours
ont sombré dans un tel désordre
que le Président s’est fait mordre
par le berger de sa nana. »
— Ici il faut ad limina
que le lecteur prenne patience,
car les susdites circonstances,
à savoir le trouble public
et la morsure du laïc,
n’auront lieu qu’au troisième tome
de ce roman aux palindromes
que lui impose sa vision,
laquelle tient plus de l’onction
que du coup de pied dans les fesses.
Mais ici ce ne n’est pas confesse
et encore moins un bureau
où du monde tous les pipeaux
peuvent à l’unisson se prendre
pour les comptes que l’on veut rendre
afin de remettre à l’endroit
la couronne de nos vieux rois.
Qu’ils aillent donc se faire foutre
et nous qu’on passe mais plus outre.
Excusez cette digression
et retournons à nos moutons.
(Je reconnais qu’elle est obscure,
mais j’en réserve l’aventure
aux rebondissements cotons
qu’Alice évoque à sa façon)
Virgile a vu beaucoup de nymphes,
même souvent perdu sa lymphe,
au cours de sa vie de bouffon
où les chiffes dans les chiffons
il a vécu à la limite
de ce que l’esprit à la bite
peut exiger de franc succès.
On le vit penaud aux procès
et lapin prompt à la cavale
pour se mettre à l’abri des balles.
Mais le poète quand il court
renoue avec tous les recours
que le poème accroche aux branches
comme les taches sur la manche,
lesquelles on commet souvent
quand on secoue en écrivant
sa plume dans l’amour trempée.
La partie adverse trompée
bien rarement écrit autant
et ainsi épargne du temps.
On en vient aux mains sans génie.
Dans un souci d’économie
Virgile la tangente prend
et comme les pays sont grands,
que les routes point ne se croisent
aussi aisément qu’on se toise,
on ne le voit pas revenir,
car poète n’est pas zéphyr
et femme au vent point ne s’envole,
même si bonne est sa bagnole.
Voyant le crêpe des cheveux
qu’Alice porte entre les deux
cuisses que son beau noir d’ébène
à ses yeux presbytes assène,
Virgile qui a cru mourir
sent monter en lui le désir.
Il pense qu’il le peut encore,
se sent capable d’un bon score
et n’en pouvant plus de plaisir
sa verge absente veut saisir.
Alice qui se croit dans l’ombre
(dans ces situations très sombres,
comme on les voit au cinéma,
chacun a son propre climat
et l’atmosphère se complique,
dit Arletty que la critique
éternise moins que public
et imitatrices de chic)
Alice qui se croit dans l’ombre
n’en compte aucun malgré le nombre
qui des deux couilles fait florès.
On sent de Camus l’aloès.
« J’en ai deux mais pas pour le faire
car il me manque le mystère.
Sans mystère on n’est rien du tout,
voire même très en dessous.
Priez pour moi, gens sans logique !
Là-haut personne ne me nique. »
Elle descend très prudemment
le talus couvert d’excréments
et jette un œil sur la blessure
dont le doigt de Virgile assure
l’hémostasie et le plaisir.
« C’est qui, Camus ? » dit en sabir
Nicolas qui de même observe
une froide et longue réserve.
Alice en tremble jusqu’à l’os
et craint de perdre son pathos
si utile en cas de sinistre
dont elle connaît le registre.
« Que vous est-il donc arrivé ?
On ne peut pas mieux le saigner,
l’homme que Dieu tout de traviole
a conçu comme premier rôle !
Les Noirs, les Blancs, c’est du pareil
au même question appareil.
Mettez-vous là que je vous porte
secours avant qu’on vous emporte,
avec nos moyens de fortune,
car l’État nous laisse sans thunes,
dieu sait dans quel mouroir de poche
où viendront vous veiller vos proches
si vous en avez pas trop loin.
Acceptez-vous mes petits soins ? »
demande Alice qui se met
dans son pantalon à fouiller
pour y trouver ce qu’elle cherche,
à savoir de son torche-derche
ce qu’il en reste maintenant
qu’elle en a usé proprement.
Nicolas en proie aux méthodes
que les stages par épisodes
font entrer dans son pauvre esprit,
craint de n’avoir pas tout compris
et se met à vomir des glaires
dont l’origine n’est pas claire.
Il en renifle le Ricard
avant de se mettre en retard.
« Ces trucs-là ça me met en fuite !
marmonne-t-il pour donner suite
à l’idée qu’il se fait des faits.
Ah ! Pas le sang que je connais
grâce à trois ou quatre bavures
qu’on voit même dans les gravures
des polycops que j’ai gardés
comme missels dans mon clandé.
Mais de savoir que ça se coupe
plus facilement qu’on se loupe,
ça me met dans un tel état
d’analyses et de constats
que j’en ai la chair comme poule
dont à zéro on met la boule.
Permettez que je me retire.
Je ne veux pas m’autodétruire
et vous laisser le souvenir
d’un mec qui s’accroche au plaisir
quand il n’y a plus rien à en faire. »
Et les jambes à ras de terre,
Nicolas traverse un buisson
sans rencontrer son Robinson.
« Ah ! Le salaud ! L’ordure plate !
Le voilà qui se carapate !
J’en fais quoi moi de ce trou-là ?
Je bouche avec du papier gras,
mais après comment on s’arrache
pour aller au bout de la tâche ?
— Je veux qu’au bout je peux aller !
s’écrie Virgile en plein effet
de l’orgasme qu’il imagine.
Voilà vers quoi on s’achemine
quand le hasard sur le chemin
met à la portée de la main
une beauté que j’en délire !
— Ah ! Pour délirer tu expires !
Avec quoi tu prétends toucher
la corde sensible à l’archet ?
Le violon ne joue la musique
que si on sait comment on nique.
Si tu fais ça avec les doigts,
je te préviens, mets-y le poids !
Je ne suis pas genre fleurette
qu’on fait conter au doux poète
en attendant de trouver l’or
du temps et Dieu sait quoi encor !
La tête j’ai sur les épaules !
Si tu t’en sers, que ce soit drôle !
Laisse-moi reboucher ce trou !
— Mais enfin je ne suis pas fou !
Les trous c’est moi qui les rebouche !
Ne me regarde pas et louche !
Vise un peu l’objet et reviens
avec de ton trou les moyens. »
Évidemment, comme il insiste,
Alice se sent altruiste.
Il lui pelote les deux seins,
à pleine main comme on étreint
ce qu’on veut posséder en maître.
Mais pour ce qui est de la mettre,
ni relatif, ni absolu,
il ne peut pas, il n’en a plus !
Elle en conçoit un gros vertige
et se met à rêver des tiges,
ce truc qui fait gueuler les mecs,
cette merveille de l’impec
qu’elle s’est mise ou s’est fait mettre
par des gens d’Armes ou de Lettres
autant de fois qu’elle a rêvé.
Elle a le moral élevé
chaque fois qu’on la lui propose.
« On verra pour la ménopause.
Des années il me reste en stock !
Et un corps qui n’est pas du toc.
Quand j’y réfléchis je m’angoisse.
Moins j’y pense, plus le temps passe.
Je suis faite pour m’amuser.
On peut si on veut abuser.
J’en rajoute si on en manque.
Des flicards et des saltimbanques,
de la violence et du grand art,
de la stratégie, du hasard,
du prometteur et des mensonges,
des morts, des vivants et des songes
comme on en a quand c’est gagné.
Je veux vivre et ne rien payer ! »
Comme elle n’a pas sa culotte,
au premier coup elle sursaute.
Virgile lui monte dessus,
sûr qu’il n’en sera pas déçu,
et là-haut sur un monticule
Nicolas voit comme il l’encule
et se dit qu’il a vraiment bu
quand il croyait que sans abus
il avait vidé la bouteille
avant de se remettre en veille
et retourner à son boulot
qui n’est pas du tout rigolo,
même si des fois on mesure
l’importance de l’aventure,
(la litote a de l’intérêt
quand le sens en est altéré)
du citoyen mis au service
des bonnes mœurs, de la justice,
des mises au pas, de l’honneur
conçu comme le seul facteur
de succès au-dessus des autres.
Pour cette existence on se vautre
dans les penchants bien éprouvés
par des lignages amendés
sur le fil de l’intelligence,
de la critique et de la science.
La fonction fait de l’homme un saint
comme Camus le fantassin.
Vendre son cul aux ambassades
sans le pavé des barricades
c’est donner du pain aux enfants,
du fil à retordre aux feignants,
aux mauvais esprits de la peine,
aux héros une bonne haleine
et de l’histoire aux étrangers.
« Avec le cul verni que j’ai,
pourquoi donner à l’aventure
des godasses dont la pointure
dans les chaussettes fait des trous ?
Aller pieds nus et sans le sou,
sur la route et sous les nuages
le pauvre mec désavantage.
Si la fine fleur du savoir
et du faire se faire voir
ailleurs prétend mais qu’elle y aille !
Le rond-de-cuir loin des batailles
résiste mieux sur le papier
que le pauvre soldat couché
qui donne son sang au parterre.
Dans le bureau, c’est l’atmosphère
qui donne aux idées des héros,
alors qu’aux champs, le tombereau
sous le soleil ou sous la pluie
n’inspire guère poésie
qu’on puisse mettre en nos chansons
comme le sang dans les sillons.
En plus j’ai un joli costume
avec des boutons que j’allume,
comme guirlandes à Noël
sous l’étoile de l’Éternel,
en les frottant au blanc d’Espagne
avec l’aide de ma compagne
qui me fera beaucoup d’enfants
pour la moitié très ressemblants.
J’ai même de belles chaussures
qui marchent dans la vomissure
sans m’inspirer un tel dégoût
que leur petit arrière-goût
à mes pieds pourtant communique.
Mais quand tu me suces la chique
et que ton beau cul sous mon nez
vertement se met à péter,
je pense à notre République,
à son armée, à sa musique
et à son 14 juillet.
Cet admirable défilé
dans ton anus a des allures
de colombin dans une armure.
J’entends le bruit de nos canons
qui assourdit dans les sillons,
de leur voix forte comme cloche
qui de l’église se décroche,
ce qui reste de l’ennemi
qui nous fait faire du souci,
qui nous met aussi dans la gêne,
qui nous inspire de la peine
alors qu’on n’est pas fait pour ça.
Mon amour, je ne voudrais pas
qu’en m’épousant tu trouves drôle
que je n’aie pas vraiment la fiole
à l’endroit où tu mets ton cul.
C’est que des fois, j’ai un peu bu,
oh ! Pas grand-chose, une expérience
à mettre au service des sciences
qui s’occupent de voir comment
on peut vivre sa vie chantant.
Ma mie, je me sens patriote.
Toute sèche j’en ai la glotte.
Pète et répète-moi dessus.
Ah ! Que le pays est conçu
pour que ton cul en maire trône
sur ces têtes que l’on couronne !
Je mets les pieds dans l’isoloir
comme les mains dans l’urinoir
pour reboire de la bouteille
avant que rose soit bien vieille
et me pisse dessus le nez
sans la médaille me donner !
Ma mie, servons sans foi la France,
et mille fois mettons la chance
de ce côté où je n’ai pas,
quoique je fasse pas à pas,
l’occasion de le dire en face
sans que le prix de la grimace
avant que je sois retraité
ne me soit vite réclamé !
Servons sans foi la douce France
et mille fois quand on y pense ! »
Ayant chanté cette chanson,
Nicolas pleure sans façon
et rote dans un mouchoir sale.
Alice est parfois animale.
Pas facile d’aller au but
et de la prendre au dépourvu,
car elle est toujours dans l’attente,
n’approchant le feu qui la tente
de peur d’encore s’y brûler,
mais tellement prompte à aimer.
Plus tard, vieux retraité sans gloire,
il se prêta sans trop d’histoires
à notre jeu, cher Engeli,
et se confia sans faire un pli :
« J’ai conservé cette élégie,
trouvée comme c’est ma manie
ou plutôt volée au secret
de l’éternel et du sacré.
Comme je m’en veux, sainte Gloire !
L’aveu en est diffamatoire,
mais je suis fait pour le malheur.
Je vous en confie la primeur :
— Le cul à l’air comme une chienne,
voilà comme elle veut qu’on prenne,
toi l’homme qui voulait planquer
les miettes tombées du banquet,
ses reins pour la dernière chance.
Virgile martèle en cadence
ces fesses qui veulent du sang.
Il faut savoir que c’est boxant
qu’on vainc son cœur et ses extases.
On n’a jamais vu hémostase
rendre fou poète à ce point.
Il a rentré dedans son poing
jusqu’au poignet qui y pivote
comme dans le trou d’une chiotte
faute de pouvoir marteler
et au fond d’aller le chercher,
ce trophée d’amour et de gloire
qui peut construire son Histoire
si la chance sourit, si l’art
est aussi simple que brocart.
Elle rit et même en dégueule,
comme elle fait quand elle est seule,
que personne à travers les murs
ne voit à quel point ses fémurs
portent l’extase comme gaines
des têtes de mort des anciennes
qui savaient tout et même rien.
Dessous, le Monde est africain.
Et dedans je sais que ses tripes
sont du poète l’archétype.
Moi, Virgile j’ai bien connu
ce corps vaquant et si charnu
que j’en ai saigné pour le prendre.
La Gloire seule peut comprendre
pourquoi l’enfant est de papier
et son art un sale métier. »
Ainsi nous parla de Virgile
Nicolas en un coin tranquille
où demi-mort il végétait.
Mais revenons à ce qui fait
de ce roman un vrai poème.
Par un étrange et beau système,
comme on l’a lu un peu plus haut
je ne dis pas non sans défaut,
Virgile tout couvert de boue
était monté sans faire moue
sur le dos d’Alice jouissant
d’un poing fort bien alanguissant.
Sur le côté de ce théâtre,
semblant ne plus vouloir se battre,
gisait la bête sans capot,
moteur fumant comme suppôt
sous une averse d’eau bénite.
Et secouant sa molle bite,
perché en haut d’un mamelon
où il perdait tous ses boulons,
Nicolas mordait l’intérieur
de sa bouche non sans langueur.
Il s’en prenait sans perdre haleine
à la langue qu’il voulait sienne,
mais qui pourtant ne disait mot.
Quand le malheur est en promo
le malheureux achète en vrac.
Et s’il est agent de la BAC,
on imagine le suicide.
Dans la police on prend des bides
comme au théâtre, mais en vrai.
N’allez pas croire qu’un arrêt
peut mettre fin à l’épisode.
Un flic blessé n’est pas commode.
Quand il s’en sort, on croit rêver,
et s’il en crève, on le remet
où il était, mais pas le même.
On sait ce qu’on perd quand on sème,
mais si on le fait tout exprès
on est jugé pour cet excès.
On sait bien comment ça se passe.
Mais sait-on ce qui nous dépasse
quand deux flics se font des mamours
et vivent donc comme toujours
ce que tout le monde peut vivre
quand la volupté nous enivre ?
Il se passe comme on l’a dit,
fidèlement jusques ici.
Ça se passe pour tout le monde
qu’on en rigole ou se morfonde.
Ils étaient deux, les voilà trois
et sans enfant pour mettre bas
d’autres théories de l’ensemble.
Et quand on y pense, on en tremble.
Nicolas y pensait beaucoup.
On ne pense jamais à tout
et surtout pas quand on y pense.
On ne voit pas les différences
tant qu’elles ne se montrent pas.
On va et vient dans un repas
où la table est mise d’avance
en se disant qu’on a la chance
d’avoir quelqu’un pour la servir.
On en éprouve du plaisir
et même souvent des jouissances.
C’est la loi de notre existence.
Personne ne peut faire mieux.
Et à la fin, on devient vieux,
ce qui n’arrange pas les choses.
On n’en meurt pas, mais ça en cause
des effets que finalement
on emporte avec soi mourant.
« Je vais tuer, je suis capable
de foutre par terre la table
avec tout ce qu’il y a dessus.
Tant pis pour ceux qui sont déçus,
tous ceux qui ont de l’expérience
comme ceux qui n’ont pas de chance,
chaque fois que quelqu’un s’en va,
les pieds devant, l’âme au plus bas,
parce qu’un autre le désire.
Je suis peut-être le moins pire.
En tout cas je me vois plus blanc
que lessivé par un tenant
qui pour être aussi de la joute
monte mon cheval et y goûte.
Je vais tuer au pistolet
et même me mettre en retrait
pour ne pas souiller mon costume.
La flamme en moi, je la rallume !
Écartez-vous, je vais tirer ! »
Et il sortit du baudrier,
que du coup la pluie qui pleut mouille
comme son esprit il embrouille,
l’arme pesant un âne mort.
Il en éprouve du remords.
« C’est dans le corps que ça se passe.
Laissons l’esprit à ses grimaces.
Poussez-vous petits animaux,
mouches, mulots, ecce homo
va provoquer un grand massacre,
sans semonce et sans simulacre,
une vraie tuerie sans procès.
Pour la Loi on verra après.
Il paraît que la guillotine
dans ce sens n’est point cabotine,
mais peu importe la douleur
de l’attente que mon malheur
vient de lancer comme un cycliste
qui ira au bout de la piste.
J’ai l’index qui sent le trouduc
et mon chargeur n’est point caduc.
Animaux de la nuit obscure !
Ceci n’est pas la sinécure
dont j’ai rêvé à mes débuts,
mais sous les mots de la tribu
l’insulte à l’homme est toujours faite
pour que lourde soit sa défaite !
Je ne mens pas ! Je suis conscient
de laver l’honneur dans le sang
comme le veut notre coutume
qui préside aux gloires posthumes.
Écartez-vous ! Je suis armé !
Pleurez vos morts par moi tués !
Rassemblez vos noires pleureuses
car l’heure est bien malencontreuse !
Pourtant je vous ai prévenus.
Quand le Français l’a dans le cul,
il fait trembler toute l’Europe !
Meurs, poète ! Crève, salope ! »
Le pistolet secoue la nuit,
puis elle retombe sans bruit.
Sur le dos d’Alice Virgile
comme une bête est immobile,
attendant sans oser s’enfuir.
Alice aussi veut voir venir.
Sa main étreint la dure crosse
qui forme sous elle une bosse.
Virgile saigne de nouveau.
Il songe enfin à son pipeau
et mord sa langue doucement.
Mais choisi n’est pas le moment
pour se plaindre de la fortune.
Le silence écrase la brune.
Qui osera parler d’abord ?
Épouvantable est le décor
de cette scène inventée pour
les besoins de ce triste amour
que Virgile veut qu’on lui donne
même si son esprit déconne.
Un bruit sec, c’est le cran d’arrêt
qu’Alice vient d’actionner.
La nuit d’habitude bavarde,
pas avare de ses camardes,
cette fois se tait sans pitié
pour celui qui se voit châtié
avant d’avoir commis un crime.
Virgile sent que la déprime
d’ici peu le fera crier
comme il criait dans le corset
avant d’avoir, en homme libre,
retrouvé au moins l’équilibre
que l’homme faux avait perdu
quand enfin il s’était rendu.
Il a bien peur de voir les choses
recommencer pour cette cause,
cette obscure et male raison
qui n’a pas de contrepoison,
mais qu’on soigne avec l’expérience
et mille petits coups de chance.
Qu’on soit enfant ou moins loupiot
il faut tourner autour du pot
pour en avoir au moins la miette
qui fait de soi pauvre poète
plutôt qu’employé de l’État
destiné au frotti-frotta.
« Connaissez-vous la folie douce
qui sur le chemin vous détrousse
et vous laisse avec les oiseaux
souffler dans les trous d’un roseau ?
Connaissez-vous douce folie,
que jamais la mélancolie
ne trouble de son doigt merdeux
alors que le vôtre est boueux ?
Connaissez-vous chanson plus douce
que cette folie qui vous pousse
à revenir pour vous asseoir
sur le talus comme ce soir ?
Connaissez-vous cette inconnue,
cet homme, cette femme nue
que les oiseaux posent dedans
votre esprit comme un doux enfant ?
Connaissez-vous ce fou qui pousse
son baluchon et qui en tousse
dans le soir couchant dont l’oiseau
arrache un à un les roseaux ?
Si vous la connaissiez plus douce,
couché sur l’herbe qui repousse,
pourquoi ne pas la retrouver
et du coup mieux vous en porter ?
Pourquoi l’avoir si peu chantée,
cette folie douce et passée ?
Pourquoi poésie sans rimer
est plus facile que d’aimer ?
Maintenant l’homme vous détrousse
quand vous passez, pousse que pousse,
sur le chemin que des oiseaux
coupent à grands coups de ciseau !
Nous étions vous et moi tranquilles
dans ce temps qui jamais facile
n’a non plus jamais existé.
Ainsi nous n’avons pas été !
Connaissez-vous la folie douce
que la chance met à nos trousses
pour nous pousser à dire vrai
ce qui n’a jamais existé ? »
De qui sont ces vers qui se donnent ?
Qui pour rêver nous mirlitonnent ?
La voix de Virgile tout nu
vient enfin de trotter menu
sur le dos de la belle Alice
qui travaille dans la police
comme d’autres aux champs, en mer
et quelquefois dans nos enfers.
Elle se sentit toute douce
comme folie que l’homme pousse
pour changer de vie et de mort.
La pluie tombait sur ces deux corps
comme fait la vague en vacances,
qui de sagesse se dispense
et met de l’écume partout,
sur le dos, le ventre, le cou,
entre les genoux, sous les fesses.
Nicolas est pris de vitesse.
Il rechargeait son pistolet,
ne voyant plus ce qu’il faisait
tant il subissait cette fièvre,
quand une bouche sur ses lèvres
déposa plus d’un mot d’amour
et de sa langue fit le tour
de la sienne qui prise au piège
de ce délicat sacrilège
demanda s’il était trompé
ou s’il avait vraiment rêvé ?
— Des fois dans la littérature
on commence comme nature
à raconter un rêve pur
qui nous fait traverser les murs
et nous y croyons sans y croire.
Puis on revient à notre histoire,
un peu troublé d’avoir marché.
L’auteur alors veut s’expliquer
et usant de l’entourloupette
chère à ce genre de poète,
il met un baiser où il faut,
réparant ainsi le défaut
causé par sa petite astuce.
Il eût fallu que je le suce,
rétorque plus qu’amèrement
le critique sur le moment.
L’auteur se rit de ces déboires
et s’en remet à l’avaloire
de chacun pour recommencer.
Ainsi se défait le lacet
à une époque où la chemise
s’ouvre pourtant sans entremise
tant nous avons avec le temps
gagné non seulement du temps
mais surtout de bien plus précoces
façons de jouir de notre rosse.
Passons là-dessus et fissa
revenons où il nous fit ça…
Nicolas sait que le genièvre
n’est pas seule cause des fièvres
qui alimentent son travail.
Alice en est l’autre détail,
pas le moindre s’il faut en croire
l’effet que sur ses génitoires
elle produit sans plus tarder.
Comme il en est tout dilaté,
il propose qu’on s’en amuse,
mais cette fois sans que les muses
ne se mêlent des apartés.
Alice apprécie la clarté
de ce discours qu’une seconde
a suffi à remettre au monde,
car ce n’est pas ni le premier
ni le dernier qu’on joue aux dés
sur le tapis de l’enthousiasme
qui précède les beaux orgasmes
et les contes qui vont avec.
Alice ouvre son large bec
et enfourne près de sa langue
un pénis fort loin d’être exsangue
tant il est fier de resplendir.
La précocité du plaisir
la surprend en pleine harangue,
quoiqu’elle en connaisse la langue
et l’esprit vif qui la contraint
à sauter en marche du train.
Sur le quai si on est en gare
ou le ballast si on s’égare,
Nicolas pousse un cri d’enfer
pas facile à remettre en vers
chaque fois qu’Alice y repense.
Ce soir la pluie met sa cadence
au service de l’amour fou.
On est trop bien sur les cailloux
du talus qui chaud dégouline
et emporte dans la ravine
les feuilles mortes de l’oubli.
On eût été mieux dans un lit,
mais c’est ainsi dans la poulaille :
on ne choisit pas, on travaille.
« Comme la pluie est douce au cuir
quand on s’épuise par plaisir
au lieu de se rendre malade
faute de bonnes rigolades ! »
rime Nicolas qui a soif
car il est quitte pour le taf.
« Mon chouchou, c’est bien, tu déconnes,
dit Alice qui se boutonne,
mais on a là un cas ardu,
cause d’un vrai malentendu,
que, si tu veux, on élucide
jusqu’à ce qu’il soit bien limpide.
Ce mec est en train de mourir.
On voit de quoi son avenir
manquera s’il veut lui survivre.
Allez ! On referme le livre
et on se remet au boulot.
— C’est toi, ma mie, le ciboulot.
On ne fait pas une famille
comme ça sous une charmille
comme le gosse de Lequier
qui les papillons préférait.
Je me remonte la braguette,
non sans y ranger ma baguette
que j’ai, comme dirait Camus,
ou Dostoïevski, je sais plus,
encore en phase de révolte.
Moi je sème et toi tu récoltes.
Pour semer on n’a pas besoin
d’y repenser tous les matins.
Par contre revient le mérite
à qui sait faire de la bite
autre chose qu’un simple objet
du désir ou d’autres effets.
Je la remets donc à sa place,
pourvu que des fois tu lui fasses
ce qu’elle apprécie du bonheur.
Le philosophe un peu frondeur
ne parle jamais de la sienne,
malgré qu’elle lui appartienne
comme le bien le plus précieux
que la femme multiplie mieux
que les petits voleurs de lunes.
Heureusement, je n’en ai qu’une,
ainsi que tout homme je crois.
On ne peut en faire une croix,
sauf à s’amouracher des hommes
et changer le sens du binôme.
Je me préfère seul à trois
puisque c’est ton rêve, ma foi.
Les petits Jésus en puissance,
malgré la promesse des sciences,
ne m’ont pas vraiment convaincu.
Je savoure si c’est ton cul,
quand bien même tous les culs d’homme
sont des culs de femmes en somme.
— Tu es doué pour les discours
qu’on met en vers après l’amour.
Il faut bien que sous la charmille
on se tricote à deux aiguilles,
sinon l’enfant met un temps fou
à revenir faire coucou
pour amuser la galerie.
Les romans de chevalerie
sont pleins de jolis rossignols
qui peuvent faire les guignols
si ça fait rire la donzelle
et inspire la maquerelle.
Un homme suffit au bonheur,
fût-il Carmelin le rockeur
ou Lysis le brave sinoque.
Il faut que tu mettes en cloque
ce bidon qui n’attend que ça.
Allez ! Reprends-moi sur le tas ! »
Et sans attendre la lurette
qui fait de saint Glinglin œuvrettes
et met au pot les moins nantis,
redressant son manche à pipi
Nicolas où il l’a laissée
reprend Alice à la volée.
Cette fois il prend tout son temps.
Virgile sent que le moment
à l’agonie est favorable.
La mort enfin se met à table
et mettant petits dans les grands
lui sert le plat de son warrant.
Sur lui soudain il pleut à verse
et dessous la boue le renverse.
Le lit d’un ruisseau s’est formé.
Il pivote un peu sur le nez,
laisse ses bras faire la brasse
ou la godille des barcasses
et se retrouve dans le sens
qu’il avait pris, non sans suspens,
en arrivant dans les parages.
La 2CV sans embrayage,
ou au point mort si on le veut,
n’oppose aucun froid désaveu
à ce courant qui devient mode.
Ainsi commence l’épisode
qui vient comme le précédent
alimenter le point suivant.
Pendant qu’Alice se fait mordre
par un serpent qui veut se tordre
alors qu’il est fort bien dressé,
Virgile nu est emporté,
comme les mots d’une lavette
qui ne doit rien à son poète,
par un ruisseau de boue, de gros
cailloux qui plombent le terreau
de cette nature barbare
qui vient de larguer les amarres
pour aller au bout de la nuit
et sans doute pas sans ennuis.
La 2 CV le suit fidèle
et conforme à ce qu’on dit d’elle
en matière de tout-terrain.
Dans un arbre un mauvais crincrin,
hulotte, effraie ou chevêchette,
secoue les plumes de sa tête,
non point l’aigrette des hiboux
qui forme dessus un surtout,
(ornement pas toujours utile
quand on maîtrise le dactyle)
mais la plume comme l’Indien
la met derrière l’os crânien.
Autour de lui, des feuilles volent
comme papillons qu’on affole.
Virgile salue cet oiseau
et pour ce faire sur le dos
se retourne comme à la voile.
Tout est noir et sans une étoile.
Il salue d’autres animaux
qui ont des noms comme les mots
et dans la joie un peu d’ivresse.
Certains d’ailleurs le reconnaissent,
prodiguent aussi des saluts
et s’approchent sur le talus
qui jouxte l’étroite platière.
Rassemblant toute sa matière,
elle emporte le troubadour
allez savoir vers quel amour !
La 2CV suit sans faiblesse,
bien qu’elle manque de souplesse.
Elle cahote et se reprend
quand l’herbe haute y adhérant
la retient dans les courts méandres.
Jouent-elles les bonnes cassandres
que Virgile n’écoute pas
car il sait bien que le trépas
est au bout de ce flot de fange
dont il connaît bien le mélange.
— La Poésie est un métier
dont le cul apprécie les pieds.
L’atelier n’est pas détestable.
Le maître est au bout de la table.
Quand il referme le couteau,
il faut se remettre à l’étau
et limer la noire ferraille
pour lui donner la bonne taille.
Une faible lumière étend
ses doigts de fée sur le mitan
et sur le manche de la lame.
L’apprenti se dit que la femme
appréciera la mise au point
dont le tiers n’est pas anodin.
Il faut se mettre à la mesure
et non point chercher l’aventure
sans en estimer la hauteur.
La prosodie a son auteur
que la langue connaît mieux qu’elle.
Qasida ou bien ritournelle,
l’essai se veut définitif,
sans appel, final, décisif.
On n’y changera pas le monde,
mais la femme qu’ainsi on sonde,
si sonder dans ces profondeurs
n’est pas l’œuvre d’un vieux frondeur,
vibrera comme chanterelle
au bout de son violon l’appelle.
Si vous voulez savoir son nom,
interrogez le texte et non
ce qu’on dit à propos de roses
et d’encore bien autre chose,
car la Poésie sans métier
ne se met pas sur le chantier…
au fil du temps, ainsi de suite,
l’esprit déjà mort et sans bite
Virgile s’en va pour tirer
son chapeau noir aux inspirés
qui l’ont blanc comme communiantes.
On passe sous une charpente
qui est celle d’un vieux moulin.
Le flot n’en est pas cristallin
et bout comme dans la marmite.
La baignade y est interdite,
dit l’écriteau en lettres d’or
tandis que grince le rotor
et que l’eau gicle autour des pales.
Serait-ce ici que les timbales
mettent fin à cet opéra ?
Virgile en voit les petits rats
devenus grands par la magie
des curieuses cacologies
qui se mettent au bout du vers.
Et il tourne la tête vers
le ciel qui tout noir s’amoncelle.
Une voix lointaine l’appelle
par son petit nom furioso.
Ce qu’il voit n’est pas un oiseau.
C’est une femme en uniforme !
Et elle n’est point filiforme.
Au contraire elle est bien en chair !
« Ah ! Si c’est elle, j’ai du blair !
L’apparition est sexuelle.
Je me vois fou d’entrer en elle
alors que je n’ai plus de quoi.
On ne fait rien comme autrefois
quand on n’est plus dans sa jeunesse.
On se dispense de largesses,
mais le vrai amour n’est-il pas
étranger aux mea culpa ? »
Alice lui tend une perche
en lui disant qu’il a du derche
et non point du nez comme il dit.
Dans un effort qui l’enlaidit
elle met un pied dans la mare
et en décroche le cigare
que Nicolas fume en riant.
« Ah ! Ce que tu peux être chiant
quand tu veux que la rigolade
prenne le pas dans la brigade !
Ce mec coupé est presque mort
et tu t’en secoues tout le corps !
Ah ! Les Français sont bien en France !
Ailleurs la morale dispense
qu’on se foute des grands malheurs.
On a le sens mais pas l’honneur !
Ou l’honneur sans la signifiance.
Il faut choisir sans assurance.
Dans les deux camps seul on se voit
et de l’homme on a tous les droits
sauf ceux qui font chier les ministres
et les courtisanes du cuistre.
L’Amerloque se fait petit
si le prévenu est d’ici.
On ne sait jamais, les voyages
en France ont bien des avantages
surtout que bien fait est le lit.
Sans bordel la France avilit.
Du coup on s’en prend à l’épouse
comme on fabrique les barbouzes
qui serviront de collabos
si le temps se remet au beau.
— Tu dis ça parce qu’on est chiche
et qu’on veut savoir où les miches
on pose avant de les user.
C’est qui ce mec ? Un vrai frisé
ou un faux qui fait le poète
dans une intention déshonnête ?
— C’est un humain dans le malheur !
Imagines-tu la douleur ?
Ce n’est pas de la rigolade !
— Mais j’ai trop peur de la noyade !
Les noyés c’est très dangereux.
Ils te noient dans le contagieux.
On peut choper leur maladie
rien qu’en jouant leur comédie.
J’ai un pote qui n’est plus là
pour raconter comment ça va
à cause d’un noyé miracle
qui se noyait pour le spectacle.
— Ah ! Si je n’avais rien promis
je te sucrerais le permis !
Mais en amour j’ai la parole
plus chère que tes deux babioles.
Il va se noyer sous nos yeux !
— Mais si tu prétends faire mieux,
saute là-dedans et la ferme !
Ah ! Il faut supporter les termes !
J’en ai marre de tes leçons !
Et puis je connais la chanson.
Une fois crevé on m’enterre
comme un vulgaire locataire.
Pour la médaille c’est tintin !
Et sans Milou pour le gratin.
— Mais pourquoi en faire un fromage !
Comment veux-tu que je partage
mon existence avec un mec
qui fait que me prendre le bec
pour que j’y dise comme il aime ?
Je ne sais pas nager moi-même !
— Parce que Madame a triché
à l’examen des policiers !
Ah ! J’en apprends et des bien belles !
Un flic ça vient quand on l’appelle
et ça met les pieds où on veut.
Quel citoyen peut dire mieux ?
— La citoyenne te dit crotte !
Les exceptions sans la culotte
c’est l’imposture au prix du gras.
Ah ! Tu me mets dans l’embarras !
Si j’y vais c’est que je me noie.
Et si je me noie tu nettoies ?
Tu te les frottes sans savon
parce que tu es le patron ?
Les mains sales ça me dégoûte.
Je ne serai plus ta louloutte.
Tu paieras comment ton loyer ?
Des mecs comme toi c’est payé.
— Ah ! Tu me fais mal où je pense
et pour penser j’ai l’apparence !
Je me noie ou bien c’est fini !
Ton QCM n’est pas joli.
— Mais puisque tu as fait le stage
où on apprend comment on nage !
— Mais c’est que je ne l’ai point fait…
— Toi aussi tu te l’es triché !
— Je ne triche jamais, ma poule !
Mais quelquefois fort bien je roule.
— Ainsi nous ne pouvons sauver
cet homme qui va se noyer ?
— Les poètes quand ça se noie,
ma chérie il faut qu’on y croie.
On peut regarder sans le voir.
— J’augmente beaucoup mon savoir…
— La vie de l’homme est ainsi faite.
Elle est quelquefois trop abstraite
pour qu’on décide par quel bout
il faut la prendre dans les clous.
Je ne suis pas fin philosophe,
mais quand ça sent la catastrophe
mieux vaut signer avec l’État,
qui met à l’abri des tracas
occasionnés par le chômage
qu’avec les boulots à la page
qu’on finit par tourner un jour.
La noyade du troubadour
est un spectacle pour adulte.
Mais moi, flic, je suis trop inculte
pour en apprécier le détail.
J’ai appris un autre travail
et je souhaite que ma compagne
ne me donne de la castagne
l’occasion ni surtout le prix.
J’espère que tu m’as compris.
Les demi-mots, en poésie,
valent mieux que leur fantaisie.
Laissons Virgile se noyer
ou qui que ce soit d’envoyé
pour me casser mes saintes couilles
d’autant que je suis en patrouille
et que ça me les gonfle à sec.
Courons nous remouiller le bec
et rejaillissons de cette onde
dont les degrés peuplent le monde,
en tout cas celui où je vis,
parce que l’autre, il est bien cuit. »
Dédé vit alors les deux cognes
se serrer dur leurs quatre pognes
et se dire des mots d’amour
sans se soucier des alentours.
L’un d’eux ramasse sa casquette
et se la remet sur la tête.
L’autre en profite pour flatter
avec un art sûr du doigté
la courbe enjouée du derrière
qui donne une idée du bestiaire.
« Ah ! Ben alors ! Mon Cristobal !
Je ne dis pas que c’est normal,
mais c’est bien beau de voir encore
des gens filmés en bicolore
retrouver les charmes discrets
des Colonies comme on n’en fait
plus maintenant que notre Empire
appartient à ces tristes sbires
qui administrent nos destins.
Tu me diras que le gratin
se fiche pas mal des nuances,
mais quand on est sous influence
de leurs caisses d’allocation,
on est partisan des fonctions
au point d’encourager la robe
au détriment de nos microbes
dont le moindre est qu’on est racial.
Ah ! Ben alors ! Mon Cristobal !
Vise moi un peu ces dix touches !
Et il en remet une couche !
Des doigts pareils ça vaut de l’or.
J’y donne aussi sec mon accord.
Ah ! Si j’avais une casquette
et dessous une bonne tête,
on me verrait avec un chien
faire des choses pas trop bien
du point de vue de la morale,
mais parfaites si c’est un mâle.
Quand je dis chien, mon Cristobal,
ce n’est point à cet animal
que je cause de ces vraies choses
qui à l’homme honnête s’imposent.
Bien sûr que je t’aime, hé poulet !
Veux-tu bien lâcher ce mollet
et faire preuve de faiblesse
quand il est question de nos fesses !
Prends exemple sur ces roussins.
Ils s’aiment comme deux gamins.
Un Blanc né dans les Colonies
et une Noire en harmonie
avec cet idéal aryen
comme toi tu es mon chienchien.
En deux je te dis que la poire
met de l’honneur dans notre Histoire.
Ah ! Mais c’est que tu fais saigner !
Tu ne sais pas égratigner.
Regarde donc comme elle enseigne.
Et les poils du cul il les peigne
avec dix doigts, pas un en moins !
N’écoutez pas les faux témoins.
N’écoutez pas ce chien d’ivrogne,
chien de pédé, fils de charogne !
Toujours je sais ce que je dis
quand je me branle le radis. »
Antraxe enfoui sous une couette
en a marre de cette bête
de Dédé qui baise son chien
parce qu’après il se sent bien.
Ce ne sont pas des mœurs humaines
celles qui font qu’on se sent chienne
alors qu’on est chien en dedans.
Avec la langue et des vraies dents
on mord la vie entre les fesses
et puis après on la caresse.
Ça fait des jours que ce moulin
sert d’hôtel à ces deux malins
et pas aux frais de la justice.
La nuit, le jour ils s’y tapissent
et font le pet avec un chien
qui est discret quand ça va bien.
Témoins des choses qui se passent
au dehors de cette carcasse
de pierres bouffées par le temps,
ils écoutent l’étang dormant
sous le plancher où ils s’endorment,
la tête sur le chien informe
qui rêve tout haut quand il dort.
Pour l’instant personne n’est mort.
Dans ce moulin mort de fatigue,
seule l’impatience est prodigue.
On se regarde pour se voir.
On peut même s’y décevoir.
On a le sens de la famille.
On s’y bat pour des peccadilles.
Le chien mord s’il n’est pas content.
Heureusement, pas trop souvent.
Les chiens c’est brave quand c’est bête
sinon ce sont des vraies lavettes.
Ce soir, on dormait, poings fermés,
pas chaleureux, bien affamés.
Le chien furetait sur la route
car des fois de vrais casse-croûte
s’y font aplatir tout vivant.
Mais avec la pluie et le vent,
avec la pluie qui vous pénètre
et le vent qui vous envoie paître
dans les coulisses du décor,
on ne voit pas venir la mort.
Des ténèbres deux yeux surgissent
pour procéder au sacrifice
des composantes du repas.
Ces yeux ne vous regardent pas.
Ils assassinent par mégarde
et vous, couché sous la rambarde,
vous espérez un choc précis,
redoutant que cette fois-ci
un écrasement sacrifie
la netteté chère au génie
aux extravagances du fou.
Mais attendez ! Ce n’est pas tout.
Le gueuleton est net de taxe.
Et en prime on a le névraxe
et même la peau du dessus.
Franchement, on n’est pas déçu.
Sauf si la roue trop en écrase.
Excusez pour la périphrase,
mais tout le monde parle chien
et peut donc comprendre très bien
ce qui arrive au bord des routes
où le chien facile s’ajoute
au soleil et aux éboueurs.
Les chiens sont toujours beaux joueurs.
On ne les prend pas à la triche.
Rêvent-ils de devenir riches ?
Non, n’est-ce pas, pas eux aussi.
Mais continuons ce récit.
Cristobal était sur la route
et se secouait la biroute
contre un poteau portant signal,
comme cela paraît normal,
ni plus ni moins et je t’emballe.
L’introduction est capitale
si le récit n’est pas banal.
Il a l’instinct pas très zonal,
mais il tient à laisser sa marque
des fois que quelqu’un la remarque,
ce qui arrive peu souvent.
Le métier n’est pas bien crevant.
On est fait pour lever la patte
et si on a le cul de jatte
on lève la queue et basta.
Soudain Cristobal s’arrêta.
La pluie tombait à grosses gouttes
et inondait toute la route.
Le vent sifflait dans le moulin,
mais pas un de ses châtelains
ne s’en plaignit hors de son rêve.
Comme cet exorde s’achève,
Cristobal s’arrête et attend.
Ce qu’il voit est bien déroutant.
Sur le chemin dessous les chênes
une deudeuche fort ancienne
descend le chemin du moulin
et monte sur le terre-plein
sans feux et même sans pilote.
S’il avait eu une culotte,
Cristobal aurait fait caca,
mais comme les chiens n’en ont pas,
du moins pas ceux de cette sorte,
il ne fait rien pour que ça sorte
et se retient à ce qu’il peut.
Malgré tout il frissonne un peu.
Une deuche fantomatique,
ce n’est pas que je la critique,
mais ça fait toujours impression,
surtout du côté du croupion.
Et le croupion, il l’a en nage !
Des fantômes dans les parages,
ça s’est vu mais il y a longtemps.
A l’époque même Satan
allait à cheval en vacances.
La bagnole eût eu de l’avance
si jamais on en avait eu.
Depuis jamais dans l’impromptu
on avait rencontré des âmes
échappées de l’Enfer en flammes
pour rappeler aux bons vivants
que les morts qu’on revoit souvent
ce n’est pas bon mais mauvais signe.
Et depuis un point à la ligne,
plus de fantômes pour servir
d’excuse au manque de désir.
On était bien tranquille et tout.
La science rangeait les bijoux
selon l’ordre de la famille,
avec l’enfant sous la charmille
et le pouvoir qu’on y exerce.
Point de diktat ni controverse
sans logique ni deux témoins.
Ici celui qui veut oindre oint,
mais pas question que des fantômes
servent la messe pour les hommes.
Or voilà qu’un chien nous dément
et en plus dans un vrai roman.
Ce qu’il voit est bien un fantôme !
S’il avait été comme un homme
instruit des choses du passé,
il en aurait vraiment stressé.
Le lourd vaisseau de la légende
reprenait corps sans qu’on demande !
Heureusement, ce n’est qu’un chien.
Ce qu’il regarde, il le voit bien.
Une voiture est emportée
par l’irrésistible bordée
que l’eau, la terre et le grand vent,
et peut-être l’engoulevent
qu’on trouve au chapeau de la rime
autant que dans la nuit du crime,
arrachent sans le faire exprès
aux noirs desseins de la forêt.
Mais ce n’est pas le plus énorme
de cette apparition hors norme,
car y regardant de plus près,
comme on fait dans les cabarets,
Cristobal croit voir forme d’homme !
Comme il est encore autonome,
il descend fort tranquillement
pour jeter un œil plus savant
sur ces choses que la nature
emprunte à l’homme qui l’endure.
Un homme flotte sur l’étang !
Le chien va expérimentant,
comme céans on imagine,
diverses réflexions canines
que nos usages textuels
ne sont aptes à dire tels,
d’autant qu’ouvrant sa grande gueule
il n’en traduit pas une seule.
Dactyle, anapeste ou ouahouah
plus d’un expert désavoua
celui qui encore se risque
à cette improbable métrique.
Nous nous en passerons aussi
et reprendrons là le récit.
L’aboiement réveilla Antraxe
qui rêvait encore aux relaxes
dont il avait bénéficié
suite à divers travaux viciés.
Mais le chien préférant son maître
quand il s’agit de lui permettre
de faire peur à l’importun
ou d’y pratiquer un emprunt,
il se servit de ses deux coudes
pour réveiller Dédé qui boude
toujours dans ces cas impérieux.
Après s’être frotté les yeux
et avoir exigé la mise,
Dédé rajusta sa chemise
et vérifia le coutelas
qui établit l’apostolat
dont il soigne les avantages
au fil quelquefois de l’otage.
La suite est racontée plus haut.
Dédé n’a pas montré sa peau
aux deux flics qu’il juge un peu dingues
de s’adonner à la seringue
par un temps pourri jusqu’à l’os.
Mais Bacchus et son pote Éros
n’expliquent pas non plus les choses.
Ça ne sert à rien qu’on en cause.
Aussi venons-en à Antraxe
qui réveillé ne se détaxe.
Il veut savoir que fait Dédé.
Cristobal est aussi pédé,
dans le genre cabot nature.
Ça fait de la littérature.
S’ils sont en train de s’amuser
avec un troisième cinglé,
on n’est pas sorti de l’auberge !
pense Antraxe ou plutôt gamberge.
Il met dehors un nez prudent
qui se mouille en prenant le vent.
Il lèche une goutte sucrée
et tâte un peu voir la purée.
« Merde aux bourgeois qui m’ont conçu !
Dire que je les ai déçus
n’est pas peu dire au tribunal.
— Vous êtes civil et pénal !
m’a engueulé la Présidente
en constatant que j’ai des rentes.
— Si j’avais l’air intelligent,
j’en aurais eu pour mon argent !
— Mettez-moi au trou cette ordure
qui fait du mal à la nature !
— J’irai si je veux, quand je veux !
J’ai des droits comme je le peux.
— Facilitez la procédure.
Une cellule avec verdure !
— Je dirai tout ce que je sais !
— Vous direz tout ce qui me plaît
de savoir pour au trou vous mettre.
Voyons ce que peut me permettre
la Loi dans les cas de pognon…
— J’ai aussi un joli trognon…
— Moi j’en ai deux et je les aime.
Même si personne ne m’aime.
— J’étais tout seul et mon papa…
— Taratata ! Je connais ça !
— Il me battait et même pire !
— On faisait ça dans notre Empire !
— Je m’en fiche pour le harem.
— N’en rajoutez pas ! Carpe diem !
— Cinq ans au trou ! Avec des lopes !
Vous êtes une vraie salope !
— Des fois je me le dis aussi.
Continuez votre récit,
en espérant que cette incise
éclaire un peu votre bêtise
de personnage de roman
qu’avec trois sous on met au banc. »
Virgile secoua sa tête.
Il n’avait plus l’air d’un athlète.
« Vous avez l’art de mettre en vers, »
dit-il se tenant de travers
pour améliorer sa doctrine.
Couvert d’un vieux sac de farine,
il reçoit la langue du chien
qui fait partie des comédiens
chargés de jouer cette scène
véridique et même prochaine.
Jugez si je mens quand je mens.
Ils avaient sorti de l’étang
un homme en état de s’y mettre
pour ne plus jamais reparaître.
C’est du moins ce qu’ils en pensaient.
Et maintenant il écoutait
d’Antraxe une Ode à mon seul crime.
Et jusqu’au bout Antraxe exprime
les sentiments qu’il a volés
en mettant la main au panier,
au sens propre, on se le figure,
comme au figuré la luxure.
Il en devient rouge et idiot.
Ça se termine en adagio
et tandis que Dédé en pleure,
car on y a passé une heure
qu’on aurait mieux fait de rêver,
Virgile salue l’achevé
de ce poème écrit sur l’onde
qui dessous le plancher abonde.
« J’ai fait ça vite fait bien fait !
dit Antraxe que le forfait
n’a pas ébranlé d’une octave.
De la règle je suis esclave,
mais je recompte avec les doigts. »
Il est descendu de la croix.
Il se ratisse en haut le crâne
et à sa place la banane
remet sans oublier ses fers.
Virgile qui sort d’un enfer
de boue et autres immondices
remercie comme un vieux complice
qui ne veut pas en dire trop
de peur d’en rajouter au trot,
d’y perdre son vocabulaire
et les atouts de sa manière
pour expliquer qu’il n’a pas dit
ce que l’auteur a mal compris,
car l’auteur est atrabilaire
quand le critique croit bien faire.
« Je me vois mal recommencer,
dit Virgile sans y penser.
J’aime la vie et ses poèmes !
Mais moi poète, qui donc m’aime ?
— Mais je vous aime pour de bon !
s’écrit Dédé qui fait un bond
pour se mettre sur le passage.
Quand on aime, on a l’avantage
de savoir au moins qui on est !
Celui qui n’est pas toujours hait.
Croyez-en un vieux fabuliste
qui dit que le bonheur existe.
Le chercher c’est tout l’intérêt
de la vie et de ses arrêts !
— Je cherche mais rien je ne trouve !
Je suis comme poule qui couve
ce qui sort de son trou du cul !
Je viens, je vois, je suis vaincu.
Chanter quand on a de la gueule
je veux bien mais quand elle est seule !
Voyez donc ce qu’elle m’a fait !
Et comme on dit, sans faire exprès ! »
Et ouvrant le sac de farine
Virgile conclut sa doctrine
en révélant qu’il est coupé.
Dédé en reste suffoqué.
Il pose ses genoux à terre
et ne songe qu’à bien se taire.
Antraxe qui ne savait pas
sur le côté fait un faux pas
et manque de peu de se mettre
corps et âme, sans dieu ni maître,
dans le trou que Dédé a fait
dans cet impeccable plancher,
tout ça pour pêcher des anguilles
dont une seule, vue sans lentilles,
a montré le bout de son nez.
Cristobal veut le renifler.
Dédé lui met une mornifle.
« Mais que veux-tu qu’il me renifle ?
dit Virgile en le caressant.
— Je n’ai jamais vu tant de sang !
s’écrie Dédé qui se recule.
Même quand Antraxe m’encule.
Il faut d’urgence à l’hôpital
recoudre sinon c’est fatal.
L’homme sans ne peut point survivre.
C’est écrit dans les meilleurs livres.
Et j’en ai lu des pas torchés
avec la main d’un vieux gaucher.
— C’est que voilà, clame Virgile,
je crains que me tombe la tuile.
Ils m’ont laissé seul dans la nuit,
alors que j’ai de gros ennuis,
et des trous partout dans la couenne
que m’a faits la déesse Diane
avec un fusil à trois coups.
J’ai fait le Christ avec les clous
après avoir joué Marie
qui fait Joseph en librairie
et la pute sur le trottoir.
Quand j’étais jeune il fallait voir
de quoi en vrai j’étais capable.
Je me croyais inaliénable !
Jamais rouillé et toujours prêt.
Et travailleur même à l’arrêt.
De l’inox en cuir véritable.
On en redemandait à table.
Il fallait voir et on a vu !
Et maintenant de l’imprévu !
Du hasard mais sans les merveilles
promises par l’art de l’oseille.
Non mais voyez le résultat
d’un amour qui s’acclimata
à ses plus hautes exigences !
Elle en avait jusqu’à la science.
J’étais fou de me croire fou !
Et fou je deviens sans Pérou !
Sans un bateau qui tient la vague,
Ulysse est une bonne blague
faite aux amateurs de coucous.
Me coudre quoi si on me coud !
Du russe bricolé en Chine ?
Du mort que l’esprit abomine ?
Je retourne dans mon étang
pour rejoindre l’espace-temps
qui fait encore ma métrique.
Je suis déjà cadavérique.
Retenez votre chien obtus
et laissez passage à l’intrus
qui a dérangé votre extase.
— Moi, les mecs qui cherchent des noises
je les fais mordre par mon chien ! »
s’écrie Dédé qui se retient.
Il veut montrer qu’il est agile
et qu’il est dans son domicile
plus criminel que le civil,
car en matière de droit fil
son expérience est pragmatique.
Il aime trop la mécanique
pour laisser faire le destin.
Il se construit de vrais fortins
avec du papier périodique.
Son ambition est athlétique,
même au prix de la trahison.
Ah ! S’il connaissait des poisons,
mais il ne sait rien de la femme,
alors quand soudain il s’enflamme
il ne sait plus ce qu’il se fait.
Même le mal est imparfait,
toujours en retard, de traviole,
pas fini ou sans le pactole
promis dans les moments d’effroi
relatifs à la fin en soi.
Ça lui fait dedans une boule
faite d’un fil qui se déroule
quand on lui tire trop dessus
qu’à la fin quand il n’en a plus
il en redemande et se frappe
pour qu’on ne lâche pas la grappe.
Et ça lui fait un mal de chien,
autrement dit beaucoup de bien.
On peut dire qu’il est complexe,
pas seulement du côté sexe,
et au fond ce qui le fait chier
c’est d’en avoir la faculté
et de devoir crever quand même.
« Et que je te dis que je t’aime !
Et comme ça de loin en loin,
avec ce qu’il faut de témoins
pour authentifier la lignée.
Ah ! Si c’est ça la destinée
autant faire mal plus que bien !
Et quand je dis mal ce n’est rien
à côté de ce que je donne.
Je peux même en faire des tonnes.
Grâce à moi on est éternel
et si je crève avant Noël,
sans jésus ni la vierge enceinte
et sans papa pour porter plainte,
pas de problème, on est plusieurs !
C’est le genre qui a l’honneur
de décliner dans le pérenne
et non point le gaillard obscène
qui veut vivre et ne pas mourir.
On est fini, mais sans finir.
Pour être utile, on est utile !
Mais ça sert à quoi l’inutile ?
Je vous en pose des questions !
Et pas des rouillées par l’action
qui réduit la philosophie
à l’art de la télégraphie.
J’aurais dû devenir savant.
Je le serai dorénavant
si la Justice par l’étude
met fin à mes vicissitudes.
Mais le magistrat est trop con
pour traverser le Rubicon.
J’en fais quoi, moi, de tout ce sperme ?
Du baume pour les épidermes
de celles qui sur un balai
font mieux qu’avec le batelet
qui met les hommes en cellule
et bientôt dedans des capsules ?
Qu’on me donne l’éternité
et je deviens la charité.
Vous ne répondez rien si j’ose
vos convictions remettre en cause !
— Ah ! Mais pardon ! Je m’en allais !
Je ne suis pas votre invité
si l’idée que j’ai du suicide
vous paraît un infanticide !
Qu’allez-vous donc imaginer !
Regardez ce qu’elle m’a fait !
Et mal alors qu’elle eût pu faire
beaucoup mieux sans mettre par terre
les projets dont j’eus les moyens.
Vous me direz qu’en cherchant bien
je trouverais mieux que du russe
ou du cadavre avec astuce.
Je vous crois comme je vous vois
et je comprends que je le dois.
Mais comprenez que la limite
à franchir si je le mérite
n’est pas ce qui fait de l’Enfer
l’écosystème qui dessert
les traversées imaginaires
qui solutionnent nos contraires.
— Comme si je vous demandais
ce qui ne peut point se payer !
J’ai ce qu’il faut et du solide !
Jamais de plainte en cas de bide.
Vous me prenez pour un rêveur
alors que je suis un noceur !
Votre joli cul me passionne
comme jamais je confectionne.
Veuillez en avant vous pencher
afin que de vous pénétrer
une belle joie je conçoive
qui par ailleurs ne vous déçoive.
— Je ne suis pas votre obligé !
Vous m’avez de la mort sauvé
alors qu’elle m’était mollette.
Et de cette vie qui m’embête
vous prétendez me fortifier !
On ne peut certes pas se fier
à de pareilles théories !
Voilà une catégorie
à laquelle je ne peux pas
adhérer juste comme ça !
Il faut en avoir la pratique
et surtout l’habitus antique.
Je suis un homme de mon temps.
Du classique rien je n’attends.
Comment voulez-vous que j’opine
si la liberté ne m’anime ?
Et d’ailleurs je n’attends plus rien.
Ni russe, ni greffon ancien.
Pas de prothèse mirifique
ni de morceau cadavérique.
Je ne veux plus sauver ma peau.
J’en deviendrais vite marteau.
— Soit. Mourez si c’est la nature
qui vous inspire l’aventure !
Mais avant de partir sans moi,
laissez-moi goûter en bourgeois
à vos faciles avantages.
Vous avez exactement l’âge
qui convient à mes ambitions.
Vous connaîtrez de la passion
plus que Racine en dit aux gosses.
Je ne parle pas d’un négoce,
mais d’une affaire sans tarif.
— Mais je n’en suis point le fautif !
Chacun y trouve ce qu’il trouve
mais si l’autre le désapprouve,
il est d’usage d’en rester
aux intentions sans rien tester.
Puis-je vous rendre la pareille
si je n’ai plus cette merveille
pour vous en dire quelques mots
qui vous eussent laissé K.O.
tant je sais l’art de le redire ?
Faut-il qu’enfin je vous inspire,
parce que je suis un garçon
ou pour toute autre déraison,
l’acte et non point la connaissance ?
L’esthétique a des résonnances
que la morale met au banc.
Et ce juste quand le moment
pour moi est venu sans nul doute
de me jeter où je redoute
ne n’être plus ce que j’étais.
Vous me voyez fort embêté
de ne pouvoir vous satisfaire.
Et croyez-moi, j’en désespère !
— Que dire alors de mes tourments !
La prison m’a connu blâmant
les contraintes qu’elle dispense,
et je blâmais non sans audience.
Ce sont là des années d’index.
Et rare s’y fait le latex
à tel point qu’on se rend malade.
Je comprends votre dérobade.
Je vais bander encore un peu,
le temps pour moi de rendre heureux
cet organe ou cet appendice
qui me vaut souvent en justice
de blessantes déclarations,
d’autant plus que j’ai la miction
comme qui dirait douloureuse.
On en a vu de plus heureuse.
Je vais donc me la chatouiller.
Vous pouvez aller vous noyer
sous le regard de nos grenouilles
qui la nuit nous cassent les couilles
tant elles manquent au sommeil.
Demain matin, dès le réveil,
je mettrai mes genoux en terre
pour partager votre prière.
Allez donc vous faire la peau
malgré le temps qui n’est pas beau
comme pourtant il devrait l’être
quand l’homme prétend disparaître
en tout cas de ce qui se voit,
car l’ailleurs qui ne se voit pas
des fois s’entend si on écoute. »
A ce discours Dédé ajoute
que le plaisir qu’on a solo
un peu comme se foutre à l’eau
dépend de celui qui y nage
mais aussi de ce qui l’engage.
A l’intérieur du vieux moulin
poussent des herbes en déclin.
Il s’y cache et se met à braire
une chanson pour se distraire.
« Quelquefois à l’harmonica
j’accompagne mon doux caca.
Mais tu n’es pas là pour me dire
si tu veux de ma tirelire.
J’en ai des sous pour acheter
ce qui tous deux nous fait rêver.
Le cul, ma mie, m’a rendu riche.
Et je t’en laisse le pourliche ! »
Antraxe gratte son menton
et cherche des yeux un bâton,
tandis que Virgile s’apprête
à pondre sa dernière œuvrette.
Cristobal ne comprend plus rien.
Ce suicidé, il l’aime bien.
Mais le bâton, c’est pour sa pomme.
Cet ustensile au bout d’un homme,
est plus dangereux que les crocs
et en moins de temps qu’il n’en faut
vous remet les idées en place.
On n’a pas toujours cette audace
qui fait le héros révolté.
S’il faut à tout prix se frotter
autant préférer les caresses.
Un coup de pied prend de vitesse
ces réflexions sur le destin.
Ainsi prend fin le baratin
qu’il se voyait déjà sur scène
déclamer au fil de l’haleine.
« Allez donc vous tuer plus loin,
propose Antraxe au baladin.
Ça m’embête de vous le dire,
mais il se trouve qu’on conspire
pour ne pas être du complot.
Voyez-vous, les mélis-mélos
si le dramaturge en est l’âme,
avec ce qu’on sait de la femme
on se marre et on applaudit.
Mais si c’est le flic qui médit,
le risque est grand de prendre un bide,
surtout si l’acte coïncide
avec les faits qui, reprochés,
donnent du sens au jeu fléché.
Quand on joue on est plus qu’aux anges.
Le flic passe pour un archange
et l’annonce faite au client
invite à des rapprochements
qui dans l’embarras vous remettent
et de la poudre d’escampette
font de la poudre pour les yeux.
Comme final on a fait mieux
et en tout temps sur le théâtre,
j’en veux pour preuve Jean-Sol Pâtre
qui remet le monde à l’endroit
quand à l’envers il est à soi.
Aussi, voyez-vous, cher poète,
sans vouloir vous casser la tête,
il va pourtant dessus falloir
mettre plus d’un coup de battoir
afin d’éloigner la menace
de se retrouver face à face
avec un staff d’autorités
à qui il faudra expliquer
pourquoi on ressemble aux deux drôles
recherchés pour deux trois bricoles
qui ont aussi causé des torts.
A qui, à quoi, je me fais fort
de ne jamais comme à la messe
m’en expliquer dans la détresse.
Excusez si le coup est dur
mais je fais ça avec le mur. »
Prenant la tête entre ses paumes,
d’un fort coup de mur il assomme
le pauvre Virgile tout nu
qui tombe comme un prévenu
tout étonné de l’orthographe
de son sous-diplômé biographe.
« Ah ! Merde ! dit Dédé montrant
la tête qu’il fait tout le temps
quand du colon il est à l’œuvre.
Tu y vas fort à la manœuvre !
S’il est vivant après ce gnon
je te ramone le trognon
à la Chantilly béarnaise.
— Que veux-tu, je l’avais mauvaise !
Ces mecs qui veulent se tuer
sont quelquefois de vrais dangers
pour ceux qui restent dans la place.
Là, j’ai senti une menace.
Il me plaît bien, moi, ce moulin.
Pourquoi causer un vrai bousin
alors qu’on jouit d’ataraxie ?
On a droit à une accalmie.
Il peut crever, mais pas ici !
— Mais il est crevé ou quasi !
Tâte le pouls qu’on se renseigne.
J’ai vu de plus molles châtaignes
changer en tragédie destin
prévu pour un autre festin.
— Maintenant ou plus tard, je kiffe !
J’œuvre toujours dans l’apocryphe.
Je défends ma tranquillité,
dans le malheur ou la beauté
selon les hasards de la route.
Prends les pieds si ça te dégoûte
de regarder les yeux d’un mort.
Chacun son idée du confort.
Les pieds ça n’a pas d’existence.
Ça ne dit rien de l’adhérence
ni des glissements du plaisir.
Dans le travail et les loisirs,
les pieds ne laissent pas de traces.
Qu’on se tue ou qu’on se délasse,
avec ces doigts tu ne fais rien.
Sais-tu si ces deux sont les tiens ?
Plus d’une fois, mort de fatigue,
tu défais les nœuds des intrigues
et tu reviens, sur tes deux pieds,
pour voir le rideau se lever
sur autre chose que tes rêves.
Avec les pieds rien ne s’achève.
Rien ne recommence non plus.
Du destin les pieds sont exclus.
Tu peux revenir à Collioure
avec les pieds que tu savoures.
— Ah ! C’est beau quand tu fais des vers !
J’en ai l’anus tout entrouvert.
Mais c’est trop tard quand ça me presse.
J’en ai la queue qui se redresse.
Entre les pieds laisse-moi jouir !
La position est à ravir.
Je vais vite en la circonstance,
car tu as ton idée, je pense… »
Dédé s’active sur les pieds
qu’il tient dans ses deux poings serrés.
Antraxe ouvre une crapaudine.
Seul un oiseau noir se débine.
L’étang clapote par endroits,
puis l’eau filoche sous le bois.
La nuit se repose, immobile,
secouée de peurs infantiles.
Il scrute le noir des profils,
cherche les mots, fronçant sourcils.
Sa langue soulève la lèvre.
Ses tempes secrètent la fièvre,
formant des gouttes que le doigt
efface d’un trait net et droit.
Il se sent apte à la besogne
et doucement frotte ses pognes
l’une contre l’autre, gaîment.
Enfin Dédé tombe en jouissant.
Son corps sale et puant flageole,
il en a perdu le contrôle.
C’est fou ce que les fous sont fous !
se dit Antraxe qui s’en fout.
Il en rit même par saccades,
se bat le ventre et pétarade,
se mord la joue, tape du pied,
animant ainsi le plancher
d’une ondulation inquiétante.
Cristobal lèche les deux plantes.
Virgile a l’air mort et bien mort.
Il est boueux sur tout le corps.
Les mains en haut tournent leurs paumes.
On peut croire qu’il fait un somme.
Il a même les yeux ouverts,
ces yeux où s’agite une mer
peuplée d’utiles personnages.
Antraxe connaît ces voyages.
Il en devient fou quelquefois.
Il a perdu tous ses emplois
dans la vague qui le submerge.
Maintenant il est sur la berge,
il contemple les vieux rochers
que le temps n’a pas emportés.
Comme elle est belle cette écume
dont les sirènes se parfument !
Des plongeurs aussi fous que lui
ne reviennent pas s’il fait nuit.
Ils emportent des coquillages
à leur ceinture de cordage.
Et si le jour porte conseil,
ce ne sont point ceux du soleil.
La vie n’est pas une aventure.
Elle appartient à la structure.
Mauvais poète il s’établit
dans les crispations de l’oubli.
Le mal habite la cellule,
pense-t-il quand elle pullule
et il en rit avec l’ego.
Le style n’est pas de l’argot.
Pourtant tu fais de belles phrases
et on conçoit bien tes extases.
« Nous sommes fous comme les fous,
ni plus ni moins, mais à genoux,
sans solution, sans espérance,
plus piteux que traces de roi
sur le trône qui en fait foi.
Nous finirons à la poubelle,
toi et moi comme les plus belles,
les mieux faites pour le bonheur
qui illusionnent les noceurs.
Il faut finir et j’harmonise !
Elle est belle mon entreprise !
Nous ne rirons plus du bouffon
qui au fond de nous se morfond
tant il se sent mort et utile.
Nous intervenons si c’est l’heure,
dans les salons de nos demeures
que la rue peuple de schizos.
Qui organise nos réseaux ?
Qui met des miroirs dans la soupe
et planifie les entourloupes ?
Qui facilite les accès ?
Qui donne un sens à nos procès,
ceux qu’on perd comme ceux qu’on gagne ?
Quelle cagade, ma compagne !
Je te vois changer comme l’eau
qui coule sous nos ponts bien beaux,
bien nus, bien perpendiculaires,
bien sous tous rapports entre frères,
bien bâtis pour dormir debout.
Nous sommes fous plus que les fous.
Sur les quais, trottoirs, avenues,
dans le sentier, pente sinuent
ces deux pieds morts d’être des pieds.
Avec les pieds, on peut jouer
sans mettre les mains dans la merde.
A moins qu’en chemin on se perde.
Cela arrive au mieux conçu
pour retrouver l’inaperçu.
Nous ne referons pas le monde
ni le regard de la Joconde.
— Tu me mets les tripes dessus !
Je veux dire lato sensu
pour parler comme tu me parles.
Et pas foutus d’être des marles
que respectent même les flics.
Tout tombe mais jamais à pic !
On n’est pas fait pour la gamberge
ni pour la crème qui émerge.
Fou ou pas fou, je suis vivant
et pas en voie d’être savant.
On fera tout ce qu’il faut faire
moins ce qu’on ne sait pas refaire. »
Dédé remonte son falzar
et s’en remet à tout hasard.
Il jette un œil sur la dépouille
qui d’un poil ni même des couilles
n’a pas bougé et ne vit plus.
« Dire des mots est superflu.
Soit on se taille et à la diable,
soit on agit mais à l’amiable.
J’ai tué, d’accord, mais sans toi
on ne sait pas même pourquoi.
On le remet dans sa bagnole
et on la pousse tartignole
le plus loin qu’on le peut à deux.
Le discours est cauchemardeux,
mais le style n’est pas moins nase.
On fait la chose en quatre phases :
un, on se l’installe au volant,
les mains dessus et l’air marrant.
Pourquoi marrant ? Un rien l’amuse.
Par exemple une de ces muses…
— Et où on trouve ces cas-là ?
On est à sec, ne l’oublie pas.
— Je dis ça comme on dit des choses.
Si on ne les dit pas on cause.
Deusio, on pousse sans crever
et si on a bien travaillé,
on se retrouve sur la route…
— Travailler, moi, ça me dégoûte !
Change le mot et je te suis.
— Ça tombe bien. Déjà j’y suis !
Tercio. Ah ! On a été vite.
Ça roule sans bonne conduite.
On aura des points au permis.
Ça fera plaisir à Mimi.
— Mimi ? C’est qui cet oiseau rare ?
On voit comment tu accapares !
On n’en avait jamais parlé.
Merci d’écourter le délai.
J’en ai plein le dos de l’échine.
Je pousse et monsieur s’acoquine.
Et avec qui ? Avec Mimi
qui lui fait ravoir le permis.
La complicité a des charmes
qui parfois le baron désarme.
Pousse pendant que j’ai du temps
à perdre avec un fou chantant.
Mimi fait de l’escarpolette
pendant que le dos je me pète.
Tercio c’est fait ! Et puis après ?
— Mais on n’est plus dans l’à-peu-près !
On a un mort dans la valise
et pour la peine la remise
n’entretient pas avec l’espoir
le rapport qu’on voudrait lui voir
exercer sur la destinée
que Dieu réserve à ses athées !
Le plus loin possible poussons
comme on le fait dans la chanson
qui rime avec la poésie.
— Rêvons plutôt d’analgésie
par le moyen que nos deux pieds
offrent pendant qu’on est entier !
On voit bien qui c’est le coupable
avant de se remettre à table.
Quelle idée de faire d’un mur
ce que jadis un bon fémur
garantissait à l’anonyme
qui s’adonnait à un vrai crime
dont l’un des deux faisait le mort
pendant que l’autre sans effort
en composait le faux poème !
Le temps change tous les systèmes.
Depuis tu devrais savoir ça !
— Je dis pousse et même fissa !
Pour l’argument qui nous déroute
on verra plus tard si j’en doute.
Devant, derrière et au milieu
on se conjugue comme on peut.
Tous les fragments de l’existence
ne mènent pas à la potence.
Heureusement pour les guignards
dont on fait les meilleurs bagnards !
Ce qui compte c’est l’apparence
et là on n’est pas en avance !
On sait faire mais en retard,
ou alors c’est par pur hasard
qu’on réussit là où le bourge
se comporte comme une courge.
L’existence est une addition
qu’on fait payer au pauvre con
pendant que d’autres se la grattent.
— Ah ! Des fois ce que tu m’épates !
Tu te connais comme pas deux
et je m’oublie sans les aveux.
J’additionne et tu multiplies.
Voilà pourquoi c’est moi qui plie
pendant que toi d’un doigt majeur
tu pousses mais sans la douleur.
— Et c’est qui qui conduit l’ensemble
à la baguette, que j’en tremble ?
— Ça m’aide un peu, je reconnais,
mais le principe aragonais
qui veut du nouveau à la rime
ne serait-il pas pousse-au-crime
quand le poète d’aujourd’hui
préfère l’oiseau au cuicui ?
Lecteur, je pousse et tu m’encules,
ce qui me pousse à l’opuscule
et au fragment qui fait florès
et impose ses palmarès,
ses gueules farcies à l’oseille
et ses caméras qui surveillent
à l’école comme au turbin.
Les poètes sont jacobins
ou ne sont plus à la manœuvre.
Cocos et cathos à pied d’œuvre,
sous la terre et même dessus,
manches à balai et bossus,
bouffent lauriers par la racine.
Morts ou vivants ça ratiocine
sur ce qui est et qui n’est pas
poésie comme veut l’État.
J’en ai l’anus régionaliste,
même pire que nihiliste.
Dans la deudeuche notre mort
ne connaît rien de mes efforts.
Virgile laisse un beau poème,
un truc bien fait comme on les aime,
mais je ne lis pas le latin !
Et dans mon cul ton baratin
prend plaisir sans nous reproduire
comme voudraient Dieu et ses sbires.
Je pousse vers je ne sais quoi !
Et on me dit que sans la foi
je ne suis rien qui peine vaille !
On exige de la marmaille,
du cimetière à l’hôpital
de l’épargne et du capital
et de l’éducation en masse.
Du coup quand je lis je grimace.
J’ai une bite dans le cul
et c’est moi qui pousse bossu
la queue molle et des bleus à l’âme.
Mais l’Université réclame
plus de culs que d’esprits réglos
et de l’honneur dans les grelots,
du fayot et du privilège
et un pompon pour le manège.
On monte les petits chevaux
pour remporter le prix qui vaut.
Quant au prix qui vaut ni que dalle,
c’est le meilleur qu’il nous signale !
On peut toujours à l’étranger
trouver même de quoi bouffer,
mais le français ne se partage
qu’entre Français et à l’étage,
après s’être essuyé les pieds
sur les paillassons des paliers.
On a déjà le cul en larmes
et devant pas assez de charmes.
On devient vite un vrai clodo,
même des fois quasimodo.
Et on revient, comme en Russie
le possédé qui balbutie
des complots et des fins de soi.
J’en ai la glotte dans l’émoi
rien que de penser à ces choses
qui de mon malheur sont la cause.
Et quel effet cela fait-il
de ramoner sans le pistil
qui convient à ces étamines ?
Je t’avoue que je m’achemine
sans avoir trouvé le chemin.
Ce pays je n’y comprends rien !
Je parle la langue officielle
et même je fais mieux qu’icelles
qui la tirent pour vous sucer
ce que mérite l’officier
qui a l’honneur en bandoulière
comme d’autres dans le derrière.
Je ne ménage point l’effort
et je le fais sans les ressorts
qui soulèvent le fonctionnaire
quand sa pensée devient précaire
malgré la garantie d’emploi.
Je pousse comme veut la Loi
et tu m’encules quand je pousse.
La Loi le veut et je retrousse
le manche que j’ai par devant
pour que derrière au bon moment
tu retrouves le goût des clauses
qui me privent d’une overdose
en cas d’abus d’explications.
L’essentiel c’est que ma fonction
de tout le monde soit comprise.
Je suis le lecteur qu’on méprise,
mais qui pousse la 2CV
sans laquelle rien de nouveau
ne sort du gland qui fait office
comme qui dirait de prémices
mais sans le sacre du printemps.
Le mort que tu as mis dedans
n’attend plus rien de cette France.
— Tu métaphores dans l’outrance !
Comment veux-tu que le nigaud
qui est jacobin par défaut
comprenne ce que tu veux dire ?
Pousse sans tirer de ta lyre
l’apologue de nos pépins.
La poudre de perlimpinpin
de l’analogie rafistole
des idées bonnes pour la taule
où je n’ai pas envie d’aller.
Pousse ! Je vais éjaculer
avant d’arriver chez Sanchaise.
Tu sais bien que dans la foutaise
je ne suis plus ce que je suis !
Et alors bonjour les ennuis !
Des jugements qui humilient.
Et des serments qui nous délient.
Je ne veux pas revivre ça !
Pousse plus fort ! Fissa ! Fissa !
Sanchaise apprécie chez les autres
les spectacles comme le nôtre. »
Ici, le lecteur attentif
espère que le plumitif
a prévu pour changer le rythme
de ce récit sans algorithme
à la clé de sa progression,
comme chez Faulkner en faction
un changement de point de vue
sur la base de l’inconnue
qui en fera tout l’intérêt.
Profitons-en pour respirer,
car j’avoue que ce long dialogue
entre deux clodos pédagogues
ne m’a pas vraiment convaincu
d’autant que ces deux casse-culs
ont assassiné mon Virgile
sans expliquer l’automobile,
ce qui n’est grave que pour moi
(ne me demandez pas pourquoi
Engeli veut que je traduise
et que je mouille ma chemise)
mais surtout parce que pourtant
le même Virgile est vivant,
comme on l’a lu avant ces pages,
après cette scène sans âge.
Elle en eût eu un le lecteur
y retrouverait son bonheur,
lequel consiste à ne relire
que ce qui se laisse redire.
Nous savons donc, à ce moment,
que notre Virgile est vivant,
bien qu’enfermé dans la voiture
comme le dit notre écriture
plus claire que les bafouillis
de ces deux clodos en sursis.
Mais les deux flics qui constituent
les éléments du point de vue
que nous allons dès maintenant
et sans délai mettre en avant,
observant la scène à distance
ne peuvent sans grande méfiance
en mesurer non seulement
le sens mais aussi les tenants,
dont l’un n’est autre que Virgile
que nous savons, nous les vigiles,
(s’il est permis, cher Engeli,
de trouver rime à nos délits)
non point raide comme justice,
mais simplement sous les auspices
de Morphée ou tout autre mort
qui veille au grain quand l’homme dort.
Le roman a de ces ressources
qui valent bien qu’on se rembourse
sans attendre la décision
de maints jurys nés d’élections.
Mettons la main dans cette épargne
et agitons, non point sans hargne,
nos doigts de fées comme il convient.
Nous ne nous ferons que du bien.
Sans ce bien le roman n’apporte
rien au taulard ni au cloporte.
Nous savons, ils ne savent pas,
mais tous nous ne savons pourquoi,
sauf Engeli, notre éminence,
qui sait comment cela se danse
et qui se tait en attendant,
attendant quoi ou quel actant
dont nous savons si peu de choses
que l’effet en devient la cause.
Mais laissons là ces exposés
et revenons aux préposés
de la police nationale
dont nous connaissons la cavale.
Ils revenaient donc sur les lieux
après, peut-on le dire mieux,
avoir retrouvé la conscience
que l’abus d’alcool et d’instances
avaient privé de leur bon sens.
Ils roulaient même à contresens,
Alice éclairant de sa torche
les coins obscurs où l’homme torche
son cul avant de repartir
à l’aventure du désir.
Et voilà que, lors d’un virage,
apparaît dans son éclairage
la deudeuche non à l’arrêt
mais roulant sur le bas-côté,
sans feux ni personne à la barre.
Le phénomène n’est pas rare,
mais quand on revient du plaisir,
on se méfie de l’avenir
tant qu’on n’a pas vraiment la preuve
que ce qu’on voit n’est qu’une épreuve
envoyée par le dieu Souci.
Nicolas qui se penche aussi
laisse bêler sa bouche ouverte.
Il en tire sa langue experte
pour supposer que ce qu’il voit
n’est pas l’effet qu’il a sur soi.
La deuche dans l’herbe cahote,
agitant sa verte capote
au vent qui pleut sur ses carreaux.
Alice sur un bordereau trace
des signes hermétiques
que Nicolas, d’un œil critique,
observe comme s’il savait.
La question est : Comment on fait
quand la situation présente
du vade-mecum est absente ?
Qui on appelle sans passer
pour des enfoirés le dernier ?
Remuer son doigt dans sa plaie
plus d’un flic bien armé effraie.
Comme il ignore ce qu’il sait,
il ne dit rien et puis se tait.
Il ouvre un œil gros comme une huître
et le colle dessus la vitre.
Alice ne sait pas non plus,
mais elle ne l’a jamais su.
On se regarde pour la forme,
clignant de l’œil selon la norme,
et on s’apprête à repartir
vers d’autres moments de plaisir
quand, alors qu’elle met le pouce
où elle voudrait qu’on la pousse,
elle se prend à expliquer,
sans cesser ses doigts d’agiter,
pourquoi la deudeuche dévale
le bas-côté qui la rend sale.
Et Nicolas, qui veut bander
sans avoir recours aux bédés,
se fait mal au bout du prépuce
qu’il a gonflé comme une puce.
Du coup il devient minutieux
et exige que vu l’enjeu
Alice cesse sans négoce
de déconner dans le carrosse
alors qu’on n’était pas venu
pour deviner dans l’inconnu.
« Mais tu vois quoi quand tu regardes ?
lui dit Alice sur ses gardes.
— Je vois que tu te fous de moi !
Et bien choisi n’est pas l’endroit.
Filons avant qu’on nous emmerde
et que ma semence se perde
au fond de ce vieux pantalon
qui a vu pire à sa façon.
Les rapports me rendent malade
si je raconte des salades
pour faire durer le plaisir.
Ici je ne veux pas moisir.
— Mais tu vois quoi quand tu regardes ?
dit Alice un rien goguenarde.
— Je vois que tu te fous de moi !
En amour je n’ai pas le choix.
Ces perspectives me la coupent !
Encore un peu et tu me loupes.
C’est maintenant et pas ici !
On le fait pour tous les sursis.
Tant pis pour le propriétaire
de cette deudeuche honoraire.
Il n’avait qu’à bien la tenir.
Je ne peux plus me contenir !
Un geste de trop et j’explose
comme l’effet après la cause.
Ah ! Ce que c’est bien le viagra
dont le patient fait les choux gras.
— Mais tu vois quoi quand tu regardes ? »
Et la main d’Alice s’attarde
sur le gland témoin du pouvoir
qu’elle exerce ainsi tous les soirs,
avec la main ou autre chose,
de l’extase à l’apothéose,
sur l’esprit de son compagnon
et sans défaire son chignon.
L’œil collé sur la vitre froide,
il en prend mieux que pour son grade.
La pluie ne cesse de tomber
et il en est tout absorbé.
La 2CV descend la pente,
seule dans la nuit diligente.
« Je ne vois rien que toi et moi
et les enfants que j’y conçois.
— Mais ne vois-tu pas qu’on la pousse !
Il faut aller à la rescousse
de ce naufragé dans l’effort.
Tu ne jouiras pas de mon corps
dans ces conditions dramatiques.
La situation est critique
et le devoir n’est pas moins sûr.
Et puis tu n’es pas assez dur.
Portons secours à ce pauvre homme.
Montrons ce que vaut le diplôme
que l’État nous a octroyé.
— Juste quand je me sens choyé
comme vraiment je le mérite !
— Dans la braguette mets la bite
et les boutons referme bien.
Attention à tes poils pubiens.
Il faut que j’ouvre un parapluie.
Ce n’est pas que cela m’ennuie,
mais j’ai besoin de mes deux mains.
Heureusement, on est humain.
Avec les deux que tu possèdes,
tu peux te passer de mon aide.
Les boutons c’est de bas en haut,
comme on fait avec l’échafaud.
Une fois là-haut tu te lèves,
comme tu fais après le rêve.
Et tu me suis sans la frotter.
On va sans doute se crotter.
La pluie suffit à notre histoire,
enfin, si j’ai bonne mémoire.
Inutile d’en rajouter.
Pas besoin de décalotter.
Enlève les mains de tes poches.
Je sais que ce n’est pas fastoche.
On doit donner bonne impression,
ne pas inspirer la passion
mais se conduire en patriote
qui rend service à tous ses potes. »
Débitant ainsi ses tuyaux,
au-devant de la 2CV
Alice allait fière et alerte,
pas très sûre d’être une experte
en mécanique comme il faut.
Nicolas que le tord-boyaux
agrémentait d’un pas perplexe,
faisait confiance à ses réflexes
et posait prudemment ses pieds
dans la gadoue qu’elle foulait.
Comme elle avait pris la tangente
afin d’interrompre la pente
et mettre fin à ce défaut,
peu prompt à jouer les héros,
malgré l’honneur de la gravure
que le monument dénature,
il bifurqua sur le côté
et se trouva comme il voulait
derrière la malle en apnée,
exhibant comme un saint trophée
sa bite qui n’en pouvait plus.
Comme dessus il avait plu,
allez savoir quelle matière
héritée de notre atmosphère,
il en conçut une érection
si rigide que dans l’action,
ou peut-être dans la glissade,
il la fourra sans bousculade
dans le cul de Dédé poussant
toujours la deuche en s’efforçant
de se passer de commentaires.
Ici le lecteur volontaire
objectera que de Dédé
le cul était fort occupé,
et même en proie à des folies
qu’à la morale on n’associe,
par Antraxe qui s’y plaisait.
Or si Nicolas le pouvait,
et je n’ai pas dit le contraire
pour me passer de l’arbitraire,
c’est qu’Antraxe n’y était plus.
Ici le lecteur plus qu’ému,
comme je conçois qu’il en branle,
ou dodine s’il ne l’ébranle,
se demande où il est passé.
Le cours du récit doit changer.
Il faut souhaiter à notre Alice
que son beau projet s’accomplisse
sans autres traces que l’honneur
qu’en médaille pour son bonheur
elle récoltera peut-être.
Mais nous ne sommes pas les maîtres,
ni Engeli, ni moi surtout,
des décisions des manitous
qui dans le secret des alcôves,
ou tout autre lieu où se love
le serpent des notoriétés
qui de l’obscur ont la clarté,
montrent du doigt ce qui se cache
si bien qu’impossible est la tâche
pour un esprit mieux éclairé
quand il s’agit de s’apprécier.
Passons sur ces louches pratiques
qui honorent la République
et revenons à nos moutons.
Nous en étions à trois actions :
Alice tente dans la pente
que la pluie qui tombe alimente
d’arrêter on ne sait comment
la deudeuche qui y descend ;
Dédé reçoit une visite
de Nicolas qui s’y abrite
et se sent bien comme on se sent
quand on ne peut mieux visitant ;
l’action comme on le voit est double,
ne suscitant aucun des troubles
que la lecture quelquefois
met dans la tête du bourgeois ;
Alice attend d’un pied fort ferme ;
Dédé patiente pour le sperme
et Nicolas, qui voit venir,
ne se laisse pas attendrir.
L’action se corse d’une attente
ma foi quelque peu déroutante.
Mais quelque part dans ce décor,
ou s’il l’on veut plus loin dehors,
Antraxe fait bien quelque chose !
Et d’autre chose il est la cause.
On imagine les effets,
ou plutôt comment il les fait.
A cela il faut qu’on s’applique,
cher Engeli, comme on se nique.
Nous ne pouvons aller plus loin
sans donner au récit le soin
qu’il mérite autant que nous-mêmes.
Car si ce chant est le deuxième,
(si le lecteur n’est pas parti…)
d’un troisième il nous garantit,
avec les moyens des syllabes
et quelquefois avec du rabe,
une parfaite adéquation
avec l’ensemble de l’action.
Le peuple adore les intrigues
et rien d’autre ne le fatigue
que ce qui n’en est pas construit.
Il veut bien y passer la nuit,
à condition qu’on lui ménage
les niches de son bouquinage.
A cela nous nous appliquons,
ne le prenant pas pour un con,
ni au reste pour autre chose.
Dans notre métier il s’impose
et nous lui savons gré qu’il soit
bien que nous soyons à l’étroit.
N’oublions pas que chez Sanchaise,
ou plutôt chez de Gonzalèze,
des personnages importants
eux aussi consument le temps
que la narration envisage,
sous le couvert de ses usages
les mieux partagés par l’humain,
comme un loisir sur le chemin
d’une mort beaucoup moins tranquille.
On dit que l’art est difficile.
C’est le ferment de notre ennui.
L’homme finit mort ou détruit
selon le côté où il penche.
En excluant nombre de manches
qui peuplent routes et trottoirs,
l’homme finit par décevoir
la science qui le momifie
ou l’action qui le justifie.
Heureusement, cher Engeli,
nous partageons le même lit,
les mêmes suées oniriques
et au fond le même lexique.
Nous sommes faits l’autre pour l’un
car le contraire c’est quelqu’un !
Du récit nous sommes l’image
la plus parfaite que moins sages
nous eûmes cédé au bétail
qui en eût gommé le détail
pour que la chanson le commerce.
Perspective qui bouleverse,
comme on le voit ici patent,
la conception même du temps
dans les limites certes, certes,
de votre pauvre découverte
et de ma triste traduction.
Mais foin de cette digression,
faux-fuyant né de la paresse
que nous inspirent les caresses,
car trop loin par le bout du nez
elle prétend nous emmener.
Hommes d’action et d’aventure,
peu enclins par notre nature,
comme on le lit entre les mots
ici présents dans ce chromo,
à traverser les apparences,
revenons à nos plans-séquences
comme le fils à son papa.
Surtout qu’on ne s’y trompe pas,
nous racontons comme on s’amuse,
peu inspirés par notre Muse
et mieux guidés par notre Jeu.
A chacun ses tristes aïeux
et les sources de sa jouissance.
Et au diable la Connaissance !
Nous avons du goût pour l’action
et pour la forme une passion
que nous n’avons pas pour programme
d’en moraliser l’épigramme.
Et voyez le peu que j’en sais !
Ah ! Mettons fin à cet arrêt
et revenons, par habitude,
aux moutons de nos certitudes.
Nous vîmes il y a bien longtemps
Virgile quasiment mourant
dans le flot noir qui le submerge.
Et nos amis, depuis la berge,
tentent de le sauver presto
d’une mort affreuse plutôt,
car la noyade en est la pire.
Gare à celui qui s’en inspire !
De là au brasier de l’Enfer,
il n’y a qu’un pas qui coûte cher
et notre Virgile en goguette
est tout prêt d’y faire sa fête.
On se doute ici que voilà
cette mort promise au-delà
d’Auguste et de Broch dans les Pouilles.
Nos policiers qui en patrouille
sont tombés sur notre rimeur
parviendront-ils en bons sauveurs
à lui épargner cette épreuve
sous l’eau de je ne sais quel fleuve ?
Nous le saurons bientôt, bientôt…
tout dépend de leurs biscotos
et de la quantité de flotte
qui tombe drue et qui clapote.
Il faut dire que cette nuit
causa à tous bien des ennuis.
Mais si Engeli anticipe,
parce qu’il a de hauts principes
à appliquer impatiemment,
et même virtuellement,
sur la peau, comme un cataplasme,
du lecteur bourré d’enthousiasme
qui veut savoir à quel moment
tout cela finit et comment,
(quelquefois le temps nous sépare
et l’infini nous désempare)
le traducteur que je suis si
j’en suis l’auteur un peu aussi
prétend revenir sur la route
où Nicolas heureux s’arc-boute
tandis qu’Alice fermement
sur ses deux pieds la deuche attend.
D’en savoir plus, mais j’en halète !
De l’intellect, voilà la fête.
Nicolas au cul de Dédé
qui croit qu’Antraxe peut l’aider
à résoudre tous les problèmes
qui se posent à ceux qui aiment.
Notons d’ailleurs qu’il est le seul
à savoir que dans son linceul,
ou ce que tel il suppose être,
Virgile déjà en pénètre
les mystères qu’on fait aux morts
et que le vivant dans son corps
ressent au fond comme un poème.
Il en mesure le blasphème
et mord sa langue pour celer
ce qu’elle contient d’incomplet,
de superflu et de larvaire
et même de trop noirs mystères.
Il voit de Virgile les pieds
dégoulinant de sa gaîté
comme plus haut nous le chantâmes.
Comme Nicolas le réclame
et que la voix ne lui dit rien,
d’autant qu’il est question de seins
alors qu’Antraxe dans l’extase
n’en use pas la périphrase,
dans la lunette il s’applique à
reconnaître celui qui va
incessamment se mettre en quatre
pour achever comme au théâtre
l’acte par un rideau tombé.
Mais ce qu’il voit dans le bombé
de la vitre en rien ne ressemble
à qui d’ordinaire il s’assemble.
Il en resserre ses parois
et se sent soudain à l’étroit.
La deuche avance et on trottine,
comme qui à la guillotine
est conduit en catimini.
L’un fond dans l’embrouillamini
et l’autre dans la joie s’active,
ajoutant à sa tentative
maintes gloses pour y voir clair.
Ah ! Décidément cette chair
n’est point d’Antraxe le douaire !
Qui donc met dans mon sanctuaire
ses ex-voto et son totem ?
pense Dédé que ces items
culbutent dans l’apagogie.
Mais il faudrait de l’énergie
pour commencer à renseigner
son début de curiosité.
Et soudain pour corser l’affaire,
allez savoir par quel mystère,
un phare de la 2CV
se rallume illico presto !
Dans la lumière toute jaune
apparaît pire qu’autochtone
une fliquesse en pantalon !
Et elle avance à reculons.
Elle a la gueule toute noire
et des dents comme de l’ivoire.
Sous la casquette on sent que rien
ne peut troubler ce qu’elle vient
chercher ici au nom du peuple.
Voilà avec quoi on repeuple
notre nation pour la guider
vers d’autres voies jouées aux dés
sur le tapis de notre Monde !
pense Dédé que l’autre inonde
en poussant un cri qui l’étreint
comme on fait avec les deux mains
quand quelquefois on assassine.
Et pour corser le noir de Chine
de ce lavis fait à la main,
voilà Virgile qui enfreint
la loi des morts et qui se lève
comme qui s’extrait de son rêve,
avec la face peinte en blanc
par un maquilleur sans talent
qui met du rouge sur les lèvres
et pour simuler une fièvre
des veines bleues sur les côtés
et de la morve dans le nez.
Il sort une langue noirâtre
et dépose ce crade emplâtre
sur les dents qui branlent aussi.
Comme il a l’air plus qu’indécis,
Dédé lui parle dans sa langue.
Laïus, topo, prêche et harangue,
tout le bien-dire y passe en sus
des orémus et des sanctus.
Virgile ne fait que des bulles
qui sur le menton s’accumulent
et chassent de roses reflets
dans les narines de son nez.
Il élève ses deux paluches
et sur le crâne en sang épluche
le cuir qui salit les cheveux.
Le fond de l’oreille est crasseux.
Les doigts squelettiques s’agitent.
Les ongles cassés en effritent
la peau qui saute comme au feu
les étincelles sous les yeux
de l’enfant qui ne peut y croire.
Il s’en décroche la mâchoire
et laisse pendre sur les dents
la langue morte qu’imprudent
il parle encore dans l’exode.
Il voit Dédé qu’un flic taraude
et Dédé voit qu’il ne voit pas,
qu’il manque un fil à son appât
et que le dindon de la farce
au théâtre c’est le comparse
qui fait jambon dans le sandwich.
Il est trop tard pour un bon speech
comme il en fait dans la déroute
aux habitués de la route,
le flic de la circulation
et le con qui circule en rond.
Et la deuche soudain s’arrête.
Virgile se frotte la tête
et l’autre tête dans le noir
ouvre la bouche pour savoir.
Derrière on se secoue la bite
maintenant qu’on ne cohabite
plus, on repose la question,
cette fois sans ponctuation,
de savoir ce que l’on fabrique
à cet endroit qu’on dit critique,
à cette heure et dans cette auto,
avec les mains et sans dico.
Dédé rit jaune et se rechausse.
« Avec la vie qui est en hausse,
dit-il pour amuser les gens
qui sont plus de trois maintenant
qu’il y voit mieux sans les lunettes,
le prix à payer pour la fête
n’est plus le prix du tout venant.
On a raison d’en faire autant
que le permet le portefeuille.
Il se peut d’ailleurs qu’on le veuille
plus clairement qu’il y paraît,
avec ou sans les intérêts.
Le Capital a sa justice
et la Justice ses complices.
Je vous ai causé du retard,
mais on comprend, entre fêtards,
que la jouissance le dilate
malgré qu’il faille qu’on se hâte.
On est pressé, mais entre nous,
le meilleur est sur les genoux.
Le vite fait a ses limites.
Aussi on soigne le mérite
à la hauteur du bon client.
Ne poussez pas, je vais devant. »
Disant cela, d’une voix morne,
Dédé qui sent que, question bornes,
il est toujours soit un peu court
soit en retard d’un long détour,
prend de la poudre l’escampette
et de la fuite la retraite.
Mais le chemin est si glissant
qu’il va plus vite que l’élan.
Il prend au milieu de la poire
le tronc rugueux et dilatoire
d’un pin qui justement penchait
son ombre pour l’en empêcher.
Il retombe dans une flaque
et reçoit encore une claque
qui lui fait péter le devant
des yeux qu’il rince en le frottant
avec les doigts de ses paluches
parce que dessous le trucmuche
ses pieds ne trouvent plus le sol
d’où il a pris comme un envol.
Faire l’oiseau des circonstances,
par fatalité ou par chance,
(on en jugera selon que
on est pédant ou maître queux)
est un usage de famille
comme d’autres du jeu de quilles
alimentent conversations
et quelquefois même passions.
Comme il allait deux ou trois choses
ajouter au sens de sa cause,
l’énorme pied de Nicolas
une oreille ratiboisa
et déplaça sur une joue
ce qui ressemblait à la moue
de celui qui n’a pas compris
que ce qu’on demande est le prix
et non point le commun usage.
Nicolas connaît le dosage,
la limite et ses horizons.
Et il achève sa chanson
par un coup porté à l’échine
qui en principe déracine
même l’arbre le plus tordu.
Il rembourse le chômedu
au fonctionnaire qu’on exploite
alors que d’autres en convoitent
les petits plus de l’addition.
« Veuillez ici et sans façon,
décliner votre connaissance
de la personne que la France
vous a donnée par compassion
avec effet d’allocations
et reprise à l’heure des comptes
à rendre juste après la tonte.
Et dites-nous, pour compliquer,
ce que dans la nuit vous faisiez.
— Je faisais tout pour ne rien faire
quand ce monsieur, dont je diffère
tant par la fortune que j’ai
que par ce qui me manquerait
si ma plainte, que j’ai fort grave,
était écoutée par les braves
gens que je croise sans les voir,
m’a dit comment faire pleuvoir
et je l’ai fait, comme on l’observe,
cependant sous toutes réserves,
car quel homme qui veut savoir
sait ce qu’il sait s’il fait pleuvoir ? »
Là-dessus le pied en alerte
applique sur la plaie ouverte
qui en deux parties fend le front
disons un coup de son talon.
Dédé qui n’en peut plus recule
et contre un tronc rugueux s’accule
pour reprocher au policier
de ne pas savoir bien doser
et de faire de la souffrance
la bonne raison d’une instance.
« Je reconnais que ton anus,
dit Nicolas à ce minus,
est plus doux que cette cramouille
que je promets à mes deux couilles
pour augmenter les effectifs
dans un esprit plus agressif
que ma contribution honnête.
Mais si tu te fous de ma tête
une fois de plus je mets fin
et quand je dis fin c’est très fin.
C’est même plus fin que la fine.
— Je vois que je vous turlupine,
répond Dédé sans rigoler.
Prenons votre cabriolet
comme de vieilles connaissances
et voyons si les circonstances
font de moi un aventurier
comme on en voit à la télé
dans les séries américaines.
Une justice bien sereine
avec des façons d’aristo
met en condition tant l’escroc
que la respectable canaille
qu’en fin de carrière on médaille.
— Si tu t’en prends à mon honneur,
de la légion je suis preneur.
J’ai du respect pour la poitrine
et dans mon salon la vitrine
qui convient au rouge qui tache.
Ton nom et vite ou je me fâche !
— Je suis Dédé, né de Dédé,
Dédé donné au jeu de dés,
petit cornet qui fait la France
sur le tapis où se dépense,
ici ou là, sans matelas,
Dédé de Dédé jusque-là.
Je suis Dédé, j’ai de la chance,
car sans la chance on se dispense
d’être des dés le Dédé né.
Voulez-vous sans dés le Dédé
que je suis comme l’ambulance
de Camus qui fait de la France
le pays des dés sans cornet ?
Je suis Dédé, mal ou bien né,
mais jamais dans la Résistance
je n’ai mis mon dé dans la France !
Je le mets dans tous les cornets
des fils de pute ou des bien nés.
Le sillon charnel sent le rance
du beurre étalé sur la France.
Jouer aux dés avec Dédé
c’est tout risquer, surtout sans dés.
La lime est l’instrument de France.
Je le dis comme je le pense !
Voulez-vous le dé de Dédé
dans le cul que vous avez né
ou bien faut-il que sans la France
on vous voie nus dans l’assistance ?
Je suis Dédé, je joue aux dés,
dans la rue et dans les palais.
Je ne vote pas si la France
ne met du vin dans mon ambiance.
Dédé, Dédé, Dédé, Dédé ! »
Ainsi chanta Dédé Ledé
debout dans la flaque puante,
d’une voix si tonitruante
que Virgile en fut inspiré.
Alice voulait l’admirer
et lui proposa sa culotte.
On le vit sortir en compote
du carrosse de Citroën,
la bouche remplie des amen
que ses yeux larmoyaient en haut.
On sut qu’il cherchait son chapeau
quand il en parla sans sa tête.
Il faisait pitié, le poète,
tout nu dans son vieux sac de blé.
Nicolas qui s’y connaissait
fit le rapport de circonstance
avec le moulin en vacance
où la nuit il lui arriva
de s’arrêter et sans les draps
faire l’amour avec Alice.
« Je reconnais cette silice, »
dit-il en tâtant le tissu.
Et le tâtant il reconnut
les perles de ses réjouissances.
Le bonheur connaît la créance
et le crédit poursuit l’enfant.
Ainsi va la vie maintenant
que nous en savons trop, la chance
donnant de l’aile à l’assistance.
Ainsi banque le Nicolas
chaque fois que le matelas
revient visiter la facture
qu’il doit encore à l’aventure.
Il en tremble et se fait dessus.
Alice qui le voit ému,
mais ne connaît pas l’origine
de ce qui ainsi le chagrine,
(ce sera plus tard la raison
d’une dure séparation)
voulant détendre l’atmosphère
met l’un de ses pieds au derrière
de Virgile qui ne sait plus
s’il est vivant ou si en plus
il en est mort et dans les flammes
réduit en cendres jusqu’à l’âme.
Il sautille sur le côté
pour le coup de pied éviter,
mais lui aussi dedans la flaque
fait des signes comme au zodiaque.
Autour de lui, on applaudit.
Malgré la pluie, malgré la nuit,
la foule s’est amoncelée.
Comme la scène est éclairée
par maints phares croisant leurs feux,
le théâtre est un peu fumeux
et des ombres s’y agrandissent.
L’endroit est peut-être propice
au buzz qui est à la rumeur
ce que le cri est à l’horreur.
Des téléphones se connectent.
L’atmosphère devient suspecte.
Mais qui sera donc le premier
à capter la réalité ?
Des lueurs de diodes répandent
des regards prêts pour la légende.
Des sonneries comme des cors
changent les plans de ce décor.
Sur le réseau, on se renseigne
et on rapplique sous l’enseigne,
des fois qu’on ait droit au rabais
qui snobe ignorants et benêts.
Quelquefois même on s’entrechoque,
ce qui interrompt les colloques
le temps de bien se renseigner
sur la valeur du nouveau fait.
On ouvre portières et malles,
malgré le vent et ses rafales
qui emportent loin des objets
qu’on ne poursuit pas sans songer,
dans la quiétude et la détresse,
au spectacle et à ses promesses,
promesses de dons, de stupeurs,
de tranquillité et de peur.
Je ne vois pas d’enfant qui pleure,
ni qui rit, pas d’enfant à l’heure
d’opposer son faible veto.
Un arbre, une flaque, une auto,
dans la flaque deux personnages
et sur l’herbe deux flics en âge
de juger de la vanité
de cette scène de ciné.
« Mais a-t-on jamais vu flicaille
apprécier rencontre et trouvaille
si l’objet n’est pas délinquant ?
Le cerveau d’un flic est clinquant,
voilà tout le jeu qu’il rattrape
quand le véhicule dérape
au grand dam des vilebrequins.
Sur les paliers les malandrins
au voisinage font les poches.
On en voit même qui décrochent
des médailles de chevalier
sans le cheval et le sellier.
Je laisse au lecteur activiste
le soin de nettoyer la piste.
Quelquefois on se laisse aller
à faire obscur pour la télé
alors qu’on n’y est pas son hôte.
Le poème est une culotte
et celui-ci bat le pompon
comme les petits patapons
de l’enfant qui les collectionne
juste pour voir comment on sonne.
Moteur ou cheval chevaliers
sont au volant sur le palier
avec clinquant dans la cervelle
pour protéger la citadelle
de ses voyous et de ses fous.
Le clinquant bouche aussi les trous.
Mais tout le monde a ses poètes,
cocos, cathos, anachorètes,
cénobites et voyageurs,
les policiers, les arnaqueurs,
tout le monde a le goût en tête
et les pieds dedans des chaussettes.
A la matraque ou au fémur
ça sert à quoi de faire obscur
avec les mots de tout le monde ?
Il ne faudrait pas qu’on confonde
l’hermétisme et la confusion,
mais qui a perdu la raison ?
Le voyou qui enfin détale
en emportant tous les pétales
ou le poète qui se prend
le pistil dans le trou du bran ?
En attendant, les étamines
font des petits aux magazines.
Et le mec qui conduit le truck
s’entretient en bon volapuk
avec l’humanité entière.
On l’a bien eu dans le derrière,
et pas une fois en passant
comme on rigole en y pensant,
avec notre internationale
et de la peine capitale
dans les mouchoirs de nos mamans.
On prend trop de médicaments.
Ça fait reculer la Camarde
mais dans les coins on se canarde
pour être devant les soldats
sur l’échine de nos dadas.
Faire obscur quand on est patraque
à force de coups de matraque
dans la mémoire et dans le fion,
ça forge la décoration
et la musique instrumentée.
Le lait est noir à la tétée,
et surtout il faut bien chercher
le téton qui veut se cacher
dans les replis de la bidoche.
La République est un fantoche
constituée pour faire obscur.
Pas de fenêtres dans les murs,
les rideaux sont des domestiques
et les tapis des catholiques.
On pétrit des exequatur
et on marche sur des œufs durs.
Des arbres peints ont de vraies branches,
avec des oiseaux qui s’emmanchent
et le ciel est peint au plafond.
Le sens obscur est bien profond.
On revient à la rhétorique,
à Diên Biên Phu, à la colique
et à des commémorations
mais pas du tout dans la façon
du bon vieux Proust et de Céline.
Les gosses ont de la myéline
dans les pieds, pas dans le cerveau.
Un truc qui leur colle à la peau
pendant que les profs font mumuse.
On veut discipliner les Muses
et les généraux font des vers
comme Rostand en avait l’air.
On est obscur dans le délire.
Un coup de trop et hop ! La lyre.
Les bobos ont bien du succès
et au juste on fait des procès
pour lui dire comment on parle
quand on travaille pour les marles,
les élus et les pistonnés,
en principe pas trop bien nés,
qui font la Loi pour la défaire
et montrer comment par derrière
on réussit ce que devant
on a hérité comme avant.
Et le flic est un bon symbole,
peint au mur avec sa bagnole
qu’on prend plaisir à foutre au feu
comme la maîtresse au milieu,
avec le cahier plein de pages
et les clochers de nos villages.
Ah ! Si c’est ça la société
je me passerai de téter.
Tes seins pendent comme les miches
et je n’ai pas droit au pourliche
que m’inspire ton ventre gras.
Le poète salit les draps
en bavant comme une pouparde
qui est devenue trop flemmarde
pour en dire trop et assez.
Le voyou rend les pois cassés
et la monnaie de son spectacle.
L’un dans l’autre ça fait cénacle,
pas compliqué même en obscur.
On peut y peindre sur les murs
des imitations de Quichotte
avec la Cène et Pentecôte
pour demeurer dans le décor
qui soigne l’esprit et le corps,
au civil comme au militaire.
Mais le flic est un auxiliaire.
Pas feignant comme le rimeur,
ni saint comme le bon payeur,
il bouche un trou de la tartine
en espérant que son usine
a les moyens de tout boucher
avant de se laisser tremper
avec le beurre et les vacances.
Il faut avoir beaucoup de chance
pour hériter d’un tel cerveau !
Car c’est le cerveau qu’il lui faut.
Un autre le ferait poète
ou qui sait même gypaète.
Le doit-il à papa maman
ou bien à un autre accident ?
Mais la folie et la charogne
ne nourrissent pas sa besogne.
Il en fait même du clinquant
et le palier reconnaissant
à coup de bielle le pistonne
et dans la chambre ça détonne.
Le vilebrequin ne sent plus
ses rhumatismes que perclus
il a pourtant dans l’os à moelle.
Et la société arbitrale
se met en branle et branle-bas,
et pas que du haut jusqu’en bas.
Sur les côtés, à droite, à gauche,
on voit bien que c’est plus fastoche
que de se faire plutôt chier
à maîtriser la langue au pied,
pied de vers ou bien pied de biche,
comme font les fous et les riches
qui ont gagné tout leur pognon
ou l’ont perdu au jeu selon.
Car la liberté ça se paye
et pas assez pour la bouteille.
Facile de devenir flic,
à condition d’un cerveau chic
uniquement par l’uniforme.
Car c’est le cerveau qui déforme
et non point ce qu’on met autour.
Un peu l’inverse de l’amour.
A l’envers aussi la jouissance,
mais voilà comment on avance
au lieu de reculer devant
possibilité du clinquant
et mémoire qui sert d’exemple
aux enfants qui sortent du temple
avec la patrie pour dodo
et la préparation du dos
à l’effort national de l’homme.
De la Nation, voilà l’axiome.
La Marseillaise dans le cul
et le drapeau sur le dessus
sans ménager cordes et cuivres.
Le flic est un exemple à suivre
si poète on veut devenir.
Ou voleur selon le loisir.
Faire exactement le contraire.
Observer comment il sait faire
et défaire ce qu’il a fait.
Poème dû ou bien volé,
certes ce n’est pas à l’école
qu’on apprend les vers de ce rôle.
Je propose donc au public
le stage qui convient de chic
(autrement dit sans le modèle
mais avec force bagatelle)
au poète comme au voleur.
Du classique dans le bonheur
et pour le reste du moderne.
Entre les deux, les balivernes
qu’on enseigne sous le drapeau,
sorte de drogues de tripot
à prendre au lever du pied gauche
avec la droite dans la poche. »
A ce discours, on applaudit.
Si le poète était maudit
il avait dit ce qu’il faut dire
du piteux état de l’Empire,
de la valeur de ses larbins,
de la noblesse du turbin
et des magots de la mémoire.
Chacun voit comme il veut l’Histoire
et poètes comme voleurs
se sentent joyeux quand la leur,
par effet de mise en abîme,
trouve à son sens plus d’une rime,
le monostique national
n’en ayant qu’une à l’urinal.
Mais nous avons été trop vite,
cher Engeli, mon acolyte
en poésie comme en délit,
car ce discours au saut du lit
ne fut point donné sur la scène
décrite plus haut non sans peine,
comme on a pu la lire aussi
et même avant que son récit
fût interrompu par Antraxe
que désormais il faut qu’on taxe
de poète en sus de voleur
et peut-être de receleur.
Il avait fui ladite scène,
comme font les croque-mitaines,
avant de s’y trouver mêlé
et d’avoir à se justifier,
ce qui l’eût dans ses entournures
condamné à l’autocensure
ou au mensonge si on veut.
En fait il avait fait au mieux
pour ne point y jouer un rôle,
et lui servir de parabole.
Sachant où même la raison,
l’ayant soumise à la prison
plus d’une fois pour des broutilles,
il s’en alla à la godille
avant de s’y faire pincer.
Laissant les deux flics et Dédé,
expliquer pourquoi la Deux Pattes
contenait un mort sans savates
vêtu d’un sac que le moulin
expliquait mieux qu’un doux refrain
comme on en pousse avec le crime
quand on a de soi de l’estime,
il fit un sprint par le milieu
d’un bois ne pouvant tomber mieux.
Et en prenant de la vitesse
il avait même eu la hardiesse
de traverser un noir canal,
pertuis, détroit ou bien chenal
avec dessus une péniche
où se prélassaient des angliches.
On le vit noyé jusqu’au front,
agitant les bras comme font
les enfants qui dans l’eau s’amusent
au vieux radeau de la Méduse
pas difficile à imiter
si on l’a vu à la télé,
mais le radeau sans la méduse,
même un Anglais ne s’y abuse,
et celui-là en est un vrai,
tenant sa coupe de Vouvray
comme sur le dos une jarre
en même temps que le cigare
que sa bouche tient par le bout
sans cesser d’en rire surtout
parce que la jolie sirène
a des allures d’Arlésienne.
On voit la tignasse et les mains
et des bulles dans le bassin
dont l’écluse avec poésie
retient l’eau et son énergie.
L’Anglaise a un doute pourtant
et comme elle va demandant
si c’est du loch Ness la Nessie
ou de l’Écosse le messie,
Antraxe montre un de ses yeux
alors qu’il voulait que les deux
à ces voyageurs indiquassent
qu’il était en mauvaise passe
et même tout près d’y passer
si personne n’intervenait
pour le tirer par la culotte
et l’arracher à cette flotte
sans se soucier de son salut.
Pas moyen de montrer son cul,
car il subissait la morsure
en même temps que les griffures
d’un animal à grandes dents
tel qu’on en voit dans les romans
qui montrent tout ce que la vue
peut supporter sans être lue.
Il sentait bien une douleur,
mais n’en voyait pas la couleur,
preuve qu’il en était encore
au premier plan qu’on améliore
toujours de la même façon
en mettant fin à la chanson
poussée par celui qui en souffre.
L’écluse révélait un gouffre
avec dedans un animal
qui peut sans se donner de mal
respirer dans l’onde qu’il hante.
Antraxe exprima l’épouvante
qui s’emparait non seulement
de son rêve et de son enfant,
mais aussi de sa mécanique
et du moteur qui fait qu’on nique
sans exiger la succession
qui donne droit à la passion,
en soufflant dans l’algue une bulle
qui s’enfla comme une papule
et d’un phlegmon devint abcès.
Il voit que ce n’est pas assez
et souffle encore jusqu’au chancre
qui du poème répand l’encre,
un flot de rimes et de vers
qui lui met l’esprit de travers
comme maladie de la honte.
Ce n’est pas tout qu’on le raconte.
Il faudrait en dresser l’état
comme font toubibs sur le tas,
observant plus d’une hypothèse
qui se démontre sans malaise
tant le malade est bien crevé.
Des fois on croit avoir rêvé
et nous voilà avec les anges
à dire nos propres louanges
en prenant soin de n’irriter
ni diable ni la nouveauté
qui est toujours comme on s’en doute
un truc plus vieux que la biroute
et que sa belle utilité.
On peut être et avoir été.
Je n’ai jamais dit le contraire.
Voilà pourquoi je désespère,
mon Engeli, mon troubadour
dont je suis le jongleur d’amour.
J’aime ta lente poésie
et tes moments de frénésie.
Comment traduire cet instant
sans trahir ton espace-temps ?
Nous eûmes tant à nous redire
et si peu de temps à détruire
avec les moyens de l’instant !
Nous n’en avons pas eu le temps
entre l’aubade qui achève
et la sérénade des rêves.
Je veux te porter jusqu’ici,
cadavre qui me fut exquis.
J’arrachais un à un les voiles
comme d’autres les mille étoiles
que la perspective ressert
à chaque siècle qu’on dessert.
Porter ce corps froid immobile
à bout de bras comme Virgile
que l’auguste poison détruit
avec la lenteur de la nuit
ou la va-vite de l’aurore
qui revient encore et encore.
Engeli, nous ne sommes rien,
mais vois-tu ça me fait du bien
de te sortir de ton Espagne
pour déposer dans la campagne
de cette France qui finit
de s’ennuyer dans son vieux lit,
ton corps sec et salé, fantôme
dont je n’ai pas compris les hommes
que tu aimas pour les tuer.
Ils viendront tous te saluer
quand je leur ouvrirai les portes,
avec leurs fâcheuses escortes
dont le communiant est le roi.
Mais laissons là ce que je crois
car j’aperçois le personnage
qui, si j’en crois mes deux yeux, nage.
Car l’Anglais s’est jeté à l’eau,
sans Vouvray ni cigarillo.
L’Anglaise cherche la bouée.
Mais où l’a-t-elle donc fourrée ?
Un cordage lui prend les pieds
tandis que cogne son vieux nez
l’arête aiguë du bastingage.
Dieu est damné pour cet outrage,
d’autant que Vouvray et mégot,
ainsi que restes de gigot,
sont allés rejoindre la flotte
qui mouille aussi de sa culotte
l’élastique passablement
dans ses replis graisseux rentrant.
Dans l’eau noire et verte l’Angliche
se prend les poils de la barbiche
dans un réseau de fil de fer
comme on en voit dans les waters
condamnés faute de méthode.
Et pour en corser l’épisode,
le sauveteur passe dessous
sans occasionner de remous.
Maintenant sa femme affolée
cherche un klaxon à la volée
et ne trouve qu’un oiseau mort
qui siffle en pressant sur son corps.
Un autre oiseau dans le feuillage
exige que de ce ramage
on lui explique les tenants.
Il connaît les aboutissants,
car souvent il va à l’église
comme la loi l’y autorise,
ce que conteste son voisin,
un oiseau qui fait le malin
mais qui conchie comme les autres
même à l’heure des patenôtres.
Une femelle en casse un œuf
qui sur le fer refait à neuf
de l’écluse étale son jaune
qui paraît vert à l’autochtone,
un radin genre populo
qui a le cri du cachalot
et la taille du rase-mottes
qu’il fait gratter dans la culotte
si par malheur ou par hasard
il s’accroche à votre falzar.
D’où sort ce chat qui se hérisse
alors qu’il vidait son calice
comme d’autres un verre à pied ?
A toute allure il a crié
et défoncé une broussaille
qui produit un bruit de ferraille.
Du coup Bébé ouvre les yeux.
On le réveille en plein milieu
d’une tétée sans la tétine.
Il ne veut pas qu’on l’assassine.
Il mord le doigt de son hochet
qui d’emblée se met à gueuler
et réveille un peu sa voisine,
mais pas assez pour qu’elle affine.
Elle se contente d’un pet
qui se perd dans le plus discret
battement de ses douces fesses.
Sur le roof Maman en détresse
ouvre la gueule sans crier.
Elle a besoin d’un coup de pied
pour déboucher sa gorge sèche.
Pendant ce temps l’Anglais repêche
Antraxe qui langue dehors
a plutôt l’air d’un hareng saur
que d’un noyé de foi récente.
L’Anglais remonte ses bacchantes
et poussant un cri déchirant
sort du fil de fer en souffrant.
Antraxe sort de l’inconscience
et mesure sans connaissance
le niveau de bruit provoqué
par l’exploit qu’il a avorté
à cause de ses deux godasses
à quoi s’ajoute la disgrâce
d’avoir le cul plus que mordu
par un animal inconnu
remonté pour lui de l’abîme
où mystérieux et anonyme
il a ses usages communs
comme d’ailleurs tout un chacun.
Il semblerait que l’altitude
influence les habitudes
au point qu’on n’y comprend plus rien.
Mais ça lui fait un mal de chien
que l’Anglais dur au mal ignore,
ne craignant pas le plésiosaure
ni l’Écossais qui l’inventa.
Il nage avec un seul gros bras
et de l’autre de la noyade
sauve Antraxe que la baignade
a bien failli dans son enfer
envoyer avec os et chair.
N’était l’effet de la morsure,
il apprécierait l’aventure.
Ces dents le tirent par le fond
et l’Anglais le tient au menton.
Il en perd même ses godasses,
des croquenots en cuir qu’on lace.
Une langue dans son anus
prétend inviter son phallus
aux 120 journées de Sodome,
ou de Gomorrhe, c’est tout comme.
Et l’Anglais jure en écossais,
tandis qu’Antraxe en bon Français
ne veut pas mourir de jouissance
mais de sacrifice en puissance.
Sur le pont l’Anglaise se tord,
mais croyez-vous qu’elle la mord
sa langue qui vient du Vieux Monde ?
Elle ouvre une gueule où abonde
une série de mots français
empruntés au vieux Rabelais
qui n’est pas là pour que ragoûte
de Descartes le dernier doute.
Elle jette un siège dans l’eau
avec le chat qui est en haut
et qui dessous se met en transe
et emporte sans circonstances
le vieux coussin de mousse en dur.
Épuisée elle s’assied sur
le couvercle d’une glacière
qui lui fait froid dans le derrière.
Dessous dans le gaillard d’avant
sa fille envoie encore un vent
sur le bébé qui bleu s’étouffe
dans les restes blancs de sa soupe.
Le coussin du chat est désert
comme on vient de le dire en vers.
Et dans l’eau Antraxe veut croire
que sans autres vilains déboires
il sera sauvé par l’Anglais
qui revient dans les barbelés
où les poils de sa barbe rousse
se mêlent au vert de la mousse.
Il a les dents toutes dehors,
comme un champion dans un effort,
mais le canal n’est pas un stade
où les dieux sont de la parade.
Il s’accroche à l’homme qui met
lui aussi de la volonté,
fonction à l’homme capitale,
et dessous des deux pieds pédale,
tiré par le monstre marin
qui bien sûr connaît le terrain.
Depuis le temps qu’il y habite !
Voilà comment, quand on s’invite,
on est reçu dans ce pays.
Et pourtant il n’a obéi
qu’à son sens du devoir de l’homme
face à celui que tous nous sommes
quand dessus nous tombe un pépin
qui fait de nous morts ou clampins,
tant le malheur est une histoire
dont le guignon est dur à croire.
Il est seul à ne pas crier.
Le chat ne sait pas mesurer
le miaulement qui loin l’emporte.
Il faut voir comme il se comporte !
Et sur le pont Maman en voit
de toutes les couleurs les bras
en croix comme pour la prière.
Elle d’hier aventurière,
et même cette après-midi,
la voilà pire que lady
forcée d’aller en Amérique
se faire voir et sans rubrique
dans les tabloïds de papa.
Elle crie mais ça ne sort pas.
Dans son corps à corps hystérique
elle sort un sein qu’elle applique
à la bouche d’un gros Satan
qui justement du ciel descend
pour donner raison sans conteste
aux sycophantes de l’inceste.
Son aînée en voyant cela
sur le pont recule d’un pas
et met le pied qu’elle a de taille
comme ses dents quand elle braille
sur le bébé qui n’en peut plus
et volontairement tout nu
se jette à l’eau déjà funeste.
L’Anglais qui voit cela proteste
et lâche Antraxe et ses dessous,
lequel sans faire de remous,
car il fait noir sans caméscope
même pour un bon nyctalope,
coule à pic et va dans le fond
pour y toucher un vieux guidon
qui a conservé sa sonnette.
Plus haut l’Anglais, sans barbichette
mais ayant conservé les poils
de sa moustache en passepoil
qui lui donne des airs d’Angliche,
nage d’un trait vers la péniche
dont la ligne de flottaison
est agitée non sans raison
par les bras menus et la tête
de Bébé dont la rouflaquette
a ramené des profondeurs
un animal un peu frondeur
qui agite ses deux antennes
semblant commenter de la scène
les côtés comiques surtout.
Papa tout sens dessus dessous
n’en perçoit pas le fin stylisme
et d’un fort vulgaire anglicisme
envoie le ver dans l’ad patres.
Poursuivant le work in progress
d’une main dont il se veut maître
quand l’autre cherche à se remettre,
il arrache des sombres eaux
la tête de Bébé, ses os,
le cri qu’il pousse et qui repousse
dans les échos de sa frimousse.
La grande sœur lui tend ses bras,
avec au bout un bâton gras
dont le balai porte les traces
d’une lutte contre la chiasse.
Le moment serait mal choisi
s’il dégouttait de son bouzy.
Quand on veut se sauver on sauve,
dit le dicton dans la guimauve
des feuilletons de nos curés,
mais quand le temps est censuré,
comme il arrive dans le pire
à force de ne rien en dire,
on se sauve sans rien sauver.
Les uns disent que pour calter,
on n’a besoin que de ses pattes.
Les autres qui sont sociopathes
y mettent la main si besoin,
mais le cas n’est pas néanmoins
si fréquent qu’on y pense encore
quand il vient comme l’oxymore
faire des siennes dans le sens.
Mais laissons là ce vain suspens
et revenons à nos attentes.
L’Angliche éprouvait de la fiente
salopant les poils de coco
les glissements inamicaux,
jurant dans sa langue natale
que de sa production fœtale
s’il devait en sauver le fils
comme le cas in extremis
se présentait à la famille,
il en sacrifierait la fille
sans se poser plus de questions.
Ne pouvant user du bâton
à cause de l’enduit qui glisse,
d’un bras éprouvé d’exercices
il lance Bébé par-dessus
le bastingage et même plus.
Bébé revient dans la famille
par l’échelle des écoutilles.
Il s’aplatit dans l’étendard
qui jouxte un morceau de cheddar
dans lequel il remue la tronche
et retrouve l’air de ses bronches
dans un verre rempli de gin.
Horrifiée de voir cela Jean
lâche le balai et son manche
et s’appuyant sur ses deux hanches
se dirige vers le trou noir
où Bébé on ne peut plus voir,
ni appeler, ni satisfaire,
ni amuser pour le distraire,
ni entendre car il est mort.
Maman qui est dans le remords
l’attrape par les deux chevilles
et de contrition s’égosille.
Si elle a fait ce qu’elle a pu,
ce n’était pas assez non plus.
Et Jean alors perd l’équilibre
comme quand de Papa le chibre
lui rend visite dans son lit,
mais sans Papa que le délit
ferait fuir comme le poète
qui n’est venu que pour la fête.
Elle s’aplatit elle aussi,
comme Bébé qui est occis,
mais au lieu de mourir vivante
elle rouspète et argumente.
Maman ouvre des yeux tout ronds,
mais ne peut poser la question
tant la réponse paraît grave.
Elle desserre ses entraves.
Jean aussitôt dans l’entrepont
pénètre après un fameux bond,
tellement haut que Papa pense
qu’il aura vraiment de la chance
si Bébé n’est pas amoché.
Un pareil bond pour approcher
l’objet d’une erreur de jugeote
ne peut pas être une litote
qui fera rire après la peur.
Mais en attendant la stupeur,
à l’angoisse il faut faire face.
Voilà un sentiment tenace
qui sa proie ne lâche jamais !
On peut croire qu’on n’a rien fait
pour mériter pareille offense,
mais si c’est une récompense
empoisonnée par le destin
ou tout autre défaut humain,
qui en est l’auteur qui se cache ?
Mais il n’est rien que l’on ne sache
en cherchant bien sous les effets
dont l’existence se complaît
à paver notre pauvre route.
Et tandis qu’il s’extrait du doute,
Antraxe surface refait,
tout couvert de divers effets
qui l’ont changé en créature
des profondeurs de la nature.
Comme il a beaucoup avalé,
il recrache tous ces objets
sans une trace de langage.
Comme une bête sans sa cage
il veut tout mordre et attraper
avant de vraiment s’échapper.
Ses yeux dans les orbites roulent
comme au ciné qui tourneboule
les esprits les mieux renseignés.
En plus, au front, il a saigné
et au fond de cette blessure
des vers accroissent leurs chiures
en lançant des éclairs tout verts.
L’Anglais pense que Lucifer
est remonté à la surface
et que l’enfer du cyberspace
vient de s’ouvrir en punition
de l’étonnante distraction
qu’il vient à peine de commettre.
Déjà il ne veut point paraître,
ayant des projets à foison
et pour les avoir des raisons.
Alors de son poing il s’applique
à mettre fin à la critique
et Antraxe qui n’en peut plus
d’être à la surface battu
et dessous déchiré aux fesses,
son sauveteur poings nus agresse
sans ménager de ses efforts
ce qui demeure de son corps
sa propriété et sa force.
Il en bombe même le torse,
ce qui augmente dans l’esprit
de l’Anglais en proie à sa nuit
toute l’importance du crime
qu’il a commis, fait rarissime,
en voulant sauver son enfant.
Et poings fermés il se défend
contre ce diable qui le presse
de payer le dû sans confesse.
Il cogne dur et se fait mal
sur ce qu’il prend pour du nasal,
mais le guidon de bicyclette
est accroché sur la binette
d’Antraxe qui est remonté
avec en plus le pédalier
qu’il tient dans la main droite ou gauche.
Par deux ou trois fois il amoche
l’oreille sourde de l’Anglais
qui perçoit le langage né
de cet Enfer qui le condamne.
Quand une roue de la bécane
dont le pneu est gonflé à bloc
contre son crâne fait un choc
tel qu’il en perd une pédale,
il pense que l’heure est fatale
et qu’il a perdu le combat
sans retour possible ici-bas.
Il s’enfonce dans l’eau obscure
comme un cadavre dans l’ordure.
Ses yeux sont encore au-dessus
de la surface sans salut
quand soudain un deuxième diable,
poussant un cri insoutenable,
surgit de l’eau en la battant
pour ne point retourner dedans.
Il n’a point d’ailes, mais il vole
et s’emploie dans la cabriole
à ne pas encore mouiller
ses grandes pattes sans souliers.
Gueule grande ouverte il clabaude
pour mettre fin à l’épisode.
Et le premier diable paraît,
c’est un fait, vraiment soulagé.
Il en rit derrière une roue
et s’en tapote les deux joues.
Maintenant il parle français,
ce que comprend très bien l’Anglais,
avec une insistance telle
que le deuxième se rappelle
qu’il sait nager sans les flotteurs
de ses roustons, très bons nageurs.
Au même instant une bouée,
qu’on a par bonheur retrouvée,
se pose doucement dans l’eau.
Nos trois compères aussitôt
y accrochent leurs mains tremblantes,
du moins quatre d’entre elles tentent
de s’y tenir de tous leurs doigts
tandis qu’à deux pattes en croix
le troisième y plante ses griffes.
Ici le lecteur s’ébouriffe,
car il croit le chat rescapé,
mais le voilà bien attrapé,
les griffes n’étant rétractiles
mais tout au contraire dociles
comme le sont celles du chien.
Point n’est besoin d’un basochien
pour établir sans frais d’instance
de quelle utile appartenance
elles relèvent à l’achat.
Vous dire où est passé le chat
nous mènerait hors des limites
de ce poème sybarite
qui préfère la volupté
aux examens trop bien domptés
comme en produisent pour le conte
les séries noires de l’archonte
qui devant sa porte à midi
la nuit obscure approfondit.
Ici l’histoire se chantonne
sur des airs qui d’ailleurs résonnent
quand nous l’écrivons pour rimer.
Laissons le chat désarrimé
et notre minuit en vadrouille
avec un chien qui a les couilles
placées au-dessus du cerveau
comme l’apôtre sans défaut
met les restes de son assiette
verticaux derrière la tête
pour témoigner qu’il a bouffé
et même bu sans s’empiffrer
si l’on veut croire la légende.
Mais ce chien préférait la viande
au pain trempé dans un bon vin,
notamment parce que le pain
qu’il gagnait sans faire d’ouvrages
n’était mouillé qu’avec l’orage
qui met en fuite les autos
sans faire peur aux végétaux
qui ne bougent pas de leur place
et ne touchent pas à ces traces,
privilège du bon vieux chien
qui sait comment on se maintient
quand on n’a aucune racine
pour vivre ensemble sans rapine.
Ce chien, vous l’avez deviné,
c’est Cristobal, bâtard bien né
de qui voudra être le père
sans qu’on sache qui est la mère.
Je ne sais qui, sur le canal,
sous, de l’écluse, le fanal,
trouva le moyen salutaire,
à mon avis sans commentaires,
de ramener sinon la paix,
du moins une tranquillité
que chacun goûta en silence
en attendant que l’un se panse,
que l’autre s’étire le cou
et que d’autres encore un coup
ajoutent à leur apathie.
Cristobal rongeait de la mie,
tremblant mais sans y prendre goût.
Antraxe privé de bagout
frottait avec soin ses deux fesses,
entre désespoir et ivresse,
sans laisser voir ce qu’il souffrait
ni comment il y résistait.
L’Anglais encore fort ému
respirait dans un verre bu,
mais refusait qu’on le resserve.
Sa femme admirait la réserve
et la vidait sans mesurer.
Enfin la fille au dos cambré
comme un arc qui attend sa flèche
renvoyait un air si pimbêche
que son miroir lui échappa,
brisant ainsi, sans tralala,
le silence et ses bruits divers.
L’entrepont était entrouvert
et le volet de l’écoutille
qui tenait sur une béquille
rendait un son des plus affreux.
On se sentait un peu fiévreux,
car le miroir, entre les planches,
lançait des nitescences blanches
comme fait un ciel étoilé.
Or, la brume dans les filets
qui pendaient derrière les vitres
trahissait de sombres élytres
dont la froide immobilité
ne présageait pas la gaîté.
L’atmosphère dans sa croissance
cachait d’autres fluorescences.
Jean se baissa pour voir de près
où en étaient ses beaux reflets.
Du miroir restait la poignée
que dans sa main rouge et crispée
elle tenait comme un outil.
On écoutait le clapotis
qui se brisait contre la coque.
Papa consulta sa breloque
et demanda où donc le chat,
grand amateur de gros tracas,
était allé sans rien en dire.
Et il se mit à le maudire
en termes vraiment sibyllins,
tellement qu’Antraxe badin
demande où est le macchabée,
plaisanterie fort appréciée
quand le cadavre en est abstrait
comme chacun de nous le sait
pour en avoir usé souventes
fois dans les soirées éprouvantes
que cet humour détend un peu.
Mais ici il est malheureux.
C’est un impair qui s’apprécie
à mesure qu’on s’en soucie.
Antraxe qui était sous l’eau
n’a pu assister au boulot
qui a coûté son existence
à Bébé en pleine croissance.
Là-dessus, on est bien d’accord,
semblent se dire à demi morts
les trois Anglais dont l’un se marre.
Antraxe a l’air un peu bizarre,
certes, mais il n’a rien pu voir.
C’est que là-dessous il fait noir.
On y voit des choses mais noires,
pas comme au fond de la baignoire.
« Le doute n’est pas que français.
On l’a depuis bien exporté
et des peuples que ça inspire
ne se privent pas de construire,
sans ménager l’art ni l’effort
même au prix d’un grand inconfort,
leurs monuments sur ce modèle
qui est de toute citadelle
ce qu’on appelle l’attraction.
On en apprécie la leçon
à la mesure des études,
voire d’un brin de servitude
qu’il n’est pas vain que notre temps
emprunte à d’autres grands moments.
Le doute naît de l’avarice,
dit le moraliste en justice.
Cela n’est pas tout à fait vrai,
mais s’il faut s’en tenir aux faits,
l’hypocrisie n’est pas moins née
de la jalousie incarnée.
Douter n’est point se jalouser.
L’un doute et l’autre en aparté
fait savoir à qui veut l’entendre
qu’à ce piège qui peut le prendre
n’est pas encore né ici.
Inversement, pas de souci,
toute vérité qu’on admire
parce qu’elle fonde l’empire
autant des sens que de l’esprit
est bonne à prendre pour le prix.
Ainsi procédons-nous en France.
Et je veux croire que la chance,
et l’Histoire qui va avec,
vous cloue quelquefois votre bec
au pilori de la constance,
car qui en doute ailleurs qu’en France
est un jaloux qu’on doit tenir
pour hypocrite en devenir.
Je ne vois pas en quoi l’avare
qui tranche court son long cigare
peut douter qu’il n’a pas raison.
Et en quoi le douteur maison
qui s’en remet à nos poètes
pour mettre en vers ses amourettes
ou la raison de ses combats,
parce qu’il goûte ce tabac
est un avare qui s’ignore.
Pour le dire il faudrait encore
être né de ce beau terreau
qu’on voit dans nos vendangerots
briller l’été comme l’automne.
Nous vous laissons, ça vous étonne,
l’hiver et le printemps tabous.
Mourez, revivez, ô jaloux,
car il n’est point d’hypocrisie
qu’avec un peu de poésie
on ne mette en doute fissa.
Vous en riez, voyez-vous ça !
Même vos filles qu’on veut prendre
ne peuvent jamais s’en défendre.
Qui thésaurise sinon vous ?
De l’autre se rendre jaloux
ne peut sur notre territoire
passer pour devoir de mémoire.
Nous saluons tous les drapeaux
sans distinction et à propos.
Nous perdons toutes les batailles
et pourtant c’est dans la pagaille
que nous gagnons ce qu’on nous doit.
Ainsi nous élisons le roi,
car nous sommes maître du trône
(même si cela vous étonne)
et non point jaloux de ses pieds
dont vous ne pouvez point douter
votre hypocrisie étant reine
et votre fièvre souveraine. »
Ayant prononcé ce discours,
Antraxe avale sans détour
le gin que Jean dans un grand verre
a dosé pour le suicidaire.
« Ah ! Pardon, mais il y a erreur !
Je n’ai pas causé mon malheur.
Loin de moi cette idée tordue !
Je fuis, d’accord, mais de la vue.
Surtout n’en demandez pas plus
et comptez sur mon bon quitus.
La société nous crée des dettes
que nous payons avec les miettes
de nos repas de communiants.
Nous avons des enterrements
pour conclure au bord de la fosse
les conséquences de nos noces.
Les chiens sont faits pour les nonos
et l’homme pour vieillir ses os
à la lumière de ses dettes,
peut-être due à l’allumette
dont la femme est le colporteur
moins des infos que des rumeurs.
Mais si le suicide est un crime,
o bonnes gens qui me dépriment,
je n’ai point négocié mes jours
et ce qu’ils valent en amour,
point débattu dans l’inconscience
ni marchandé mon impuissance
à la mesure de mes nuits !
On voit tout ce qui s’en déduit
sans chercher des poux sur la tête
à qui n’en a point sous la couette.
Je fuyais comme fuit l’amant,
poursuivi par les rudiments
d’une aventure sans séquelles
comme on en trouve de plus belles
dans les recueils que la passion
inspire au poète en faction.
Mais me voilà en compagnie
d’étrangers dont la sympathie
me va droit dans le cœur que j’ai
plus disponible que jamais. »
L’aveu secoua les paupières,
car l’expression, très familière,
avait de quoi mouiller les yeux.
Ce fut du moins, selon ses vœux,
ce qu’Antraxe éprouva dans l’âme
en matant la chair des deux dames.
Jean avait un beau popotin
et Maman de généreux seins.
Leurs quatre jambes fort croisées
valaient le coup d’être toisées
à l’aune d’une distinction
dont ne se priva pas Francion
quand l’occasion lui fut donnée
comme en témoigne à la volée
notre Sorel plus rajeuni
que Corneille à Molière uni.
La turgescence est un bon signe.
Il fallait bien qu’on le souligne.
Papa avait un air soucieux.
Nous savons pourquoi il s’en veut,
mais Antraxe qui tout ignore
se prend pour un fier matamore
et ne cache pas son bonheur.
Et les dames non plus le leur
à en juger par leur spectacle.
Il faudra lever les obstacles,
pense Antraxe craignant le dam,
et pas seulement le lingam.
Il rit à gorge déployée,
évoquant son âme noyée
égarée au fond du canal
où il peut dire qu’on voit mal
et même rien si l’on s’enfonce,
doit-on dire si l’on renonce,
ah ! Il en sait trop maintenant
et a besoin vu ses tourments
d’un lit bien fait avec en prime
plus que l’amitié et l’estime.
Pour les draps il n’est pas coton,
badine-t-il sans croqueton
car il doute de ses complices.
Les deux Anglaises en rougissent
et font des signes à Papa
en dévoilant d’autres appas.
Mais Papa ne veut pas descendre.
Il ne veut pas se faire prendre.
Bébé roulé dans un drapeau
et le drapeau mal à propos
dans le beau porte-parapluies
où le cheddar aussi s’appuie,
voilà ce qu’un radin français
attend de l’hypocrite anglais
pour occuper son territoire
et s’en faire toute une gloire
dont on entendra les échos
dans les moindres vœux syndicaux.
Sur le plateau de la péniche,
quatre personnages potiches
vont jouer la situation
qui les jettera dans l’action.
Un mort en âge d’être en vie
à ses obsèques nous convie.
Et un chien qu’on prit pour Satan
ne sait pas que le chat attend
qu’il lui arrive quelque chose.
Tel est le théâtre des causes,
le principe des cas pendants
qui servira au dernier chant,
le tertio si je ne m’abuse,
cher Engeli qui me méduse.
Mais il faut terminer celui
que le lecteur sans autre ennui
a chantonné à la mesure
de nos syllabes sans censure,
car dans le temps que celui-ci
se donne en promesse à l’esprit,
un autre théâtre s’achève
dont celui-là était la trêve.
Le monde s’était rassemblé,
du moins c’était ce qu’il semblait.
La pluie tombait à grosses gouttes,
n’inspirant d’ailleurs aucun doute.
Et on sortait de son auto
pour ne pas rater la photo.
Certains sommeillaient sur leurs sièges,
mais n’y voyons pas privilège
l’âge expliquant la possession.
Le premier moment d’émotion,
ce fut Dédé qui sans réplique
en lança l’air et la musique
mais qui connaissait Cristobal
qu’il appelait comme un cheval
en sifflant deux doigts dans la bouche ?
Un moment on n’entendit mouche
voler pendant que le dada
semblait arriver sous les bois.
Dédé siffla deux fois encore,
mais la crinière du centaure
ne sortit pas du bois dormant.
Ce n’était pas vraiment marrant
mais on accepta de sourire.
Le type à poil qui voulait dire
un mot pour d’obscures raisons
dont rien n’éclairait l’horizon
fut interrompu par le cogne
dont c’était dit-on la besogne.
L’autre flic qui ne savait pas
pourquoi donc on l’avait mis là
donnait des signes d’impatience
et tournait le dos à l’instance
pour voir venir ce Cristobal
qui dit-on était un cheval.
On entendait diverses sources
verser dans l’oreille sa course.
Les bois s’emplissaient de bruits sourds
qui se répandaient alentour,
vite courant de langue en lèvres
comme la tortue sur le lièvre
va plus vite qu’on l’avait dit,
rapetissant les plus petits
qui tremblent comme font les feuilles,
qu’on l’imagine ou qu’on le veuille.
Les vieux dormaient, heureusement,
sous l’effet des médicaments
qui font vieillir l’imaginaire
pour d’autres terreurs exemplaires.
Mais Cristobal n’apparaît pas.
Un calme horrible, un calme plat
s’abat sur la scène pluvieuse
et Dédé de façon curieuse,
car on ne s’y attendait pas,
d’un bras d’honneur salue les bois
d’où s’élève alors un vacarme
comme font en guerre les armes.
Il en est le premier surpris
d’autant que le ciel s’assombrit,
lui qui était si noir à l’heure
de lever pour faire du beurre
le rideau sur cet impromptu.
Des arbres se sont abattus.
Les bois sombrent dans un abîme,
un gouffre noir où mille cimes
disparaissent sans rien laisser.
Un vol d’oiseau qu’on voit passer
sur les chapeaux et les casquettes
offre ses vers à des poètes
qui ont vu venir le sommeil,
car jamais rien vu de pareil
on n’a de mémoire sur terre.
Le bois devient un cimetière,
avec des croix et des croissants,
de noirs corbeaux qui croassant
emportent du moulin les ailes.
Des parapluies et des ombrelles
sont arrachés aux ombres qui
filent pour se mettre à l’abri.
Des vieux secoués se réveillent,
pâteux et bayant aux corneilles.
Un enfant veut voir Cristobal.
On lui répond que c’est très mal,
que le mal a tant de visages
qu’à la fin on se dévisage,
que c’est un chien, pas un cheval !
Voilà comment un festival
qui promettait à la jeunesse
l’abolition du droit d’aînesse
devient un casse-tête en toc
avec plus de bric que de broc.
On remonte à bord des voitures,
frappant sur la progéniture
avec la main et les outils.
L’ascendance avait averti :
« Ces zones qu’on dit temporaires
n’ont d’autonome que l’affaire
qui ne rapporte vraiment gros
qu’aux sales juifs et aux négros.
Non mais regardez cette flique
avec ses tifs anachroniques
qui fait mal la circulation
et nous menace d’audition !
Le noir ne va pas au marine.
Ça fait trop sombre et la voisine
me dit qu’en plus elle est d’ici !
Ah ! Il faut voir tous les soucis
que ça me donne à la concierge
qui au moins sait planter un cierge
à l’endroit prévu pour planter.
On en parlait pour discuter.
A Paris on n’est pas des ânes
et en province on se dédouane.
Le noir c’est fait pour être blanc
et le blanc n’est pas transparent.
Et ça cause en français la langue
comme en Chine on vous met la cangue.
Et ce flic tout blanc qui conduit ?
On le voit bien qui introduit
sa bite classe bien française
dans ce trou noir qui fait des fraises
qui ont l’odeur de nos égouts.
Vous trouvez que c’est normal, vous ?
Si elle veut faire la pute,
se rendre utile à la culbute
pour pacifier le conjugal
dans le civil et le pénal,
je ne dis pas non au service.
Mais me voir mener en justice
parce que monsieur reproduit
sans se soucier de mon sursis,
c’est plus gros que sur la patate !
Je sors du tribunal en hâte
pour aller au Front National
chercher l’entente et le cordial,
quand qui je vois si c’est Godace
qui me jette en plein sur la face
que ce flic qui fait le cochon
avec une noire au trognon,
c’est un Juif né d’une Française
avec le cul entre deux chaises !
Ah ! Je m’étrangle tellement
ça me met vert sur le moment.
Ça fera des Juifs gris de France.
Ça manquait à notre croissance.
Ah ! Le spectacle était gratuit
et en plein air avec la nuit
comme on apprécie les voyages.
Mais là trop grand était l’outrage.
J’en ai bugné ma femme au cul
avec le pied que j’ai dessus.
Les gosses que j’en ai ma claque
et qui me cassent la baraque
chaque fois que je suis heureux,
je leur ai fait gonfler les pneus.
Heureusement que la tempête
s’est abattue sur notre tête.
J’avais sorti mon truc et tout
comme au football qui nous rend fous.
Ce juif de flic voulait que j’ose.
Ah ! J’en avais plus que la dose !
Mais la pluie est tombée sur nous
et j’en avais jusqu’aux genoux.
Sinon j’encule cette Noire
avec le devoir de mémoire
et la prime de rendement.
Mais privé de ce bon moment,
je fais phrases avec des verbes
dans le genre plutôt acerbe.
J’allais bouffer son pantalon
quand j’ai glissé sur les talons.
On a vu la forêt ouverte,
et là mon vieux je ne disserte,
comme le Jourdain de Cecil.
Ah ! Les Juifs quand ça vient du Nil,
avec Hollywood et Moïse
à la clé de leur entreprise,
l’Arabe peut bien se coucher,
ce qui ne me fait pas loucher,
parce que glander à l’usine
on sait faire aussi sans gésine.
Mais je passe sur la leçon
et à nos moutons revenons.
Je vois la forêt qui s’entrouvre
et là qu’est-ce que je découvre ?
Qu’on va périr dans un flot d’eau !
Vite on remonte dans l’auto.
Chaque fois qu’on se précipite
on franchit même les limites.
On oublie Pépé dans l’effroi.
On reviendra une autre fois.
Je passe toutes les vitesses
sans me soucier de la justesse.
L’assurance paiera les frais
que la mort nous aura causés.
A la guerre comme à la guerre !
Et juste quand je décolère,
voila qu’on m’assigne au pénal
à cause d’un Juif qui prend mal
le côté social des critiques
que j’ai adressées à sa flique.
Imagine ma déception !
Je fais tout pour que ma nation
se souvienne de son histoire
et voilà que l’inquisitoire
me donne tort à tous mes torts !
Et je suis à peine dehors
en train d’expliquer à Godace
qui comprend vite mais de face
quand le profil est deux côté,
(oui, je dis deux pour la clarté)
que voilà ce flic qui claironne
avec son grand nez qui grisonne
que sa sale race a gagné
et que même c’est consigné
avec mon nom à chaque page !
Non mais là tu saisis l’outrage ?
L’injure à mon passé glorieux !
Alors là ni une ni deux,
je sors ma bite dans l’église
et je pisse jusqu’à la prise
dans la gâche du plâtrier
qui restaure le bénitier
où on voit saint François d’Assise
donner à bouffer des cerises
à je ne sais quel temps venu
que je suis le dernier cocu
à m’en soucier comme en quarante.
Et on s’étonne que des tantes
veuillent repeupler la Nation
avec les fruits de leurs passions ! »
Ici en excuses très plates,
je me confonds et me dilate,
cher Engeli, la digression
n’étant point de votre façon,
mais de ma très pauvre industrie.
Je reconnais que la sortie
que j’ai insérée ci-dessus
dans ce récit par vous conçu
peut dérouter par sa présence,
dont je revendique l’aisance,
autant que par son contenu.
Si le traducteur est tenu
en respect par les origines,
ne peut-il point, comme à l’usine,
ajouter sous la vraie couleur
les initiales que son cœur
sur les cyprès du cimetière
a gravées avant que sous terre
il achève au moins d’exister
pendant que d’autres s’en morfondent ?
Ah ! Si vous étiez de ce monde
aussi vivant que je le suis,
je vous dirais comme la nuit
n’a pas changé, ni les ennuis.
Je lis, je relis et je verse
votre flot espagnol à verse
dans ce français que Rabelais
eût trouvé plus pauvre qu’anglais
ou Chaucer si je le demande…
voyons, il faut que je m’amende
avant d’achever ce second
des chants formant le parangon
de vos vertus et de vos forces.
Et je m’en crois la dure écorce !
Bien que le cœur en brise là.
Ce cœur que je tiens des smalahs
d’Andalousie et d’Arabie.
Peut-être de Californie ?
Qui sait d’où nous ne venons pas ?
Voyons si j’essaie ta kippa.
Au bout du jardin on s’amuse.
Je crois bien que ce sont nos Muses.
Seins en fleurs, joyeux petits culs,
jambes rapides, ventres nus…
pas d’autres hommes que nous-mêmes.
Alors il faut bien que l’on s’aime,
non ? Cher Engeli que je vois
à travers la grille des doigts
qu’elles tendent comme des pièges.
Mais prends donc, mon ami, un siège
parmi ces filles que le temps
ne peut vieillir comme l’antan
(si tu permets que cet adverbe
pour l’occasion devienne… verbe.)
Oui, il y eut un fort gros temps
qui emporta, je crois, râlant,
le gros Dédé dans la déprime,
car son chien, comme nous l’apprîmes,
avait suivi, mais pourquoi donc,
Antraxe comme un Cupidon
qui a égaré arc et flèches
et ne sait plus qui le dépêche.
Dédé disparu du plateau
après la fuite des autos,
(nous en saurons plus au troisième
chant de ce déjà long poème)
nos flics Alice et Nicolas,
voyant que le temps était bas
et que Virgile donnait signes
d’une faiblesse qui assigne
son homme à de tristes confins,
ne sachant rien de cette fin
qu’Engeli confie à mes œuvres,
la 2CV enfin manœuvrent
pour la sortir de son bourbier
et à Virgile la confier
s’il se sent apte à la conduire.
« Ah ! Je ne voudrais pas vous nuire,
amis gardiens de mon Enfer,
(puisque le temps m’en est offert,
je rends grâce votre mystère)
mais je ne sais pas comment faire.
Peut-on par un coup de volant
et, je suppose, un peu de vent
qui ne manquera point du reste
car sur ce coup il n’est modeste,
revenir là où nous étions,
mes amis quand nous recherchions
le petit bout dont par sa faute
est privée ma seule carotte ?
— Vous savez, nous, les policiers,
on est plutôt pas mal formé
et même en langues implicites
que c’est même où on nous invite
à penser aussi fort qu’on peut,
et on le peut quand on le veut !
Mais voyez-vous, très cher touriste,
si on est de bons secouristes,
on craint l’obscur et ses façons
de nous prendre soit pour des cons,
soit pour des gens qui savent lire
sans toutefois se le proscrire
comme Vendredi Robinson.
Si j’ai bien compris la leçon,
et celle-ci me fut fertile
comme livre au bibliophile,
vous souhaitez que chez des amis,
qui sont les vôtres à ce qu’on dit,
et remarquez que j’en rajoute
des fois que vous ayez un doute,
on vous renvoie comme un colis
à la même adresse et merci.
Seulement, voilà, la Police
n’aime pas vraiment qu’on lui pisse
dans les bottes qu’elle a en cuir
comme la peau que pour servir
elle a tannée depuis des plombes,
tellement de plombes qui plombent
que si je vous en disais trop,
vous en sauriez plus qu’au bistrot.
Veuillez, Monsieur, vos deux paluches,
tendre à Madame, qu’elle épluche
votre dossier de citoyen
et peut-être de bon à rien ! »
Ayant dit cela sans un signe
d’une envie de mettre des bignes
à ce prévenu qui fait chier,
Nicolas rince son gosier
avec l’amère pluie qui tombe
et qui pour aggraver retombe.
« Mais enfin, mon papa Noël !
fait Alice comme au Carmel,
ce mec n’est pas rien au programme !
Qu’il soit fortiche en épigramme
n’est pas le hic de ce qu’il est.
Il a sa famille au palais
et des relations nationales,
que si j’en avais conjugales
je serais au moins chevalier
et pas seulement brigadier !
Mais vise un peu l’aléatoire
qui améliore notre histoire !
Heureusement l’ordinateur
que j’ai là-haut avec honneur
en attendant qu’on me médaille
a su démêler la pagaille
que tu mets quand tu réfléchis.
Voilà comment on s’enrichit !
Ah ! Les Juifs quand c’est pas des riches
les pauvres Noirs sont des fortiches !
Résumons-nous, papa Noël :
on va répondre à son appel
avant que Roussot nous supprime
et l’avancement et la prime.
Le bébé est sur l’établi
et le crédit pas dans l’oubli.
On verra pour la particule.
Laissons là notre véhicule
et montons dans la 2CV
que ce soit ou non un vrai veau.
On n’en a pas pour cinq minutes,
moins qu’il n’en faut pour que j’ampute.
Tu les as c’est vrai où il faut,
mais moi aussi j’ai des défauts,
et je connais les bons dosages
des us qu’on dit anthropophages.
Si Monsieur veut se rhabiller
et arrêter de babiller
pour critiquer nos énéides
qui valent mieux que son suicide,
je le reconduis où il veut
et plus vite que mon neveu
qui fait trois fautes sans dictée
et beaucoup plus avec Orphée.
Veuillez, Monsieur, mettre le pied
sur la vache de ce plancher
et laisser faire votre Alice
pour que votre vœu s’accomplisse
en moins de temps que je l’ai dit.
Allez ! Hop ! On n’est pas maudit ! »
Et prenant le bras de Virgile
qui ne se tenait pas tranquille,
elle l’envoie sur les coussins
sans lui faire un autre dessin.
Il n’est pas content et rouspète
comme font souvent les poètes
quand on leur signale un défaut
qui métriquement porte à faux.
La vexation est si furieuse
qu’elle effraie même l’amoureuse
qui veut monnayer son amour.
L’éditeur voit ça tous les jours.
Alice sans une chatouille
lui remonte le bas des couilles
et sur le moignon met un doigt :
« Ici je mets un sparadrap,
et j’appuie fort pour que ça colle,
des fois qu’on croit que je suis drôle
quand je me fous des amputés.
Vous pouvez aussi appuyer
et même vous devez le faire,
sans vous soucier du tarifaire
car on est service public.
Il faut dire qu’on tombe à pic,
sinon vous passez l’arme à gauche
avant même qu’on vous amoche.
Pour la ceinture on fait un nœud.
Chez Citroën on a fait mieux,
mais pour le peuple on s’en dispense.
Notre Amérique c’est la France. »
Et voilà Virgile noué
pour raisons de sécurité.
« Toi, papa qui rêve d’enfance
avec des fillettes de France
plates comme le plat des œufs
et pas un poil entre les yeux,
du mort virtuel prend la place
sans commenter ce qui s’y passe
quand le destin se fout de nous
alors qu’on est sur les genoux
avant même qu’à la retraite
on voit comment l’homme s’embête
entre la femme qui dit non
et les petits-enfants grognons
que l’Internet rend plus ignares
que les parents que ça effare
alors qu’on les a à crédit.
Pas mariés et déjà maudits !
Pour les bucoliques, Virgile,
tu repasseras l’ustensile
à Horace qui l’a propret,
comme dit Auguste à peu près.
Attention, voilà, je démarre !
Et ici j’allume les phares !
Les voyages en 2CV
ça vous secoue tant le cerveau
qu’après la guerre d’Algérie
on ne connaît plus l’aporie,
sauf quand Camus y met du sien
et l’ambassadeur ses chrétiens ! »
Comme elle a perdu sa capote
et qu’on a un peu les chocottes,
on se sent mouillé jusqu’à l’os.
« Ethos, logos et puis pathos
dans le même sac en pagaille,
poète lauréat, flicaille,
Citroën, liberté, laïc,
drones américains et Bic
des poètes sans numérique,
pouvoirs qui font la République,
Rimbaud en langage basic,
atouts du service public,
cocottes des papiers qui collent,
coq en pâte et auto-écoles,
bac, honneur, sacrifice dû,
Polyeucte, enfoirés, Bardamu,
défaite, vendus, rats d’église,
collabos, droites et cerises,
piston, privilèges acquis,
un papa mort dans le maquis,
bordels clos, trottoirs en visite,
césar en pouce et sans mérite,
cuvette, piastres, trahison,
Le Nôtre, État, châteaux, raisons,
fuites, Malvy, Mitterrand, place
à de Gaulle qui prend la place
sans avoir combattu, fuyard,
France, pays des démerdards.
Ah ! Des fois je me sens poète !
— Ah ! Des fois je me sens poète,
je ne sais pas écrire mais
aujourd’hui il vaut mieux chômer
que de s’en prendre plein la fiole
et de finir tout de traviole
pour devant la télé crever
de voir des trucs qui font rêver,
qu’on se met ou bien qu’on avale
et qui des cents, des mille valent
mais qu’on ne peut pas se payer.
On n’est pas fait pour balayer
mais le balai c’est pour la pomme
et la pomme une fois dans l’homme
on se raconte des romans
pour bien jouer à la maman
et la fifille fait des gosses
qui rongeront tous ses nonosses
avant de devenir des chiens.
Le mal ce n’est vraiment pas bien.
On a raison de faire en sorte
de leur laisser ce qu’on emporte.
On fait ce qu’on peut pour chômer
et sans risquer de se paumer.
Poète, c’est une fonction,
de l’État une bonne action,
avec à la clé du classique
qui forme l’esprit empirique,
et du moderne sous les pieds
pour proprement les essuyer
sur ce paillasson qui conserve
comme le formol nous préserve
dans les bocaux des carabins
ensemencés par les robins.
— Ah ! Des fois je me sens poète !
J’ai l’âme qui se met en fête
et le corps couvert de pollen
et de Siméon l’ADN
qui trotte sans rimes des pieds
avec des césures à chier.
J’écris à maman, à la Vierge,
et en confessant je gamberge
comme au lycée les professeurs
en compagnie des bonnes sœurs
lâchent le frein de leur prépuce
dont ils connaissent les astuces
grâce aux forums de l’Internet
qui est inter mais pas très net.
Grosjean me lime le mystique
en caressant l’os des moustiques.
Impatient je mets tout dedans,
mais quelquefois dans l’excédent
je sors mon mouchoir de dentelle
et à son gros nez je m’attelle
sans compter les gouttes d’opium
qui me traversent le sternum.
Et je lis même entre les lignes
tellement je suis dans la ligne.
Mon nom figure en haut, en gros,
avec mes rythmes intégraux
que si j’étais bibliophile
je me verrais bien qu’on m’enfile
pour me pendre avec le drapeau
aux abattoirs municipaux.
Ah ! Le printemps, c’est quelque chose !
Du poète l’apothéose
ou l’apogée, je ne sais plus
et pourtant jadis je l’ai su !
J’en perds le sang de mes guiboles
et pour guincher dans les écoles
je fais des pieds et puis des mains.
L’exercice en est inhumain,
mais pour servir toutes les causes
il faut bien que l’on se sclérose
quelque part qui ne se voit pas.
Chacun choisit son coin-repas.
Tout le monde aura de la bouffe,
du rata bien cuit qu’on étouffe
avec l’os à moelle et le gras
et de la soie dessous les bras.
L’art quand c’est cuit c’est plus facile.
Pourquoi qu’on serait difficile ?
Qui refuserait de bouffer
s’il n’a jamais si bien mangé ?
Avec le printemps on progresse
comme pénitent à confesse.
Allez ! Ensemble, mes agneaux !
Quelle veine on a, c’est trop beau !
— Ah ! Des fois je me sens poète !
Je me sens bien dans mon assiette
grâce à l’État et ses larbins
qui nous mâchent tout le turbin.
On serait bien bête de croire
que sans le devoir de mémoire
le Poète a de l’avenir.
Français, veuillez vous affranchir
avant qu’on vous coupe la tête
et qu’à la poubelle on la mette
avec l’ordure et l’étranger.
Le peuple est fait pour vendanger,
pour ensemble serrer les coudes,
lever le verre qui nous soude
et boire le vin de son crû.
Turlututu ! Chapeau pointu ! »
Nos trois lascars, dans la Deux Pattes,
voguaient joyeux comme frégate
qui a coulé à Gibraltar
deux trois anglais sans avatar.
Les coffres pleins de leurs poèmes,
ayant enclenché la deuxième,
d’embardée à saut à pieds joints
Alice poussa le bourrin.
Il hurlait comme un grabataire
qui veut se gratter le derrière
avec les mains de son voisin.
En l’absence d’aérofrein,
le malade dans la glissade
sans mésestimer la ballade
tentait de maintenir le cap.
Virgile tombé dans les vaps
souriait comme dans un rêve.
Nicolas brandissait son glaive
sans parvenir au résultat.
La 2CV virevolta
avant de se poser en trombe
devant le marbre d’une tombe
qui promettait des jours heureux
avec les anges et leur dieu.
On avait les reins en compote
et des trucs mous dans la culotte.
A un doigt près on revenait
d’où on était parti exprès
pour aller ailleurs en voiture.
Mais les jouets de la nature
que nous sommes depuis toujours
ne contrôlent pas les concours
de circonstances en série,
surtout quand les intempéries
mettent dans les roues des bâtons.
On n’avait pas trouvé le ton.
« Peut-être en fermant notre gueule,
dit Alice se sentant seule.
Le silence est d’or quelquefois.
— Ça ne me fait ni chaud ni froid,
dit Nicolas qui s’abandonne
cette fois à une bonbonne.
Dame Jeanne est de bon conseil
quand on n’a pas mis le réveil.
— On se tait et on recommence !
dit Alice dans l’abstinence.
Tenez-vous bien, sur le plancher
j’écrase dessous mon soulier
ce champignon qui me taquine.
Ce n’est pas que je sois maline,
mais je suis têtue comme fait
qu’on prend pour fiction au palais.
Et pas un mot sur le poète
qui n’aime pas trop qu’on l’embête
et qui peut nous jeter un sort
comme on vient d’en vivre un très fort.
Évitons les soucis qui pèsent
plus lourd que le cul sur la chaise.
Le poète est comme les sous.
Il a deux faces pour le coup.
L’une caresse nos caprices,
l’autre menace la justice.
On le jette en l’air pour jouer
alors qu’il fallait le louer
et nous voilà en pénitence
ou assignés à résidence
en compagnie d’autres vauriens.
Mais le hasard n’y est pour rien.
Il y a un dieu pour les ivrognes
et du bon vin pour ces charognes !
— Ah ! Excusez-moi si je viens
tout juste d’avoir les moyens
de revenir dans ce bas monde,
proteste Virgile à la ronde,
car il retrouve ses esprits
avant juste qu’on soit parti.
Le poète aime les carcasses,
mais non point comme Lovelace
qui ne les vide que de chair.
Le poème se vend plus cher
que ces romanesques légendes.
Et on travaille sur commande,
après avoir joué le jeu
et non point avant comme on peut !
Réfléchissez, ma belle Alice,
avant de sortir des coulisses,
sinon tintin pour Nougaro !
Et rien dedans le Figaro.
N’oubliez pas qu’on est en France !
Le pays de l’intolérance
passées les limites du non.
Des siècles que nous le disons !
Et la plume au clair de la Lune.
Pour mettre fin à la Commune,
on pactise avec l’ennemi…
la Commune ou d’autres délits
qu’on ne peut pas voir en peinture.
Le pompier est notre nature,
classico ou contemporain,
on s’en fout tant que dans la main
on a le poil quand l’autre brosse.
D’ailleurs le poème est en hausse.
On le loue plus que son auteur
qui n’est pas toujours le meilleur,
reconnaissons cette lacune
avec pitié et sans rancune.
Cyrano est de Bergerac
et voilà le tour dans le sac !
La France est une belle église
et ses plafonds une entreprise
qui fait lever la tête aux vieux
et met au pas le malheureux.
Rien ne vaut une croix en fête
et des résistants d’opérette
pour justifier le collabo,
le Versaillais et le Poulbot.
Soyez printemps sans plus en dire !
Que chacun ait sa part d’empire
et son lecteur, même attitré,
et nous serons administrés
selon le sacre qui honore
et la médaille qui s’ignore.
Plus de pétainistes ici !
Que des poètes sans souci !
Et sans inutiles contraintes.
Sinon, ma foi, on vous éreinte !
Un mot de trop, à Biribi !
Et à Béréchid les bibis
qui n’ont plus de tête à se mettre !
Il ne suffit pas de promettre.
Il faut aussi preuves donner,
sinon qui croire et pardonner ?
Car la meilleure république
est une monarchie pratique
dont les chemins se font à pied !
Merci de m’avoir écouté. »
Sur ces chapeaux on redémarre
dans un prodigieux tintamarre
de moulin, de pot, de ressorts.
La 2CV en plein essor
à cette époque de l’Histoire
gravit le talus sans y croire
et d’une première toujours
hardiment monte dans les tours.
On perd à droite une portière
et à gauche la cafetière.
Le moment serait mal choisi
pour s’occuper de son zizi
ou des cotations familiales.
La tentative est capitale.
Si on redescend dans le bois
on est bon pour perdre l’emploi
et la ressource nationale.
On n’est pas l’aéropostale,
mais on dessine les moutons
sans oublier un seul bouton.
Le pied au plancher tout en tôle
avec des pops qui rafistolent
et du minium à tous les trous,
Alice en forme lâche tout
et en met plein les élastiques
qui l’un après l’autre en musique
pètent sous la toile des culs.
Il faut s’accrocher au-dessus
quand le dessous se barre en couille.
Chacun fait comme il se débrouille.
On ne chante plus pour gagner,
mais croyez-moi, le cœur y est !
Les défaites ça nous occupe
et dupé est celui qui dupe.
Il manque la longueur d’un bras
pour se tirer de l’embarras
où on s’est fichu par principe.
Ah ! On fait une bonne équipe,
l’Africaine, le Grec, le Juif !
Pourtant on n’a pas le certif.
Les roues dans la merde patinent
comme le matin les bottines.
Un bras ce n’est rien mais c’est long !
Près du but on a le ballon,
mais le pastis a des séquelles
et nous retient par les bretelles.
Il est trop tard pour dégueuler
et trop tôt pour se rappeler.
Alors Nicolas sacrifie
et sa carrière glorifie
en se jetant hors de l’auto
dans la foison des végétaux
et les attentes animales.
Il pousse une plainte infernale
et pourtant le bruit du bourrin
fait mieux que cet alexandrin
peu fait pour entrer dans notre ode.
La 2CV s’en accommode
et d’un bond franchit tout le bras
qui manquait pour enfin de là
se sortir comme on prend la porte.
Voilà comment on se comporte
quand on est un bon résistant.
Après le talus on descend,
mais en ralentissant l’allure
qui par l’arrêt doit se conclure.
Alice en a perdu deux dents
sur la tangente du volant.
Sans élastiques sous son siège,
Virgile est comme dans un piège
et craint le pire pour ses os.
Il en a un dans les naseaux,
mais qu’elle est donc cette coutume ?
Le manche de son porte-plume
est un roseau en PVC,
or cet os est d’un vrai décès
la preuve que l’anthropophage
a dénaturé nos usages.
Et sur cet exorde broder,
alors qu’on s’en est bien tiré,
il prétend et se met à l’œuvre,
tout empêtré par la manœuvre
que l’expiation de Nicolas,
un véritable apostolat
de fonctionnaire qu’on chouchoute,
a rendue possible sans doute.
Mais Alice est déjà dehors,
et même du talus au bord,
lançant les nœuds de sa culotte
dans la broussaille où nu grelotte
Nicolas qui a tout perdu,
il ne sait comment cela fut.
« Vous faites chier avec vos odes !
dit Alice que la méthode
n’a pas convaincue aisément.
Virgile sur l’os fait du vent
alors que notre camarade
se voit bien en hamadryade
mais veut retrouver ses habits.
La Poésie à haut débit
qu’au CNL on nous conseille
sinon tintin pour voir l’oseille,
serait-elle à l’ordre du jour ?
Mais la Vénus des carrefours
est au volant du ministère !
Vous voudrez bien, mes gros pépères,
mettre un bémol à vos caquets
et sans poésie le paquet
qui à la mission est utile.
Rends-moi mon os, mon bon Virgile,
j’en ai besoin pour me gratter
les boutons que l’État me fait
(mais ce n’est pas une critique
car j’ai le bon sens romantique)
chaque fois qu’il me pique là
justement où je ne veux pas.
Allez ! Nicolas, pas de honte !
Attrape le slip et remonte
sans chercher à te l’essayer.
On ne va pas se chamailler,
dans la perspective des noces
et des exemples pour les gosses,
alors qu’on est de ce moment
à un poil près déjà gagnant.
On reviendra pour la casquette
sinon il faudra qu’on achète.
Le slip t’ira mieux que le gant.
A cet endroit c’est élégant.
Je te le prête et je m’en passe.
Allez ! Mon héros, de l’audace ! »
Elle riait tant que le slip
lui échappa et fit un flip
en rase-motte sur la glaise.
Nicolas lâcha une fraise.
Il avait le bout tout glaiseux
et des brins d’herbe sur les œufs.
« Ah ! Il faudra que tu m’expliques,
et sans arguments alcooliques,
comment j’ai fait pour dépoiler
ce corps conçu pour s’affubler
de l’uniforme autoritaire !
Me voilà nu comme le verre
qu’on a oublié de remplir !
Je veux la mission accomplir,
mais en tenue pas si légère !
Partageons, si tu veux, la paire
de pantalons sans le baisser.
Je vais finir par m’angoisser ! »
Disant cela, Nicolas glisse
sur ses fesses qu’il a novices
en matière de glissement.
Un bras puissant, heureusement,
le retient car forte est la pente
et dangereuse la descente.
Il remercie en haletant
et même flatte doucement
ces doigts qui sur lui se referment.
De la poule il a l’épiderme
quand l’autre d’une forte voix
lui demande si d’un pourvoi
il veut reporter la sentence
et encore tenter sa chance
qui jusque-là n’a pas donné,
comme chacun peut le souhaiter
à l’heure de payer la taxe,
les signes clairs de la relaxe.
Ce sera le dernier recours,
précise comme dans un four
l’ombre resserrant son emprise,
et ce serait partie remise.
On revient toujours sur ses pas
qu’on sache ou qu’on ne sache pas.
Nicolas conçut une telle
frayeur que sans autres nouvelles
il s’arracha à cet Enfer
d’une enjambée plus que kasher
qui le jeta, fin délicieuse,
dans les bras d’Alice rieuse.
Il voulait rire lui aussi,
mais il avait le cul farci
et des frissons entre les aines.
Une rumeur triste et lointaine
s’éleva dans le ciel tout noir
et ce n’était qu’un au revoir.
« Je l’ai vu moi aussi, le Diable,
dit Alice flattant le râble
qu’il avait fort impatient.
C’est un redoutable passant.
On le rencontre ou on l’évite,
mais l’occasion n’est pas fortuite.
Quelque chose va arriver,
à nous, aux autres, mais qui sait
ce qu’il vient chercher sur la terre
ou dessous quand il nous déterre.
Il est ici, pas loin de nous,
il t’a caressé les genoux,
sans te forcer, comme il arrive,
à les plier pour que tu suives
de son chemin le noir fossé
où tous les vœux sont exaucés
si la douleur est leur gageure.
Ce repli est de bon augure.
Pourquoi t’a-t-il laissé le choix
alors que tu n’en avais pas,
qu’ici bas nulle alternative
ne nourrissait l’initiative ?
Je te voyais mort et vivant,
tel que tu étais, nu, tremblant,
prêt à tout pour que ça finisse
et que le destin s’accomplisse,
mais sans moi qui me demandais
si c’était toi que j’attendais.
Reconnais-tu ainsi la femme
dont le nom est une anagramme ?
Vain mystère des trépassés,
le Diable ne fait que passer
et Célia revient te séduire
et à l’affliction me réduire,
me condamner à en pleurer
jusqu’à rêver d’assassiner
comme il est dit au chant troisième
que celui-ci, en bon deuxième,
prépare petit à petit
alors qu’il en est le produit
et la conclusion conséquente.
Pensant ainsi à ton amante,
j’ai jeté la boue sur tes os
ou ce que je croyais tes os,
m’imaginant qu’avec le Diable
tu choisirais l’irrémédiable
avant même qu’il arrivât.
Mais je me trompais d’opéra !
Au diable ce théâtre d’ombres
où le désir est en surnombre !
Tu veux jouir et bien tu jouiras !
Des nouvelles tu m’en diras ! »
Virgile qui voyait la scène
depuis le siège où dans l’obscène
elle sombrait sans déplaisir,
sur le klaxon eut le désir
d’appuyer pour qu’on en termine.
Mais aucun son, on imagine,
ne sortit de cet instrument.
Il en conçut, sur le moment,
un doute et même un fort scrupule.
Qu’avait donc ce sacré bidule ?
Il en pressa plus d’une fois
le bouton avec le doigt droit,
en agitant, plein d’optimisme,
tous les ressorts du mécanisme.
Mais il fallait en rester là,
la batterie était à plat !
Il engagea donc la première
et desserra comme à la guerre
le frein qu’il avait dans la main.
Et la deuche, tous feux éteints,
prit de l’élan dans la descente.
On effraya plusieurs bacchantes
en écrasant leur bataclan.
Comme il n’avait pas fait un plan
et qu’il n’avait pas la manière,
il espéra que le derrière
n’irait point se mettre devant.
Il empoigna bien le volant
et fermant les yeux en prière
il embraya sur la première.
Les roues bloquées, on descendit.
On était peut-être maudit,
mais pour l’instant aucun des signes
qu’au malheur notre Dieu assigne
n’apparaissait pour prévenir.
Quand on ignore, on voit venir.
Virgile ne craint pas le pire
et on ne le voit point maudire.
D’ailleurs pour voir, on ne voyait
pas grand-chose sur le remblai.
A poil Nicolas en détresse
voulait descendre sur les fesses,
mais Alice n’y croyait pas.
Gueulant au secours sans papa,
on la vit glisser sur le ventre
et maudire des poings le diantre
qui était cause du pétrin
qui allait lui rentrer en plein
la gueule si faute de science
elle jouait de la malchance.
En haut, Nicolas hésitait.
Sa bistouquette dépassait,
tant qu’il la voyait arrachée
avant la fin de la journée
par un gros défaut du relief
qui causerait plus de griefs,
(voyons les choses dans le calme
pendant que nous ventent les palmes)
que de rester où il était.
Et il resta comme il voulait.
Quand on a le choix on hésite,
car les contraires cohabitent.
Debout en haut tandis qu’en bas
on était dans le même cas,
il attendait qu’on lui signale
une solution idéale.
Il en profita pour finir
ce qu’Alice sans s’accroupir
avait commencé en musique.
On se sent bien quand le viatique
a le sens d’un beau coup de cul.
Quand le problème est résolu
on en revient à l’hypothèse.
Point mauvaise n’est notre thèse
qui dit que c’est la solution
qui provoque les inductions.
Mais laissons là ces conjectures
qui au programme ne figurent
et revenons à nos moutons,
c’est-à-dire à la conclusion
de ce chant qui est le deuxième
et qui malgré le théorème,
de ce roman est bien la fin
quand le troisième ne l’est point.
Ces pratiques contemporaines
nous donnent parfois la migraine,
mais nous sommes dans un fauteuil.
Nous vîmes alors sur le seuil
de la maison de Gonzalèze
(en ouvrant bien nos portugaises,
car depuis Faulkner le roman
a fait des progrès étonnants)
nos trois patrouilleurs dont Virgile
qui apparaissait sans textile
alors qu’Alice et Nicolas
avaient retrouvé, Inch Allah !
de leur service le costume.
Après ce qu’on vient (je résume)
de lire ci-dessus en vers,
on objectera pour pas cher
qu’on n’en savait rien et pour cause !
A cela ajoutons (si j’ose)
que nous vîmes la 2CV,
comme Sanchaise qui, dévot,
ouvrit la porte à ce spectacle,
(et c’est là un deuxième obstacle
que nous franchissons illico
comme Robbe-Grillet au trot)
tous feux allumés, même jaunes,
alors que plus haut on raisonne
plutôt longuement sur l’état
de sa batterie bien à plat…
certes, nous eûmes pu, poète,
allez au bout de la bavette
et expliquer, force détails,
comment les flics leur attirail
retrouvent sans laisser de trace
et pourquoi dans le même espace
la batterie on rechargea,
ou plutôt comment et où ça !
Rejetons ces vers en annexe,
si jamais le lecteur se vexe,
mais s’il accepte le topo,
revenons à notre propos,
lequel succéda à la scène
où Sanchaise ouvre, non sans peine,
la porte à nos trois zigotos.
On se souvient qu’avec l’auto,
sous les yeux ouverts de Sanchaise
qui en témoigna à l’anglaise,
ils furent au loin emportés,
ou peut-être juste à côté,
que malgré des efforts louables
nos deux flics furent incapables
de sortir Virgile de l’eau
au fond de laquelle l’auto
(la belle deuche de Bébère
qui avait un beau caractère
bien qu’il n’eût épousé que lui
et qu’il ne s’y reproduisit)
le condamnait à la noyade,
car pour conclure la baignade
le sac que Virgile portait
par un angle s’était coincé,
je crois bien que dans la portière,
mais je n’étais point aux affaires
en ce temps dont je parle à vous.
« Avec la mort, les rendez-vous
qu’un jour sans pain sont plus sinistres,
surtout quand ses tristes ministres
vous poussent sans explication
dans les tourments de l’ignition.
Et jusqu’à la fin on se brûle
pour répéter sous la férule
de la vérité faite chair
les fondements de cet enfer.
Pour lâcher de sales ordures
en respectant la procédure
on se secoue le popotin
en avalant le bulletin.
Il n’y a pas autre chose à faire !
Et croyez-vous qu’on désespère ?
Au contraire chaque matin
on recommence le tintouin,
se torchant même dans l’hygiène,
se préservant des allergènes
usant de l’eau et du papier,
quelquefois y mettant le pied
en espérant qu’un bon salaire,
un coup de piston au derrière
et des avantages sociaux,
indiscutables et moraux,
bonifieront de la retraite
les perspectives moins concrètes.
On a de l’espoir en Enfer
et des regrets du côté chair,
mais l’existence est ainsi faite,
ce n’est pas tous les jours la fête
et nous n’y pouvons rien changer
malgré l’afflux des étrangers
qui furent nos bons indigènes.
Pas de plaisir sans cette gêne.
Tout le monde ne peut pas jouir
des métiers vraiment d’avenir,
comme juge, élu, fonctionnaire
de police ou pour mieux le faire
délateur des guichets publics
ou Sage contrôlant du fric
les destinations ménagères.
Ce n’est pas tous les jours la guerre.
Les résistants, les collabos,
l’existence à deux c’est bien beau,
mais qui sont ces enfants nature
qui finissent dans la culture
avec ou sans les subventions ?
Bâtards du rêve et des passions,
ils défendent plus qu’ils ne créent.
Et le cor sonne à la curée,
chevaux renâclant sous les tours
des vieux châteaux mis au concours.
Chez soi l’Enfer c’est une porte.
Pour profiter, il faut qu’on sorte,
mais pas sans avoir bien chié
dans le trou qui pour ça est fait,
car le trottoir doit rester propre.
Gare aux imprévoyants malpropres !
Sous les fenêtres de l’État,
on est bien payé sur le tas.
La séparation est publique
dans ce genre de république,
et non point comme l’esprit veut
qu’elle sépare d’un cheveu
(un cheveu suffirait à l’aune
de ces impossibles gorgones)
la Justice du Parlement
et le Parlement nettement
de l’État sans sages ni juges,
car le mélange est ignifuge.
Mais au pays des noms en X
la séparation est un mix.
Doux Enfer que la Médecine
entretient dans ses officines
avec l’aval des syndicats
et des partis du laïcat.
Le souffle demeure anxiogène,
mais sur le feu son oxygène,
indispensable carburant
des peuples privés de maman,
entretient devoir de mémoire
pour reconstruire son Histoire.
Quand militaire est l’historien,
la science infuse ne vaut rien.
Or, la France sans militaires
pour perdre savamment les guerres
et cultiver ses monuments,
est au mieux un vague moment
de l’esprit en proie à l’espace.
Le drapeau est une grimace,
non point de sublime douleur,
mais de soulèvement de cœur
que la merde avalée provoque
chez les jeunes comme les vioques,
mais rarement chez les bourgeois.
Il ne manquerait plus qu’un roi
pour parfaire avec sa famille
les entorses de nos chevilles. »
Ainsi Virgile se noyant
fit des bulles en castillan,
comme il faut que je le traduise
si Engeli m’y autorise
ne serait-ce que pour finir
ce chant avant de m’endormir
sur les lauriers de son troisième
qui peut être le pénultième
si le filon, cher Engeli,
se trouve bien dans notre lit.
Nous avons pour notre Franciade
vaincu le courage en ballade.
Nous voici dans l’eau d’un torrent
sous les auspices d’un printemps
qui ne doit rien au ministère.
La concurrence printanière
à l’élastique de son slip
s’accroche mais fini le trip,
autrement dit la chansonnette
et de Char la pauvre charrette,
ses godillots sont à sevrer
sans avoir finement œuvré
dans le cuir de la poésie
et les crampons de l’hérésie.
Tandis que l’eau dans ses poumons
ouvrait un passage aux démons,
Virgile eut encore la force
de dégager son hâve torse
et ses membres tranquillisés
par la mort qui le dégrisait.
Il était bien dans ce cadavre,
songeant que si d’autres s’y navrent
c’est bien sûr avant de mourir,
quand on se prend pour un martyr,
un guignard ou une âme en peine,
citoyenneté souveraine
selon croyances, convictions,
jugements, fruits de la passion,
toute chose qui se mérite,
à quoi l’agonie les invite
pour parfaire l’imperfection
et mesurer la dérision
du contenu de la cassette.
Mais Virgile est mort en poète,
surpris par un bête accident
dont personne, même savant
formé aux ors de la médaille,
ne peut gâcher la retrouvaille.
Il y songeait en finissant
de se noyer dans ce torrent
décidément vif et rapide.
Il croisa plusieurs androïdes
qu’il salua sans dire un mot
car ils avaient l’air de marmots
élevés dans l’hyperespace
de la consommation de masse.
Ils lui rendirent des saluts
fiévreux dont il eût mieux valu
se dispenser dans ces eaux troubles
où l’on finit par y voir double
tant l’ivresse est un fait nouveau.
Il s’arracha un peu la peau
sous un ponton que des fantômes
utilisaient pour pêcher l’homme
avec au bout de l’hameçon
des vieux contes et des chansons.
Il en chantonna quelques-unes,
mais il avait de vraies lacunes
et les refrains ne venaient pas
comme il convient à ces jeux-là.
Il essaya aussi un conte,
mais dès le début il eut honte.
Sur la berge d’autres pêcheurs
appâtaient de tristes nageurs
qui mordaient parce qu’il faut mordre,
ne sachant pas de qui cet ordre
émanait, tyran ou damné,
un fonctionnaire haut placé
ou quelque héritier de passage
comme le veulent nos usages,
ni ce qui pouvait arriver
si au lieu de mordre on rêvait.
Rêver c’est dans notre nature,
mais la mort est une aventure
dont pas un ne peut témoigner,
tellement elle est un secret.
Est-ce la pensée qui limite
ou la limite qui l’imite ?
Virgile voulait y penser,
mais le temps ne voulant passer
(passerait-il que la mémoire
nous en ferait toute une histoire !)
Il eut du mal à mettre en vers
ces premiers pas faits à l’envers,
ou autrement si l’apparence
n’y est plus ce que d’elle on pense.
Il vit le panneau : Achéron,
chercha des yeux le vieux Charon,
mais ne vit qu’une vieille écluse,
pas même l’ombre d’une muse,
ce qui dans le fond l’inquiéta
à ce point qu’il interpréta
au lieu de jouer la fortune
comme elle joue avec nos thunes
quand on veut en avoir bien plus.
Après Dieu il faut que Crésus
soit le deuxième sur la liste.
A ce décret rien ne résiste,
sinon nous n’avons rien compris
et il faut en payer le prix.
Dans le bassin une péniche
se prélassait avec des riches
sur le pont tout nus et bronzés.
Un chien des mieux apprivoisé
se laissait caresser l’échine
par une jolie gourgandine
aux cheveux roux comme le feu.
Une Ève comme on en fait mieux,
tout aussi rouquine que blanche,
comme le rêve qui s’épanche,
baisait la bouche d’un Adam
qui la mordait à pleines dents.
Un troisième homme à deux paluches
applaudissait comme balluche
au spectacle de la Passion.
Virgile reconnut ce fion.
D’Antraxe il était l’apanage !
Il en faisait le même usage,
preuve qui ne peut pas tromper
à moins d’avoir le frein au pied
et le prépuce à la prunelle.
Voilà qui vous met la cervelle
en lieu et place du croupion
et on fait comme à la maison,
un truc en plume entre les miches
et des en cuir où on se fiche
d’avoir l’air con pour une fois.
Virgile enfin comme chez soi
se sent des ailes de poète
et sans que plus rien ne l’arrête
dans la marmite fait des vers.
Maintenant c’est lui le driver
et Elpénor le félicite
d’avoir l’ode si bien écrite
sans s’être cassé tête et cou.
« Allez Virgile ! Bois un coup,
lève ton verre et tes gambettes
pour verser ton sang de poète !
Bois-le cul sec ! Allez tchintchin ! »
chante Jean qui rime avec gin.
« Ben, je crois, dit le capitaine,
que voilà le croque-mitaine !
Que les enfants ferment les yeux !
On va tourner le dos à Dieu
et à René rendre le doute.
Machine à fond ! En avant toute ! »
Mais qui est ce nouvel Achab
qui embarque caves et dabs
pour une approche du voyage
qui promet plus que l’avantage
et les faveurs de la fonction ?
Virgile premier sur le pont
reconnaît ce visage glabre
que le feu de l’Enfer délabre
mais qui demeure ce qu’il est.
C’est Verju, ton vieux frère aîné,
fan de caca, aimable pitre
comme chiure sur la vitre,
mort en Enfer et tel qu’il est
vivant des flammes de Dité.
« Charon a choppé une grippe,
explique-t-il à cette équipe.
Un truc d’enfer qui le retient
dans son lit du soir au matin.
Alors, voilà, je le remplace…
mais si vous faites la grimace,
je vous supprime le plaisir
qu’on éprouve en faisant souffrir ! »
« On ne chante que si ça chante.
Dans ce pays de sycophantes
il est de bon ton de chanter.
Autant savoir comment rimer.
Le spectacle est dans les nuages
et la critique après l’orage.
J’en ai connu, cher Engeli,
de quoi mouiller les draps du lit
sans que moine n’efface traces.
On dit même qu’on s’y prélasse,
qu’on soit seul ou partant plusieurs
à en apprécier la chaleur,
et que si l’anus de l’idée
ouvre la porte à l’empyrée,
on est sûr au moins d’y gagner,
sinon la croix du résigné,
une pension que vite on flambe.
C’est au cou qu’on porte ses jambes
et entre la langue ressort
chaque fois qu’on lui fait un sort.
La poésie soigne malades
et si malgré maintes cagades
il en est encor qu’on dément,
la faute en est au firmament
qui d’un côté comme de l’autre
produit la science et ses apôtres,
lesquels il faut bien consommer
car acheter c’est travailler.
Les sous qu’on gagne se dépensent
car ils sont bonne récompense
de celui qui les donne à tous.
Sinon ce ne sont plus des sous.
Les voir ne suffit à personne.
Et qui d’ailleurs les abandonne
à celui qui ne sait pas voir ?
Tout le monde veut les avoir.
Et plus on en a plus on gagne.
On en fait même des montagnes
qu’on met en bourse au ceinturon
que d’autres serrent sans les ronds.
C’est le voisin qui collabore
tandis qu’ici on élabore
le futur des enfants conçus
non point dessous mais par-dessus.
Le civil a ses préférences
et le pénal ici compense
les défauts qu’à nos clercs on doit,
car ce sont eux qui font les choix
alors que l’ignorant hésite,
ne sachant point où il habite,
la Poésie n’ayant de lieu
que ce qu’on peut faire de mieux
pour avoir l’air d’être poète.
Et dans la rue on fait la fête.
On remplace les colonels
aux blancs chevaux de sol charnel
dont Bardamu paie la facture
par un singe de préfecture
qui fait des vers à temps perdu
sans cotiser au chômedu.
Car le poète s’il n’enseigne
science et morale de ce règne
n’est pas plus poète que pet
qu’à ce jeu on veut attraper
comme le pompon au manège.
Et musicaux sont tous ces sièges
car il faut songer au budget,
en même temps avantager
ce que la raison recommande
sous peine de fortes amendes
dont le moindre prix se vend cher.
Ainsi la vie s’est faite chair
à l’image de son église.
Le discernement est de mise.
Les poètes portent des croix
pour situer ce que leur voix
ne veut rien dire qu’on écoute.
C’est compliqué d’autant qu’on doute.
On achète de fins livrets
dont le libraire délivré
nous fait savoir qu’on a la chance
de le trouver en résidence.
On feuillette et le ton y est.
On est content d’avoir bien fait.
Et on rencontre des poètes
qui savent comment l’âme est faite
et pourquoi l’esprit s’y soumet.
Et peut-être que l’on s’y met
soi-même aussi à cette tâche
dont l’accent est de trop, qu’on sache !
Et que je te griffonne un vers,
et que de deux je me ressers,
et de trois j’en fais même quatre,
ce qui fait de moi un théâtre
et de ce théâtre un en-soi.
Encore un peu, on est des rois !
Et bien sot celui qui l’y laisse,
car les chiens que l’on tient en laisse
font caca à l’endroit qu’on veut,
ce qui se ramasse bien mieux
que d’autres qui n’ont point d’aisance.
Ah ! Vive la polyvalence
de nos salles de réunions !
On y prend quelquefois des gnons,
mais qui un jour ne les mérite ?
On tend la main dans les guérites
et sur les comptoirs des bureaux.
Les principes électoraux
donnent de la voix au poète.
Et de ces wagons qu’on affrète
avec les sous des indigents
on fait des trains avec des gens
qui secouent leurs mouchoirs de poche
comme des acteurs au cinoche.
Et bringuebale la loco
sur les rails des impôts locaux.
Ah ! Ce que j’en ai de la chance
d’être ailleurs que là où je pense !
La Poésie avec des mots
c’est plus facile que l’auto.
Et c’est permis à tout le monde.
Ça se comprend si on abonde.
Tout le monde n’a pas d’auto.
On se fait coiffer au poteau
si l’usage de la pédale
est en dessous des minimales.
Renseignez-moi si j’ai tout faux.
La Poésie a des défauts,
mais quand j’en fais je m’améliore.
Je ne dis pas, je corrobore.
J’accepterais même un procès
pour qu’on me crève cet abcès.
Peu importe que le spectacle
ait lieu dans la cour des miracles
ou dans le jardin des désirs.
Je m’en remets à vos soupirs.
J’invente le soupiromètre.
Et je sais me la faire mettre !
Vous pensez si j’ai la notion
du temps qu’il fait dans la fonction !
Des berges que je m’alimente !
Et je suis vert comme la mante
qui ne change pas de couleur
comme ça au petit bonheur.
Je fais même la marionnette,
la petite et la grosse tête.
Avec des mains et de bons fils
on a de suite le profil.
Je lève la patte en mesure,
et du petit bout je m’assure.
Servir c’est bien mais le larbin
a besoin de son jacobin,
sinon je grève sur le zèle.
Pour ça on me rogne les ailes
et je vole sur mes deux pieds.
Mais non point comme l’estropié
qui tricote après ses prothèses !
Sur la route je suis à l’aise.
J’ai l’air d’un bourgeois et je suis
plus regardant sur l’usufruit.
Ah ! On en entend de bien belles
sur le terrain des ritournelles !
— En Angleterre c’est pareil !
On a beau mettre le réveil,
on fait la grasse matinée.
Je ne dis rien sur la soirée.
Le vers n’est plus ce qu’il était.
On ne sait plus comment on fait.
On veut travailler sans rien faire
comme des bibliothécaires,
mais le vers n’est plus dans le fruit
ou il est crevé dans l’ennui.
La poésie est à la masse
ce que la peau est à la race.
On n’en voit jamais la couleur
et pourtant ils ont bien la leur !
J’écris moi aussi des poèmes,
des tranches de vie comme on aime
et des beurrés des deux côtés.
C’est ce qu’il faut pour exister
comme on a envie de la mettre.
De la métrique on est des maîtres
et le sens n’a pas de secret
qu’à la fin on ne peut percer.
On a fait de longues études,
comme grandeur et servitude,
et je ne cite que ces lois
car on ennuie vite les rois
si on dit tout ce qui nous mine.
Car au fond on a bonne mine
et le charbon que l’on extrait
n’est pas fait pour les illettrés.
On se chauffe à de meilleurs poêles,
et peut-être sous des étoiles,
mais celui-ci on l’a construit
avec la terre de la nuit,
qui est le rêve, et ses trouvailles,
autre chose que boustifaille
dont nos prolos et ronds de cuir,
pour satisfaire les désirs
de l’employeur qui s’en retape,
font le menu de leurs agapes
au détriment de la Nation.
On philosophe sans passion,
on instrumente sans épreuves
et personne qui s’en émeuve
que ce que nous sommes pour eux !
Des bons à rien, des malheureux
qui prennent pain pour existence
et existence pour pitance !
Alors que nous avons le vers !
Même qu’on y voit à travers
tellement il est fait pour lire.
Et doux comme du cachemire.
Dites-le comme je l’écris
et ne me parlez pas du prix
qu’il a coûté à ma famille !
De quoi me payer les guenilles
que vous me voyez porter là.
Mais je devrais dire au-delà… »
Ce court dialogue voulait rompre
non point des bâtons à corrompre
par les moyens de l’intérêt
qu’on a si on veut en parler
sans passer pour réactionnaire,
ou pire pour un fonctionnaire
qui tue le temps faute de temps
et le paye plus que souvent,
mais plutôt la monotonie
d’un voyage sans avanie
depuis qu’on ne se noyait plus
dans le canal que le Verju
venait d’aborder par sa berge,
arrivant comme l’on émerge
…navire peut-être oublié
depuis que le temps a passé…
d’un monde certes limitrophe
qu’on ne franchit pas sans étoffe.
Et Virgile qui était nu
et de ce signe dépourvu,
se mit à trembler pour le dire
afin qu’on sût que ce navire
ne l’avait point ici porté,
mais que fuyant l’adversité
il était tombé dans cette onde
sans intention de voir du monde.
Il était bien sûr très heureux
d’avoir l’occasion devant Dieu
d’embrasser un mort de famille.
Verju reçut sur ses deux quilles
mille baisers tout enflammés
comme si on s’était aimé !
« Mais enfin, dit-il à son frère
qui se traînait dans la poussière,
tu es mort et tu dois venir.
Tu n’auras pas d’autre avenir.
Ce qui est fait, pour le défaire,
il faudrait en tout le refaire,
ce qui ici n’est point donné
comme tu veux l’imaginer.
Nous ne sommes point un principe,
mais tout au plus un archétype
dont la poubelle est le destin.
S’il fallait du soir au matin
travailler pour que l’existence
ne trouve pas dans l’indigence
des raisons d’en finir avec,
et si la nuit, fort de bifteck,
on aidait la démographie
tant par plaisir qui tonifie
que par devoir dû au drapeau,
une fois mort, c’est à propos,
en bien, en mal, ou autre chose,
ça dépend avec qui on cause.
— Mais enfin mon petit frérot !
hurle Virgile dans le pot
où il crache la note due,
ma cause n’est donc pas perdue !
On a beau être plus que mort
on n’en est pas moins dans l’effort !
Je défendrai ma poésie
tant que mon âme dessaisie
ne sera point par jugement
de je ne sais quel instrument
dont tu prétends jouer le manche.
Quand la conversation est franche,
on est heureux d’avoir raison.
Emmène-moi dans ta maison.
J’ai tant besoin d’un petit verre
que mon esprit se désespère
de n’en avoir pas sous la main.
N’attendons pas jusqu’à demain !
Je suis si sûr de ma défense
que je regarde à la dépense. »
Il sautillait de joie et tout
et il en mettait trop partout,
tellement que Verju très pâle
eût une colère infernale,
comme on en a quand la moitié
s’ajoute encore à l’unité
malgré les leçons de l’absence.
« Ah ! Tu oublies qu’on est en France,
dit-il dans ses dents de devant.
L’égalité, c’est décevant
quand on fait de la poésie
au lieu d’étudier l’aphasie
pour en faire plus qu’un métier.
Les poètes c’est des rentiers
et bien souvent des ploutocrates
qui achètent comme on se gratte
ce qui au peuple fait du bien.
C’est sûr, tu as de gros moyens,
les moyens de ton truc en plumes
pour multiplier les volumes.
On ne peut rien te refuser
surtout si tu veux t’amuser
avec la femme de ton frère !
Et par-devant et par derrière,
ça fait deux pour le même prix.
C’est peu payer si j’ai compris
le sens qu’il faut donner en France
à la moindre de mes absences.
Mais ici tu n’écriras plus,
rien sur les dessous ni dessus.
Tu recevras de la visite
si jamais l’esprit t’y invite.
Je veux douter de l’avatar
d’une comédie en retard
de plusieurs siècles d’espérance.
Béa n’est jamais en avance.
Tu attendras avec Satan,
car n’est pas venu le bon temps
d’embarquer jusqu’à la frontière
en compagnie d’un condottiere
dont la Renaissance est le nid.
Tu n’iras pas au Paradis !
Et il faudra que tu travailles
avec sur le dos des écailles
et une queue dedans le cul,
avec au bout un truc pointu
qui des fois sur toi se retourne
comme tu fais quand tu enfournes
ceux qui sont morts parce qu’ils sont.
Je peux te faire la leçon,
j’en ai des pages et des pages
et gratuites selon l’usage,
par esprit de fraternité
si tu veux encore exister
à défaut de vivre la vie
qui ne fait pas la poésie.
— Mais enfin si je n’ai rien fait
qui mérite ce qu’on me fait !
J’irai revoir ma Béatrice !
Ce sera en toute justice.
Le poète qui vient ici
mérite mieux que ce sursis.
Je resterai sur la péniche
pour prouver de quoi je suis chiche.
Tes morts qui pourtant sont bien nés,
je ne veux pas les enfourner
ni qu’on m’enfourne avec la race
à qui je dois cette disgrâce !
On verra bien qui le plus fort
de toi ou de moi dans l’effort
sera celui qui capitule !
— Si tu n’enfournes pas tu brûles !
Et si tu brûles c’est fini.
Pas une trace qui survit.
Tu en perds même la syntaxe.
Je veux bien que tu te relaxes,
en attendant de t’accepter
tel que tu es et as été.
Une heure au plus et on se casse.
Charon est dur si on dépasse.
J’en ai vu des plus forts que moi
fondre en larmes devant ce roi
tant il invente le supplice
à la place de la justice
qui veut qu’on vive malgré tout.
J’en ai vu qui deviennent fous,
à tel point qu’on dirait des bêtes,
et sans permission ils se jettent
dans cet effroyable volcan
qui est selon moi le néant.
Je n’en vois pas d’autres empreintes.
Ma curiosité n’est pas feinte.
Charon veut que tu saches tout,
autant que lui, de bout en bout
les fragments de ce court voyage
dont l’éternité est en gage
tant que tu enfournes les voix,
celles de ce qui n’est pas toi,
celles des fous qui le deviennent
et celle qui, peut-être sienne,
veut que tu retournes là-bas
alors que tu ne le peux pas.
Ainsi s’achève ton enquête.
Il faudra un bien grand poète
pour te permettre de jeter
un œil sur ce qui a été
et qui sera sur cette terre.
Peut-être le propriétaire…
mais même Charon n’en sait rien.
Et j’enfourne tout ce qui vient,
les morts, les vivants, les esthètes,
les moralistes trouble-fête,
les pédagogues, les savants,
et tout ce qu’on se met devant
en attendant d’être derrière.
Imite-moi, mon petit frère,
enfourne et ferme ton caquet.
Pousse à la fourche les paquets
sans te soucier de leur nature.
Ici commence l’aventure
de l’éternel et du fini,
après la vie, sans infini,
et presque mort sinon esclave
du désir comme un rat de cave
rêve d’égouts sous la cité.
Moralité ! Moralité !
Rien ni personne ne domine
ce Monde qui pourtant s’anime. »
Ici, Verju frotte son œil
avec sa patte que le deuil
d’un noir de velours enrubanne.
Et sa queue par-dessus son crâne
fait signe qu’on est en retard.
« Ne joue pas avec le hasard,
conseille-t-il au petit frère
qui veut un billet de première
avec en plus aller-retour.
Quand nous serons devant les fours,
enfourne le cri, le silence
ou quoique ce soit qui avance
sans que rien ne puisse arrêter
le sens qu’a pris l’éternité,
entre la vie et son contraire,
à fleur de ciel, à ras de terre.
Va dans ce sens, fais la mata !
Va droit devant et ferme-la ! »
Virgile hoche sa binette,
mais pas un vers qui s’y arrête
pour attendre son compagnon,
comme il en est quand la chanson
vient de trouver sa dominante.
Il compte huit et il arpente
le vieux pont qui craque dessous.
En même temps il fait pissou
et son moignon ainsi s’agite
à l’endroit qu’hier une bite
ornait d’une belle érection.
Il a encore des questions
à poser avant de s’y faire.
Mais l’impatience de son frère
le prive de sagacité.
On ne fait rien sans se citer.
Il n’a rien sur lui, pas un livre,
pas un carnet pour lui survivre
et s’opposer à cette mort
dont il connaît le croquemort,
si c’est ainsi qu’on assassine
dans les pires des magazines.
Il voudrait rager mais ne peut,
car à dire c’est malheureux
il entretient comme une joie,
signe que l’esprit lui envoie
tant il est curieux de savoir
ce qui ce passe après le soir,
dans cette nuit privée de rêve
depuis que la mort y prélève
les conditions de son futur.
Encor qu’il n’en soit pas bien sûr…
quand il se tâte, il sent des choses
dont les effets ont une cause.
Sur le roof Jean et sa maman
semblent sourire à ses tourments.
Sont-ce des diablesses ces femmes
ou ont-elles rendu leur âme
comme il arrive aux morts-vivants
que nous étions dans cet avant,
ce temps que l’histoire fragmente
et qui voué à la brocante
n’aura plus valeur de passé ?
Il a envie de les fesser,
ces persistantes survivances,
pour les punir de leur enfance,
mais elles sourient doucement
sans dire pourquoi, ni comment.
Antraxe aux anges se masturbe
sans que l’endroit ne le perturbe.
La langue passe sur les dents
comme qui cherche l’accident
qui mettra au bout une rime
ou produira un vers didyme.
Il râle un peu mais sans passion.
Le plaisir sans dépossession
ressemble à une maladie
dont il connaît la mélodie.
Et il salive dans la main
tandis que gonfle son boudin.
L’Anglais hilare lève un verre
et en répand un peu par terre
et sur le gras de son index
pour en enduire son apex.
Cristobal se lèche les pattes,
lorgnant d’un œil discret les chattes
qui lui caressent le bidon.
Virgile se gratte le front
en observant ce que la scène
offre à sa vision incertaine.
« Seraient-ce là mes compagnons ?
dit-il en palpant son moignon.
On ne choisit pas ses complices.
La vie impose qu’on agisse,
perdant ainsi un temps précieux
quand le savoir eût trouvé mieux
à faire pour mourir moins bête.
C’est ainsi qu’on devient poète,
et le voyage est un recueil
à feuilleter dans un fauteuil,
petite pluie des anecdotes
et des saillies dont on se dote
pour se distinguer du savant
et de son frère l’ignorant.
Le poète est le troisième homme,
celui qui rêve qu’on le nomme,
femme ou enfant selon le cas,
triste ou folâtre reliquat
des chansons devenues poèmes,
des contes poussés à l’extrême
pour en faire de bons romans
qu’on lit pour passer un moment,
et pourquoi pas des analectes
qu’il reconstruit en architecte.
On se tue parce qu’on agit
et on meurt d’avoir trop appris.
Le poète est la maison même
qu’il a construite sans graphème,
n’y habitant que pour dormir
et n’en sortant que par plaisir.
Je laisserai la porte ouverte
et des fruits mûrs sur la desserte,
car tu viendras dans mon jardin,
chaque soir et chaque matin,
cueillant les fruits que j’abandonne
à l’œil expert qui les griffonne.
Je sais bien que tu seras là
après chacun de mes repas
pour goûter encore et encore,
toi le père des métaphores,
à mes nymphes, à mes jouets,
selon que je sais qui tu es,
oracle en forme de prouesse,
joie facile d’une promesse,
ou que je ne t’ai jamais vu.
Je préfère cet inconnu,
mais hélas avec l’expérience
ce n’est plus la divine chance
qu’on tente quand on veut parler
pour ne rien dire et s’en aller.
Faut-il qu’ici tout recommence ?
Lit conjugal, jardin d’enfance,
mot sans racine pour jouer
et jeux fatigués d’amuser ?
Le savant sait que sans langage
la perfection est à la page.
C’est le vice qui nous rend beaux,
peut-être au-delà du tombeau.
Le langage n’est pas malade.
Il est parfait pour la parade.
Voilà ce qu’il faut s’injecter.
On ne jouit pas de la santé.
Si on l’a il faut qu’on travaille
en dessous de la valetaille !
Soyons malades à crever !
— Voyons, mon frère, à ton chevet
tu convoques la maladie !
Voilà comment tu étudies,
les coudes sur la table joints,
la langue dans le baratin
et les pieds dans un pot de chambre !
Tu en trembles de tous tes membres !
Je ne sais rien mais je sais tout,
car je suis mort, je suis partout.
Ne sont-ce point les personnages
que tu embarques sans langage
pour un voyage sans retour ?
Tu pensais avoir fait le tour
de l’inconstant et du possible,
et même avoir de l’invisible
une idée pas piquée des vers
(en voilà un drôle de vers !)
Mais te voilà mort et cadavre,
et pas seul dans ce triste havre,
car tu retrouves ton frérot,
pas vraiment fier d’être un suppôt
mais pas mécontent de l’occase,
avec en prime par oukase
des personnages en papier
qu’on a le droit de peloter
avant de voir à quoi ils servent.
C’est ça le bonheur en conserve !
De quoi te plains-tu maintenant
que c’est fini pour le moment ?
Tu veux versifier, versifie.
Tu veux tout dire, momifie.
Mais entretemps, mon Engeli,
enfourne que ça désemplit !
Vivant ou mort, c’est de la cendre.
Alors que si tu veux descendre,
on a l’échelle et les paliers.
Et plus tard même un escalier,
avec bien cirée une rampe
et des marches dessous la lampe.
Ah ! Un fameux colimaçon,
à rendre jaloux un maçon.
De l’acier conçu dans la fonte
qui supporte les mastodontes
aussi bien que les tout petits.
On ne reste pas apprenti
tant c’est facile de s’y faire.
Certes question de l’atmosphère
on a souvent la langue à sec
et rien pour se mouiller le bec.
Au début on le fait en rêve.
Mais l’affection est toujours brève.
Point de langage pour virus.
Sur ce on a le consensus.
On peut parler sans les papilles.
Et sans salive à la cédille.
Tu parleras de l’estomac
ou de l’anus comme Thomas
qui croyait s’il avait des vues.
Avec les mains, pas de bévues !
Sur la scène on voit tout le corps,
entre les membres les raccords
et sous la chemise les formes.
Il n’en faut pas plus à la norme
en usage dans cet enfer
qui est théâtre de la chair
pour vérifier que Dieu existe.
On dirait même qu’il insiste.
L’ancien qui a tenu le coup
et enfourne sans savoir où
te le dira si tu écoutes.
Et si jamais tu as un doute,
mets le doigt sur la porte en fer
pour mesurer ce que la chair
connaît de toi, suppôt du Diable.
C’est ainsi qu’on se met à table
quand on est mort d’être vivant.
Soit on fait partie des croyants,
soit on peut se faire comprendre.
Dieu met le feu où il peut prendre.
Existerait-il sans le feu ?
Ici nous n’avons rien de mieux.
Pas d’air, pas d’eau et pas de terre.
Et un double propriétaire
qui est tout un si Dieu le veut
et si le Diable encor le peut.
Point d’action ni de connaissance
dans cette chaude résidence.
J’ai appris ça en enfournant,
des morts, des vrais et des vivants.
On s’habitue à aller vite
sans se soucier de l’acolyte
qui prend feu parce qu’il a soif.
Pas de gréviste dans le staff !
La crémation est une usine
et l’ouvrier s’y abomine
sans toutefois, sauf exception,
se foutre au feu par déception.
Je préviens pour être tranquille,
car tu m’as l’air plus que fragile
du côté de la soumission.
J’oublie que je suis en mission…
prends sous le bras tes personnages
et laisse-moi, de ces parages,
te présenter — non point le temps
qui n’a pas ici d’instruments
pour nous inventer l’existence —
les critères de ton audience,
autrement dit les spectateurs
dont la plupart sont des auteurs,
comme je vois que tu t’en doutes.
On enlève et on en rajoute,
comme dit ce bon vieux Charon
qui n’est pas aussi fanfaron
que je le suis quand je divague.
Rassure-toi, c’est une blague ! »
Parole qui, comme il s’assoit,
laisse Virgile un peu pantois :
« Ainsi ce sont des personnages…
les maladies de mon langage
ou le langage de mon mal,
si j’en crois l’usage local.
Pourtant, frérot, je suis perplexe,
car ce chien qu’on voit sans complexe,
qui n’en finit pas de branler
sa grosse queue de feu-follet,
j’en ai subi tous les outrages
comme en témoigne mon châtrage.
— Veux-tu te venger, petit fou !
Ce n’est point là ton loup-garou !
Tu as bien perdu ta zézette
dans des circonstances très bêtes,
mais ce chienchien n’y est pour rien !
Ni ce voluptueux vaurien
qui fait au chien toutes ces choses.
Se peut-il qu’une telle cause
échappe ainsi au souvenir
qui t’a condamné au désir
sans la moindre de ses jouissances ? »
A ces mots Antraxe s’avance,
laissant tomber le beau morceau
que ces deux dames trouvent beau.
Cristobal lui lèche les fesses,
car l’animal est sans confesse
depuis que Jésus est son fils
et Mahomet son habilis.
Virgile d’un pas se recule,
car il ne veut point qu’on l’encule
et il le dit posant la main
sur l’épaule de son frangin.
Antraxe affiche un beau sourire
dont les dames toisent l’empire.
« Messieurs, je suis dans l’embarras,
dit-il en levant ses deux bras.
Je ne suis point un personnage.
En tout cas point de cet ouvrage.
Mon auteur a nom Engeli,
non pas Virgile comme dit
ce mort doué de la parole
pour jouer je ne sais quel rôle
ou en écrire a capella
à sa mesure et sur le tas.
Vous me voyez là sans malice
réclamer le peu de justice
qu’on doit sans faute à nos erreurs,
et vous en commettez d’ailleurs
à mon égard une fort drôle.
Je veux bien perdre le contrôle
de mes actes par pur plaisir,
mais avouez que sans désir
la liste en est longue et joyeuse,
car je sais ce qui rend heureuse
et en possède le moteur…
on est victime et non acteur.
Or, je ne veux point pour moi-même
qu’on me mette dans un poème
alors que je sors d’un roman !
C’est d’ailleurs en le consommant
que j’ai rencontré ce poète.
Je ne sais si furent discrètes
nos raisons de se rencontrer,
ah ! Mais oncques je n’ai fauté
à l’égard de sa zigounette !
Je confesse avoir fait trempette
dans les saveurs de son rectum,
mais jamais de cet erratum
je n’ai été l’auteur infâme !
Je crois bien que nous rallumâmes
le brasier qui s’était éteint.
Monsieur en sera le témoin
si le poète a la mémoire
plus fidèle que les histoires
dont il prétend causer ma mort.
Je n’ai pas fait tous ces efforts
pour entendre tout le contraire !
Quand je sais faire je sais faire !
Je sais de quoi je suis l’auteur.
Je ne sais même pas d’ailleurs
comment Monsieur l’a égarée
ni pourquoi on l’a débitée.
Mais peut-il en être autrement
puisque de ce triste moment
je ne suis témoin ni artiste ?
Si j’exerce comme flûtiste
je mordille mais ne mords point.
J’ai du respect pour le conjoint
et même pour ce qu’il endigue.
Du goût j’en ai pour les intrigues,
mais pas au point de couper ça !
On me voit déjà en forçat
au service de ce poète
qui fera de moi une arpette
pendant que Monsieur au salon
empochera les biffetons
et les hochets de ses ministres.
Ah ! Vous parlez d’un gros sinistre !
Un vivant au pays des morts
et rien pour mettre sur le corps
pour éviter les érythèmes !
Et Monsieur écrit des poèmes !
Des vrais en vers et pas en toc,
avec des rimes plein le stock.
Mais dessous Monsieur sans rien dire
met les moyens pour me maudire !
Je préviens, je suis hors de moi.
Je dirai tout devant la Loi
et je vais faire du grabuge.
Si Dieu existe, qu’on me juge ! »
Là-dessus il croisa ses bras
et d’un coup de rein se cabra,
le menton en l’air et l’œil torve,
avec au nez un peu de morve
qu’il déposa sur le dessus
de son poignet ainsi conçu.
D’un geste précis sur sa joue
le palmipède de Mantoue
frotta ses pores sébacés.
Verju était embarrassé.
Il avait amené des chaînes
et pensant secouait les siennes.
Les autres patients attendaient
qu’il décidât qui embarquer
et qui renvoyer sans espèce
à ses foyers ou à confesse
selon la nature du cas.
Virgile causait du tracas
depuis toujours à ses grands frères.
Jadis un pied dans le derrière
résolvait toutes ces questions.
Mais proche de la combustion
on est moins pressé de proscrire,
d’autant que Charon a vu pire.
Des fois il se laisse tenter
et il se met à raconter
des choses bien plus compliquées,
amphigouriques et calées,
à ce point qu’on peut hésiter
à foutre au feu des cas sujets
à caution ou à autre chose.
Pourtant il faut que l’on s’impose,
sinon on est pris au sérieux
et il faut en parler à Dieu
qui se plaindra d’une débauche
de dossiers tous plus ou moins moches.
Autant pisser dans un violon !
« La règle veut, dit le patron,
que l’innocent n’a pas de chance.
Profitez-en sans complaisance
et brûlez ce qui peut brûler.
On est là pour affabuler
en attendant que la lumière
de savants calculs nous éclaire
sans rien laisser dans la fonction
qui n’ait sa juste solution.
En ce sens l’erreur est humaine.
Allons, les amis ! Tous en scène !...
Ainsi parle notre Charon,
dans un souffle, sans un juron,
dit enfin Verju à ses ouailles.
Tout le monde en piste, on travaille !
En file indienne, s’il vous plaît !
De ce côté, tous les Anglais,
ici Virgile et là Antraxe
avec un chien dans la syntaxe.
— Mais enfin, monsieur le suppôt !
crie Antraxe hors de propos.
Je vais griller avant la ligne !
On a connu des morts plus dignes !
C’est un meurtre au premier degré.
Et pas moyen de s’échapper !
Ce maudit chien retient mes fesses !
Veuillez avoir la gentillesse
de rappeler votre Médor
qui se prend pour un matador.
Qu’on me tue en toute injustice
sans que Madame s’attendrisse,
je m’y résous, mais par pitié
sans un chien collé au fessier !
— Je n’en suis pas propriétaire !
s’écrie Verju battant la terre
où l’herbe croît dans la chaleur.
Appartient-il à des haleurs
qui à cette heure se reposent ?
A l’éclusier et à ses gloses
qui ennuient même ses enfants ?
Au pilote qui s’en défend ?
A la belle qui fait des signes ?
A Mantoue et à ses grands cygnes ?
Aux profondeurs de ce canal
ou au domaine national ?
Ah ! Ça en fait des hypothèses !
Et même par-dessus des thèses !
D’impeccables dissertations
avec de belles conclusions
qui cherchent beaucoup mais ne trouvent !
Que voulez-vous que j’en approuve ?
Il est à vous ou pas à vous ?
— Ah ! Je m’en souviens tout à coup !
Il est à Dédé, mon vieux pote,
que je connais vu qu’on fricote
depuis que ça doit faire un an.
S’il n’y a pas d’inconvénient,
je reviens sans vous faire attendre,
le temps pour lui de bien comprendre
que je n’ai pas tué son chien.
Je crois qu’il le comprendra bien.
Dédé n’est pas un as en sciences,
mais il arrive qu’il y pense
et quand il trouve il est gaillard !
Ah ! Je vais me mettre en retard
et vous faire perdre patience.
Ce serait trop, j’en ai conscience.
Je prends les jambes à mon cou
et je reviens si je suis fou.
Donnez-moi une de ces chaînes
pour le tenir sûr et sans peine. »
Tout cela dit sans rien bouger,
car Cristobal est bien fixé.
On peut même dire qu’il grogne,
car on comprend ce que sa trogne
veut exprimer de son devoir.
« Il faut le croire pour le voir,
dit Verju en penchant la tête
du côté où il est moins bête.
Vous avez mis les pieds ici
pour me faire de gros soucis.
Je me fiche de vos problèmes,
de ce que ça fait en poème !
— Mais je ne me suis pas noyé !
Ce monsieur anglais m’a sauvé.
Sans lui en effet j’étais nase
et en trois mots dans une phrase
il vous le dira en français :
veuillez ici vous reposer !
— Ça fait quatre si bien je compte…
mais peut-être que je suis comte,
pour la rime dit poliment.
On a perdu assez de temps !
En route pour le crématoire !
Et je ne veux pas une histoire !
Ni une ni deux, en avant !
Le premier et tous les suivants !
On a le cœur dans les entrailles
et la pensée dans la bataille ! »
Et voilà Antraxe à genoux,
pris d’une crise de bagout.
Il sort sa langue à ras de terre
et fait des ronds dans la poussière.
« Je ne veux pas ! Même en payant !
L’Enfer c’est pas pour les vivants !
Pourquoi c’est moi qu’on assassine
alors que j’ai très bonne mine ?
Je peux encore m’en servir
et pour votre plus grand plaisir !
Au secours, Dédé ! On me viole !
Cette fois j’ai le mauvais rôle !
Confession ! Vite un aliment
spirituel pour le tourment
que vous causez par ignorance.
On a le droit à l’innocence !
Débarrassez-moi de ce chien
et même ne faites plus rien ! »
Mais Cristobal a la dent dure
et si pointue que l’aventure
s’achève par l’arrachement,
suivie de l’acheminement
en une scène retirée
d’une des fesses sans la raie
ni l’anus qui se sentant nu
produit un son inattendu.
Et tout le plateau s’en esclaffe.
Le rideau étant en carafe,
nous voici témoins obligés
et même contraints de péter
à notre tour depuis l’orchestre
tandis que les extraterrestres
des balcons et du poulailler
secouent selon qu’on a payé
des éventails en coquillages
avec la mer et ses parages,
ou des pattes aux ongles noirs
de crasse et de truc pour s’asseoir.
Je l’ai dit, on est au théâtre.
Certains sont venus pour se battre,
d’autres pour être bien battus
car les tapis sont très têtus.
Nous aimons les uns et les autres
car les billets, ce sont les nôtres !
Aussi on va continuer
le deuxième acte sans lever
ce rideau qui est dans les cintres
comme au bout du sillon le chaintre.
« Je ne suis pas un policier.
Je me contente d’observer.
Quant à juger, je me défausse,
laissant ce soin aux gâte-sauce.
La poésie n’en manque pas,
de l’employé à ses bourgeois,
des syndiqués par pur entrisme,
des professeurs par carriérisme,
des curieux pour être curieux,
des indifférents faisant mieux,
une flopée d’autoritaires
pour aplatir les réfractaires
et même de bons gros ratés
qui au bureau font des pâtés
et même des traces de mouches.
Le reste est assis sur la touche
et se prend quelquefois le nez
dans le ballon qui vient buter.
C’est le lecteur qui prend des risques,
et l’auteur qui raye le disque.
N’inversons pas le processus
pour excuser nos asinus
de porter mal leurs deux oreilles
entre le lit et ses merveilles.
Mais le rideau n’est pas tombé.
Il aurait dû, cet enfoiré !
Ça nous complique l’exercice
qu’on eût aimé sans les supplices
que l’esprit inflige à nos corps
lors des changements de décor.
Nous ferons avec ces disgrâces,
usant peut-être de l’audace
que les mots d’ailleurs en passant
ne redoutent pas cependant.
On en connaît tous les usages.
Vous pensez bien que le courage
aplomb ou zèle, c’est selon,
n’habite pas dans le sillon
de la langue qu’on sacrifie
par esprit de géographie
ou d’histoire si on en vient.
Quant à savoir ce qui convient
de l’arrière ou de l’avant-garde,
on est fort si on s’y hasarde,
car l’exercice n’est qu’un jeu
qu’on peut jouer sans les aïeux,
lesquels depuis belle lurette
ne pensent plus être poètes.
Ni courage, ni invention
dans le domaine de l’action
n’ont amélioré l’existence,
sauf à soulager la souffrance
comme prière et contrition
avec la classique passion
qui se donne comme mammaire
alors qu’elle est tout le contraire.
Au fond l’audace est un pamphlet
qui lamine le camouflet
à l’épaisseur de son injure.
Et voilà toute l’aventure.
Au lieu de tuer elle prend
la liberté d’un bon moment
passé à soigner la métrique.
Car elle est mesure et supplique
pourvu qu’elle atteigne son but.
Ce sont les mots de la tribu
élevés au rang d’homicides.
Il va falloir qu’on se déride
avant d’entrer au tribunal
pour encore se faire mal ! »
Ainsi parla Antraxe aux autres.
« Je crois bien que tu es des nôtres,
fit Verju prenant son bâton
pour conduire mon peloton
dans les entrailles de la terre
où tout homme peut se défaire
de ce qu’il est et a été,
sachant qu’il ne sera jamais
et que s’il a laissé sa trace
ce sera comme une carcasse…
ou bien prendre à deux mains l’outil
et enfourner ces abrutis,
ces suicidaires du poème,
ces sacrifiés sans stratagèmes
qui ne comprennent pas le temps
comme moi, Verju, le comprend !
Allez, hop ! Tout le monde en piste !
— On a beau être réaliste,
comme on vient dans les premiers chants
de le montrer en embouchant
la trompette des faits obscènes
et la pompe politicienne
qui répond à d’autres fictions,
on voit bien qu’au bout de l’action
la réalité perd sa place
pour la céder à la grimace,
aux simagrées, aux convulsions
du genre dit fabulation
où l’invention est une science
et l’action une circonstance.
S’agit-il, mon cher Engeli,
d’en rester à l’inaccompli,
quitte à se pourvoir de besicles
dans l’attente d’un autre cycle,
autrement dit, comme au journal,
de ne point franchir le canal
et de voir s’éloigner la bande
de nos chiens avant qu’ils descendent
encore plus bas dans le feu
qui a pris dans nos buissonneux
essais d’égaler l’architecte
qui eut l’idée, au moins suspecte,
de bâtir sans rien expliquer
de l’emploi des commodités.
Car chaque fois que le poème
prétend s’extraire de lui-même
sous prétexte que tous ses chiens
quittent l’espace faubourien
pour des lieux encore improbables,
il prend le risque de la fable,
de ses possibles animaux
et des pays que par défaut
ils habitent non point pour vivre,
mais pour nous dire de les suivre
sur le chemin de l’édifiant,
du respectable et du décent,
autrement dit de la morale.
On veut bien être la cigale
en attendant d’être fourmi,
et même aller au paradis
dans la meilleure compagnie,
inventer la géographie
de la nature et de l’humain
où l’homme est de première main…
mais ce sera dans le cartable
avec ce qu’on veut de vocables
et de sens même déréglés
quitte à en devenir cinglé.
Arrêtons-nous à cette écluse
pour réfléchir à une ruse
qui permettrait, devant les faits,
de suivre nos chiens, même à pied,
mais de ne pas dans l’imposture
se mettre soudain à conclure
que l’Enfer est un fait patent
et bien réels ses habitants,
que ses récits sont exemplaires
de ce qu’il convient de se faire
pour aller plus loin que les chiens,
qu’on y est pas plus mal que bien
tant il n’est plus question de vivre
mais de se mettre dans un livre.
D’où nous prétendrions savoir
que Dieu existe sans avoir,
ce qui est le comble du conte !
Et jamais les chiens ne remontent,
tellement nous les oublions.
Certes, parfois des troublions
nous en signalent la présence
et les troublantes circonstances
dans des ouvrages audacieux
qui nourrissent les contentieux
déjà ouverts en d’autres règnes.
Mais les poètes qui se saignent
dans leurs propres autodafés
font plutôt rire que pleurer.
Au bout du compte c’est la cendre
qui y ressemble à s’y méprendre.
Alors faut-il suivre nos chiens ?
Le noir canal du quotidien
a l’air si calme sous la pluie.
Je m’étonne qu’on s’y ennuie.
Le pont est désert, un peu gris,
comme l’œil de ce mistigri
qui sort de l’ombre de l’écluse
pour regarder ce qui m’amuse.
Il est, si je suis opportun,
bien content de trouver quelqu’un
pour caresser sa douce échine.
Il propose qu’on s’acoquine,
le temps pour moi de réfléchir
à d’autres emplois du désir,
celui qui préside à ce texte
avec un soin que le contexte
alimente de ses plaisirs.
Oui, Engeli, c’est le soupir
du Maure qui ici t’inspire.
Devant toi l’âtre des vampires
qui a séduit tes petits chiens,
et dans ton dos, le monde bien,
celui qui usine la lettre
et paye bien ses petits maîtres
quand le marché se porte bien.
Le monde où le maître est larbin
et le larbin satisfait d’être
l’objet de sa belle fenêtre,
pignon sur rue des magasins,
allées-venues des argousins
qu’on salue en crachant derrière,
tirelire pour ouvrière
des coups à boire et à tirer,
juste le temps de soupirer,
de l’étonnement à l’angoisse
les marches sales de la poisse
et des violons qu’on voit venir,
et des gosses sans avenir,
le derrière dans la poussière,
avec trop de choses à faire
pour devenir quelqu’un, quelqu’un,
bouches ouvertes sur chacun
et langues pour tous en fanfare,
des malades qui se préparent
et des bien-portants qui s’en vont,
des calices où nous bavons
et d’autres qui pèsent des tonnes,
et des familles qui tâtonnent
pour sauver, pour créer, partir,
et à la fin pour revenir
et ne plus jamais sur la terre
secouer l’or et la poussière
avec le linge et les tapis,
fil tendu entre qui et qui ?
Et les filles qui s’y suspendent
sous l’œil des prétendants qui bandent
ou des voyeurs bandés aussi,
bandés les yeux et les soucis,
au ras du mur nu les passages
et les oiseaux de ces parages
où la vie se donne le temps
faute de pouvoir en chantant
s’en payer du bon, du sauvage,
du vrai avec ou sans partage,
ce temps qui manque au mauvais temps,
ce temps dont on trouve le temps,
mais c’est le Monde dont tu parles !
Larbins sans maîtres, pas sans marles.
Et devant toi, loin de l’Enfer,
ce chemin vert comme la mer
avec tes chiens lents mais sagaces,
qui méprisent même leurs traces,
regard devant, la queue en l’air,
curieux des choses de la chair
quand on en fait ce qu’on veut faire.
Le vent ramenait la poussière.
Des verres vides sur le pont,
sur le roof froufrou d’un jupon,
les traces bleues d’un rouge à lèvres,
la preuve qu’on a eu la fièvre,
et parmi l’odeur des mégots
une carte montre son dos,
jouant encore à la patience,
au pire, au meilleur, à la chance
et au rêve du moribond
qui s’en va en faisant un bond,
comme le chien qui se réveille
et attend qu’on s’en émerveille.
Mais le chien, tous les chiens s’en vont.
Pourquoi, comment, nous le savons
puisque ce sont nos chiens d’audace,
chiens de courage et de grimace,
chiens d’invention, de nouveauté,
et je me lève pour siffler.
Minute d’une angoisse sèche.
« Si tu veux, c’est oui, mais dépêche ! »
Je ne veux pas ! Je veux sans vous,
sans vos morales à genoux,
sans la fiction qui vous démontre,
sans cet air quand on vous rencontre
et qu’on vous quitte sans savoir,
le cœur gros de vous décevoir,
n’ayant rien fait ni rien à faire,
les pieds toujours dans la poussière
et le nez sec comme la peur,
la langue en feu, cassé le cœur,
ni chien, ni chat, simplement homme,
enfant, maison, justice, idiome,
et peut-être aussi du talent.
J’ai amené mon bataclan
et la clé qui ouvre la porte.
Il se peut que le vent m’emporte
et que j’en perde l’azimut.
Je reviendrais ! Ah ! Et puis zut !
Les voilà si loin de ma vue
que j’en ai mieux que la berlue ! »
Il tournoya sur ses talons
et remonta ses pantalons.
Il sauta même sur la rive,
mais ici pas âme qui vive.
Il avança sur le chemin
que des haleurs sans pied marin
piétinèrent sous leurs sandales
en une époque immémoriale.
Le canal était silencieux.
Ici de l’ombre et là les feux
d’une route noire et déserte.
La deuxième écluse est ouverte.
L’eau bouillonne sur ses parois.
Sur le vérin l’ombre décroît
et derrière le mur s’anime.
Plus loin le quai est un abîme
où d’autres pas croisent le temps
et se perdent dans le mitan
d’un jardin vieux comme le monde.
Et il revient, l’humeur féconde,
contemple la rouille et l’acier
du hublot noir, verre vicié
de doigts, d’insectes, de chiures
pour toute trace d’aventure.
La fenêtre de l’éclusier
est clouée au mur refermé
comme la porte de la cave.
Cette péniche est une épave.
Le canal est un trou perdu
qui va loin, comme suspendu
à maints platanes qui s’y penchent.
Il secoue une de ces branches
et l’eau s’agite sous le quai.
Des animaux viennent manger,
montrant leur bouche à la surface,
indifférents à la menace,
voyant l’ombre d’un visiteur
qui s’ajoute à d’autres vecteurs.
Quelle est cette géométrie ?
Hypothèse ou allégorie ?
Il s’accroupit sur ses talons,
se rapprochant ainsi du fond
où le cadavre considère,
sans expliquer ses commentaires,
cette insultante indiscrétion.
Cadavre blanc sans finition,
comme statue qu’on abandonne
à d’autres mains de cicérone
dans le musée des refusés.
Un linge flotte, médusé,
blancs filaments qu’une main blanche
retient encore par la manche.
Une blessure ouvre le corps
à l’endroit d’un os qui ressort,
jaune et noir sous les algues vertes.
Sinon tout le reste est inerte.
Il éteint sa lampe et revient
où il a déposé son bien.
Il grogne, il sue, il a la fièvre.
Il se tapote les deux lèvres
qu’il avance dessous le nez.
Le souffle est chaud, dense, incarné.
L’odeur de son bien le dérange,
petits papiers de sa vidange,
à distance d’autres déchets
dont la plupart ont bien séché.
La Lune est à son hypogée
ronde derrière la nuée.
Il est venu ici pour chier.
Il a amené le papier
et la lumière d’une lampe,
mais il a fallu qu’il les trempe,
ses mains dans l’eau de ce canal
où un macchabée pas banal
attend de faire des histoires
à qui ne voudra pas y croire.
Mains sales d’un peu de caca
comme cela n’arrive pas
d’ordinaire et même de règle.
Rimbaud les sens ça vous dérègle,
mais Artaud visse dans la chair.
Il s’est cultivé en Enfer.
Le moindre pépin le replonge,
non dans le bois de Francis Ponge,
mais dans ce que pire on peut voir
question angoisse sans savoir
pourquoi c’est sur lui que ça tombe
et avec vue sur l’outre-tombe.
Il en a même des visions,
trompe-l’œil de la concision,
point de fuite des redondances
et branle-bas de l’éloquence
si l’on en juge par l’ampleur
de ce qu’on vient de lire en chœur,
car nous étions plusieurs si j’ose
qualifier l’acte de psychose.
Mais il était seul ce soir-là.
Il eut envie d’en faire un tas
et le fit dans un coin tranquille.
Il allait en automobile
et n’avait pas tout le confort
qui convient à nos chiens de corps.
On n’en fait pas dans les voitures
et pour les grandes aventures,
c’est dessus qu’on se fait le mieux,
surtout si la prime est en jeu.
Il allait mais sans concurrence,
seul, triste, noir et en vacances.
Il partit avec le soleil
de Paris après le réveil.
A la radio un slam de merde
chantait le temps avant qu’on perde
l’art et la manière d’entrer
sans en sortir et sans payer.
Une leçon de bourgeoisie.
On appelle ça poésie.
Du coup il a envie de chier
et voit des aires défiler,
mais rien de parfait pour la pose.
Au bout d’une heure il se dispose
à faire ça où on voudra.
C’est qu’il en a plein le baba.
Il se connaît depuis l’enfance
et même avant la différence.
Mais depuis il est propre et tout.
Rien à reprocher au matou.
Il se retient une bonne heure
et si elle passe sans beurre
il se tartine n’importe où,
avec papier et roudoudous,
sans oublier la lampe torche
bien utile quand on se torche,
pas pressé d’en venir à bout
jamais assis, presque debout,
mais sans maman pour l’hygiénique.
Il écoutait de la musique
et des paroles quand soudain
l’heure est passée pour le rondin.
Il le sent même à l’ouverture
et se desserre la ceinture
en donnant un coup de volant
dans le sens où il va enflant.
Un coup de frein, une sortie
dans un chemin semé d’ortie,
le temps de choisir le piquet
sans redouter d’être piqué.
Ça sort comme un petit bonhomme
mais sans le cri, sauf un atome
de l’hydrogène sulfuré
qui est comme l’accent sur l’é.
Il fait tout comme d’habitude,
pas gêné par la servitude
qui a sa place dans le temps
qu’il reste à vivre sans maman.
Dans la nuit c’est l’accoutumance
des yeux qui depuis son enfance
le fascine plus que l’ennui.
Quelquefois l’oiseau fait cuicui
sans expliquer sa turgescence.
Mais cette fois il a la chance
de se trouver dans un endroit
dont la fascination s’accroît
avec la même consistance,
sinon il est dans l’ignorance
et ça le rend noir et râpeux.
La Lune jette sur ces lieux
une lumière descriptive
propice aux formes narratives.
Ce n’est pas la Lune, tant pis !
On voit bien où est l’incipit.
Tout y est, péniche et écluse
comme radeau de la Méduse,
mais l’eau est celle d’un canal
au premier abord amical
avec son quai rongé par l’herbe
et sa maison qui exacerbe
les vieilles idées de douleur
qui alimentent le jongleur
qu’il est devenu pour survivre
entre les mors des serre-livres
et les écrans de ses passions.
Un décor à la dimension
du projet qu’il a dans la tête.
Ah ! Oui, c’est vrai, il est poète.
Mais il écrit de bons romans
et même des drames savants.
Que fait-il dans cette voiture
et vers quelle villégiature
voyage-t-il seul et secret ?
Tout le début on a raté
faute d’écrire pour les bêtes
et d’être soi-même poète.
On rime, on chante et on le dit,
mais ça ne vaut pas un radis,
pas le vert tendre de l’oseille
ni du trèfle mis en bouteille,
à côté de ce que ce mec
produit quand il ouvre le bec.
Un vrai poète avec des rimes
que si j’en avais je m’imprime
sans demander la permission
et j’oppose ma démission
aux prières de mon navarque.
On m’a assez mené en barque
et à la rame s’il vous plaît !
J’en ai marre de m’accoupler
pour resservir à ma patrie !
Je rime trop bien, qu’on me prie !
Enfin c’est ce que je dirais
si d’aventure je rimais
aussi bien que ce franc poète
qui prend la poudre d’escampette
pour des raisons qu’on ne dit pas,
mais allez donc savoir pourquoi !
On le prend en cours de voyage,
comme le train, sans les bagages.
Il arrive alors qu’on est là,
en train de chier comme papa
qui travaillait dans une usine
et cotisait chez la voisine,
et il se met aussi à chier,
la même merde entre les pieds
sur les feuilles qui agonisent.
Ah ! Je veux bien que j’ironise,
mais les pieds c’est l’égalité,
surtout quand on a des ratés
qui nous inspirent des voyages
dont on fait toujours bon usage.
On comprend maintenant pourquoi
ce roman commence par là
et non point avant qu’il arrive,
ce monsieur pris à la dérive
d’une évasion ou d’un projet,
peut-être même d’un secret
qui eût fait à soi seul une ode
et une série d’épisodes
à faire pâlir la télé.
On n’y était pas invité.
Pour nous cette affaire commence
non point au moment où je pense
m’arrêter pour me vidanger,
(ce que je fis sans déranger
comme le prouve votre enquête)
mais au moment où ce poète
arrive alors que je finis
tout juste de faire pipi
sur ce que j’ai fait dans les feuilles.
Et croyez-vous que je l’accueille
comme on pratique dans un bar ?
Que nenni ! J’ai le calebar
qui prouve que je suis un homme.
Je le remonte et je fais comme
si je n’étais pas là pour ça.
C’est ce que je fais dans ces cas
quand ils me tombent sur la couenne.
Plus loin j’ai garé ma bécane,
à l’abri des regards vicieux.
Je suis jeune mais je suis vieux.
Moi aussi je fais la musique.
J’ai l’expérience traumatique
de la séparation de biens
quand on ne veut pas pour un rien
se séparer de ce qu’on aime…
Il paraît que c’est le système
qui veut qu’on pleure après la nuit…
en l’occurrence, les amis,
une Harley avec des phares
qui me donnaient un air barbare.
Pas moyen de la retrouver.
Les flics ça peut faire rêver,
mais ce sont de gros égoïstes
en plus d’être des conformistes.
Déçu par les moyens miteux
de l’État qui fait des heureux
au détriment de la personne,
il a fallu que je raisonne
en termes de fric à gagner
pour une bécane acheter
et oublier combien de thunes
ça me coûtait d’en avoir une
alors qu’un mec se la poussait
sans moi dessus pour le trousser.
Je me suis dit qu’un beau voyage,
une fois passé le rodage,
ne nuirait pas à mon désir
de me venger pour le plaisir
si jamais des fois qu’on se croise
je retrouvais sur ma bourgeoise
l’ouvrier qui m’a fait cocu.
En attendant, j’avais le cul
sur cette autre très ressemblante
qui m’allait bien où ça me tente.
Voilà comment je me suis dit
qu’un petit coin de paradis
vaudrait bien que je l’emmerdasse
sans m’en mettre plein les godasses.
Et voilà qu’en plein un effort,
sans que je sache d’où il sort,
ce type fait la même chose !
Il ne manquerait plus qu’on cause !
Je me planque dans un buisson,
prêt à produire tous les sons
que je connais pour qu’il s’inquiète
et aille faire le poète
dans un endroit moins fréquenté
où je n’ai jamais mis les pieds.
Mais j’ai beau fouiller ma mémoire
que j’ai formée dans les prétoires
des bons cinoches de l’horreur,
ce mec prétend qu’il n’a pas peur
et il me balance une pierre
qui me fait mal juste derrière
où j’ai de vraies fragilités !
Et comme il croit qu’il m’a raté
il en relance une plus grosse
qui me fait au front une bosse !
Comme si j’avais un renard
pour me bouffer dessous le lard
les tripes que j’ai vidangées
sous la Lune à son hypogée !
Je mords ma langue à pleines dents.
Je ne veux plus l’avoir dedans.
C’est que le mec est fort balaise.
Je vois bien comment il s’apaise.
J’ai déjà vécu le tenant
et goûté à l’aboutissant.
Ça fait mal et c’est inutile.
En plus au fond je suis fragile
à cause d’une hérédité
qui est comme si j’y étais.
Et je voudrais ne pas y être !
Mais on est à des kilomètres
du premier poste de secours
comme ça arrive toujours
quand on est dans la contingence.
Et je suis une référence.
J’ai beau faire je suis toujours
sur le chemin des sans amour.
Le mec insiste et m’en met une
mais cette fois c’est sans rancune.
Il fait un geste de dépit
et jette un œil autour de lui.
Il va faire le difficile
alors qu’ici on est tranquille
si personne ne te fait chier.
Il a amené du papier,
un torche-cul, de l’ordinaire
qu’on peut jeter pour le refaire,
mais ici son utilité
n’est pas un fait de société
dont pour le moment je me tape.
Ah ! Ne brûlons pas les étapes !
Le lecteur n’est pas si pressé
d’en finir avec ce qu’on sait.
Le mec déçu par mon cinoche
renonce à me faire les poches
et s’imagine avoir rêvé
en voyant le buisson bouger
et faire des bruits de vampire.
Il en conçoit un beau sourire
et en éclaire les endroits
comme l’on dit libres de droits.
Il a même changé les piles
pour voir comme à son domicile.
Drôle de lampe avec au bout
un crayon planté dans un trou.
A l’autre bout c’est la lumière
qui sort pour éclairer derrière.
Objet acquis dans un chinois,
succursale des trucs sournois
que Pékin met dans nos mains sales
pour qu’on se bouffe l’encéphale
sans empoisonner le kung-fu.
On s’étonne qu’on devient fou !
D’un côté tu écris des choses
et de l’autre tu vois la cause,
mais n’oublie pas quand tu écris
ce que t’inspirent tes grands cris
de couper toujours la lumière
sinon c’est dans la cafetière
que sans rigoler tu la prends.
Et si tu éclaires les gens
pour comprendre ce qu’ils te veulent,
c’est le crayon qui sur ta gueule
fait des signes que tu veux voir.
Mais à défaut d’un bon miroir
tu ne vois rien et en famille
on te soigne avec des aiguilles.
Ce truc ne vaut rien dans le noir
et des couleurs il t’en fait voir.
N’achète pas cet ustensile
qu’on vend aux poètes sans piles
que le poète achète aussi,
preuve qu’il n’a pas tout compris.
Achète français une torche
qui la langue point ne t’écorche
et allemand un bon crayon
choisi dans les meilleurs rayons.
Ainsi dans le noir tu éclaires
ton crayon avec la lumière
que te dispense un bon Français
(Racine et non point Rabelais)
et le jour tu économises
les piles de ton entreprise
écrivant en bon allemand
des trucs que le libraire vend
au prix salé de l’Amérique
et de ses guerres atomiques.
Pour le papier, un torche-cul,
avec les ors que le vaincu
avait mis à la boutonnière
de sa terrible grenadière.
Bref, je pensais à ces trucs-là
quand le mec fait un gros caca
dont il apprécie les nuances
sous la lumière non de France
mais de Chine avec le crayon
à l’autre bout de son rayon,
et ça m’inspire une critique
tellement que je prends mes cliques
et mes claques sans un seul bruit,
à ras de terre dans la nuit.
Dans ces cas-là, une brindille
vous met sur le dos la famille
et c’en est fini de calter
pour aller voir la société
et se remettre des secousses
pendant qu’ici l’herbe repousse.
Et vous tombez sur du bois sec
avec un mixage high-tech
car l’air est pur comme une vierge.
Juste au moment où je gamberge
pour calculer le temps qu’il faut
pour démarrer sans la photo !
J’en salope ma coronaire
et peut-être même la paire.
Heureusement à cet instant
un type arrive au bon moment,
mais pas le même pour ma chance !
Et à la même chose il pense.
Il déboutonne son falzar,
s’en remet aux lois du hasard,
se fie à la lune plénière
et met à nu son gros derrière
et le petit qu’il a devant.
Ces trucs comme on faisait avant
qu’il nous arrive ces histoires
que nous livrons à la mémoire
pour que tout soit dit et bien dit.
L’honneur s’il s’en sort est grandi,
sinon tant pis pour la médaille.
Depuis le temps que je travaille
pour en avoir sur le bahut,
qu’au bureau je fais du chahut
pour brailler que je la mérite,
pas seulement pour ma conduite
mais aussi pour ce que je fais,
et même quand je le défais.
J’en parle ici car j’ai la place
et puis il faut que ça se fasse !
Des années que je vous le dis !
Ma place elle est au paradis,
sous les drapeaux qui se brandillent
dessus les hôtels de famille,
avec des verres bien remplis
et sur les genoux des conflits
avec des bijoux à la mode
et des drames qu’on raccommode.
Je m’y connais si je le sais !
Ça ne vous fait pas frissonner ?
Et tout ça en rêve et sans flouse.
Sans télé comme à la cambrouse
et pas un joint pour payer cash.
Allez petit ! Fais-moi un smash
pendant que le nez dans la mouise
j’attends que l’autre me détruise.
Ma moto aussi en a deux,
mais va plus vite sans mes nœuds…
j’étais là, par terre, en compote,
attendant qu’on me décapote
avec la violence qu’on sait
quand on ne veut pas tout donner,
mais espérant que la méprise
me sauverait de la bêtise
et surtout de l’humiliation.
Deux mecs c’est trop de tentations.
Alors j’ai un coup de génie,
sans dératé ni calomnie.
Un truc sans la gomme mais franc
comme un collier et droit devant.
Des fois souvent que ça m’arrive.
On en parlait comme des grives
à propos du merle siffleur,
moitié pastis, moitié bonheur,
et le tout cul sec sans valises
pour se remouiller la chemise.
Je trouve mais je ne rends pas !
Et là couché en bon papa
je te recraque une brindille,
du sec qui point ne se fendille,
mais pète plus fort qu’un anus
voûté de force par Janus.
Et les deux mecs qui se relèvent
se matent comme dans un rêve,
à croire que je suis sauvé
et que ces deux mecs vont s’aimer
pendant que je file à l’anglaise
sur mon américaine à l’aise.
Je me vois déjà à l’hôtel,
tout seul comme Papa Noël,
riant un peu de l’aventure
devant la télé immature
et des rêves d’enfant gâté.
Mais j’aurais dû trop me hâter.
Avoir du génie c’est formide,
encor faut-il que dans le bide
on ait le même mais en vrai
afin de pouvoir manœuvrer.
Or j’ai tout faux, c’est l’habitude.
On est trop dans la servitude
et le jour, comme cette nuit,
où je mets fin à mes ennuis
sur le terrain des hypothèses,
voilà que j’ai comme un malaise,
et qu’au lieu de tourner de l’œil
en réclamant un doux cercueil,
je vois et je m’immobilise,
les doigts dans la terre promise
à ceux qui n’ont que du talent,
et le mec sans prendre d’élan
saute sur mon Harley d’occase
et d’un coup de kick l’apprivoise.
Il disparaît dans le brouillard.
Je suis resté dans mon falzar.
L’autre se marre et se retorche
sous la lumière de sa torche,
se foutant pas mal du Chinois
qui l’a inventée que pour moi.
Non mais qu’est-ce qu’il s’imagine ?
Que le voleur qui s’achemine
vers des horizons inconnus
sur ses deux pieds n’est pas venu ?
Et qu’il est seul, sans moi derrière
ce buisson concentrationnaire ?
Voilà comment on disparaît !
On perd les moyens de l’arrêt
et du coup s’il reprend la route
je suis tout seul dans la choucroute.
Lui faire un signe et expliquer,
quand on ne sait rien du biquet,
je me dis que s’il faut le faire,
je n’ai plus le temps de m’y faire.
Et si je veux piquer l’auto,
il faut que je me lève tôt.
Or je suis bien dans la broussaille.
Il a vidangé ses entrailles
et si je peux encor penser,
il n’est pas venu pour rester.
Tant qu’il est là, je peux attendre.
A l’évidence il faut se rendre.
Il examine cet endroit
avec son instrument chinois,
faisant quelques pas sans mot dire
car s’il me parlait je dois dire
que j’en resterais plutôt coi.
Ne me demandez pas pourquoi.
Rien que d’y penser je m’enrhume,
car les aberrations posthumes
sont plus courantes qu’on ne croit.
Mais découvrons ce bel endroit
puisque ce monsieur nous l’éclaire
en y mettant de la lumière.
C’est un endroit abandonné
si j’en juge par les papiers
que maints poètes de la route
ont déposé dans la déroute
d’un branle-bas intestinal.
Mais ce théâtre éditorial
s’improvise sur les décombres
d’une écluse plongée dans l’ombre
de grands arbres que le canal
nourrit de son cours infernal
si j’en juge par sa substance
et son dramatique silence.
J’en ai connu de plus plaisant.
Plus d’un me furent apaisants.
L’eau tranquille de mes rivières
n’emporte rien de ma poussière.
J’y demeure comme un enfant,
cet oiseau las de ses tourments
que quelquefois un capitaine
consent à prendre pour la peine,
oh ! Rien du tout, un docte avis
sur le cap ou le vis-à-vis,
à propos de rien et de toutes,
et même sur ce que ça coûte,
peut-être plus, peut-être moins,
aucun journal, tenu au point,
n’en dira plus ni mieux qu’un gosse
qui traverse dans un carrosse
la petite contrée qu’il prend
pour le point de départ du temps.
Je me souviens de ce poème
comme si je l’avais moi-même
écrit pour ne pas oublier
que je me sers d’un beau papier
pour torcher l’œil que mes deux fesses
ferment quand je vous le confesse.
Car vous êtes, cher Engeli,
cet homme qui, seul dans la nuit,
dans une urgence naturelle
qui vous fut plus que corporelle,
a dérangé mes pauvres mœurs
au point de m’inspirer la peur
d’être violé, que sais-je encore,
tant vous m’apparaissiez centaure
quand moi-même j’étais Mickey.
Conservez-moi ce sobriquet
si mon modeste patronyme
est, comme on croit, illégitime.
Je suis fils de qui on voudra.
Peu importe qui le dira.
Nous écrivons pour l’aventure,
vous pour l’inventer sans biffure
et moi pour traduire ce flux
sans sombrer dans le superflu.
Vous veniez donc vider vos tripes
avant même que j’anticipe.
Vous mîtes en fuite un voleur,
ne sachant point que par bonheur
il me volait pour que je fusse
le lauréat de son astuce.
J’ai perdu ma belle Harley
mais j’ai gagné d’être Mickey.
Alors nous fîmes connaissance
dans cet endroit de délivrance
qu’ainsi vous ne daignâtes pas
d’honorer de votre caca.
Un petit papier en témoigne
qu’avec avidité j’empoigne
et que je traduis en français
pour qu’on n’oublie pas qui j’étais.
Vous étiez venu sans intrigue,
un peu comme l’enfant prodigue
qui ne sait pas s’il l’est toujours.
Il en est ainsi de l’amour
qui se nourrit de ses rencontres
comme ce poème le montre
sans se fatiguer de montrer.
Et vous rêvâtes pour rêver
car l’endroit vous disait des choses
dont vous vouliez savoir la cause.
Le temps a des commencements
que le moindre des glissements
du sens sur les mots qui le disent
imagine les entreprises
dont ce roman est un essai
et votre présence l’attrait.
Vous eûtes alors un sourire
qui m’éclaira quant à l’empire
que ce lieu exerçait sur vous.
Je me jetais à vos genoux !
Bien sûr vous eûtes par réflexe
un geste fort envers mon sexe
que vous aplatîtes du pied
tandis que joyeux je criais
mon innocence et mes hommages,
en des termes ah ! C’est dommage
que j’ai oublié de noter
mais que nous pouvons résumer
en d’autres termes moins algiques :
je vous aimais, non sans critique,
comme vous aimez les censeurs.
Et c’est en termes accrocheurs
que je déchirai une manche
de la chemise du dimanche,
un air de la mode bon ton,
un quant-à-soi, pan de giton
que vous portiez sans négligence
hors de votre slip Éminence.
Vous redoublâtes les coups durs,
prononçant les mots les plus purs
que jamais bouche sur moi-même
ne versa comme d’un poème.
Je perdis deux dents de devant
que nous retrouvâmes pourtant
plus tard quand fut passé l’orage
et que consommé fut l’outrage.
Nous voici au commencement
de ce poème dit roman,
tant la rencontre de deux hommes
est un sujet qui vaut axiome
quand il s’agit de démontrer,
et ce n’est point là un secret,
que l’un sans l’autre l’entreprise
n’eût jamais atteint la maîtrise
qu’on voit ici avoisinant
les tenants et aboutissants
de l’invention aux poings d’argile.
D’où la création de Virgile
qui, tandis que nous discutions
et que je souffrais des horions
qu’Engeli frottait de son huile
aux quintessences très subtiles
en regrettant d’avoir cogné
avant de m’avoir demandé
si je pouvais lui être utile…
pendant ce temps, le doux Virgile
suivait le troupeau égaré
des personnages ramassés
au hasard et au fil de l’onde
que le canal entre deux mondes
imposait à notre trajet
d’invraisemblables naufragés.
Nous imaginions sa faiblesse
au moment des froides caresses
qui annoncent que le brasier
n’est pas loin de vous enfourner,
anéantissant l’existence
sans autre noire pénitence
prononcée par un saint élu
aux fonctions de l’hurluberlu
improvisé pour faire office
de parangon du sacrifice.
Ici au contraire on finit
sans faire peser sur l’esprit
les explications des disgrâces
qui ont affecté nos surfaces
au détriment des profondeurs
et des rêves que par malheur,
ou toute autre raison sociale
dont la primeur est commerciale,
nous ne pûmes pousser plus loin
que les effets d’un beau matin
sur les raisons de croire encore.
Ici pas question qu’on explore
d’autres étendues de l’esprit.
Rien ne s’achève et tout finit
et même tout peut disparaître,
ô royaume du pifomètre !
Éthique et esthétique en feu,
avec ou sans riches aveux,
sous l’emprise des forces vives,
mais d’une autre vie sans archives,
n’ont pas plus de sens que le fer
qui alimente cet enfer.
Engeli sur sa peau tenace
avait fait incruster ces traces.
Et il m’en expliquait joyeux
le sens qu’il trouvait à ces jeux.
En arrachant l’une des manches
de sa chemise du dimanche
j’avais mis à nu cette peau
couverte d’étranges troupeaux
dont son Virgile tête basse
suivait fidèlement la trace.
Il multipliait les profils
et les raisons de son exil,
homme selon son apparence
et idée de ses circonstances
avec pour symbole un bâton
et pour néant l’œil d’un tison
qui ornait le haut de l’épaule.
« Le tatoueur était en taule
et donc j’y étais moi aussi
pour avoir causé des soucis
à un voisin en peau de vache.
Des fois, c’est sûr, on se relâche
et on met les poings sur les i.
Alors le Droit en déduisit
que j’avais tort en orthographe
d’autant qu’avec une carafe
j’avais achevé mon travail
car je ne suis pas très bonzaï.
Il en a fait toute une histoire
qu’on était obligé de croire
m’a dit la juge en me tirant
les oreilles et ce d’autant
que j’étais dans la récidive.
Oui, mais j’ai l’âme créative
et je répète si c’est bon,
pas seulement si j’ai raison.
Comme elle aussi, dans la série,
avait des crises d’hystérie,
elle a recommencé des fois
que ça me serve toutefois.
Et j’ai regoûté aux délices
des leçons civilisatrices
à l’abri de raides barreaux
et des rêves extramuros.
Car je fais ça depuis l’enfance
pour des trucs cons si on y pense.
Je ne dis pas que c’est l’Enfer
mais à force c’est dans la chair
que ça finit et ça explique.
Et on se met à la musique
si on est doué pour les vers
autant que pour le revolver.
Là ce que tu vois sur le pouce
c’est le premier que j’ai en douce
trouvé pour faire ma chanson
comme Chrétien, dans sa façon,
mais cette fois dans la charrette
j’ai mis tout nu ce vieux poète
qui faisait des vers sur les champs.
Et non point un de ces marrants
qui passent au fil de l’épée
les malfaisants de l’équipée.
Ah ! J’en étais vraiment content !
Car j’y avais passé du temps,
et tant que je me sentais libre
comme sur le fil l’équilibre.
Le tatoueur, certain Léon
qui jouait de l’accordéon
avec la peau de ses semblables
pour s’en sentir le responsable,
m’a fait très mal pour le plaisir
car je ne suis pas un fakir,
mais le résultat était jouasse,
autrement dit pas dégueulasse.
J’avais écrit, il me creusait.
En plus il savait dessiner.
Si je voulais qu’il me décore
je n’avais qu’à lui dire encore
que je l’aimais et c’est gratos !
Il irait même jusqu’à l’os
si jamais j’étais dans mon rôle.
C’est ce que tu vois sur l’épaule.
Ça représente un bout de bois
mais pas n’importe quel chinois
troqué pour deux sous en boutique.
Car cette baguette est magique.
C’est le feu qu’on a dans le cœur
quand on ne peut plus ah ! Malheur
mettre de l’amour dans les femmes.
Celui qui y touche s’enflamme.
Et pas pour les yeux du voisin
qui les fait pour les argousins.
Ah ! Depuis je porte des manches,
tellement du pain sur la planche
j’en ai jusqu’à n’avoir plus faim !
Vingt ans j’ai passé en couffin
à réclamer des tatouages
et mettre en vers mes allumages !
Des jours qui ressemblent aux nuits
pendant que l’autre s’est enfui !
J’en ai conçu non de la haine,
mais une joie herculéenne
dont je ne crains pas les travaux.
C’est ce que tu vois sur ma peau
et comme me manquait la place,
car l’inspiration est vorace,
j’ai continué sur le blanc
du papier qui fait l’instrument.
Quand j’ai le blues, ou la colère,
que je me sens l’âme guerrière,
comme Chrétien qui était juif
et avait du fils adoptif
le doute qui rend fou le sage,
je sors en singe de ma cage,
avec toutes les dents dehors
et les poils dressés sur le corps.
Alors je me donne en spectacle,
on me voit faire des miracles
avec la rime et le tempo.
Voilà ce que j’ai sur la peau,
ami Mickey que je regrette
d’avoir pris pour un faux poète,
pour un vulgaire imitateur
qui s’imagine qu’un acteur
en sait plus que son dramaturge.
Contre la science je m’insurge
chaque fois que c’est par décret
qu’elle s’oppose à mes projets.
D’où je viens, où je vais, mon frère,
c’est ce que disent nos derrières,
mais si c’est la bouche qui dit,
alors voici ce que je suis :
l’ombre de ce que je peux être
si du monde je suis le maître ! »
Et jetant tout autour de lui
ses chaussures et son habit
il apparut en pleine forme,
sur cette étrange plateforme,
tout couvert de ces gribouillis
que Léon, tatoueur maudit,
avait en formant le binôme
creusé dans la peau de cet homme
jusqu’à en faire le roman.
Et voici donc, certainement,
comment naquit dans cet athlète
une vocation de poète.
J’en étais comme on dit baba,
le voyant tourner devant moi,
moins pour qu’en silence j’admire
la folie d’un pareil empire
de l’homme sur ce qu’il induit,
que pour en laisser l’usufruit
au voyageur que la fortune
a mis de façon opportune
sur son chemin que feux-follets
éclairent non sans altérer
les principes de la boussole.
Comme on avait une bagnole,
si tant est qu’il me la prêtait,
je consentis à me lever
pour examiner la surface
et comprendre toutes ses traces
en lisant et en déchiffrant
et même en les interprétant
comme il souhaitait que je le fisse.
J’ai toujours été bon complice,
surtout si l’autre est le plus fort,
et il l’était, plus que de corps.
Et comme il tournait sur lui-même
selon un intime système
dont la loi je ne saisissais,
son visage m’apparaissait
comme l’acmé répétitive
d’une affection alternative
dont la fausse proposition
menaçait l’air de ma chanson.
Il fallait des pieds à la tête
parcourir la peau du poète
qui frémissait de désespoir
en promenant comme un miroir
le disque jaune de la lampe
tandis que battait à ses tempes
le sang nourri de ma frayeur.
J’eusse préféré être ailleurs.
Tout concentré dans l’observance
des critères de la méfiance,
je vis que Virgile dansait
devant la porte des foyers
où périssait tout feu tout flamme
quantité incroyable d’âmes
qui s’accrochaient en gémissant
à la porte se refermant
avec un bruit qui de la cloche
me rappela qu’à la téloche
j’avais vu pire et même trop.
Mais on n’était pas au bistrot.
Sans moto et sans cœur à prendre,
j’avais peu de chance d’apprendre
à me remettre d’un délit.
« Comme tu vois, dit Engeli,
toute ma surface est couverte
même là où elle est ouverte
pour laisser entrer et sortir
mes sécrétions et les désirs
que j’inspire à la fourmilière
quand je parle de mon derrière.
N’as-tu point vu à la télé
comment je fais pour atteler
mes canassons à leurs charrettes ?
Ils me prennent pour un poète.
Et j’accepte les fifrelins
et les croûtes au ripolin.
Je les laisse cois et par terre
tant je sais comment le leur faire.
Les séries deviennent saisons
dans d’immortelles frondaisons
que la graine nourrit des charmes
que la joie consent à leurs larmes.
Nous ne mourrons jamais ainsi.
Ou alors suite à un oubli,
une panne peut-être en ville
et à la campagne Virgile.
Tout est écrit sur cette peau
et au-delà sur mon tricot,
sur les sièges de ma voiture
et sur les bancs que l’aventure
offre à mon cul qui se complaît
à laisser sans les dérouler
les palimpsestes de ma trace.
Vingt ans à faire la grimace
pour avoir l’air de regretter
d’être et surtout d’avoir été
et en plus d’être si sincère
qu’on a envie d’être ma mère
et de me nourrir au téton
de la république façon
si-je-t’aime-c’est-que-tu-m’aimes.
(Je le donne comme un morphème.)
Et Léon qui craint la fatigue.
Des fois sa main danse la gigue
comme un pendu bien mal pendu.
Il fait des trous que j’en ai du
mal à remplir les heures creuses
à la force de mes valseuses.
Ça avance jour après jour,
parce qu’à l’ombre on fait l’amour
à ce qui ressemble à l’idée
qu’on peut avoir de l’affidée.
— Quand tu sortiras, qu’il me dit,
pour regoûter au paradis,
on ne trouvera plus de place,
même si petite est la trace,
pour la laisser à leurs quinquets
occupés à te tripoter.
Je vais t’en mettre entre les miches,
même plus loin si je déniche.
Pas un mot, pas un signe, rien
ne pourra défaire ce lien !
Pas un cheveu, ni poil, ni pore
que je n’aurai chargés d’enclore
les mots que tu m’auras dictés
et que j’aurai tant illustrés
jusqu’à n’avoir plus rien à dire !
Voilà tout ce que tu m’inspires !...
Dans ce noir d’encre besognant,
on a donné un sens au temps.
Comme il y était pour perpète
sans perspective d’escampette
avant la fin des haricots,
pour éviter le quiproquo
on a signé dessous la langue,
un endroit pas vraiment exsangue
qui saigne encore quand je ris.
Si tu veux voir, je te souris,
je me confie à ta critique
sans performance acrobatique
ni exagération du prix.
Mais ne va pas croire, l’ami,
que je t’invite à la manœuvre.
Avant d’avaler la couleuvre,
vise un peu comment ça s’est fait,
presque dessous, dans l’imparfait
qui rend les hommes nostalgiques
et la prouesse anachronique. »
Et tirant une langue à fond,
il montre que le colophon
ne ment pas sur la vraie nature
de ce que la Littérature
de Poésie peut qualifier
sans oublier d’orthographier
le tatoueur qui fut un scribe.
Et rentrant la langue il exhibe
dans une main qu’il met dessus
un braquemart fort bien conçu
pour les pénétrations anales.
Il s’en gonfle les amygdales
et s’assoiffe sans prévenir.
Mais comme je l’ai vu venir,
de sujet voilà que je change,
car dans cet endroit on vidange
comme le prouvent ses papiers.
« Allons ailleurs mettre nos pieds,
dis-je en secouant la lumière
qui fait des signaux bipolaires.
Comme on m’a piqué ma moto,
je peux profiter de l’auto
jusqu’à la prochaine brigade.
Il faut bien que de la brimade
je me plaigne pour espérer
que la blague a assez duré.
Vous serez mon témoin utile.
Ensuite on trinque avec Virgile
et on se revoit un de ces
jours avant que notre décès
nous interdise les vacances.
Vous voudrez bien dans la décence
vous remettre dessus la peau
les effets disons principaux,
car l’accessoire est inutile
et le superflu malhabile. »
Tandis que je débitais ça,
je voyais bien que le forçat
n’était pas pressé de me croire
comme moi-même sans histoires
j’avais gobé ses arguments
et apprécié que son roman
y trouvât les choses qui manquent
en général au saltimbanque
pour emporter les adhésions
et même y trouver des raisons
de refaire la même chose
avec les changements qu’impose
le goût pour ce qui est nouveau.
Il allait me jeter à l’eau,
m’ayant empoigné par la cuisse
ou le mollet que j’ai factice
jusqu’à la pointe du pied droit,
quand soudain je ne sais pourquoi
il me remit dans la poussière
qu’il épousseta sans manière
en usant du plat de la main
qu’il avait comme un parchemin
couverte des doigts à la paume
de signes comme le génome
pas faciles à apprécier.
« Je n’aime pas les policiers,
dit-il sans cesser de me battre.
Vingt ans qu’il m’a fallu combattre
contre l’envie de mettre fin
à ce pénible baratin
que Léon sans jamais se plaindre
de ma douleur ni de la moindre
tentation d’expliquer pourquoi,
mit tant de temps, à contre-emploi,
car il songeait à sa déroute,
à fixer une fois pour toutes
dans cette peau qui fait de moi
la scène de mes propres choix.
Et voici que ta nuit m’arrête,
ô Mickey qui conte fleurette
à mes personnages pourtant
peu tentés par qui va chantant
ce que le papier hygiénique
rend possible sans la musique,
cette belle colonne en mots
digne du meilleur des grimauds
né pour l’extase académique.
Prends si tu veux à la chronique
ce que la fable laisse en plan
pour que peut-être le roman
donne des signes à ses signes
et un bain bien chaud à son cygne. »
Disant cela, il me lâcha.
Cher Engeli, qui se fâcha
car j’avais peur de lui déplaire.
« Mais ce ne sont pas mes affaires !
dis-je soudain dans un accès
d’une étrange sincérité.
Je suis ravi de vous connaître,
mais au fond, je dois bien l’admettre,
je pense plus à ma moto
qu’à vos essais fondamentaux
sur je ne sais quelle patience
dont vous acquîtes connaissance
au cours d’un noir enfermement
que vous destinez au roman.
Une Harley c’est une chienne !
Il a fallu qu’on me la prenne
et figurez-vous que voilà,
c’est la deuxième que mes bras
laissent échapper des pénates
que je nourris de mes deux pattes
en travaillant pour le patron.
Mais où trouverai-je les ronds
pour m’en payer une troisième ?
J’en dois tellement que les blèmes
vont me coûter encor plus cher !
Voilà comment c’est dans l’Enfer.
On est toujours le domestique
de quelqu’un dans la république,
mais en dessous du bon larbin
on devient gibier à robin.
Je l’avais pourtant cru facile,
cette vie dans un coin tranquille
sans attentat pour tout gâcher !
On ne m’a jamais vu cracher
sur les douces prérogatives
que la monarchie élective
accorde à ses meilleurs valets.
Mais voilà on peut mal tomber.
Excusez-moi pour la franchise,
en espérant qu’elle est permise
dans ce lieu que vous dominez
de la hauteur du condamné
qui a payé ce qu’il mérite
dans un milieu de cénobites
qu’on garde fermé au public.
Si je comprends, je tombe à pic.
Je vais servir à quelque chose
dont j’ignore jusqu’à la cause.
Un avantage sur les cons
qui franchissent le Rubicon
pour voyager au bout du monde
avec un billet de seconde.
Je ne sais pas si je traduis
comme il faut avec les ennuis
ce que vous portez sur la couenne
sans avoir besoin de bécane.
Dites-le-moi si j’ai tout faux
et si je suis sur l’échafaud
en train de prier pour des prunes.
Ah ! Les revers de l’infortune
quand on n’est plus sur sa Harley,
ça vous transporte sans billet !
Pourtant je ne veux pas la Lune !
En tout cas pas si j’importune.
Faites ça vite et au forfait.
Mais précisez-moi si après
je peux monter dans la voiture
pour tenter d’autres aventures
comme retrouver ma moto
qui m’appartient ipso facto.
Voyez comme je m’illusionne !
Mais la moto, ça me passionne,
alors qu’entre hommes les amours
ça me laisse froid comme un four
qui ne cuit plus depuis des lunes
et se souvient de ses rancunes. »
Voilà comment j’ai rencontré…
on peut dire que sur le pré
bien que l’honneur n’y fut pas cause
des effets qu’à la fin on glose
pour reconnaître le plaisir…
celui qui allait devenir
mon époux en littérature,
si cette métaphore obscure
n’est pas trop demander aux cons
qui franchissent le Rubicon
avec les armes et bagages
comme si c’était un voyage
qu’on peut se faire rembourser
en cas de plaisir sans effet.
J’en ai vu qui dans les agences
faisaient savoir leurs exigences
à de sinistres employés
dont quelques-uns s’apitoyaient
car le client qui se bousille
avant même d’être en famille
a peu de chance d’apprécier
les vertus du joint en papier
qui accompagne des voyages
au terminus anthropophage.
On voit de tout sur le tapis
du salon du livre à Paris.
Et puis ça fait de la poussière
et les magots qui sont derrière
leurs stands garnis de vieux bouquins
qui renouvellent leurs frusquins
en plagiant les fictions anciennes,
nous font des choses bactériennes,
que paraît-il on doit aux veaux
qui en ont mis plein les carreaux,
et expectorent sur nos tronches
des résidus qui vont aux bronches,
en s’accrochant de leurs dix doigts
à notre langue et nos patois.
Et après ça le ministère
s’étonne qu’on soit délétère
au point de se voir obligé
de mettre en fuite l’étranger
dont la religion exemplaire
et les usages bacillaires
sentent la rose et la passion.
C’est de l’humaine condition
la chose la moins édifiante
qu’un gosse conçu pour la rente
puisse entendre de son insti.
Pour apprécier le travesti
à la hauteur de son usage,
il faut se dire qu’à son âge
on a le choix de se pinter
une heure avant de s’éreinter
dans les bureaux et les usines,
ou de faire avec sa cousine
des choses que le musulman
n’apprécie pas dans les romans.
S’il faut dépasser la limite
pour faire bouillir la marmite,
ce n’est pas en prenant le train
qu’on fait du blé avec nos reins.
Le mec comme il faut qu’on se marre
évite d’aller à la gare
pour attendre la saint Glinglin
des besogneux petits matins
de l’ouvrier et des feignasses
qui garantissent l’interface
entre la joie et le pognon.
Faire attendre son saint trognon
sur le quai avec les bagages
et les outils de son ménage
n’est pas l’affaire des gens biens
qui ne confondent pas moyens
et liberté que l’aventure
promet à la littérature.
On prend la route, les amis,
sans se soucier des compromis
proposés par le ministère
et ses millions de fonctionnaires
qui franchissent le Rubicon
sur leurs trottinettes façon
quand-je-te-pousse-tu-avances,
au lieu d’aller ailleurs en France
sur ses deux pieds et sans trottoir,
le coude cloué au comptoir
pour ne rien lever qui trop pèse
et apprécier dessus la chaise
la mollesse de ses coussins
et la saveur de ses desseins.
Car le beurre et l’argent du beurre
que l’État promet sont un leurre.
On commence par apprécier,
malgré le pliage obligé
de l’échine avec ouverture
de l’anus et de sa culture,
et on finit par s’énerver,
tellement que pour se lever
on a du mal à se le dire
et on beurre sa tirelire
avec l’argent de la Sécu.
Le fils dit qu’on a mal vécu
et remet ça pour la voiture.
La fille épouse un turelure
qui connaît aussi la chanson.
Mais est-ce que c’est des façons
d’être décent avec soi-même ?
Que nenni ! Que je me blasphème !
Et je m’en disais des plus noirs
en rasant les murs des trottoirs,
le nez collé aux vieux murs sales
de mes voyages sans escale,
car j’avais honte de papa
et de maman je n’avais pas
de quoi rêver de son commerce.
Et pas question de controverse
ni à table ni dans le lit.
Ça fait des taches les délits
à l’endroit des mœurs difficiles
qu’on pratique aux endroits tranquilles.
— Et à table on se tient tout droit !
Car la famille a le sang froid,
du sang venu de notre Histoire
qui est la seule qu’il faut croire,
et le sens des obligations
qui fait les bonnes professions
et met en pièces les mauvaises,
que ça plaise ou que ça déplaise
à Monsieur qui écrit des vers,
non point sur nos beaux faits divers,
mais sur des trucs que ça existe
chez les bourgeois surréalistes.
Que Monsieur fait de la chanson
que toujours nous récompensons
avec de bien belles promesses ?
Qui a des lettres de noblesse
comme le prouvent le succès
et même des fois des procès
qu’elle gagne à être connue ?
Que sont ces choses biscornues
que Monsieur met dedans son lit
à la place où on fait pipi
quand on a l’âge de sa morve ?
Moi je trouve ça vraiment torve !
Ah ! Mais je sais ce que je dis,
comme si je l’ai déjà dit !
Mon fiston est un adversaire
(j’ai cherché dans le dictionnaire)
et c’est une menace en soi
pour lui-même si je suis moi !
Manger ça se fait sans paroles
et rêver de machins frivoles
sans les femmes qui vont avec
quand on est de Paris bon bec,
se mettre en quatre pour nous faire
des enfants avec le derrière,
disons-le, ce n’est pas normal !
Le plaisir ça peut faire mal !
Pas besoin d’être né prospère
pour comprendre que le derrière
ça sert à en mettre partout
si on nous fait chier à genoux !
Ah ! Il faut que tu te syndiques,
mais dans un truc académique
qui à la musique soumet
les paroles et les versets.
Ne t’en fais pas, je me renseigne
avant que mon inspiration s’éteigne.
Pourquoi chercher d’autres moyens
alors qu’on peut tout faire bien !
Et peut-être que ta frangine
qui veut devenir aubergine
(un beau métier, je ne dis pas,
mais il y a mieux, même ici-bas)
changera d’avis et chanteuse
deviendra malgré mes valseuses…
ainsi parlait Zarafouchtra.
Ni à table ni dans les draps.
Peut-être aux chiottes et encore,
avec le drapeau tricolore
pour se torcher en vrai chauvin.
Ah ! Quand on veut être écrivain
et publié dans la famille,
mieux vaut être petite fille,
caresser les poils du projet
dans le sens que cet usager
à ses institutions impute,
et grandir pour devenir pute.
Sinon on comprend la leçon.
Mais ici même confessons
qu’on a tout fait avant de mettre
le premier mot, que l’on dit maître,
devant un autre en espérant
ne pas s’être trompé de temps,
ce qui arrive aux plus sagaces.
Quand de soi-même on perd la trace
on se contente d’un giton.
Montaigne était juif, me dit-on,
mais je n’étais pas un Montaigne,
ni juif d’ailleurs, tel qu’on l’enseigne.
D’ailleurs je n’ai jamais été
ce qu’un homme doit se souhaiter
s’il vise la reconnaissance.
Je n’ai jamais tenté ma chance.
C’est ma loi, je ne joue jamais.
Je ne rêve pas de palais,
ni d’un trophée documentaire
dans les pages du dictionnaire.
Vous me voyez, cher Engeli,
tel que me laisse ce conflit
trop mal vécu pour que j’y laisse
autre chose que plume en laisse.
On n’aime que ce qu’on devient
quand on a perdu ses moyens.
Et j’aime les motocyclettes,
qui valent bien trompe et pépètes
si j’en juge par mon bonheur.
On m’emploie dans l’antidouleur
en échange d’un bon salaire.
Je boulotte comme mon père
en attendant que des grisons
jouent dans la cour de ma maison,
car je suppose que des ânes
naîtront de ma belle bécane.
Ils auront de l’enseignement,
avec du sport et des moments
de douce folie passagère.
En tout cas c’est ce que j’espère.
Mais en attendant je m’en vais
tous les week-ends au vent mauvais
sur mon Harley forte de chrome
et de cuir que sous le bonhomme
mon cul apprécie en expert.
Quelquefois je commets l’impair
qui met en danger mon archée.
Si ma vie doit m’être arrachée,
plutôt que prise en un filet,
ou chassée à coups de balai,
que ce soit au bord de la route,
comme plus d’un con le redoute,
plié en quatre en un fossé,
les jambes en croix, déchaussé,
et les mains jointes en prière
comme un plongeur dans la rivière
de ses rêves et de sa mort.
Ainsi je me vois quand je dors.
Je ne serai jamais poète.
Quelquefois il faut qu’on m’arrête,
car je vais vite quand je vais
sans les violons au vent mauvais,
sur mon Harley toute flambante,
les bras croisés comme un atlante.
« Ma foi, dit mon beau tatoué,
disons qu’il faut se l’avouer :
du passé on est tributaire
et ça nous rend atrabilaire,
ce qui explique le délit
que tôt ou tard on accomplit
sans demander rien à personne.
Il est trop tard quand on raisonne.
On est trop seul quand c’est trop tard.
Ah ! Tu parles d’un lupanar !
Plus rien à foutre, attendre, attendre !
Quand le feu couve sous la cendre
et qu’il s’agit de se venger,
ah ! Oui mais mon pauvre étranger
cette fois dans ton innocence.
Et je le dis sans arrogance.
Vingt ans ça fait un homme en trop.
Ah ! Il faut voir le maestro,
plus vif que gentille alouette
qui connaît chanson et poète !
Et le soleil a l’air plus grand
depuis que ce n’est plus dedans
que le vieux taulard le salue.
Enfin debout il voit la rue.
S’il est libre il a fait florès.
Il se protège le faciès
comme s’il voulait disparaître.
Il marche enfin plus de six mètres,
en ligne droite jusqu’au coin
du grand mur dont chaque matin,
pendant vingt ans d’inexpérience,
il a mesuré l’apparence
et le pouvoir sur le bonheur,
— la trilogie du bâtisseur
sans qui le monde est invivable
dans les limites du faisable…
car qui peut le plus peut le mieux,
dit-on pour calmer les envieux,
les jaloux, les saints, les barbares,
les égoïstes, les avares,
les hypocrites, les bavards.
C’est que la morale est un art
et le Bien ni beau ni trop moche.
Quant au mal qu’on a dans les poches,
s’il fait du bien c’est qu’on est bon
pour finir sa vie en prison.
Il se souvient d’un bar tranquille
où il a rencontré Virgile
avant que ce con de procès
tourne pour conclure à l’excès.
C’était le dernier homme libre
croisé avant que l’équilibre
de la balance soit faussé
par injustement ce qu’on sait
avant d’en avoir connaissance.
Pouvoir, bonheur et apparence !
Il avait bu un coup de trop
sans compter combien de bistrots
s’étaient enrichis de sa science,
mais non sans quelque répugnance.
Il voulait compter sur ses doigts,
en trouva neuf comme il se doit
et sortit de son aiguillette
le dixième en hochant la tête.
— Il a soif, dit-il au malfrat
qui attendait son avocat.
On va lui donner de quoi boire !...
Et le plongeant dans son ciboire
il poussa un cri de douleur
que tous nous reprîmes en chœur.
Puis il vida le fond du verre
et se plaignit que son vieux frère
eût tant soif quand manquent les sous.
Il le secoua par-dessous,
le tenant au bout du prépuce,
le traitant de mauvais gugusse,
et le remit où il était
sans la braguette refermer…
Car, dit-il en léchant son verre,
on n’enferme pas un vieux frère…
moi qui allais droit au procès,
j’eus de la fièvre un bel accès
qui bonifia mon teint diaphane
et plut à cet homme épiphane.
Oui, c’était là, dans ce troquet…
j’y ai rencontré le sujet
de mon roman pénitentiaire,
vingt ans à attendre derrière
ce mur bâti pour le bonheur
des uns et des autres, malheur !
Vingt ans de plus pour la balade
dans un corps vaincu et malade.
Mon Thyl, mon Huck et mon Sancho,
mon Chveik, et moi dans ce cachot
à entendre ce que Virgile
débite comme l’évangile
du doigt perdu et retrouvé
par le miracle déluré
d’un calcul qui en dit l’astuce.
C’était écrit sur son prépuce
à l’encre bleue des écoliers.
Jamais je n’avais rigolé
autant qu’avant d’aller me faire,
au non d’un peuple tarifaire,
enculer par vingt ans, vingt ans !
Chacun son tour, par mauvais temps,
l’un après l’autre sans remise,
et Léon qui me totémise,
flairant la goutte qui lui pend
au bout du nez depuis ce temps.
J’aurais pu rire d’autre chose,
mais c’est l’inconscient qui dispose
de l’humour et de ses exploits.
Virgile avait toujours dix doigts !
Sur le onzième j’improvise
et je saigne dans ma chemise
à la lumière d’un néon,
au grand plaisir du vieux Léon
qui en vingt ans d’intempérance
dans le domaine de sa science
a fait de moi ce que je veux
montrer aux hommes comme à Dieu.
Quel gros rire fou ô Virgile,
ou quel que tu fusses, fossile,
un professeur ou un clodo,
d’une vieille pie le fardeau,
ah ! Je ne sais quelle misère
rend joyeux qui se désespère
d’avoir perdu, même rêvé,
un doigt aussitôt retrouvé !
Un doigt qui a soif de tes rêves
et que tu trempes dans la sève
qui fait de toi un mal-aimé.
Ah ! C’est con, je le reconnais.
On a vu mieux en poésie
et de beautés on l’a nourrie,
pendant des siècles au travail,
avec des trucs dans le poitrail
ou des machins dans la cervelle.
La Poésie veut être belle.
Si elle ne l’est point pourtant,
le Poète est intelligent
et de fragments en pieux verbiages
il s’adonne à ses coloriages
avec un soin d’enfant sérieux
qui toujours peut le faire mieux.
C’est ce que prétend sa maîtresse
qui est belle mais sans adresse,
comme il sied rituellement
aux inconnues de leurs amants.
Je reconnais que mon Virgile
et son doigt qui n’est point d’argile
n’atteignent pas la dimension
de la beauté ni des passions
qui agitent l’esprit en phase
avec son époque et ses stases,
ces arrêts sur place du bus
entre complots et consensus.
Je me la joue sur d’autres gammes,
non point que je change de femme
quand elle ne m’inspire plus,
mais revenant chez les reclus,
en esprit mais pas sans la lettre,
je me ressource avec le maître
qui sut aller au bout de moi
sans ménager ce que ses doigts
(il en avait dix si je compte)
surent ajouter à mon conte
et même à Virgile héros
de ces prestiges carcéraux
dont vous appréciez la magie
et non point ce qu’on dit génie,
car ici il n’habite pas.
Du rire gros comme mon bras,
à moins que rien ne vous émeuve,
et une croyance à l’épreuve
de Dieu et de ses saints patrons,
il n’en faut pas plus au giton
tout couvert de son écriture
pour proposer une aventure
que ma nudité garantit
au pauvre comme au mieux nanti. »
Asseyant sa dure carcasse
sur quelque sombre carapace
qui jouxtait le triste canal,
il m’avoua qu’il avait mal
mais qu’il possédait le remède,
un baume avec dedans des aides
pour se projeter en Enfer.
Un vrai supplice pour la chair,
mais un régal en temps de manque.
Je le trouverais dans la planque
qui met les choses à l’abri
du flic et de son bistouri.
« Ah ! Ces caves quand ça charcute
on voit en quoi ils sont des brutes
pas peu fiers d’être maladroits.
Je n’ai jamais compris pourquoi
la liberté et la justice
conditionnent tous les supplices
qu’on inflige au contrevenant.
De l’autre côté du roman
qu’on se raconte pour médire,
point de justice et même pire,
on n’est pas libre d’en sortir !
Le monde à l’envers du martyr !
La liberté c’est sans justice
qu’il convient d’en montrer les vices,
et avec exemple à l’appui,
même plusieurs si c’est l’ennui
qui motive cette expérience.
L’être humain fait la différence
et au diable l’inquisiteur.
Justice veut notre malheur !
Ou alors que le justiciable
aille vivre et se mettre à table
derrière le mur des prisons.
Il verra comme il a raison. »
Il frappa durement ses cuisses,
comme un enfant que le caprice
déroute à ce point que les mots
ne veulent plus de son grimaud.
On conçoit que cette souffrance
provoquée par l’extravagance
des conclusions qu’il apporta
à un propos même parfois
pas dénué d’intelligence,
par sa sinistre incohérence
eût interdit à son cerveau
d’en retrouver les justes mots.
Et ceci en toute justice !
Arrive-t-il que l’aruspice
qui se prend pour un écrivain,
pauvre doctrinaire chauvin
qui s’amuse avec les entrailles
de ses semblables qui travaillent
pour gagner plus et faire moins,
arrive-t-il que ce devin
ne trouve plus dans sa cervelle
les mots qui se sont fait la belle
pour échapper joyeusement
aux délires de ce dément ?
Comme je songeais à la belle,
que les mots se sont faits sans elle,
je pensais me jeter à l’eau
pour me donner, privé de mots,
au hasard d’une autre aventure.
Je ne sais si Littérature
inspirait cette grande peur
d’être mangé, avec le cœur,
par cette brute tatouée
qui me changeait la destinée
au moment le moins opportun.
N’était-ce pas lui l’importun
qui retrouvant les circonstances
des mots chassés de sa conscience,
me demanda fort poliment
d’aller chercher le liniment
qui soulagerait sa souffrance ?
J’avais peut-être de la chance…
je me fis expliquer comment
trouver cet abri promptement.
« Pas besoin de clé à molette,
dit cet impensable poète
en frottant sa peau des genoux.
A ce point je ne suis pas fou.
Les flics sont tellement nunuches
qu’ils se servent de leurs paluches
pour compliquer ce qui pourtant
est simple comme boîte à gants.
Tire donc sur la chevillette
et cherra sur ta bobinette
tube comme on fait pour les dents.
Là-dedans se trouve un onguent
qui va nous payer le voyage.
Et j’en garantis le langage.
Tu veux voir du pays, vas-y !
Sur un balai, tous à Zanzi !
La Terre est ronde, je confirme.
Et le ciel bleu comme un infirme
qui traverse les océans
sur le dos des quatre Géants.
On peut marcher sur les nuages
comme Jésus entre les plages.
Mais l’important c’est d’avoir faim
et soif et tout le saint-frusquin.
Ni homme, ni femme tu planes
comme tu fais sur ta bécane
quand la route se met dessus.
N’emporte rien, on y va nu.
Rien dans les mains et pas de poches.
Et si tu veux qu’on se chevauche,
je préviens je fais ça le mieux.
On verra peut-être ton dieu.
Le mien est crevé sans histoire
dans un calcul combinatoire.
Ah ! Du temps j’en ai eu de trop
et pas pour jouer les héros
à la façon de don Quichotte.
On verra sans doute des potes
qui par cette nuit sans emploi
ont eu la même idée de soi
et nus ont astiqué leur couenne
après avoir choqué leurs crânes
contre les murs de leur prison.
Je chante un hymne à la raison
dont je connais la camelote.
Vingt ans que je me la dorlote
entre matelas et coussin
en me triturant les deux seins.
Comment veux-tu que je raisonne
sans les moyens de la personne ?
Les équations ah ! C’est bien beau,
mais sans personne sur la peau,
sans rendez-vous avec l’espèce,
voilà la monnaie de ta pièce :
un égale un, zéro zéro
plus un ça fait toujours zéro !
Heureusement, j’ai la formule
et pour le prix des molécules
un potard qui connaît son fait
et responsable satisfait
mes besoins de voir la planète
par le bon bout de la lorgnette,
qui est je crois le plus petit.
Je ne suis plus un apprenti.
En plus je connais la musique
qui va avec sans la panique,
car plus c’est haut, moins c’est calmant.
Le nerf craque au premier tourment
qui te met du vent dans les voiles.
Rien à voir avec les étoiles
qui font des trous pour exister
dans l’œil de qui veut résister
aux tentations de la tempête.
La pureté, ce n’est pas bête,
mais ça sert à quoi si on sait
autrement se faire brosser ?
Le cristal c’est la foi des tristes.
Si l’esprit n’est pas futuriste
on est bon pour recommencer.
Je ne veux plus être français !
Ni autre chose qui m’enchriste !
Je voyage comme un touriste,
avec rien à foutre d’antan
et de ce que j’étais avant
de connaître le protocole
qu’on ne t’apprend pas à l’école.
Les vieux ça me sort par le nez !
Ils sont morts et bien enterrés.
Et pas d’enfants dans ma famille.
Je nage mais à la godille
sans me soucier des pissenlits.
Je ne fais plus papa au lit,
si jamais j’ai rêvé d’y croire.
L’enfant est mort sans son histoire.
Le reste c’est de la fiction,
de la colère, sans passion.
Pas de procès, pas de victime,
juste le temps donné au crime
et ce rire que j’accomplis
avec Léon au saut du lit
et Mescal au bout du voyage.
On est vieux quand on n’a pas d’âge
et jamais jeune quand on l’a.
J’en ai farci mon matelas,
de ces aveugles personnages
qui voient dès lors que j’envisage
d’aller avec eux contempler
les paysages bricolés
de l’attente et de la magie.
Sur ma peau les mystagogies
forment la trame du récit.
Et le mystère s’épaissit !
Je t’en dirai quelques nouvelles
si les supporte ta cervelle. »
Il parlait, mais je n’entendais
au fond que ce que je voulais.
Je m’approchais de la voiture,
si lentement que ce murmure
prenait un sens bien malgré moi
et sans que je susse pourquoi.
Oui, j’écoutais sa litanie,
je nourrissais ma vésanie
de ces hypothèses d’amour,
la perspective du discours
me donnait du temps à redire
comme jamais, sous son empire,
je n’avais su m’y retrouver.
Maintenant il me reprochait,
non sans une pose féline,
de ralentir cette machine
conçue peut-être pour moi seul.
En effet je me sentais seul.
Ou j’inventais cette amourette
ou j’étais tombé sur la tête.
Il proposait de voyager
et je me sentais outragé
par le moyen et la fortune.
Ce n’était pas une tribune
où j’eusse pu, de droit et fort,
donner de la voix sans l’effort
nécessaire pour le comprendre.
Et je ne pouvais pas attendre
plus longtemps car j’en avais peur.
Ainsi commence le bonheur,
me conseillait, depuis l’enfance,
ma trouble et facile inconscience.
Car j’eusse pu tourner la clé
et dans son auto m’en aller
pour traverser cette nuit folle
où je jouais le mauvais rôle.
Nu dans sa peau qu’un tatoueur
avait conçue comme un acteur
selon le texte et ses incises,
il attendait que je lui dise
si oui ou non on s’en allait
comme il l’avait imaginé.
Même ses dents étaient gravées !
La Lune étant à l’hypogée
en décrivit dans le détail
la complexité de l’émail
et l’or fin de son écriture.
Un crâne exempt de chevelure
surmontait cet athlète acquis
aux pratiques d’un paradis
dont les dangereux artifices
promettaient de troubles délices.
D’avance je m’en régalais,
imaginant même un palais,
lupanar ou bien sanctuaire,
que mouillaient des eaux printanières
où des êtres faramineux
servaient les caprices des dieux
avec un zèle de fillettes
pas peu fières de leurs gambettes.
Lisait-il dans mon pauvre esprit ?
Avait-il simplement compris
que cette odyssée exemplaire
avait des chances de me plaire ?
« J’en ai rêvé sans m’y donner,
n’ayant jamais mis que le nez
à la fenêtre de l’errance,
ne me payant que des vacances,
il est vrai dans de beaux endroits
où le suçon et son bourgeois
partagent de loin les deux rives,
car les pratiques addictives
me font craindre la claustration
à l’intérieur d’autres passions
qui me sont au fond étrangères.
Car je me sens d’humeur légère
chaque fois que le hasard prend
la liberté, s’aventurant
au-delà de mes propres traces,
de me pousser pour que je fasse
le premier pas dans l’inconnu.
Y serais-je le bienvenu ?
Et je m’en vais sur ma bécane
vers d’autres cieux qui me dédouanent
alors qu’ailleurs on oublie tout
et on refait pour tous les goûts.
Ah ! Ce que je ris de moi-même
chaque fois qu’un bien beau blasphème
effleure mes lèvres mordant
ma langue de toutes ses dents !
Je ris, je pleure et je voyage
sur le sable des coquillages,
comme l’oiseau au pied marin
pose sur l’étoc cristallin
ses ongles d’ivoire et de nacre.
Je préfère ce simulacre,
ses mots, ses actes, ses récits,
à ces étranges raccourcis
de nos perspectives humaines.
Oui, souvent mon Harley m’emmène
loin de ces vertes tentations
qui attirent mon attention.
Et en quatrième vitesse
je reviens et je me détresse,
je retourne à mes illusions,
au rêve éveillé de l’action
qu’on qualifie de méritoire,
en me racontant les histoires
que me racontait ma maman
dans son grand lit exubérant.
Voyez comme la vie nous joue
des tours que cygne de Mantoue
ou rossignol du troubadour
nous avons peine sans amour
à comprendre comme l’entendent
les chevaliers de la légende.
Et me voici paralysé
par cet être bien avisé
en matière de temps qui passe.
Hors des champs du cyberespace,
la moindre anomalie nous met
en posture de cas sujet
quand nous étions venus en hâte
couler du bronze entre nos pattes
et soulager ainsi le corps
pour notre bien et son confort.
Et voici que paraît un ange,
tombé comme on dit de ses langes,
tout nu et couvert du roman
qu’il a écrit et que maman,
si elle était encore au monde
ce que j’y suis non sans profonde
reconnaissance du terrain,
que maman, disais-je, crincrin
des chansons faites pour qu’on pleure,
eût parcouru en digne auteure
d’un spectacle pas moins lascif.
Il paraissait inoffensif.
Assis sur quelque carapace
appartenant à cet espace
où j’étais venu pour chier,
il demandait ce que j’avais
qui m’interdît, dans la minute,
de ramener ce que sa flûte
chantait déjà entre ses doigts.
Il en avait l’œil aux abois.
D’un saut je fus à la portière
et je projetai la lumière
à l’endroit qu’une boîte à gant
semblait occuper cependant
qu’une main ô pâleur mortelle
reposait sur une dentelle
amidonnée de rouge sang.
Ce que je conçus en voyant
ce macchabée, on le devine !
Une montée d’adrénaline,
comme on dit dans les bons polars
et dans d’aussi bons lupanars,
me fit faire un tour sur moi-même,
à moins que ce fût le deuxième.
Et chaque fois dans un reflet
m’apparurent tous les effets
qu’un visage sans existence
produit sur l’œil qu’il influence
de ce qu’on connaît de la mort
quand on jouit sciemment de son corps.
Un collier de perles sanglantes
limitait une plaie béante
où d’immobiles inflations
témoignaient qu’aucune fonction
n’était dans ce corps en usage
et que l’âme était en voyage.
La mort dans toute sa splendeur !
Je ne pus exprimer l’horreur
que m’inspirait, non le cadavre,
car jamais on ne vit cadavre
faire du mal à un vivant
si un virus n’y est dedans,
mais ce que réservait la suite
si ne me mettant pas en fuite
je n’échappais point au serial.
C’en était un, foi d’animal !
Car si elle était la première,
je suivais tout juste derrière.
Et je sentais son rire froid
déposer sur mon cou étroit
les postillons des exigences
qu’il débitait sans impatience
pour ne pas me perdre en chemin.
Comme trembler est inhumain !
Qui prétend n’avoir pas la trouille
d’un serial killer en vadrouille
tout nu et tatoué d’horreurs
dont on découvre la primeur,
je dirais en grandeur nature
vu la profondeur des blessures ?
Et je pensais à la douleur
de cette giclée de malheur !
Je vis de plus près ses paluches,
signées Léon, qui n’y trébuche,
tant le trait est sûr et précis.
Je devrais trouver ça sexy,
mais sans les mots, je me dérobe.
Il s’en faut de peu qu’on me snobe
quand je manque d’inspiration.
J’explique ça par la passion,
que je n’ai pas malgré l’envie
qui prouve que je suis en vie.
Je plie bagage et je m’en vais,
comme je dis, au vent mauvais.
On ne me retient pas de force,
même dans les cas de divorce.
Voilà pour les situations
ordinaires de la passion.
Du déjà-vu, de la routine,
rien pour empêcher la machine
de tourner rond comme au bureau.
Mais là, les amis, c’est ma peau,
jamais tatouée, propre et blanche,
ma peau d’amour, ma vieille branche
qu’on menace de découper
à l’endroit que pour le louper
il faudrait être plus qu’un manche.
On voit comment la lame étanche
les grandes soifs de la terreur.
On enfante dans la douleur
le silence de sa prégnance.
La fille exposait des béances
qui amélioraient mon savoir.
Mais dans les mains, pas de rasoir.
Juste des doigts et une histoire
que Léon de triste mémoire
avait gravée en blanc et noir
pour que ça soit plus ressemblant.
Des mains je dirais caressantes,
mais pas vraiment exubérantes,
des mains d’artiste aux petits soins
de l’œuvre en marche sur les reins.
Je mourrais donc après l’outrage,
non sans avoir, pour le message,
précisé que la fille dans
la bagnole est un mec courant.
Ce fut donc non sans pertinence
que j’en déduisis que la chance
d’être monsieur n’en était pas.
Fort de cette conclusion-là,
le cœur jouant de mes claquettes
sous les boutons de ma braguette,
je vis Dieu alors que jamais
je ne lui avais vu le nez,
preuve que s’il est Dieu j’existe.
On devient existentialiste
dans ces moments de pur éthos.
J’allais déguster jusqu’à l’os
avant d’en pleurer jusqu’aux larmes.
Pas question que par un vacarme
de la voix, rien que de la voix,
j’ameutasse dans cet endroit
le ministre de la défense
de tuer en pays de France
sans un document pour prouver
qu’on peut le faire au pied levé.
Et voilà qu’il me déboutonne !
Il fait du mal à ma personne
avant de se faire du bien.
Il va couper le nœud gordien
quand il se ravise et m’étonne
en déposant sur ma colonne
un baiser qui fait des frissons.
Tombe à mes pieds mon caleçon.
Je sens sa bite entre les fesses,
je ne dirais pas sans finesse
tellement ça me fait plaisir.
Ah ! On est loin de ses désirs
quand on en sait trop sur les femmes
et pas assez sur l’autre dame !
On croit être bien éduqué
mais papa n’a pas dit tout vrai.
Même maman, qui sait des choses,
nous a privés d’un truc grandiose.
On est à deux doigts de la mort
quand les secrets de notre corps
nous sont révélés à la hâte
par un inconnu qui épate
alors qu’on était mort de peur,
n’écoutant plus que notre cœur
des fois que ça déshumanise
au point qu’on se familiarise.
Bref, je délirais sans esprit,
pas sûr d’avoir tout bien compris.
Et le cadavre sent la viande,
mais de la fraîche avec des glandes
qui n’ont pas dit leur dernier mot.
Elles ignorent que primo,
la mort pourrit tout ce qui crève,
et que secundo dans les rêves
on n’explique rien au vivant.
Et voilà pour la nuit des temps !
« Si tu as besoin de lunettes,
me dit Engeli le poète,
j’en ai qu’avec on voit au poil.
Ah ! Ce roman n’est pas banal !
J’y ai mis même des virgules
car j’en avais comme un scrupule,
vu qu’on ne connaît pas l’endroit.
Ça commence sur l’orteil droit.
Tu continues sur la cheville
et laissant de fil en aiguille
tes yeux caresser le récit,
tu te retrouves sans souci
dans l’anecdote de la plante
qui est d’ailleurs indépendante
et peut se lire en un morceau
sans se référer à la peau,
si tel est du roman le titre.
Tu repéreras les chapitres
grâce à des signes que Léon
a conçus comme les jalons
d’une mort lente et douloureuse
en même temps que prometteuse
d’importantes révélations.
Lis sur ma peau ces damnations !
Vingt de travaux et d’ivresse
pour qu’enfin on me reconnaisse
tel que je suis ô sablier ! »
Parole de fou à lier !
Et pourtant je voulais le lire,
ce roman avant de maudire
dans un dernier cri de passion
l’exécuteur de ma fiction.
Et je le lus, sans le traduire,
car il était, sous quel empire,
écrit dans l’idiome espagnol,
mais dans le style rock’n’roll
qui m’est depuis ma tendre enfance
aussi familier que sa danse
dans le domaine corporel.
Dans un silence démentiel,
il écouta ce que le mètre
inspirait sans me compromettre
à ma voix et aux mouvements
que j’impliquais fort savamment,
du moins si j’avais de la chance,
aux ombres de mon apparence.
Tandis que d’un geste appliqué
sur le pénis je retroussai
le prépuce couvert de signes
et de graphiques interlignes,
le gland de volume doubla
et ainsi tendu révéla
les noms de tous les personnages
et leurs positions sur la page
que l’esprit du patient lecteur,
sous d’autres signes directeurs,
dont la liste pouvait paraître
en pressant les bords de l’urètre,
devait se figurer à plat
sous le sinistre vasistas
qui dispensait une lumière
peu propice à ses justicières
autobiographies du malheur.
Je mesurai alors l’ampleur
de la tâche ainsi accomplie
et de la hauteur du génie
qui en avait conçu l’effort
sans ménager esprit ni corps
au détriment de la justice
et pour la grandeur du supplice.
Ce grand corps couvert de récits,
fictions peut-être mais aussi
traces vivantes que le crime,
fort de ses mises en abîme,
amendait pour en négocier
cris de haine des justiciers
et complaintes des proies civiles,
il était tellement facile
d’en jouer comme d’un bouquin
dont les pages entre nos mains
craignent qu’en jouant on déchire
au lieu de tout simplement lire
ce que cette fine épaisseur
porte de joies et de douleurs
comme la femme en son usine
d’humanité et de machines.
Je croyais bien le posséder,
ce grand corps qu’à manipuler
je sentais facile et esclave,
non point comme une pauvre épave
rejetée par l’aveugle flot
des mœurs passées sous le rouleau
compresseur de l’intelligence
mise au service des croyances,
mais au contraire comme objet
que chacun veut déposséder
de sa magie et de son charme
non sans le baigner de ses larmes,
car la joie fait pleurer crûment
celui qu’un tel linéament
de l’éternel et du possible,
dans les territoires paisibles
où tout est dit et pour toujours
chasse comme preuve d’amour
pour qu’il habite enfin à l’aise
les tourmentes de la fournaise !
Après la joyeuse expansion
des nerfs titillés dans l’action,
voici comment la connaissance,
comme une source de Jouvence,
s’adonne nue aux contractions
que l’univers, dans l’inaction,
de son brûlant néant menace,
tandis que l’esprit perd la trace
de ses propres pas dans le vrai
que la Poésie vient d’œuvrer.
Prononçant ces chaudes alarmes
je le baignais dedans mes larmes,
couvrant l’écriture du sel
du contenu émotionnel
où se noie mon intelligence
et les reliefs de ma conscience.
Ah ! Quel plaisir d’éjaculer
pendant qu’on se fait enculer !
« Là ! Il faudrait que tu t’arrêtes,
dit Engeli que la branlette
n’inspire pas comme elle sait
porter aux nues mes alizés.
On dirait le style de Charles
qui écrit comme Malraux parle
quand il a fini de mentir.
Je n’y trouve pas du plaisir !
Tu ne traduis pas dans le style.
La langue espagnole est une île,
mais non point de l’océan franc
qui bat des Pyrénées les flancs
et ne passe pas la frontière
avec les plagiats de Molière
et ses romans éducatifs.
Je ne veux pas être agressif,
car tu caresses l’élégance
comme pas un ici en France,
mais enfin l’intellectuel,
le cérébral, le manuel,
le langage des paroxysmes
du verbal et du nombrilisme,
c’est du caca de ronds-de-cuir,
une littérature à fuir
sous peine de perdre boussole
et hygiène comme à l’école
avec bonnet d’âne et piquet.
On est très loin de pratiquer
les us et coutumes de l’art !
Charles nommé le Faux Fuyard
dans les moins mauvaises chroniques
du canon de la République,
fuit toujours quand ça sent mauvais
chez l’Allemand ou chez l’Anglais
selon qu’il se rend ou s’abrite.
Il faut savoir où on habite
quand c’est en France et pas ailleurs
qu’on réside pour le meilleur
et pour le pire sans raison
de rêver d’autres horizons.
On sait tout ça quand on émigre
dans la nation dite du Tigre,
un mètre cinquante en sarouel,
un mec qui deux fois en duel
tire six coups sans faire mouche
et six autres, ce n’est pas louche,
n’effleurent même pas sa peau,
celle qu’il offrit au drapeau
avec tous les pions de la classe,
mais pas au feu qui ne menace
ni sa fortune ni son cul.
Et le macchabée est cocu,
s’il manque de pot il trépasse,
et s’il survit au temps qui passe,
il est gros Jean comme devant.
Avec des héros de ce rang
on alimente les annales
en passant par le trou de balle
même si on n’aime pas ça.
Pas étonnant que la doxa
cherche ailleurs comme en Amérique
de quoi donner à sa chronique,
en librairie et sur les bancs
et les plumards des courtisans,
des airs qu’on a gagnés quand même,
qu’on a perdus mais pas la même
et puis que si on a joué
c’est parce qu’on nous a forcés
alors qu’on avait des idées
comme le prouve l’Élysée
qui loge à l’œil tous les crevés
dont le mérite est mérité.
Voilà d’où vient qu’on est malade
et qu’on en publie la salade,
avec un plat de jeux verbaux
qui met au-dessus du prolo.
Rouletabille et Rocambole,
en pédagogues du beau rôle,
font la leçon au populo
qui des fois décroche gros lot
et se fait péter le derrière.
Et on s’applique à bien le faire,
surtout d’ailleurs si on en vient.
Et au dessert, les gros moyens
des idées qui changent le monde
sans rien changer à la Joconde
qui a toujours très chaud au cul,
car Dada a bien survécu
n’en déplaise aux retardataires
qui se demandent s’il faut plaire
ou agacer le bon facho
qui entretient l’art du bachot
pour séparer le grain à moudre
de l’ivraie qui veut en découdre.
Malades, joueurs et régents
font des beaux livres pour les gens,
à la saveur d’un nombrilisme
qui se frictionne au paroxysme
et se baigne dans le pognon.
Une omelette aux champignons
de gens qui montent bien en neige,
avec le jaune qu’on agrège
et la coquille sans quoi l’œuf
ne sert à rien comme le bœuf.
C’est que ça manque d’expérience,
ces fonctionnaires de la science
mal équipés ou pas du tout
pour regarder ailleurs, partout
où il se passe quelque chose
dont le nombril n’est pas la cause.
Enfin, pour dire et faire court,
on les élève dans les cours
des primaires municipales
où les fièvres épiscopales
donnent au laïc des boutons
qu’il astique comme un joufflu.
Ensuite à l’étage au-dessus,
on complique et on veut parfaire
les impostures légendaires
et les fausses gloires du temps.
On apprend les trous de la flûte
et comment c’est qu’il faut qu’on lutte
pour en jouer sans les dix doigts.
Un art français qu’on doit aux rois
et à l’éducation classique.
Mais comme on connaît la musique,
on joue le jeu et on s’y fait,
avec au bout, bien décroché,
le diplôme de la bronzette,
un bac qui ne vaut pas tripette
mais qui ouvre des fois en grand
la porte aux meilleurs des feignants.
Et tout le monde est admissible,
à moins de souffrir des fusibles
avant d’avoir été admis.
Après on travaille entre amis,
comme au parti et à l’église,
ou ailleurs mais pas d’entreprises
pour évaluer le niveau.
Les vacances c’est pour la peau,
qu’on sauve aussi souvent qu’on danse,
et le travail pour la présence,
sauf quand bien sûr on est absent,
ce qui arrive très souvent.
Et pourquoi donc que ça arrive ?
Pourquoi donc il faut qu’on écrive ?
On ne s’occupe que de « Soi ».
Et on ne parle que de « Moi ».
Le nombril entre cœur et sexe,
foyer de tous les bons réflexes
qui n’engagent pas l’étranger
et prouvent qu’on sait bien nager
dans les eaux de la République
sans rien toucher à sa chronique.
Et en plus le salaire est bon
et la retraite dans le ton
qui convient aux fuites que Charles
a pratiquées avec ses marles
sur les trottoirs de la Nation.
Le nombril est une fonction.
Tu traduiras sans cet organe
et je t’achète une bécane. »
Sur cet hymne au travail bien fait,
Engeli son corps nu soustrait
à mes caresses indigentes
si j’en crois ce qu’il en évente.
Dois-je illico me rhabiller
sans ma fonction faire payer ?
Je ne me sens plus très à l’aise
dans ce costume qui me pèse.
Me voilà seul avec le mort
qui semble faire des efforts
pour revenir à la surface…
s’il faut expliquer sa grimace.
Comme je ne m’informe pas
dans les journaux ni sur le tas,
je ne connais pas son histoire,
ni par quel mode opératoire
il faut en passer pour briller
des feux de l’actualité
alimentés par la série.
Je sortirai en librairie
avant d’avoir même compris
pourquoi je n’ai pas de grigris
alors que la vie en propose
à des prix qui valent la chose…
ou le coup… ah ! Je ne sais plus
si j’habite encore au-dessus.
Il faut sans crise d’hystérie
expliquer ce crime en série.
J’en veux savoir le fondement
avant de crever bêtement,
ou du moins comme j’imagine
le pauvre mec qu’on assassine,
non point de n’avoir pas compris
ce qui motive ce mépris
de la vie et de ses richesses,
mais d’attendre là qu’on me blesse
sans rien savoir du prochain coup.
Je veux m’en aller sachant tout,
comme il en est de l’agonie
en famille sans la série.
Pour le motif, ou le moteur,
Engeli cherche un traducteur
et n’en trouve pas à l’école.
Il ne veut pas qu’on lui bricole
des pieds à la mode d’ici.
Alors il se fait du souci
et pour garder les pieds sur terre
et demeurer dans sa manière,
il change le métier poli
du poète au nom d’Engeli
en cet autre qui sur moi tombe
pour m’aider à creuser ma tombe.
Et dès le départ je déçois !
Pourtant je fais avec les doigts,
je sors de mon ventre les tripes,
comme un paria au casse-pipes
hors de chez lui fait le gerfaut,
je traduis mais pas comme il faut !
Je vais y passer comme l’autre !
Allez, Mickey, tu es des nôtres !
On ne parle plus mais on voit
qu’on a morflé. Allez ! A toi !
Et il revient, mains nues et noires,
en finir avec mon histoire.
Il me regarde en souriant,
léchant l’ivoire de ses dents.
Je peux prétexter la diarrhée
pour expliquer la logorrhée,
et chercher un certificat
qui mon absence excusera,
mais loin de chez soi la justice
de ses erreurs est débitrice.
« Mickey, dit-il, tu traduis bien.
Tu n’es pas comme tous ces chiens
qui veulent qu’avec eux j’aboie.
Voila comment on se fourvoie
avec des chiens procéduriers
qui savent tout de leurs métiers
pour en escalader l’échelle
sans sentir mauvais des aisselles,
mais rien du savoir de papa
qui est mort pour le syndicat
et l’idée internationale
qu’il se faisait de la cigale
et de la fourmi sans l’État.
Ah ! Je mérite mieux que ça !
Et ça me met les nerfs en boule,
ces héritiers de la cagoule.
Il faut dire que par hasard
je les cueille dans les bousards
où ils enseignent mon idiome.
Par goût, je préfère les hommes.
Je ne veux pas être traduit
sans une aventure à l’appui
de mes prétentions à la gloire.
Or jusqu’ici, point de victoire !
On ne traduit pas, on trahit,
sans compassion, pour le profit
de la seule langue française !
Je paye un coup et on me baise !
On me rit au nez, on salit
ce que j’avais pourtant poli
jusqu’à trouver dans mes vertèbres
l’or qui éclaire les ténèbres
de son futur et de sa foi !
Je veux bien être maladroit,
ici ou là, dans mon extase,
mais celui qui touche à ma phrase
est un homme mort et bien mort.
Sur ce point nous sommes d’accord.
Ici, je passe sur le mode
opératoire et bien commode
à l’heure de donner la mort
non point sans coupables efforts.
Tout doit être cousu d’avance
avec le fil blanc de l’enfance.
Passons aussi sur cet aspect
qui mérite mieux que respect,
car l’enfant croît dans le mystère
de l’homme qui se désespère.
Toute série a une fin
qui explique son assassin.
Et ainsi de fil en aiguille,
prospère la sainte famille !
Mais vous me dites, cher Mickey,
que de ceci tout ignorez.
Faut-il donc que je vous explique,
pour argumenter vos critiques,
comment ça commence et finit ?
La tâche est aisée mais aussi
subroger l’info médiatique
me paraîtrait anachronique.
Quelle importance ce récit
puisque vous avez bien traduit ?
Seulement voilà, ma poupoule,
quand tu te vidanges les boules
évite d’en mettre partout !
C’est délicat comme tatou !
De l’eau, du savon de Marseille,
et quelquefois, Léon conseille,
de la sueur d’un autre mec,
car la peau n’aime pas le sec,
mais surtout pas du foutre mâle !
C’est de la matière animale
et ça féconde pour un oui
et pour un non même pas ouï.
Je veux bien que tu me traduises,
mais par pitié ! Pas de méprise.
Je ne veux pas d’enfant de toi !
Tu traduis et tu te tiens coi.
Ton activité séminale
qui a ses raisons matinales
et de plus obscurs arguments,
ne doit pas sur mon tégument
multiplier mes ayants cause.
J’y risquerais une overdose.
Je ne veux point de tes bâtards !
A chacun sa vision de l’art.
Je te demande de traduire,
et non point de me reproduire.
Si tu veux des gosses, fais-les !
Mais ne viens pas me polluer
avec ton goût pour les pastiches.
Je vis très bien seul et pas riche.
Au bout de dix, j’arrête tout
et je retourne à mes hiboux
et tant pis si à Barcelone
on ne lit pas sur ma personne
pour ne pas lire l’espagnol.
Je ne suis pas le rossignol
qui dans les patios de lumière
chante la chanson coutumière
que ces voix reprennent en chœur
sans inspirer de haut-le-cœur.
Je ne suis pas ce bec tranquille,
cette langue de campanile
qu’on trempe dans la copita
en compagnie de Lolita
qui trempe aussi mais pour me faire
dire des choses qu’elle espère.
Je ne suis pas chez moi là-bas
même si j’ai la qasida
à la place de mes entrailles,
prêt à entrer dans la bataille
de la rue et des mots d’amour
qui sont simples comme un bonjour
quand on sait le dire en musique.
Je ne suis pas cette bourrique
qui ne connaît de l’olivier
que l’homme assis, debout, couché,
l’homme qui joue de la guitare
pour ne pas rompre les amarres,
l’homme qui dort les poings fermés
pour ne pas laisser échapper
les rêves d’or de l’Amérique
et les rênes de sa bourrique. »
Avec les poils de son pubis,
tendus sur son glabre pénis,
sa voix se perdant dans la note
qui concluait son anecdote,
Engeli joua un accord
que j’accompagnai de mon corps.
« Voici le baume que sorcière,
que je connus pendant la guerre,
me donna sans explication. »
Je n’y voyais pas d’objection.
Il m’en frotta ventre, poitrine,
anus, couilles, langue, narines.
J’en eus le dos tout écorché
et le derrière bien torché.
Mes bras levés touchaient la Lune.
Ma bouche mordait de la brune
les lèvres noires qui parlaient,
qui salivaient, qui jacassaient,
qui se répondaient, pies bavardes,
merles moqueurs de la Camarde,
sans que je comprisse le sens
de ces paroles en suspens.
Je ne savais rien de la joie
avant de connaître sa voie.
Il était trop tard pour changer
d’avis et fuir cet étranger
qui me tenait par les chevilles.
Et ainsi de fil en aiguille…
quelle histoire n’a pas de fin ?
Il en faut une à ce refrain.
J’avais conscience que le mode
opératoire du rapsode
(car l’aède c’était Léon
comme le dirent en chanson,
dont le refrain je vous dévoile,
les journaux écrits sur la Toile)
commençait par ce doux envol,
illusion qui a tout du vrai
et ne cache rien des secrets
qui élucident le prestige.
C’est ainsi que tout devient clair.
Qu’ai-je traduit de cette chair,
de l’espagnol ou d’autre chose ?
De ce roman, l’apothéose,
ce n’est que ma disparition.
Ici s’arrête la fiction
et commence la vraie nouvelle,
(Qui veut tenir cette chandelle ?)
celle qu’il conviendra alors
de colporter, sérieux d’abord
car c’est le sens des tragédies.
Puis moins grave, sans frénésie,
et à la fin riant de tout
et de celle-ci comme un fou.
Je peux voler, comme sorcière,
mais il m’empêche de le faire !
Ainsi je serai découpé
à l’endroit du cou sous l’effet
d’un couteau de fer et de glace
qui expliquera ma grimace.
J’eusse souhaité me confesser.
Et voilà tout ce que je sais
du fameux mode opératoire
dont on a fait toute une histoire
dans les journaux le lendemain
de cette mort, mort de la main
de l’homme que, pour le traduire,
j’avais inventé sans le dire.
Mais pourquoi donc me mettre fin ?
Pourquoi m’arrêter en chemin ?
En si bon chemin je m’envole !
Et je m’appuie sur ses épaules,
sur ses clavicules d’ennui,
saisissant de mes mains la nuit,
pour échapper à son emprise.
Je ne vous dis pas sa surprise !
Et il insulte ses deux mains,
les tendant vers moi qui malin
m’agrippe à la nuit qui commence
dans les termes que j’ai la chance
de m’approprier pour finir
ce roman avec le plaisir,
ô ravissement de poète
sur le miroir aux alouettes,
de ne point y trouver la mort
mais au contraire, sain de corps,
de voler dans ce ciel d’orage
et d’observer, page après page,
ce qui enfin va s’y passer,
sans moi mais ce sera assez
pour conclure ce long poème
et en finir avec moi-même.
— Ici comme le fit Breton
la salamandre renversons
et que du rouge de son nitre
on mette fin à ce chapitre…
« La métaphore, c’est bien beau,
mais ça ne vaut pas le tricot,
d’autant que le lecteur s’habille,
même si dedans ça frétille,
et ne s’apprête nullement
à tirer de ce bon roman
des conclusions qui ne le vêtent
depuis les pieds à la casquette.
On est peut-être entré tout nu
en se disant que l’inconnu
ne déçoit jamais ses adeptes,
mais à la fin, le seul précepte
est d’en sortir sans attirer
les foudres d’une société
toujours encline à la critique
de la nudité priapique,
au mâle comme au féminin.
Alors trêve de baratin
et passons aux choses sérieuses,
qui sont aussi avantageuses,
car on y gagne en netteté
ce qu’on perd peut-être en clarté.
Le comment des choses renseigne,
comme sur le nez la châtaigne,
ou le vin né pour adoucir
tant mœurs que douleur de martyr,
alors que le pourquoi complique,
à tel point qu’en fin de chronique,
au tribunal comme au travail,
on ne sait plus si le détail
qui fit pencher de la balance
le fléau du côté qu’on pense
n’eût point plutôt à l’opposé
été d’un bien meilleur effet.
A force de vouloir comprendre
on ne sait plus qui on doit pendre
et de qui on peut ou jamais
à la folie se faire aimer.
Les livres sont pleins de ces drames
dont on connaît les amalgames.
Préférons Huck à Lancelot
et avec lui foutons à l’eau
le faux cadavre avec nos nippes.
S’il faut aller au casse-pipes,
autant fumer du bon tabac.
Il n’y a jamais de pourquoi
qui ne finisse en pirouette,
ce qui met souvent le poète
dans un état tel qu’il ne sait
plus comment avant lui c’était.
Depuis la guerre les écoles
où on s’adonne à la bricole
du pourquoi-pas-que-moi-aussi,
la lorgnette sur les mercis
et le cul dans les bonnes planques,
ont oublié que saltimbanque
rime avec comment-que-je-fais.
Et qu’il faut le faire en effet
avant de se mettre au théâtre
et même parfois plus qu’en quatre.
Aussi tenons-nous en à l’art
qui exige de son taulard
qu’il s’en tienne à dire les choses
sans en baragouiner les causes.
On n’est pas ici au palais.
Vous saurez tout, je le promets,
foi d’animal qu’on met en cage
pour que jamais il ne partage
ce qu’il sait faire et ne fait pas
et ce qu’il fait comme papa.
Des décennies que je mijote
sans que Poésie me dorlote
dans le verbiage du prolo
devenu par suite intello,
sans compter que les fils de putes
qui de la chaise en parachute
font des sauts dignes de Jésus
avec des clous plantés dessus
comme porche et tapisserie,
proposent leurs finasseries,
avec relations et consorts,
et pas capables d’un effort
pour ressembler à quelque chose,
au comptoir de ma porte close.
Je ne l’ouvre jamais pour chier,
vu que c’est dedans que je fais,
là où je dors, les mains ouvertes
parce que la place est offerte
en échange de l’interdit
que par essai ou par ennui
il arrive qu’on s’autorise.
Il faut dire que l’entreprise
a un charme fou à lier
et je ne m’en suis pas privé.
Au trou pour toute l’existence !
C’est ainsi que la connaissance
subit la froide résection
des membres conçus pour l’action.
Tu parles d’azur et de cygne !
A la fenêtre on fait des signes
pour avoir sa part de gaîté
et de la vie peu profiter.
Mais avec des riens on allège
le poids sans autres privilèges
que la rareté des objets
que sur les doigts on peut compter.
Ce n’est certes pas dans ma tête
qu’il faut chercher ce qui m’arrête
devant la vitrine aux jouets
sans les moyens de m’en payer
au moins un sans tuer personne.
Ça rend la morale grognonne
et elle veut savoir pourquoi.
On tourne en rond comme chez soi
dans ces palais où on vous juge
pour avoir causé du grabuge
dans des endroits du tout prévus
pour susciter les prévenus
et inspirer les épigones
faute de la bonne personne.
Violer chez l’autre son enfant
n’a pas en droit d’équivalent
autre qu’enfer ou purgatoire
selon qu’on veut ou non vous croire,
comme on s’adresse à l’animal,
quand vous prétextez que le mal
était déjà là à l’ouvrage,
avec même ses personnages,
avant que soi-même on y soit.
Au risque de dire pourquoi !
Alors qu’on n’a pas eu d’enfance
et qu’on était sous surveillance
avant même d’avoir tout dit !
Un bon boulot au paradis
n’est pas métier qui bonifie
la chair peu faite pour la vie,
si la vraie vie jamais ne meurt.
On peut penser que le chômeur
finit par trouver ce qui manque
pour arrondir son compte en banque
sans crever de ne pas trouver
autre chose pour en rêver.
Mais le vrai poète assassine
en commençant par la voisine,
ou le voisin s’il a du goût !
Ça ne l’avance pas beaucoup,
mais ce qui est fait l’emprisonne
dans les limites de la zone
qu’il trace sans savoir pourquoi.
Et il s’y sent plus qu’à l’étroit,
surtout si vous fermez la porte
à clé pour que jamais il sorte
prendre l’air et les biens fondés
que la loi ne veut accorder
au cynisme et à la licence.
Il faut soigner les apparences
sans négliger les fruits cachés.
Mais je vais tout vous avouer.
Je ne suis pas fait pour l’aisance
que connaît l’homme que la science
promet au bonheur de l’acquis.
Mon ouvrage n’est pas requis
en cas de question essentielle.
Je ne veux plus faire la belle
et risquer de recommencer.
Vous faites bien de m’enfermer.
Me condamner à la paresse
et aux attentes de l’ivresse
vaut mieux que tous les jugements
ordonnant que le changement
d’air porte fruits sains et matures
comme il est bon que l’aventure
s’achève devant les enfants.
On peut tout faire comme avant
à condition que ça avance
dans le sens de la connaissance
qui est utile même au fou,
pour le prix qui vaut bien le coup.
Seulement voilà le salaire
n’a pas le bonheur de me plaire.
Je tue, je vole et je fais tout
en dépit de votre bon goût.
Pas moyen que je réfléchisse
comme un miroir que la Justice
brandit au-dessus du malheur
des hommes voués au bonheur
sous peine de connaître pire.
Il faut vivre dans un empire
ou n’être plus considéré
comme un homme en tous points formé
pour être à la fois fils et père,
et ce dans la paix ou la guerre,
ce que Dieu ou qui on voudra
ordonne à tous les bons États
qui n’ont rien laissé à la terre.
On soigne les propriétaires,
sans quoi le monde est animal.
Il faut lutter contre le Mal
et non point avec la paresse
qui fait du bien et bien nous laisse
où le hasard fait des petits.
On n’est rien sans un bon parti.
On pratique l’autocensure,
car le mérite est la mesure
et le nez l’outil du salaud
qui met à l’abri bibelots
et petits riens que l’héritage
veut voir fleurir dans les étages.
On élève des monuments
pour mettre à l’œuvre le manant
dont la chair est très appréciée,
après l’avoir bien dépecée,
car l’os n’est bon que pour meubler
en attendant de repeupler.
Achetez sinon on vous vire
par-dessus les bords du navire,
à droite, à gauche et au milieu.
Et bien mesdames et messieurs,
cette existence de primate,
pédant, salaud ou diplomate,
je n’en veux point pour mes enfants !
Et c’est en vous assassinant
que je retrouve mon office,
ma dignité agitatrice
et la saveur de mes chansons.
Excusez-moi, si la leçon
vous a paru longue et diserte,
mais chaque fois que je disserte
avec le juge ou le bourreau,
j’y mets ce que j’ai sous la peau
à défaut d’y rendre les tripes
comme un qui se plaint et qui flippe
parce qu’il a perdu le Nord.
Ça ne me coûte aucun effort
et j’ai même envie qu’on m’empêche
d’utiliser mes antisèches.
Ah ! Faites de moi un muet
même sans couper mon caquet.
Ma langue lèche les fenêtres.
Pas de télé, d’applaudimètre.
Ma rue donne sur le soleil
s’il est levé dans mon sommeil,
peinture sur un paysage
de vitrines et de voyages,
et s’il dort je rêve de nuit.
Je passe ma vie dans mon lit,
léchant les mouches de la vitre
qui ont des ailes sans élytres
comme mes rêves de taulard.
Mais je ne suis pas très bavard.
J’écris des draps et des salopes,
de près parce que je suis myope.
Dans la rue passent des oiseaux,
des nuages, des hélicos.
Rien ne s’arrête en transparence.
Je rêve, il faudra que je pense.
Je pense, il faut recommencer.
Que ton œil soit aussi rincé,
mouche sans langue dans la bouche.
Entre deux nuits, je me recouche.
Mon angoisse cherche un emploi.
Ma langue est au bout de mes doigts,
comme la mouche sur la vitre,
pattes de sang, fin de chapitre.
Demain il faut recommencer,
tout récrire sans se presser.
Je donnerai de mes nouvelles
aux morceaux de votre cervelle,
éparpillée sur le carreau
dont ma langue lèche la peau
sous le regard des drosophiles
qui passent dans ma rue tranquille.
Voilà ce que je sais de vous
et je me jette à vos genoux
pour mordiller vos doigts agiles
et vous rendre la vie facile. »
Ainsi parlait le vieux Léon,
si Léon était bien son nom.
Langue décousue mais tenace.
Il a fallu que j’arrivasse
pour qu’il ne se sente plus seul.
Ça tombait bien, car un filleul
il cherchait dans ce labyrinthe,
et non point câline conjointe.
Je t’en parle, mon cher Mickey,
non que je veuille m’appliquer
à tout te dire de l’histoire,
mais c’est du mode opératoire
l’acte premier, premier tableau.
Avant le lever de rideau,
on entendra, comme ouverture,
cette litanie sans mesure
où le personnage Léon
exposera les conditions
de son humaine destinée
et fera ainsi son entrée,
suçant mes petits doigts de pied.
Tu ne sauras, mon cher Mickey
rien du passé de l’un et l’autre.
Je ne suis champion ni apôtre
du scénario qui introduit
tant la confusion que l’ennui,
ni des rasants préliminaires
qui me font fuir les séminaires
et autres ennuyeux procès
faits à l’action comme l’on sait.
A peine entré, il me déchausse !
Je m’attends à quelque négoce,
comme on les pratique en prison.
Je veux me faire une raison
et respecter le moindre rite
car ici il faut que j’habite
plus de vingt ans si tout va bien.
Je veux me donner les moyens
de ne pas souffrir de l’attente
et de risquer une mort lente
pour des raisons et des soucis
tout extérieurs à mes ennuis.
Pourtant je suis une montagne
de muscles forts de la castagne
et même d’autres manquements
qui donnent un sens aux vingt ans
promis sans autre commentaire
par mon nouveau propriétaire.
Et je caresse ses cheveux
afin qu’il fasse ce qu’il veut
et qu’à la fin il nous installe.
Il mordille mes ongles sales,
croque les peaux comme un gourmand,
lèche entre les doigts un moment
et enfin gratouillant la plante
que j’expose à sa douce attente,
ne négligeant pas le talon,
il relève du pantalon
une des jambes qu’il caresse
ou qu’il explore jusqu’aux fesses.
Je resserre autour de mon trou
ces deux muscles dont je sais tout,
mais sa main redescend aux cuisses,
en mesure les cicatrices
et comme je vais expliquer
ce coup de couteau appliqué,
il secoue la tête et relève
son vieux corps comme on sort d’un rêve
qui a bien fait de s’achever.
Puis il retourne à son chevet
et me fait signe de la tête
que ma propre couchette est prête
et que je peux m’asseoir dessus.
Je ne suis plus un inconnu.
« Je sais, tu trouves ça étrange,
dit-il, mais quand je me mélange,
je veux savoir si j’ai du pot
ou si le nouveau est barjot.
Je n’aime pas les fous en transe,
ni d’ailleurs les mous d’apparence,
pas plus que les fiers névrosés.
Avec moi on peut s’imposer,
mais pas question qu’on me bassine
avec des problèmes de pine
qu’on n’a pas mis au bon moment
dans les endroits que sa maman
réservait à d’autres jouissances.
Chacun sa peau et pas de chance !
En parlant peau, la tienne a du
tonus que tu n’as pas perdu
en entendant les médisances
proposées par une sentence
qui met l’anus dans des états
que si on sait jusqu’où ça va
on se retient et on évite
le même problème à la bite.
Je n’en ai pas l’air, mais ma sœur
a fait de moi un tatoueur.
Pas étonnant que je caresse
pour évaluer la souplesse
et un tas d’autres arguments
qui font le chic du tégument,
avant de me faire une idée
de la relation cutanée
qu’il s’agira d’entretenir
sans passer pour des ronds-de-cuir
de la réclusion circulaire.
Je t’aime déjà comme un frère. »
Et pour conclure le décret,
il me proposa d’admirer
ce qu’il avait, de sa surface,
tatoué dans un face à face
qui ne pouvait que m’inspirer
la même envie de m’extasier
et même mieux, dans leur extase,
avec au bas signé mon blase,
de faire tomber mon prochain,
et du plus con au plus malin,
ce qui fait le tour de la Terre
sans rien rater qui rend prospère
et admiré comme un vrai dieu.
« Et toi et moi on sera deux,
dit-il en me pinçant les fesses.
Mais ne t’en fais pas, rien ne presse.
D’abord on parle, on prend le temps
de consulter Dieu et Satan
qui ont chacun sur ce chapitre
et sur les suivants de l’épître
leurs points de vue et leurs tabous.
Mais comme je ne suis pas fou
et que tu es sain de la cloche,
ce qui toi et moi nous rapproche,
l’année prochaine, à ce jour-ci,
je mets le premier mot ici
et là une première cote. »
Disant cela, il me tripote
le bout du nez et le sein droit.
Il a le bout des doigts tout froid.
« Ah ! Il faudra que je m’échauffe,
dit-il soulevant mon étoffe.
Je te les mettrai dans le cul
qui est tout chaud, si j’ai vécu
ce que les roses nous promettent.
C’est ainsi qu’on devient poète
et si on l’est depuis longtemps,
ce qu’on sent et ce qu’on entend
se dit de la même manière,
preuve que c’est dans le derrière
que la musique a une odeur
et le nez de belles ardeurs. »
Il riait en frappant ses cuisses
et moi raide comme justice
je voulais comprendre pourquoi.
Il se fâcha sans toutefois
cesser de rire de ma fièvre :
« Que jamais ce mot sur tes lèvres
n’effleure ma langue, jamais !
Mon garçon, il n’y a pas de mais !
Ce qui rend fou est détestable.
Ah ! Si tu veux m’être agréable,
ne me demande pas pourquoi !
De savoir comment presse-moi.
N’hésite pas et exagère.
Tue-moi pour savoir comment faire,
dire, savoir, aimer, chanter
et tout ce qu’un homme sensé
peut espérer de l’existence.
Mais jamais ô ma triste enfance
ne me demande si je sais
et ce qu’ici-bas j’en ai fait
pour être moins fou que le sage.
Nous ne sommes pas en voyage. »
De la main il montra les murs
pour en mesurer le futur.
Il eut, je crois, sous la paupière,
une larme peut-être amère :
« Ce n’est pas non plus un pays.
Ce n’est rien, ni lieu, ni ici.
Nous aurons des mains ouvrières,
non point pour les joindre en prière
comme des larbins du chapeau,
mais pour travailler sur la peau
les récits dont le sédentaire
est le joyeux dépositaire
et l’artiste non moins jovial,
ce qui serait le moindre mal.
Je te propose de la joie.
Du feu en soi, comme on se noie
dans un verre qu’on n’a pas bu.
Je serai toute ta tribu. »
Puis il se tut, froid et tranquille
comme un mort devient inutile.
Je voulus trouver le sommeil.
Dehors rouge était le soleil,
pandémonium allégorique
qui turlupinait le tragique
de ce théâtre sans rideau.
Nous n’étions pas même clodos
libres d’attendre l’impossible,
surtout d’écouter l’indicible
sans sombrer dans l’amphigouri
comme le faisait mon ami,
ce nouvel ami qui s’impose
et qui de mon enfer dispose
parce qu’il est là, pas ailleurs.
Comme Cercueil et Fossoyeur
que l’Aveugle met sur la piste
du néant et de l’improviste.
Voici comment, mon cher Mickey,
je conçois le stade premier
de ce credo opératoire :
en te racontant mon histoire.
Mais entends-tu ce que je dis ?
Tu crois voler, tu me maudis,
pense échapper à mon étreinte
comme on se sort du labyrinthe,
mais je te tiens, petit oiseau
qui traduit si mal mon propos.
Et pendant que tu hallucines,
que tu vois ce que j’imagine
pour les besoins de ton emploi,
je travaille si bien sans toi.
Voyage pendant que je pense
à ne rien laisser à la chance.
Ainsi s’achève le premier
acte du mode de tuer
en série plutôt qu’en désordre.
Car il ne faut pas en démordre,
sous peine de voir le néant
changer la mort en trou béant :
point de chaos dans la manière
et quelle que soit la matière.
Compter ? Mais je ne compte plus !
Pas de fin sans un bon début
et pas de début sans les actes.
Je ne suis pas autodidacte !
Ce que j’ai appris de la peau,
je le dois à mon bon bourreau.
Vingt ans d’une patiente prose
et tous les jours la même chose,
sauf le détail d’un long récit
dont le mystère s’épaissit.
Il fallait que je t’en informe
et pas seulement pour la forme
que je caresse chaque fois
avec plus de science et d’émoi.
En route pour le deuxième acte !
Et à l’heure toujours exacte.
Ici commence ta douleur
car je te veux loyal jongleur.
Allez, traduis ! Pauvre victime.
Tu ne seras pas anonyme
car les journaux de la Nation
chroniqueront cette fiction
sans oublier ton patronyme.
Oh ! La belle mise en abîme !
Te voici volant dans les airs,
te laissant caresser la chair
par mes mains moites qui dispensent
l’onguent miracle en abondance.
Rêve d’en être le témoin
et de te croire à l’abri loin
de ces mains qui au troisième acte
commenceront, tel est le pacte,
à ciseler ta peau en fleur
sans rien laisser à la douleur.
Mais nous n’en sommes qu’au deuxième.
Selon notre exigeant barème,
tu traduiras tout le premier.
Vise donc un peu le papier !
Un beau rouleau très hygiénique
dont tu torcheras la réplique
en français de mon espagnol.
Tu seras mon franc rossignol
et en patients octosyllabes,
sur le côté comme le crabe,
tu marcheras sur ces huit pieds
jusqu’à la fin de ce papier.
Tu mettras ta merde en colonne
avec la rime tatillonne,
le distique bien turgescent
et la matrice dans le sang,
fan de coït, en alternance,
jetant les dés comme à la chance
mais sur le tapis de mon jeu.
Pas question de jouer à deux.
Tu seras seul sur la cuvette
de tes talons de vieux poète.
Mets-y du tien si tu le veux.
Je ne suis pas triste et envieux
comme Joaquín qui se déteste
parce qu’il croit avoir la peste.
Que le sang et même le pus
souillent le vert du détritus
qui sort de ton affreux derrière,
car c’est mon or que tu digères,
fusion qui prend forme d’égout.
Ne retiens pas ! Mets-en partout !
Il s’agit de tout reproduire.
Voilà comment il faut traduire.
Le cul coincé dans les WC,
torchant patiemment le fessier
jusqu’au bout du rouleau utile
dans ces cas de mort difficile,
tant il est dur de tout quitter
et surtout de tout vous laisser,
mangeurs de la merde publique
des plans et supports hygiéniques !
Je vous en foutrai des rouleaux,
rien que pour donner du boulot
à vos névrosés de l’emplette
et aux barjots qu’on dit poètes
pour dire quelque chose aux cons
qui attendent sous le balcon
les promesses de la retraite.
Ah ! Si la vie est ainsi faite,
traduisez et n’oubliez pas
le papier après le repas.
Il met en vers et même en rime
les franches repues de mes crimes.
Pas besoin de lui demander.
Il le fait sans vous embêter.
Contentez-vous de chier en masse
et d’en torcher les saintes traces
sur le papier mis en rouleau
qui n’est rien d’autre que ma peau.
La colonne sera parfaite.
On vous prendra pour un poète,
surtout si ça peut se chanter
et à l’ouvrage redonner
le cœur qui manquait à ses œuvres.
Et voilà toute la manœuvre !
Acte un, je frotte l’onguent
sur votre corps à poil en grand.
Acte deux, fesses sur un chiotte
vous traduisez sans la culotte,
mais avec papier en rouleau
qui garantit ah ! que c’est beau
la rime et des pieds en breloque.
Ça vous chatouille et vous débloque
la théorie de l’inconscient.
On en deviendrait impatient.
Vous êtes fin prêt pour la suite,
sans pas même un projet de fuite
tellement ça sent le succès
et les pépètes à l’excès.
Allez encor pour la médaille
un dernier pet qui vous travaille !
Ça sonne comme un introït
car pour l’instant, question coït,
à part des choses qu’à la messe
on ne fait que dans la détresse,
il ne s’est rien passé de grand.
La merde au cul, même en flagrant,
n’a jamais condamné aux chiottes.
Tout au plus on vous asticote
et on veut que vous promettiez
de ne jamais recommencer.
Vous signez cette alternative
en espérant la récidive,
peut-être ailleurs, chez le voisin,
pour ne pas lasser l’argousin.
Mais de coït, pas l’ouverture !
Or, on était dans l’aventure,
seul sur le trou mais pas le bon,
l’œil en dessous, mais furibond,
tellement qu’on croit qu’on va rire
de ce spectacle sans collyre.
Les actes, c’est bien, mais à deux
on se sent seul et malheureux.
Et vous exigez un troisième,
sans même en savoir le poème.
C’est que vous prenez du plaisir
à traduire ce que mon cuir
inspire à votre anus en proie
à de telles bouffées de joie
que maintenant vous le savez,
que je sais vous faire rêver !
— Voyez comme je sais écrire !
jubilez-vous pour me traduire.
Ça mérite bien pour le coup
un troisième acte de tatou.
Veuillez, Monsieur, pour la méthode,
lever du prochain épisode
le rideau sur l’opération
dont je suis déjà la fonction.
Je brûle déjà de connaître
comment on fait pour se la mettre
sans personne que vous et moi.
Vous me voyez en grand émoi.
Ah ! Si vous étiez une femme.
Je ne dirais pas non mais dame !
Je crois qu’on m’a bien éduqué.
Appelez-moi, Monsieur, Mickey.
Mais me faire ou même le faire
avec un homme, c’est trop faire
et ne pas le faire vraiment
comme on le fait tout bonnement.
Dites-moi que les apparences
sont contre moi, si bien je pense,
et que jamais il n’est question
au troisième acte de l’action
de se livrer pour qu’on le fasse
ou de le faire côté face…
— Ah ! Je crois bien que les effets
de mon onguent au GHB
n’agissaient plus sur la victime.
Sans doute un mauvais millésime.
Je l’enduisis plus grassement,
des deux côtés, car le roman
se veut complet, même cubiste.
Et sur son appareil j’insiste,
m’imaginant que c’est ici
que s’articule le récit.
Il ne faut pas une minute,
cela dit sans anacoluthe,
pour que le sujet, profitant
d’un court et dérisoire instant
d’inattention ou d’autre chose,
de ma part si j’en suis la cause,
pour qu’il se croie sur son balai,
hors de portée, sûr de son fait,
alors qu’il est couché par terre,
couvert d’onguent et de poussière
et que moi-même je suis prêt
à entrer sans autre délai,
l’esprit clair comme une fontaine,
loin de courir la prétentaine,
dans la phase trois de l’action.
Je touchais à la perfection,
une fois de plus, pénultième,
car la dernière c’est la même.
J’avais amené mes outils,
oh trois couteaux dont un petit
pour les détails qui me chiffonnent
chaque fois que je me raisonne,
ce qui arrive rarement,
car je tiens bien mon argument,
comme joyeux marionnettiste,
sauf que moi je suis un artiste
et que mes fils sont en acier.
J’ai mis tout ça sur le papier
pour renseigner les gens de Presse.
Je laisse un mot comme à confesse,
des fois qu’on n’aurait pas compris.
Il y a tant de mauvais esprits
pour critiquer sans rien connaître
du mode dont je suis le maître
que cette bonne précaution
n’est pas de trop dans la fiction.
Bref, vous comprenez mon angoisse
chaque fois qu’il faut que je passe
à l’acte trois que je joue faux
pour les tenants de l’échafaud
et des jouets de la justice,
bien pâlichonne imitatrice.
J’étais en train de les ranger
(les outils que comme usager
j’entretiens comme ma culotte)
quand j’entends un mec qui sifflote !
J’aurais pensé à un oiseau
dans contexte moins schizo,
mais je m’attends toujours au pire,
quoique jamais aucun vampire
n’est venu me sucer le sang
pendant qu’en Enfer je descends,
seulement guidé par Virgile.
Avec lui rien n’est difficile,
encore faut-il que l’intrus
me voit après que je l’ai vu
ou pas du tout, ainsi de suite,
si ce n’est pas moi qui invite.
Mais comme je disais plus haut,
celui qui siffle est un oiseau
qui se promène avec sa bête.
Toutou gémit et on s’arrête
à l’endroit où moi-même aussi
j’ai satisfait un gros souci.
Et qui je vois, qui me regarde,
si ce n’est pas Dédé le Barde,
qui fait des vers dans les anus,
Dédé dit l’homo erectus.
— Ah ! Merde alors ! dit-il, sans blague,
c’est mon auteur ou je divague !
Je cherche mon chien Cristobal
et qui je vois clair et à poil,
si ce n’est pas Jo la Pétasse,
un type couvert de grimaces,
avec des mots en étranger.
On le dit un peu dérangé
parce qu’il se prend pour un livre.
Je vous le dis comme on le livre,
sans changer un mot à l’info.
Ah ! Des fous on dit qu’il en faut
mais en principe on les écoute
sans leur pourlécher la biroute.
Il a un couteau dans la main
et par terre on voit un humain,
nu comme un ver, l’air de s’en foutre
et même de s’en contrefoutre,
langue dehors mais sans parler.
Je ne sais pas si j’ai bien fait
d’arriver avec ma baballe
et trop tard pour mettre les voiles.
Ça me fait un coup dans le cœur,
si fort que je crains le malheur.
On ne sait pas où ça s’arrête.
Courir c’est pour les bons athlètes
mais je ne suis pas même bon.
J’ai déjà vécu la leçon.
Courir n’est rien si on devance,
et encor dans la résistance,
sinon on l’a dans le baba.
Et Antraxe qui n’est pas là !
Et Cristobal qui vagabonde
allez savoir dans quel vieux monde !
Me voilà bloqué comme un frein.
D’aller voir ailleurs pas moyen.
Dans le genre j’ai le beau rôle
et en plus ce n’est pas très drôle.
Pourtant il rit en me montrant
de son doigt aux ongles si grands
que ça me donne des idées.
La situation est chiadée,
mais sans entracte pour vider
ma vessie comme un canidé
n’importe où parce que ça presse.
Si ça sert je serre les fesses,
sinon tant pis pour mon vieux slip
qui a connu de pires trips,
et dans des nuits moins éclairées.
J’en ai les glandes altérées,
preuve que je peux m’en tirer.
— Alors tu veux te cultiver ?
demande Jo qui me fait face.
Tu veux savoir comment on trace
ces choses que l’on dit tatous ?
Je peux le faire avec un clou,
mais j’améliore la technique.
Pas sans un bon anesthésique,
car le couteau est douloureux.
Ce serait vraiment malheureux
de faire pleurer la victime.
Alors il faut que je m’escrime
pour faire bien, même joli.
Tu peux m’appeler Engeli.
Chaque fois que je suis moi-même
je change mon nom de baptême,
pas la couleur de mes cheveux.
— Je t’appelle comme tu veux !
Je n’ai rien contre les vieux rites
qui ont changé la loi écrite
pour améliorer le destin.
On fait ce qu’on veut de ses mains.
— Qui siffles-tu, malicieux merle ?
La sueur sur ta gueule perle
mais ta main reste dans ton froc
au lieu de t’ouvrir un pébroc
pour te protéger de la pluie.
Mais coupe-moi si je t’ennuie.
— Il ne pleut pas, mon Engeli !
D’ailleurs si ce n’était la nuit,
(mais coupe-moi si je me goure
faute de goût pour la bravoure)
le soleil me donnerait chaud
pour expliquer mes gouttes d’eau.
— Or donc qui siffles-tu, poète,
qui mérite tant de bavette ?
Ma pièce que tu interromps
ou ton chien mangeur des étrons
que tu n’as pas mangés toi-même ?
Je te soupçonne de système.
On te voit plutôt divaguer
et on te surprend aux aguets,
prêt à trahir pour des bricoles
qui n’améliorent pas ton rôle,
cafard puant et illettré !
Ne connais-tu donc point l’attrait
de la série qui rend caduques
tes récidives, pauvre eunuque ?
Qui siffles-tu, si c’est un chien ?
— Mais ce n’est certes pas le tien !
Me permettrais-je cet outrage
alors que tu es à la page
en matière d’exécution ?
Un bien fameux coup de crayon
que personne ne te conteste !
Ah ! Mon Engeli, je proteste !
Cristobal est un vieil ami.
Ça m’en fait deux, et toi aussi.
Et qui encore, je l’ignore.
Peut-être quatre, dix, encore.
Et même plus si je suis fou !
Mais je ne le suis pas du tout.
Je siffle mon chien comme un homme.
Et de mon chemin le bonhomme
je suis petit sans le trouver.
Ne le trouvant, je veux rêver.
On est humain tant qu’on veut vivre.
Mais de quoi la mort nous délivre ?
Là-dessus, chut ! Langue de bois.
J’ouvre les yeux et qui je vois ?
Mon Engeli en plein spectacle !
Engeli qui jamais ne bâcle
et va au bout de l’attraction
que sur lui exerce l’action
imaginée par un intime
en situation de victime.
Un géant est dans la prison !
Il aura tout le temps raison.
Et soudain aux aguets je siffle !
L’enfant reçoit une mornifle
quand le majeur est mis à mort.
Et je crains de n’avoir pas tort…
pourquoi ris-tu de ma déveine ?
— Pourquoi me donner cette peine ?
Non point de me moquer de toi,
mais de mettre fin à ton moi ?
Mon théâtre cherche la claque.
Alors puisque ton chien te plaque,
n’hésite pas, entre chez moi.
Je te recevrai comme un roi,
avec un rideau et des actes.
Et que l’heure soit bien exacte !
Tu veux voir et bien applaudis.
Vois comment l’amour me raidit.
Ah ! Quel amant, cet Ibérique !
Quel génie de l’allégorique !
Siffle ton chien tant que tu veux.
Et arrache-toi les cheveux,
à pleine poignée ta tignasse
s’il ne vient pas suivre ta trace.
Mais où vas-tu, sur quel chemin ?
Pas de spectacle ? Rien d’humain ?
Siffler le chien et la bouteille ?
Et il faudrait qu’on s’émerveille
comme Justine au madrigal ?
Qu’on applaudisse à faire mal
à ces deux mains que je travaille
depuis vingt ans ? Et je détaille
avec un soin qu’on n’a pas vu
depuis que le Monde est connu.
Siffle ton chien s’il t’aime encore.
On aimera la métaphore.
Je te le dis, je ne mens pas…
ah ! Je n’étais pas en état
d’approfondir cette harangue.
Ou bien je retenais ma langue.
Il pourrait bien me la couper
et le reste sans discuter.
L’autre qui roupillait par terre
soudain s’assit sur son derrière
et grattant son crâne pelé
ouvrit la bouche pour gueuler.
Je dis ça car il l’ouvrit grande
comme quelqu’un qu’on appréhende
et qui ne veut pas y aller.
Ça m’est quelquefois arrivé.
Quand je parle, c’est d’expérience,
du vécu avec de la science
apprise en face du trottoir
avec les doigts dans l’isoloir.
Et merde à qui me le reproche.
Ça m’a mis dedans la bidoche
des frissons qui me font horreur
quand mon cerveau, dans la douleur,
en a besoin pour qu’on se cause.
Et ils appellent ça psychose.
Tu parles d’un état des lieux !
Un héritage des aïeux,
mais des vrais, pas du ministère
où le civil est un mystère
quand on n’est pas sûr de payer.
Et en plus je paye un loyer.
Un habitat qu’on dit rustique,
avec entrée sur voie publique,
le cœur en panne d’un côté,
de l’autre un foie très agité
et des planchers qui vous moisissent
le bas du dos, un vrai supplice !
Heureusement, je bande bien.
Pour les idées, j’ai les moyens,
preuve que j’ai dans la cervelle
de quoi sauver la bagatelle
des catastrophes du bonheur.
Ah ! Les moyens, ça me fait peur.
Mais je les ai, que je le veuille
ou que je sois dur de la feuille.
J’en connais qui ne les ont pas.
La chair est triste pour ceux-là.
On voit comment ça les travaille.
Et on se plaint de la racaille
alors qu’elle a du mal à voir
plus loin qu’en face du trottoir.
Le rendez-vous avec les anges
est reporté après l’échange.
Enfin, je dis ça en passant
parce que le type en gueulant
m’a fait penser aux infortunes
de ceux qui ont de la rancune
parce qu’autrement on est fou.
Et il veut se mettre debout.
Il me fait signe et se recule.
Ah ! Les erreurs il accumule !
Quand on veut vivre on parle aux murs.
En tout cas l’endroit n’est pas sûr.
A deux peut-être, on est en lice
mais je me sens seul et je glisse.
Ah ! Ça m’a coupé le sifflet !
Et je me retrouve à ses pieds,
plus penaud qu’une pauvre bête
qui ne sait plus où est sa tête.
Et la mienne a foutu le camp
allez savoir comment et quand.
Un coup dessus, je le redoute.
J’en ai égaré ma moumoute.
Le mal de tronche est une erreur
qui pétrifie le créateur
surpris en crise de croissance.
Et le voilà sans consistance
comme la gelée dans le plat
surmonte un jambon raplapla
qui ne fait plus l’envie qu’on aime
avoir malgré un bel œdème.
Et en plus j’ai des fausses dents
qui se déchaussent là-dedans
chaque fois que je prends des beignes.
J’ai beau étudier qu’on m’enseigne,
ma langue crache avec le sang
ces bouts d’ivoire en me forçant
à les compter si j’ai conscience
d’être petit dans la balance
et d’inspirer plus que pitié
sous le signe des coups de pied.
On ne comprend pas si j’explique.
Si je ne dis rien on critique.
Si c’est ça le pouvoir des mots,
autant être des animaux.
L’impasse avec pignon sur rue.
Et pas question que les morues
me créditent les découverts.
Voilà quand l’œuf est dans le ver
ce qu’un homme né dans la mouise
peut concevoir comme entreprise :
demander pitié à l’intrus
qu’on a traité de malotru
avant d’avoir pris la mesure
de sa langue et de sa membrure,
autrement dit de son esprit
et avec quoi il se nourrit
quand il ne pense plus aux autres.
Des fois on croit qu’on est des nôtres
mais le verre n’est pas levé
comme pourtant on l’a rêvé.
Et de rouler dessous la table
mais en éponge respectable.
Et on se dispute les os
avec de mieux dentés museaux.
Mieux vaut alors, de la caresse,
connaître le dessous des fesses.
Voilà comment j’ai rencontré
Cristobal, un grand chien titré
qui fréquentait le populaire
dans un pur esprit du vulgaire,
patte griffue, franc du collier,
toujours en recherche d’alliés
pour s’adonner à la conquête
sans avoir l’air d’un doux poète.
Un aboiement que les préfets
reconnaissaient devant les faits.
Derrière aussi, mais dans leurs rêves.
On ne peut pas porter le glaive
dans toutes les situations
que le chien sans bonne intention
invente aux frais de la morale.
Les annales préfectorales,
dont on vante le plus grand bien,
portent la trace de nos chiens
pour témoigner de leur emprise
sur la peur qui caractérise
les tyrannies du droit chemin.
Bref, comme dit saint Augustin :
on aime aimer, ce qui nous sauve
et nous différencie des fauves
que quelquefois c’est des humains
et pas seulement des prochains !
Quand on regarde l’autre en face,
on peut se faire des grimaces,
en rire ou venger son honneur,
mais quand on est dans le malheur,
c’est aux pieds qu’on fait des courbettes
et on se les prend dans la tête,
avec la poussière et l’odeur,
comme on traite les emmerdeurs,
et chaque fois je deviens chauve,
la conscience dans la guimauve.
Et sur qui ça fait de l’effet,
si ce n’est pas mon vieux toupet
qui tient autant du balai-brosse
que du torchon du gâte-sauce.
Je le cherchais tout en sifflant
des fois que Cristobal errant
pas trop loin des lieux de l’outrage
eût l’oreille encore volage.
Mais pas moyen d’avoir raison !
J’en avais pris un sur le front,
à l’endroit que j’ai trop fragile
pour supporter le coup facile
qui me dérange le cerveau
à tel point que je fais le veau
sous la maman mais sans mamelles
pour me rafraîchir la cervelle.
Ça fait un mal ces coups du sort !
Et me voilà en plein effort
pour remonter à la surface,
car le S.D.F. est coriace
quand il a de la volonté.
Et j’en étais tout augmenté,
heureux comme un bon domestique
qui voit le jour après la trique.
Ah ! La sensation est sensas !
Mais rien à faire, j’étais schlass.
Pas de chien et pas de perruque.
Je me sens nu et je m’ensuque.
J’entends un bruit, c’est un moteur.
Je vois même le clignoteur
et je respire la poussière
au goût de pneu, de sang, d’ornière,
d’échappement, d’asphalte chaud.
Si j’ai raison, that was the show.
Je suis tout seul avec ma vie.
Décoiffé, avec des envies
de vengeance et de fins plaisirs.
Ici il ne faut pas moisir !
me conseille ma sainte fiole.
Si tu veux faire le mariole,
déplace-toi et ferme-la.
Avec le temps, tu oublieras.
Seulement voilà, sans moumoute
j’ai toujours l’air d’avoir des doutes
et on exige alors de moi
que je m’explique et donc pourquoi
je fais cette gueule sceptique
qui énerve les moins comiques
de mes patients contemporains.
Alors sans chien, je perds la main
et je joue faux, ce qu’on remarque.
Du coup on me laisse des marques
dont je ne peux débarrasser
mon extérieur embarrassé
le jour où il faut qu’on s’explique
dans le domaine juridique.
Et je suis pris au dépourvu !
Je vous dis que j’en ai trop vu !
Un homme trop plein est une outre
et non point soûlaud qu’on accoutre
d’autres particularités
pour édifier la société.
Je bois mais rien ne me rétame !
J’ai beau regarder les réclames,
rien ne me ferait ce plaisir.
Quand l’occasion il faut saisir,
je réfléchis à mes ressources.
Comme les cordons de ma bourse
ne lacent plus mes godillots,
je passe pour un vrai barjot
et je retourne à mes pénates
avec dans la poche une date
et des reproches que le Droit
veut récidiver dans le froid
et les coups de chaud du prétoire.
Voilà comment on fait l’Histoire
quand le reste c’est du roman.
Enfin j’étais pour le moment
assis pour me frotter la tête
que cet abruti de poète
avait cogné si durement
que ma moumoute était dedans,
avec mes fictions et les rêves
que j’oublie quand je me relève.
Et peut-être le chien aussi.
Qui sait ce que dans le récit
le hasard met de vraisemblable
tant qu’on trouve ça acceptable.
Je n’arrêtais pas de siffler,
mais Cristobal, de se montrer,
se passa comme si l’occase
ne le mettait pas dans l’extase.
Mon sifflet point ne l’allouvit
si promesse ne l’assouvit.
C’est compliqué et je renonce.
J’étais remonté, je m’enfonce.
Je me traîne sur des cailloux,
me ratiboisant les bijoux
car Engeli, comme antidote,
m’a fait avaler ma culotte.
Je mets le nez dans un bousin,
du pas sec et pas en boudin,
avec dessus des épigrammes
qui sentent le chic de ces dames.
Heureusement la Lune en haut
à l’hypogée brille d’un beau
halo propice à la recherche
et j’évite ce que ces derches
ont laissé à leurs descendants
avec un avis d’excédent.
Je vois un canal plein de flotte,
avec dedans, toute pâlotte,
la même Lune et le ciel noir.
Ah ! Je vous dis, comme étouffoir
on a mieux fait pour la veillée.
Des fois quand on n’a pas d’idée
on couve aussi sous le chapeau.
Moi, le feu je l’ai dans la peau.
Alors il faut bien qu’on m’enferme
dans les théâtres isothermes
qui plaisent tant à nos bourgeois
et que leurs lèche-culs courtois
comme des faux marivaudages
gardent jaloux des avantages
qui les distinguent des pouilleux.
Quand je vois la nuit, je vois Dieu.
Avec la Lune en pleine poire,
j’ai des instincts masturbatoire.
Et je vous chante des ave
avec, ma foi, bien enlevé,
un gosier conçu pour le trille,
un truc que je tiens de famille.
De quel côté, je ne sais plus.
Des connus et des inconnus.
Les solutions alternatives
ça enrichit la prospective.
Mais là j’étais je ne sais où,
sain d’esprit ou bien pas du tout
vu que j’avais dessus la tronche
pris un gnon qui me mit les bronches
dans un état tel que j’avais
plus que du mal à respirer.
Dans l’eau je voyais la poiscaille
becqueter de blanches entrailles
et des insectes réveillés
par le chahut des vertébrés
agitaient des ailes méchantes
qu’on aurait dit des sycophantes
un jour de débauche à Vichy.
Il y avait même du hachis,
rose bonbon, mince vocable,
pas dégoûtant mais innommable.
La peau d’un ventre avec nombril
flottait tranquillement au fil
de l’eau et de ses vaguelettes.
Et des tifs avec des bouclettes,
un bout de tissu, un bouton
qui dansait à saute-mouton
par-dessus de noires artères
qui de la nausée me filèrent
quand je vis que c’était un cœur
qu’un rat bouffait avec ardeur,
jaloux de moi qui les mains pleines
observais tout le phénomène,
si on appelle comme ça
les choses quand ça ne va pas,
avec des yeux remplis de haine
et la confidence freudienne.
Ah ! C’était comme au cinéma,
quand passe de vie à trépas
la figurante de mes rêves.
Il faut alors que je me lève
et que j’exprime la douleur
que m’inspire le vil tueur
dont je ne comprends pas l’extase.
J’en ai le cerveau qui s’embrase
au point que je crève l’écran.
Et là je ne prends pas de gants,
je fais des frais sans bénéfice
comme on dit en toute justice.
Et comme je n’ai pas un rond
on me fout dehors sans façon
et je me noie dans la rigole,
comme si j’étais dans le rôle,
sans âme ni rien pour baiser.
J’ai payé et je suis blousé,
seul dans la nuit avec ma crasse
avant qu’on ne me cadenasse
avec piquouse et communion,
prêchi-prêcha, gloria, sermons,
tout sur l’honneur et la besogne,
et ce truc qui sent la charogne,
fumée froide des lieux fermés.
Vous savez où j’avais le nez,
celui qu’en principe on amoche,
pensant à mes glorieux cinoches ?
En mille je donne et tu perds !
Dessus un gros paquet de vers
qui faisaient un bruit de mâchoires
et de langue dans l’avaloire.
Et si j’en voyais la couleur ?
Tu parles si pour mon malheur
je voyais le détail atroce,
un truc à faire peur au gosse
que j’ai été si c’était moi
cette créature aux abois
chaque fois que dans la famille
quelqu’un claquait pour des broutilles,
du genre je-t’ai-moi-non-plus.
Petit, on est con, c’est connu.
Des vers comme jamais on rêve,
sortis du dedans de la sève
d’un tronc surmonté de deux seins.
Je ne vous fais pas le dessin.
Un trou montrait un orifice
que de le voir c’est un supplice.
Au lieu de vomir j’ai chié.
Comme les autres je ne fais.
Sans papier ni rien d’autre à dire.
J’étais là sans me faire élire,
le cul à l’air et sur les reins
un odorant et mou crottin
que si j’en suis fier on me vire.
J’étais sur le mauvais navire
en partance pour les ennuis.
Mes yeux s’habituent à la nuit
et je vois mieux au fond de l’onde.
Un spectacle des plus immondes !
Des mecs à poil et tout troués,
sciés, fendus et étripés.
Un grand bocal de médecine,
sauf qu’ici on vous assassine
avant de vous plonger dedans.
J’en frissonnais même des dents.
J’étais couché sur la bedaine,
avec des cailloux dans les aines
et la queue en tirebouchon.
Et le moral pas folichon,
comme il convient quand on se pâme
sans en tirer le docudrame
qui sauve l’esprit du néant.
Voyez d’ici le beau roman :
— Un fou d’S.D.F. fait des siennes
et n’en éprouve aucune peine.
Les mecs comme ça on leur sert
la soupe et après on dessert.
Et ainsi on fait à perpète
jusqu’à ce qu’enfin ça s’arrête.
Et qui est le plus fatigué
si ce n’est pas le guichetier ?
Mais on est payé pour le faire
et on le fait sans actionnaires.
Ces mecs sont froids comme l’acier
qui faisait les bons couperets.
Et bien s’il faut servir la soupe,
que la fringale ça leur coupe.
Allez ! Qui n’a pas son billet ?
Ça refroidit vite l’acier…
ne rien faire c’est réfléchir.
Faire c’est souvent s’abrutir,
mais pas toujours, si on y pense.
Seulement dans la circonstance,
je ne sais pas faire et je fais.
Dans la flotte je me voyais,
pas vraiment con ni virtuose.
Il fallait faire quelque chose.
Faire, oui, mais faire quoi donc ?
Ça gargouillait dans mon bidon
et j’avais la bouche très sèche.
Il fallait que je me dépêche.
Ces endroits sont très fréquentés
par des gens certes trop pressés
pour s’intéresser à ma cause,
mais voilà l’alibi psychose
on me l’a déjà refusé.
Si j’y vais c’est bien menotté
et avec des observations
qui limiteront mes actions
aux dividendes de l’attente.
Ça me fait remonter la fiente
au niveau de mon gosier sec.
Je n’ai pas la haine des mecs
au point d’en tomber amoureuse.
Et s’il me faut faire la gueuse
pour améliorer le bifteck,
je me suicide par échec
de toute l’idéologie
qui justifie mes stratégies.
J’étais en train de gamberger
sur cette sorte de sujet
quand un poisson vint à s’ébattre
dans une flaque au teint jaunâtre
avec des nuances de gris
et des reflets comme grigris
sur la casquette du gendarme.
Vous parlez d’une saine alarme !
Les gyrophares je connais.
Pour le sang j’ai déjà donné.
Il va falloir que je me jette
dans cette eau froide à l’aveuglette
pour habiter avec des morts
et m’en mettre sur tout le corps.
C’est que je suis déjà malade !
Entre le panier à salade
et cet aquatique charnier
on me demande de voter.
Mais puisque je n’ai pas d’idées !
Un coup de frein sur la chaussée
me renseigne sur l’intention
et la probable intervention.
Je saute dans l’eau et je tousse
avant de ne plus voir la rousse
car j’ai tout le corps en dessous
de la surface et les genoux
sur des choses que je préfère
ne pas le dire sans le faire.
Ah ! Les bulles c’est du boulot
quand on manque d’air, matelot !
J’ai bien fait de ne plus paraître
et d’avoir songé à me mettre
dans cet endroit noir et discret
en compagnie bien entouré.
Pour respirer je fais des bulles
dans une sorte de bidule
dont je préfère pour l’instant
ignorer la marque et l’actant.
Quand on est en mode survie,
le dico n’est pas au génie
le portail d’un bon avenir.
Des fois il faut bien convenir
que tout ça n’a pas d’importance
et que plus tard, avec la chance,
on pourra jouer au grimaud
pour gagner des prix capitaux.
En attendant, voilà où plonge
le meilleur de la proie des songes,
un vieux canal abandonné
de chieurs pressés revisité
sur le chemin de leur voyage.
Si la vieillesse est un naufrage,
de plus jeunes l’ont dans le cul
et sans recours au seppuku
parce que l’honneur à cet âge
c’est de supporter les outrages
de la morale de papa,
d’attendre la fin du repas
en regardant par la fenêtre
ou dans la télé pour paraître
un mec fait pour le syndicat
sans avoir besoin de Kafka
ni surtout des surréalistes.
Rien ne vaut un camp de nudistes
quand on a quelque chose en trop
pour être privé d’apéro.
Alors je remontais narines
grandes ouvertes des latrines
avec le papier dans le fond
de ma culotte ou plus profond
dans cet anus qui veut écrire
comme il sait et non pas souscrire
à l’art du tract et des loisirs.
Ah ! J’y pensais dans ce nadir
peuplé de morceaux de carcasses
pendant qu’un flic soignait sa chiasse
dans un décor moins déplaisant
et sans papier, comme Tarzan.
J’avais le nez à la surface
de ce cloaque dégueulasse,
chassant la mouche et le poisson
d’un doigt qui de toute façon
ratait les ailes et l’écaille
et rencontrait leur boustifaille
que je me fourrais dans le pif
pour le gratter sans vomitif.
Imaginer des cimetières
de flotte sous la Lune altière
avec des flics pour emmerder
les condamnés à s’y cacher
pour éviter les commentaires,
m’occupa le temps pour ce père
de se vider et de torcher
avec un mouchoir en papier
son outil de travail tranquille.
Je voyais son cul sans textile
et le dos rond avec au bout
une fiole genre vaudou,
nez relevé comme trompette
et des tifs avec des frisettes.
Les Africains vus de profil,
surtout quand ils sont en exil,
ça m’a toujours foutu la trouille.
Ils sont venus couper les couilles
des fils de ceux qui ont tranché
têtes et mains de leurs pépés
qui n’étaient pas tous des monarques.
La Colonie, ça nous embarque
dans des pratiques de l’excès
que l’indigène sans procès
fait regretter à l’arme blanche
aux héritiers qui font la manche
pendant que d’autres à l’abri
se nourrissent de ces débris.
Je ne veux plus qu’on colonise !
Si on en voit dans la prêtrise
gâcher nos clochers ancestraux,
dans la police on en met trop.
Et qui c’est qui paye la note ?
Dédé qui fait dans sa culotte
chaque fois qu’il tombe sur un.
Voilà pour l’homme du commun.
Et je suis là-dedans en nage,
seul survivant de ce carnage,
haletant comme un Juif errant
dans l’Histoire de l’Allemand.
N’y voyez pas un paradoxe.
Le mec qui sue est orthodoxe,
dans la merde ou dans un fauteuil.
C’est normal, je vous ai à l’œil !
Autant dire que pour l’occase
je délirais sans une phrase
pour donner un sens à mes mots.
En plus ça faisait des grumeaux,
et ça flottait sous mes narines
pendant qu’un flic pour la marine
faisait des cordes intestines.
Il ne manquait plus qu’il soit noir !
Mais attendez que ça s’achève !
Il est flic, c’est le premier rêve.
Pour le deuxième, il est tout noir,
ce qui m’impose des devoirs.
Et jamais deux sans un troisième !
Il se relève et pour baptême,
je me dis qu’il est immoral
et que pisser dans le canal
est une tentation honnête
si on tient compte qu’il est bête.
Mais reconnaissons que pisser
accroupi sur son beau fessier
n’est point pour l’homme une nature.
On craint surtout pour les chaussures.
Moi je fais toujours comme ça.
Une fois composé le tas,
je me mets debout et je cherche
un endroit où mettre ma perche
à l’abri des regards discrets
et la vider dans le secret.
La plupart du temps on s’adosse
et des fois même on se la brosse.
Quoi de mieux, surtout pas banal,
que la flotte d’un vieux canal ?
Et mon flic tout noir se retourne.
Et il ne craint pas qu’on l’enfourne !
Ah ! Là je me dis que c’est mal.
On se retourne, c’est normal,
mais il faut remonter en hâte
le falzar qu’on a dans les pattes.
Or, mon flic ne remonte rien.
Il se retourne et je vois bien
que ce qu’il gratte sous le bide
n’est point conçu pour les timides.
Des poils, d’accord, et des frisés,
pas blonds mais noirs, vite gazés.
Et j’en appelle à ma mémoire,
époustouflé, prêt à me croire.
Ce mec, les mecs, n’est pas un mec !
Noir et flic et femme aussi sec !
Un corps bien fait pour qu’on s’empresse
d’aller voir si ça intéresse.
Elle boutonne son falzar
en jetant un œil par hasard
dans le canal où je gamberge
pendant qu’elle au sec sur la berge
semble se poser des questions.
Elle a ses yeux blancs en faction,
roulant les reflets de la Lune
qui à l’hypogée l’importune.
En visière elle met sa main,
se penche un peu, met les deux mains,
et qui je vois qui se ramène
comme d’habitude avec peine
si ce n’est pas le Nicolas,
ce flic fait pour l’apostolat
à qui je dois mes aventures
dans les milieux de la culture.
Et que j’en sors très cultivé,
et même très bien élevé,
comme on le lit entre les lignes.
Ce malveillant me fait un signe.
Le petit doigt s’agite droit
et son impatience s’accroît.
Je reconnais de la crevure
son goût obtus pour la torture.
Mais comme je ne bouge pas,
il a des doutes sur le spa
que je me paye aux frais de l’onde
au milieu de choses immondes.
La fille s’en va et revient
pour éclairer mes mitoyens.
Je n’intéresse plus la dame,
ni le monsieur qui trouve infâme
ce que la torche montre aux yeux.
Il en vient à insulter Dieu,
ses saints, ses mânes, les gonzesses,
les morveux, le temps, la jeunesse.
Il ne dit rien sur ses aïeux,
d’autant que l’endroit est gazeux.
Profitant de l’aprosexie,
en espérant l’ataraxie,
à peine tremblant de la peau
et pas convaincu du propos,
je coule sans faire de bulles,
en serrant bien les mandibules,
les narines et mon sphincter
qui est le seul trou de ma chair
capable de trahir mes fuites.
En situation insolite
on n’est jamais seul avec soi
et, c’est un détail qui déçoit,
une perlouze en tout classique
peut dénoncer un mec critique
et le livrer avec les poings
au flicard ou à l’assassin
sans distinction de politique
pour alimenter la chronique
ou toute autre bonne raison
de vous faire du mal au fion
sans ménager votre conscience.
Mais je descends dans le silence.
Ça devient noir comme la nuit
quand plus rien n’éclaire l’ennui.
Rien ne sort de mes orifices,
pas un gaz, pas un appendice
plus léger que l’eau que je bois
sans le vouloir, prenant du poids.
Ah ! Jo n’y va pas de main morte
quand il veut nourrir les cloportes.
On est tellement là-dessous
que je sens les câlins froufrous
des tignasses gonflées de flotte,
les coups de coude dans les côtes,
ça gratte même le bassin
suivant comment on se retient.
Et les mains sur les yeux, devine !
Qui c’est qui te mord les babines
avec les dents de ton voisin !
Des tripes font le baisemain
à mes doigts cherchant la sortie.
On m’oppose des arguties
de chair et d’os, tendres tissus
que j’arrive à mettre dessus
ma propre peau encore en vie.
Ah ! Je n’inspire pas l’envie !
Mais je peux remonter là-haut,
à la surface de cette eau
que les flics consciencieux explorent
avec leurs torches tricolores.
Ni vu, ni connu le Dédé !
Tout autre avis est infondé.
Je fais partie de ce cloaque
que les amateurs de pancake
apprécieront, comme l’on dit,
à juste titre au paradis
en jetant par-dessus l’épaule
un regard sur l’enfer-école
où on apprend à cuisiner
au lieu de se laisser bouffer.
Plusieurs fois un jet de lumière
se pose dessus ma paupière,
s’en va et reviens vérifier
si par hasard on peut se fier
à une impression insistante
qui veut savoir et que ça tente.
Je suis foutu si j’ouvre un œil.
Et ensuite, bonjour l’accueil !
Ou plutôt bonne nuit en cage
après avoir mis à la page
pour qu’on me foute enfin la paix.
De faux aveux sur canapé
en attendant un vrai qui juge
et non pas un de ces transfuges
de l’échec scolaire à l’encan.
Si je pète dans ce volcan
de claire thanatomorphose,
je passerai pour un qui pose
au vivant qui a trop bouffé
et prétend se faire passer
pour un qui n’aime pas les cognes.
En attendant, les flics me lorgnent
en échangeant des opinions
sur mes bizarres solutions.
Je les trompe avec de vrais doutes.
Justement ce que je redoute.
Je ne sais où il l’a trouvé,
mais sans respect pour les crevés
Nicolas d’un bâton farfouille
notre infecte et molle tambouille.
L’autre l’éclaire en commentant,
sachant trop ce qui les attend.
Le bâton explore, analyse.
« Pas possible qu’on se méprise, »
dit Nicolas dont le bâton
me tâte en dessous les tétons,
croyant toucher la peau des fesses
d’un corps dépecé sans finesse,
car comme je l’ai dit plus haut
je m’étais collé sur la peau
des bouts avec un facteur chance
pas bien gros vu les circonstances.
Le bâton sur mon crâne nu
reconnaissait du déjà vu.
Un truc tatoué dans les îles,
dans je ne sais plus quel asile
avec des fous qui faisaient peur
à de fuyantes bonnes sœurs.
Trahi par mon casier à fiches !
Ah ! Ce flic n’est pas un fortiche,
mais il n’est pas trop con non plus.
J’ai beau faire, il m’a reconnu.
D’ailleurs comme il dit à la Noire,
« Même avant d’avoir la mémoire,
j’ai su que j’avais déjà vu
cette tronche de m’as-tu-vu.
C’est Dédé Ledé la Dévote,
bras coupés, main à la roulotte,
rien du côté des sentiments,
mais capable d’un bon roman
pour se tirer de la pagaille,
ni ouvrier, ni valetaille
et pas même anar au repos.
Le voilà mort comme un crapaud
en compagnie de ses semblables.
Et ça se voudrait respectable !
— Mais enfin, mon chou, sois poli !
dit la Noire qui ramollit
de plus en plus et se confesse.
Fais preuve d’un peu de tendresse
pour ces êtres qu’on a privés
de la parole pour rêver.
En plus c’est froid et dégueulasse !
Jamais vu pareille mélasse,
même dans les trous des égouts.
La merde c’est toujours pour nous !
Quelle nuit de Chine câline !
Il va falloir que j’élimine…
— Mais tu viens d’en faire un gros tas !
— De caguer je ne parle pas !
J’ai l’estomac qui me machine
et des visions que j’abomine.
Ça fait claquer toutes mes dents.
Mais ils sont combien là-dedans ! »
Moi j’écoutais sous mes paupières.
On le fait dans les cimetières,
sous la terre et même dessus.
Ah ! Je regrette, ça c’est vu !
Pourquoi pas ici dans la flotte ?
On n’est bien que dans sa culotte.
Mais il va falloir les amis
que je pousse un cri, mais un cri
qui va réveiller ceux qui dorment
et les autres pas pour la forme.
Là-dessous un poisson gourmand
me grignote le bout du gland
et ça me fait un mal de chienne,
s’il fallait que je m’en souvienne.
J’en pousse un qui fait des petits !
Des petits cris de tout petit.
Les deux flics soudain se redressent.
La confusion baba les laisse.
J’en profite pour remonter
sur la berge mais du côté
opposé, je ne suis pas bête
au point d’aller faire causette
pour demander qui a osé
en même temps que moi crier.
Et encore dans un registre
plus haut que le mien, genre cistre
qui se laisse pincer la peau
pour réclamer son gros lolo.
Je me hisse dans l’herbe haute,
comme si c’était de ma faute
si on est quatre au lieu de trois
à occuper la sainte croix
de cette nuit pas ordinaire.
A peine hors d’eau je m’affaire
pour évaluer les dégâts
que ce poisson a faits sur moi.
J’en ai mal aussi à la tête
tellement je crains pour la bête.
Je balance mes oripeaux
et me retrouve dans ma peau,
à poil mais vivant et en forme.
Certes la morsure déforme,
mais je fonctionne jusqu’au bout.
Et j’en éjacule debout
en poussant dans la nuit tranquille
un deuxième cri juvénile.
Mais me voilà interrompu
par le pleurnichement têtu
d’un bien plus jeune que mézigue
si j’en juge par son intrigue.
J’en perds le fil de mon plaisir.
On me vole mon élixir
et il faudrait que je la ferme !
Je me retourne d’un pied ferme.
Qui je vois de l’autre côté ?
Pas un flic pour me dorloter.
Je crois les avoir mis en fuite.
Mais ce qu’on croit, quand ça suscite
le doute et même le soupçon,
on s’accroche à son caleçon
et sans ménager ses deux pattes
loin d’ici on se carapate.
Croyez-vous donc que je le fis ?
C’est méconnaître qui je suis !
Un, je ne suis plus en culotte,
car Engeli me la dorlote
si j’ai compris ce qu’il voulait,
et deux je veux savoir qui fait
des cris pendant que je m’astique.
On n’est soumis qu’à la critique,
pas aux ébats du concurrent
d’ailleurs déloyal et flagrant.
La Lune étant à l’hypogée,
il ne me vient pas à l’idée
de me plaindre de n’avoir pas
du feu pour éclairer mes pas.
Je m’avance dans l’herbe haute,
sans cesser que je me tripote,
et alors qu’est-ce que je vois,
une péniche devant moi.
Pas n’importe quelle demeure !
Un chouette endroit qui vaut son beurre,
coquet avec de beaux rideaux
et bien ronds de riants hublots.
Des parasols aux jaunes franges,
sur les fils chaussettes et langes
pendent avec des pantalons
qui ont de bien dorés galons.
Un chapeau secoue son aigrette,
ses trois cerises grassouillettes
et son ruban volette au vent
qui fait bruire des rideaux blancs.
Comme la Lune à l’hypogée
répand sur toute la contrée
l’argent de sa lumière d’or,
pas un bruit, tout le monde dort !
Sauf Maman qui fait la vaisselle.
Une bien jolie passerelle
au bois mince peint en blanc d’œuf
propose un passage tout neuf
entre le quai et la péniche.
On a envie d’un blanc caniche
pour filer au fil du canal,
assis sur le roof amical
tous deux dans le vent qui décoiffe
et les branches qui nous recoiffent.
Comme j’eusse aimé posséder
ce tranquille et joyeux objet !
Il aurait bercé mon enfance
de bien faciles espérances,
mais hélas la vie ne veut pas
que l’enfant devienne papa
avec la femme de ses rêves.
Entre la famille et les grèves,
que de temps perdu pour l’argent
qu’on aurait pu, donnant donnant,
dépenser pour vivre sa vie.
Que voilà une douce envie,
mais qu’elle est amère pourtant !
Cette nuit, m’allant promenant,
je suis tombé sur la péniche
comme le vieux chineur déniche
au milieu d’un tas de fumier
le matelas et le sommier,
la fenêtre avec des dentelles,
les haricots de la gamelle
dont vous rêvâtes si souvent
que quelquefois, vous énervant,
vous volâtes un pauvre type,
le laissant seul et sans ses nippes
dans la nuit froide de l’hiver.
Se promener dans cet enfer
et soudain faire une rencontre
qui sans blablabla vous démontre
que vous êtes un homme aussi,
voilà ce qui vous adoucit,
fait de vous l’homme que les hommes
appellent mon petit bonhomme,
le nourrissant gratuitement
et même souvent en payant.
Mais l’existence est si injuste
que c’est en payant qu’on déguste !
Et on se perd dans cette nuit,
sans l’habiter, sans usufruit,
sans une preuve d’altruisme
à l’égard de votre ascétisme.
Mais cette nuit je suis chanceux !
Le Diable veut que je sois Dieu
et que je profite en profane
pour prodiguer à mes organes
le bien qu’ils ne connaissent plus
depuis que je suis un exclu.
Ô péniche de mon enfance,
je verse ma reconnaissance
dans le gosier de l’homme en feu
qui veut renouer avec Dieu
pour jouer dans la cour des anges
avec les filles des vendanges
et de mon âge les garçons !
De cette péniche approchons,
avec la plus grande prudence
pour éloigner de la malchance
les chiens qui mordent dans le tas
pour faire le plus de dégâts
et mériter des os à moelle
pour leurs prouesses cannibales.
Sur la pointe de nos dix doigts,
avançons sur ce pont de bois,
craignant le pire pour nos fesses
car les attaques sont traîtresses.
Tout est éteint, personne à bord
ou bien la tribulation dort.
Vibrations d’ailes du silence,
pattes velues des apparences,
inexplicables glissements,
je ne crains pas pour le moment
que la sale angoisse m’étreigne
car mon œil expert me renseigne
sur la fortune et l’avatar.
On n’est pas artiste sans art.
Je me sens des doigts d’interprète.
J’ai l’instrument et la baguette.
Mais je joue toujours sans public
le chic du fric qui pique à pic.
Un guéridon avec sa nappe
sous un parasol comme un pape
porte si j’ai l’œil averti
les reflets d’or d’un doux whiskey.
Je me passerai de son verre !
Comme on est heureux sur la Terre
quand la péniche est un banquet !
Je m’en délasse les quinquets.
Je vois des olives cuivrées
et des frites non moins dorées
dont le sel lance des reflets
qui promettent de bons effets
sur mes problèmes eurythmiques.
Mais pour l’instant, l’œil est critique
et l’oreille écoute et se tait.
Qui dit que mon cil a bougé
ment aux enfants qui eux m’écoutent
et se taisent sans aucun doute.
Nous avons jadis tant rêvé
d’une péniche et de crever
les émules de don Quichotte
et les redresseurs de nos fautes !
Nous serions fous de négliger
ces détails pour vous obliger.
Me voilà assis comme un riche
sur le pont de notre péniche,
crachant de bon cœur les noyaux,
avalant notre tord-boyaux
et la frite avec sa moutarde,
mordant le bec d’une bouffarde
que nous n’osons pas allumer
mais que nous allons emporter.
Ah ! Comme il doit être agréable
de profiter de cette table
sous un soleil fier et joyeux
hérité de nos vieux aïeux !
N’avoir rien fait et ne rien faire,
voilà qui promet des affaires
dont nous nous féliciterons
sans regretter d’avoir des ronds.
Visez un peu comme on nous aime !
Et on se sent enfin soi-même !
Mais de quoi donc le plus souvent
se sert-on de ce corps aimant ?
Des doigts de pied ? Ceux des paluches ?
Des yeux, du nez ou du trucmuche ?
Des cheveux qu’il faut bien couper ?
Du cerveau quand on s’est loupé ?
Des deux seins ? De l’huile de coude ?
Du bouton qui au nez se soude ?
De la carie et de ses dents ?
De tous ces trucs qu’on a dedans ?
Et de ce qui en sort à l’heure
de payer l’argent et le beurre ?
Dis-moi ce que je dois laisser
pour ne jamais être oublié !
Car je ne veux pas mourir riche
avec de trop saines ratiches.
Je veux mourir en le voulant,
sachant ce qui est important
de tous ces trucs qui me composent
et dont je suis le virtuose
sans même pouvoir les compter
tellement je suis embêté.
Ah ! Les amis, quelle péniche !
Je croyais avoir de l’artiche
à cause de tant de confort.
Un moment d’abandon très fort,
mais ça m’allait comme langage
en attendant que je sois sage.
J’en avais même des frissons,
je vous dis sans contrefaçon,
du spontané, de l’authentique,
du véritable et bénéfique.
Vous me croyez, je le redis.
Sinon allez au paradis
sans passer par la Connaissance.
Une péniche de plaisance
toute à moi pour toute la nuit !
J’en oubliais tous mes ennuis.
Et pas des minces pour la forme.
De ceux qui portent l’uniforme.
Mais où passés étaient-ils donc ?
Et voilà que je fais un bond
juste au moment de me le dire !
C’était bien, on me le déchire
comme mes rêves mon insti.
Quand ça arrive on s’interdit.
Bouche bée, adieu turgescence.
On va m’accuser d’indécence
en plus de vils assassinats.
Tu parles d’une ad limina !
On vient juste pour la visite
et on repart où on habite,
comme un vulgaire vacancier
alors qu’on avait des projets.
Et d’avenir, pas une ébauche
qu’on vient de sortir de la poche.
« D’abord, la frisottée me dit,
qu’est-ce qu’à poil tu fous ici ?
Pas chez toi si je ne m’abuse.
Surtout ne cherche pas d’excuses.
Explique-toi sans les moyens.
Tu n’es pas même un citoyen.
Les sous-espèces sans articles
ça n’a pas droit à l’hémicycle.
Heureusement, j’ai les bras pris,
sinon tu aurais tout compris ! »
Comme elle dit ça une crotte
lui mord le sein et le pelote
de ses deux mains roses bonbon,
avec des calots furibonds
que dedans les miens il agite
pour me faire savoir et vite
que c’est bien lui le proprio
de l’organe et du bon lolo.
Nicolas lui tient la casquette,
penchant sur l’épaule sa tête
sans oser toucher au marmot
qu’il désigne de tous les mots
que la paternité inspire
aux mecs qui voient dans ce martyre
un moyen de se faire aimer
et d’en profiter pour baiser.
Dans l’autre main il a un flingue
tout prêt à foutre le bastringue
si jamais ça ne tournait pas
en faveur du nouveau papa
qu’il est devenu sans rien faire,
si j’ai bien compris leur affaire.
Le tableau est des plus touchants.
Au jeu de papa et maman,
un sein fait pour nourrir les hommes
et transmettre des chromosomes
sans mesurer l’implication
sur la couleur de la nation.
La tentation qui veut qu’on pèche
avant que vite on se dépêche
de redevenir des colons
et pourquoi pas les étalons
d’une race encore plus blanche.
Pour ça on a les coudées franches
et des promesses de boulot
qui arrangent le ciboulot
alors qu’on craint la récidive.
Dans le sang on a la lessive
qui convient sans trop de tintouin
à nos pratiques du besoin.
Et le marmot y allait ferme,
les gencives mordant le derme
sans se soucier d’une couleur
qui n’était pas malgré l’ardeur
de son amour pour le laitage,
ni la sienne ni d’avantage
celle de papa Nicolas
qui était bronzé au-delà
de la bronzette des voyages.
Un bébé rose pas en âge
de reconnaître ses amours,
et tout blanc quand on fait le tour
de la question en spécialiste.
Pourtant, je ne suis pas raciste,
juste un peu, disons exigeant
sur le plan du comportement
et des conséquences sociales.
Rien au-dessus de la normale,
ni en dessous de la pitié.
Ah ! Je les avais mis les pieds
à la place de mes menottes
que j’aurais mis dans ma culotte
si je n’avais pas été nu
et en plus plus que bien connu
des services que la police
rend paraît-il à la justice.
Un spectacle dans un fauteuil,
j’en ai même la larme à l’œil.
Je veux toucher, mais la censure
peut mettre fin à l’aventure
en exagérant des moyens
que le coupable citoyen
peut mesurer à la volée.
On en saisit vite l’idée
sans avoir besoin d’étudier
dans les meilleures facultés.
Comme j’étais sujet d’études
et soumis à des servitudes
que le domicile et l’état
du casier avec ses constats
rendaient plutôt obligatoires,
je m’en tins à l’exécutoire
et couvris de mes mains l’essai
que j’étais prêt à transformer.
Nicolas secoua son flingue :
« Ce que tu es moche sans fringues !
dit-il comme si j’étais beau
quand je me sentais dans ma peau.
On n’a pas le temps de médire.
Allez ! On quitte le navire.
Tu nous expliqueras plus tard
ce que tu fous sans ton falzar.
J’en ai ma claque de ces zouaves
qui gâtent comme rats de cave
les petits plaisirs d’un boulot
qui a ses côtés intellos
comme le prouve ce spectacle
qui tient de l’art et du miracle.
Ah ! Mais je veux en témoigner !
Même s’il faut tout expliquer.
Et je vous raconte l’histoire
telle qu’on ne veut pas la croire.
Accrochez-vous, ô bonnes gens !
Alice eut envie, au volant,
de vider non point sa lanterne,
mais la vessie qu’elle a interne
comme l’ont tous les animaux,
en tout cas ceux qui sont normaux,
car ces choses-là sont intimes
et doivent rester anonymes.
C’est un secret qu’il faut garder
pour pouvoir enfin se vider
sans inviter le voisinage.
On ferme la porte et on nage
dans un bonheur rien que pour soi.
De la société c’est la Loi !
Je m’y connais, j’ai fait le stage.
On nous a montré des images,
car les mots ne suffisent pas
à dire comme c’est sympa
de se retrouver sans culotte
et sans personne dans les chiottes.
Autrement ce n’est plus un jeu.
On ne peut pas le faire à deux
sans violer la règle d’usage
chez les gens sociables et sages.
Et je le suis, moi, Nicolas,
brigadier comme mon papa,
sauf que j’aurai, pour la retraite,
en plus de la même anisette,
deux baraques et deux autos,
sur la solde, pas au loto,
les avantages de la planque
avec le même compte en banque,
et deux fois plus de ce qu’on dit
espérance de vie au lit.
Aujourd’hui on fait des merveilles
avec des riens qu’il faut qu’on paye
mais qu’il est bon de le savoir.
J’en prends d’ailleurs déjà pour voir
si ce qu’on dit n’est pas des blagues.
Des fois ça a l’air même vague,
car les infos de l’Internet
ce n’est pas toujours très très net,
du moins pour un esprit moderne
comme celui qui me gouverne.
J’en suce deux s’il faut croquer
et trois si c’est qu’il faut sucer.
Ça m’en met une que j’en crie
tellement ça me donne envie !
Ah ! La retraite ça promet !
On est sur le point de crever
et on en veut comme des mioches
qui n’ont pas même un sou en poche
pour s’en mettre jusqu’au plaisir
parce qu’ils ont d’autres désirs
plus impérieux que la gratouille.
Ou alors ils ont de ces couilles,
et je pèse des mots connus,
que je ne m’en rappelle plus
tellement c’est loin la jeunesse
au moment qu’enfin la promesse
est tenue et qu’alors on prend
cette retraite avec maman.
L’État c’est bon pour l’existence.
Ah ! Quand même quand on y pense !
Il est déjà là quand on naît
et quand on part, il s’en remet.
On ferait quoi sans ministères
si on n’était pas fonctionnaires ?
Mais je m’éloigne du propos
que j’ai tenu avant qu’au beau
milieu d’une aimable parlote,
Alice eût envie qu’on se frotte
après avoir fait des besoins
dans ce charmant et calme coin
où on serait seul pour le faire,
comme le prévoit l’arbitraire
de nos lois à interpréter
selon la virgule et les faits.
Et elle arrête la bagnole
en tenant des propos frivoles
pendant que je suce un cachet
qui me rend ma foi guilleret,
comme c’est écrit sur la boîte
qui la montre dure et bien droite.
On parle même de beauté.
Je le dis sans publicité.
Ce n’est pas à moi de la faire,
mais quand c’est bon, on veut refaire
et même vanter le produit
pour vérifier si ce qu’on dit
n’est pas le fruit des apparences.
On ne sait jamais ce qu’on pense.
Il n’est pas mauvais entre amis
de comparer les deux commis,
et plus si des fois si on s’affine.
Voilà comment on s’agglutine
au lieu de bosser pour de vrai.
Du coup le travail est mal fait
et on se fait tirer l’oreille,
sans toutefois sucrer la paye,
car les stages ça coûtent cher,
avec une image au dessert
pour expliquer le sens des choses
qu’il faut comprendre quand s’impose
la bonne hygiène de l’esprit
et la propreté de l’écrit
qu’il faut bien qu’on sache le lire
si des fois au cours d’un martyre
on nous demande des questions
en forme d’interrogation.
Tout ça c’est cher et on nous garde.
Et personne qui nous cafarde.
On suce, on compare et alors
on voit bien qui c’est le plus fort.
Avec le temps, on s’améliore.
Les cheveux de la métaphore
sont peut-être tirés trop fort
pour vraiment donner à l’effort
des excuses bien nécessaires
pour justifier le fonctionnaire,
mais reconnaissez avec moi
que dans le tas on est les rois
de l’action administrative.
Un pet en l’air et on arrive !
On bousille, on s’explique après.
Oui mais alors, vous me direz,
quel rapport cette violence
qui met fin à nos espérances
avec le fait que pour bander
on n’a pas besoin d’être aidé
mais aux essais on participe
pour voir si des fois ça constipe
au lieu de faire les effets
qui sont écrits sur le côté
de la boîte et avec des lettres
que si on les sait on est maître
de sa personne et des conards
qui nous pourrissent jusqu’à l’art.
C’est dire si la pourriture
c’est le nœud de notre aventure.
Et des pourris, que j’en connais !
Que j’y fais même des essais
récompensés par le service.
Ah ! C’est compliqué la justice.
Sans stage vous êtes foutu,
tout branlant de la tête et du
chef qui ne sait plus comment faire
pour vous remettre sur la terre
les deux pieds qui font avancer.
Avant de faire il faut penser,
ce qui est faire quelque chose
sans y penser, ce qui nous cause
bien des ennuis avant d’aller
se proposer de travailler.
Et vous parlez de sinécure,
et qu’on ne lit pas la brochure
avant de voir à quoi ça sert
que les stages coûtent trop cher,
qu’on ne fait rien ni pour ni contre,
qu’on est de mauvaises rencontres
au moment où vous préférez
être seul pour nous critiquer,
et que rien ne sort de la tête
si rien n’y entre que des dettes
envers la paix des sociétés,
ah ! J’en passe et des trop salés
pour que je paye à votre place
les pots cassés de la grimace
qu’on fait à ceux qui vivent bien
parce qu’ils en ont les moyens !
Je peux profiter, je profite !
Je m’invite sans qu’on m’invite,
dans les taudis, dans les châteaux,
à la montagne, au bord de l’eau.
Je n’ai pas la clé mais on m’ouvre
et des fois même je découvre
des choses, des faits, des questions
mais ce n’est pas moi qui réponds.
Ça me fait plaisir de me taire
si je n’ai rien d’autre à me faire.
Gueuler c’est bien, mais il vaut mieux
se mettre du côté des dieux
si on n’a pas fait sa prière.
Non mais voyez la belle affaire !
Venir me dire que je fais
sans rien me faire dans les faits !
Alors qu’on ne fait pas la guerre,
alors qu’on n’a que ça à faire,
alors qu’on branle sans arrêt
pendant que vous réfléchissez
à des trucs qu’on n’a rien à faire,
que veut nous vendre le libraire
quand c’est du papier à torcher
et encore sans se fâcher !
Que l’on dépasse la limite
quand la collation est gratuite
peut se comprendre entre voisins,
mais en faire un tas de boudins
pas même bon pour la misère,
voilà ce qu’il ne faut pas faire !
— Dis donc, Nico, tu fais des vers.
Tu bois bien mais tout de travers.
Si tu permets que je le prenne,
je roule à droite et puis je freine
si jamais ça peut s’écraser.
Tu ne sais plus où tu étais.
Si tu veux raconter l’histoire
ton lecteur impatient n’égare
par de trop longuets errata.
Mets le bouchon et ouvre-la
pour raconter ce qui se passe
quand on arrive sur la place.
— Bref, j’attendais l’inspiration
pendant qu’Alice dans l’action
vidait sa vessie et ses tripes.
Comme elle dit, c’est un principe,
sinon le fil peut se couper
et sans jus qui peut se vanter
de s’allumer comme une ampoule ?
Ce genre d’envie vous chamboule
en pleine autre envie qu’on est là
pour satisfaire avec papa
ou avec maman s’il s’absente.
Ici c’est comme un champ de fientes
qui peuvent te péter au nez
si jamais tu y mets le pied.
Et vlan ! J’y pose mon derrière
parce que je glisse par terre.
Heureusement je me retiens
à ce qui tombe sous mes mains,
et heureusement c’est des branches,
que je m’en déchire la manche
et non pas le qui s’en sort bien,
pas une égratignure, rien.
Mais sous le cul, c’est autre chose.
A part une grosse ecchymose,
un son de cloche, un gros bourdon,
et pour me vider le bidon
la teneur rouge de mes tripes,
devine un peu sur quoi je flippe,
si ce n’est pas d’un inconnu,
(pour ne pas dire, et être vu,
d’un étranger, car j’y habite)
la déjection cosmopolite
avec papier rose à l’appui
et un mégot, ce qui me nuit.
Comme je secoue il s’effeuille,
l’arbre sous lequel on m’accueille
de cette façon qui me met
dans un état que j’en ai des
boutons rien que de le redire.
Et mon Alice de tant rire
en perd l’équilibre et s’en va
poser le sien sur son caca,
directement et sans culotte !
Elle en pisse et fait un sans faute
car le jet dans les yeux m’atteint.
On a fait mieux mais le matin
dans des draps tout blancs de lessive
où elle est plus noire que vive,
ce qui m’inspire le pardon.
Ce qu’en leur lit les amants font,
ce qu’ils défont, refont sans cesse
pour voir comment c’est qu’on progresse,
ne regarde personne ici.
Alors qu’ici, ah ! Quel souci !
Chacun peut voir ce qu’il regarde.
N’importe quel con se hasarde
quand il a envie de chier.
Et s’il peut en plus observer,
on ne le voit jamais en face.
On croit être seul et en grâce
et on vous filme le dehors
pour donner à voir sans effort
un dedans qui n’est plus intime,
avec d’autres témoins en prime
vu la fièvre de leurs réseaux.
J’étais là suant sang et eau
pour me sortir de cette ivresse
quand j’entends un cri de détresse,
un petit cri pas bien épais,
mince comme d’eau un filet.
Je tends l’oreille et je m’explique,
car Alice qui se rapplique
veut jouer avec un étron
comme si c’était un ballon.
Je lui dis de fermer sa gueule.
Pour ça il faut qu’elle soit seule,
je le sais bien, je la connais.
Et il va falloir, je le sais,
que je le dise plus fort qu’elle.
Alors soudain (tu te rappelles ?)
elle aussi entend qu’on se plaint,
pas bien fort mais ça s’entend bien.
Ce n’est pas le cri d’une bête.
Et de temps en temps ça s’arrête
comme si ça attendait que
quelqu’un vienne pour être deux.
C’est l’impression que ça me laisse.
Pourtant on sent que la détresse
n’est pas étrangère à ce cri.
Je crois qu’Alice a tout compris,
car elle étreint mes deux paluches,
mais pas comme quand des greluches
me font signe que j’ai gagné
à condition de rejouer.
Et comme sa main est tranquille,
à l’horizon pas d’imbécile
pour gâcher nos petits plaisirs.
Juste un cri entre le soupir
et la plainte qui nous appelle
pour quelque raison casuelle
qu’Alice a reniflé malgré
l’odeur forte de nos jouets.
Elle se dresse toute noire,
me tenant par les génitoires.
Elle m’aide à me relever
et on se met à écouter,
comme on faisait pendant le stage.
Ça vient du chemin de halage
ou pire de l’eau du canal.
J’ai le frémissement dental
et l’air qui entre dans ma bouche
en ressort brûlant et farouche,
mais sans excès de ce mépris
que quelques-uns, forts de leurs prix,
mettent à l’épreuve des balles
quand elles sifflent dans la salle.
Qu’on m’applaudisse, je veux bien,
mais pas sans moi et mes deux mains.
La théorie et la pratique
comme paroles et musique
font de méritoires chansons,
mais ne valent plus la leçon
s’il s’agit de ne plus apprendre.
A chacun de vouloir comprendre
ou de ne rien vouloir du tout.
Quand on possède deux bijoux
et rien d’autre pour faire riche,
on pense avant d’être fortiche.
J’en avais le cœur remonté
comme un ressort qu’on a pété
à force d’avoir la conscience
sollicitée par cette science
qu’on dit policière quand on
se fie à des qu’en-dira-t-on
alors qu’on est des scientifiques
du moins-on-touche-moins-ça-pique.
Mais revenons au narratif
après un couplet digressif
qui m’a remonté la morale.
Le cœur battant comme un seul râle,
je sors mon vieux pétard Français
des fois que quelqu’un m’en voudrait.
Alice allume sa loupiotte
et en promène sur la flotte
le disque jaune, on ne voit rien
qui mérite de gros moyens,
ni même de bien plus modestes.
Quand on n’a rien, on fait le reste,
c’est la loi en France aujourd’hui.
Sinon le Français se détruit
sans avoir besoin qu’on le casse.
Il faut peut-être de l’audace,
mais moins on en a plus on fait.
J’étais en train d’y repenser
quand une mouche ici se pose,
sur le bout de ce doigt que j’ose,
car en moi Danton n’est pas mort,
pointer comme ça sans effort
pour faire et oser en service
quelque chose qui accomplisse
le devoir d’avoir de l’honneur
une pensée haute en couleur.
Et pour augmenter de ma tâche
le mérite qui s’en détache,
je le plie une fois ou deux,
la mouche ayant quitté les lieux,
ce qui explique que vous crûtes
que vous aviez une minute
et pas plus pour sortir de l’eau.
Mais d’éclairer on avait beau
on ne voyait rien qui fût borgne
au point d’avoir de votre trogne
l’aspect qu’ici on peut lui voir.
Au risque de vous décevoir,
notre attention vous n’attirâtes.
Aussi de rentrer j’avais hâte,
comme on pouvait le constater
sans avoir besoin de tâter,
et même grande et belle joie.
— Au tribunal on se voussoie.
Vous le tutoyâtes pourtant
si j’en crois ce qu’il dit céans
pour critiquer votre attitude
et de coupables habitudes
dans la manière d’arrêter
celui qui pourtant n’a rien fait
qui mérite qu’on le capture
et le prive ainsi d’aventure.
— Ah ! Ferme ta gueule, Dédé !
On n’est pas là pour plaisanter.
Allez ! Mon Nico, continue.
Je veux te tomber dans les nues
tellement tu racontes bien.
Avoir du talent ce n’est rien
si on n’a pas en plus des choses
qui rendent beau tout ce qu’on cause.
On peut le dire, tu les as !
¡Anda ! ¡Toro ! Sur la plaza !
Fais trembler toutes ces statues !
Et en même temps perpétue
les bonnes manières de l’Art.
Pourfends à mains nues les conards,
les salauds, les pédants, les vieilles,
les roquentins, les sans-oseilles !
Mets-leur du flic dans le tarif.
Ça les rendra moins agressifs.
Ce que j’aime dans ta manière,
c’est la poussée par vent arrière
en plein dans le creux du mouton.
Ça épate plus d’un fiston
tenu en laisse sur la plage
pour ramasser des coquillages
dont le papa s’empiffrera
en avalant son quinquina,
son anéthol et ses olives !
Vive la fonction créative !
Vive l’Afrique côté mer !
— Moi je vous dis que c’est l’Enfer !
On est là, on marche, on bavarde,
et on va droit à la Camarde
pour se faire rôtir les pieds
qu’on a déjà fort atrophiés
à cause des Jeux Olympiques.
Ce n’est pas que je vous critique,
j’admire la curiosité,
même au prix de la cruauté
…A la guerre comme à la guerre !...
qui n’est qu’une façon de faire
mieux que si on ne faisait rien.
Ne frappez pas, car je maintiens !
On ferait mieux, d’un pas tranquille,
de retourner dans notre ville.
C’est le berceau qu’on eut bébé
avant de goûter au gibet
de l’angoisse et des servitudes.
On n’y a que des habitudes.
A l’occasion des accidents,
mais la nouveauté s’oxydant
nous contraint à l’inexpérience.
Et encore on a de la chance
si on apprécie le talent.
Plus d’un citoyen travaillant
pour se payer de l’inutile
veut aussi que ce soit facile
et qu’on cesse d’empoisonner
les bons journaux télévisés
avec de l’utile agréable
alors qu’on est mieux sous la table.
— Tu critiques sans étudier !
Ah ! Si tu étais policier
tu parlerais en connaissance.
Mais d’où tu la tiens ta conscience ?
Monsieur ne fait rien et défait !
Il note qu’on est imparfait
mais ne fait rien qui améliore.
Tandis que nous on collabore,
en temps de guerre, en temps de paix.
Même le juge reconnaît
qu’on a un trop petit salaire
par rapport à ce qu’on sait faire.
Allez ! Nico, raconte-lui
comment dans cette sombre nuit
on a trouvé notre trophée.
Un vrai de vrai conte de fée !
— N’empêche qu’on va se brûler !
J’en ai marre de le porter !
Les morts n’ont plus de domicile.
On les jette hors des asiles.
On peut les mettre n’importe où.
La campagne est un fourre-tout.
J’ai tellement chaud que je pue !
Et pourtant j’ai la couenne nue ! »
Ici, le lecteur dérouté
demande au scribe d’arrêter
de ciseler dans son argile
ces vers ma foi pas si faciles
à interpréter sans douleur.
Voyons si notre narrateur
peut en lissant de sa chronique
les reliefs par trop anarchiques
et les abysses indécis
reprendre le cours du récit,
qui est, croit-on, un mélodrame,
à l’endroit où nous le laissâmes.
« Ne voyant rien ni de tordu
ni de trop beau pour être su,
je me dis qu’on peut se les mettre
et sur ce sans vouloir paraître
moins bête que mon compagnon
qui est ma femme à la maison,
je m’en vais l’arme sur l’épaule
me remettre dans la bagnole
où je garde au frais ma boisson.
Ensuite, on connaît la chanson,
je bois plus d’un coup et ingambe
je me remets sur mes deux jambes
pour pisser encore une fois.
Et sur le bateau qui je vois,
si ce n’est pas Alice même,
souriante et pas du tout blême,
portant dans ses bras un bébé,
un animal très agité
qui lui suçote la mamelle
en la grattant dessous l’aisselle.
Avec un doigt elle fait chut
et alors là je me dis zut !
Elle a accouché sans ma pomme
pour lui montrer comment un homme
peut souffrir de ne pas souffrir.
Elle m’a gâché le plaisir !
Mais j’ai amené de quoi boire.
On va fêter ça sans histoire.
Qui me croira si je le dis ?
« Je ne savais même pas, dis,
que de moi tu étais enceinte !
On ne sait rien de sa conjointe
quand on sait trop à quoi ça tient.
Je vais passer pour un lutin
qui éclaire les plates-bandes
de sa lumière de commande.
Comment tu as fait pour sortir
cette chose sans me saisir ?
J’étais tout prêt à bien le faire !
Ah ! Des fois tu me désespères !
— Avec tous tes médicaments
on te voit aussi moins souvent !
Mais qu’est-ce que tu imagines ?
Que je fais ça sans mes bottines ?
Tu vois, Nico, tu es léger.
On entend un cri de danger
et parce que rien ne t’arrive
tu décides que fugitives
sont les impressions que l’on a
s’il fait nuit et qu’il ne faut pas
prendre les chats pour autre chose.
Et monsieur qui voit tout grandiose,
quand c’est petit il ne voit rien.
Pourtant tu en as les moyens.
Sinon t’aimerais-je ma poule ?
— Je sais bien que tu ne me roules
et que celui-là est en chair.
Qu’en plus il va nous coûter cher.
A une époque de ma vie
où je n’en ai du tout envie !
— Qu’il est bête quand il s’y met !
Pour en faire il faut bien s’aimer.
Et quand je dis bien c’est profonde,
et pas en deux ou trois secondes.
Or nous on s’aime mais mais mais
pas aussi bien qu’il le faudrait.
On se caresse la surface,
mais en dedans, rien ne se passe.
Maintenant que tu sais comment
et pourquoi on est différent,
pas seulement de la poitrine
qui tourneboule tes rétines,
tu as le potentiel qu’il faut !
Et pour le faire sans défaut.
Mais pour autant que je le sache,
on n’a jamais fini la tâche
au point de bien ensemencer
sans devoir tout recommencer.
Tu vois ce que je veux te dire ?
— Je le savais, mais par ouï-dire.
Pourtant tu l’as fait devant moi !
Un vrai gosse avec tout de moi !
Et pourtant rien, que tu m’expliques !
— Ce n’est pas toi que je critique !
Mon bon Nico, tu es naïf.
Certes tu n’es pas très actif.
On ne fait rien avec la bouche.
Avec qui veux-tu que je couche ?
— Avec personne si c’est moi.
Car je vois bien ce que je vois.
C’est mon portrait craché par terre.
Il n’y a que moi pour bien le faire.
— Pour la confiance, merci bien.
Malgré que j’aie de gros moyens.
Mais bon, merci, merci quand même.
Je sais que c’est moi que tu aimes.
C’est déjà ça, on verra bien.
L’amour est fait de petits riens
que sans eux on se met à vendre,
sinon on est bon pour se pendre.
Seulement voilà le bébé,
que tu vois là, sur mon néné,
(il ne boit pas, il me suçote
si bien que j’en ai la tremblote)
n’est pas le mien et s’il n’est mien
il n’est pas tien ou bien, ou bien…
— …c’est le Miracle de la Vierge !
— Mais puisque je ne suis pas vierge !
— Si tu ne l’es point, mon minou,
tout s’explique et plus de bisous !
Si ma baguette est bien magique
je te transforme en vieille bique.
Mon lit n’est point le rendez-vous
des pastoureaux au garde-à-vous !
Mais qui se ressemble s’assemble.
On voit combien il me ressemble…
— Il te ressemble, cet enfant,
mais seulement d’être tout blanc !
Même plus blanc que ta bronzette
qui est naturelle et sujette
à des commentaires narquois
que je dirai une autre fois.
Tu es natif d’Andalousie,
et je le dis sans jalousie,
on est au Sud plus qu’enjuivé,
arabisé, latinisé,
africanisé à la source !
Voilà ce que contient ta bourse.
— Mais je revendique mon sang !
Sans savoir de qui je descends…
personne ne s’est mis à table…
quelque chose d’inexplicable
complique ce bien bel enfant
qui est vraiment plus blanc que blanc,
ce que je ne suis, sans conteste.
Et tu es noire pour le reste.
Il dût apparaître moins blanc,
sur ce point, soyons suffisants.
Noir il eût été ton chef-d’œuvre,
mais me vit-on à la manœuvre ?
Je dois admettre que si blanc
et malgré des traits ressemblants,
il ne peut être de ma pogne.
Mais de qui donc est la cigogne ?
— Intelligent mais pas malin !
L’authentique Français moyen.
Tu les vois débiter des phrases,
et que des idées, des extases
que si tu y étais aussi
tu doutes que c’est un récit.
Ça fragmente et ça intitule
sans se soucier du ridicule
que ça fait quand on dit tout haut
ces pages tirées du dico
et des manuels de l’ivresse
conçue dans l’ordre des largesses
à usage d’Onan donnant
toute la mesure du bran
dont l’unité est la cervelle.
Tu parles d’une citadelle !
On n’en compte plus les piliers.
A cette allure on est dernier
et encor sans la bicyclette
qui a son prix à l’éprouvette.
A quatre ans on pose le cul
sur le banc qu’on ne quitte plus
tant qu’on peut s’asseoir sur les fesses.
Pour les genoux on les redresse
sans les lever, ça fait subtil.
Et quand enfin au bout du fil
une voix demande des preuves,
on prétend se faire peau neuve
alors qu’on est pourri à l’os.
Et le toubib n’est pas gratos
si la mort se veut naturelle.
Ah ! Il faut voir la ribambelle
des grimauds plus ou moins doués
devant la vitrine aux jouets
que la République jalouse
se fait payer avec du flouse
et de l’anus en chair et os.
Et après on parle d’éthos !
Des juges, des profs, des crevures,
et des déçus de l’aventure
pour donner un sens au profit.
Attendez !... Ce n’est pas fini.
J’ai une liste comme aux courses
avec les cordons de la bourse
et papa qui suit en vélo
des fois que j’aille à la colo
sans la permission provisoire.
Je te dis… Ah ! Mais quelle histoire
celle que je peux raconter
si seulement vous le voulez.
C’est chaque fois que je suis vierge
que je me fais porter des cierges.
— Mais que je veux et que j’aurai !
Repose-moi là ce bébé
et remettons-nous à la bourre.
Tu vas voir comment je la fourre !
Un bon rapport qualité/prix,
avec pourliche et tout compris.
Ça me rend nerveux mais j’arrive !
Et pas besoin de détective
pour mettre l’œil dans le viseur
et presser sur le déclencheur.
C’est quoi la fonction créative ? »
Sur cette question réflexive,
je prends Bébé et je le mets
sur le dessus d’un tabouret
qui n’aura pas, je crois, d’usage.
Je suis à deux doigts de l’outrage,
mais le mien compte pour bien plus.
Si j’ai bien compris le cursus,
question technique c’est du beurre.
Pour le mental, je l’ai à l’heure
tellement je suis remonté.
Et même que je suis monté
en m’accrochant à ses épaules.
Il paraît que j’ai le beau rôle.
A l’affiche le beau Nico !
Je me découvre et puis banco !
Autant dire qu’elle en profite,
sans bouger pendant que j’agite
avant usage évacuant.
Si j’avais su c’est bien avant
que j’aurais accompli mon œuvre.
Combien de têtes sur la pieuvre ?
Je ne sais plus ! Je coupe tout !
Elle est aux anges ! Moi itou !
Je crois bien que j’en fais des litres !
On n’entend pas siffler l’arbitre.
Et j’ose les prolongations.
Elle appelle ça la passion
et me récite du Virgile
avec des abeilles tranquilles
sur la fenêtre à Brindisi.
C’est beaucoup mieux que l’ecstasy
l’amour en vrai avec les dames !
Des années que je le réclame !
Et en plus je fais un bébé
avant de me mettre à baiser.
Et d’avoir 40 de fièvre.
Je lui en mordille les lèvres
qu’elle a gonflées comme des pneus.
« Comment c’était, ma corde à nœuds ?
— Autre chose que la caresse
qu’en religion on nous professe !
Je voudrais bien recommencer,
mais je crois que tout bien pesé
je vais m’avaler une goutte
pour comparer qui me chouchoute
le mieux avec ces grands moyens.
— Ça ne te fera pas du bien !
Mais si tu sens que c’est ta voie,
vas-y ! Maltraite-toi le foie, »
dit-elle et elle prend Bébé
qui est content qu’on l’ait trouvé
si j’en juge par son sourire.
Ce qu’on possède, il faut le dire
sans baisser les yeux devant soi,
c’est du bonheur rien que pour soi.
Ça nous remet les pieds sur terre
et un autre dans le derrière.
Surtout quand on peut partager
sans couper en deux le viager.
L’art de fendre le corps tragique
avec un air mélancolique…
ce qu’on est bien seul et sans art !
Les autres aussi ont leur part.
Même que des fois on jalouse.
Ah ! L’enfance quand elle blouse !
Quand elle échange les jouets
contre d’autres complexités.
On est vieux quand on s’en rend compte.
Ou pas si vieux, si d’un acompte
on met fin aux rêves d’enfant
tout simplement en déchirant,
sans autre forme d’aventure.
Car un jour il faut bien conclure.
Entre la face et le miroir,
toutes les raisons de savoir.
Mais il est trop tard et on crève.
Presque tous les romans s’achèvent
sur les promesses de la mort.
Qui peut promettre sans effort
sinon l’idée de l’impossible
dont le geste est irréversible ?
Mais laissons là ces réflexions
et retournons à notre action.
J’avais la queue bien droite encore,
fleur de l’été prête à éclore
sous le soleil qui veut ou pas.
Alice tenait dans ses bras
bébé souriant à son père
si elle n’était point la mère.
J’en avais les yeux tout pleurants
et les gencives de dedans
comme qui dirait chatouilleuses.
La langue en était amoureuse.
« Va boire un coup, sacré cochon ! »
Un demi-tour sur les talons
me plaça devant une échelle
qu’en me triturant la cervelle
je ne me souvenais du tout
d’avoir descendu, allant où ?
Mais ici, sachant pour quoi faire !
Et je le fis, non au derrière,
mais où il faut faire ces trucs
si on veut avoir l’air d’un duc,
un king du les-dames-préfèrent.
Je montais donc sans trop m’en faire
les barreaux de cet escabeau,
fatigué des procès verbaux
qui mettent fin à mes beaux rêves
plus souvent que je m’en relève.
Des tartines de faits patents
que le patron anxieux attend
pour en corriger l’orthographe,
non sans vider une carafe
qui a ses arguments aussi.
Bref, un métier dans le récit.
Ce que je dis quand m’interroge
un enfant où c’est que je loge
en attendant de me marier
avec Alice sans payer.
Pas question que je la rallonge
pour donner un sens aux vieux songes
de son papa qui est sorcier
sans cesser d’être policier.
Pas con, le vieux ! Il vend la fille
aux revenus de la famille.
Et il me prend pour un bonard
qui a trop d’affection pour l’art
pour penser à des autres choses,
toutes ces choses qui s’imposent,
ces choses qui sont toujours là.
Qu’on ne demande plus pourquoi.
Et j’y pense en faisant la manche
à la messe tous les dimanches,
moi qui attends l’affranchisseur
en lisant tous les annonceurs
qui se mettent dedans ma boîte
pendant que c’est moi qu’on emboîte.
Plein le cul, la bonne expression !
Heureusement, j’ai des passions,
comme jouer à la marelle
avec des filles sans cervelle,
mais moins depuis qu’Alice est là.
Je pensais à ces choses-là
quand j’entends que là-haut on tousse.
Je me dis mince c’est la rousse !
Mais la rousse c’est moi qui suis.
Et alors là, je réfléchis…
je ne bouge plus et je pense.
Et je revois les circonstances :
un bébé seul dans un bateau,
Alice qui le trouve beau
et même parfait pour l’usage
qu’on peut en faire en étant sage,
et moi qu’on vient de déflorer,
que j’en ai soif mais à pleurer !
Donc, la question est sexuelle,
conclus-je dessus mon échelle.
Ce bébé n’est point seul du tout.
Là je sens un arrière-goût
d’emmerdements et même pire !
Ah ! Les flics on est que des sbires
bons pour servir sans réfléchir.
Du plaisir mais sans le désir.
De certes vaillants domestiques,
mais point doués pour la critique.
Laissons ça à meilleurs que nous.
Le monde pullule à genoux
de cerveaux faits pour l’industrie.
Nous on est fait pour la patrie
et les trésors de ses bourgeois.
Je me le suis dit bien des fois,
mais j’oublie qu’on me le rappelle.
Et voilà que sur une échelle
j’attends de me prendre un savon
pour avoir usé d’un salon
à des fins qu’il ne faut pas faire.
Et en plus sans être le père,
lequel est en train de tousser
en même temps que se bourrer
sur le pont de son beau navire.
Je suis joli si je m’en tire.
Mais il faut aller et j’y vais.
Je vois d’abord de gros mollets
avec des poils qui en promettent.
Des genoux mais pas d’un poète
qui se nourrit de picaillons.
Des membres de l’homme d’action.
Je vais en prendre une de bonne
et c’est après que je raisonne
pour expliquer ce que je fais,
couvert de merde et de méfaits,
dans cette agréable péniche
qui se passe de mes ratiches
et de mes services pareil.
Ah ! Vous parlez d’un appareil
pour aborder le mésusage
sans s’achever dans un carnage !
On a vu mieux au cinéma,
mais avec un panorama
digne des morts qu’on y bousille.
Au mieux j’aurais mes deux béquilles,
des dents en vraie imitation,
l’œil en carafe avec bouchon,
un nez bouché mais à la mode,
des genoux raides mais commodes,
des doigts en moins avec poignet
vissé à un coude en acier,
et un cigare dans la bouche
pour avoir l’air d’un mec qui touche.
Ça rend fou ceux à qui on doit.
Le portrait est signé de moi.
On est rien, on devient artiste.
On est artiste, allez en piste !
Du néant on arrive à tout.
Et à crédit sans un seul sou.
Je perle à force de m’en faire.
S’il m’enfile je laisse faire.
Pas question de finir au trou
sans au moins une corde au cou.
Et d’un saut, du pur Marvel style,
je me lance dans l’intranquille.
Et là je tombe nez à nez,
si ce n’est pas Dédé Ledé !
« Qu’est-ce que tu fous là, canaille !
A poil et tout couvert d’entrailles ? »
Marvel à côté c’est du flan.
Il fait un bond, s’applique et vlan !
Il m’en file une que j’évite
et une autre qui me limite.
Heureusement Alice est là !
Elle brandit sans tralala
son 45 tout en chrome,
prête à tirer sur le bonhomme
s’il achève de piétiner
non seulement mon petit nez
mais aussi et là j’en salive
ma composante créative
que j’ai oubliée de rentrer.
Ah ! Le mec est fort pour taper,
mais devant la mort qui s’annonce
sans la chronique il y renonce
et plaide déjà pour son bien
en y mettant tous les moyens,
dont une bite si bandée
qu’Alice en conçoit des idées.
Et Bébé se met à pleurer !
J’ouvre les yeux pour regarder
et qu’est-ce qu’à voir je m’oblige ?
Une peinture qu’on m’inflige
sans me demander mon avis :
Dédé qui donne son pénis
en échange d’une caresse,
non point sur le sein qu’elle dresse,
mais sur Bébé qui est ravi
d’avoir un pote pour ami.
Ah ! C’est trop fort ! Je me rhabille.
Mais ce con m’a fait mal aux quilles
et je me tiens comme un soûlaud
qui vient d’avaler un broc d’eau.
« Mais c’est qu’il est tout croquignole
avec son menton de traviole
et ses quinquets de merlan frit ! »
glousse Dédé, pas attendri,
mais prêt à tout pour qu’on le plaigne.
« Tu vas prendre une de ces beignes
que ça me fera un bien fou ! »
fais-je pas convaincu du tout
que j’ai les moyens de m’y prendre
pour de lui me faire comprendre.
Mais Alice lui tend son sein
et comme il veut mettre la main
sur cet objet de ma réserve,
bébé va plus vite et s’énerve,
il manipule le téton
pour se taper le gueuleton
sans rien nous laisser en souffrance.
Pratique de la connaissance
qui m’en bouche un coin que pourtant
j’ai déjà bouché dans le temps.
Si je m’en souviens eh ! Patate ?
Comme si j’oubliais les dates !
Mais le moment est mal choisi
pour s’y retremper le zizi.
Et je reviens sur la péniche
où Alice flattée aguiche
la vieille branche de Dédé
qui ne veut rien nous expliquer
tant que nous rien on lui explique.
« Tu exiges trop du critique,
dis-je en reprenant les esprits,
deux ou trois pour le même prix.
Si tu n’expliques pas, je flingue !
— Non mais c’est à devenir dingue !
dit-il en appuyant sur ça,
ce qui me fait un mal fou là.
Je suis libre de mes astuces.
Je me la mets ou bien je suce
comme ça me chante et puis toc !
Avec plastoc ou sans plastoc.
Selon ce que j’ai dans la poche.
— Et puis d’abord laisse ce mioche !
Tu ne sais pas à qui il est
et tu voudrais te l’enfiler
sans rien devoir à sa famille ?
Surtout qu’il est né d’une fille,
pas comme toi qui sort de rien.
Tu voulais te faire du bien
sans demander qu’on te permette ?
Mais tu te prends pour un poète !
En France c’est les retraités,
et encore les mieux payés,
qui font des vers pour que ça rime.
Et même aussi des gens qui triment
pour apprendre aux autres à trimer.
Si on veut se faire imprimer
et que ça compte au ministère,
alors, mon vieux, pas de mystère,
il faut être domicilié
et avoir pieds et mains liés
par de sordides exigences
qui élèvent la Connaissance
au niveau de l’autofiction
et des éminentes leçons
que la grandeur républicaine
inspire à la classe moyenne.
Si tu n’es pas payé tu sors !
Les mauvais assistés dehors !
Et les bons dedans sous la couette
qui est l’atelier des poètes
qui ne veulent pas s’emmerder
à voir les choses de trop près.
A quoi serviraient les lunettes ?
Tu en connais, toi, des poètes,
des vrais reconnus qui le sont,
qui n’ont pas dessous leurs grands fronts,
montés dessus de belles branches,
comme la feuille du dimanche,
des verres pas bien remboursés
au prix des meilleurs assurés ?
C’est dedans que ça se mérite
et gare à ceux qui n’y habitent !
On n’est pas loin de lessiver
la crasse de la société
avec le savon des poètes.
Du nazisme aux belles gambettes,
avec des camps en liberté
pour ceux qui veulent pédaler
alors qu’on a l’automobile.
De ce côté on est tranquille :
on a l’émigré et le fric,
et pas qu’une poignée de flics
pour enseigner les écritures
à ceux qui payent la facture.
Tu veux sortir ? C’est par ici !
Tu veux entrer ? C’est pas ici ! »
Ah ! Les discours, ça me lamine !
Je ne sais pas que j’imagine
et quand enfin je me le dis
il est trop tard et je maudis
mes 47 chromosomes.
Ne parlons plus de mes symptômes
et revenons à nos moutons.
« J’ai toujours voulu d’un fiston,
dit Dédé malgré la menace
de ma dédaigneuse grimace.
Gosse je n’ai jamais été.
— Tu déconnes, mon vieux Dédé,
dit Alice des deux mamelles,
car tu n’aurais pas deux cervelles
si toujours tu avais été
ce que pour les autres tu es.
— Ah ! Merde ! Tu es philosophe !
Non mais vise la catastrophe
de l’éducation des parents
via le ministère afférent.
Le philosophe est dans la rousse
à force que trop on le pousse
à moraliser dans l’action.
Et il écrit de la fiction
dans la meilleure langue morte
afin qu’on lui on ouvre les portes
de nos grandes institutions.
Il en lèche les paillassons
en prévision de plus pratiques
ascensions aristocratiques.
On sera de bons résistants,
de la dernière heure souvent,
ou moyennant quelques mensonges
qui valent bien le coup d’éponge.
Ah ! Il nous faut des Allemands !
Des vrais comme on avait avant,
qui inspirent la résistance
pour qu’on puisse saisir la chance
sans informer le citoyen
ni des dessous ni des moyens.
Allez Camus ! Fais la morale !
Pousse ton cul dans les annales
sans oublier Dostoïevski
qui améliore tes récits
et tes leçons de résistance.
Crachez l’honneur de votre France,
Malraux, Mauriac et Aragon.
Fortifiez notre parangon
de vos plagiats et de vos craques
et ne cassez pas la baraque
ni les trois pattes du canard.
Vous me ferez 20 René Char
et dix jambons de Jean-Sol Pâtre
qui voulait faire du théâtre
un cours de morale à quat’ sous.
Pour les salopes rien du tout,
malgré l’erreur dimensionnelle
et le vent de la bagatelle.
— Mais qu’est-ce que c’est que c’est ça ?
On critique et on ne voit pas
qu’il y a pire pour la lecture !
Et ton Céline de conclure
qu’il faut égorger tous les Juifs.
Ah ! Que je suis admiratif !
A la baille l’Occitanie,
les troubadours et l’Uranie,
tout ce qui met dans les esprits
de ses femmes, pas de son lit,
des idées qu’il faut qu’il rallonge
pour faire un bouquin à éponge.
On se fait chier dans ses romans !
On ne lit pas et on attend
patiemment que la mayo prenne
entre zéro et cris de haine.
Je te fais sauter le cerveau
si tu me salis le drapeau
et mes petits soldats de merde
qui ont écrit pour que je perde
ce que je ne peux pas gagner ! »
Quand on bavasse au pied levé,
on est souvent plutôt en large
qu’en hauteur, même dans la marge.
Des fois je tire pour de vrai,
mais là tuer je ne devais,
car les bébés ont des oreilles,
peut-être que c’est des merveilles
question justesse dans le ton,
mais ces fragiles avortons
deviennent fous s’ils sont fragiles.
Un gros pétard les annihile
pour l’existence et même plus
si entretemps comme bonus
sans y penser ils font des gosses
dans le cul de leurs basses fosses.
Je ne veux pas tout compliquer
comme on fait pour me critiquer,
mais j’avais un devoir à faire
avant de penser à la guerre
et aux profiteurs des deux camps.
Si Dédé nous foutait le camp,
on n’expliquait plus la personne
de ce bambin seul dans la zone.
« Tu avoueras ce que je veux !
dis-je à ce vilain devant Dieu.
Vous êtes deux, un seul a l’âge
de se prêter à cet usage.
Tu vas donc morfler de l’aveu,
comme la soupe sans cheveux.
A l’échafaud les pédophiles !
Pour ça on peut être tranquille
et même dormir sur le nez
sans s’empêcher de respirer,
car cette bonne guillotine,
du moins comme je l’imagine,
pourrait passer pour un jouet,
tellement que pour la couper
on n’a point besoin de la vraie.
Et du pas cher pour la monnaie.
On confiera à des enfants
le soin d’y mettre de l’allant,
non sans consulter pour la forme
le Papa Noël cruciforme
qui s’y connaît, depuis le temps !
De la justice à prix coûtant !
Autant d’économies sociales.
Ah ! J’ai la bosse artisanale
quand je me mets à cogiter.
Sans une queue pour m’embêter,
tu verras mieux comment ça vole
les muscidés de nos écoles !
— Mais vous y étiez avant moi !
Ce sont les premiers qui font foi.
Laissez-moi parler et j’explique.
Je n’ai pas le front angélique,
ni les yeux bleus de l’innocent,
mais à la tête du client
on ne crie vivement justice
si on respecte la police.
Je ne veux pas vous faire peur,
mais comme endroit on a meilleur
question morale camusienne.
Venez voir que je vous amène.
Et vous verrez ce que j’ai vu,
mais alors pris au dépourvu
comme jamais j’ai fait le rêve.
J’ai failli attraper la crève,
mais non point que froide était l’eau
pour ce que j’ai dessous la peau.
Venez vérifier par vous-même.
Ah ! Vous verrez un achélème
comme jamais Pérec en vit.
Et pourtant il en écrivit,
sur une langue bien vivante
et pourtant jolie et savante,
une tartine là-dessus,
dans un roman très bien conçu
pour concevoir avant de lire.
J’étais en train de me le dire
lorsque vous êtes arrivés…
— Donc avant nous tu y étais.
Ne nous prends pas pour des godiches
qui font l’amour dans les péniches
chaque fois que le hasard veut
qu’il s’en trouve une pour les deux.
— Mais je n’avais pas vu la baille !
Et dans la flotte je défaille
tellement c’est inattendu.
Pour un prêté c’est un rendu !
On extermine et on balance
ce qu’il en reste sans nuance
dans ce canal pas fait pour ça.
Sinon jamais, vice versa,
je n’aurais songé à m’y faire
tout petit pour vous satisfaire
et ne point vous importuner
quand vous souhaitiez vous adonner
à de louables exercices.
Je reconnais que la police
est utile à ses bons sujets,
mais quand on est moins estimé
on pèche toujours par prudence
entre l’essence et l’existence.
— Tu as voulu donc te cacher
en espérant nous échapper !
Tu es donc coupable du crime.
Inutile que tu t’escrimes
pour te laver de cette horreur
commise au grand dam de l’honneur
sur ce bel enfant sans défense.
Car si savait son innocence
la gravité de ton exploit
il te montrerait de son doigt
pour dénoncer ta perfidie.
Et tu nous joues la comédie
pour qu’on applaudisse tes vœux
de réussite sans aveu !
— Mais voyons, Nico, ma chouchoute,
s’il n’est pas mauvais que l’on doute
des propos de cet adonis,
morale et épi de maïs
exigent bien qu’il nous déclame
ce qu’avant que nous arrivâmes
il lui arriva tellement
qu’il en perdit le bon moment
dont toi et moi nous profitâmes,
au risque de nous prendre un blâme
avec inscription au dossier.
Le piège en est même grossier.
Faut-il tomber dedans pour faire
ce qui convient à nos affaires ?
Quand c’est simple il faut compliquer,
mais quand ça complique on se tait
et on écoute les esthètes
qui nous font passer pour des bêtes.
Rira bien qui ne rira plus…
ainsi votre destin déplut
aux dieux qui en imaginèrent
les aléas et les faux frères…
— Mais le lecteur sait déjà ça !
Car ce que vous ne savez pas,
est écrit là en toutes lettres !
Vous choisissez pour apparaître
le moment qui complique tout.
On s’étonne d’un bouche-trou,
mais la redite est déplacée
et empêche les avancées
du récit dont l’achèvement
est un projet très exigeant
en ressources comme en usage.
Vous m’obligez à l’arbitrage,
quand je ne suis que le jouet
de ce qu’en vain vous appelez
destin ou bien imaginaire.
Votre invention est lacunaire,
ou plutôt elle creuse un trou
quand il s’agit de voir dessous.
On ne fait pas mieux comme épine
à mettre au pied de la voisine
pour lui tirer les vers du nez !
J’ai lu des romans mieux tournés.
Y voit-on de ces personnages
qui changent l’or en coquillages ?
Non point, car ce sont des récits.
Je n’irai pas plus loin qu’ici.
A moins qu’on menace mes aises,
cela va sans dire, et me baise
comme on méprise les exclus
qui de chanter n’en peuvent plus.
Régalez-vous dans la violence
en attendant qu’on me dispense
d’en dire plus long sur les faits.
— Mais enfin si on n’a rien fait !
Pas un coup, pas une blessure !
Rien pour élargir la fissure
qui se creuse entre vous et nous.
Votre impression est différente ?
Mais corrigez donc notre attente !
D’ailleurs ne se voussoie-t-on pas
comme jadis fils et papa ?
Fils de pute et papa justice !
Quand je baise c’est la police
que j’ai au cul comme maman !
Vous avez violé cet enfant.
Ou tel était votre programme,
ce qui en justice est kif-kif.
Et c’est nous qui serions fautifs ?
J’aime Alice, c’est mon seul rêve.
Tous les matins quand je me lève
je la trempe dans mon café
après l’avoir faite griller
et beurrée sous la confiture.
Alice c’est mon aventure,
c’est l’escalier que je descends
pour me conduire à plus de cent
vers le pays où elle habite.
Je l’ai jouée, je la mérite.
Personne ne me la prendra.
Quand elle étendra mes vieux draps
à la fenêtre de mes rêves,
vous verrez comme je la lève,
ô mes voisins, langues mauvaises. »
Ainsi chantai-je, sur la chaise
que venait de quitter Dédé.
Sur mes genoux cagneux Bébé
interrogeait mon vieux visage.
Alice parlait d’un carnage,
mais vous savez, dit-on, déjà.
Dédé plusieurs fois me singea.
Alice en riait, toute noire,
enfin si j’ai bonne mémoire.
Ils étaient sur le quai, bavards,
ombres agitées des miroirs
que l’eau du canal, visitée
par leurs faisceaux, drôle d’idée,
renvoyait comme pour piéger
les alouettes du danger
qui nous guettait, vieux personnage
qui avait laissé ses bagages
dans l’eau dormante du canal.
Mais vous en savez, c’est normal,
plus que j’en pense et que j’en passe,
plus qu’il n’en faut pour qu’on m’efface,
plus que j’en rêve en les voyant
se marrer comme des enfants
qui connaissent de la marelle
à peu près toutes les ficelles.
Viens, disaient leurs mains noires, viens !
Tu verras, tu sauras, le chien !
Le chien ? Qu’en savez-vous, convives ?
Bébé, cadavre, chien, dérive
peu probable de ce décor,
à moins d’un respectable effort
pour nier les choses tangibles
qui le peuplent des impossibles
individus dont le roman
n’est que le possible moment.
Beaucoup d’enquêtes, peu d’histoires
pour éterniser la mémoire.
Oui, oui, dis-je, le chien, c’est bien !
Même que je n’y comprends rien.
« Viens comprendre, disait Alice.
Ah ! Tu verras, quel exercice !
Pire qu’au stage, et du réel !
Et ce n’est pas tombé du ciel !
Du tragique et du terre-à-terre,
un gros travail de solitaire.
C’est vu d’ici qu’il faut le voir.
Mais bouge-toi pour tout savoir ! »
Sous mes pieds mous la passerelle
valsait comme dans ma cervelle
les idées que je n’avais pas.
Je portai Bébé dans mes bras.
Ça l’amusait, ce tendre aède
du biberon et des remèdes
contre l’amour qu’on a volé
pour ne pas se sentir lésé
par l’existence et ses histoires.
En voilà un bel auditoire !
dis-je en m’arrêtant au milieu
de la passerelle qu’il veut,
ne tirant point langue dehors
mais croisant les yeux dans l’effort,
que je secoue de tout mon poids
pour qu’on valse comme des rois.
Il en rigole à perdre haleine,
comme on dit, je crois, des baleines.
Enfin c’est ce que je lui dis.
Il en rit tant que son kiki
mouille mes bras et ma poitrine,
mais chaud comme je l’imagine.
Et moi aussi je fais pipi,
mais dans mon froc que j’ai remis
comme plus haut on le précise,
à moins d’un oubli dans la crise
qui alimente cet écrit
comme ce qui est dit est dit !
Et la baleine me fait rire.
Je pue de la gueule mais pire
quand j’ai bu ce sacré pinard
à cause que j’ai un buvard
à la place de ma languette.
Du coup Bébé croit que je pète
et que je parle avec mon cul
comme on dit chez les convaincus
que le travail rend plus lucides
quand il est manuel et vide
de tout exercice mental.
Mais devant ce spectacle anal,
au lieu d’ouvrir grande la bouche
pour crier que ça pue la couche,
il l’ouvre petite et je vois
que dedans si elle est en bois
elle n’y est plus, ma parole !
Des fois qu’elle soit de traviole,
j’ouvre sa bouche avec mes doigts
et qu’est-ce donc que je revois ?
Qu’il n’en a pas ou je suis myope !
S’il manque un œil, c’est un cyclope,
mais je suis tellement ému
que sans la langue, je sais plus !
Ah ! Des fois dans le dictionnaire
je me fais des peurs d’actionnaire.
Comment lui dire ce qu’il est ?
Sur le coup j’en reste muet.
Il crie mais sans que ça paraisse.
Oh ! La gueule de la maîtresse !
L’a-t-on coupée ? Est-il né sans ?
L’a-t-il avalée en dedans
ou crachée un jour de colère ?
La question est mise aux enchères.
Et ma langue c’est pour le chat.
« Eh ! Alice, tu veux voir ça ?
— Voir quoi, Nico ? Toi viens, ma chose,
et si possible sans ta prose.
Ah ! Des vers j’en ai vu autant
mais jamais au travail du temps
qui fait les vieux os de l’humaine
condition et des phénomènes
qu’on n’explique plus par la mort.
Trop inhumain en est l’effort,
d’autant que dans l’insuffisance
des moyens on joue de malchance,
et on n’est pas tous des polards,
sinon on écrit des polars
avec des vrais flics qui travaillent
dans la peur et dans la grisaille
au lieu planquer leurs arpions
sous leurs bureaux comme des pions.
Dédé t’expliquera la chose.
— Dédé ment de la gueule et cause
trop de problèmes pour m’aimer !
Qu’est-ce qu’il peut nous raconter
pour sauver sa peau de misère !
Le croire c’est une galère
et c’est lui qui fait le tambour.
— Mais je te jure, mon amour,
que ce n’est pas lui qui raconte !
J’en ai l’estomac qui remonte
au niveau de mon cinéma !
Viens vite, tu ne croiras pas !
— Mais justement, je veux y croire !
C’est le poison de ses histoires.
Je ne veux pas, pourtant je peux.
Et en plus je fais des envieux
qui se foutent bien de ma fiole
quand j’en fais la relation drôle
avec des fautes d’orthograf
pire que CRS et PAF
avec un soupçon de gendarme
et de la douane tous les charmes.
Croire Dédé c’est se damner
et c’est peut-être ce qu’on fait
en ce moment problématique.
— Tu es toujours dans la critique
au moment où il faut agir
pour comprendre que le plaisir
n’est jamais là quand tu le trouves.
Tu ne sais pas ce que j’éprouve !
— Ah ! Des reproches maintenant !
Et devant un gros délinquant
qui te raconte des histoires
pour te pousser à ne pas croire
ce que pourtant j’ai sous les yeux…
— Mettons ! Demain tu feras mieux.
En attendant, tu te ramènes
et tu retiens ta belle haleine.
— J’espère que ça vaut le coup !
— Ça vaut toujours si tu t’en fous !
— Ah ! Là tu en deviens obscure !
Le vierge azur ça te délure
pendant que moi je m’obscurcis.
— Tu ne sais plus ce que tu dis.
Ramène-toi pour voir la chose.
— A faire des vers dans la prose
l’enfant de la nuit blanche est mort… »
Et je secoue son petit corps
comme une boîte de pastilles
des fois qu’enfin il se tortille
pour le dire plus clairement.
Mais non, il n’y a rien dedans !
Pas un souffle, un espoir, un reste,
et déjà voilà qu’il empeste.
J’en ai plein sur les avant-bras
et je m’en mets de haut en bas
en traversant la passerelle,
parlant de chance accidentelle
comme dans la french theory.
Moi je me dis qu’il a trop ri,
comme Duchamp ah ! Destinée !
Ah ! Pour une nuit d’Idumée,
c’en est une sans clavecin !
Ni viole, ni doigt, pas de sein !
Rien qui témoigne que je donne
quand à l’amour je m’abandonne.
C’est que je l’aimais bien déjà,
comme jamais fit mon papa
alors que je parlais sa langue
et que sa femme était exsangue,
même sibylline il disait,
tellement que je le croyais.
Mais là Bébé est mort d’attendre
ce que je ne peux pas comprendre.
« De quoi alors si je sais tout ?
dis-je à Alice qu’un toutou
préoccupe plus que les larmes
que je déverse avec vacarme
sur ce petit corps sans esprit
maintenant qu’il en est parti.
« C’est du clebs de Dédé le crime.
Un gros qu’il a en grande estime
malgré des défauts qu’on voit là.
Les chiens c’est une tombola.
L’un est amour, l’autre assassine ! »
m’explique-t-elle et j’imagine
aussitôt Dédé nous jetant
des mauvais sorts et des onguents.
« Je te crois qu’il en est capable !
Ce mec est un abominable, »
criai-je en secouant Bébé
qui ne voulait ressusciter.
Jetant Bébé, je pris mon flingue,
mais tout énervé je valdingue
dans le canal et je me bats
avec des morts venus d’en bas
pour m’empoisonner l’existence
et m’empêcher d’avoir la chance
de réussir exactement
comme les autres sans maman.
Des morts costauds tout en squelette,
qui me battaient les côtelettes
et m’enfonçaient fémurs, tibias,
et tous les os qu’on ne voit pas
si on n’a pas fait des études.
Ah ! La souffrante solitude
du vivant qui se bat méchant
pour vivre encor de bons moments !
J’arrachais leurs chairs impuissantes
en y plongeant des mains ardentes,
mais ils me les faisaient bouffer.
Tirant la langue, j’avalais.
Car là-dessous, question bavasse
on est muet et on grimace
comme Bébé me l’a appris
avant d’aller au paradis.
Puis une main, de Dieu, du Diable,
m’empoigna par la queue du râble
et fortement tira dessus.
Je m’accrochai à des tissus,
des herbes, des mains, de la vase,
m’insurgeant contre cet ukase.
Mais ce faisant, je me noyais !
Car encore vivant j’étais !
M’imaginant, tout plein de vie,
et pas fou d’une vraie folie,
entrant dans le feu de l’Enfer,
pour y souffrir à toute chair
de vraies et conscientes brûlures,
avec charbon et arrachures,
qui font peut-être peur aux morts,
mais du mal à nos pauvres corps
quand on y vit dedans encore !
S’il faut pousser la métaphore
plus loin qu’il convient à l’esprit,
je choisis de payer le prix
pour ne point souffrir d’être en vie.
Je mourus donc, par asphyxie,
et la main me sortit de l’eau,
prétendant me sauver la peau,
mais je ne fus, de cette astuce
de Satan et de ses gugusses,
ni la dupe ni le pantin.
Quant à moi enfin je revins,
une fausse Alice trop chaude
pour être la vraie, un rapsode
me débitait un infernal
éclaircissement de mon mal
alors que malgré la tremblote
je me sentais dans ma culotte
comme si toujours j’y étais,
la preuve c’est que je bandais.
Imagine-t-on turgescence
si cet endroit vous en dispense
tant vous n’y ferez plus l’amour ?
Un faux Dédé, plein de glamour,
bandait aussi sans résistance
de la part de celui qu’on pense
et que je ne veux plus nommer.
Mais ce n’est pas tout, attendez !
Voilà Bébé, la gueule ouverte
mais point toujours aussi déserte,
car non seulement il gueulait
mais une langue s’agitait
dans cette infernale caverne
qui débitait les balivernes
du maître sous forme de cris
pour contraindre mon pauvre esprit
à les comprendre sans traduire.
D’ailleurs qui voulait m’en instruire ?
La même main me retourna
et d’un geste mou arracha
l’os que j’avais dans le derrière.
Une voix fit ce commentaire :
« On n’a pas pu t’en empêcher.
Ah ! Pour aller tu y allais !
A pic en secouant la flotte
des pieds, des mains et en pelote,
tout au fond avec ton vieil os
pour satisfaire ton éros.
On rigolait de te voir faire,
mais conscients qu’on se désespère.
Dédé montre en main contrôlait
le temps qu’il faut pour se noyer.
Tu n’as pas mis une minute
pour te le mettre entre les flûtes.
Où ? Il n’y a pas plusieurs endroits
où ça rentre pour qu’on soit droit
quand on en revient pour le dire
des fois que ça nous fasse rire.
On a ri mais on ne rit plus.
Un coup de folie, c’est connu,
ça arrive à des plus maniaques.
On rit et à la fin on craque
parce que l’esprit n’est pas fait
seulement pour voir rigoler
le mec qui croit qu’il en possède
un à l’abri de tout remède.
Si tu as mal au trou du cul,
on ne te mettra rien dessus
parce qu’on a rien dans la poche
pour les défauts de la caboche.
Ne fais pas cet air dégoûté !
Tiens, caresse-moi les tétés.
Ça t’occupera les idées
loin de toute nuit d’Idumée. »
La fausse Alice en avait deux
tout pareils en tous points à ceux
que je connaissais des études
dont j’avais des incertitudes,
ça je ne peux pas le nier,
mais pas au point de me tromper
sur la personne qui possède
l’avantage de l’intermède
quand on joue à cache-tampon
pour tranquilliser mes pompons.
Ils étaient là, trois mauvais anges,
à me regarder dans mes langes
de feuilles mortes et de chairs
que je ramenais de l’Enfer
dans un air saturé de mouches.
Je fermais les yeux et la bouche
sans rien lâcher que je savais,
des fois que savoir ils voudraient.
Je voyais qu’ils avaient des doutes,
mais pas question que j’en rajoute.
J’étais vivant, ils étaient morts.
Morts de quoi ? Je serais bien fort
si je savais par quel miracle
on les redonnait en spectacle
exactement comme ils étaient
quand jadis je les connaissais.
« Il en a pris un sur la tête, »
dit le faux Dédé qui m’embête
comme jadis il m’embêtait.
« L’os dans le cul c’était après, »
continue-t-il pour la chronique.
On voit bien comment il complique.
Et moi tout seul je réfléchis
pour me sortir de ce récit
sans y laisser toute ma tête.
Je ne suis plus dans mon assiette.
De quel os donc me parle-t-on ?
comme dit un bon vieux dicton.
« Tu le sors d’où, me dit Alice.
Des annales de la Police ?
Coucou, Nico ! Te revoilà !
Ah ! Quel cauchemar t’ébranla ?
Tu m’as même traitée de morte
et que le Diable m’y emporte !
Si Dédé n’avait pas sauté,
mon bon Nico, tu te noyais.
— J’en ai sauvé, des vieux complices,
mais jamais ceux de la police
qui se démerdent bien sans moi,
dit Dédé me montrant du doigt
en se marrant comme une hyène.
Mais ça m’aurait fait de la peine
de perdre un mec que je connais
presque depuis que je suis né.
Et puis j’avais de cette flotte
une idée précise sans faute,
comme je l’ai dit en détail
à Madame pour son travail.
Si quelque chose je mérite
ce sera pour bonne conduite,
car question utile invention
je n’ai pas l’imagination
qui convient à la réussite.
Comme chacun j’ai mes limites.
— Par bonheur Bébé est tombé
sur un vieux nid abandonné, »
conclut Alice vraie ou fausse.
Mais j’ai un mal de tronche atroce
et à plus tard je les remets
ces réflexions sur le oui-mais.
« Tu nous as fait une vraie trouille.
Viens ici que je débarbouille
cet infatigable museau
qui n’est plus celui de l’oiseau
que j’ai péché pour le mariage.
Allez ! Ne fais pas le sauvage ! »
Je me plie mais je ne romps pas.
Vrais ou faux c’est eux que je vois.
Je m’en frotte les yeux encore,
pas sûr ni de ce matamore,
ni de cette noire Carmen,
ni de Bébé qui dit amen
chaque fois que de la mamelle
elle lui met dans la cervelle
des idées que j’ai sans merci.
J’ai peut-être droit au sursis.
Je serais dans le Purgatoire,
chargé des suites de l’histoire
qui s’achève bien quelque part.
C’est bien moi qui vous la raconte,
mais je ne sais qui en remonte
les ressorts pour moi trop pointus.
Dans quelle merde on s’est foutu
Alice et moi tout ça pour faire
caca dans des chiottes pas chères !
Combien de fois on a chié
dans ce musée des faux papiers
et des vraies merdes d’intestin ?
Il faut croire que le destin
nous préparait un coup en douce
au beau milieu de la cambrousse
après maintes répétitions.
Si ça se fait toutes ces fientes
c’est d’elle et moi, comme on s’implante,
sans étranger, roman à deux.
Et on tuera tous les affreux.
Tu parles d’une perspective !
Avec Dédé pour détective,
l’œil en verre et la pipe en bois,
et à la fin selon le Droit
Bébé est coupable et victime.
Et c’est signé d’un anonyme
qui enseigne l’éducation
au devenir de la Nation.
Au lieu de ça on nous destine.
Ce n’est pas nous qu’on imagine.
On prend l’habitude de chier
et une nuit sans nous brancher
on nous allume dans les stases
d’un roman conçu pour l’extase
des cérébraux, des intellos
et même des vieux métallos
qui ont appris la bourgeoisie
en lisant de la poésie.
Alice tapote mes doigts
parce que j’ai dû prendre froid.
Alice la vraie ou la fausse.
Il est trop tard pour que j’engrosse.
Si je m’en sors je fais curé
et j’arrête de mesurer
en trichant sur le centimètre.
Une cellule sans fenêtre.
J’entre et je sors, je ne vois rien,
pour écrire pas les moyens
ni l’envie qu’on me voie le faire.
Mais comment revenir sur Terre ?
« Bois, me dit-elle, et ferme-la ! »
C’est vrai, chanter a capella
c’est pauvre et on veut être riche.
Et du coup, remonté, j’affiche
une tronche de mec gâté
par un sort qu’il veut refêter.
« Que nenni ! Trop ça importune
ceux qui n’ont pas cette fortune. »
Elle me prive de goulot
juste au moment et sans mélo
où j’allais d’une pénultième
mettre fin à ce doux système.
« Cristobal, le chien de Dédé ?
Ne me dis pas que tu connais…
lui-même et encore en personne !
Tu te rends compte, ça foisonne !
C’est ici qu’il planque ses os
où tu étais dessous les eaux.
Je ne veux pas te faire peine,
mais c’était de la chair humaine !
Avec des noms d’hommes dessus.
— Tu veux dire que dans le cul
je me suis enfilé de l’homme !
Moi qui n’ai pas un chromosome
de cette coupable inversion
qui déshonore la Nation !
Voilà pourquoi on me réprouve.
Ah ! Quand on cherche bien on trouve !
— Tu parles si c’est important
que tu sois bien ou mal portant ! »
Là-dessus elle me relève
comme on met fin à une trêve,
les mains fermes sur mes deux bras
mais sans les genoux dans les draps.
Penchant ma tête sur des traces,
elle veut que je satisfasse,
dit-elle, ma curiosité.
Ce que je fis sans me vanter.
« La forme rappelle des pattes,
et des grosses dites papattes.
Ces pattes sont d’un canidé.
Donc c’est bien le chien de Dédé
qui a causé tout ce carnage.
— N’anticipons pas, c’est l’usage,
dit Dédé qui fait la leçon.
Il aime les os, admettons,
mais de là à dire qu’il tue
des hommes et qu’il s’évertue
à les planquer dans ce canal,
il y a loin, mon amiral !
Sans Cristobal, votre police
n’eût pas été l’inspiratrice
de ce polar à la rose eau.
Il a fallu que ce museau
échappât à ma surveillance
pour que fût de ces circonstances
révélé l’atroce secret
de ce canal des massacrés.
Et si je n’avais pas moi-même,
par pur amour comme l’on s’aime,
cherché mon chien pour le trouver,
qu’auriez-vous fait, sinon chier
et retourner à vos usages
sans vous soucier de ce carnage ?
Sans Cristobal, pas de charnier !
— Et sans nos culs, pas de papier !
Sans nos papiers, point de latrines,
et sans elles pas de doctrine !
Si plus loin nous avions été,
eussiez-vous votre corps plongé
dans ses eaux dites infernales ? »
La discussion allait cordiale,
quand soudain voilà que Bébé,
prenant des airs exacerbés,
ouvre la bouche pour nous dire :
« Je ne veux pas vous contredire,
car vous êtes tous bien sympas
et dignes d’aller au-delà
des suppositions que vous faites
en tant que prétentieux poètes,
mais reconnaissez que sans moi
vous n’eûtes rien trouvé, je crois.
Un roman sans les clopinettes
que son miroir aux alouettes
promet au chasseur fort abstrait
qui s’aventure sans snifer,
est au mieux un roman de gare
qui conviendra aux plus ignares,
et au pire un pédant essai
qui sera au jardin anglais
ce que le français est en France.
Nous ne sommes pas en avance,
c’est le moins qu’on puisse crier
pendant que l’on se fait violer
par les réussites criantes
d’un nouveau monde sans Atlantes
pour faire rêver l’impatient.
Nous en sommes d’ailleurs conscients,
comme tortue courant plus vite
que le lièvre qui l’habite.
Pas étonnant que pour rêver
il vous faille d’un policier
recueillir toute la semence,
fruit de la commune expérience,
après l’avoir fort bien branlé
dans le secret du cabinet
où la toilette est une astreinte
et l’hygiène un vrai labyrinthe
qui justifie le prix payé.
Ailleurs on parle de loyer
et on délivre des quittances
pour justifier de la dépense
le bien-fondé et le crédit.
Mais le gros-jean qui applaudit
ne le fait point si on le suce.
Il veut sucer, c’est son astuce.
Et pour être un homme d’action
il achète imagination
et excellence de l’intrigue.
A moins que ça, il se fatigue
et au boulot ne branle plus.
Il en devient souvent goulu
et au goulot dur se glougloute.
De la famille la déroute
prend le chemin mais à rebours
et on ne parle plus d’amour.
Voilà ce que c’est la malchance
de n’être ni un veau de science
ni un crétin congénital
qui se donne beaucoup de mal.
On est moyen et dans le risque
de n’être plus de la francisque
que le manche mou en dedans
et dehors pas vraiment fringuant.
Du coup le film est bien typique
d’une production anémique
qui met du sang et du porno
à la place de la techno.
Bref, si on est de la moyenne
le candidat à la gégène,
il faut branler le policier
dans les chiottes où l’écolier
prétend se le faire à lui-même
pour apprendre comment on s’aime.
Le ministère en est d’accord.
Vous ferez de ces petits corps,
non des savants, car il faut l’être
avant même qu’on se voie naître,
ni des idiots s’ils ne le sont
déjà pour être canassons
et se faire monter en neige,
mais de bons chevaux de manège
qui de tourner donnent tournis,
en quoi le policier réjoui
révèle le nom du coupable,
ce dont vous n’êtes pas capables.
Vous n’avez plus qu’à vous lécher
les doigts de la main et fermer
le livre qui dans la moyenne
vous confirme sans autre peine.
Veuillez alors vous la branler
devant le staff des écoliers
afin que rien de cette intrigue
ne soit perdu, car le prodigue
n’est point enfant de son papa,
ce que maman n’ignore pas. »
Cette harangue sibylline
fit lever de Nico la pine
et d’Alice le clitoris.
Bébé jouait du bistouri,
curant de sa jolie menotte
les ongles comme un froid despote
qui a le peuple contre lui
et de son côté les ennuis.
Dédé en resta bouche bée.
Sa grande queue était tombée
sur ses genoux qui se cognaient
comme ceux d’un qui veut régner.
Les deux flics étaient au supplice,
cherchant encore des indices
et pourquoi pas un écolier.
Tu branleras le policier,
disait la loi éducative.
Comme ils étaient, eux, dans l’active,
ils pouvaient tout imaginer,
et même sans rien se priver,
ce qui n’est pas un privilège
mais la preuve qu’on vous protège.
En attendant, Nico bandait
et Alice aussi attendait.
« C’est fou ce que j’ai mal au crâne ! »
dit Dédé en imitant l’âne
qu’on met au piquet dans un coin.
« Je ne suis pas un assassin
et Cristobal n’est pas un fauve !
Quant à ce sale petit chauve,
il n’est d’ici, ou bien d’ailleurs !
Fausse chair qui sent sa chaleur
ou mécanique d’un programme
pour pirater nos amalgames
et nous livrer à des réseaux
qui n’en veulent qu’à notre peau
pour la vendre au prix de l’extase.
Voyez déjà comme il en jase.
On est victime d’un gros coup
frappée sur la tête du clou
qu’on nous enfonce dans le crâne.
Ah ! Je préfère la cabane
et ses petits déjeuners chauds,
avec le dimanche un vrai rot
sans se tapoter l’omoplate.
Ce chérubin est automate.
Je vous le prouve de ce pas ! »
Ce disant, ne mesurant pas
la force qu’il a dans la patte,
il en envoie un qui dérate.
Bébé ne peut se retenir.
On le voit soudain tout jaunir
et se masser le haut du bide
en émettant des airs fétides.
Alors il se calte en criant,
qu’il a mal partout en dedans
et qu’il le dira à son père,
un type qui fait des haltères
avec de l’acier en fusion.
Mais c’est dans l’autre direction
qu’il disparaît, point sur la route,
ce qui inspire mal le doute.
« Ça va où par là ce côté ?
Ah ! Merde alors ! On a rêvé ! »
dit Alice qui voit tout trouble,
peut-être même tout en double,
pognant les deux mains de Dédé
pour les menottes ajuster,
au plus court car l’homme est en transe.
« Ah ! Si tu t’en prends à l’enfance,
dit-elle en empochant la clé,
tu goûteras perpétuité
avec mes potes de la taule,
des mecs durs à cuire et pas drôles,
que j’ai failli en épouser
un qui voulait me défriser.
Tu excuses si on t’embarque
sans comprendre de tes remarques
la finesse et la profondeur.
Si on défriche dans l’erreur
tu t’en plaindras à la justice.
Tout homme a droit à la police
et quelques-uns seront jugés.
Voilà ce qu’il faut accepter
si on veut vivre en bonne entente.
Mais c’est nous qu’on a la patente. »
Là, Dédé était tout bancal.
Il fit cliqueter le métal,
pour affirmer son innocence
et mesurer la différence
entre rêve et réalité.
Elle l’avait bien menotté !
Il eut un sursaut de révolte :
« Ah ! Je trouve ça désinvolte,
de la part de vrais policiers
que j’aurais moi aussi branlés
sans rien demander en échange !
Ce gosse n’était pas un ange.
Ce n’était même pas un vrai.
— Nous on n’a rien vu que les faits.
On n’est pas payé pour tout dire.
Je sais, des fois ça nous déchire,
mais enfin on est des humains.
Des travailleurs avec les mains,
pas des rats de bibliothèque.
On lit des fois, quand on défèque,
si scruter des illustrations
permet d’apprécier la fiction
pour en faire ce que l’usage
veut qu’on en fasse sans partage.
Je dis ça comme on ne dit rien.
Pour penser on a les moyens,
que de le dire on se rend dingue.
Il y en a même qui se flingue
de plus savoir s’il faut branler
ou être branlé. La télé
nous montre ça comme un vrai drame
que l’existence nous programme
alors que l’essence se tait.
Non, monsieur, revenons aux faits
qui expliquent le phénomène,
sinon on manque d’oxygène
et on finit à l’institut
sans avoir au moins combattu
pour les valeurs républicaines.
Ah ! Ça me donne la migraine
de savoir que je peux penser
quand le lecteur veut me branler
selon l’usage littéraire
et qu’enfin je le laisse faire
pour lui donner la solution
et me plonger dans l’inaction. »
Poussant Dédé vers la bagnole,
elle sentit sur ses épaules
les lourdes mains de Nicolas.
« Pourtant, vois-tu, tu n’es pas là,
dit-il de façon mystérieuse.
Ou bien c’est cette chose affreuse
qui était là, et j’y étais. »
Il avait les traits tout défaits
et l’œil à la place de l’autre.
De sa bouche des patenôtres
traduisaient des explications
sans y trouver satisfaction
et il se dressa sur la pointe
des pieds en poussant une plainte
qui fit des échos dans la nuit.
Dédé qui craignait les ennuis,
déjà qu’on n’était pas en veine
depuis le début de la scène,
se mit à trembler tellement
qu’Alice en conçut un tourment
digne d’une envie salutaire
d’aller pisser avant d’y faire.
On la vit à saute-mouton
franchir l’espace des étrons
en demandant que pour l’hygiène
on lui trouve quoiqu’il advienne
du papier avec des vraies fleurs
peintes dessus avec le cœur
et l’âme si c’était possible.
Dédé manquant de combustible
se contenta d’un pet poussif,
des fois qu’on devienne agressif.
Les flics quand ça perd la substance,
le moindre cri leur fait violence.
L’outrage il faut alors payer
sans se remettre à rouscailler,
car toujours a raison Gégène.
Le plaisir devient de la gêne
et ça fait mal où ça s’est mis.
Dédé à peine avait frémi.
Nicolas fouillait dans la caisse
à la recherche pour les fesses
d’Alice d’un papier à fleurs,
car il voulait de son bonheur
être celui qui est l’unique,
le pittoresque apophantique.
Ainsi parlait-il en tout cas.
De quoi se faire du tracas.
Dédé suait à grosses gouttes
en essayant de voir la route
qui disparaissait dans la nuit.
« Pour être instruit, je suis instruit, »
se dit-il en voyant Alice
grimacer tant son doux supplice
trahissait la constipation.
« Fuir, là-bas, fuir, quelle chanson
faut-il chanter pour être un homme
qui ne vit bien que quand il chôme ?
Ah dis donc je l’ai à zéro !
Je ne suis pas bon en impro.
Ça remonte à ma douce enfance
quand j’étudiais la délinquance.
J’aurais dû réfléchir avant. »
Nicolas fouillait en bavant
dessous les coussins de soie fine
sans rien trouver que sa narine
identifiât comme un bouquet
écrit dessus un beau papier
tellement doux que son Alice
en toucherait les bénéfices
pour monter au ciel avec lui.
Je ne sais pas si je traduis
comme il faut la désespérance
de Nico que la délivrance
d’Alice agaçait maintenant.
« Je ne sais pas ce que ça sent,
dit-elle en écartant les fesses,
mais si c’est de moi je le laisse
à des moins exigeants que moi !
Dis donc ! C’est la première fois
que je ne me sens plus moi-même !
Tu veux sentir voir si tu aimes ?
— J’en ai ma claque de chercher !
Tu te torcheras le fessier
avec ma langue et à distance ! »
Ça devenait chaud comme ambiance.
Dédé osa un pet verbeux
qui ne fut pas compris des deux
flics qui la main fouillant leurs derches
trouvaient les fruits de leurs recherches
pas assez mûrs pour clôturer
ce bizarre et méchant dossier.
Il aurait bien voulu conduire
et se tirer sans déconstruire,
mais il n’avait pas le permis
et chez les flics pas un ami
pour se confier sans retenue.
Il avait l’air d’une statue
plantée là au milieu de rien
d’intéressant le citoyen.
« Tout le monde n’est pas utile,
mais certains se font de la bile
et du coup ils ne bougent plus
et en deviennent chevelus,
crasseux des ongles et des fesses,
sans que personne s’intéresse,
sauf si ça dérange l’esprit
qu’on a ailleurs, on a compris !
Ah ! La vie des fois c’est atroce !
On se souvient qu’on était gosse
et on n’inspire plus l’amour.
Ça va si vite qu’on y court !
Et vlan ! On se le met par terre,
ce vaste cul qu’on a derrière
quand c’est devant qu’on veut le voir
sans avoir besoin d’un miroir.
Mais rien n’y fait, il faut le mettre
sur le trottoir sans rien omettre,
ni les sous qu’on se fait piquer,
ni le bran qu’il faut ramasser
sous peine d’une grosse amende.
Et devant on montre qu’on bande,
et qu’on sait faire des enfants
rien qu’en se caressant le gland,
avec des femmes bien puantes
ou des éprouvettes d’amantes
si jamais on se fait payer
au lieu de s’expérimenter
soi tout seul sans même personne.
Ah ! Comment c’est qu’on vous maçonne
quand on n’est rien et qu’on en veut
au monde entier et même à Dieu ! »
Pensant cela, Dédé s’abaisse
et met à l’œuvre de ses fesses,
en se tordant les intestins
de l’intérieur comme au festin,
une crotte qui lui fait honte,
tellement que ça le démonte.
Il finirait peut-être ainsi,
coulant du bronze avec des si
pendant que d’autres se la coulent
aussi douce que ses deux boules.
« Un vrai miracle que j’en sors !
Je n’ai pas vraiment fait d’efforts
pour y rester à la fenêtre
et patient me la faire mettre
en attendant d’être trop vieux.
Dire que j’ai autant d’aïeux
que n’importe qui en ce monde !
Et pas un rond pour qu’on féconde
mon vieux cul qui refait toujours
ce qu’il sait faire sans amour ! »
Il philosophait dans l’attente
que les deux flicards le démentent.
Il n’attendit pas si longtemps.
Nicolas se dressait devant,
mains sur les hanches, la casquette
pendant au bout de sa quéquette.
Il tenait un papier à fleurs
portant les cris que la douleur
avait arrachés à Alice.
« Je vous le dis, un vrai supplice
que ces damnées constipations !
Une dure abomination
des lois pourtant de la nature.
Rien à côté d’une bavure,
mais tout de même, on est humain !
Regardez-moi ce parchemin.
Du nombrilisme avec l’échelle
pour mesurer sans les bretelles
qu’on nous remonte sans arrêt.
Ah ! Je veux bien vous adorer
et vous signer des dédicaces,
mais pas sans vous montrer les traces.
Ça va nous causer du retard.
On s’abandonne à tout hasard
sans savoir jusqu’où ça nous mène.
Par chance l’erreur est humaine.
Revenez plus tard pour branler
votre policier préféré. »
Comme Dédé, fier qu’on l’invite
à quitter ces lieux insolites,
tendait ses minables poignets
pour qu’on n’oublie pas d’en ôter
les menottes déjà saignantes,
Alice apparut écumante,
le froc baissé, la merde au cul,
droite comme pal dans l’écu,
plus dure qu’église de Rome
et véreuse comme un prud’homme.
« De quoi ? s’écrie-t-elle furax.
Monsieur a des idées relax
alors qu’on tient la grosse affaire,
celle qui pousse la carrière
plus vite qu’on a espéré
et même plus loin si c’est vrai !
Du coup on n’a plus de limites
pour faire bouillir la marmite.
On bouffe tout ou ce qu’on veut
et ça ne fait chier que les vieux
qui pourrissent dans la retraite
et le café à la sucrette
et bouffent tout ou rien du tout !
On aura le choix, mon toutou !
On fera comme on veut les choses
et pas un qui nous en impose
avec ses choix de société
et ses perspectives d’été.
Figure-toi, mon petit père,
qu’avec leurs lois égalitaires,
on est privé de liberté
et seulement autorisé.
Spectacle, tu parles ! Bernique !
Ya rien à voir en République.
On est ou on n’est pas, c’est tout.
Et surfant sur les deux genoux.
Ou alors on paye à l’entrée
un beau billet avec des raies
aux trois couleurs de l’horizon
qui flottent sur les garnisons :
le bleu de la peur qu’on surveille,
le blanc de la mort qui réveille
et le rouge de se frotter
où ça gratte à force d’aimer
son prochain mais avec les glandes
pour en toucher les dividendes.
On va avoir de gros moyens !
Ni hostie, ni flotte ni rien !
Ah ! Je me vois en goélette,
narguant les cons en bicyclette
et les loufiats des bars-tabacs.
Ce qu’on voit ce n’est plus d’en bas !
On ne voit rien passer, on passe.
Ah ! Le pognon, c’est efficace !
Aussi, mon Nico, c’est pesé.
On a le coupable rêvé.
Des morts en tas et à la pelle.
Et pas d’instruction criminelle !
— Puisqu’il te dit que c’est son chien !
Un grand mastard très cornélien
qui finit par bouffer Chimène
pour satisfaire l’avant-scène,
si j’ai compris le proscenium.
— Il est tout seul sur le podium,
précise Dédé qui s’ajoute.
Il n’aime pas qu’on le déroute
en opposant des prétentions
à ses modestes intentions.
Il faut qu’il aime ou qu’il déteste,
le léger comme l’indigeste.
On voit bien comment il s’y prend.
On est foutu si on se rend.
Ah ! Pauvres gens ! Et pas bégueules.
Et vertueux jusqu’à la gueule.
Ah ! Ils ne méritaient pas ça !
On voit pire, mais quel caca !
Des os partout, de la chair molle,
que j’y ai perdu la boussole
pendant que Madame pissait
et que Monsieur la traversait.
Vous interrompiez mes recherches
pour vous torcher à deux le derche.
Et c’est mon chien qui a fait ça !
me disais-je tout bas, tout bas.
Jamais Cristobal (qu’il se nomme)
n’avait collectionné des hommes
pour voir venir, en employé.
Des os, certes, il en broyait
moins que le noir de mes nuits blanches.
Chacun fait comme il peut sa manche.
Et c’était rare qu’il trouvât
dans les poubelles et les tas
des restes humains en attente.
Consultez donc la main courante.
Il allait chez le charcutier
et en donnait aux policiers
si l’apéro était à l’heure
parce qu’au prix où est le beurre
souvent il arrivait trop tard.
On le voyait, ce gros bâtard,
bouffer ses os devant la porte
du commissariat des cloportes.
Et jamais on aurait pensé
que ces os qu’il faisait craquer
étaient des os de notre race !
Vous pensez si on faisait face,
Antraxe et moi, devant les faits !
Mais là, fadé ! Je reconnais
que l’entreprise est monstrueuse.
Je n’ai pas eu la main heureuse
en la mettant dans son gros cul.
On est puni de sa vertu
tôt ou tard comme Dieu l’arrange.
Et pas moyen qu’on le dérange
tellement il est occupé
à mieux faire de son côté.
Le portail de la découverte
exige une main plus experte.
Excusez-moi si je le dis
sans profession et sans radis,
mais j’ai le droit de me défendre
et surtout de n’y rien comprendre.
Pour le caca que Madame a
coincé tout droit dans son baba,
si je peux aider, pas de gêne…
— Occupe-toi de ta dégaine !
Eh ! Mal fringué sans foi ni loi !
cria Alice hors de soi.
Les chiens ça ne tue pas les hommes
pour s’amuser aux gastronomes.
Les juges sont cons mais pas tant.
Ils ont des cerveaux là-dedans
et pas un seul comme tézigue.
Tu branleras après l’intrigue,
mais pas le flic ni son auteur.
Monsieur a l’instinct créateur
et on le voit se mettre à l’œuvre.
Il veut que sa belle couleuvre
on avale sans rouspéter.
Mais c’est à nous de décider
et on décide de te faire
bouffer les os par le derrière.
Et pas digérés pour le coup.
De l’os en dur dedans le trou
jusqu’aux aveux, qu’on s’y retrouve !
Ce n’est pas que je désapprouve,
mais on y a de l’intérêt,
des trucs qu’on n’a jamais rêvés
tellement que c’est impossible.
Le meilleur livre est illisible.
Si on avance grâce à toi
on t’enverra les ayants droit.
Et la peau de ta brave bête
qui leur servira de carpette.
La langue que tu tireras !
Et de branler tu n’auras pas
ni le temps ni même l’envie.
Pendant que nous, la belle vie !
Pleins de médailles sur le sein
et des épaulettes grand teint.
Non mais tu l’as vue ma casquette ?
Plus moche tu me fais la tête.
Rien dessus ni même dessous.
Or pour en avoir plein des sous,
il faut des galons à la pelle.
Avec un peu de bagatelle
et des trahisons entre amis.
Sinon on dort sur le tapis
et on récure les gamelles
en attendant le plomb dans l’aile.
Dis-lui, Nico, comme on est fait !
Qu’on ambitionne dans le vrai
et que ça nous rend haïssables
au moment de se mettre à table.
— Ça me remonte dans le trou,
ce que tu dis comme interview.
Je m’en pistonne la prostate
sans y mettre un doigt de la patte.
Monsieur Dédé aime son chien
et pourtant il l’accuse bien,
preuve qu’il dit ce qu’il faut dire.
Le coupable ne peut médire
s’il aime autant qu’il nous le dit.
J’ai eu un chien, un vrai dandy
qui portait même la cravate
et jamais ne donnait la patte
tellement ça lui faisait mal
que le monde soit immoral.
Il mordait bien, jusqu’à la moelle.
En plus il avait la pédale.
Mais l’oreille en travers de l’œil
si la gonzesse était en deuil.
Un vrai mec fait pour la bataille.
Mais voilà-t-il pas qu’il déraille ?
Il a mangé tout un bébé
et rien laissé de son hochet
ni de ses trop blondes bouclettes.
On en est resté tout bébête,
le doigt en l’air pour demander,
mais les questions qu’il faut poser
dans les histoires de familles
c’est comme flan au jeu de quilles.
On en met partout au carreau
et bien malin l’antihéros
qui y retrouve sa supplique.
— Tu es vraiment très romantique,
mon bon Nico, mais pour branler
comme l’on dit le policier,
il faut choisir le mercenaire
avant de lui parler salaire.
Ça lui en bouche plus qu’un coin.
Le voilà surpris néanmoins
en plein calcul devant ses juges.
Mais au final le subterfuge
trahit son homme et le met nu.
— Mais c’est que je suis déjà nu !
Encore un peu, on me l’arrache !
C’est Cristobal le vrai apache.
Moi je suis un faux, ça se voit. »
Disant cela, Dédé bleu roi
se frotte pour devenir rouge.
Mais alors quelque chose bouge
à la surface du canal !
On s’attend à avoir très mal,
surtout Nicolas qui l’a raide
sans que personne ne l’y aide.
Alice empoigne son boudin
pour occuper ainsi ses mains.
Dédé devient blanc comme un linge
et se triture les méninges
à force de trop y penser
à cette mort qui fait dresser
plus vite que femme en ménage.
Il s’essuie car il est en nage
et ça lui coule sur les pieds.
Chaque fois qu’il se sent épié,
il a le cerveau qui travaille
et pour expliquer il détaille
l’origine de ses tourments
tellement que le flic béant,
plus très sûr de son aptitude,
veut retourner à ses études
ou ailleurs s’il n’en a pas fait
comme l’État peut l’exiger.
Mais là, le canal, ça diffère !
D’une part l’endroit est austère
et on s’y sent trop à l’étroit
pour exiger selon le Droit.
D’autre part il a connaissance
de ce que les morts manigancent,
car il a entendu des voix
sans même demander pourquoi.
Et bien les morts disaient des choses
qu’à force d’en dire les causes
on en ressentait les effets,
mais des méfaits, pas des bien faits !
Mais il est trop tard pour le dire !
Et même pour se l’interdire.
Il en bafouille un charabia
qui lui fait croiser les tibias.
Il croise tout ce qui se croise
tandis qu’un monstre entier le toise
en étirant un très long cou
avec de fortes dents au bout.
On dirait une gueule ouverte.
Nicolas croit donner l’alerte
en criant qu’on veut le tuer.
Alice l’air épouvanté
fait tomber son boudin par terre,
mais elle a si mal au derrière
qu’elle en fait un autre plus gros.
Ou le contraire, mais pas trop…
alors la bête pousse un râle.
La séquelle est peu animale.
On attendait un hurlement,
mais ce n’est qu’un gémissement !
La bête est sortie pour se plaindre
et non pour se donner à craindre.
Et pour ajouter au tableau,
une dent qu’elle avait en haut
tombe par terre entre ses pattes.
Alice en perd une savate,
se prend les pieds dans son boudin
et se retrouve sur les mains
face à bête qui élève
sa grande gueule comme un glaive.
Mais au lieu de bouffer tout cru
ce corps de flic qui n’en peut plus
d’avoir un truc dans le derrière
sans parvenir à s’en défaire,
l’animal se sert de ses dents
pour dévisser cet excrément.
Cette fois on le sent utile
et on se croit bien plus tranquille.
Nicolas en sourit un peu,
mais il doute et espère mieux
de la part de la créature.
Alice veut vite conclure,
tournant alors inversement
pour activer le mouvement.
Enfin la bête d’une ultime
rotation baisse le régime
et délicatement extrait
le colombin encore frais.
L’anus lentement se referme,
plissant de nouveau l’épiderme
autour d’un trou plus fin qu’un doigt.
La bête fière de l’exploit
avale goulûment sa proie
en poussant un long cri de joie
qui nous remet du baume au cœur.
« En plus ça s’est fait sans douleur,
dit en riant la belle Alice.
Tu savais que ça se dévisse ?
— J’en avais entendu parler,
fait Nicolas sans se bouger.
— Ah ! Bravo pour la bienfaisance !
Monsieur a de vraies connaissances,
mais il s’en sert seul en solo.
Je te croyais plus rigolo. »
L’ambiance était à la détente,
mais la bête était en attente.
Une bête sortie de l’eau
où Dédé plus mort que héros
avait vu des morts et des mortes
plus que l’esprit ne le supporte,
mais point d’animal monstrueux.
« Eh té que je veux mon neveu !
dit-il en observant la bête.
Et ils taillaient une bavette,
parlant de notre monde à nous
en me pelotant les bijoux.
J’explique mon aprosexie,
des fois que vous auriez envie
de me reposer la question.
Comment prêter une attention
digne des enjeux planétaires,
au-delà de toutes les guerres,
quand on vous tâte les roustons
dans une mauvaise intention ?
Je me voyais en mercenaire
quand je ne suis qu’intérimaire.
— Un bébé qui parle l’humain,
dit Nicolas pâle des mains,
doté d’un balaise encéphale,
qui se calte comme un surmâle
on ne sait vers quel horizon.
Un automate, me dit-on,
mais l’hypothèse est hasardeuse.
Et une bête, en plus affreuse,
morte ou vivante, on ne sait pas,
Léviathan ou Catoblépas,
et on voudrait que je la susse,
cette toute petite astuce ?...
— En tout cas mon petit anus,
toujours enclin aux iléus
les moins porteurs de bonne étoile,
maintenant promet des annales
dignes de l’art et du bon goût. »
Dédé écoutait ces bagouts
sans toutefois de la bestiole
s’approcher pour la trouver drôle.
Il était loin de se marrer.
Il se sentait intoxiqué.
La bête, langue sur Alice,
la décoiffait sans un supplice,
à croire qu’elle allait parler
pour enfin tout leur expliquer.
Dédé avalait sa salive
sans une intention allusive.
Nicolas arpentait le quai.
Étant au bout, il revenait.
Puis recommençait jusqu’à l’ombre,
connaissant des pavés le nombre,
car il les recomptait tout haut.
Soudain Dédé fit un grand saut
par-dessus Alice étonnée
qui déjà avait dans l’idée
que son anus pouvait servir
à autre chose qu’au plaisir.
Mais Dédé sur ses pieds retombe,
face à la bête qui surplombe
ce petit être aventureux.
Et tu crois qu’il était anxieux ?
Il donna une chiquenaude
à la cheville toute chaude
de l’animal qui le toisait
en clignotant ses grands quinquets.
« Merde alors ! fit Dédé aux anges.
C’est Cristobal, mais sans les langes.
Qui t’a soufflé dedans le cul
que te voilà, si j’ai vécu,
plus grand que mort, et en vadrouille ?
Viens ici que je te papouille !
Sans toi j’étais libre ce soir.
Mais je tombe sur un pissoir
avec deux flics qui s’en amusent.
Ah ! Il faut voir comme ils en usent.
On a le temps dans la fonction
de satisfaire l’addiction,
et du plus grand au moins insigne.
Je suis jaloux et je souligne
des fois que ça pourrait servir.
Ah ! Les arcanes du désir !
Profiter avant toute chose
sous prétexte que ça s’impose
sinon on en veut au voisin
d’avoir un trop bruyant zinzin
pour couper l’herbe sous les quilles
joyeusement de mère en fille.
Je dis ça parce que j’ai vu,
de loin et pris au dépourvu
par des demandes explicites
à propos d’où c’est que j’habite,
si je m’alimente à ma faim
et si on m’a coupé les mains
pour expliquer comment je chôme
et pourquoi que j’ai des diplômes.
Regarde-les ces illettrés !
C’est du papier millimétré
avec des fautes d’orthographe
qui font trembler le démographe.
A-t-on besoin de plus malin
pour emmerder le citoyen ?
Point du tout mes belles nuiteuses !
Je m’en voudrais si l’amoureuse
était aussi conne que moi.
Je la veux moins ou plus des fois.
Mais mon égal en connerie !
Et pourtant voilà on marie
la conne et le con sans souci
que ça fait du môme eux aussi,
comme si c’était la normale
d’être des vaches nationales !
Comme aux Colonies les amis !
Du chaouch et du salami !
Et du pinard pour la noyade
si l’amour du cul se dégrade.
Ça veut me donner des leçons ?
Que des preuves et des soupçons
pour parler de ses patriotes ?
Ça me fait bouillir la cocotte
et sans poulet à l’intérieur.
Ah ! Parlez-moi de cette odeur.
Petite musique, mes miches !
Je veux du nez et des artiches !
La haine mais je connais ça !
De la vraie graine de forçat,
sauf que je couche sous la Lune
et que je cherche la fortune
dans la poubelle des trottoirs.
L’existence est un abattoir
pour les haineux qui rendent gorge.
On restitue comme on se forge,
avec la haine au ras du cœur
et pas simplement des rancœurs
comme en éprouve la carpette
à peine entrée dans sa retraite.
Taïaut ! Cristo ! Mords jusqu’à l’os !
Et n’aie pas peur du tétanos.
Ils sont vaccinés à l’hygiène !
Toc ! Toc ! Qui c’est ? C’est moi la haine !
Il faut frapper avant d’entrer
puis profondément s’illustrer
pour montrer qu’on a de la classe.
Taïaut ! Cristo ! On est en chasse !
Tsss ! Tsss ! Taïaut ! A toutes dents !
Les Lettres ce n’est pas marrant
quand on sait lire entre les lignes.
Mords-y dedans et puis des bignes ! »
Ah ! Dédé il s’évertuait,
mais Cristobal, ou qui c’était,
ne bougeait pas d’un poil ses fesses.
Il amadouait sa fliquesse
à coups de langue sur le fion.
« Ah ! Mon Cristo ! Ah ! Quel champion !
se lamentait Dédé en nage.
J’imaginais mieux le carnage.
Naguère encore tu chassais,
même que moi ça m’agaçait
de ramasser les quelques miettes
que tu laissais dans mon assiette.
Mais là tu veux tout achever !
Et tu m’interdis de rêver
pour grignoter le sot-l’y-laisse. »
Nicolas le tenait en laisse
pour l’empêcher de s’en mêler.
Il avait l’air tout affolé,
avec un œil sur les bacchantes
et la langue toute pendante.
Mais qui donc ne le serait pas
devant de semblables ébats ?
Les deux trous chuintaient d’extase.
Ah ! Tu parles d’un striptease !
Il en sortait des sucs brûlants
dedans des bulles modulant
tous les détails qu’on imagine
quand c’est l’amour qu’on assassine
au prix de la difficulté.
Le Kama-fouchtra en beauté,
mais sans soi-même pour y être !
Il ne savait plus où se mettre
et il tira la corde au cou
de Dédé qui était à bout
et exprimait toute sa haine
en se fourrant dedans la chaîne.
Nicolas avait un mal fou
à ne pas s’en mettre partout.
Ça giclait même dans la flotte.
A peine fini, rebelote !
C’était reparti pour un tour.
Que je te lèche bien autour
sans oublier que ça s’enfonce.
Et pas un seul coup de semonce.
Que du réel à bout touchant.
A croire qu’en recommençant
on améliore le service.
Ah ! Ce qu’elle en comptait, Alice !
Il songea à tirer dessus,
mais avec quoi ? Et de visu ?
Au pistolet ? A la pelote ?
En amoureux ou en despote ?
Il en avait la larme à l’œil,
comme Mémé dans le fauteuil
qui se remémorait des frasques.
Dédé lui secouait les basques
en faisant des propositions
philosophiques dans l’action
sans se soucier de la morale.
« Quand on connaît pas, on s’installe,
disait-il tout en se branlant.
Après on voit si c’est marrant
et surtout pas cher en ressources,
vu que l’emploi, c’est à la bourse
qu’on l’invente pour les mariols.
La douceur, j’en ai ras le bol !
La pédagogie est un leurre
et la science n’est pas à l’heure.
Il faut agir avant d’aller
se faire aussitôt enculer,
par les ratés et les malades,
les rêveurs mous de la salade,
les réalistes astiqués
et les complètement toqués
du bourrichon tel qu’on l’enseigne.
Non mais avant on se renseigne !
On voit si papa est heureux
et si maman fait pour le mieux.
Sinon on doute et on se barre.
Après tout dignus est intrare.
Et que je lime dans l’étau
pour ne pas me faire la peau
avant de savoir si j’ai l’âge !
C’est dedans qu’on se met en rage
et dehors qu’on voit si ça mord.
Il faut avoir l’esprit retors,
sinon on devient grammatiste,
ce qui fait du tort à l’artiste.
Ah ! Si j’en suis un je m’y mets !
Et des folies je me permets
sans regarder à la dépense
et très fier qu’on me récompense.
Je m’habille avec le drapeau
en laissant voir des bouts de peau
pour alimenter l’érotisme
et les pousser au paroxysme.
Ça se branle en me regardant,
que de lire c’est fatiguant,
surtout que j’ai des sacs d’embrouilles
qui d’ailleurs me cassent les couilles,
si c’est savoir que vous voulez.
Allez Nico ! Assez parlé !
Mets-m’en un coup en plein la tronche.
Quel exercice pour les bronches
que la douleur qui va de soi !
De la vraie sinon je déçois.
L’autofiction en librairie
c’est le top de la connerie ! »
Nico allait frapper à mort
et bandait à fond ses ressorts
quand soudain du canal l’eau gicle
et en sort un puissant tricycle,
deux cylindres à quatre temps
avec arbre à cames devant
ou en tête, mais peu importe !
Et qu’est-ce que l’engin transporte
si ce n’est pas en chair et os
la Justine dite Gratos
quand il fait jour sous la charmille
(c’est une histoire de famille).
Mais derrière elle et au guidon,
poussant les gaz et son bidon,
ça ne serait-il pas Sanchaise,
chasseur de rien et de foutaise
qui se la met dans un solo
pour laisser pantois le gogo
qui vient à Paris pour ses drôles ?
Il a son fusil sur l’épaule
et son chapeau plié sur l’œil
pour toujours faire bon accueil
aux amateurs de môminettes.
« Salut, Sancho ! Tu fais trempette
avec des grandes maintenant ? »
lance Nicolas en riant,
mais jaune car il se néglige
du côté de là où on pige
avant de trop tôt s’exprimer.
Le plus riboulant c’est Dédé.
« Merde alors, mais c’est la Justine ! »
dit-il connaissant la voisine.
Le tricycle fait deux trois tours
juste pour montrer le détour.
Ça dégouline plein d’ordures.
Elle en a plein dans la coiffure.
Si tu regardes bien ses doigts,
c’est de l’os que tu aperçois,
avec des bouts de chair pendante,
des vers et des trucs qui fermentent,
qu’elle en a même sur les seins
et dessous en plein le bassin
un trou où s’agite la tripe !
Ah ! Dédé ça le déconstipe
et il se lâche en rouscaillant
qu’il veut vivre encore un moment.
Nicolas se secoue les flûtes
en se faisant dans le calbute.
Sanchaise coupe le moteur.
Le pot envoie de la vapeur
et pète un bon coup dans les flammes.
Et Justine qui se desquame
saute à pieds joints sur le pavé.
Ah ! Le corps est bien conservé.
Malgré la mort on voit les formes
et on apprécie l’uniforme
tout comme si on y était,
sauf que le ras-du-cul promet
autre chose de moins cocasse.
Et comme elle fait volte-face,
la jupette remonte en haut
en emportant toute la peau.
Jamais Nicolas de sa vie
n’avait promis l’anatomie
à ses yeux pourtant amateurs
des choses qu’on dit d’intérieur.
Il les rinçait dans la lessive
d’une agitation créative
où l’asticot est le meilleur
malgré d’autres bons batailleurs
qui remuaient des mandibules
dignes de crever les fistules
et autres phlegmons des tissus
dont le microcosme est conçu
allez savoir pourquoi en merde
inextricable et en sous-merde
alors qu’on a dessous les pieds
une éternité en acier
et des fissions inépuisables.
Le cadavre est abominable
quand on a connu le projet.
Des guiboles à haut budget,
un cul moulé pour le facile
et des seins ma foi volubiles
si on savait comment dresser
sa propre fleur sans y clamser.
Alice va être jalouse,
pense-t-il en comptant son flouse.
Mais au moment de la planter
sans même le lui demander,
elle se lance vers la bête
et gentille dessus sa tête
gratte le poil qui se défait
sous ses ongles qu’elle a coupés
à la main gauche pour la gratte.
Il en donne ses deux papattes
et tire la langue en couinant,
ce qui lui déchausse les dents.
Alice dessous fait la moue,
avec des larmes sur les joues
et une bulle dans le nez.
Sur ses deux pieds elle se met
et voit Justine qui caresse
le gros toutou flapi d’ivresse.
Dédé tente encore le coup
et excite de son bagout
l’animal pour qu’il extermine
et qu’on retourne à la chaumine,
un coin de trottoir à l’abri
de la hausse injuste des prix.
« Taïaut ! Cristo ! Jusqu’à la moelle !
beugle-t-il à la déloyale.
Plus de vie dans ce monde mort
et plus de mort dans ce vieux corps !
Déchire, casse, et éparpille
les noms de toutes ces familles
qui veulent faire des enfants !
Bouffe-les tant qu’ils sont vivants.
Et reviens à ton petit père.
On sera seul pour tout refaire.
Toi et moi et tous les trottoirs,
sans personne, sans rien valoir
et de quoi bouffer à perpète !
Dis-le-moi que je suis poète… »
Nicolas pointait son pétard
pour abattre ce banlieusard
qui voulait tuer tout le monde
pour ce que la Terre n’est ronde.
Il avait déjà commencé
comme on en pouvait bien juger
à compter âmes et charognes
en se fiant à tant de trognes
reconnaissables à leurs os.
« J’en ai assez de ce pathos !
dit-il en saisissant Alice
pour l’extraire de l’entrecuisse
où elle léchait à son tour.
Demain dimanche il fera jour.
Je n’ai pas assez de menottes,
mais mon pétard est un vieux pote
qui ne fait pas la différence
entre la mort et l’existence.
Allez hop ! Tout le monde en rang !
On verra bien qui est vivant
et qui est mort sur cette terre.
— Mais je suis vivant, moi, mon père !
hurle Dédé qui n’a pas fui.
Mon chien est mort, tant pis pour lui ! »
Et Justine prend la parole,
découvrant ses belles épaules
et un sein qu’il faut caresser
pour sa pourriture apprécier :
« Ce chien n’est pas ton Cristobal.
C’est mon Kolos, un animal
que mon tendre amour humanise.
C’est fou ce que ta jobardise
t’inspire quand tu te morfonds.
Sur le chemin de l’horizon
ton chien s’en est allé pugnace.
En témoignent ces dures traces
qu’il a laissées, creusant le sol
de sa griffe de bon gogol,
pour qu’aussi têtu tu le suives
et qu’avec lui tu y arrives.
— Mais arriver où et pourquoi ?
C’est ici que je me vois moi !
Suivre mon chien est un voyage
qu’en aucun cas je n’envisage.
D’ailleurs si tu regardes bien,
ces traces ne sont pas d’un chien,
mais d’un bébé né de la femme
grâce à un homme que ce drame
n’amuse pas comme tu veux.
Où diable allait-il, ce morveux ?
Je n’en sais rien et je m’en tape.
Que ton colosse le rattrape
s’il aime la chair des humains
comme il aime celle des chiens.
D’avoir mangé, je le soupçonne,
mon Cristobal que je pouponne
depuis des années en commun.
— Tu dis n’importe quoi, tribun.
Ce sont là traces de ta bête, »
dit Justine comme on rouspète.
Sur ce Nicolas intervient :
« Ces traces ne sont pas d’un chien,
répète-t-il l’œil dans sa loupe.
Dédé connaît de l’entourloupe
tous les ressorts et même plus,
mais ici point de ces cactus
qui mettent mes nerfs en pelote
chaque fois que Monsieur complote
pour escamoter son prochain.
Voyez vous-même le terrain.
On distingue les quatre griffes
qui ne sont point de l’escogriffe
que par bien légitime erreur
Dédé prit pour son aboyeur.
La bourde était involontaire.
L’ongle n’a point marqué la terre,
comme il l’eût fait d’être animal.
Il est humain, et donc normal.
Comme je suis toujours en vie
et que vous êtes morts d’envie.
Ne vis-je point ce nourrisson
parler comme nous le faisons
et tenir debout sur ses pattes ?
— Vous voyez, vous parlez de pattes…
— Mais pour la rime au féminin !
Vous m’embrouillez ! Fi du canin !
Passons à des choses sérieuses.
La Poésie est capiteuse
et ne convient guère à nos vers.
J’en ai l’esprit tout à l’envers
de ne savoir de source sûre
si je suis vivant de nature
ou mort de n’être plus vivant !
On rend fou de plus inquiétants,
et de moins sujets à l’absence.
Chien ou bébé, quelle importance
puisque ni l’un ni l’autre ici
ne peut répondre du souci
qu’ils causent à l’intelligence.
Sur deux rangs, s’il vous plaît, la France !
Le chien ici, la moto là.
Pas un pied, disons, au-delà
de cette ligne théorique. »
Et d’un pied pas moins énergique
il traça cet impératif
abornement illustratif.
Sanchaise rangea le tricycle
non sans avoir de ses besicles
nettoyé le carreau crotté.
Justine mis sur le côté
sans l’attacher sa grosse bête
qui se grattait les castagnettes
sans en ménager l’habitant.
« A trois, c’est facile deux rangs ! »
rouspéta Dédé que Justine
caressa comme on s’imagine.
« Ferme-la, mec, et obéis !
Je ne suis pas venue ici
pour critiquer l’intelligence.
— Mais je ne suis pas ce qu’on pense !
On me reproche d’insister,
je le vois bien à regarder
comment ce flic me dévisage.
Je ne suis pas un personnage !
Je passais par là par hasard,
sans intention d’être en retard
au rendez-vous de l’existence.
Contre moi sont les apparences,
je me répète, mais c’est vrai !
— On voit bien que tu es crevé !
Rien qu’à entendre ta complainte.
Même moi je suis une sainte,
sauf que personne ne l’a dit.
Alors tintin le Paradis !
On y va en motocyclette
et on emporte l’escopette
des fois qu’on rencontre du mal.
J’en ai marre de ce canal.
C’est tous les jours la même chose !
Ah ! Ce n’est pas bon pour l’arthrose !
Alors le vieux Sanchaise et moi,
qu’on se connaît depuis des mois,
on a décidé le voyage,
comme ça en plein dans la page.
Je ne sais pas qui le premier
a eu cette idée, mon Dédé.
Le couple c’est un vrai mystère
et souvent il vaut mieux se taire
que de raconter des bobards.
On amène notre clébard
qui devient trop neurasthénique
pour envisager la clinique.
— Mais qui encore est là-dessous ? »
fit Nicolas tordant le cou
pour remettre l’idée en place.
Il en avait toute la face
comme qui dirait en retrait.
« Ce qui est faux peut être vrai,
dit mystérieusement Sanchaise.
— Ça ne vaut rien si c’est du pèze,
ton faux machin qui marche bien.
Il faut en avoir les moyens,
sinon c’est tonton qui encaisse.
— Peut-être bien, mais je le laisse,
car j’en sais plus que j’en ai l’air.
— Que veux tu, c’est payer la chair
qu’il faut sinon tout se débine.
Ces questions qui nous turlupinent
finissent par nous altérer.
— Il n’y a qu’à nous regarder !
Dans quel état on fait l’Histoire !
Avant je ne voulais pas croire.
Et bien maintenant si j’y crois !
— C’est toujours bon d’avoir la foi. »
Ce court dialogue entre Justine
et Sanchaise qui baragouinent
dans le dialecte des crevés
mit Nicolas devant les faits :
« Ah ! Mon Alice, je suis nase !
Plus je comprends, moins je m’évase.
Dis-moi que c’est un cauchemar
ou un mal et mauvais scénar.
L’entonnoir est dans la bouteille,
mais à l’envers et je sommeille
sans pouvoir me rouvrir les yeux.
— Mon pauvre je ne fais pas mieux !
Si j’étais toi, je les dégomme.
Après tout on n’est que des hommes.
La justice nous comprendra. »
Sur cet aveu Dédé les bras
en l’air se rend à l’évidence :
« Pardon, mais là, je vous relance !
Car le moment peut basculer
dans le néant qui en promet
comme jamais on le vit faire.
Tuer des morts, même sur terre,
est un plaisir plus que vicieux,
qu’il faut réserver à nos dieux.
Mais sans sacré, le sacrilège
peut passer pour un privilège
et devenir une œuvre d’art,
avec un prix pour le hasard
et au panthéon une armoire
pour alimenter nos histoires
des confitures de Mémé.
Par contre, amis, quand on promet,
il faut tenir et sans faiblesse.
Je suis vivant, je le confesse !
Me tirer dessus c’est tuer.
Ah ! Mais je ne veux pas crever !
Pas comme ça, sur une faute
d’appréciation et de jugeote. »
Il pousse un cri et à genoux
se met à creuser un grand trou,
jetant les pavés dans la mare
en déclarant qu’il en a marre
et qu’il ne veut pas y aller.
Il veut ici être enterré,
sans croix ni rien, et tout nu même.
D’ailleurs il l’est, comme au baptême.
Qu’on ne lui fasse des ennuis
et qu’on ne parle plus de lui.
Ce qu’il a fait, aurait dû faire,
il n’en fera plus rien sur terre.
Mais l’ouvrage n’est point donné.
Il est tellement fatigué
qu’il se couche dessus sa fosse
à peine creusée et point grosse
comme il l’est car il mange bien.
« Encore heureux ! Et sans moyens !
gémit-il regardant la Lune.
Le Bien se trouve sans fortune,
mais c’est le Mal qui paie les frais.
Tout est faux et pourtant c’est vrai.
Quand la fosse n’est pas commune,
on paye cher et pour des prunes.
Et pourtant on se lève tôt,
avec de gros moyens mentaux.
Voilà comment finit le rêve.
Et personne ne s’en relève,
ni disciples, ni héritiers.
Ah ! Ce que je me fais pitié
quand je me mets à entreprendre !
On ferait mieux d’aller se pendre
et de tout laisser aux oiseaux.
Pauvre de moi ! Quel zigoto ! »
Ah ! Des larmes vraiment acides !
Ça lui supprimait sur le bide
tous les poils autour du nombril.
Et je ne parle pas des cils.
Un désespoir de mélodrame,
comme jamais nous n’espérâmes.
Arrachant encore un pavé
sans se soucier de l’arracher,
il le jeta dedans la flotte
et dis donc voilà qu’il barbote !
Agitant deux bras forts musclés
comme font des fois les noyés
quand ils sont encor de ce monde.
Les circonstances sont fécondes
quand on agit au lieu d’aller
voir ailleurs si on y était.
Nicolas pointe sa pétoire
sur le nageur qui sans nageoires
parvient à monter sur le quai
rien qu’à la force des poignets.
« Monsieur veut-il que je trépasse
alors qu’on voit à ma grimace
que je suis déjà refroidi ?
dit ce mec tout entier pourri
en agitant l’os de son pouce.
On n’est pas doué dans la rousse. »
Nicolas tire un coup pour voir,
mais comme c’était à prévoir,
la balle traverse un cadavre !
« Votre inexpérience me navre, »
dit le mort remettant ses dents
dans l’ordre qu’il avait avant
de prendre un pavé sur la fiole.
Dessous c’est Dédé qui s’affole.
Le pavé c’est lui après tout.
On montre du doigt les cailloux
qu’il veut vite remettre en place.
« Avant de crever la disgrâce !
L’humiliation du proprio
qu’on prive de biens familiaux
pour en faire un pauvre minable.
Et on a été respectable,
décoré avec les honneurs,
traité en tout comme un seigneur,
et une chaise dans l’église
avec le nom de l’entreprise !
Et voilà qu’on vous reprend tout !
On gagne mais ce n’est pas tout.
Il faut garder, payer le coffre,
vérifier les clés si on l’offre
pour faire la publicité,
et voir si la caducité
n’est pas un effet de l’aisance.
On vous veut du mal en l’absence
d’autres biens disons matériels.
Pourtant on veut aller au ciel
et profiter du temps qui passe
en attendant qu’on nous décrasse
une fois pour toutes les fois.
Ah ! Des cons je suis bien le roi !
Moi qui sais de l’amour des choses
que si céans je vous en cause
vous regrettez d’avoir vécu.
A la fin on l’a dans le cul.
Riche, pauvre ou bien philanthrope,
on n’est plus rien quand on la chope.
Ah ! Enterrez-moi là-dedans
et oubliez le ci-devant
qui ne tient plus à sa trombine !
— Mes amis, qu’on le guillotine ! »
C’était le mort qui en parlait.
Il allait lui faire payer
à Dédé les fruits de sa fosse.
Mais il n’avait pas l’air féroce,
comme on est quand on veut venger
l’outrage fait à nos projets.
Au contraire droit il s’avance,
inspirant c’est sûr la méfiance
à Dédé qui pire en a vu,
et tend sa main au prévenu :
« Debout Dédé ! dit-il sévère,
mais pas méchant, comme le père.
Assez joué pour le moment.
Mais qui donc sont-ils ces vivants ? »
Nicolas étreignait Alice.
Tu parles d’une protectrice !
Elle en chiait long comme ça,
ce qui Nicolas agaça.
Sur un pied il avait l’allure
d’un mec qui cherche sa chaussure,
car il devait boucher son nez
et en même temps menacer
le mort sans illusion se faire.
Il faut mesurer l’adversaire
quand on veut se voir triompher,
mais Nicolas avait gaffé
et il fallait craindre le pire.
« Je ne suis pas un dur à cuire,
dit-il au mort qui s’amenait.
Des fois en allant promener
je donne des leçons aux gosses
sans me transformer en carrosse.
J’ai le sens des réalités
et je veux finir en beauté,
mes deux pieds dans des charentaises
et les doigts dans les portugaises
pour écouter ce que je veux
et obéir si je le peux. »
Il en tremble, cette lopette.
Le mort ramasse la casquette,
la brique d’un coup d’avant-bras
et la remet sur Nicolas
qui dit merci d’une voix blême.
« Je ne suis pas sans peur moi-même,
dit le mort perdant un morceau.
S’il s’agit de sauver ma peau,
je suis premier à l’arrivée.
Des fois on se fait des idées
qu’après on en rit en solo,
car après tout c’est rigolo
d’avoir cru mourir de la trouille.
Alors vous êtes la patrouille ?
On vous attendait, vous savez ?
Mais on a quand même crevé.
Elle arrive après la bataille
pour éviter que la mitraille
mette fin à ses doux projets,
la brigade des policiers,
les grands clercs de la carabine
comme à tort on les imagine
mais, par un malheureux hasard,
nous arrivons toujours trop tard.
Ah ! La folie sécuritaire
et ses miracles budgétaires !
C’est triste à dire, mais voilà,
nous n’existons plus ad astra.
Maintenant il faut qu’on descende.
Pour aller où et qui commande ?
C’est la question que pose Hamlet.
Mais à l’heure de l’Internet,
ne sommes-nous pas où nous sommes ?
Vous êtes encore des hommes.
Il n’est pas trop tard pour mourir. »
Souriant avec ce plaisir
qui n’appartient qu’à ses fantômes,
le mort parlait un autre idiome
et Nicolas, croyant rêver,
de ce lit voulait s’arracher,
secouant draps imaginaires
et non moins fictifs adversaires.
Alice vit qu’il était fou
et de crever elle s’en fout
s’il ne s’agit que d’un mensonge
communément appelé songe.
Et elle aussi ferme les yeux.
Voyant cela, les morts sans Dieu
jettent chacun dedans la flotte
un pavé et pas un n’ergote.
Dédé en balance un aussi
en espérant que le récit
tourne enfin à son avantage.
Il ne connaît pas ces usages
qui appartiennent aux crevés,
dont il est, dit-il, étranger.
Et soudain une belle rousse
sort de l’eau et lui fout la frousse.
Elle est portée par un nabot
dont le visage est en lambeau.
« Ce sont deux morts qui s’additionnent
aux trois autres si je raisonne,
se dit-il regardant le chien
qui plus que crevé paraît bien.
Mais la moto est-elle morte ?
Allez savoir où elle emporte
une fois qu’on monte dessus.
J’ai été si souvent déçu !
Et puis ces maudites menottes
m’empêcheront si je barbote.
Alors je serais vraiment mort !
De quoi ? Mais si le chien me mord ?
Reste vivant, calme et fidèle.
La belle dame ! Qui est-elle ? »
La rousse qui sortait de l’eau
n’était point pourrie jusqu’aux os.
On eût dit qu’elle était vivante.
La chair frissonnait, différente.
Le regard pouvait-il tromper ?
Deux belles jambes la campaient
comme on admire les statues.
D’un blanc linge elle était vêtue,
pointant deux seins qu’on eût aimé
à deux paluches mesurer.
Fesses musclées, reins à détente,
et des épaules si prégnantes
qu’on en perd l’imagination,
à moins de la mettre en action,
prenant le risque sans mesure
d’excéder cette créature.
Elle était en conversation
avec les morts et nous brûlions,
enfin… Dédé brûlait d’extase.
Il chercha la première phrase,
mais n’en trouva pas un seul mot.
Sans verbe voilà le grimaud
pas fichu d’être un bon poète,
leçon qui ne vaut pas tripette
quand il n’est plus question d’agir
à cause d’un trop fort désir
de posséder l’indispensable.
Mais de quoi parlent ces notables
du monde mort sans rémission ?
A défaut de ce grand frisson
qui réduit la mort à sa moelle,
Dédé eut l’envie animale
d’en savoir plus sur leurs projets.
S’aplatissant à cet effet,
comme un paillasson à la porte,
ce sursitaire fit en sorte
de comprendre ce qu’on disait.
Du coup il se trouvait tout près
de la belle qui sous ses voiles
lui fit voir toutes les étoiles,
astérisme alors ignoré,
qu’il pouvait encore espérer
du temps qu’il lui restait à vivre
s’il s’agissait de le revivre.
Il en conçut une érection
digne d’achever en action
ce qui n’avait été qu’idée.
Et des morts il fut la risée,
car les défunts ne bandent plus
et ne bandant, ne savent plus.
Dès qu’ils virent cette hélépole,
au lieu de hausser les épaules
comme font les tristes bien nés,
et sans même se consulter,
ils envisagèrent de rire
sans trop savoir si c’est mal dire
que de ne rien dire et d’aller
chercher ailleurs qu’en soi l’effet
à produire sur la victime.
Observateurs, nous attendîmes.
(Ce « nous » qui fait une intrusion
dans les marges de notre action,
en dit long sur ses maîtres d’œuvre,
autrement dit à la manœuvre
moi-même, Mickey, serviteur,
et ce cher Engeli, auteur.
Car ayant quitté ces parages,
nous nous remîmes à l’ouvrage,
l’un créant, l’autre traduisant,
sans rien changer à l’instrument.
Eusses-tu, lecteur en vadrouille,
nourri ta trop verte gidouille,
dont nous connaissons les vertus,
si nous n’étions pas revenus,
mon cher Engeli et moi-même
comme solution du problème,
sur les lieux pour d’autres raisons ?
Disons-le, la réponse est non.
Soyons logiques en toutes choses.
Conçoit-on l’effet sans la cause ?
Encore une fois, non c’est non !
Car l’auteur est le compagnon
qui connaît le chemin à prendre
et le traducteur sous la cendre
découvre d’autres directions
pour équilibrer l’équation.
Si le fruit a une existence,
comme dirait l’homme à sapience,
autrement dit s’il est pendu
pour être par l’homme mordu,
c’est que l’auteur vous l’abandonne.
Quant à sa modeste personne,
on a beau s’en débarrasser
comme nous le fîmes exprès
plus haut si on veut bien relire,
c’était une façon de dire
pour n’en dire rien après tout.
Bref, revenus, sur des cailloux
qu’une hauteur pour nous cultive
comme des fruits de récidive,
nous observions ce qui plus haut
prenait l’allure d’un tableau
comme au théâtre on en peut peindre.
Il ne manquait, pour tout éteindre,
que le rideau et un larbin
pour tirer sur le bon filin.
Nous nous passerons de ce sbire
et continuerons pour écrire
d’inspirer la réalité
sans nous soucier de sa beauté
ni de ses prétentions morales.
Si l’action en est animale,
il n’en reste pas moins pourtant
que l’écrivain, en s’y frottant,
peuple l’espace de ses hommes.
Il en existe, ou c’est tout comme,
car en vivre ne nourrit pas.
Enfin, passons, nous étions là,
Engeli usant mes jumelles
pour ne rien perdre des poubelles
(ici la rime au masculin
exige un distique malin)
où ses personnages puisaient
les arguments qui justifiaient
leur apparence et leurs effets.
Je m’appliquais, de mon côté,
à user de mon dictionnaire
dans les limites statutaires
que m’autorisait le contrat.
On a vite fait dans ces cas
de se prendre tout le rideau
et son larbin sur le coco.
Aussi j’usais de la prudence
comme d’autres de la méfiance.
Le traducteur n’a pas d’amis.
Tout le monde sait ça aussi.
La Lune étant à l’hypogée,
on voyait clair comme à l’orée
au moment de se réveiller
pour aller vite travailler.
J’en avais les fourmis anxieuses.
C’était d’ailleurs de vraies rockeuses
et je dus me gratter très fort.
Engeli apprécia l’effort
en me tapotant la brioche
tout en m’adressant des reproches
qui m’allèrent droit dans le cœur.
« Traduis ou c’est dans la douleur
que je t’encule jusqu’aux tripes !
— Pour parfaire le génotype
on a mieux que le prix Nobel ! »
répondis-je pour faire appel
de son jugement hystérique.
« Ne t’occupe pas de critique
et traduis sans en espérer
autre chose que les ferrets.
— Je m’y remets ! Et je repique !
…Au bord du canal notre clique
conférençait sur des sujets
qu’on ne peut pas, sans s’approcher,
identifier à l’évidence.
La technologie, quelle chance !
Pallie toutefois le défaut.
Avec des uns et des zéros
on arrive à tout en ce monde
qui autrement serait immonde.
Imaginez que pour savoir
on s’approche eh ! On se fait voir !
Se faire voir d’un personnage !
J’en prévois les baragouinages !
Et plus personne ne comprend.
Le roman devient aberrant.
Adieu morale et esthétique !
On philosophe ou on applique.
Le gastronome et le chasseur !
Un titre à faire le malheur
du moindre écrivain en cavale.
Avec aux trousses l’intégrale
de Camus et des CRS
les défenseurs du business.
Non merci pour cette médaille !
J’ai déjà assez de marmaille
à la maison pour m’entêter.
Car souple roseau je suis né.
Je romps quelquefois mais en douce.
Et avec l’âge je m’émousse.
Je ne m’approcherai jamais !
On voit très bien d’ici les faits,
d’autant que la technologie
nous en approche par magie.
Vous me direz que le high-tech
en littérature c’est sec.
Certes, rien de moins artistique
que la langue qu’on alambique
pour en éprouver les confins.
Et bien mouillons notre couffin,
laissons aller notre vessie
où nous pousse la dyslexie
et retrouvons les goûts anciens !
On s’approche toujours très bien
sans avoir besoin d’Amérique
pour avoir l’air… technologique.
D’autant que ça coûte du fric.
Alors l’antique tombe à pic.
Je dis j’approche et je m’approche.
Et nous voilà, loin des débauches
de pétrole et de combustions,
d’esclavage et de pollutions
qui d’un côté nous appauvrissent
et de l’autre nous enrichissent,
nous poussant à compter nos sous
pour les disputer aux grigous
qui comptent mieux que les mécènes,
hélas pour nous, pas pour Gégène,
l’as têtu du vilebrequin
alimenté par les requins.
Ah ! Merde pour le sacrifice !
Et pas question que je faiblisse.
Je m’approche sans m’approcher.
Je le dis et hop ! J’y étais.
Un papier, un crayon, la gomme,
et me voilà tout près des hommes
pour en apprécier les destins,
et même les plus clandestins.
Voyez un peu la belle espèce !
Que les personnages paraissent !
Mais, par un bien heureux hasard,
avec, certes, un bon retard,
ne sont-ils pas là, disponibles,
et ne suis-je pas invisible ?
Si je n’existe pas pour eux,
n’en suis-je pas moins désireux,
ô lecteur patient, de te plaire ?
Comme diraient certains confrères…
— Voilà qui est fort bien traduit,
mais pendant ce temps nos amis,
nos personnages de ronflette,
ont pris la poudre d’escampette !
On ne saura jamais pourquoi !
Quel trou dans ce récit déjà
taraudé par trop de chapitres
étrangers même à notre titre !
Ah ! On est joli maintenant !
L’auteur se perd dans son roman !
Sur cinq colonnes dans la Presse !
Le traducteur le tient en laisse
et prend sa place pour sauver
un ouvrage qui promettait
mais qui ne tient que par miracle !
Vous faites de moi un spectacle
quand j’en suis le seul promoteur ?
Ce que vous appelez auteur.
Plagiaire ! Molière ! Classique !
C’est l’étranger qu’ici on nique !
Rendez-moi mes os et ma chair !
Et pas seulement d’avoir l’air !
Faux cul ! Merdeux ! Nobélisable !
Et ça n’est même pas aimable.
Rien que l’odeur, on sait qui c’est !
Chien écrasé ! Déguerpissez !
La liberté ça vous amuse,
mais c’est l’État qui fait des ruses
pour empocher le prix du Prix
des fois qu’on n’aurait pas compris
qui c’est le chef et qui qui gaule.
Ah ! J’en pleure sur ton épaule !
— Mais ils ne sont pas tous partis !
D’ici je vois un clapotis
et m’approchant sans qu’on m’arrête,
j’en compte cinq avec la bête.
Combien on en avait tué ?
— Je crois que cinq sans canidé…
ou six si Dédé d’aventure
n’a pas survécu aux blessures
que je lui fis avec le mur.
Je recompte pour être sûr :
1, Armande aux yeux en amande,
2, Justine aux superbes glandes,
3, Sanchaise sans sa moto,
4, Bébère et son auto,
5, je crois que c’est Gonzalèze,
et 6, Dédé avec la chaise
ou le mur ou bien rien du tout
si j’ai rêvé avant le trou
que tu as fait dans ma mémoire
en traduisant ma belle histoire !
— Tu comptes bien, mon Engeli !
Vise-moi ce beau clapotis !
Quelqu’un s’amuse sous la flotte.
Je sais qui si je m’asticote.
Approchons-nous de ce canal.
Entre biefs amont et aval,
à la poupe de la péniche
au ras de l’eau et sous la friche,
entends-tu ce léger glouglou ?
Jetons pour voir un gros caillou.
Ça nous rappellera l’enfance,
ses tristes désobéissances.
Et je l’ai à peine jeté
qu’il nous revient comme il était.
Engeli le prend dans la tronche
et d’un coup se vide les bronches.
Je vais l’arrêter de crier
quand l’eau se met à s’agiter !
Apparaît une main gantée
suivie d’une bouche édentée
et d’un pied qui veut se chausser.
La voix est celle d’un fausset :
« Qui perd ses couilles perd sa langue !
dis-je en riant à cet exsangue.
— Sapristi ! Venez donc m’aider !
C’est qu’on me retient par le pied.
On prétend noyer dans la flotte
mon savoir-faire et mes litotes !
— Mais qui donc si le compte y est ?
— Et bien plongez et vous verrez !
— Plonger mon nez dans cette ordure ?
Et mettre fin à l’aventure
par un trop injuste combat ?
— Mais le nez n’y suffira pas !
Vous êtes jeune et en croissance.
Je suis vieux, en déliquescence.
Que gagnerais-je à vous tromper
au point de vous assassiner ?
— Je me méfie de la justice
quand elle sort de l’immondice
pour nous redonner la leçon
d’une vraie collaboration…
— Alors trouvez donc autre chose !
Mais sauvez-moi de cette cause.
Mes amis sont partis sans moi,
n’ayant pas pu savoir pourquoi
je ne peux sortir de la flotte
pour moi aussi faire ribote
et finir ma vie en beauté.
— Ils ont trouvé ce lieu sacré ?
Permettez là que je m’étonne.
Des millénaires que personne
n’en a vu même le dessin.
Et avant pas un seul témoin,
ni sur les murs de nos cavernes
ni dans les rêves des Modernes.
— Mais ils n’ont rien trouvé du tout !
On suit les traces du toutou.
Et sans assurer sa bouftance.
Voilà ce qu’on sait de la science.
On n’a pas vraiment étudié,
mais on est vraiment inspiré.
— Qu’un toutou ait des connaissances
peut nous redonner la confiance
qu’on a perdue en cherchant trop
pour ne trouver que des morceaux
qui parlent quand on imagine.
Quel est ce toutou sans babines ?
— Mais c’est le toutou de Dédé !
— Kolos ne l’a donc point bouffé ?
— Pensez donc ! Kolos a des crises,
et de celles qui terrorisent,
mais il ne bouffe pas les chiens,
d’autant que Cristo se maintient.
Sortez-moi donc de ce cloaque !
Je vais y perdre ma barbaque
et me mélanger à des os
qui soutinrent des animaux.
Les miens méritent l’assistance
de votre belle adolescence !
— Chut ! Allons ! Voyons ! Taisez-vous !
Qu’est-ce qui vous prend tout à coup ?
Je suis censé être un adulte.
Ma jeunesse doit être occulte !
D’autant que je traduis un vieux.
— Je vous tiens comme je le peux…
ou bien délivrez-moi, jeune homme,
afin que je puisse tout comme
mes amis voir le Paradis.
Je ne veux pas rester ici !
Pourrir d’ennui sans cette angoisse
qui justifiait que j’ennuyasse ?
Je ne veux pas l’imaginer !
Ils finiront par me trouver
et me jeter dessous la terre
après l’autopsie nécessaire
à la tenue de l’instruction.
Je connais, c’était ma fonction.
Je fonctionnais dans le malaise,
mais je gagnais beaucoup de pèze…
— Que diriez-vous de clopiner ?
— La différence avec marcher ?
— Il suffit d’avoir une jambe.
— J’en ai deux et un entrejambe
il est vrai un peu mutilé.
Sans entrejambe on peut marcher ?
Disons sur une seule patte ?
Pas besoin d’être un automate
que d’ailleurs je ne suis jamais.
L’indépendance, c’est sacré.
Vous connaissez nos exigences…
— Je connais aussi l’élégance,
mais on n’en demande pas tant
aux magistrats de notre temps.
Revenons à votre guibole.
Voulez-vous que je la bricole
afin que vous puissiez marcher ?
Cela consiste à arracher.
Il faut bien sûr que ce soit celle
qui vous retient et vous harcelle.
— La chose est-elle sans douleur ?
— Les morts souffrent-ils du bonheur ?
— Je dis que non, mais je discute…
on vient à bout après la lutte
seulement si on a gagné.
— On ne perd rien à essayer.
— Je perds un membre mais je marche.
Enfin je clopine ou remarche.
Excusez-moi si c’est nouveau,
mais au palais, on est des veaux !
Ces questions de vocabulaire,
je dois dire, me désespèrent.
Tout enfant je mangeais des mots
pour me ménager le cerveau.
Mais est-il temps que je m’en lasse ?
— Je vous en laisse la grimace.
Laissez-moi faire et vous verrez ! »
Engeli arpentait le quai
sans réfléchir à nos affaires.
Ce tatoué documentaire
qui voulut être romancier
commençait à bien m’estimer.
Voilà pourquoi il laissait faire.
De mon côté l’imaginaire
inventait un achèvement
à la hauteur de son roman.
Sur le quai je trouvais un câble,
un crochet rouillé mais capable
d’arracher la jambe d’un mort
à je ne savais quels ressorts
que l’eau du canal et ses erres
cachaient dans ces fonds cinéraires.
L’opération ne dura pas
autant que le cri que poussa
notre mort promis à la course.
« Comment voulez-vous qu’on rembourse ? »
grogna Engeli agacé
par la plainte de l’amputé
qui sautillait sur sa gambette
sans doute pas à l’aveuglette
car il trouva rapidement
les traces perdues du roman.
Il retrouva vite la joie
du magistrat qui tient sa proie
au bout d’un article ou d’un fait.
« Je ne sais pas comment j’ai fait,
dit-il, sa fausse modestie
trahissant la même sortie,
mais j’ai trouvé du premier coup !
La chance est un banal atout
chez qui connaît par expérience
et non point dans l’exubérance
des propositions du hasard.
En termes clairs je suis un art
tiste vrai si par déférence
vous appréciez la différence. »
Nouant alors du pantalon
sans pourtant perdre son aplomb
la jambe qui du coup s’essore,
sur l’autre il éprouve et déplore,
malgré l’absence de douleur,
une handicapante raideur
qui limitera la vitesse
et fera de cette faiblesse,
s’il se souvient de ce qu’il a
retenu de ce que papa
lui a fourré dedans la tête
pour l’empêcher d’être poète,
tout le propos de cette fin
de roman comme le matin
remplace l’enfer des touristes
de la nuit et des fausses pistes
qu’elle a fait naître dans l’esprit.
Le tourisme des incompris
a fait long feu en la matière.
L’homme a besoin de lois impaires.
1 et 3 sont nos diviseurs
et nous survivons au malheur.
« Suivez-moi, petits personnages,
scande-t-il pour de ce verbiage
conclure la démonstration.
Vous serez l’utile bâton,
me dit-il flattant mon épaule.
Vit-on jamais dans ce beau rôle
autre chose qu’un traducteur ?
Quant à vous monsieur dit l’auteur,
au pied levé je vous remplace,
car vous n’avez pas la surface
malgré le détail du tatou.
Vous n’avez pas l’art du bagout
qu’exige cette sage épode.
En tout il faut de la méthode,
car le discours doit resservir
toutes les fois que le désir
s’en prend aux mœurs et aux usages
pour en changer les arbitrages.
A la fin c’est un magistrat
qui en impose le substrat.
Vous voulez lire nos poètes ?
Posez votre œil sur la lorgnette
qu’on trouve au seuil de nos palais.
Dans la fente un sou neuf mettez
et renouvelez cette offrande
chaque fois qu’on vous le demande.
L’Art est un cas du fait divers.
Vous voulez écrire des vers ?
C’est dans le cul que la lorgnette
trouve le meilleur des poètes.
Inspirez-vous de cette Foi
et versifiez avec la Loi.
L’Ode doit être nationale
et la Piété toute filiale.
Le Devoir est dans la mémoire
et la Mémoire est notre histoire.
Poésie qui rien ne respecte
est condamnée par l’Architecte
à n’être qu’exemple qu’on fuit
pour ne pas avoir des ennuis. »
Oyant ça, Engeli ricane.
Il se nourrit de la chicane
quand elle prétend lui donner
des leçons et lui proposer
les séjours mettant en lumière
les ombres de nos cimetières.
Il empoigne le juge au col
et en agite le licol :
« Sur une patte la Justice
prétend ici se mettre en lice ?
L’adversaire en rit follement !
Savez-vous ce qu’est un roman ?
Pensez-vous que sans psychopathe…
— Mais j’ai longtemps dans ma Deux Pattes
pallié le défaut d’érection !
Bander ou pas, c’est la question,
mais qu’aurais-je bandé, poète ?
D’ailleurs je devine une bête
pas piquée des vers dans ce slip…
je reconnais que votre trip
a l’avantage d’un voyage,
même si la nuit le partage
avec les démons de l’humain.
Puis-je un instant mettre la main
sur cette érection prometteuse ?
N’en suis-je pas l’entremetteuse ?
Car vous bandez en me voyant.
N’est-ce pas plutôt écoutant
ce qu’il faut bien que je promette
même au plus mauvais des poètes ?
— Je te la mettrai dans le cul
dès que tu m’auras convaincu
que l’Enfer existe sur terre.
Montre-le-moi et je t’opère !
— Et bien suivez-moi, les amis.
Nous voilà tous les trois partis
pour un improbable voyage.
Je vous en fais, des avantages !
Mais juge-t-on sans rien violer ?
Le singe d’Ésope a parlé !
Et que pas un ne compatisse,
car il faut que ce soit Justice
qui vous enseigne l’imparfait.
Ah ! Il fait chaud comme en été !
Enfin, si j’en juge à vos trognes,
car je ne suis qu’une charogne. »
Nous discourions depuis un temps
qu’il m’est difficile pourtant
de mesurer tant cet espace,
où nous allions laissant nos traces,
nous parut proche du désert
sans en avoir, comme on s’y perd,
l’immensité ni les mirages.
Ignorant le kilométrage,
nous avancions dans un couloir
aux parois faites de tiroirs
et non de portes comme au claque.
Rien de ludique ni d’orgiaque.
On ne voit ça qu’au cinéma
et encore en n’y allant pas.
Bébère avançait sur sa patte,
laissant de douloureux stigmates
sur mon épaule et Engeli
nous précédait, vae soli !
Je me plaignis qu’après l’essence
on nous servît des apparences
dignes peut-être d’un tableau
à accrocher chez les barjots,
alors que je jouissais encore
d’une santé plutôt offshore.
On m’a promis des accidents,
et j’ai même des précédents,
mais de là à me mettre en quatre
pour apprécier qu’on s’opiniâtre
à donner une conclusion
en tournant le dos à l’action
qui jusque-là et par principe
s’adressait plutôt à vos tripes,
c’était vraiment me demander
plus que je ne pouvais donner.
Pourtant plus têtu qu’une mule,
et malgré quelques vieux scrupules
qui remontent des profondeurs,
j’essaie d’oublier la douleur
et la menace de gangrène
qui n’aura pas beaucoup de peine,
et me voilà tout sautillant
sans savoir où le jugement
prévoit de nous remettre en cage,
cette fois au bout du voyage.
« Là ! Tout doux ! Petit diable fou !
proteste Bébère à genou
pour montrer qu’il se désespère.
Je n’en ai qu’un pour la prière.
Un deuxième n’est pas de trop.
Agenouillez-vous et au trot !
Il ne sert à rien qu’on se presse.
Oui, c’est à vous que je m’adresse !
— M’agenouiller avant trépas ?
Engeli en profitera
pour me piquer toute la crème.
Je ne veux pas être deuxième !
Debout, j’en veux pour mon argent.
— Ma foi, ce n’est pas tout le temps
que le damné se met en tête
d’arriver premier à la fête !
Puis-je monter sur votre fion
comme Anchise sur son fiston ?
Rassurez-vous, je suis eunuque.
Ainsi Justice nous éduque,
car souvent nous sommes contraints
de vous monter prenant le train
en direction de l’assistance.
— Monte là-dessus sans décence
et accroche-toi à mon cou.
Allez vite ce n’est pas tout.
Encor faut-il aller ensemble.
— Voilà, mon fils ! Tu me ressembles !
Tu traduiras comme je veux
et non point comme tu le peux.
Tel est le principe du père
et tel du fils le corollaire.
Ah ! Que ça devient compliqué
d’assurer la sécurité ! »
Et tout empli d’humeur filiale,
je pris le swing de la cavale
pour modèle de ma fonction.
On a déjà décrit l’action,
aussi je vous en fais l’épargne.
Parlons seulement de ma hargne,
car je me montrais combatif,
à la hauteur de l’affectif
qui me titillait la cervelle.
J’ouvris tout rond mes deux prunelles
pour ne rien rater de l’enjeu.
« Ah ! Tu vas faire des envieux !
Ou comme on dit, jurisprudence.
Après une vie d’abstinence ! »
jubilait Bébère à cheval,
houspillant de loin mon rival.
Il en avait pris de l’avance
mon Engeli partant de France !
Cependant que mon cavalier
piquait des deux mon pédalier.
Crachant mes spermatozoïdes,
plus volontaire qu’intrépide,
la distance je réduisis
sans avoir besoin d’ecstasy.
J’étais à pas plus de dix mètres
de la présence de mon maître,
quand je m’aperçus hébété
qu’il était nûment arrêté !
J’en fis valser mon amazone
qui s’étala hors de la zone
dans un vacarme de tiroirs.
Et qui je vois dans un miroir ?
Dédé comme une madeleine,
condamné à la même peine.
Engeli du doigt me fait chut
et me montre une bête en rut,
rouge vif comme une ferraille
qui sort du feu dans les tenailles
pour être aplatie au marteau.
Il en bande ses biscoteaux,
prêt à défendre sa décence.
Elle est dressée sans déférence
pour cette excessive fusion.
Dédé à poil répète « Non ! »
sans expliquer ce qu’il veut dire.
Du coup, féal, je veux traduire,
mais Engeli dit aussi « Non ! »
n’expliquant pas mieux la raison
de ce refus devant la bête
qui s’en déchire sur la tête
tout ce qu’elle a comme tissus.
Attendez pour être déçus !
Je l’étais déjà je dois dire,
car je voyais bien que l’empire
sous lequel la bête fumait
n’était pas des sens le sujet !
Bientôt ce fut une carcasse
qui s’effondra dans la grimace
la plus horrible que jamais
de voir il ne me fut donné !
J’en tombais sur mes deux rotules.
Pendant que j’étais incrédule
et quelque peu estomaqué,
Dédé chialait comme un bébé
qu’on a privé de sa sucette.
Engeli finit sa branlette
et voit ses gouttes sur le corps
de la bête fumante encor
du désir qui l’a consumée.
Il fait chaud, j’en ai la suée.
« Tu traduis mal, dit Engeli.
On peut se faire du souci.
— Moi je m’en fais plus que les autres !
dit Dédé mesurant les nôtres.
Ah ! J’aurais tant aimé brûler !
— Ce pauvre type est calciné
d’autre chose que l’appétence, »
dit Engeli que le silence
aussitôt enfouit dans sa nuit.
« Mais qu’est-ce que j’ai mal traduit ? »
dis-je enfin pour briser la glace.
Par terre fume la carcasse.
Dédé du bout de son bâton
tâte pour voir s’il a raison.
Alors on voit à sa grimace
qu’il est convaincu à ma place,
car je ne comprends rien du tout.
« Vous êtes complètement fous ! »
dis-je pour dire le contraire.
Un tiroir s’ouvre et c’est Bébère
qui m’explique comment on fait
quand on est à ce point paumé.
« Est-ce que je brûle moi-même ?
dit-il caressant mon œdème.
Les morts ici ne brûlent pas.
Pour ne point brûler ici-bas,
il faut être mort et bien raide !
Il n’y a pas d’autre remède
au feu qui brûle les vivants.
Mourir, ce n’est pas bien savant,
mais une fois mort on résiste
à ce feu d’enfer qui consiste
à éterniser nos défauts
pour que le vrai soit enfin faux !
Mais est-ce que tu imagines
que le faux qui nous incrimine
devienne vrai avec le temps ?
Le faux est vrai ! A quels tourments
on voit bien que l’humain échappe !
Mais qui donc happe, jappe et lape ?
Car nous en deviendrions fous !
Le faux est faux, un point c’est tout.
On n’en fait pas un mélodrame.
Mais le vrai une fois sans âme ?
Tu ne sais pas, tu brûlerais
si le feu t’en était donné,
comme ce bougre l’expérience
en a fait par manque de chance…
— Mais je ne brûle point pourtant !
Preuve que je suis bien vivant ! »
dis-je en pensant à autre chose.
Alors mes compagnons explosent
d’un rire qui me donne froid,
autre preuve que quant à moi
je me sentais clair et vivace.
« Voyons, Mickey ! Grosse conasse !
Si tu vivais comme tu dis,
ne brûlerais-tu point ici
comme l’a fait ce pauvre type ?
— Nous sommes morts ! C’est le principe ! »
hurla Dédé en se jetant
sur le cadavre encor brûlant
que j’avais pris pour une bête,
mais qui avait été poète
comme l’on dit des malheureux
quand on ne sait vraiment rien d’eux.
Il en étreignit la poussière
sans prendre feu, comme Bébère,
langue dehors et souriant,
caressait d’Engeli le gland
avec le feu d’une allumette.
« Il faut, Mickey, que tu l’admettes :
nous ne brûlerons plus jamais.
— Mais qui c’est ce mec tout cramé ?
— C’est Antraxe ! Encore une faute
de Verju dont c’est la marotte !
Il va être furieux, Charon ! »
Bébère joyeux et bouffon
dansait autour du macchabée.
Dédé fier comme un sigisbée
chercha dans le sable une fleur,
mais n’en trouva pas la couleur.
La Lune était à l’hypogée.
C’était le ciel, la destinée.
Mort entre le juste et le beau.
Engeli me tourna le dos
et reprit sa marche têtue.
Par terre des traces pattues
s’éloignaient dans ce long couloir
bordé, je l’ai dit, de tiroirs.
Trois roues zigzaguaient dans le sable.
Quant à faire un compte fiable
des pas qui brouillaient ces sillons,
c’était œuvre d’écrivaillon.
Ma fiction resta lettre morte.
Pourquoi des tiroirs, non des portes ?
demandai-je sans obtenir
la glose qui m’eût fait plaisir.
Bébère enfourcha mon échine
qu’il menaça de sa badine.
Dédé cherchait des petits pieds,
disant qu’il n’avait pas rêvé,
ce qui fit rire tout le monde,
mais pas plus de quelques secondes
qui gouttèrent comme le lait
au bout du téton accablé
d’une nourrice trop secrète
pour montrer toutes ses facettes.
J’allais ainsi, tergiversant,
sans susciter d’autres romans
que le contenu exemplaire
de ces tiroirs conçus pour plaire,
selon ce que j’imaginais.
Cependant, défiant, je n’osais
en ouvrir un, tentant la chance
ou n’importe quelle exigence
des géométries du hasard.
Quelquefois c’est ça, l’art de l’art.
Mais qui écoutait ces paroles ?
Chacun semblait avoir un rôle
à jouer selon la teneur
de son esprit et de ses mœurs,
comme l’idiot dans son théâtre,
avant de céder, idolâtre,
à la formidable pression
d’une dernière explication.
Pendant que Bébère bouffonne,
connaissant tout de l’interzone
où nous attendions d’en finir
avec la foi et le désir,
Engeli commentait la suite
de sa geste jamais écrite,
Dédé voulait nous retrouver
les traces d’un signe rêvé
dans une fiction collective,
et moi, goûtant l’alternative
de mes portes et des tiroirs
qui pourquoi pas, autres miroirs,
m’appartenaient comme héritage
d’une erreur de boursicotage.
N’ai-je jamais joué en grand ?
N’ai-je joué que sur écran ?
Seul ou avec d’autres augures
de la trop humaine aventure
qui finit dans un cul-de-sac.
A la fin on pousse le couac
par manque de vocabulaire.
Le silence des cimetières
ne s’explique pas autrement.
Nous y mourions depuis longtemps,
mais par un supplément d’attente
voilà que je m’expérimente
une dernière fois pour tous.
Salade ! Aberatio ictus !
Cendre ou momie, je me réveille !
Encore une de ces merveilles
que la nature, en attendant
je ne sais quel abaissement
de sa puissance devant l’homme,
m’inflige comme un petit somme
précurseur de l’arrêt du cœur.
Et pour proposition de chœur
quatre minables personnages
dont moi-même pourtant en âge
de faire mieux que les Titans
relativement aux parents.
Mon action était légitime
et pourtant je commets un crime !
C’est l’explication des tiroirs.
Et je finis dans un mouroir
avec un tuyau dans la bouche
et dans l’air un produit tue-mouche
économique et souverain.
En écoutant, on n’entend rien.
Ne tuez pas tous les insectes !
La mort est tellement infecte
qu’il en faut pour tout nettoyer.
Et pas besoin de les payer,
sinon leur laisser nos dépouilles
sans leur parler de votre trouille,
des fois qu’ils entendent aussi
de quoi sont faits tous nos récits.
Tuez-les mais avec mesure,
exactement comme on biffure
pour que le texte soit exact
au rendez-vous des artefacts
dont nous peuplons les succursales
de nos conquêtes coloniales.
Ici prend racine et comment !
le quatrième de nos chants,
suivi je crois par un cinquième,
car la fin de celui-ci même
est le début d’un autre opus,
alors que c’est dans le corpus
de ce troisième que s’insère
un quatrième, nécessaire
tant qu’il relate le comment
de la chute de ce roman
dans le vulgaire imaginaire
d’une conscience populaire
encore éprise des passions
imposées par la religion
de la famille et de la terre.
Et du travail qui rémunère…
ces civiles dispositions
polluent tellement ma raison
qu’il faudra que je m’en explique
avant de mourir agnostique
dans quelque havre dit de paix
loin des oasis tant rêvés,
sable et eau de mes seuls voyages
aux confins de mes crayonnages,
car l’Arabie est mon exil.
Mais au diable l’Etat civil
et l’attrait de ses anathèmes !
Laissons donc à ce quatrième
chant le soin de nous raconter
détails et casualités
de ce voyage qui s’achève
au seuil du meilleur de mes rêves,
capitale Pandémonium,
grand-messe des crématoriums.
Et achevons ce bon troisième
que le pharisien Nicodème
inspire à nos petits arpions
si vous n’y voyez d’objections
à opposer à mon système.
C’est donc la fin du quatrième
que je propose maintenant
pour continuer mon roman
dont je sais bien qu’il s’intitule :
omoplates et clavicules.
« Mais c’est-y pas ma chtouille à poil
qui me léchouille le bocal ?
Ah ! Merde alors ! Je bringuebale !
Sous le menton que j’ai les balles
tellement ça me rend heureux !
Ah ! Des fois je veux croire en Dieu
et cirer ses pompes funèbres.
Ça me raidit dans les vertèbres
la joie que ça me fait de voir
que tu n’oublies pas tes devoirs.
Le meilleur de mes accessoires !
J’en crevais moi que notre histoire
se termine en queue de poisson.
Juste au moment où la boisson
en finit avec la matière
que paraît-il on a derrière
parce qu’autrement c’est devant !
Ah ! Le même et plus comme avant !
Ni plus ni moins, de la barbaque
en elle-même aphrodisiaque.
Moi aussi je veux te lécher
et jouer avec ton hochet !
L’amour, dit-on, donne des ailes,
mais c’est ma queue qui fait la belle !
On m’aurait dit, je n’y croyais !
J’exigeais d’en être payé
avant de me mettre à la patte.
Viens par ici, mon psychopathe !
— Un tel raffut réveillerait
même les morts pas encor nés !
— Encornet toi-même hé malade !
Assez soupé de tes salades !
Et qui qu’est mort, qui qu’est vivant !
Ah ! C’est vraiment très motivant
pour en avoir encore envie !
Ne vois-tu pas qu’il est en vie ?
Et pas cramé, le poil luisant,
la griffe alerte et le cul blanc ?
Regarde encore et rends-toi compte.
Ah ! Il a fallu qu’il m’en conte
de ses fables qu’on dort debout !
J’en ai encor le mauvais goût !
Tu en conclus quoi, humaniste ?
Que les morts aussi ça existe ? »
J’en avais ouvert un tiroir !
Mais sans mesurer son pouvoir
sur la suite de la chronique.
Devinez qui ainsi rapplique
juste pour la contradiction ?
Ah ! Ça vaut comme explication !
Juste pendant que je disserte
sur des choses qui déconcertent
en général le philistin.
Si ce n’est pas ce vieux mâtin
de Cristobal en pleine forme !
« Ben alors ! Il est dans la norme,
dis-je en lui tâtant le museau.
Ce qui vaut pour l’homme aussi vaut
pour la bête qui n’a pas d’âme.
Et ça vaut aussi pour les dames.
Il est mort et ne brûle pas.
C’est la règle encore ici-bas.
On ne change pas ce qui marche
selon la même et vraie démarche !
C’est que je connais mon sujet !
— Ah ! Pardon, mais sans m’insurger,
dit Bébère en prenant la bête
pour témoin de sa devinette,
mais je me pose la question
sans y mettre de l’abstraction,
comme vous prétendez le faire.
Car qui dit bête, je l’espère,
dit que c’est sans âme qu’elle est
là où nous sommes tels qu’on est.
Dans ce cas elle est bien vivante !
— Et comment qu’elle est consentante !
grogne Dédé qui la lui met.
Pas vrai, Cristo, que tu permets ?
Preuve qu’on jouit de l’existence.
Et méfions-nous des apparences.
Dis-leur qui a foutu le feu
à Antraxe croyant que Dieu
contre lui était en colère.
Car l’assassin est bien sur terre !
— Cela mérite une instruction ! »
s’écrie Bébère dans l’action.
Engeli a pris ses distances.
Il arrivera en avance.
« Je suis vivant ! Vous êtes mort ! »
dit Dédé secouant le corps
de Bébère qui se fragmente
tandis que la chaleur augmente.
« Je n’irai pas où vous voulez ! »
hurle Dédé tout remonté
contre la sentence funeste.
Et Cristobal lèche ces restes
en attendant de les croquer,
croit-il, en toute liberté.
Et Engeli me fait des signes.
Je comprends tout, mais je rechigne
et je commence à en ouvrir
de ces tiroirs pour les remplir
en vrac des morceaux de Bébère
qui l’un après l’autre par terre
tombent tandis que le Dédé
secoue le mort comme Bébé.
« Faites ce qu’il faut ! dit Bébère.
On est encore sur la Terre ! »
Cristobal me montre les dents.
Pourrait-il en être autrement ?
J’allais me battre pour défendre
ce qu’un chien ne peut pas comprendre
quand j’entendis ce qu’Engeli
voulait que je comprenne aussi.
Il gesticulait, ce fantoche,
pour me mettre dans la caboche
que j’allais me battre pour rien
contre cet impossible chien.
« On est arrivé, ma femelle,
disait-il à sa haridelle.
C’est toujours au bout du chemin
qu’on pense à se laver les mains.
Si j’avais su, moi poétique,
j’aurais peaufiné ma critique
avant de passer à l’action.
Mais je manque d’éducation.
J’aurais dû naître chez les riches,
mais je suis le chien de ma niche.
J’aurais éprouvé la passion,
aimé dans la femme l’action
et la morale pour ses grâces,
mais j’ai toujours fait la grimace
chaque fois qu’on m’a demandé
de bien vouloir jeter les dés
avec le cornet de l’esclave.
Et voilà comme je les lave,
ces mains qui n’ont jamais tué
qu’un temps pas même évalué
pour ce qu’il vaut de privilèges.
Mais qui de ces êtres trompais-je ?
Car les voilà au rendez-vous,
comme prévu par les époux
qui copulèrent dans la masse.
Comment éviter ces carcasses
sur le chemin de nos combats,
ô ma seule fille ici-bas ?
Qu’encore je califourchonne
ta belle échine de patronne !
Ces os craquent sous tes sabots
et je trouve toujours ça beau !
Nous avons du chemin à faire
pour arriver à tout refaire,
si tant est que c’est un roman,
ce que revivent les amants
quand il est trop tard pour le dire.
Tu vas encore me maudire… »
Ce qu’il monte est une moto !
Et il pose pour la photo.
Le Perfecto clouté d’étoiles,
distinctement il se dépoile
tout le devant, montre ses seins
que gravissent de noirs dessins.
Dans la bouche la langue brille
de l’argent des dents où croustille
un long Partagas Ernesto,
mucho más que medio alto.
Ça fait longtemps que la fumée
ne m’a pas troublé les idées.
Les 2 cylindres sont en V !
Merde alors ! Mais, c’est ma Harley !
« Mais où donc que tu l’as trouvée ?
Je ne veux pas l’avoir rêvée.
Tu savais qu’elle était ici ?
Mais où sommes-nous, mon ami ?
Quel est ce pays de Cocagne
beaucoup plus sain que la campagne ? »
Ce que j’en posais des questions !
Que voulez-vous, c’est l’émotion !
« Ma bécane rouge menstrues !
Mais je la croyais disparue !
Par quel prodige je la vois,
montée par un ami à moi ?
Je suppose que le Havane
est vendu avec la bécane
en attendant de rejouer…
— Et je l’ai faite réviser.
Écoute ça, os de poulette !
— Ah ! C’est à en devenir bête !
— Et encore je me retiens.
Ce gros cul a vraiment du chien.
— Ça gaze mieux que le trombone
un jour de jazz avec bobonne !
Attends-moi, ne pars pas solo !
— Je vais t’en faire du vélo ! »
J’étais heureux comme une fille
qui devient mère de famille
sans le consentement des vieux.
Ah ! Tu parles si ça va mieux !
A deux doigts que je désespère.
Je me suis souvent fait la paire,
même sans savoir où aller,
mais au moins j’avais un billet.
J’avais mangé trop de racines,
avant même qu’on se débine.
Je me voyais mort sans sursis,
arrivant au bout du récit
sur des pieds pas vraiment solides.
A quoi rimait ce ton fétide
et cette haleine de tubard ?
Si la route tue le motard
est-ce la faute à la vitesse
ou au manque de politesse ?
Je me traîne sur les genoux
en direction de mon bijou.
« T’as même retrouvé mes bottes !
Ah ! Tiens ! Ce soir, je te dorlote.
Je sais pas où on va coucher,
mais je prépare le hochet.
— Monte, Mickey ! Car je t’emmène.
— Que j’aime les fins de semaine !
Vive le salaire et le fric !
Cette fois c’est un trobar ric.
— En attendant plus hermétique,
fait Engeli qui ne s’explique.
On verra plus tard pour le sens.
Tityre semper recubans.
Il faut choisir entre la pêche
et les voyages dans la dèche.
Entre le tort et les travers.
C’est vivant qu’on bouffe les vers,
en attendant qu’on s’asticote.
Allez ! Accroche-toi, mon pote ! »
Ah ! Le concert d’échappement !
Il sait achever les romans,
Engeli dur de la poignée
qui change notre destinée,
et même comment ça finit.
Dédé veut venir lui aussi,
mais Cristobal commence à peine
à apprécier l’énergumène
qui fut magistrat au Palais.
« Je veux avec vous y aller,
dit-il en se tordant les pognes,
mais Cristobal, pour la charogne,
éprouve de beaux sentiments
que je ne peux fort justement
trahir sans lui laisser des traces.
Dès qu’il a fini la carcasse,
et sans doute la digestion,
on revient donner à l’action
ce qui manque à votre génie.
Car si pour la photogénie
vous avez l’art d’en avoir l’air,
reconnaissez que pour l’Enfer
vous présentez bien des lacunes.
Je vais faire votre fortune
dans un chant qui sera le six,
si j’ai pigé le synopsis.
Car ce roman, en deux parties,
dont je suis, disons, la pythie,
proposera au fin lecteur,
qui connaît déjà son auteur
et la moitié de l’entreprise,
l’autre moitié et ses surprises,
lesquelles nous enfermerons,
si toutefois le veut Charon,
dans trois autres chants aussi riches
en poésie et en pourliches,
car Poésie sans intérêts
ne vaut pas même d’en rêver.
Contez, chantonnez, auditoire !
L’art nouveau est compensatoire.
Au chant IV on prend le Palais.
On verra comment ça se fait
avec détails fort pittoresques
et amusements barbaresques.
Au V comme Ulysse, Aenus
et tant d’autres olibrius,
nous entreprendrons un voyage
dont je vous passe les carnages,
les orgies et les moments forts.
Et enfin au bout de l’effort,
tout savants d’avoir, géomètres,
connu tout ce qu’on peut connaître,
le VI nous fera pénétrer
dans cette bouillie de cloîtrés
qui est le centre de la Terre
et la fin de nos commentaires.
Jules Verne peut donc aller
dans sa goélette rêver
à des temps moins aléatoires.
Assez de temps perdu, mémoire !
Car nous sommes tes étrangers.
— Mais nous n’y pouvons rien changer ! »
s’exclame Engeli qui enclenche
la première ce qui déclenche
le vrombissement de l’engin
comme Bébé hors du vagin.
Harley bondit comme Pégase.
Pas même le temps d’une phrase
pour immortaliser l’instant
et la Méduse perd son sang,
si j’en crois la vieille légende…
et plein d’entrain j’en redemande !
Engeli-Persée là-dessus
remet les roues, plein gaz ! Sus ! Sus !
Et ça gicle de la tripaille,
du sang et de la boustifaille !
« Qui c’est qui vole ma moto
et qui me la rend assez tôt
pour en crever comme Méduse ?
Salaud ! Merdeux ! Et ça s’excuse !
Tiens, je te montre comme on fait
quand on prétend être parfait ! »
Ah ! Le mec ! On te l’écrabouille
du gros orteil jusqu’à la bouille.
S’il n’est pas mort, je suis vivant !
Ce qu’il en reste, c’est du flan.
Cristo appréciera les fuites
que la rupture des durites
et l’éclatement des paliers
ont provoquées pour augmenter
son appétit de nécrophage
aigri par les effets de l’âge.
Le lecteur sain aura compris
que le mec qui paye le prix
c’est le voleur de ma bécane,
et non point Dédé qui ricane,
sans toutefois y patauger.
« Cristobal a trop à manger !
Mettez fin à cette série
pour le bien de la Confrérie.
Ce pauvre voleur de moto
n’a pas que la peau sur les os !
Cristobal qui est gastronome
s’acharnera sur le bonhomme
malgré l’estomac bien rempli.
On imagine le vomi !
Ainsi procèdent boulimiques
méprisant toutes les critiques
et annihilant nos efforts.
Le chant VI deviendrait alors
la tragédie de votre attente
au seuil de la dernière pente.
Je ne vous souhaite pas ces fers,
les plus terribles de l’Enfer. »
Disant cela, avec sa pelle
il rassembla chair et cervelle
en un petit tas désuet.
« Cristobal aura vite fait
d’avaler ces maigres provendes,
dit Engeli. — Que Dieu t’entende ! »
répond Dédé et nous partons
comme papa et son fiston.
L’air devient rouge, épais, tangible.
Nous devons être incombustibles.
« Ah ! Cette moto est d’enfer !
Elle file comme l’éclair
et pas une trace de chauffe !
Moi qui craignais la catastrophe.
On arrivera les premiers.
J’ai fait le plein, et le dernier !
Écartez-vous, analphabètes !
Mickey 2e arrive en tête
du dernier Tour sans avoir chaud ! »
Vraiment grandiose était le show !
A coups de pied dans le derrière
qu’il écartait ces incendiaires,
Engeli chaussé de mes deux
rangers pur-sang et prodigieux.
Il écrase les plus modestes
sans demander ce qu’il en reste.
Les résistants, de son pétard,
il leur montre ce qu’un motard
en fait quand la guerre l’énerve.
« Ah ! Vous avez flingué Minerve !
Maintenant brûlez en Enfer,
apologistes de la chair ! »
Sur la selle, moi, je jubile !
Je m’en prends même à un débile
qui veut m’échanger son billet.
« Chacun sa peau, vil employé !
Prends dans la gueule mes épodes
sans rien comprendre à la méthode.
Tu veux dormir et t’amuser
et avec ton travail payer
ces occupations de carpette ?
Tu ne seras jamais poète !
Pas même astucieux parolier.
Et le bourgeois est chevalier
de l’industrie qui t’alimente.
Ah ! Tu veux vivre de tes rentes !
Mais il est trop tard, caudataire,
pour étudier et pour refaire.
— Compassion ! Je ne savais pas !
Pitié, mon fils ! Mea culpa ! »
Vraoum ! Les pneus sur les ratiches !
Sa tête explose et sa barbiche
met ses poils entre les ailettes.
Ça grésille et ça sent l’arpette
qui s’est trompée de liberté
sous prétexte d’égalité.
Des milliers, des millions de frères
qui se collent devant derrière
en se plaignant que c’est trop tôt,
que la vie c’est quand même beau
et que Dieu sans doute il existe !
Rien que des pensées altruistes
maintenant qu’il faut réfléchir.
S’amuser, dormir, s’enrichir,
disait papa faisant la grève.
Et voilà comment ça s’achève,
brisés par la réalité.
Moi, j’y voyais de la beauté,
comme jamais je l’avais prise
pour le cœur de mon entreprise.
Ils avançaient, on dépassait.
Mais qui allait nous arrêter ?
Vroum ! Sur la belle américaine,
Engeli et moi, capitaines
de ce Cutty Sark du malheur,
diaspora après la douleur.
Crac ! Broing ! Sur les os de l’enfance
et dans la chair des apparences
à l’âge de n’avoir plus l’air !
On est aux portes de l’Enfer,
cette fois sans les pédagogues
ni les rimailleurs de leurs gogues
qui scribouillent nos torche-culs
pour qu’on n’ait pas l’air trop vaincu.
La ville est ouverte, zenfants !
Sauve-qui-peut ! Et maintenant !
Ça la fout mal, ces saint-frusquin
en plein foirail républicain
et trempette dans la royale
chienlit des promesses papales.
Papa et Maman, chiasse au cul,
n’y eussent pas, s’ils avaient su,
cru comme on croit à la nature.
Mais c’est trop tard pour l’aventure !
Et Mickey arrive premier
après Mouse pour se torcher
et laisser au Monde sa trace.
Que voulez-vous que ça me fasse
du moment que je crois en moi ?
Heureusement, je m’aperçois !
Je crois en Dieu ! Je crois en l’homme !
Et pourquoi pas au gentilhomme
et au mythe de Saint Phénix !
Ah ! Le donec eris felix
a encore des jours à vivre !
Ça paraît clair, mais il faut suivre.
Sans Harley tu couches dehors.
Et bonsoir l’hygiène du corps
qui est toujours ce qu’on possède
avant de jouer Ganymède
au banquet de nos bons bourgeois.
Mais basta ! Engeli et moi,
à part écraser des minables,
on avançait, abominables
et toujours plus proches du vrai.
Si on était vraiment crevé,
autant se travailler la place
avec les outils du Parnasse.
De l’Art pour l’Art et dent pour dent !
On ne risque pas l’accident.
On préfère le coq-à-l’âne.
On dépasse la caravane
et nous voilà devant les fours.
Engeli me propose un tour
afin de me faire une idée
de l’ampleur de la Destinée.
« A moto, on a vite fait.
Tu vas voir, ça fait de l’effet.
— Si c’est encore des promesses,
autant qu’ici je me confesse.
Je n’aime pas nous voir souffrir.
— Si tel est ton dernier soupir,
prenons un billet à la caisse. »
La guichetière nous adresse
ses vœux d’une voix qui en dit
long sur ce que le Paradis
est à côté de la Géhenne.
« Je sais, je vous fais de la peine,
me dit-elle en comptant mes sous.
Nous on chauffe tout le dessous
et au-dessus c’est l’Empyrée
où je ne suis jamais allée
tellement c’est dur à payer.
Ici, on n’a que le loyer
et la gratuité des poubelles.
— Ouais, mais alors, ma toute belle,
où je vais moi, c’est pour chauffer ?
C’est que je voudrais profiter
avant action définitive.
La connaissance acquisitive
à personne ne fait de mal.
Si le projet n’est pas thermal,
je demande à revoir les clauses.
Discuter avant toutes choses,
j’ai appris ça dans la Cité.
— Dans ce cas faut solliciter.
L’ambiance est plutôt kafkaïenne
côté des ressources humaines.
On attend des fois Saint Glinglin
des années et c’est Saint Frusquin
qui veut consulter l’inventaire.
C’est gratuit pour les fonctionnaires,
payant selon qu’on a été
ou qu’on a eu, foi au cachet.
Sans droit il faut qu’on vous enfourne.
Avec il se peut qu’on séjourne
jusqu’à ce qu’on n’en ait plus droit.
Vous voulez un ticket ou pas ?
Hé ! C’est que j’ai la caisse à faire
et un rendez-vous éphémère.
— Ah ! Mais qu’est-ce que j’ai payé ?
Juste le droit d’être cramé ?
Avant même qu’on m’asphyxie ?
Sans perspective d’autopsie ?
Je ne suis pas venu pour ça !
— Fallait venir avec papa.
— Fallait le dire avant le crime !
Si j’avais su que la victime
déterminait le droit d’entrer
et de sortir à volonté,
mais je n’aurais tué personne !
— Des fois la vie on empoisonne
avant même d’en apprécier
les détails qui nous font rêver.
— J’ai l’impression que l’on m’encule !
— C’est Engeli qui affabule.
C’est son boulot d’affabuler.
— Et en plus je suis bien payé.
— Tu veux dire que cette fable,
qui s’achève dans l’incroyable,
c’est pour moi que tu l’écrivais ?
— Les vers n’en sont pas si mauvais.
— Et bien madame la caissière,
j’ai changé d’avis et j’espère
que je vais encor rigoler.
Veuillez rembourser mon billet !
— Je n’ai pas dit que c’est possible…
le Temps étant irréversible,
selon du moins ce que j’en sais…
— Je ne l’ai pas même touché !
Jamais servi ! Très remboursable !
On le dit et c’est vérifiable.
— Vous vérifiez sans le savoir.
Et vous ne donnez rien à voir. »
Ma foi, cette garce minaude !
La comprendre n’est pas commode.
Engeli coupe le moteur
et m’enlève mon débardeur.
« Il n’aime pas le tatouage,
dit-il respectant un usage
dont j’ignore les conventions.
Ce mec est bâti pour l’action.
— Peut-être, dit la receveuse
qui devient vraiment très nerveuse,
mais l’action sans les résultats,
un bon savoir ça ne vaut pas.
— Montre-lui comment tu t’admires,
fait Engeli qui me déchire
le pantalon de haut en bas.
— Tu voudrais que je fasse ça
sans que personne ne m’excite ?
La solitude, je connais,
mais sans témoin sous le harnais !
— Tu appelles ça une bite ?
se plaint la grosse guichetière.
— Je pourrais mais je désespère ! »
dis-je me caressant le poil
qui commence à griller fatal.
Elle s’enfonce dans son siège
et recommence son manège :
« Porte K ! C’est déjà payé !
Non, ce mec n’est pas assuré.
Au suivant, que j’en ai ma claque !
— Je suis victime d’une arnaque ! »
Mais dans ces cas, c’est bien connu,
plus tu gueules moins on t’a vu.
Deux gros cerbères se saisissent
de mon petit corps sans pelisse
et à poil me mettent devant
une porte dont les battants
rougeoient blanc tellement les flammes
connaissent leur méchant programme.
Puis l’un d’eux ouvre le brasier
où l’autre prétend me jeter
non sans un mot de bienveillance.
Et pour ne pas laisser la chance
lui passer sous le nez il met
son plus gros doigt dans mon fessier.
Il en bave, le maléfique.
En plus il a l’air colérique.
Mais il est doux et empressé.
J’allais en pleurer d’essayer
quand une voix le décourage
et il retire son outrage
en s’excusant d’avoir mal fait.
« Ah ! Vous reconnaissez les faits ! »
dit la voix toujours péremptoire.
Je ne sais pas dans quelle histoire
je me suis encore fourré,
mais sans vouloir trop me gourer
j’ai l’impression que c’est le style
de notre vieil ami Virgile.
Et il est là, en chair et os,
avec sur la tête un bitos
et rien dessus jusqu’à ses lattes
qu’il a chaussées de deux patates
dont il se sert pour enfourner
mon agresseur doigts dans le nez.
L’autre referme la fournaise
avant de me rendre le pèze
qui me rembourse le billet.
« Vous n’y allez plus, mon Mickey !
me dit Virgile qui m’amène
à l’écart de cette géhenne.
Dites-moi, Mickey (Quel engin !)
vous n’avez pas vu mes frangins ? »
« Ainsi s’achève la Franciade
au chant III de la mascarade
dont nous avons fait le récit.
Du moins l’achevons-nous ainsi,
ne tenant rien de nos promesses
d’en dire plus sur cette messe
donnée par des fous aux gagas
et autres schnocks du bar-tabac
où nous honorons les ardoises,
car il faut bien qu’on apprivoise
les acheteurs du synopsis.
Le IV, le V et le VI
furent donnés au crématoire
numéro 2 si ma mémoire
est aussi bonne que mes vers.
Les innocents vont en Enfer
pour disparaître de ce Monde.
Le Four peut vous sembler immonde
tant les coupables au travail
ne se soucient pas du détail
et enfournent l’indésirable
avec l’ardeur que met le Diable
à promettre de grands moments
quand enfin en viendra le temps.
En attendant on ne mesure
pas l’effort ni l’autocensure.
On boulotte avec les deux bras,
craignant le feu, n’écoutant pas
ce qu’en disent les casse-couilles
qu’il faut enfourner et qui grouillent
parce que rare est l’homme sain
et l’homme juste qui demain
rendra toujours le bien aux riches
et aux chiens la vertu des niches.
Il jouira de la propreté
comme jamais on a été
conviés à n’être que nous-mêmes.
En quoi consiste le système ?
Drôle d’idée que le Diable eut
de nous faire monter dessus
le Grand Terril des républiques
qui alimentent la chronique
de l’Histoire et de ses procès.
Venez, mes amis, écouter
de l’état des mœurs et des sciences
l’épopée des trois expériences
qui fondent le vrai sur le faux.
La métrique en est sans défaut
et le sens toujours s’y retrouve
car le juge qui désapprouve
n’est pas lui-même un parangon
de probité et de jargon.
Il est payé pour des services
et non point pour rendre justice.
L’Hypocrisie est un grand mot
pour désigner ce qu’un salaud
met à l’abri de ses faiblesses.
S’il est une race qu’abaisse
l’opportunité de l’honneur,
c’est bien ce métier de voleurs,
de courtisans et de faux frères
dont nous payons les honoraires.
Que le Four leur soit épargné !
C’est l’innocent qui doit payer.
Et en commençant par l’enfance,
car selon sciences et croyances
le sang ne renouvelle rien !
Il faut changer ce qu’il contient
comme l’annonce notre Histoire.
Le futur est notre mémoire ! »
Nous écoutâmes ce discours
sans oser un seul calembour.
Il faut dire que la fournaise
nous donnait à goûter des braises
prometteuses de grands tourments.
Si choisi était le moment,
autant parler pour ne rien dire,
ce qu’apprécia notre lampyre,
lequel montra un popotin
luisant comme son baratin.
Bref nous montâmes sur la cime
du Grand Terril et atteignîmes
ainsi le cœur du Grand Discours.
Pas besoin d’en faire le tour,
il suffisait de savoir lire
sans en augmenter le délire
par des accents de comédiens.
Le ver luisant nous montrait bien
qu’en flamboyant on s’assimile.
Nous étions avec moi, Virgile,
Mickey, Verju et le Dédé
qui faisait des signes chiadés
à son chien pas vraiment complice
de ces obscurités factices.
On ouvrit grand les deux panneaux
du four qui éclairait nos os
et le ver luisant tout folâtre
y disparut comme au théâtre
on fait tomber le saint rideau
sur des prodiges infernaux
du point de vue de la critique.
L’heure était apocalyptique.
Des brandons percèrent nos yeux
car le temps devenait pluvieux.
N’ayant rien à lire moi-même
j’imaginai que le problème
consistait pour moi à œuvrer
de manière à alimenter
de trois chants un autre poème
qui eût été le pénultième
d’une série peut-être bien
sans véritable et sûre fin,
quoique douée pour le voyage
de mouvement et d’ajustages
aux variétés de potentiels.
Bref, un usage démentiel
des procédures littéraires.
Sérieux comme un pape à la guerre,
je fis aligner mes chanteurs,
à savoir dans l’ordre du chœur :
— Mickey comme voix du chant IV,
mécano menant au théâtre
de l’Enfer le train des damnés,
sales races et déclassés,
dénaturés, bouffons cyniques,
cas de névrose et psychotiques ;
— Et pour la Prise du Palais
comme suite du chant premier,
Verju doué pour l’épopée ;
car dans ce chant est expliquée
la raison d’un pareil exploit ;
— Enfin, Dédé, comme il se doit
cicérone de nos poètes
qu’il conduira comme à la fête
parmi les morts ainsi réduits
à la cendre de leurs ennuis
avec la Race et la Famille.
Vous récupérerez guenilles,
bijoux, cheveux, et tout le blé,
et pendant que vous enfournez
l’indésirable et l’inutile,
moi, votre serviteur Virgile,
aède et non point comme on dit
simple rapsode en paradis,
je conduirai la symphonie
pour que cette cosmogonie
riche de sens et de valeurs
ouvre les portes du malheur
comme un tombeau que l’on profane
pour tout savoir de cet organe :
le Grand Phallus qui nous créa !
Et sans compassion nous laissa
tomber comme vieille chaussette,
si bas qu’il faut être poète
pour en apprécier la laideur.
Mes amis, chantez bien en chœur !
En route pour l’enfer des sciences !
Et vous, enfournez l’innocence
sans vous imprégner de ses cris.
Hardi ! Au feu, simples d’esprit !
Brûlez de n’être pas semblables.
D’être d’ailleurs, inacceptables.
D’être toi-même et rien du tout !
Taratata ! Allez toutous !
Petits et grands, conscients et bêtes,
érudits et analphabètes,
qui que vous soyez, étrangers,
juifs errants, Gitans, enculés,
entrez dans le Four, nus, mutiques,
effacez-vous de la Chronique
sans résistance et à jamais !
Plus de guerres, rien ! Du balai !
Qu’on ne revoie plus vos grimaces
d’ouvriers, de fous, sales races !
(Alors Virgile s’effondra.
Il était seul dans la toundra,
bien couvert d’une grosse armure
qui tenait chaud aux entournures,
avec un heaume bien fendu
à l’endroit des yeux et du cul,
et sur le côté une épée
digne de la grande épopée
qu’il venait de vivre en héros,
à moins que ce fût en héraut.
« Qu’est-ce que je fous en Russie ?
Profitons de cette éclaircie
pour approfondir le sujet.
Volons de secret en secret
malgré le poids de la cuirasse
qui me retient quoique je fasse ! »
Il hésita, langue dehors,
car ce qu’il avait sur le corps
pesait, chauffait, et dans la neige
il laissait un rouge cortège
de pas ne menant nulle part.
« A la roulette, par hasard,
on est surpris par la Camarde.
Voilà comment on se bazarde,
et non point couvert de métal
et avec chauffage central
pour parfaire la métaphore ! »
Ces réflexions, d’autres encore,
ne le menèrent nulle part.
Il avait chaud, pas par hasard.
C’était lourd à porter ces fringues
d’une époque beaucoup plus dingue
que celle qui le tracassait.
Et le barillet ne cessait
de tourner, tourner sur lui-même !
Car la tension était extrême.
La rouille crissait sous les bras.
« Pour les uns c’est le Sahara,
pour d’autres de vertes prairies.
Moi, c’est la toundra de Russie.
J’ignore pourquoi, mais j’y suis.
C’est peu une chance sur six.
Pourquoi je dis si et pas sisse ?
Je grille comme une saucisse !
Et pas de rime pour la fin ? »)