Embryologie





Marquer un point de départ est toujours chose délicate. L'acte de naissance pourrait faire office de... C'est une condamnation à l'artefact. De toutes façons, n'ont ici de pertinence que les éléments qui contribuent à faire de mon histoire celle d'un livre, « Le sens des réalités », qu'une édition relativement récente (2010) ne suffit pas à clore.

Où trouver les ferments du SDR ? Dans des lectures d'enfance, des programmes télévisés, des impressions ? Dans un goût peut-être précoce pour la narration, qu'il faudrait reconstituer ? Dans l'épisode paranoïde d'un jour où, en CM2, j'avais le sentiment que l'école entière s'était liguée contre moi (j'avais commencé à l'écrire, un matin) ?

Les films : « I comme Icare », « Paradis pour tous », quelques souvenirs de Bunuel et les bribes vert-de-gris d'un film peut-être polonais, en tout cas d'Europe de l'Est. Sans compter « L'ïle aux mille cercueils » dont la scène de suicide me fascinait (un homme tente de se tuer avec un fusil 22 long rifle, ce qui est peu pratique). Ou, plus enfoui encore dans la mémoire, « La poupée sanglante » qui me terrorisait (j'avais 7 ans).

Je me méfiais de l'image mobile de la télévision. Parfois je voyais ma famille entière les yeux rivés sur le poste de télévision, cela m'effrayait. Un rien m'effrayait, il est vrai : le bruit des chutes des judokas sur le tatami, les possibles retombées du traditionnel feu d'artifice du 14 juillet (qui avait lieu le 13, à Pavillons sous Bois).

Quant aux lectures, elles ont longtemps été éparses et accidentelles, déterminées par les recoins de la maison : « Black Boy » de Richard Wright, je l'ai lu assez tôt (pas entièrement, cependant). Un numéro spécial de la revue « Historia » a longtemps été ma lecture de chevet. On était dans l'après-coup de Jim Jones, à ce moment.

Je m'intéressais surtout à la bande dessinée alors : Pif était mon personnage fétiche, « Pif Gadget » mon journal préféré. On y lisait d'ailleurs les aventures de l'inspecteur Ludovic, qui inspirera en quelque chose « Ludock Vick », personnage que j'abandonnerai rapidement, au profit du policier Hector. Tintin était l'autre grande figure de mon enfance. L'épisode du SDR qui existe sous différentes formes (« L'accident d'Iglotoir », « Le bras de la justice ») doit beaucoup à « Tintin au pays des Soviets ». Puis je me suis plongé dans l'univers des super-héros de chez Marvel Comics : Spiderman, Daredevil, les X-Men, Iron Man...

Là encore, il en reste une trace dans le SDR : c'est un personnage désigné comme « Sletting Murdock, avocat agoniste ». La combinaison du nom de Murdock et du statut d'avocat correspond précisément à Daredevil. Mais le personnage du SDR n'a pas de superpouvoirs.

Il n'y a pas de prédispositions à un projet de roman qui s'intitulerait « Le sens des réalités » ou se présenterait comme « roman de la réalilté ». Rétrospectivement, des éléments paraissent avoir joué un rôle déterminant – ou bien anecdotique mais tangible, vérifiable, comme le cas de ce Murdock.

Le désir de narrer lui-même n'a rien d'une « vocation » même si j'en retrouve une trace précise dans le plaisir que je trouvais, à l'école, à l'exercice de la rédaction (pour le meilleur et pour le pire). De tous ces demi-souvenirs, impossible de dresser une chronologie même approximative. Le choix d'une chanson de Scorpions, « Blackout », est alors arbitraire et fonctionnel tout à la fois. Il y a bien eu là une prise de conscience particulière : celle de la possibilité d'une expression du chaos, peut-être.